Compte tenu des enjeux relatifs aux activités créatives de conception–qui visent à créer des produits à la fois nouveaux et adaptés au contexte, nous soulignons d’abord les caractéristiques de ce type d’activité. Ensuite, nous décrivons plusieurs études expérimentales, réalisées afin de mieux comprendre l’impact de la présentation de certains stimuli présentés sous forme d’images ou de mots clés sur le processus d’évocation de participants possédant différents niveaux d’expertise en conception (novice, expérimentés ou professionnels). Nous présentons ensuite deux environnements numériques de conception qui résument certains aspects mis en avant pendant les études expérimentales: le système TRENDS et le système SKIPPI system, qui permettent respectivement aux concepteurs-utilisateurs d’avoir accès à des images ou à des mots. Des analyses ergonomiques sont finalement réalisées sur l’utilisation de chacun de ces systèmes. Ainsi, cet article nous permet de montrer l’importance d’un travail multi-disciplinaire associant l’ergonomie, la conception et le design, et le développement d’outils numériques d’aide à la conception.
2. Design, ergonomie et IHM : études complémentaires
pour favoriser les activités de conception créatives
Nathalie Bonnardel
Aix Marseille Université
Centre de recherche en Psychologie de la
Connaissance, du Langage et de l’Emotion
(PsyCLE, EA 3273)
29, avenue Robert Schuman
13621 Aix-en-Provence cedex 1 France
nathalie.bonnardel@univ-amu.fr
Carole Bouchard
Arts et Métiers ParisTech
Laboratoire Conception de Produits et
Innovation (LCPI)
151, bd de l’Hôpital
75013 Paris, France
carole.bouchard@ensam.eu
RESUME
Compte tenu des enjeux relatifs aux activités créatives de
conception–qui visent à créer des produits à la fois
nouveaux et adaptés au contexte, nous soulignons
d’abord les caractéristiques de ce type d’activité.
Ensuite, nous décrivons plusieurs études expérimentales,
réalisées afin de mieux comprendre l’impact de la
présentation de certains stimuli présentés sous forme
d’images ou de mots clés sur le processus d’évocation de
participants possédant différents niveaux d’expertise en
conception (novice, expérimentés ou professionnels).
Nous présentons ensuite deux environnements
numériques de conception qui résument certains aspects
mis en avant pendant les études expérimentales: le
système TRENDS et le système SKIPPI system, qui
permettent respectivement aux concepteurs-utilisateurs
d’avoir accès à des images ou à des mots. Des analyses
ergonomiques sont finalement réalisées sur l’utilisation
de chacun de ces systèmes. Ainsi, cet article nous permet
de montrer l’importance d’un travail multi-disciplinaire
associant l’ergonomie, la conception et le design, et le
développement d’outils numériques d’aide à la
conception.
ABSTRACT
Given the challenges associated with the activities of
creative design – aiming at the creation of products both
new and adapted to the context, we first outline
characteristics of these activities. Then, we describe
several experimental studies, performed in order to
deepen the impact of the presentation of certain simuli
consisting of images or words on the evocation process
of participants with different levels of expertise in design
(novice, experienced or professional). We then present
two computational design environments that resume
some aspects pointed out during the experimental
studies: the TRENDS system and SKIPPI system, which
respectively allow designers-users to have access to
either images or words. Ergonomic studies are finally
performed on the use of each of these systems. Thus, this
article allows us to show the importance of
multidisciplinary work combining ergonomics, design
and development of computer systems.
Mots Clés
Design; conception; créativité; analogies; évocation ;
ergonomie ; assistance; système informatique.
ACM Classification Keywords
H.5.2. Information interfaces and presentation: User-
centered design.
INTRODUCTION
Les activités de conception créatives sont omniprésentes
dans notre société. Ainsi, notre environnement quotidien
comporte une multitude d'objets qui ont préalablement
requis une activité de conception, qu'il s'agisse d'un
produit "design" ou d’un produit domestique, d'un site
web, d'un véhicule, etc. Les processus qui ont conduit au
développement de ces produits sont particulièrement
complexes, notamment, parce que les concepteurs
doivent à la fois se conformer à des contraintes ou
exigences relatives au produit à concevoir et faire preuve
d’une certaine créativité [2]. En effet, les produits qui
sont créés doivent être à la fois novateurs et adaptés au
contexte [2, 3]. Si le critère d’adaptation au contexte – et,
de ce fait, aux utilisateurs qui constituent la cible de ces
produits - est l’objectif principal de nombreux travaux en
ergonomie, la recherche de nouveauté requiert une
attention particulière ainsi que la mise en place d’études
spécifiques. Cette double caractéristique de nouveauté et
d’adaptation au contexte est associée à des enjeux à la
fois humains et économiques :
- en ce qui concerne les utilisateurs, une absence de
compatibilité entre, d’une part, le produit ou le
dispositif et, d’autre part, la logique des utilisateurs et
3. leurs capacités (perceptives, cognitives, physiques),
peut entraîner des difficultés d’utilisation du produit
en question (voire un abandon de son utilisation) et,
dans certains cas, de graves erreurs ;
- en ce qui concerne les entreprises, des produits "mal
conçus" peuvent avoir des répercussions
économiques (si ces produits sont l’objet de peu ou
pas de ventes) alors qu’au contraire des produits à la
fois adaptés et novateurs présentent des atouts par
rapport à d’autres produits dans un contexte
économique de forte concurrence.
Afin de pouvoir favoriser les activités de conception de
produits, il apparaît essentiel de caractériser certains
processus cognitifs qui permettent aux concepteurs de
parvenir à des productions créatives et, donc, à la fois
novatrices et adaptées au contexte. Dans le cadre de cet
article, certaines caractéristiques des activités de
conception créatives vont tout d’abord être présentées.
Puis nous présenterons, d’une part, des études en
psychologie ergonomique permettant d’analyser certains
processus cognitifs mis en œuvre par les concepteurs (ou
designers) et, d’autre part, des travaux qui ont été
réalisés en collaboration avec des spécialistes en
informatique et en sciences de la conception (design
science). Plus précisément, trois études vont être décrites
afin de mettre en évidence les effets de la présentation
d’images ou de mots sur l’activité de concepteurs. Dans
la lignée de ces études, nous présenterons ensuite deux
systèmes informatiques d’aide à la conception, le
système TRENDS et le système SKIPPI, qui ont été
développés afin de favoriser certains processus cognitifs
sous-tendant les activités créatives mises en œuvre par
des concepteurs. Puis, nous présenterons des études qui
contribuent à une meilleure compréhension de
l’utilisation de ces systèmes et de leur impact sur les
activités de conception créatives. Cet article contribue
ainsi à montrer l’intérêt de recherches pluridisciplinaires
associant l’ergonomie, le design et le développement de
systèmes informatiques.
CONCEPTION ET CREATIVITE: CARACTERISTIQUES
Lors du processus de conception, la créativité joue un
rôle crucial dans les étapes initiales dites étapes "amont",
au cours desquelles le concepteur définit, dans les
grandes lignes, les caractéristiques du produit qu’il
cherche à élaborer. Ces étapes apparaissent
particulièrement complexes car elles requièrent des
connaissances techniques et une expertise dans le
domaine, mais aussi, ce qui peut paraître plus
énigmatique, la « créativité » de la personne qui conçoit.
Certains modèles ont été proposés afin de contribuer à
expliquer comment des idées créatives peuvent être
générées. C’est, en particulier, le cas du modèle A-GC –
Analogies et Gestion de Contraintes [2]. Selon ce
modèle, la dynamique des activités de conception
créatives s’explique notamment par deux processus
cognitifs pouvant agir dans des directions opposées : la
réalisation d’analogies et la gestion de contraintes.
Réalisation d’analogies
La réalisation d’analogies peut, dans certaines
conditions, avoir pour effet d’ouvrir l’espace de
recherche d’idées [6, 7]. Nous nous intéresserons ici,
plus spécifiquement, aux sources d’inspiration qui sont
évoquées ou prises en considération par les concepteurs
afin de parvenir à de nouvelles idées. L’évocation de
sources d’inspiration peut servir à la résolution
proprement dite de problèmes de conception lorsque les
concepteurs transfèrent certains traits des sources
évoquées à l’objet cible à concevoir, lors d’un
raisonnement par analogie ou par cas. De plus, à notre
avis, les traits ou les propriétés des sources évoquées
peuvent aussi être utilisés par le concepteur dans d’autres
buts [2] : (1) construire et modifier sa représentation
mentale et, ce faisant, redéfinir le problème, (2)
comprendre les implications des exigences présentées
dans le cahier des charges, (3) inférer de nouvelles
contraintes qui définissent des propriétés similaires à
celles des objets sources évoqués et qui sont recherchées
pour l’objet à concevoir, ou (4) définir des propriétés qui
sont au contraire opposées, partiellement ou totalement,
à celles identifiées dans les objets évoqués. Ainsi,
l’évocation de sources d’inspiration constitue un
mécanisme cognitif puissant afin de parvenir à des idées
originales pour l’objet à concevoir.
Gestion de contraintes
La gestion de contraintes permet d’orienter la réalisation
d’analogies et de circonscrire progressivement l’espace
de recherche en fonction des connaissances du
concepteur et du contexte (ou de la situation courante).
Les différentes contraintes prises en considération jouent
alors le rôle de buts courants et elles interviennent de
façon déterminante dans la définition (et redéfinition) du
problème de conception et dans sa résolution. En effet,
pour que la résolution du problème de conception soit
efficace, le concepteur doit non seulement rechercher de
la nouveauté - et, pour cela, élargir, dans un premier
temps, son espace de recherche - mais il doit aussi
parvenir à une solution adaptée aux contraintes de la
situation – et donc restreindre progressivement son
espace de recherche. Dans ce but, le concepteur se
construit une représentation mentale intégrant des
contraintes variées. Selon nous, ces contraintes peuvent
avoir plusieurs origines (cf., par exemple, [3]) : certaines
contraintes (dites "prescrites") résultent d’un filtrage ou
d’un encodage sélectif des spécifications présentées dans
l’énoncé du problème de conception mais d’autres
contraintes sont également rajoutées par le concepteur
(1) sur la base de ses connaissances et de son expérience,
(2) à l’issue d’une analyse des implications de
contraintes déjà définies, ou (3) d’une analyse des
éléments courants de la situation, tels que le concepteur
les perçoit.
Nous défendons l’idée que de telles inférences peuvent
avoir lieu à partir des dessins de l’objet à concevoir que
le concepteur réalise (cf., par exemple, [12, 17]) mais
aussi sur la base d’images et/ou de mots que le
4. concepteur analyse, qu’ils soient évoqués par le
concepteur lui-même ou qu’ils lui soient présentés. Afin
d’approfondir de tels mécanismes et, en particulier les
processus d’évocation des concepteurs ou designers,
nous avons mis en place plusieurs études expérimentales
qui permettent d’explorer l’impact d’images et celui de
mots sur l’activité à la fois d’étudiants en design et de
designers professionnels.
ETUDES EXPERIMENTALES : IMPACT DE MOTS ET
D’IMAGES SUR LE PROCESSUS D’EVOCATION
Objectifs et contexte théorique
Compte tenu des liens entre cognition et émotion, afin
d’analyser l’effet de sources d’inspiration susceptibles
d’avoir le plus d’influence sur les activités de conception
créatives, nous avons choisi d’utiliser, dans les études
présentées ici, des images et des mots véhiculant des
émotion,. Ainsi, ces études se distinguent de travaux
antérieurs [3, 6, 7].
Selon certains auteurs, la cognition permettrait une
interprétation du monde afin d’en extraire du sens alors
que les émotions assigneraient des valences positives ou
négatives à l’environnement [15, 16]. Différents états
émotionnels ont été décrits par Scherer [18] et cet auteur
propose, notamment, de distinguer les émotions
utilitaires et les émotions esthétiques. Les émotions
utilitaires, telles que la peur ou la colère, permettent à
l’individu de s’adapter à des événements susceptibles
d’avoir des conséquences importantes sur lui. Elles sous-
tendent des fonctions adaptatives permettant, par
exemple, de se préparer à certaines actions comme la
fuite ou la confrontation à autrui, ou encore la
récupération et la réorientation du travail. Les émotions
esthétiques ne sont, quant à elles, pas liées à la nécessité
de satisfaire des besoins vitaux ou prioritaires. Elles vont
conduire une personne à être, par exemple,
impressionnée, admirative ou fascinée. De telles
sensations diffuses diffèrent ainsi des émotions
utilitaires.
Au cours des études que nous avons réalisées, nous nous
sommes focalisés sur des émotions que l’on pourrait
qualifier d’esthétiques et qui sont véhiculées par des
images ou par des mots. Plus précisément, nous allons,
sur la base de trois études, analyser leurs effets sur les
traitements cognitifs mis en œuvre par des participants
effectuant des tâches de conception créatives. Deux de
ces études expérimentales ont été réalisées afin de
déterminer l’impact de mots et d’images sur le processus
d’évocation mis en œuvre par des étudiants en dernière
année d’une école de Design et une troisième étude a été
mise en place afin de déterminer, plus précisément,
l’impact des images sur le processus d’évocation de
designers professionnels. Ainsi, ces participants
bénéficient tous d’expérience (plus ou moins
conséquente) dans le domaine du design.
Hypothèses
Différents travaux tendent à montrer que les émotions
ont un impact sur le fonctionnement cognitif des
individus [13, 14]. De plus, selon Norman [15], les
émotions pourraient nous rendre davantage
« intelligents », des émotions positives faciliteraient la
réalisation de tâches complexes et nous rendraient plus
flexibles et plus tolérants à des difficultés mineures.
Dans la lignée de ces auteurs et de ces travaux, nous
défendons l’idée que des sources d’inspiration
(consistant en des images ou en des mots) à valence
positive peuvent avoir pour effet d’élargir l’espace de
recherche d’idées des concepteurs et ainsi favoriser
l’émergence d’idées créatives pour concevoir de
nouveaux produits (cf. également [4]).
En ce qui concerne l’impact du format de présentation
des sources d’inspiration, deux hypothèses alternatives
peuvent être envisagées :
1. On peut s’attendre à ce que les objets présentés en tant
que sources d’inspiration potentielles (ou à titre
d’exemples) aient pour effet de limiter l’espace de
recherche d’idées, ce qui serait dans ce cas dans la lignée
des travaux mettant en évidence un effet de « design
fixation ». En effet, les images pourraient inciter les
participants à focaliser leur attention sur des traits de
surface des sources qui leur sont proposées et ainsi
"figer" l’espace de recherche d’idées et limiter l’étendue
des nouvelles idées. Au contraire, des mots peuvent
susciter l’évocation d’instances variées de la catégorie
qui est associée à chaque mot.
2. Les images peuvent se révéler plus efficaces que des
mots dans la mesure où les images contiennent des traits
figuratifs ou graphiques qui peuvent être directement
exploités et transférables pour la réalisation de tâches de
conception créatives.
En outre, nous avons pris en compte la distance entre,
d’une part, les images ou les mots suggérés, et, d’autre
part, le domaine conceptuel de l’objet à concevoir. Ainsi,
nous avons distingué des images et des mots qui relèvent
directement du domaine conceptuel considéré – il s’agit
d’objets-sources intra-domaines - et d’autres qui relèvent
d’autres domaines conceptuels que celui de l’objet à
concevoir – il s’agit d’objets-sources inter-domaines.
Dans la lignée d’études antérieures (par exemple, [3, 4]),
nous nous attendons à ce que les sources inter-domaines
favorisent une ouverture de l’espace de recherche
d’idées, contrairement aux sources intra-domaines.
Enfin, de tels effets pourraient se manifester davantage
auprès de concepteurs bénéficiant d’une certaine
expertise dans le domaine de conception considéré
qu’auprès de concepteurs moins expérimentés.
Afin de tester ces hypothèses, trois études
expérimentales ont été réalisées auprès d’étudiants en
dernière année d’une école de Design et auprès de
designers professionnels.
Etude 1 : Analyse de l’impact d’images sur des
étudiants en design
Pré-étude
Au cours d’une pré-étude, 20 participants ont eu à traiter
des images adaptées du matériel expérimental utilisé
pour des études antérieures (cf., par exemple, [6]) que
nous avons modifié afin de susciter des émotions
5. positives ou négatives. Les participants à cette pré-étude
ont eu à attribuer à ces images un score, sur une échelle
allant de -5 à +5 points, afin d’indiquer leur ressenti
(positif ou négatif) par rapport à ces images. Les images
ayant obtenu les scores moyens les plus élevés (en positif
ou en négatif) ont été sélectionnées afin de constituer le
matériel expérimental qui correspond à 4 catégories
d’images : 2 images intra-domaines avec une valence
positive, 2 intra-domaines avec une valence négative, 2
inter-domaines avec une valence positive et 2 inter-
domaines avec une valence négative.
Participants
12 étudiants en dernière année (5ème
année) d’une école
de Design ont participé à cette étude.
Procédure et tâche expérimentale
Ces participants ont tout d’abord été entraînés à se
conformer à une consigne de verbalisation simultanée ou
concomitante à l’activité ("thinking aloud"). Ils ont eu
ensuite à traiter, en situation individuelle, un problème
de conception (concevoir un nouveau siège pour un
cyber-café) tout en raisonnant à voix haute. Selon les
conditions expérimentales, ils disposaient de 2 images
relevant de l’une des 4 catégories constituées à l’issue de
la pré-étude pour traiter, sans limitation de durée, le
problème de conception créatif proposé.
Analyse des données et résultats
Nous avons pris en compte la durée de réalisation de la
tâche ainsi que des données issues des verbalisations des
participants. Pour cela, les verbalisations des participants
ont été retranscrites et deux juges les ont analysées de
façon indépendante afin d’identifier, de façon
consensuelle, le nombre et la nature des nouvelles
sources d’inspiration évoquées par les participants pour
traiter le problème de conception considéré.
Les résultats obtenus n’ont pas permis de montrer de
différence significative quant à la durée de réalisation de
la tâche selon les conditions expérimentales, ni d’effet
significatif de la valence positive ou négative des
images. Par contre, un effet suscité par la nature intra- vs
inter-domaine des images a été observé : les participants
qui ont disposé d’images inter-domaines ont évoqué
significativement plus de nouvelles sources d’inspiration
que ceux ayant disposé d’images intra-domaines (p =
0.009). En outre, une interaction significative a été
observée : les participants qui ont évoqué le plus de
nouvelles sources d’inspiration sont ceux qui ont disposé
d’images à la fois inter-domaines et à valence positive (p
= 0.03).
Etude 2 : Analyse de l’impact de mots sur des
étudiants en design
Pré-étude
Au cours d’une pré-étude nous avons fourni à 20
participants, des mots qui étaient soit de nature intra-
domaine, soit de nature inter-domaine, et qui
véhiculaient en outre soit une valence positive, soit une
valence négative. Ces participants ont eu à leur attribuer
un score, sur une échelle allant de -5 à +5 points, afin
d’indiquer leur ressenti par rapport à ces mots. Sur ces
bases, 8 mots ont été sélectionnés : 2 mots intra-
domaines avec une valence positive (ex. : "fauteuil de
relaxation"), 2 inter-domaines avec une valence positive
(ex. : "tapis volant"), 2 intra-domaines avec une valence
négative (ex. : "chaise électrique"), 2 inter-domaines
avec une valence négative (ex. : "guillotine").
Participants
16 étudiants en dernière année de la même école de
Design que pour l’étude précédente ont participé à cette
étude.
Procédure et tâche expérimentale
Ces participants ont suivi la même procédure que ceux
de l’étude précédente et ils ont eu ensuite à traiter, en
situation individuelle et sans limitation de durée, le
même problème de conception, tout en raisonnant à voix
haute. Selon les conditions expérimentales, ils
disposaient de 2 mots relevant de l’une des 4 catégories
constituées à l’issue de la pré-étude.
Analyse des données et résultats
Le même type d’analyse que celui décrit précédemment
a été réalisé par deux juges. Les résultats n’ont pas
permis de montrer d’effet de la nature intra- ou inter-
domaine des mots sur la durée de la réalisation de la
tâche de conception. Par contre, un effet significatif de la
valence des mots a été observé : les participants ont eu
besoin de moins de temps pour traiter le problème de
conception lorsqu’ils ont disposé de mots ayant une
valence positive que ceux qui ont disposé de mots ayant
une valence négative (respectivement, 6.50 mn. vs 11.50
mn., p.< .01). Nous n’avons cependant pas pu observer
d’effet significatif que ce soit au niveau du nombre ou de
la nature des nouvelles sources d’inspiration évoquées
par les participants.
Etude 3 : Analyse de l’impact d’images sur des
designers professionnels
Cette troisième étude, réalisée par Bonnardel et
Moscardini [8], repose sur une procédure similaire à
celle de la première étude mais nous avons sollicité cette
fois-ci des concepteurs professionnels.
Participants
32 designers professionnels ont participé à cette étude.
Ils disposaient d’une expérience professionnelle dans le
domaine du design allant de 5 à 40 années.
Procédure et tâche expérimentale
Ces participants ont été affectés à l’une des quatre
conditions expérimentales résultant du croisement de la
nature intra- vs inter-domaine des images et de leur
valence positive ou négative. Ils ont eu à traiter le même
problème de conception que celui proposé dans les deux
études précédentes tout en raisonnant à voix haute.
Analyse des données et résultats
Les données recueillies ont également été analysées par
deux juges, sur les mêmes bases que les études
précédentes. Aucun effet significatif n’a été observé en
6. ce qui concerne la durée de la tâche mais un effet de la
valence des images a été mis en évidence : les
concepteurs disposant d’images à valence positive ont
évoqué significativement plus de nouvelles sources
d’inspiration que ceux ayant disposé d’images à valence
négative (en moyenne 4.7 vs 1.9 sources d’inspiration, p
= 0.001). Aucun effet significatif de la nature intra- vs
inter-domaine des images n’a pu être observé. Une
interaction significative a cependant été constatée (p =
0.01) : les concepteurs qui ont cité le plus de nouvelles
sources d’inspiration sont ceux qui ont disposé d’images
inter-domaines avec une valence positive.
Discussion
Des résultats en partie différents mais complémentaires
ont été obtenus au cours de ces différentes études.
En ce qui concerne l’impact des images, les études 1 et 3
ont permis d’identifier une condition expérimentale qui
semble la plus favorable à l’évocation de nouvelles
sources et à l’ouverture de l’espace de recherche
d’idées : qu’ils soient étudiants en dernière année d’une
école de Design ou designers professionnels, les
participants qui ont disposé d’images inter-domaines et à
valence positive sont ceux qui ont évoqué le plus de
nouvelles sources d’inspiration. Un effet significatif de la
nature intra- vs inter-domaine des images a, en outre, été
observé sur l’activité des étudiants en Design alors qu’un
effet dû à la valence positive vs négative des images a été
observé sur l’activité des designers professionnels. Ainsi,
les étudiants en dernière année de design seraient plus
sensibles à la proximité ou à l’éloignement du domaine
conceptuel de l’objet à concevoir alors que les designers
professionnels le seraient davantage aux émotions
véhiculées par les images.
En ce qui concerne l’impact de la suggestion de mots,
bien qu’une quatrième étude visant à analyser l’impact
de mots auprès de concepteurs professionnels serait à
réaliser, les résultats de l’étude 2 ont montré que la
présentation de mots ayant une valence positive ont eu
pour effet de permettre aux participants de réaliser plus
rapidement la tâche de conception créative sans pour
autant modifier de façon significative les autres
paramètres pris en compte. Ainsi, qu’il s’agisse de mots
ou d’images, la valence positive qui leur est associée
semble bénéfique aux activités de conception créatives.
De tels résultats confirment des travaux antérieurs
portant sur l’effet des émotions mais ils ont de plus
permis de mieux cerner l’impact, sur les activités de
conception créatives, de stimuli pouvant susciter des
états émotionnels différents.
Les différentes études que nous avons présentées
montrent ainsi qu’il est possible d’influer sur les activités
de conception créatives uniquement par la présentation
de stimuli consistant en des images ou en des mots. De
tels stimuli peuvent servir de sources d’inspiration pour
les designers, que ces derniers soient étudiants en design
ou professionnels. Aussi, des recommandations ont été
proposées en vue d’une coopération humain-machine
visant à exploiter des objets-sources d’inspiration afin
d’amener les utilisateurs à élargir leur espace de
recherche d’idées [6, 7]. En outre, des systèmes
informatiques reposant sur la présentation d’images ou
de mots ont été développés afin d’amener les
concepteurs à élargir leur espace de recherche d’idées et,
ce faisant, à favoriser leur créativité. Aussi avons-nous
cherché à déterminer l’intérêt effectif de l’utilisation de
tels systèmes par des concepteurs de différents niveaux
d’expertise.
SYSTEMES D’AIDE A BASE D’IMAGES OU DE MOTS
ET IMPACT SUR L’ACTIVITE DES CONCEPTEURS
Des environnements informatiques, dont le
fonctionnement est compatible avec ce qui a été décrit
dans les études précédentes, ont été développés aux
Arts&Métiers ParisTech. C’est, en particulier, le cas du
système TRENDS [10] qui repose sur la présentation
d’images ainsi que du système SKIPPI
(www.skippiproject.com) qui repose sur la présentation
de mots et de relations entre ces mots.
Le système TRENDS : principe de fonctionnement
Ce système informatique a été développé dans le cadre
d’un contrat européen (contrat TRENDS - STREP-FP6-
IST-27916) qui s’est terminé en 2011. Ce projet visait à
faciliter les étapes de conception "amont" en fournissant
aux concepteurs-utilisateurs des images dont ils peuvent
s'inspirer pour concevoir l'objet recherché (cf. Figure 1)
et à accroître la mise à disposition de ces images
inspirationelles. Le système TRENDS repose ainsi sur
une base de données contenant 2 millions d’images
issues de plus de 350 sites web. L’accès à ces images
inspirationnelles peut s’effectuer sur la base d’une
recherche sémantique hybride associant du texte et des
images, qui a été formalisée au moyen d’une méthode
dite de Conjoint Trends Analysis [10, 11]. Plusieurs
types de requêtes ou d’actions sont possibles mais la
procédure la plus fréquente consiste à saisir des mots-
clefs, correspondant à des adjectifs utilisés dans le
domaine du design, qui vont sous-tendre la recherche
d’images liées à ces mots. Par exemple, l’adjectif
élégant permet de rechercher des images associées aux
adjectifs élégant, stylé, raffiné, beau, etc. Selon le
domaine conceptuel ou le "secteur" choisi par les
utilisateurs pour la recherche d’images, ils peuvent avoir
accès à des images ayant un lien direct ou non avec
l'objet à concevoir.
7. Figure 1 : Le système TRENDS (www.trendsproject.org)
Analyse de l’utilisation du système TRENDS
A l’issue du développement de ce système, nous avons
réalisé une étude exploratoire permettant d’analyser
l’utilisation effective de ce système en fonction du
niveau d’expertise des concepteurs [5].
Participants
30 étudiants ont participé à cette expérience : 15 dits
"novices" qui étaient en 3ème
année à l’université mais ne
disposait d’aucune expérience en design et 15 autres
étudiants, dits "expérimentés" qui étaient en 3ème
année
dans une école de Design.
Procédure et tâche expérimentale
Nous avons demandé à ces participants d’imaginer qu’ils
étaient employés en tant que "designers" dans une
société chargée de la conception de nouvelles voitures.
Tout d’abord, nous leur avons remis un cahier des
charges spécifiant certaines contraintes liées à la voiture
qu’ils devaient concevoir (ex : non conventionnelle,
amusante) et aux consommateurs visés (ex : urbains,
internationaux). Puis le système TRENDS leur a été
présenté et les fonctions principales de ce système leur
ont été décrites.
Ces participants ont eu ensuite à réaliser deux phases lors
de leur travail de conception : (1) une phase de recherche
d’images avec le système TRENDS (durant une ½
heure), sur la base de mots-clefs qu’ils exprimaient
librement, et (2) une phase de conception proprement
dite de la voiture tout en raisonnant à voix haute (comme
cela était le cas dans les expériences précédentes).
Analyse des données et résultats
Plusieurs analyses ont été réalisées sur les données
recueillies : une analyse des mots-clefs saisis par les
participants, une analyse des images obtenues lors de
l’utilisation du système, une analyse des objets-sources
d’inspiration évoqués explicitement par les participants
suite à l’accès à ces images.
Les résultats relatifs à la 1ère
phase de cette étude ont
montré que les concepteurs expérimentés ont généré et
saisi davantage de mots-clefs que les novices
(respectivement 9,93 vs 7,73). Néanmoins, le nombre
d’images qu’ils ont retenues pour la réalisation de
l’activité de conception est similaire : quel que soit le
niveau d’expertise en design, les participants se sont
focalisés, en moyenne, sur 3 images.
En ce qui concerne la 2nde
phase de l’étude, nous avons
analysé à la fois le nombre et la nature des nouveaux
objets-sources d’inspiration évoqués par les participants.
Deux juges ont catégorisé les objets-sources
d’inspiration cités par les concepteurs, comme relevant
d’une catégorie intra-domaine (lorsqu’ils appartenaient
au domaine des voitures) ou d’une catégorie inter-
domaine (lorsqu’ils appartenaient à d’autres domaines
conceptuels). Les résultats obtenus ont montré que, bien
que les deux groupes de participants ont évoqué plus
d’objets-sources d’inspiration intra-domaines qu’inter-
domaines, les concepteurs expérimentés ont évoqué
significativement plus d’objets-sources d’inspiration
inter-domaines que les novices (p = .03). Des analyses
complémentaires restent à réaliser, portant sur la nature
des images sélectionnées par les participants (et sur leur
éventuel impact émotionnel) ainsi que sur leur influence
sur la dynamique de l’activité des concepteurs.
L’étude de Mougenot et al. (2008) a également permis
d’analyser l’impact des images fournies par le système
TRENDS sur la créativité de designers, en analysant la
génération de concepts. Les résultats obtenus ont montré
que la phase d’information, lors du processus de
conception, peut être assistée par un outil numérique, tel
que TRENDS, alors que le Web dans son état actuel ne
permet pas de façon efficace l’accès à des données
abstraites ou imagées et ne satisfait pas les designers. Il a
aussi été confirmé qu’un éloignement du domaine
conceptuel de l’objet à concevoir peut, dans certaines
conditions, accroître le niveau de créativité. De tels
résultats sont ainsi à rapprocher de ceux obtenus par
Bonnardel [3].
Le système SKIPPI : principe de fonctionnement
Le système SKIPPI résulte d’un projet qui vient de se
terminer. Il complète le projet précédent dans la mesure
où il vise à fournir aux concepteurs intervenant dans les
phases amont de la conception des représentations
inspirationnelles consistant en des données lexicales. Ces
données ont permis de formaliser, sous un format unique
de mots structurés en un graphe, des connaissances et des
règles métiers couvrant les métiers du design, du
marketing, et de l'ingénierie produit-process. Plus
précisément, il s’agit, d’une part, de données relevant du
courant dit du Kansei comprenant des valeurs et des
attributs sémantiques, sensoriels, émotionnels,
stylistiques, et d’autre part, de données relevant de
l’ingénierie Produit-Process comprenant des paramètres
produits tels que la forme, le matériau ou la couleur, et
des paramètres process liés au processus de fabrication.
Ce système permet aux utilisateurs d’avoir accès à des
mots et à des liens entre ces mots (cf. Figure 2), ce qui
peut enrichir considérablement leur espace de recherche
d’idées ou de nouvelles sources d’inspiration. Le
système SKIPPI vise ainsi à aider les concepteurs à
concevoir et à évaluer de nouveaux produits en tenant
compte à la fois des émotions qui peuvent être
véhiculées par ces produits, de la valeur de marque qui
leur est associée et de leur processus de fabrication.
Figure 2 : Le système SKIPPI (www.skippiproject.com)
8. Analyse de l’utilisation du système SKIPPI
Plusieurs phases d’évaluation ont porté sur des versions
successives du prototype afin d’améliorer, de façon
itérative, ce système informatique (cf. [9]) :
1. Une phase d’évaluation ponctuelle associant une
analyse experte de l’interface en fonction
d’heuristiques et des critères ergonomiques de
Bastien et Scapin [1] et des tests-utilisateurs pour
analyser le comportement des utilisateurs en fonction
du profil métier et de l’expertise en design. Les
résultats de l’évaluation experte, puis des tests-
utilisateurs ont donné lieu à des améliorations
successives du prototype.
2. Une phase d’évaluation longitudinale, durant
plusieurs mois, au cours de laquelle l’utilité et
l’utilisabilité du système SKIPPI ont été analysées
dans le contexte réel de travail des concepteurs (sur la
base d’une analyse des logs et de réponses à des
questionnaires), en vue d’une meilleure
compréhension de l’usage effectif de ce système. Ces
résultats ont eux-aussi permis de développer une
nouvelle version du prototype offrant, notamment,
une interface tactile, jugée plus simple à utiliser et
plus attrayante par les designers.
3. Une phase de Focus group mise en place auprès de
designers professionnels visant à identifier les points
forts et les faiblesses du dernier prototype. C’est cette
dernière phase, réalisée sur la dernière version du
système SKIPPI, qui est décrite ici.
Participants
Six designers professionnels, exerçant tous dans la même
société de Design, ont participé au Focus group.
Procédure
La session s’est déroulée en deux parties. Durant la
première partie, l’ensemble des fonctionnalités de
SKIPPI a été rappelé aux participants. Une
documentation à la fois sur supports papier et video était
également mise à leur disposition. Chaque participant a
ensuite utilisé, librement et individuellement, pendant
une quinzaine de minutes, la dernière version du système
SKIPPI, présentée sur écran tactile 40’’. Un référent était
présent pour répondre aux remarques et interrogations
des participants. A l’issue de cette utilisation libre,
chaque participant a répondu à un questionnaire
qualitatif ouvert portant sur l’utilité et l’utilisabilité des
fonctions proposées par le système SKIPPI (cf. exemples
dans le Tableau 1).
Nom de la fonctionnalité
Dans quelle mesure cette fonction vous est-elle utile ?
Dans quelle mesure cette fonction peut-elle vous aider dans
votre travail ?
Quels sont les aspects de cette fonction que vous aimez ?
Quels sont les aspects de cette fonction qui pourraient être
améliorés ?
Dans quelle mesure est-il facile de commander cette fonction ?
Dans quelle mesure est-il facile de comprendre le résultat
apporté par cette fonction ?
Pouvez-vous suggérer des améliorations au niveau de
l’interface commandant cette fonction ?
Tableau 1 : Exemples de questions traitées lors du focus
group.
Durant la seconde partie, les participants étaient réunis.
Un intervenant animait une discussion afin de favoriser
la verbalisation et les échanges en fonction des
thématiques abordées dans le questionnaire. Il était
demandé aux participants de formaliser leurs remarques
sous forme de mots-clefs qu’ils plaçaient sur un plan de
travail afin de favoriser une représentation partagée des
remarques formulées.
Analyse des données et résultats
Les résultats présentés ci-dessous correspondent à la fois
aux remarques issues des verbalisations lors du Focus
group et aux réponses des designers professionnels
issues des questionnaires. Ces résultats mettent en avant
les apports et les limites du système SKIPPI.
Apports de "rebonds cognitifs"
Ce système est jugé particulièrement utile en termes de
"rebonds cognitifs", les designers considérant qu’il leur
permet de sortir d’une impasse créative. L’utilisation de
mots clefs permet, selon eux, d’ouvrir des pistes de
recherche exploratoire : "Les mots ouvrent des univers
imaginaires et renvoient à des formes, des concepts. Ils
permettent de "rebondir" à partir d’une première piste
créative, d’ouvrir des champs de possibles…". Le
système semble ainsi permettre d’élargir l’espace de
recherche d’idées, conformément à l’un des processus
cognitifs décrits dans le modèle A-GC.
Selon les participants au focus group, les termes
proposés par le système SKIPPI permettent "de se
démarquer de réponses convenues", "d’explorer des
scénarios imprévisibles". Ce système leur permet aussi,
de "connecter des idées", "de caractériser et d’organiser
les pistes créatives". Ils ont l’impression que les idées
sont "mieux exploitées" et ils reconnaissent, en outre, la
dimension collaborative permise par SKIPPI.
Limites du système
Les participants ont également fait état de limites dans la
mesure où ils considèrent que le système SKIPPI devrait
permettre de distinguer des priorités parmi les mots qui
sont sélectionnés (certains mots étant fondamentaux
contrairement à d’autres) et ainsi proposer des
hiérarchisations. En outre, la base de données de mots est
jugée encore trop restreinte. En particulier, pour
exploiter pleinement le potentiel de SKIPPI, il faudrait
que davantage de mots correspondant au "projet du
moment" soient présents.
Des écarts peuvent évidemment exister entre la
perception que les designers ont de l’apport de ce
système et son impact effectif sur les activités de
conception créatives. Aussi, une étude expérimentale est
en train d’être mise en place afin d’analyser l’impact de
l’utilisation de la dernière version du système SKIPPI
lors de la réalisation d’une tâche de conception créative,
par comparaison à une situation "contrôle" sans
utilisation de ce système.
9. DISCUSSION GENERALE ET CONCLUSION
L’analyse et la formalisation des processus cognitifs en
conception "amont" suscitent un intérêt croissant à la fois
en psychologie cognitive et ergonomique et dans les
sciences de la conception. Cet engouement est dû à une
nécessaire avancée en vue du développement de
systèmes d’aide à la conception visant à enrichir les
phases "amont" du processus de conception, ainsi qu’en
vue de l’évaluation de tels systèmes. L’étude des
processus cognitifs mis en œuvre dans les phases amont
permet d’expliciter à la fois l’analyse et l’intégration, par
les concepteurs (ou designers), de données que nous
avons désignées par le terme de "sources d’inspiration",
de différents types et formats de représentations, en
l’occurrence présentées ici sous la forme de mots et
d’images.
Plusieurs études ont été présentées afin de déterminer
l’impact de ces données d’entrée sur le processus
d’exploration de nouvelles sources d’inspiration et sur
l’espace de recherche d’idées. Ces études ont contribué à
explorer l’effet de facteurs cognitifs et émotionnels sur
des activités de conception créatives. Ces effets ont été
analysés dans le cadre de taches fictives reflétant
partiellement des taches réelles de conception.
L'inconvénient des approches expérimentales vient d'une
dé-contextualisation liée à l'absence d'objectifs réels de
conception. Aussi, pour réduire l'impact de ce problème,
nous avons fourni aux participants - à la fois des
étudiants en design et des designers professionnels - un
cahier des charges fictif qui s'apparente à une tache réelle
de conception et il leur a été demandé de se projeter dans
une situation réelle. L'avantage de ces approches est que
l'on peut étudier les comportements d'un panel de
participants et procéder à des comparaisons dans un
contexte identique (ou tout au moins similaire), ce qui
n'est jamais possible dans un contexte réel de conception.
Les études décrites dans la première partie de cet article
ont permis d’obtenir des résultats importants concernant
l'impact, au niveau cognitif, de domaines conceptuels -
au sein desquels sont extraites des images
inspirationnelles - sur la capacité à évoquer de nouvelles
sources d'inspirations. En ce qui concerne les aspects
émotionnels, ces études ont montré l'effet de la valence
des mots utilisés en entrée sur le nombre de sources
évoquées (professionnels) et sur la durée d'exécution de
la tache d'évocation des sources (étudiants). Ce type de
résultats est crucial pour la conception de systèmes
d'aide. En effet, ils donnent lieu à des spécifications
précises contribuant à la définition des contenus des
bases de données consistant en des mots ou des images
inspirationnels.
Les systèmes qui ont été conçus ont pour vocation
d’apporter, en temps réel, des données susceptibles de
constituer des sources d’inspiration pour les concepteurs.
Le premier système présenté, TRENDS, permet
d’accéder à des images "inspirationnelles". Le second
système, SKIPPI, présente des données lexicales aux
concepteurs. Ces systèmes ont été l’objet
d’expérimentations visant à analyser leur impact sur
l’activité de concepteurs. Il est ainsi apparu qu’ils
suscitaient l’intérêt des concepteurs, qu’ils leur
semblaient attractifs et/ou qu’ils provoquaient une
exploration plus large de nouvelles sources d’inspiration,
utiles pour la recherche d’idées créatives et la conception
amont. La taille des bases de données sous-jacentes à ces
systèmes s’est révélée être un déterminant principal de
l’utilité de tels systèmes et leur utilisabilité est apparue
cruciale lors de tests-utilisateurs. Les points
d’amélioration concernant les futurs systèmes d’aide à la
conception dans les phases de conception amont
porteront donc à la fois sur la constitution de bases de
données dont la taille excèdera les dimensions actuelles,
et sur la mise en place d’interfaces attractives pour les
utilisateurs.
REMERCIEMENTS
Une partie de ce travail a été financée par l’ANR dans le cadre
du projet SKIPPI (ANR-2010-COSI-016-01). Nous remercions
particulièrement Damien Lockner et Maëliss Paur pour leurs
contributions au focus group ainsi que les designers d’Option
France pour leur aimable participation à différentes études.
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