« Autrefois, il y avait ici un bâtiment. Trois étages, vides, les volets bien murés.
Mon amie, Mlle Rosa dit souvent qu’il était habité par un homme surnommé « Vieux Marteau ». Par lui et bien d’autres…
Mais quand je lui ai posé, à lui, des questions sur l’immeuble, il a tout juste murmuré entre ses dents. Vieux Marteau est comme ça : aussi dur qu’un clou.
L’année dernière, deux citadins sont venus, tout endimanchés, chargés de papiers et ils ont déclaré d’un ton solennel :
— Ce bâtiment est dangereux et devra être démoli ! »
Une terre bonne à rien qui devient un beau jardin-potager, grâce à toute une collectivité.
Une histoire sur l'entraide, l'union, l'espoir, la résilience.
Un bel exemple d'une écologie en action !
2. Autrefois, il y avait ici un bâtiment.
Trois étages, vides, les volets bien
murés.
Mon amie, Mlle Rosa, dit souvent
qu’il était habité par un homme
surnommé « Vieux Marteau ». Par lui
et bien d’autres…
Mais quand je lui ai posé, à lui, des
questions sur l’immeuble, il a tout juste
murmuré entre ses dents. Vieux
Marteau est comme ça : aussi dur
qu’un clou.
3. L’année dernière, deux citadins
sont venus, tout endimanchés,
chargés de papiers et ils ont déclaré
d’un ton solennel :
— Ce bâtiment est dangereux
et devra être démoli !
En hiver, une grue est arrivée.
Ma mère a permis à tout le monde
de venir voir chez nous : notre
grande fenêtre donnait juste sur
l’immeuble.
Trois minutes et le voilà réduit à
un tas de décombres ! Puis, un
camion est arrivé, des hommes y
ont entassé les déchets et ont
rempli le grand trou avec de la terre.
4. Le quartier ressemblait
maintenant à une grande
bouche ouverte et souriante,
avec une dent en moins.
Assis sur son petit
tabouret, Vieux Marteau
secoua la tête :
— Avant, ce bâtiment
aurait pu être sauvé. Mais
personne n'a jamais essayé.
Tous les jours, chaque fois
que je passais par là, je me
sentais bien triste…
Tous les jours…
5. Le printemps venu, Mlle
Rose commença le nettoyage
de ses boîtes de café. Toutes
les deux, nous avions des
boîtes de café sur les rebords
de nos fenêtres et on achetait
chaque année deux paquets
de graines. Parfois, c’étaient
des soucis, d’autres fois des
zinnias… Et on avait même
essayé des tomates ! Et
chaque fois on allait au parc
afin de ramasser un peu de
terre et pouvoir ainsi remplir
les boîtes.
6. Cette année, Vieux Marteau nous a arrêté alors que nous étions
en route pour le parc et nous a dit :
— Ce trou a suffisamment de terre pour vous.
Tout en souriant, on s’est regardé, Mlle Rosa et moi, et Mlle Rosa
a ajouté :
— C’est vrai ! Pas mal de terre !
7. — On dirait une boîte de café
géante ! j’ai continué.
Ce fut alors que nous avons décidé
de faire quelque chose.
Sans perdre du temps, j’ai
commencé à creuser.
Une seule idée en tête : fleurs et
jardins.
Mais Vieux Marteau m’a prévenu :
— Fais attention : tu ne peux
ramasser qu’un petit brin de terre ! Cet
emplacement appartient à la ville.
8. Mlle Rose et moi, on est parti
voir tout de suite M. Bennett qui
travaille à la mairie.
— Je pense qu’il y a un projet qui
permet aux gens de louer quelques
hectares de terrains vacants, a-t-il
avoué.
Et c’est ainsi que Mlle Rose et
moi, nous avons constitué une
association dans notre quartier et on
a fait circuler une pétition : NOUS
VOULONS LOUER CE TERRAIN.
Combien de signatures en moins
d’une semaine !
— Vous signez ? ai-je demandé à
Vieux Marteau.
— Pas du tout. Et je vous jure
que rien ne se passera, ajouta le
vieux.
9. Mais…
La semaine d’après, certains d’entre nous ont pris un bus pour aller à la mairie. Et
nous avons remis notre pétition au guichet correspondant. L’employée a vérifié les
archives, tapé quelques commentaires et fait des photocopies. On a payé un dollar.
Et, ce jour-là, nous sommes devenus locataires du terrain.
Aussi simple que ça !
10. Samedi matin, le soleil m’a réveillée
d’assez bonne heure. J’ai jeté un coup
d’œil au terrain. Ma mère aussi l’a bien
regardé. Me serrant contre elle, elle m’a
dit :
— Marcy, aujourd’hui je viens vous
aider.
Après le shopping, ma mère a vidé
les sachets, les a pliés et les a mis sous
son bras.
Puis, elle a exhorté son amie :
— Viens avec moi, Béa… On va
nettoyer le terrain.
Mon frère a fini par nous aider. Au
tout début, bien que grand et costaud, il
n’était point convaincu. On aurait dit
Vieux Marteau… Mais ma mère l’a averti
sur le champ :
— Point de pessimisme ! Pas avec
nous !
11. Et toute la journée durant, il a
rempli les sacs avec les détritus et
les a placés juste à côté du trottoir.
Les voisins qui passaient et
avaient du temps disponible,
voulaient absolument nous aider.
— Venez vous aussi
nous aider ! ai-je demandé à
Vieux Marteau.
— J’aide personne ! Vous
perdez votre temps !
Juste avant l’heure du
dîner, ma mère m’a félicitée :
— Ce que tu fais
est fantastique !
12. Le lendemain, la mairie nous a prêté des
outils : quelques balais, des faux, et un
récipient pour les déchets.
Il y avait de plus en plus de voisins qui
venaient aider…
Et tout le monde saluait Vieux Marteau.
Mais il repoussait nos salutations comme
on chasse une mouche !
Mon frère a demandé :
— Pourquoi Vieux Marteau est-il si
grincheux ?
— Il est sûrement triste, répondis-je. Sans
doute que la disparition du vieux bâtiment lui
fait encore du mal.
Mon frère haussa les épaules :
— L’absence d’un vieux truc ? Il devrait en
être content.
— Il lui faut du temps, remarqua Mlle
Rose. Les bonnes choses prennent du temps…
13. M. Bennett apporta
du bois – de vieilles
planches – et des clous.
— Je me disais que
je les avais vues quelque
part ! C’est du bon bois !
Puis vint M. Rocco
qui habite deux maisons
plus bas, deux pots de
peinture à la main.
— Comme la
couleur est trop voyante,
elle ne sera jamais
utilisée chez moi. Mais ce
coin a besoin d’un peu de
gaieté…
Et chaque passant
sentait quelque chose
d’excitant dans l’air.
14. Et chacun avait ses propres idées sur ce
qu’il fallait planter : des fraises, des carottes,
de la laitue, des tulipes, des marguerites, des
pétunias…
Sonny, notre voisin d’à côté, tourna le sol
avec une pelle pour enlever la neige. Et
même bébé Leslie essaya de creuser avec une
cuillère.
Mlle Rose nous a apporté du
lait, du pain et de la confiture
pour le déjeuner, et a tout mis
sur une serviette de plage dans
un endroit propre, déjà vidé de
tout déchet.
Lorsque la journée
s’est terminée, nous
avions déjà construit et
peint une clôture en bois.
15. La nuit, quand je me suis couchée,
ma mère est venue m’embrasser et
fermer la porte de ma chambre. À la
lumière des lampes, j’ai vu alors Vieux
Marteau descendre les escaliers et
ouvrir la barrière. Il s’est penché sur le
sol et a retiré, à toute vitesse, quelque
chose de sa poche, une chose qu’il a
lancée par terre. Et qu’il a
immédiatement recouverte.
Le lendemain matin, j’ai raconté à
mon frère ce que j’avais vu.
— Marcy, ton envie est telle que tu
as imaginé la scène, c’est sûr ! voilà son
seul commentaire.
Mais je savais que je n’avais pas
rêvé, et j’ai dit à ma mère :
— Cette nuit, Vieux Marteau était
en train de planter des graines !
16. Après le petit
déjeuner, je suis allée
voir le terrain. J’aperçus
alors une petite motte,
très lisse et bien
disposée, tout comme
celles que nous avions
plantées. J’étais sûre que
Vieux Marteau y avait
planté quelque chose…
J’ai caressé le
monticule (pour lui
souhaiter bonne chance)
et j’ai soulevé une petite
haie pour protéger ces
graines.
17. Je venais tous les jours rendre
visite à notre jardin-potager.
Et tous nos voisins aussi…
Un jour, Mme Wells m’a avoué :
— Auparavant, la chambre de ma
grand-mère était ici, à cet endroit
même. Donc, j’y ai planté mes fleurs.
Quelle tristesse d’entendre ces
mots !
Avec tant de choses à faire –
creuser, planter, désherber et arroser
– , j’avais oublié qu’un jour, en cet
endroit même, il y avait eu un
immeuble… habité par des gens !
Et Vieux Marteau y avait
également vécu.
J’ai contemplé le terrain… et j’ai
su que sa chambre avait bel et bien
été là, quelque part…
18. Subitement, j’ai vu qu’il y
avait de petites pousses qui
montaient du sol.
Les graines de Vieux
Marteau !
Je suis allée le chercher :
—Venez vite avec moi !
Ça vous plaira, c’est sûr !
Nous avons côtoyé les
roses trémières, les soucis, le
poivre, la laitue, et je lui ai
montré les fraises plantées.
Lorsque Vieux Marteau les a
vues, son bonheur a éclaté :
— Tu sais, Marcy, cette
terre n’était bonne à rien.
Maintenant, elle est bonne à
tout !
19. L’été arrivé, notre jardin-
potager regorgeait de beaux
légumes, d’herbes aromatiques
et de magnifiques fleurs.
À l’arrière, un carré de
beaux tournesols imposait sa
présence.
Vieux Marteau venait tous
les jours. Il restait là, assis au
soleil, en train de déjeuner. Et
souvent il venait même après le
dîner.