1. D R M U N I R U D D E E N L A L L M A H A M O O D :
LE MATINAL, PORT-LOUIS,
LUNDI 6 JUILLET 2015
w w w . l e m a t i n a l . c o m
6
“Il ne faut pas se focaliser uniquement
sur les services financiers"
Pour accroître le développement économique du pays, il ne faut pas se cantonner au secteur financier comme moteur de croissance.
Développer d'autres pôles est important. Aujourd'hui, l'économie mauricienne fait face à des défis parmi lesquels la création d'emplois.
Faire de Maurice, un centre de connaissance s'avère être une bonne initiative, mais, il faut savoir comment se lancer dans ce projet.
D'autre part, la finance islamique, qui connaît du succès à travers le monde peut aussi aider à booster la croissance économique du
pays. Mais, la conscientisation et l'investissement sont deux éléments indispensables pour que cette industrie puisse se développer dans
le paysage financier mauricien. C'est ce qu'en pense le Dr Muniruddeen Lallmahamood, Acting CEO de la Century Banking Corpora-
tion, et consultant en finance islamique. - Propos recueillis par Anisha Madayah.
Le gouvernement semble
être assez satisfait du taux
de croissance économique
pour l'année financière en
cours, malgré que cer-
tains secteurs font face à
des difficultés. Actuelle-
ment, nous n'avons qu'une
petite poignée de secteurs
qui ont démontré des
signes de résilience en
dépit d'un scénario écono-
mique tumultueux au
niveau mondial. Quelle est
votre analyse personnelle
de ce scénario en relation
avec le centre financier
mauricien ?
En premier lieu, le secteur fi-
nancier est un pilier impor-
tant pour l'économie. Sa con-
tribution était de 10,3% au
Produit Intérieur Brut (PIB)
en 2014. Sur une analyse an-
nuelle, ce secteur a enre-gis-
tré une croissance de 6% au
premier trimestre de cette
année contre 5,4% au der-
nier trimestre de 2014. Si
nous comparons les chiffres
des prochains trois tri-
mestres, nous saurons
qu'elle a été l'impact des con-
séquences du scandale de
BAI sur le secteur. Malgré
les nouveaux développe-
ments et des annonces con-
cernant les accords de non-
double imposition, et de
notre programme commer-
cial, par exemple, l'AGOA,
nous ne pouvons pas rester
complaisants. Le plus grand
défi est toujours présent. Et,
c'est la création d'emplois.
Nous ne pouvons pas
uniquement nous focaliser
sur le secteur financier
comme un moteur de crois-
sance. La politique macroé-
conomique de Maurice de-
vra davantage se diversifier
pour inclure d'autres sec-
teurs, tels que la biotech-
nologie, la technologie et le
numérique, et la pharmaceu-
tique. Nous devons dévelop-
per l'entrepreneuriat, l'inno-
vation et la science qui sont
nécessaires pour faciliter la
démarche vers une industrie
spécifique, basée sur la con-
naissance. Si nous prenons
les Top 10 ou 20 compagnies
listées sur les trois indices,
notamment S&P100, FTSE
100, NASDAQ Composite &
Straits Times Index, nous
observons que les industries,
telles que la technologie et le
numérique, les compagnies
de logiciels, la biotechnolo-
gie, entre autres, y figurent
aussi sur ces indices.
Lorsque nous parlons
des exportations, nous
ne pouvons pas mettre à
l'écart l'exportation des
services. Quel secteur,
selon vous, pourra de-
venir un gagne-pain
potentiel pour le pays
dans les années à venir ?
Pour le secteur des services,
les industries les plus impor-
tantes resteront le secteur fi-
nancier, le tourisme, les TIC
et l'éducation. Dans le der-
nier 'Financial Stability Re-
port' du 1er trimestre de
2015, les 'Net ForeignAssets'
des banques ont connu une
bonne croissance en 2014,
enregistrant une hausse à
deux chiffres, soit 16,5% en
novembre 2014 contre 6,6%
en 2012. La croissance a été
négative avec 5,5% en 2013.
Le secteur financier avait
contribué le plus. L'exporta-
tion des services peut aider à
contribuer à l'amélioration
du déficit de la balance de
paiements. Cela ne pourra
pas contribuer d'une ma-
nière importante à l'allège-
ment du chômage qui est as-
sez élevé. Il nous faut une
meilleure stratégie natio-
nale de développement à
long terme qui crée de l'em-
ploi, et améliore un service
commercial positif. Si cette
stratégie peut être réalisée,
cela augure bien pour tous,
et nous placera dans une po-
sition, en termes de solidité
financière de la population
et la résilience à lutter
contre les chocs écono-
miques exogènes. Nous de-
vons positionner Maurice
comme un 'Education Hub'
de qualité avec un rapport
coût/efficacité dans la ré-
gion. Si nous renforçons le
secteur du soin médical,
nous pouvons positionner
Maurice comme un centre
de soin médical, et encou-
rager le tourisme médical
pour les gens fortunés de la
région qui veulent bénéfi-
cier des soins médicaux de
qualité supérieure à des prix
abordables. Cette stratégie
positionnera Maurice sur un
autre niveau dans la région,
et contribuera à un service
commercial positif à long
terme.
Quelle est votre évalua-
tion des décisions poli-
tiques du ministre des
Finances concernant le
secteur financier à Mau-
rice ? Êtes-vous satisfait
des règlements du gou-
vernement pour ce
secteur ?
Cela doit être une tâche diffi-
cile pour le ministre des Fi-
nances actuel ! Je crois qu'il
est trop tôt de se prononcer
sur ces règlements. Sur une
perspective plus large, nous
devons analyser les chiffres.
La main-d'œuvre locale était
de 571 000 personnes en 2013.
Donc, on compte un total de
45 500 chômeurs. Le secteur
de l'agro-industrie employait
47 400 personnes et le secteur
de la construction, 53 100
d'une main-d'œuvre de
525 700 employés. L'agro-in-
dustrie compte 9% de l'em-
ploi, alors que la construc-
tion, 10,1%. Ces deux sec-
teurs sont importants du
point de vue de l'emploi, plu-
tôt qu'une perspective de
croissance au PIB. Si ces
secteurs souffrent, une caté-
gorie de la population à Mau-
rice souffrira d'un niveau de
vie inférieur, car ils sont les
semi-qualifiés du secteur
agricole et de la construc-
tion. De l'autre côté, jouer
uniquement sur le secteur fi-
nancier pour la création
d'emplois et la croissance
économique est essentiel.
Actuellement, on compte
12 365 personnes employées
dans ce secteur. Si nous
échouons à soutenir ce
secteur, cela entraînera un
grand nombre de la classe
moyenne de tomber dans le
filet de la classe pauvre.
Pour les premiers six
mois de 2015, le gouverne-
ment a reçu des revenus de
Rs 39,1 Md, mais, a déboursé
Rs 43,2 Md, ce qui indique
une dépense de Rs 4,1 Md, de
janvier à juin 2015. Le gou-
vernement doit resserrer ses
dépenses à l'avenir pour évi-
ter d'encourir une dette éle-
vée. Concernant le dévelop-
pement des PME, elle est une
bonne stratégie. Les PME
sont l'épine dorsale de l'é-
conomie. Les banques com-
merciales ont des comptoirs
qui proposent des services
par les banques de déve-
loppement. Ce modèle peut
être répliqué à Maurice que
de mettre en place une nou-
velle banque pour les
PME comme annoncé dans
le budget.
Jusqu'à présent, la
Banque de Maurice
(BoM) a joué un rôle très
prudent dans le secteur
bancaire local. Croyez-
vous que la BoM peut
toujours apporter un
coup d'accélérateur au
secteur financier local ?
La BoM a employé des poli-
tiques conservatrices jus-
qu'à présent. Les 'Non Per-
forming Loans' sont gérables
et le fardeau du crédit à la
consommation est faible par
rapport à d'autres pays. La
dette grandissante des entre-
prises privées est inquié-
tante, surtout l'emprunt des
Top 10 sociétés qui est au-
dessus de 30%. Il y a un com-
promis entre le conserva-
tisme et une bonne crois-
sance économique qui
émane de l'expansion du
crédit. En contrôlant l'ex-
pansion du crédit, la BoM a
fait un travail excellent, en
minimisant le risque d'une
bulle d'actifs que le monde
connaît actuellement. Si les
crédits accordés étaient per-
mis à être expansionnistes,
le taux de croissance de
Maurice aurait augmenté.
Au niveau de la politique
macroéconomique, le minis-
tère des Finances devra dé-
cider si la BoM et la FSC
doivent fusionner ou non. Ce
débat doit être traité pour
maintenir la stabilité finan-
cière sur le marché.
Quelle est votre position
sur cela ? En tant que
banquier, j'aurais préféré
un fusionnement. Parlant
de la finance islamique,
cela fait 10 ans que Mau-
rice essaie de promouvoir
cette industrie. Avec deux
banques jusqu'ici, quels
sont les obstacles dans
cette industrie à Mau-
rice ?
Pour que les banques
puissent s'établir, il faut
des années de travail. Nous
devons commencer à cons-
cientiser le public et les com-
pagnies à l'importance de la
finance islamique, mais les
banques normales ne
doivent pas le faire. On ne
parle pas de l'existence de la
finance islamique, mais de
ce qu'elle peut apporter pour
le public, surtout les avan-
tages bancaires avec une
banque islamique par rap-
port aux banques classiques.
D'une perspective de finance
islamique, elle a un long che-
min à parcourir. Lentement
et sûrement, la finance isla-
mique qui a connu du succès
là où on ne trouve pas des
scandales et des créances
irrécouvrables croîtra.
D'un centre financier
dans cette partie du
monde, le gouvernement
nourrit l'ambition de de-
venir un pôle de connai-
ssance. Dans quelle
mesure trouvez-vous cette
ambition réaliste ?
Premièrement, Maurice dis-
pose de ressources natu-
relles limitées et nous ne
nous retrouvons pas avec du
"Intelligent Capital". Un cen-
tre de connaissances est une
plate-forme idéale pour le
pays afin d'accroître la pro-
ductivité et la croissance
économique. Comment se
lancer dans ce projet ? Un
centre de connaissances est
vague. Il y a beaucoup à faire
pour que Maurice devienne
un hub financier. C’est un
objectif louable à atteindre.
En plus de devenir un hub fi-
nancier, Maurice doit pour-
suivre la stratégie pour de-
venir une plaque tournante
et non pas de connaissances,
mais plutôt, un hub éducatif
et touristique ou un hub mé-
dical. Ces deux centres à but
lucratif et de nature entre-
preneuriale, par rapport à
un centre de connaissance
holistique qui nous fait dé-
penser plus d'argent en ter-
mes d’investissements pour
moins de retours... le pire
étant un non-retour, si la
connaissance ne se traduit
pas en profits.
Pensez-vous que la fi-
nance islamique pourrait
jouer un rôle déterminant
dans le renforcement de la
performance de l'écono-
mie mauricienne ?
La finance islamique va con-
tribuer à l'économie mauri-
cienne et pour les PME. Sa
contribution sera modeste
lors des prochaines années,
par rapport à l'industrie et
au PIB dans son ensemble.
La raison est que l'industrie
de la finance islamique est à
ses balbutiements. La fi-
nance islamique a un grand
potentiel, surtout si nous
pouvons développer et com-
pléter notre hub financier
international.
Sur la scène interna-
tionale, quels ont été,
selon vous, les progrès les
plus importants de la fi-
nance islamique en 2014 ?
Sur la scène internationale,
des développements se sont
produits en 2014 et de nou-
veaux secteurs de croissance
ont émergé. Un grand nom-
bre de pays non-musulmans
avaient participé au marché
mondial des Sukuk (obliga-
tions islamiques). Le Ro-
yaume-Uni a fait son pre-
mier pour émettre le Sukuk.
Ensuite, nous avons vu une
transaction solide et gérée
par des professionnels du
Luxembourg, qui a été bien
accueilli dans la région du
CCG. L'émission de Hong
Kong était unique en ce qu'il
était, au meilleur de ma con-
naissance, le premier pays
avec un excédent budgétaire
à émettre le Sukuk. Ce qui
implique une motivation
première pour participer à
cette industrie en pleine
croissance. Outre le Sukuk,
de nouvelles initiatives
visent à fusionner l'inves-
tissement socialement
responsable avec la finance
islamique.