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Communiqué de presse santé sud
1. Communiqué de Presse
Pour une réponse effective aux besoins des mères célibataires au Maghreb
Le 2e Séminaire Maghrébin clôt ses travaux à Tunis avec des recommandations communes aux 3 pays
Les Etats du Maghreb doivent reconnaître les mères célibataires, les respecter en tant
qu’êtres humains sujets de droits et adopter une réponse globale et effective à leurs
besoins. Cette réponse passe par l’adoption de politiques publiques intégrées prenant en
charge leurs besoins, mais pas seulement. Elle passe également par un changement
d’attitude de la part de ces sociétés, qui aujourd’hui récriminent les femmes accouchant en-
dehors du cadre du mariage, les condamnant à l’exclusion pure et dure. Elle implique enfin
l’harmonisation et l’évolution des cadres juridiques, de façon à ce qu’ils reflètent les engagements
pris par ces Etats, qui ont tous les trois adopté la Convention sur l’Elimination des Toutes les Formes
de Discrimination à l’égard des Femmes (Cedaw) et la Convention Internationale des Droits de
l’Enfant.
Ces idées sont parmi les principales conclusions auxquelles sont arrivés les 180 participants du 2e
Séminaire Maghrébin pour une meilleure insertion sociale et professionnelle des mères célibataires et
de leurs enfants, qui vient de se clore à Tunis. Il est réalisé dans le cadre du projet de même nom
mené par l’ONG Santé Sud (France)et ses partenaires dans les trois pays: l’Institut National de
Solidarité avec les Femmes en Détresse (INSAF)(Maroc), le Réseau Amen Enfance Tunisie (RAET) et
SOS Femmes en Détresse (Algérie).
Cette initiative pionnière de mise en réseau d’acteurs associatifs et publics traitant de l’épineuse
question des femmes accouchant en-dehors du cadre légal du mariage dans ces pays a fonctionné
comme un vivier de propositions pour un plaidoyer commun sur la région et de solutions innovantes
en matière d’accompagnement à la réinsertion de ces mères dans leur société.
Par où commencer: par les mères ou par leur société ?
« Notre objectif en tant qu’acteurs sociaux est que la personne retrouve une réponse qui lui
convienne et qu’elle maîtrise. Habituellement, nous pensons surtout à la réinsertion
socioprofessionnelle, mais nous oublions que si en face elle ne trouve pas un entourage
soutenant et une société qui ne la condamne pas, tout est est quasiment voué à l’échec »,
explique Anne Vincent,travailleur social et collaboratrice de Santé Sud.
« C’est bien sur l’environnement qu’il faut travailler, et non pas sur la mère célibataire, car
elle et son enfant son protégés par les conventions internationales. C’est l’environnement
qui crée des problèmes et qui viole ces droits », affirme le responsable de programmes à
Santé Sud, Philippe Dicquemare.
En effet, si l’on se base sur l’analyse comparée présentée par la juriste et féministe tunisienne
Monia Ben Jemia, on peut déduire que les législateurs des trois pays continuent de
cautionner le comportement stigmatisant de leur société, dans la mesure où le « droit
ignore totalement la mère célibataire, intervient pour la culpabiliser et stigmatise son
enfant ». Pour la juriste, il faut dépénaliser au Maroc les relations sexuelles hors mariage
consenties et établir une tutelle partagée entre les pères et les mères en Algérie et en
2. Tunisie. « Je ne pense pas que notre religion approuve une telle violence à l’égard de ces
femmes », a-t-elle conclu en rappelant qu’être enceinte ne peut pas être un délit.
Les associations face au désengagement des Etats
Partant du principe que ces femmes et leurs enfants ont les mêmes droits que leurs
concitoyens, les participants mettent en valeur les solutions qu’ils ont identifiées durant les
ateliers du séminaire pour leur accompagnement global, socio-professionnel, juridique, la
prévention de grossesses non-désirées et des abandons, la sensibilisation de la
population, des professionnels et des décideurs politiques.
Toutes ces solutions (formation des professionnels, publication d’un guide des droits pour
les mères célibataires, numéro vert pour femmes en détresse, accompagnement à
l’alphabétisation, programmes d’incitation à la formation professionnelle, formation de
médiateurs sociaux et administratifs, et bien d’autres) appellent plus de moyens de la part
des pouvoirs publics.
Ce 2e Séminaire Maghrébin était aussi l’occasion de présenter le travail d’associations offrant un
accompagnement complet aux femmes. Ces structures proposent de l’hébergement d’urgence pour
elles et leur enfant, de l’assistance médicale, administrative, de l’écoute, de l’accompagnement
psychologique et différentes sortes d’ateliers d’initiation professionnelle, entre autres. Elles sont aussi
très actives dans les domaines de la défense des droits et du plaidoyer.
Mais ceci ne va pas sans évoquer les énormes difficultés de financement qu’affrontent ces structures,
comme tant d’autres associations travaillant avec ces femmes dans les trois pays du Maghreb. Les
différents échanges et débats mettent en lumière que ces difficultés réelles sont la preuve de
l’absence notoire des pouvoirs publics dans le financement de la prise en charge de ces mères et de
leurs enfants et des associations les accompagnant.
« Où sont les Etats qui ont signé les conventions pour les droits de l’enfant et d’élimination de toute
forme de discrimination à l’égard de la femme ? Il ne faut donc pas seulement se concentrer sur la
prise en charge mais également mettre la pression sur les Etats pour qu’ils assument leurs
responsabilités », déclare Emma Hsairi, sage-femme, membre de l’Association Tunisienne de Femmes
Démocrates (ATFD) et intervenante au sein de l’association Amal pour la Famille et l’Enfant.
L’absence de politique intégrée et de prise en charge de cette question par l’Etat devient encore plus
flagrante lorsque l’on évoque l’impact du travail des associations. Au Maroc, par exemple, où tous les
jours on enregistre 150 naissances hors mariage, une quinzaine de structures réalise un travail
remarquable mais qui ne répond qu’à 4% des besoins des mères célibataires, fait remarquer la
directrice de l’INSAF, Houda El Bourahi. « Il faut que les mères s’approprient elles aussi la défense de
leurs droits et de ceux de leurs enfants », souligne-t-elle. Les participants s’accordent en effet sur
l’importance de responsabiliser davantage la mère lors de la construction de son projet de vie.
Des réalités frappées par des lacunes et des violences
Faute de moyens et de soutien des pouvoir publics, les acteurs associatifs sont obligés de trouver des
solutions innovantes pour faire face à d’innombrables contraintes et difficultés inhérentes à la
situation de ces femmes. Parmi ces difficultés, on retrouve : le manque dramatique de structures
d’accueil et d’hébergement, l’absence d’allocations sociales, la stigmatisation par des personnels de
santé et des travailleurs sociaux de structures publiques, le manque de formation du personnel, des
lourdeurs administratives, des cadres juridiques jugés très insuffisants… Ces mères, souvent isolées,
partent de contextes socio-économiques déjà très fragiles et doivent affronter des réalités hostiles et
défavorables à une vie digne. Leur désespoir peut parfois les pousser à l’infanticide, comme l’a
souligné Najet Jaouadi, sous-directrice de la prévention sociale de la Police Judiciaire de Tunisie.
3. Les différentes formes de violences auxquelles ces femmes sont exposées ont un impact indélébile
sur leur psychisme et comportement, que les associations et professionnels les accompagnant
doivent s’efforcer d’atténuer. « Les mères célibataires, qui sont rejetées par leurs parents et leur
société, ne peuvent adopter une vision positive d’elles-mêmes, ni de leur famille, ni de leur entourage.
Elles perdent toute notion de sécurité. Elles n’ont plus confiance en personne », a rappelé la
psychologue algérienne Zouina Hallouane durant sa présentation sur le traumatisme perpétré par les
violences faites à ces femmes.
Dans ces sociétés, l’abandon d’enfants atteint des niveaux alarmants. Dans la plupart des cas, ils sont
nés en-dehors du cadre du mariage. Toutes ces actions menées par les associations venant en aide à
ces femmes cherchent également à terme à réduire les grossesses à risque et l’abandon d’enfants. Il
est à noter que, dans la mesure où la majorité des grossesses hors mariage ne sont pas désirées,
certaines voix se sont levées durant ce 2e Séminaire Maghrébin pour demander la légalisation
d’urgence de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans ces pays, à ce jour autorisée seulement
en Tunisie.