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SPORTS MERCREDI 30 SEPTEMBRE 2020
0123
Cure de minceur pour 
les JO de Paris 2024
Lecomitéd’organisationdesJeux
doit présenter,mercredi30septembre,
une nouvellecarte,plussobre,des sites
olympiquesàl’aunedelacrisesanitaire
I
l y a un an, le logo des Jeux
olympiques 2024 était
présenté dans le cadre
majestueux du Grand
Rex, à Paris, dévoilant le
visage d’une femme
fondu dans la flamme olympi­
que. Quelques semaines plus
tard, Tahiti était choisie pour le
surf et la place de la Concorde
devenait l’écrin XXL, avec la tour
Eiffel et le Grand Palais pour toile
de fond, des sports urbains
(breakdance, escalade, BMX, ska­
teboard et basket 3 x 3). Rien ne
semblait alors résister au pouvoir
d’attraction des Jeux de Paris.
Quelques mois plus tard, le
Covid­19 a bouleversé le bel ali­
gnement des planètes de la
galaxie olympique, entraînant le
report d’un an des Jeux de Tokyo
et précipitant l’économie mon­
diale dans une récession inédite
depuis les années 1930. Dès lors,
le comité d’organisation de Paris
2024 (COJO) cherche des solu­
tions pour plus de sobriété. L’ob­
jectif? Trouver près de 400 mil­
lions d’euros d’économies, soit
près de 10 % du budget d’organi­
sation des Jeux (3,8 milliards
d’euros), pour anticiper les aléas
liés au Covid­19, tels des surcoûts
en matière de construction.
Mercredi 30 septembre, le
COJO doit présenter en conseil
d’administration les grands
principes de sa politique d’austé­
rité pour «optimiser le projet de
Paris 2024». «Cette crise du
Covid­19, personne ne l’avait anti­
cipée, avance Tony Estanguet, le
président du COJO. On a pris l’en­
gagement d’organiser les Jeux
dans le respect de notre budget,
cela nécessite de revoir un peu la
carte des sites de compétition.»
Le 30 septembre devrait ainsi
être entérinée la suppression de
deux sites temporaires, «les plus
coûteux», selon le COJO: le stade
aquatique olympique (SAO) à
Saint­Denis et le volley au
Bourget, tous deux en Seine­
Saint­Denis. La natation ira à la
Paris­La Défense Arena, à
Nanterre (Hauts­de­Seine), sous
réserve de faisabilité technique;
le point de chute du volley est en
cours d’instruction.
Dèsceshypothèsesconnues,les
élus de Seine­Saint­Denis n’ont
cessé de rappeler que le dépar­
tement ne pouvait être «le faire­
valoirpendantlacandidatureetla
variable d’ajustement ensuite»,
selon les termes de Stéphane
Troussel. Dans une interview au
Monde, le président (PS) du
conseil départemental prévient:
«Dans trente ans, c’est en Seine­
Saint­Denis que se jugera la
réussite de Paris 2024.»
«A chaque revue de projet, on a
grignoté sur la Seine­Saint­Denis,
se désole, de son côté, le maire
(PS) de Saint­Denis, Mathieu
Hanotin. Les JO, c’est beaucoup
plus qu’un héritage physique.
C’est aussi le sentiment de fierté
d’un territoire, d’une population,
à travers les épreuves et notam­
ment les épreuves reines, l’athlé­
tisme et la natation.»
Redimensionner la Concorde
Au COJO, on se veut rassurant:
«La Seine­Saint­Denis est et reste
au cœur du projet.» Les bassins
du SAO reviendront comme
prévu après les Jeux au territoire
séquano­dyonisien, qui devrait
en outre organiser l’épreuve
d’escalade – à l’origine prévue
sur le site de la Concorde avec les
sports urbains – et hériter de son
mur pérenne.
Le département le plus jeune et
parmi les plus pauvres de France
devrait aussi récupérer le rugby à
sept, délocalisé du stade Jean­
Bouin au Stade de France. Un
crève­cœur pour Pierre Rabadan,
adjointauxsportsd’AnneHidalgo
à la Mairie de Paris. «Mais avoir
un site qu’on exploite déjà permet
de faire des économies et, poten­
tiellement, de quadrupler la bil­
letterie. Les arguments sont
valables», reconnaît l’ex­troi­
sième ligne du Stade français.
Selon nos informations, la Sei­
ne­Saint­Denis pourrait en outre,
à défaut d’obtenir l’organisation
d’une autre épreuve, hériter d’un
équipement du site de la
Concorde. S’agirait­il du module
de skateboard, comme l’a laissé
entendre M. Troussel au Monde?
Paris 2024 dit «réfléchir avec les
élus» du département en ce
sens depuis plusieurs semaines.
Les organisateurs des JO de
Paris devraient également, lors
du conseil d’administration,
confirmer la réduction du nom­
bre de stades de football de huit à
sept, sans préciser le grand per­
dant, ainsi que le redimension­
nement du site de la Concorde,
qui accueillerait moins que les
35000 spectateurs prévus, avec le
départ de l’escalade au Bourget.
D’autres épreuves sont concer­
nées par ce jeu de dominos: la
gymnastique pourrait atterrir à
Paris­Bercy, le handball à Roland­
Garros avec le tennis, reléguant la
boxe à Coubertin, qui, malgré sa
capacité réduite – moins de
5000 places requises par le
Comité international olympique
(CIO) –, figurerait sur la nouvelle
carte des sites.
Le point noir du village médias
En coulisses, chaque partie pre­
nante au projet Paris 2024 avance
ses pions, avec pour arbitre
Michel Cadot, le «M.JO» de l’Etat,
qui a succédé à Jean Castex au
poste de délégué interministériel
aux Jeux olympiques et paralym­
piques (Dijop). «Tout ça est un jeu
d’équilibre complexe», observe
Pierre Rabadan, entre les collecti­
vités concernées, le COJO, les
fédérations internationales des
sports «déplacés» et le CIO.
Selon les équipes de Paris 2024,
laredéfinitiondelacartedessites
doit permettre d’économiser
150 millions d’euros. Mais pas
question de sacrifier les lieux ico­
niques, vitrines du projet et de la
France, comme la tour Eiffel
(beach­volley), le Grand Palais
(escrime, taekwondo) ou le châ­
teau de Versailles (équitation), un
choixpourtantcontesté par la Fé­
dération française d’équitation,
qui dénonce «un projet coûteux».
Pour trouver les 200 millions à
250 millions d’euros restants, le
COJO dit vouloir repasser au cri­
ble l’ensemble du cahier des
charges du CIO. Plusieurs sour­
ces d’économies ont été trouvées
sur les niveaux de service (trans­
port et restauration notam­
ment), «les coulisses des JO»,
aime à dire Tony Estanguet.
Le patron de Paris 2024 avait
déjà évoqué, début mai, dans Le
Monde, la possibilité de mutua­
liser les navettes qui transporte­
rontathlètes,médiasetmembres
du CIO. D’autres pistes seraient
étudiées, selon nos informations,
comme la reconfiguration des
points d’entrée (spectateurs,
athlètes, médias, etc.) sur les sites
de compétition.
Reste un point noir, qui cristal­
lise la colère des élus de Seine­
Saint­Denis: le village médias à
Dugny – seule infrastructure qui
seraconstruitepourlesJeux,avec
le village des athlètes (L’Ile­Saint­
Denis, Saint­Ouen et Saint­Denis)
et le Centre aquatique olympique
(Saint­Denis), dont la facture s’est
déjà envolée de 113 millions à
175 millions d’euros.
La «cité­jardin du XXIe siècle»,
comme la vante la Solideo, l’en­
tité chargée de la livraison des
ouvrages olympiques, devait ini­
tialement voir s’élever 1300 loge­
ments pour héberger les journa­
listes du monde entier. Le chiffre
est tombé à 300, à cause notam­
ment du retard pris par les
chantiers des métros 16 et 17 du
Grand Paris Express.
Le projet se fera finalement en
plusieurs phases: les élus séqua­
no­dyonisiens ont obtenu du
Dijop l’assurance qu’une grosse
moitié des logements program­
més seront construits avant les
JO, avec école, gymnase, crèche
et commerces, et que le projet
immobilier ira à son terme, à l’is­
sue des Jeux paralympiques,
pour donner naissance à un
quartier de 4000 habitants. «Les
élus de Seine­Saint­Denis n’ont
vraiment pas lieu de s’inquiéter»,
tient à rassurer une source pro­
che du gouvernement.
La carte des sites des JO de Paris
2024 sera arrêtée le 17 décembre
par le COJO, qui présentera alors
sonprojetauCIO.«Onseraproche
des 400 millions d’euros d’ici la fin
de l’année», promet Tony Estan­
guet, qui se dit prêt à faire davan­
taged’effortssilasituationl’exige.
L’instance internationale basée à
Lausanne se prononcera sur les
choix retenus et déterminera la
liste définitive des disciplines au
programme dans quatre ans. D’ici
là, les équipes de Paris 2024 pour­
ront réfléchir aux cérémonies
d’ouverture et de clôture des Jeux,
qu’elles veulent inédites. 
nicolas lepeltier
LA FACTURE DU CENTRE 
AQUATIQUE OLYMPIQUE, 
QUI SERA CONSTRUIT
À SAINT­DENIS,
S’EST DÉJÀ ENVOLÉE 
DE 113 MILLIONS À 
175 MILLIONS D’EUROS
Sur
l’esplanade du
Trocadéro, le
14 septembre
2017, au
lendemain de
l’attribution
des JO 2024
à Paris.
LUDOVIC MARIN/AFP
JEUX  OLYMPIQUES
LES CHIFFRES
7 MILLIARDS
C’est, en euros, le budget global
des JO de Paris 2024.
3,8 MILLIARDS
C’est le budget en euros,
à 97% issu de recettes privées,
de l’organisation des Jeux
de Paris 2024. Le Comité
international olympique (CIO)
contribue pour près d’un tiers
(1,2milliard d’euros de droits TV
et partenaires) à l’enveloppe
organisationnelle; 1,1milliard
d’euros doivent être apportés
par les sponsors de Paris 2024,
qui escomptent en outre 1,2mil-
liard d’euros de recettes billette-
rie et vente de produits dérivés.
3,2 MILLIARDS
C’est, en euros, le budget
de la Solideo, l’établissement
public et commercial chargé de
la livraison des infrastructures
olympiques, dont 1,4milliard
de fonds publics (Etat
et collectivités territoriales).
La Solideo a notamment
pour mission de s’assurer
de la construction du village
olympique et du village
des médias – transformés en
quartiers de logements après
les Jeux –, ainsi que du centre
aquatique olympique, tous
construits en Seine-Saint-Denis.
« LES JO, C’EST BEAUCOUP 
PLUS QU’UN HÉRITAGE 
PHYSIQUE. C’EST AUSSI 
LE SENTIMENT DE FIERTÉ 
D’UN TERRITOIRE, 
D’UNE POPULATION »
MATHIEU HANOTIN
maire (PS) de Saint-Denis
0123
MERCREDI 30 SEPTEMBRE 2020 sports | 15
MalgrélacrisedueauCovid­19,Paris2024
doitencoreconvaincredessponsors
LesorganisateursdesJeuxolympiquesassurentavoirfaitlamoitiéduchemin,
avec 500millionsd’eurosengrangésauprèsdepartenaires,sur1,08milliardprogrammé
Les Jeux olympiques 2024 à
peine attribués à Paris, les
sponsors se bousculaient
au portillon: le groupe bancaire
BPCE dès septembre 2018, un an
après l’obtention des JO, s’invitait
le premier comme partenaire
premium de Paris 2024. EDF si­
gnait à son tour fin 2019, soldant
la polémique Total née quelques
moisplustôt–legroupepétrolier
avait renoncé à être partenaire
sous la pression d’Anne Hidalgo,
la maire de Paris. La Française des
jeuxrejoignaitdébutdécembrele
rang des sponsors officiels, suivie
du Coq sportif. L’équipementier
français devenait par la même oc­
casion le fournisseur des équipes
de France. C’était début mars…
quelquesjoursavantladéferlante
du Covid­19 en Europe.
Depuis, la crise économique a
contraint de nombreuses entre­
prises à couper dans leurs bud­
getssponsoring,maisl’objectifdu
Comitéd’organisationdesJeuxde
Paris 2024 (COJO), lui, n’a jamais
varié: récolter 1,088 milliard
d’euros des partenaires – «plus
qu’à Londres», avance­t­on dans
les bureaux de Paris 2024.
Alors que l’ambition était, il y a
quelques mois, qualifiée de «pru­
dente» par Tony Estanguet, le pa­
tron du COJO, elle est aujourd’hui
un but«qu’il va falloir aller cher­
cher», le Covid­19 contraignant
par ailleurs les équipes de Paris
2024 à trouver près de 400 mil­
lions d’économies sur leur projet,
soit10%dubudget(3,8milliards).
«Il serait indécent de solliciter
des secteurs durement touchés, je
pense aux transports, au tou­
risme. On va les laisser se
reconstruire, expliquait le triple
champion olympique de canoë
dans un entretien au Monde
débutmai.Nousciblonsplutôtdes
secteurs qui ont résisté, ou même
ont renforcé leurs activités.»
Orange doit annoncer sous peu
qu’ilrejointlesrangsdessponsors
premium (rang 1) et deux autres
entreprises – «dont le métier et
l’expertise sont essentiels dans la li­
vraison des Jeux», précise Paris
2024sansplusdedétails–doivent
signer d’ici à la fin de l’année pour
être partenaires officiels (rang 2).
Le COJO fait valoir que 500 mil­
lions d’euros de partenariats
privés seront alors sécurisés.
«On est à 45 % de notre objectif
final. On reste sur nos temps de
passage malgré le contexte écono­
mique», aime à rappeler Tony Es­
tanguet. A moins de quatre ans
des Jeux, le discours n’est donc
pas à l’urgence parmi les équipes
de Paris 2024, chez qui un léger
frissondepaniqueauraitpusouf­
fler au printemps après le gel des
discussions avec Air France, dure­
ment frappé par la crise.
Les secteurs du luxe et de la
grande distribution se disent
intéressés et, selon nos informa­
tions, Paris 2024 souhaiterait pri­
vilégier en 2021 des entreprises
spécialisées dans l’ingénierie in­
formatique, la cybersécurité ou la
restauration, des secteurs­clés
qui correspondent aux besoins
du COJO dans les mois à venir.
«L’aventure des Jeux»
«Ces entreprises vont pouvoir
nous apporter leurs produits et
leurs services. En échange, elles
vont bénéficier de la puissance de
nos marques», affirme­t­on chez
Paris 2024, où l’on ne manque pas
de mettre en avant une étude du
Comité international olympique
selonlaquelle«uneentreprisepar­
tenaire des Jeux est perçue comme
leader dans son secteur». Autre
source de revenus: le licensing
(«ventesouslicence»)deproduits
dérivés (textile, mugs, souvenirs,
bagagerie…). Les organisateurs es­
pèrent en tirer 127 millions.
Une soixantaine d’entreprises
– françaises, dans la mesure du
possible, s’engage le COJO – se­
ront dès la clôture des JO de To­
kyo, en août 2021, autorisées à
vendre pendant trois ans dans
30000 points de vente quelque
10000 produits sous les marques
Paris 2024, Equipe de France ou
encore Supporteurs. La Monnaie
de Paris est ainsi pressentie pour
frapper une médaille de collec­
tion, le graveur Drago pour pro­
duire des pin’s et des porte­clés.
Pour des sociétés souvent très
spécialisées, qui n’ont pas les
moyens de s’acquitter du ticket
d’entrée pour être sponsors de
premier rang (100 à 120 millions
d’euros), il s’agit d’un moyen de
«participer à l’aventure des Jeux».
Les ambitions environnementa­
lesetsocialesdecescontratsdeli­
cence sont au cœur des discus­
sions, promet le COJO. L’organisa­
teur des Jeux de Paris 2024 assure
que «le gros du travail» sur le vo­
let sponsors sera bouclé d’ici à fin
2022. Il restera alors un an pour
«porter un dernier effort» sur les
contrats de fournisseurs techni­
ques officiels (matériel de gym­
nastique par exemple).
Outre les partenaires (1,1 mil­
liard d’euros) et la contribution
du Comité international olympi­
que (1,2 milliard), Paris 2024 table
sur près de 1,2 milliard d’euros de
recettes issues de la billetterie et
de la vente de produits dérivés.
Tony Estanguet prévient à l’envi:
«Onnedépenseraquel’argentque
l’on aura réussi à lever dans les an­
nées qui viennent.» 
nicolas lepeltier
EnSeine­Saint­Denis,
le scepticisme
des urbanistes
Ledépartementpâtit,seloncertains,des
économiesexigéesparl’organisationdesJO
L’histoire était belle sur le
papier. Si Paris obtenait
l’organisation des Jeux
olympiques de 2024, elle pourrait
renouer avec ces banlieues qu’elle
a trop longtemps délaissées. La
Seine­Saint­Denis sortirait enfin
de l’ornière, et ses habitants pour­
raient rêver d’un avenir meilleur…
C’est parce qu’il y a cru et y croit
toujours que Stéphane Troussel,
leprésident(PS)duconseildépar­
temental de la Seine­Saint­Denis,
se démène depuis quelques
semaines pour que son territoire
ne pâtisse pas des mesures d’éco­
nomies exigées par le comité
d’organisation des Jeux (COJO) de
2024. «La Seine­Saint­Denis ne
peut pas être le faire­valoir pen­
dant la candidature et la variable
d’ajustement ensuite. Dans trente
ans, c’est à Saint­Ouen, à Dugny, à
Saint­Denis que l’héritage de Paris
2024 se jugera», insiste­t­il.
Pourtant, alors que le COJO doit
se réunir mercredi 30 septembre
pour finaliser la carte des lieux
où auront lieu les épreuves, et
quelaSolideo–lasociétéchargée
de la construction des équipe­
ments – tiendra son conseil d’ad­
ministration mi­octobre, tout
laisse à croire, selon les urba­
nistes, que les moyens ne seront
pas à la hauteur des enjeux.
«On l’a vu avec Londres: il faut
investirfortementdanslesterritoi­
resendifficultéavantlesJeuxpour
quelescollectivitésetleprivépren­
nent le relais par la suite», expli­
que Paul Lecroart, urbaniste à
l’Institut Paris Région (IPR). Or, de
son point de vue, dans le cas de
Paris 2024, cela n’est pas le cas.
L’IPR et l’Atelier parisien d’urba­
nisme, les deux agences d’urba­
nisme de la région parisienne,
ont travaillé dès 2013 sur une
éventuelle candidature de Paris.
Ils avaient spontanément cité la
Seine­Saint­Denis quand on leur
avait demandé quel territoire
devait prioritairement bénéficier
de l’héritage des JO.
Panser les blessures de l’histoire
C’était l’occasion de tirer celui­ci
vers le haut car, avec les quartiers
nord de Marseille, il se dispute la
placeduplusdéfavorisédeFrance.
L’urbanisme de ces quarante der­
nières années a malmené le
département. On a installé sur
cette ancienne plaine maraîchère
du nord de Paris tout ce dont per­
sonne ne voulait: deux aéroports,
des voies TGV, des lignes à haute
tension, deux autoroutes.
Même les lignes de RER tracées
ici n’ont pas suivi la même logi­
quequecellesquidesserventl’est,
l’ouest et le sud de la région pari­
sienne. Ailleurs, elles ont contri­
bué à développer la banlieue. «Ici,
les gares se sont implantées en de­
hors des centres­villes et n’ont pas
contribué à leur développement»,
constate Paul Lecroart.
Les urbanistes ont, dans leurs
cartons, un éventail de projets
pour recoudre les blessures de
l’histoire: transformer la partie
de l’autoroute A1 au sud de l’A86
en boulevard urbain, plus apaisé,
jeter des passerelles au­dessus de
l’A86, la couvrir, mais aussi sim­
plement commencer par rénover
les murs antibruit.
«Depuis Barcelone 1992, les JO
sont vus comme des accélérateurs
de transformation urbaine»,
notent les urbanistes Paul
Lecroart et Karim Ben Meriem
dans leur article «Paris 2024, quel
projet pour la Plaine de France?»
(Les Cahiers de l’Institut Paris
Région). Cette candidature était
l’occasion rêvée. Mais rien de tout
cela ne figure au dossier.
Même l’aménagement de la
porte de Paris, à Saint­Denis, à
l’étude depuis vingt­cinq ans avec
son projet paysager autour du
canal de Saint­Denis et la suppres­
sion des bretelles d’autoroute, ne
sera pas terminé pour l’ouverture.
L’idée de développer un nou­
veau pôle autour de Dugny et du
Bourget a, elle, en revanche, été
retenue.Dugnysortiraitdesonen­
clavement et un nouveau quartier
verrait le jour au sud de l’aéroport
du Bourget. C’est dans cette opti­
que qu’a été dessiné le village mé­
dias: 1300 logements et des équi­
pements, desservis par une nou­
vellegareetlaligne11dutramway.
Voir au-delà du département
Sauf que c’est là que l’on a voulu
faire des économies. Il y a quel­
ques semaines, il n’était plus
question que de 300 logements.
Depuis, les élus locaux disent
avoir obtenu de la direction inter­
ministérielle aux Jeux olympi­
ques la construction d’au moins
700 logements dans un premier
temps et l’assurance qu’une
école, une crèche, un gymnase et
des commerces seraient livrés au
même moment.
Dans l’idéal, pour les spécialis­
tes de l’aménagement du terri­
toire, il aurait fallu voir au­delà de
la Seine­Saint­Denis. Pour cela,
encore eût­il fallu que la métro­
pole du Grand Paris joue son rôle
et que la région porte davantage
le projet. Contacté à ce sujet, le dé­
légué interministériel aux JO,
Michel Cadot, l’ancien préfet de
région, n’a pas souhaité répondre
aux sollicitations du Monde.
A Londres, pour aménager les
250 hectares de l’ancien quartier
de Stratford et faire en sorte que
seshabitantsaient,d’icià2030,les
mêmeschances,enmoyenne,que
le reste de la métropole, sept ar­
rondissements ont travaillé en­
semble sur un projet global, éco­
nomique, social, culturel, éducatif.
AParis,toutestmorcelé.L’Etat,la
Ville de Paris, la Seine­Saint­Denis,
chacun porte son projet. Et en
oublie ses voisins. Sarcelles, Gar­
ges­lès­Gonesse, Villiers­le­Bel, Ar­
nouville­lès­Gonesse, juste au
nord du «93», ont pourtant les
mêmes besoins. L’est du
Val­d’Oise, mitoyen de la Seine­
Saint­Denis, est tenu à l’écart.
L’impératif de Jeux financière­
ment sobres n’a pas aidé à élabo­
rer un vaste projet d’aménage­
ment. Les nouveaux grands équi­
pements seront peu nombreux,
alors qu’ils sont réputés avoir un
rôle moteur sur les environ­
nements où ils sont installés. Et,
quand ces structures existent,
comme le centre aquatique à
Saint­Denis, «l’héritage restera
essentiellement confiné au strict
périmètre des ouvrages olym­
piques», prédisent MM. Lecroart
et Ben Meriem.
Les JO auraient aussi pu permet­
tred’aménagerunparcnaturelqui
relierait le nord du Val­d’Oise à la
Seine. Après tout, la candidature
affichedegrandesambitionsenvi­
ronnementales. Il faudra trouver
une autre occasion pour que cette
trame verte voie le jour. 
émeline cazi
L’organisateur
des Jeux assure
que «le gros
du travail»
sera bouclé
d’ici à fin 2022

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Cure de minceur pour les JO 2024

  • 1. 14| SPORTS MERCREDI 30 SEPTEMBRE 2020 0123 Cure de minceur pour  les JO de Paris 2024 Lecomitéd’organisationdesJeux doit présenter,mercredi30septembre, une nouvellecarte,plussobre,des sites olympiquesàl’aunedelacrisesanitaire I l y a un an, le logo des Jeux olympiques 2024 était présenté dans le cadre majestueux du Grand Rex, à Paris, dévoilant le visage d’une femme fondu dans la flamme olympi­ que. Quelques semaines plus tard, Tahiti était choisie pour le surf et la place de la Concorde devenait l’écrin XXL, avec la tour Eiffel et le Grand Palais pour toile de fond, des sports urbains (breakdance, escalade, BMX, ska­ teboard et basket 3 x 3). Rien ne semblait alors résister au pouvoir d’attraction des Jeux de Paris. Quelques mois plus tard, le Covid­19 a bouleversé le bel ali­ gnement des planètes de la galaxie olympique, entraînant le report d’un an des Jeux de Tokyo et précipitant l’économie mon­ diale dans une récession inédite depuis les années 1930. Dès lors, le comité d’organisation de Paris 2024 (COJO) cherche des solu­ tions pour plus de sobriété. L’ob­ jectif? Trouver près de 400 mil­ lions d’euros d’économies, soit près de 10 % du budget d’organi­ sation des Jeux (3,8 milliards d’euros), pour anticiper les aléas liés au Covid­19, tels des surcoûts en matière de construction. Mercredi 30 septembre, le COJO doit présenter en conseil d’administration les grands principes de sa politique d’austé­ rité pour «optimiser le projet de Paris 2024». «Cette crise du Covid­19, personne ne l’avait anti­ cipée, avance Tony Estanguet, le président du COJO. On a pris l’en­ gagement d’organiser les Jeux dans le respect de notre budget, cela nécessite de revoir un peu la carte des sites de compétition.» Le 30 septembre devrait ainsi être entérinée la suppression de deux sites temporaires, «les plus coûteux», selon le COJO: le stade aquatique olympique (SAO) à Saint­Denis et le volley au Bourget, tous deux en Seine­ Saint­Denis. La natation ira à la Paris­La Défense Arena, à Nanterre (Hauts­de­Seine), sous réserve de faisabilité technique; le point de chute du volley est en cours d’instruction. Dèsceshypothèsesconnues,les élus de Seine­Saint­Denis n’ont cessé de rappeler que le dépar­ tement ne pouvait être «le faire­ valoirpendantlacandidatureetla variable d’ajustement ensuite», selon les termes de Stéphane Troussel. Dans une interview au Monde, le président (PS) du conseil départemental prévient: «Dans trente ans, c’est en Seine­ Saint­Denis que se jugera la réussite de Paris 2024.» «A chaque revue de projet, on a grignoté sur la Seine­Saint­Denis, se désole, de son côté, le maire (PS) de Saint­Denis, Mathieu Hanotin. Les JO, c’est beaucoup plus qu’un héritage physique. C’est aussi le sentiment de fierté d’un territoire, d’une population, à travers les épreuves et notam­ ment les épreuves reines, l’athlé­ tisme et la natation.» Redimensionner la Concorde Au COJO, on se veut rassurant: «La Seine­Saint­Denis est et reste au cœur du projet.» Les bassins du SAO reviendront comme prévu après les Jeux au territoire séquano­dyonisien, qui devrait en outre organiser l’épreuve d’escalade – à l’origine prévue sur le site de la Concorde avec les sports urbains – et hériter de son mur pérenne. Le département le plus jeune et parmi les plus pauvres de France devrait aussi récupérer le rugby à sept, délocalisé du stade Jean­ Bouin au Stade de France. Un crève­cœur pour Pierre Rabadan, adjointauxsportsd’AnneHidalgo à la Mairie de Paris. «Mais avoir un site qu’on exploite déjà permet de faire des économies et, poten­ tiellement, de quadrupler la bil­ letterie. Les arguments sont valables», reconnaît l’ex­troi­ sième ligne du Stade français. Selon nos informations, la Sei­ ne­Saint­Denis pourrait en outre, à défaut d’obtenir l’organisation d’une autre épreuve, hériter d’un équipement du site de la Concorde. S’agirait­il du module de skateboard, comme l’a laissé entendre M. Troussel au Monde? Paris 2024 dit «réfléchir avec les élus» du département en ce sens depuis plusieurs semaines. Les organisateurs des JO de Paris devraient également, lors du conseil d’administration, confirmer la réduction du nom­ bre de stades de football de huit à sept, sans préciser le grand per­ dant, ainsi que le redimension­ nement du site de la Concorde, qui accueillerait moins que les 35000 spectateurs prévus, avec le départ de l’escalade au Bourget. D’autres épreuves sont concer­ nées par ce jeu de dominos: la gymnastique pourrait atterrir à Paris­Bercy, le handball à Roland­ Garros avec le tennis, reléguant la boxe à Coubertin, qui, malgré sa capacité réduite – moins de 5000 places requises par le Comité international olympique (CIO) –, figurerait sur la nouvelle carte des sites. Le point noir du village médias En coulisses, chaque partie pre­ nante au projet Paris 2024 avance ses pions, avec pour arbitre Michel Cadot, le «M.JO» de l’Etat, qui a succédé à Jean Castex au poste de délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralym­ piques (Dijop). «Tout ça est un jeu d’équilibre complexe», observe Pierre Rabadan, entre les collecti­ vités concernées, le COJO, les fédérations internationales des sports «déplacés» et le CIO. Selon les équipes de Paris 2024, laredéfinitiondelacartedessites doit permettre d’économiser 150 millions d’euros. Mais pas question de sacrifier les lieux ico­ niques, vitrines du projet et de la France, comme la tour Eiffel (beach­volley), le Grand Palais (escrime, taekwondo) ou le châ­ teau de Versailles (équitation), un choixpourtantcontesté par la Fé­ dération française d’équitation, qui dénonce «un projet coûteux». Pour trouver les 200 millions à 250 millions d’euros restants, le COJO dit vouloir repasser au cri­ ble l’ensemble du cahier des charges du CIO. Plusieurs sour­ ces d’économies ont été trouvées sur les niveaux de service (trans­ port et restauration notam­ ment), «les coulisses des JO», aime à dire Tony Estanguet. Le patron de Paris 2024 avait déjà évoqué, début mai, dans Le Monde, la possibilité de mutua­ liser les navettes qui transporte­ rontathlètes,médiasetmembres du CIO. D’autres pistes seraient étudiées, selon nos informations, comme la reconfiguration des points d’entrée (spectateurs, athlètes, médias, etc.) sur les sites de compétition. Reste un point noir, qui cristal­ lise la colère des élus de Seine­ Saint­Denis: le village médias à Dugny – seule infrastructure qui seraconstruitepourlesJeux,avec le village des athlètes (L’Ile­Saint­ Denis, Saint­Ouen et Saint­Denis) et le Centre aquatique olympique (Saint­Denis), dont la facture s’est déjà envolée de 113 millions à 175 millions d’euros. La «cité­jardin du XXIe siècle», comme la vante la Solideo, l’en­ tité chargée de la livraison des ouvrages olympiques, devait ini­ tialement voir s’élever 1300 loge­ ments pour héberger les journa­ listes du monde entier. Le chiffre est tombé à 300, à cause notam­ ment du retard pris par les chantiers des métros 16 et 17 du Grand Paris Express. Le projet se fera finalement en plusieurs phases: les élus séqua­ no­dyonisiens ont obtenu du Dijop l’assurance qu’une grosse moitié des logements program­ més seront construits avant les JO, avec école, gymnase, crèche et commerces, et que le projet immobilier ira à son terme, à l’is­ sue des Jeux paralympiques, pour donner naissance à un quartier de 4000 habitants. «Les élus de Seine­Saint­Denis n’ont vraiment pas lieu de s’inquiéter», tient à rassurer une source pro­ che du gouvernement. La carte des sites des JO de Paris 2024 sera arrêtée le 17 décembre par le COJO, qui présentera alors sonprojetauCIO.«Onseraproche des 400 millions d’euros d’ici la fin de l’année», promet Tony Estan­ guet, qui se dit prêt à faire davan­ taged’effortssilasituationl’exige. L’instance internationale basée à Lausanne se prononcera sur les choix retenus et déterminera la liste définitive des disciplines au programme dans quatre ans. D’ici là, les équipes de Paris 2024 pour­ ront réfléchir aux cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux, qu’elles veulent inédites.  nicolas lepeltier LA FACTURE DU CENTRE  AQUATIQUE OLYMPIQUE,  QUI SERA CONSTRUIT À SAINT­DENIS, S’EST DÉJÀ ENVOLÉE  DE 113 MILLIONS À  175 MILLIONS D’EUROS Sur l’esplanade du Trocadéro, le 14 septembre 2017, au lendemain de l’attribution des JO 2024 à Paris. LUDOVIC MARIN/AFP JEUX  OLYMPIQUES LES CHIFFRES 7 MILLIARDS C’est, en euros, le budget global des JO de Paris 2024. 3,8 MILLIARDS C’est le budget en euros, à 97% issu de recettes privées, de l’organisation des Jeux de Paris 2024. Le Comité international olympique (CIO) contribue pour près d’un tiers (1,2milliard d’euros de droits TV et partenaires) à l’enveloppe organisationnelle; 1,1milliard d’euros doivent être apportés par les sponsors de Paris 2024, qui escomptent en outre 1,2mil- liard d’euros de recettes billette- rie et vente de produits dérivés. 3,2 MILLIARDS C’est, en euros, le budget de la Solideo, l’établissement public et commercial chargé de la livraison des infrastructures olympiques, dont 1,4milliard de fonds publics (Etat et collectivités territoriales). La Solideo a notamment pour mission de s’assurer de la construction du village olympique et du village des médias – transformés en quartiers de logements après les Jeux –, ainsi que du centre aquatique olympique, tous construits en Seine-Saint-Denis. « LES JO, C’EST BEAUCOUP  PLUS QU’UN HÉRITAGE  PHYSIQUE. C’EST AUSSI  LE SENTIMENT DE FIERTÉ  D’UN TERRITOIRE,  D’UNE POPULATION » MATHIEU HANOTIN maire (PS) de Saint-Denis
  • 2. 0123 MERCREDI 30 SEPTEMBRE 2020 sports | 15 MalgrélacrisedueauCovid­19,Paris2024 doitencoreconvaincredessponsors LesorganisateursdesJeuxolympiquesassurentavoirfaitlamoitiéduchemin, avec 500millionsd’eurosengrangésauprèsdepartenaires,sur1,08milliardprogrammé Les Jeux olympiques 2024 à peine attribués à Paris, les sponsors se bousculaient au portillon: le groupe bancaire BPCE dès septembre 2018, un an après l’obtention des JO, s’invitait le premier comme partenaire premium de Paris 2024. EDF si­ gnait à son tour fin 2019, soldant la polémique Total née quelques moisplustôt–legroupepétrolier avait renoncé à être partenaire sous la pression d’Anne Hidalgo, la maire de Paris. La Française des jeuxrejoignaitdébutdécembrele rang des sponsors officiels, suivie du Coq sportif. L’équipementier français devenait par la même oc­ casion le fournisseur des équipes de France. C’était début mars… quelquesjoursavantladéferlante du Covid­19 en Europe. Depuis, la crise économique a contraint de nombreuses entre­ prises à couper dans leurs bud­ getssponsoring,maisl’objectifdu Comitéd’organisationdesJeuxde Paris 2024 (COJO), lui, n’a jamais varié: récolter 1,088 milliard d’euros des partenaires – «plus qu’à Londres», avance­t­on dans les bureaux de Paris 2024. Alors que l’ambition était, il y a quelques mois, qualifiée de «pru­ dente» par Tony Estanguet, le pa­ tron du COJO, elle est aujourd’hui un but«qu’il va falloir aller cher­ cher», le Covid­19 contraignant par ailleurs les équipes de Paris 2024 à trouver près de 400 mil­ lions d’économies sur leur projet, soit10%dubudget(3,8milliards). «Il serait indécent de solliciter des secteurs durement touchés, je pense aux transports, au tou­ risme. On va les laisser se reconstruire, expliquait le triple champion olympique de canoë dans un entretien au Monde débutmai.Nousciblonsplutôtdes secteurs qui ont résisté, ou même ont renforcé leurs activités.» Orange doit annoncer sous peu qu’ilrejointlesrangsdessponsors premium (rang 1) et deux autres entreprises – «dont le métier et l’expertise sont essentiels dans la li­ vraison des Jeux», précise Paris 2024sansplusdedétails–doivent signer d’ici à la fin de l’année pour être partenaires officiels (rang 2). Le COJO fait valoir que 500 mil­ lions d’euros de partenariats privés seront alors sécurisés. «On est à 45 % de notre objectif final. On reste sur nos temps de passage malgré le contexte écono­ mique», aime à rappeler Tony Es­ tanguet. A moins de quatre ans des Jeux, le discours n’est donc pas à l’urgence parmi les équipes de Paris 2024, chez qui un léger frissondepaniqueauraitpusouf­ fler au printemps après le gel des discussions avec Air France, dure­ ment frappé par la crise. Les secteurs du luxe et de la grande distribution se disent intéressés et, selon nos informa­ tions, Paris 2024 souhaiterait pri­ vilégier en 2021 des entreprises spécialisées dans l’ingénierie in­ formatique, la cybersécurité ou la restauration, des secteurs­clés qui correspondent aux besoins du COJO dans les mois à venir. «L’aventure des Jeux» «Ces entreprises vont pouvoir nous apporter leurs produits et leurs services. En échange, elles vont bénéficier de la puissance de nos marques», affirme­t­on chez Paris 2024, où l’on ne manque pas de mettre en avant une étude du Comité international olympique selonlaquelle«uneentreprisepar­ tenaire des Jeux est perçue comme leader dans son secteur». Autre source de revenus: le licensing («ventesouslicence»)deproduits dérivés (textile, mugs, souvenirs, bagagerie…). Les organisateurs es­ pèrent en tirer 127 millions. Une soixantaine d’entreprises – françaises, dans la mesure du possible, s’engage le COJO – se­ ront dès la clôture des JO de To­ kyo, en août 2021, autorisées à vendre pendant trois ans dans 30000 points de vente quelque 10000 produits sous les marques Paris 2024, Equipe de France ou encore Supporteurs. La Monnaie de Paris est ainsi pressentie pour frapper une médaille de collec­ tion, le graveur Drago pour pro­ duire des pin’s et des porte­clés. Pour des sociétés souvent très spécialisées, qui n’ont pas les moyens de s’acquitter du ticket d’entrée pour être sponsors de premier rang (100 à 120 millions d’euros), il s’agit d’un moyen de «participer à l’aventure des Jeux». Les ambitions environnementa­ lesetsocialesdecescontratsdeli­ cence sont au cœur des discus­ sions, promet le COJO. L’organisa­ teur des Jeux de Paris 2024 assure que «le gros du travail» sur le vo­ let sponsors sera bouclé d’ici à fin 2022. Il restera alors un an pour «porter un dernier effort» sur les contrats de fournisseurs techni­ ques officiels (matériel de gym­ nastique par exemple). Outre les partenaires (1,1 mil­ liard d’euros) et la contribution du Comité international olympi­ que (1,2 milliard), Paris 2024 table sur près de 1,2 milliard d’euros de recettes issues de la billetterie et de la vente de produits dérivés. Tony Estanguet prévient à l’envi: «Onnedépenseraquel’argentque l’on aura réussi à lever dans les an­ nées qui viennent.»  nicolas lepeltier EnSeine­Saint­Denis, le scepticisme des urbanistes Ledépartementpâtit,seloncertains,des économiesexigéesparl’organisationdesJO L’histoire était belle sur le papier. Si Paris obtenait l’organisation des Jeux olympiques de 2024, elle pourrait renouer avec ces banlieues qu’elle a trop longtemps délaissées. La Seine­Saint­Denis sortirait enfin de l’ornière, et ses habitants pour­ raient rêver d’un avenir meilleur… C’est parce qu’il y a cru et y croit toujours que Stéphane Troussel, leprésident(PS)duconseildépar­ temental de la Seine­Saint­Denis, se démène depuis quelques semaines pour que son territoire ne pâtisse pas des mesures d’éco­ nomies exigées par le comité d’organisation des Jeux (COJO) de 2024. «La Seine­Saint­Denis ne peut pas être le faire­valoir pen­ dant la candidature et la variable d’ajustement ensuite. Dans trente ans, c’est à Saint­Ouen, à Dugny, à Saint­Denis que l’héritage de Paris 2024 se jugera», insiste­t­il. Pourtant, alors que le COJO doit se réunir mercredi 30 septembre pour finaliser la carte des lieux où auront lieu les épreuves, et quelaSolideo–lasociétéchargée de la construction des équipe­ ments – tiendra son conseil d’ad­ ministration mi­octobre, tout laisse à croire, selon les urba­ nistes, que les moyens ne seront pas à la hauteur des enjeux. «On l’a vu avec Londres: il faut investirfortementdanslesterritoi­ resendifficultéavantlesJeuxpour quelescollectivitésetleprivépren­ nent le relais par la suite», expli­ que Paul Lecroart, urbaniste à l’Institut Paris Région (IPR). Or, de son point de vue, dans le cas de Paris 2024, cela n’est pas le cas. L’IPR et l’Atelier parisien d’urba­ nisme, les deux agences d’urba­ nisme de la région parisienne, ont travaillé dès 2013 sur une éventuelle candidature de Paris. Ils avaient spontanément cité la Seine­Saint­Denis quand on leur avait demandé quel territoire devait prioritairement bénéficier de l’héritage des JO. Panser les blessures de l’histoire C’était l’occasion de tirer celui­ci vers le haut car, avec les quartiers nord de Marseille, il se dispute la placeduplusdéfavorisédeFrance. L’urbanisme de ces quarante der­ nières années a malmené le département. On a installé sur cette ancienne plaine maraîchère du nord de Paris tout ce dont per­ sonne ne voulait: deux aéroports, des voies TGV, des lignes à haute tension, deux autoroutes. Même les lignes de RER tracées ici n’ont pas suivi la même logi­ quequecellesquidesserventl’est, l’ouest et le sud de la région pari­ sienne. Ailleurs, elles ont contri­ bué à développer la banlieue. «Ici, les gares se sont implantées en de­ hors des centres­villes et n’ont pas contribué à leur développement», constate Paul Lecroart. Les urbanistes ont, dans leurs cartons, un éventail de projets pour recoudre les blessures de l’histoire: transformer la partie de l’autoroute A1 au sud de l’A86 en boulevard urbain, plus apaisé, jeter des passerelles au­dessus de l’A86, la couvrir, mais aussi sim­ plement commencer par rénover les murs antibruit. «Depuis Barcelone 1992, les JO sont vus comme des accélérateurs de transformation urbaine», notent les urbanistes Paul Lecroart et Karim Ben Meriem dans leur article «Paris 2024, quel projet pour la Plaine de France?» (Les Cahiers de l’Institut Paris Région). Cette candidature était l’occasion rêvée. Mais rien de tout cela ne figure au dossier. Même l’aménagement de la porte de Paris, à Saint­Denis, à l’étude depuis vingt­cinq ans avec son projet paysager autour du canal de Saint­Denis et la suppres­ sion des bretelles d’autoroute, ne sera pas terminé pour l’ouverture. L’idée de développer un nou­ veau pôle autour de Dugny et du Bourget a, elle, en revanche, été retenue.Dugnysortiraitdesonen­ clavement et un nouveau quartier verrait le jour au sud de l’aéroport du Bourget. C’est dans cette opti­ que qu’a été dessiné le village mé­ dias: 1300 logements et des équi­ pements, desservis par une nou­ vellegareetlaligne11dutramway. Voir au-delà du département Sauf que c’est là que l’on a voulu faire des économies. Il y a quel­ ques semaines, il n’était plus question que de 300 logements. Depuis, les élus locaux disent avoir obtenu de la direction inter­ ministérielle aux Jeux olympi­ ques la construction d’au moins 700 logements dans un premier temps et l’assurance qu’une école, une crèche, un gymnase et des commerces seraient livrés au même moment. Dans l’idéal, pour les spécialis­ tes de l’aménagement du terri­ toire, il aurait fallu voir au­delà de la Seine­Saint­Denis. Pour cela, encore eût­il fallu que la métro­ pole du Grand Paris joue son rôle et que la région porte davantage le projet. Contacté à ce sujet, le dé­ légué interministériel aux JO, Michel Cadot, l’ancien préfet de région, n’a pas souhaité répondre aux sollicitations du Monde. A Londres, pour aménager les 250 hectares de l’ancien quartier de Stratford et faire en sorte que seshabitantsaient,d’icià2030,les mêmeschances,enmoyenne,que le reste de la métropole, sept ar­ rondissements ont travaillé en­ semble sur un projet global, éco­ nomique, social, culturel, éducatif. AParis,toutestmorcelé.L’Etat,la Ville de Paris, la Seine­Saint­Denis, chacun porte son projet. Et en oublie ses voisins. Sarcelles, Gar­ ges­lès­Gonesse, Villiers­le­Bel, Ar­ nouville­lès­Gonesse, juste au nord du «93», ont pourtant les mêmes besoins. L’est du Val­d’Oise, mitoyen de la Seine­ Saint­Denis, est tenu à l’écart. L’impératif de Jeux financière­ ment sobres n’a pas aidé à élabo­ rer un vaste projet d’aménage­ ment. Les nouveaux grands équi­ pements seront peu nombreux, alors qu’ils sont réputés avoir un rôle moteur sur les environ­ nements où ils sont installés. Et, quand ces structures existent, comme le centre aquatique à Saint­Denis, «l’héritage restera essentiellement confiné au strict périmètre des ouvrages olym­ piques», prédisent MM. Lecroart et Ben Meriem. Les JO auraient aussi pu permet­ tred’aménagerunparcnaturelqui relierait le nord du Val­d’Oise à la Seine. Après tout, la candidature affichedegrandesambitionsenvi­ ronnementales. Il faudra trouver une autre occasion pour que cette trame verte voie le jour.  émeline cazi L’organisateur des Jeux assure que «le gros du travail» sera bouclé d’ici à fin 2022