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RYTHMES & FORMATS : “SILENCE, S’IL
VOUS PLAÎT !” De la place accordée
aujourd’hui au silence à la radio
Référence : BERTIN Marie, « Rythmes & formats : “Silence, s’il vous plaît !” De la place
accordée aujourd’hui au silence à la radio », syntone.fr, 28 novembre 2012,
http://syntone.fr/rythmes-formats-silence-sil-vous-plait/
Par M ari e B erti n RÉF L EXIO N S28 N O V EM B RE 2012
RYTHMES & FORMATS :
“SILENCE, S’IL VOUS PLAÎT
!”
De la place accordée aujourd’hui au silence à la
radio
Ce n’est pas un scoop, la radio est le média du son. Elle est d’ailleurs le seul média à se
contenter ainsi d’un unique sens pour retenir son public. La télévision a recours à
l’image en plus du son. La presse écrite se lit, mais se regarde aussi. Et ne parlons pas
d’internet qui multiplie les médias. La radio, elle, ne peut retenir que l’oreille. Pour
cela, sans cesse, elle doit émettre des sons.
La question de la place accordée au silence en radio peut dès lors sembler tirée par les
cheveux. Et pourtant le silence, c’est ce qui lie les sons entre eux. Sans lui, on ne les
distingue plus, ou moins bien. Qu’on le veuille ou non, le silence fait partie de la
radio.
(cc) kurichan – flickr
Mais qu’il lui fait peur ! Le silence en radio hante l’esprit des professionnels –
animateurs, journalistes ou techniciens. Pire que la page blanche pour l’écrivain, le
blanc en radio peut signifier jusqu’à la mort de l’antenne. Les Anglo-Saxons emploient
d’ailleurs l’expression “dead air”, qui en dit long sur leur appréhension du silence.
Les stations de radios sont dans l’obligation d’émettre. Si elles s’interrompent, le
Conseil Supérieur de l’Audiovisuel possède le pouvoir de leur retirer leur autorisation
d’émettre… À éviter, à tout prix. C’est pourquoi toutes les stations importantes sont
équipées de détecteurs de silence. Moins de sept secondes de blanc sur Europe 1, et
la station déclenche automatiquement une bande-son de secours. Vite ! Une musique
quelconque, pourvu que les ondes résonnent ! Michel Le Henaff, chef d’antenne à
Europe 1, ajoute : “Deux secondes de blanc, c’est déjà considéré comme un accident
d’antenne. Lorsque cela arrive, nous autres techniciens, devons faire un rapport à notre
hiérarchie.” Ce rapport s’appelle “la ligne rouge”.
La chasse aux silences
Qu’il faille prendre garde à occuper l’antenne, pour une radio, cela se comprend.
L’ennui, c’est que la chasse aux silences prend une autre tournure, une tournure
préventive. Elle s’immisce dans les contenus, bien décidée à accélérer le rythme. Car en
radio, le silence, c’est avant tout du temps. Pour retenir l’auditeur qui zappe, il faut
faire vite.
Jean-Laurent Bernard, rédacteur en chef à Radio France depuis 1984, a vu un
changement : “Ces dix dernières années, toutes les radios ont raccourci leurs formats
d’info.” Les témoignages recueillis dans les couloirs des antennes confirment : “À
Europe, quand je suis arrivé dans les années 80, les sons faisaient plus d’une minute.
Aujourd’hui, c’est 50 secondes maximum.” (Nicole(*)) ; “à France Inter en 2009, un
enrobé [billet illustré par des extraits d’interviews, NDLR] pouvait encore aller jusqu’à 1
minute 30, aujourd’hui, un enro de 1’30 part directement à la poubelle.” (Laurence
Peuron, journaliste au service culture de France Inter) ; “il y a encore 4 ou 5 ans, sur
France Bleu Vaucluse, on avait un magazine de la rédaction hebdomadaire de 12
minutes, avec de longs reportages, dans lequel on pouvait intégrer des
interviews pouvant faire jusqu’à 2’30. Il a disparu sur volonté de la direction. D’une façon
générale, on va vers des choses de plus en plus courtes.” (Philippe Paupert, reporter
à France Bleu Vaucluse).
Les formats des éléments ont donc évolué, diminuant en moyenne de 5 à 10 secondes
pour un son, de 10 à 20 secondes pour un enrobé. Cela peut paraître peu. Pourtant, les
journalistes qui travaillent ces formats au quotidien le savent : ça compte. Mais au-delà
des formats-type des contenus, c’est leur rythme qui s’accélère, notamment sur
décision des directeurs d’antennes.
(cc) ~dgies – flickr
Philippe Paupert : “Des formats de 2 minutes subsistent sur l’antenne, pour certains
sujets, mais on nous demande plus de rythme. La conséquence, c’est que la place de la
personne qu’on interviewe est de plus en plus réduite. On tend aussi vers ce qu’on appelle
le “teaser” : des petits formats de 10 à 15 secondes qui annoncent la suite et rythme
l’antenne. Tout cela s’enchaîne beaucoup plus vite qu’avant.”
Par ailleurs, le calibrage prédéfini des éléments lui-même n’a pas toujours existé. En
réécoutant des journaux de France Inter dans les années 60 et 70 (Inter Actualité), on
se rend compte qu’il n’y avait tout simplement pas de formats-type. Le journal de 8h
faisait plus de 20 minutes. Le présentateur s’attardait au téléphone avec un envoyé
spécial durant 3 ou 4 minutes. Les sons pouvaient être très courts, ou très longs. La
durée se choisissait visiblement à l’importance de l’information. Aujourd’hui, une telle
démarche s’appelle “casser les formats”. Et se pratique dans des circonstances assez
exceptionnelles. Récemment, sur Europe 1 par exemple, il fallait aux journalistes se
trouver à Alep, en Syrie, pour avoir le privilège de disposer de deux minutes
de reportage au lieu d’une seule.
Zapper à la place de l’auditeur
(cc) SILENTdoGOOD – flickr
Pour Sébastien Poulain, chercheur en communication et membre du Groupe de
Recherches et d’Études sur la Radio, la vitesse a toujours fait partie de ce média : “La
radio s’écoute en faisant autre chose. Et son audience la plus importante est le matin. Le
but pour une antenne généraliste, est que l’auditeur sorte de chez lui avec une base
d’information solide, qu’il ait ‘fait le tour’. C’est pourquoi la radio répète, et se
dépêche.” Soit. Mais alors pourquoi la radio accélère plus encore ? “Nos modes de vie
ont peut-être évolué, nous laissant moins de temps… Mais plus certainement faut-il
chercher du côté de la concurrence. L’offre d’accès à l’information s’est étoffée avec
internet : ordinateurs et smartphones peuvent sur demande rendre présentes les mêmes
informations que la radio, et de manièrechoisie. Non seulement ils prennent leur part du
temps de l’auditeur, mais en plus ils sont très efficaces. La radio doit donc tenter de se
faire aussi efficace qu’eux. Par ailleurs, grâce à internet, le fond sera disponible plus tard.
Inutile donc, de trop préciser les choses maintenant.” Concurrence des nouveaux
médias à laquelle il faut ajouter la concurrence des radios entre elles. “C’est certain,
RMC, par exemple, a fait réfléchir les autres.” RMC : le nom est lâché. Quand on parle
de formats, RMC est emblématique dans le petit monde des journalistes radio. Bien
connue pour ses enrobés de 45 secondes et ses sons de 30 – et l’on parle là, bien sûr,
d’un grand maximum – RMC a fait des adeptes.
Ce qui compte, c’est le “bruit”
Tous les journalistes qui sont passés par RMC se sont cassé la tête, soit au sens propre
– comment vais-je faire entrer mon reportage dans 40 secondes ? – soit au sens figuré
– est-ce là vraiment ce que je voulais faire en devenant journaliste ? La sélection
naturelle aura raison de ceux qui doutent. Ceux qui restent doivent accélérer.
Xavier (*), ex-journaliste à RMC, sait de quoi il parle : “Quand on arrive, on apprend à
parler vite. Le style est nerveux, incisif, court et immédiat dans les commentaires. C’est la
même chose dans les sons. Ça change la façon de faire les interviews. Elles peuvent
commencer comme n’importe quelle autre mais on sait qu’à un moment donné il faudra
“piquer” l’interlocuteur, le “titiller”, pour obtenir une réaction directe et forte qui sera
ensuite intégrée à un enrobé, mais qui est aussi susceptible de servir de “teasing” [son
choc, très court, utilisé dans les titres pour promouvoir l’un des sujets du journal,
NDLR].”
À RMC toujours, Yohann (*), lui, a travaillé à la “note”. Ce poste de journaliste est occupé
le soir à la sélection des éléments montés dans la journée par les reporters. Il s’agit
d’en écrire les lancements et de les hiérarchiser. Cela se fait en étroite collaboration
avec les rédacteurs en chef puisqu’il s’agit de décider ce qui fera l’antenne le
lendemain. Pour le jeune homme, la conclusion est que ce qui compte, c’est
“l’énergie” du son. Les rédacteurs recherchent le son “fort”, c’est-à-dire le plus
accrocheur. Peu à peu, il comprend que l’on traite le reportage quasiment comme un
produit. Il doit avoir la même force qu’un slogan. Pour Xavier, la conséquence est que
l’importance du sujet passe après : “Si le son obtenu sur un sujet de petite importance
est meilleur, il peut passer devant.”
Les deux journalistes en sont convaincus : “Cela correspond à une logique
commerciale. Après la publicité, il ne faut pas que le rythme change brutalement. La
continuité entre le ton publicitaire et informatif permet à RMC de garder l’auditeur
pendant les pubs.” Des publicités qui passent alors plus facilement à l’oreille et qui sont
omniprésentes : 12 minutes environ pour une heure en matinale. Faire de l’info rapide,
c’est aussi le moyen de caser plus de spots publicitaires.
Sans blanc, par Christophe Rault sur Arte Radio.
Des formats très courts, une parole bien rythmée… Malgré tout, il faut faire entrer du
sens dans la boîte. Alors, pour obtenir un produit fini conforme aux normes en vigueur,
le journaliste radio devient un apprenti sorcier du montage et pratique l’art du
puzzle. Plus personne n’hésite à reconstituer une phrase au montage. Le
moindre silence est soigneusement retiré : “Sur 20 ou 30 secondes, après montage, plus
rien n’est à jeter. On a coupé dans tous les sens. Parfois l’interlocuteur ne respire pas.
Moi, j’en laissais toujours une ou deux, mais j’entends régulièrement des sons sans
respirations sur l’antenne” (Xavier). La bande magnétique ne permettait pas cela aussi
facilement. Avec le numérique, un garde-fou a sauté. En radio, le silence, c’est du
temps, et le temps, c’est de l’argent.
Emportés par le flux
Le silence en radio, c’est aussi le temps de la réflexion, le temps qu’un journaliste
consacre à travailler son sujet sans produire immédiatement du son. Pourtant, les
journalistes dans leurs bureaux ressemblent plus à des footballers sur un terrain qu’à
des travailleurs du sens. Fréderic Bourgade, reporter à France Inter, a pris de la
distance avec ce phénomène. Nourri de son expérience professionnelle, il s’inquiète
des implications, sur le travail des journalistes et leur indépendance, d’un flux
radiophonique toujours accéléré. “Imaginez que l’information soit un camion sur
l’autoroute. Comme le flux ne ralentit pas, pour faire entrer une nouvelle information sur
l’autoroute, il faut qu’elle aille au moins à la même vitesse que le camion, sinon il y a
collision. Ce n’est donc plus seulement la valeurintrinsèque d’une info qui fait sa présence
ou non sur l’antenne, mais, de plus en plus, la possibilité technique de la produire vite
pour qu’elle y entre sans heurts.“
Le choix des sujets est directement touché par l’exigence de vitesse. Mais ce n’est pas
tout. Le travail journalistique le plus essentiel – la préparation des interviews,
la vérification rigoureuse de l’information – est de plus en plus difficile à mener à bien.
Le journaliste, pris par le temps, est contraint de “faire confiance” à son interlocuteur.
Les erreurs avérées à l’antenne sont fréquentes. Plus insidieux, les mensonges par
omission sont légions. Le phénomène est bien sûr aggravé par les diminutions des
effectifs de journalistes dans les rédactions.
Le silence est d’or
Le silence est frais, par Christophe Rault sur Silence Radio.
Il existe donc des risques à ces politiques des formats et du rythme : celui d’altérer le
travail du journaliste, mais pas seulement. En uniformisant à tel point l’information
qu’elle ne devient plus qu’un flot sonore ininterrompu, un ronronnement, on prend
aussi le risque qu’elle passe inaperçue. En croyant se rapprocher du public,
l’information rapide et hyper-calibrée s’en éloigne.
Car il ne suffit pas d’avoir de l’audience pour avoir des auditeurs.“Racontez une
histoire !” Les rédacteurs en chef donnent souvent ce conseil à leurs journalistes, qui
doit permettre d’accrocher l’oreille de l’auditeur même s’il est en train de faire autre
chose. Or, justement : la voix d’une personne, le rythme de son phrasé lui sont propres
et contribuent à raconter son histoire. Non seulement ils conservent l’identité du
parleur, mais encore ils restituent les émotions ou le sens d’une analyse.
À l’inverse, une fois passé à la moulinette du logiciel de montage, tout le monde parle
la même durée, au même rythme, quel que soit l’intérêt de son discours. Tout le monde
devient le même, qu’il s’agisse du journaliste, ou de son interlocuteur. La chasse aux
silences tue le sens, elle tue l’histoire.
À contre-courant : le documentaire
Sophie Delpont est sortie de l’école de journalisme de Lille il y a deux ans. Pigiste à
RMC et à France Culture, elle jongle avec les formats au quotidien, passant d’une
antenne à l’autre, parfois du jour au lendemain. Tenter un long, un très long format,
c’était une envie. Son sujet accepté, elle est donc partie, avec un preneur de son de
Radio France, direction Sète, en bord de mer, sur les pas de Georges Brassens : “Je
m’étais renseignée avant, auprès de journalistes, sur la façon d’écrire du long, et puis on
avait fait un 15 minutes à l’école, une fois. Mais à part ça, rien, l’inconnu. Une fois sur
place, il faut prendrele temps. Cette fois-ci, pas question de presser l’interlocuteur, il faut
se poser, partager et laisser les choses venir. On avait trois jours en tout. Le preneur
de son – je n’avais jamais vu ça – a passé des heures sur la plage pour obtenir un bruit
de vagues parfait, puis un bruit de vagues avec un enfant qui joue, puis le son d’un
parasol qu’on plante, puis… Il recommençait autant que nécessaire et rivalisait
d’ingéniosité pour éviter le vent dans le micro. Finalement, on est revenu avec une
vingtaine d’heures de rushes !
Pourtant, aussi surprenant que cela puisse être, nous n’avons pas mis plus d’une après-
midi à monter la trame complète du document. Parce que tout était là. Pas besoin de
trouver de subterfuges pour parer à un manque de matière. Tout s’est mis en place pas
à pas. Ce qui était formidable aussi, c’était de pouvoir se payer le luxe de digressions…
On a, bien sûr, laissé beaucoup de silence. Nos interlocuteurs étaient parfois de vieux
messieurs, qui parlaient lentement, qui respiraient fort, on a laissé. Finalement, je pense
que c’est quelque chose qui n’est pas parfait, mais qui le devient parce que c’est la vie.
Cette parole est familière et c’est pour ça qu’on a tant de plaisir à écouter. Ce
documentaire, c’est mon bébé, c’est la radio que je veux faire. Même si, bien sûr, je sais
que ce n’est pas possible au quotidien.” Le documentaire de Sophie Delpont s’intitule Jo
avant Brassens, l’histoire d’un copain d’abord, il a été diffusé le 29 septembre 2011 sur
France Culture.
Podcasting et webradio à la demande : silence à
volonté
(cc) The Hamster Factor – flickr
Il existe un public pour le son qui prend son temps. Un public moins large, peut-être,
mais qui grossit en ce moment même : c’est le public du podcast. En janvier 2011, 15,6
millions de podcasts avaient été téléchargés en France ; en novembre de la même
année, 16,6 millions ; en mai 2012 : 18,4 millions. Et encore, il s’agit là de résultats
Médiamétrie, qui, curieusement, ne prennent pas en compte les sites spécialisés dans
le genre tel que Arte Radio par exemple. Ils se concentrent sur les podcasts des
antennes FM.
Toujours est-il que le podcast progresse incontestablement. L’info radio, au sens des
journaux radio classiques, est assez peu podcastée. Mais le documentaire l’est. Le sont
aussi les émissions de débats ou d’approfondissement de l’information ainsi que les
créations originales. Le classement des thématiques les plus podcastées pour le mois
de mai 2012 est le suivant : le divertissement d’abord (6,9 millions), la culture (5,4
millions) et l’information (4,6 millions). Loin derrière se trouvent la musique (500 000)
ou encore le sport (90 000). France Culture, par exemple, est la quatrième radio la plus
podcastée, alors qu’elle est loin en termes d’audience. RMC n’apparaît pas dans le
classement, elle serait donc, dans le meilleur des cas, dixième.
Il y a encore peu d’études sur l’usage du podcast. Pour s’en faire une idée, on ne peut
que questionner l’entourage. À le croire, le podcast s’écoute “le soir au lit, sur mon mp3,
pour m’endormir…” Comme on lisait un livre… “Dans le train, le métro, quandj’ai un peu
de temps devant moi”,“en faisant autre chose le soir dans ma chambre…” Le podcast
semble donc rester fidèle à l’usage passif, caractéristique de la radio, mais il se déplace
sur des temps plus longs : le soir, en vacances, dans les transports, où l’auditeur est
dans d’autres dispositions. Et qui est-il, ce public du podcast ? Majoritairement les 25-
35 ans, ceux que la bande FM est en train de perdre…
… et les webradios, de gagner. “Pour nous le silence, c’est de l’info” témoigne Silvain
Gire, responsable éditorial d’Arte Radio. “Car c’est aussi dans les silences que les gens
disent. Sur un tournagenous cherchons une ambiance, la vérité d’un personnage…Il faut
laisser tourner. Un long documentaire peut demander des dizaines et des dizaines
d’heures de rushes. Pour les journalistes, la parole est une citation. Ce qui nous intéresse,
c’est l’expérience humaine.” Le web a permis l’éclatementdesformats. Aucun besoin
de couper plus que de raison pour que le programme rentre dans la case, ni de meubler
en cas de manque de matière. Libéré des contraintes des grilles, le programme dure ce
qu’il doit durer. Internet semble avoir émancipé les formes, tandis que la radio
hertzienne supporte de moins en moins la longueur. En 1969, l’Atelier de Création
Radiophonique de France Culture durait trois heures. En 2012, les émissions les plus
élaborées de la chaîne culturelle ne traînent plus au-delà des 55 minutes. “Le problème
avec la création radiophonique, c’est le flottement que produit en radio ce genre de
programme” poursuit Silvain Gire. “Les annonceurs détestent ça. Quand vous zappez, il
faut que vous sachiez vite où vous êtes, pour rester. Si vous ne comprenez pas, si vous
attendez, vous allez vous lasser et changer.Or le long format, lorsqu’on le prenden route,
demande d’accepter ce moment de flottement. Sur France Culture c’est encore possible,
les auditeurs sont d’accordpourça. Mais sur les autres antennes FM, c’est plus compliqué.
Et pour nous à Arte Radio, internet est l’endroit idéal.”
“Le futur de toute radio, c’est du silence”(*)
Inspirée par le modèle d’Arte Radio, Silence Radio est une plateforme de diffusion de
pastilles sonores créatives. Le nom est évocateur : une radio peut-elle être faite de
silence ?
(cc) leeroy09481
“L’expression Silence Radio est une oxymore et, comme toutes les oxymores, elle pose
question” explique Irvic D’Olivier, fondateur et coordinateur de la webradio. “L’auditeur
est de suite dans une situation inattendue. Un peu surpris, il est obligé de se demander
ce que peut bien diffuser une radio qui porte ce nom et de quelle manière. De plus,
comme Silence Radio est une radio ‘à la demande’, il est vrai que si on ne clique pas, rien
n’en sort, c’est littéralement le silence !” La page blanche sur laquelle s’ouvre le site fait
d’ailleurs image au silence, comme un espace muet, encore vierge de toute écoute,
que l’on peut explorer avant de choisir (ou non) de déclencher un son.
“Le silence est la condition sine qua non de l’existence de l’œuvre sonore. Sans silence,
pas de chaos, donc pas de musique” poursuit Irvic D’Olivier, qui insiste pour
mettre l’accent non pas sur le silence ou le son, mais sur l’écoute. “La radio a toujours
été présentée comme un train d’ondes qui va de l’émetteur au récepteur. C’est une vision
technicienne et réductrice. L’écoute, c’est justement le contraire. Celle-ci part du récepteur
pour in fine rejoindre l’émetteur. C’est l’auditeur qui gère son écoute. C’est à lui
d’investir l’espace – le train d’ondes – à la condition que la proposition sonore ne soit pas
totalitaire et qu’il puisse créer sa propre ‘image’. Surtout et avant tout, nous avons
une haute estime des auditeurs qui font la démarche de venir sur le site. Donc Silence
Radio est un projetqui paraîtexigeant, caril se fondesur le refus de mépriserles capacités
de l’auditeur, tant sensorielles qu’intellectuelles. Enfin, je l’espère !”
À l’époque du lancement de Silence Radio (avril 2005), les espaces dédiés à la création
sonore sur le web étaient peu nombreux. Il s’agissait alors de donner à entendre des
expressions rares, en faisant se côtoyer les différents genres radiophoniques – fiction,
documentaire, field-recording, électro-acoustique, électronique, poésie sonore –, dans
un égal souci de fédérer une communauté d’artistes venant d’horizons variés et de
diversifier l’offre à destination de l’auditeur. Proposant plus d’une centaine de créations
sonores en libre diffusion, Silence Radio se conçoit également comme un réservoir
dans lequel des radios FM peuvent puiser pour alimenter leur antenne en contenus
originaux. Peut-être serait-il d’ailleurs plus juste de troquer l’expression “radio à la
demande” par celle de “radio d’offre”. La coopération entre radios traditionnelles et
radios à la demande ne va pas seulement dans un sens. Silence Radio a, par exemple,
produit une série de pastilles en 2008 avec Kunstradio, une émission de la radio
publique autrichienne. Kunstradio avait la primeur de la diffusion au moment de sa
case hebdomadaire, puis les créations sonores étaient mises à disposition sur la
webradio pour une écoute hors flux. D’autres créations sur le même thème étaient
également mises en ligne, enrichissant ainsi l’offre plus classique, plus limitée, de
Kunstradio.
Bruit blanc son noir, de Kaye Mortley sur Silence Radio
Et la question du silence, est-elle une obsession ? “Beaucoup des pastilles de Silence
Radio sont représentatives d’un travail original en termes de format et de rapport au
silence. On pourrait parler de silence en fonction du rythme ou considérer que le silence
est l’absence de sons, mais on sait aujourd’hui que cela n’existe pas. On pourrait dire que
le silence est l’absence de signal entre deux sons, mais alors je préfère la notion
d’intervalle, cet ensemble compris entre deux valeurs. Aussi, le silence peut exister dans
une ambiance très chargée où l’on a retiré (volontairement ou pas) certaines fréquences.
Du coup, se dégage un sentiment de légèreté, de douceur, quasi d’absence, une forme de
silence. Pourrait-on parler de silence fréquenciel ? Le silence est partout et nulle part. En
fait, je n’aime pas cette notion de silence, trop connotée : on peut lui faire dire tout
et son contraire! Après mûreréflexion, le silence ne peut être envisagé que parson aspect
qualitatif, sinon rien.”
Bien sûr, l’information quotidienne et la création d’auteur ne peuvent être mises sur le
même plan. Toutes deux correspondent à des besoins différents. Si le documentaire
radiophonique, en écoute à la demande, peut sans complexe s’affranchir de toute
contrainte rythmique, l’information quotidienne sera toujours prisonnière d’un carcan,
ne serait-ce que dans le but louable d’offrir à l’auditeur un aperçu, aussi complet que
possible, des principales informations du jour. Cependant, ces deux genres
radiophoniques ont une même finalité : intéresser au sens d’un propos. Et pour cela la
liberté de la création est un atout. En fonction du sens, elle invente sa forme. Or, jamais
le sens n’est autant abouti que lorsqu’il ne fait qu’un avec son moyen d’expression.
Fond et forme ne sont pas deux choses distinctes. En prenant exemple sur la création,
en prenant le temps et en réintégrant le silence comme outil de sens, l’information
radiophonique gagnerait sans doute en force d’impact.
(*) À la demande de certain·es interviewé·es, les prénoms ont été modifiés.
… pour aller plus loin :
• Les formats de l’écriture radio, RFI
• Arrêt interdit, Anne-Marie Gustave, Télérama, avril 2007
• L’indépendance du journaliste, au risque du flux radiophonique, Frédéric Bourgade,
Mediapart, février 2008
• (*) The future of all radio is silence, une série radiophonique de Kunstradio, confiée
à Resonance FM


Arte RadioEurope 1France BleuFrance CultureFrance InterGRERIrvic D'OlivierRadio FranceRMCSilence
RadioSilvain GireSur les Docks
 Bio
 Derniersarticles
Marie Bertin
Journaliste indépendante de radio et presse écrite, Nantes.
 T w i t t e r
 R M N
2 9 N O V E M B R E 2 0 1 2 À 2 : 2 2
“Quand vous zappez, il faut que vous sachiez vite où vous êtes,
pour rester.”
Exemple type de raisonnement du département marketing, de
ces gens qui, depuis leur tour d’ivoire, ne prennent en
compte l’auditeur que par paquets de 10.000 et décident de
penser à sa place.
Malheureusement les modes de fonctionnement des
“nouveaux” médias ont tendance à supprimer l’errance des
sens, la découverte par hasard, la curiosité attisée, par le
ciblage de contenu, le profilage de l’individu et cet idéal de
pouvoir fournir exactement à chacun ce qu’il censé vouloir
voir, entendre, lire, désirer.
Empêchement de l’errance depuis que les tuners n’ont plus
de bouton rotatif, l’accès aux interstices est limité; tomber sur
une fréquence lointaine à l’occasion de propagations
troposphériques ne peut quasiment plus être le fruit du
hasard.
Naviguer sur le web comme on cherche sans savoir lequel un
ouvrage en librairie n’est pas chose aisée.
Tout ça pour dire, un auditeur qui tombe sur un programme
“non-conforme” va peut-être zapper, mais en le considérant
comme un être intelligent et sensible, on peut envisager qu’il
va rester d’abord par curiosité, puis peut-être par intérêt. Il
pourrait même ressentir un étrange mélange d’excitation, de
plaisir et de gratification à l’écoute d’un tel programme.
Cette disparition du sens au profit exclusif de la forme, d’une
forme aggressive, littéralement assourdissante, a d’après moi
des conséquences politiques extraordinairement graves.
R É P O N D R E
 HER V É [L E T R A N S I S T O R ]
2 9 N O V E M B R E 2 0 1 2 À 6 : 2 5
Le rythme ressenti sur l’antenne d’RMC est également dicté
par la cible à laquelle souhaite s’adresser la station : le mâle
de plus de 25 ans et de moins de 50, biberonné au réseau FM.
La recette d’RMC est justement de reprendre davantage que
ses concurrentes généralistes certains codes sonores des FM
jeunes : tempo rapide, réalisation nerveuse, tapis musicaux
omniprésents, festival de virgules, jingles à grosse voix…
R É P O N D R E
 F A N C H
1 7 D É C E M B R E 2 0 1 2 À 1 2 : 4 8
Bonjour, très intéressant article ! Si les sons d’infos sont de
plus en plus courts les infos sont de plus en plus longues
toutes chaînes généralistes confondues. J’en parle ici
http://radiofanch.blogspot.fr/2012/12/moins-mais-plus.html
R É P O N D R E
 A L EXA N D R A
1 1 J A N V I E R 2 0 1 3 À 1 : 1 8
Bonjour et merci pour cet article complet.
En emménageant en Allemagne, j’ai découvert le journal
d’infos de WDR5. Pour un journaliste radio francais, le journal
d’info de cette station, c’est un peu comme etre enfermé
vivant dans un cercueil. Heureusement que tout se
désapprend. D’une durée de 5 minutes, le/a journaliste y
présente calmement les infos du jour et chaque sujet est
entrecoupé d’une à deux secondes de pause (silence,
respiration, parfois le bruit d’une feuille que l’on met de coté).
En 2011,la station a introduit l’enrobé, mais ca n’a pas marché
et l’auditeur a pu retrouver l’ancienne forme du jourmal.
Concernant le rythme censé rendre vivant le sujet (déjà un
éternel débat en télé et cinéma), les ados avec lesquels je
travaille en atelier radio ont bien intégré, malgré eux, qu’il faut
couper tout ce qui “entrave” le propos : respiration, silence,
hésitation. Ils ne captent pas qu’ils produisent parfois des
contre-sens car il faut, tsac tsac, que ca aille vite. Alors qu’ils
sont eux-memes les premiers à regretter que les adultes ne
leur accordent pas assez de temps. Mais heureusement
qu’avec le temps, tout se désapprend.
Bonne continuation !

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De la place accordee aujourd’hui au silence à la radio

  • 1. RYTHMES & FORMATS : “SILENCE, S’IL VOUS PLAÎT !” De la place accordée aujourd’hui au silence à la radio Référence : BERTIN Marie, « Rythmes & formats : “Silence, s’il vous plaît !” De la place accordée aujourd’hui au silence à la radio », syntone.fr, 28 novembre 2012, http://syntone.fr/rythmes-formats-silence-sil-vous-plait/
  • 2. Par M ari e B erti n RÉF L EXIO N S28 N O V EM B RE 2012 RYTHMES & FORMATS : “SILENCE, S’IL VOUS PLAÎT !” De la place accordée aujourd’hui au silence à la radio Ce n’est pas un scoop, la radio est le média du son. Elle est d’ailleurs le seul média à se contenter ainsi d’un unique sens pour retenir son public. La télévision a recours à l’image en plus du son. La presse écrite se lit, mais se regarde aussi. Et ne parlons pas d’internet qui multiplie les médias. La radio, elle, ne peut retenir que l’oreille. Pour cela, sans cesse, elle doit émettre des sons. La question de la place accordée au silence en radio peut dès lors sembler tirée par les cheveux. Et pourtant le silence, c’est ce qui lie les sons entre eux. Sans lui, on ne les distingue plus, ou moins bien. Qu’on le veuille ou non, le silence fait partie de la radio.
  • 3. (cc) kurichan – flickr Mais qu’il lui fait peur ! Le silence en radio hante l’esprit des professionnels – animateurs, journalistes ou techniciens. Pire que la page blanche pour l’écrivain, le blanc en radio peut signifier jusqu’à la mort de l’antenne. Les Anglo-Saxons emploient d’ailleurs l’expression “dead air”, qui en dit long sur leur appréhension du silence. Les stations de radios sont dans l’obligation d’émettre. Si elles s’interrompent, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel possède le pouvoir de leur retirer leur autorisation d’émettre… À éviter, à tout prix. C’est pourquoi toutes les stations importantes sont équipées de détecteurs de silence. Moins de sept secondes de blanc sur Europe 1, et la station déclenche automatiquement une bande-son de secours. Vite ! Une musique quelconque, pourvu que les ondes résonnent ! Michel Le Henaff, chef d’antenne à Europe 1, ajoute : “Deux secondes de blanc, c’est déjà considéré comme un accident d’antenne. Lorsque cela arrive, nous autres techniciens, devons faire un rapport à notre hiérarchie.” Ce rapport s’appelle “la ligne rouge”. La chasse aux silences Qu’il faille prendre garde à occuper l’antenne, pour une radio, cela se comprend. L’ennui, c’est que la chasse aux silences prend une autre tournure, une tournure préventive. Elle s’immisce dans les contenus, bien décidée à accélérer le rythme. Car en radio, le silence, c’est avant tout du temps. Pour retenir l’auditeur qui zappe, il faut faire vite. Jean-Laurent Bernard, rédacteur en chef à Radio France depuis 1984, a vu un changement : “Ces dix dernières années, toutes les radios ont raccourci leurs formats d’info.” Les témoignages recueillis dans les couloirs des antennes confirment : “À Europe, quand je suis arrivé dans les années 80, les sons faisaient plus d’une minute. Aujourd’hui, c’est 50 secondes maximum.” (Nicole(*)) ; “à France Inter en 2009, un enrobé [billet illustré par des extraits d’interviews, NDLR] pouvait encore aller jusqu’à 1 minute 30, aujourd’hui, un enro de 1’30 part directement à la poubelle.” (Laurence Peuron, journaliste au service culture de France Inter) ; “il y a encore 4 ou 5 ans, sur France Bleu Vaucluse, on avait un magazine de la rédaction hebdomadaire de 12 minutes, avec de longs reportages, dans lequel on pouvait intégrer des interviews pouvant faire jusqu’à 2’30. Il a disparu sur volonté de la direction. D’une façon générale, on va vers des choses de plus en plus courtes.” (Philippe Paupert, reporter à France Bleu Vaucluse). Les formats des éléments ont donc évolué, diminuant en moyenne de 5 à 10 secondes pour un son, de 10 à 20 secondes pour un enrobé. Cela peut paraître peu. Pourtant, les journalistes qui travaillent ces formats au quotidien le savent : ça compte. Mais au-delà des formats-type des contenus, c’est leur rythme qui s’accélère, notamment sur décision des directeurs d’antennes.
  • 4. (cc) ~dgies – flickr Philippe Paupert : “Des formats de 2 minutes subsistent sur l’antenne, pour certains sujets, mais on nous demande plus de rythme. La conséquence, c’est que la place de la personne qu’on interviewe est de plus en plus réduite. On tend aussi vers ce qu’on appelle le “teaser” : des petits formats de 10 à 15 secondes qui annoncent la suite et rythme l’antenne. Tout cela s’enchaîne beaucoup plus vite qu’avant.” Par ailleurs, le calibrage prédéfini des éléments lui-même n’a pas toujours existé. En réécoutant des journaux de France Inter dans les années 60 et 70 (Inter Actualité), on se rend compte qu’il n’y avait tout simplement pas de formats-type. Le journal de 8h faisait plus de 20 minutes. Le présentateur s’attardait au téléphone avec un envoyé spécial durant 3 ou 4 minutes. Les sons pouvaient être très courts, ou très longs. La durée se choisissait visiblement à l’importance de l’information. Aujourd’hui, une telle démarche s’appelle “casser les formats”. Et se pratique dans des circonstances assez exceptionnelles. Récemment, sur Europe 1 par exemple, il fallait aux journalistes se trouver à Alep, en Syrie, pour avoir le privilège de disposer de deux minutes de reportage au lieu d’une seule. Zapper à la place de l’auditeur
  • 5. (cc) SILENTdoGOOD – flickr Pour Sébastien Poulain, chercheur en communication et membre du Groupe de Recherches et d’Études sur la Radio, la vitesse a toujours fait partie de ce média : “La radio s’écoute en faisant autre chose. Et son audience la plus importante est le matin. Le but pour une antenne généraliste, est que l’auditeur sorte de chez lui avec une base d’information solide, qu’il ait ‘fait le tour’. C’est pourquoi la radio répète, et se dépêche.” Soit. Mais alors pourquoi la radio accélère plus encore ? “Nos modes de vie ont peut-être évolué, nous laissant moins de temps… Mais plus certainement faut-il chercher du côté de la concurrence. L’offre d’accès à l’information s’est étoffée avec internet : ordinateurs et smartphones peuvent sur demande rendre présentes les mêmes informations que la radio, et de manièrechoisie. Non seulement ils prennent leur part du temps de l’auditeur, mais en plus ils sont très efficaces. La radio doit donc tenter de se faire aussi efficace qu’eux. Par ailleurs, grâce à internet, le fond sera disponible plus tard. Inutile donc, de trop préciser les choses maintenant.” Concurrence des nouveaux médias à laquelle il faut ajouter la concurrence des radios entre elles. “C’est certain, RMC, par exemple, a fait réfléchir les autres.” RMC : le nom est lâché. Quand on parle de formats, RMC est emblématique dans le petit monde des journalistes radio. Bien connue pour ses enrobés de 45 secondes et ses sons de 30 – et l’on parle là, bien sûr, d’un grand maximum – RMC a fait des adeptes. Ce qui compte, c’est le “bruit” Tous les journalistes qui sont passés par RMC se sont cassé la tête, soit au sens propre – comment vais-je faire entrer mon reportage dans 40 secondes ? – soit au sens figuré
  • 6. – est-ce là vraiment ce que je voulais faire en devenant journaliste ? La sélection naturelle aura raison de ceux qui doutent. Ceux qui restent doivent accélérer. Xavier (*), ex-journaliste à RMC, sait de quoi il parle : “Quand on arrive, on apprend à parler vite. Le style est nerveux, incisif, court et immédiat dans les commentaires. C’est la même chose dans les sons. Ça change la façon de faire les interviews. Elles peuvent commencer comme n’importe quelle autre mais on sait qu’à un moment donné il faudra “piquer” l’interlocuteur, le “titiller”, pour obtenir une réaction directe et forte qui sera ensuite intégrée à un enrobé, mais qui est aussi susceptible de servir de “teasing” [son choc, très court, utilisé dans les titres pour promouvoir l’un des sujets du journal, NDLR].” À RMC toujours, Yohann (*), lui, a travaillé à la “note”. Ce poste de journaliste est occupé le soir à la sélection des éléments montés dans la journée par les reporters. Il s’agit d’en écrire les lancements et de les hiérarchiser. Cela se fait en étroite collaboration avec les rédacteurs en chef puisqu’il s’agit de décider ce qui fera l’antenne le lendemain. Pour le jeune homme, la conclusion est que ce qui compte, c’est “l’énergie” du son. Les rédacteurs recherchent le son “fort”, c’est-à-dire le plus accrocheur. Peu à peu, il comprend que l’on traite le reportage quasiment comme un produit. Il doit avoir la même force qu’un slogan. Pour Xavier, la conséquence est que l’importance du sujet passe après : “Si le son obtenu sur un sujet de petite importance est meilleur, il peut passer devant.” Les deux journalistes en sont convaincus : “Cela correspond à une logique commerciale. Après la publicité, il ne faut pas que le rythme change brutalement. La continuité entre le ton publicitaire et informatif permet à RMC de garder l’auditeur pendant les pubs.” Des publicités qui passent alors plus facilement à l’oreille et qui sont omniprésentes : 12 minutes environ pour une heure en matinale. Faire de l’info rapide, c’est aussi le moyen de caser plus de spots publicitaires. Sans blanc, par Christophe Rault sur Arte Radio. Des formats très courts, une parole bien rythmée… Malgré tout, il faut faire entrer du sens dans la boîte. Alors, pour obtenir un produit fini conforme aux normes en vigueur, le journaliste radio devient un apprenti sorcier du montage et pratique l’art du puzzle. Plus personne n’hésite à reconstituer une phrase au montage. Le moindre silence est soigneusement retiré : “Sur 20 ou 30 secondes, après montage, plus rien n’est à jeter. On a coupé dans tous les sens. Parfois l’interlocuteur ne respire pas. Moi, j’en laissais toujours une ou deux, mais j’entends régulièrement des sons sans respirations sur l’antenne” (Xavier). La bande magnétique ne permettait pas cela aussi facilement. Avec le numérique, un garde-fou a sauté. En radio, le silence, c’est du temps, et le temps, c’est de l’argent. Emportés par le flux
  • 7. Le silence en radio, c’est aussi le temps de la réflexion, le temps qu’un journaliste consacre à travailler son sujet sans produire immédiatement du son. Pourtant, les journalistes dans leurs bureaux ressemblent plus à des footballers sur un terrain qu’à des travailleurs du sens. Fréderic Bourgade, reporter à France Inter, a pris de la distance avec ce phénomène. Nourri de son expérience professionnelle, il s’inquiète des implications, sur le travail des journalistes et leur indépendance, d’un flux radiophonique toujours accéléré. “Imaginez que l’information soit un camion sur l’autoroute. Comme le flux ne ralentit pas, pour faire entrer une nouvelle information sur l’autoroute, il faut qu’elle aille au moins à la même vitesse que le camion, sinon il y a collision. Ce n’est donc plus seulement la valeurintrinsèque d’une info qui fait sa présence ou non sur l’antenne, mais, de plus en plus, la possibilité technique de la produire vite pour qu’elle y entre sans heurts.“ Le choix des sujets est directement touché par l’exigence de vitesse. Mais ce n’est pas tout. Le travail journalistique le plus essentiel – la préparation des interviews, la vérification rigoureuse de l’information – est de plus en plus difficile à mener à bien. Le journaliste, pris par le temps, est contraint de “faire confiance” à son interlocuteur. Les erreurs avérées à l’antenne sont fréquentes. Plus insidieux, les mensonges par omission sont légions. Le phénomène est bien sûr aggravé par les diminutions des effectifs de journalistes dans les rédactions. Le silence est d’or Le silence est frais, par Christophe Rault sur Silence Radio. Il existe donc des risques à ces politiques des formats et du rythme : celui d’altérer le travail du journaliste, mais pas seulement. En uniformisant à tel point l’information qu’elle ne devient plus qu’un flot sonore ininterrompu, un ronronnement, on prend aussi le risque qu’elle passe inaperçue. En croyant se rapprocher du public, l’information rapide et hyper-calibrée s’en éloigne. Car il ne suffit pas d’avoir de l’audience pour avoir des auditeurs.“Racontez une histoire !” Les rédacteurs en chef donnent souvent ce conseil à leurs journalistes, qui doit permettre d’accrocher l’oreille de l’auditeur même s’il est en train de faire autre chose. Or, justement : la voix d’une personne, le rythme de son phrasé lui sont propres et contribuent à raconter son histoire. Non seulement ils conservent l’identité du parleur, mais encore ils restituent les émotions ou le sens d’une analyse. À l’inverse, une fois passé à la moulinette du logiciel de montage, tout le monde parle la même durée, au même rythme, quel que soit l’intérêt de son discours. Tout le monde
  • 8. devient le même, qu’il s’agisse du journaliste, ou de son interlocuteur. La chasse aux silences tue le sens, elle tue l’histoire. À contre-courant : le documentaire Sophie Delpont est sortie de l’école de journalisme de Lille il y a deux ans. Pigiste à RMC et à France Culture, elle jongle avec les formats au quotidien, passant d’une antenne à l’autre, parfois du jour au lendemain. Tenter un long, un très long format, c’était une envie. Son sujet accepté, elle est donc partie, avec un preneur de son de Radio France, direction Sète, en bord de mer, sur les pas de Georges Brassens : “Je m’étais renseignée avant, auprès de journalistes, sur la façon d’écrire du long, et puis on avait fait un 15 minutes à l’école, une fois. Mais à part ça, rien, l’inconnu. Une fois sur place, il faut prendrele temps. Cette fois-ci, pas question de presser l’interlocuteur, il faut se poser, partager et laisser les choses venir. On avait trois jours en tout. Le preneur de son – je n’avais jamais vu ça – a passé des heures sur la plage pour obtenir un bruit de vagues parfait, puis un bruit de vagues avec un enfant qui joue, puis le son d’un parasol qu’on plante, puis… Il recommençait autant que nécessaire et rivalisait d’ingéniosité pour éviter le vent dans le micro. Finalement, on est revenu avec une vingtaine d’heures de rushes ! Pourtant, aussi surprenant que cela puisse être, nous n’avons pas mis plus d’une après- midi à monter la trame complète du document. Parce que tout était là. Pas besoin de trouver de subterfuges pour parer à un manque de matière. Tout s’est mis en place pas à pas. Ce qui était formidable aussi, c’était de pouvoir se payer le luxe de digressions… On a, bien sûr, laissé beaucoup de silence. Nos interlocuteurs étaient parfois de vieux messieurs, qui parlaient lentement, qui respiraient fort, on a laissé. Finalement, je pense que c’est quelque chose qui n’est pas parfait, mais qui le devient parce que c’est la vie. Cette parole est familière et c’est pour ça qu’on a tant de plaisir à écouter. Ce documentaire, c’est mon bébé, c’est la radio que je veux faire. Même si, bien sûr, je sais que ce n’est pas possible au quotidien.” Le documentaire de Sophie Delpont s’intitule Jo avant Brassens, l’histoire d’un copain d’abord, il a été diffusé le 29 septembre 2011 sur France Culture. Podcasting et webradio à la demande : silence à volonté
  • 9. (cc) The Hamster Factor – flickr Il existe un public pour le son qui prend son temps. Un public moins large, peut-être, mais qui grossit en ce moment même : c’est le public du podcast. En janvier 2011, 15,6 millions de podcasts avaient été téléchargés en France ; en novembre de la même année, 16,6 millions ; en mai 2012 : 18,4 millions. Et encore, il s’agit là de résultats Médiamétrie, qui, curieusement, ne prennent pas en compte les sites spécialisés dans le genre tel que Arte Radio par exemple. Ils se concentrent sur les podcasts des antennes FM. Toujours est-il que le podcast progresse incontestablement. L’info radio, au sens des journaux radio classiques, est assez peu podcastée. Mais le documentaire l’est. Le sont aussi les émissions de débats ou d’approfondissement de l’information ainsi que les créations originales. Le classement des thématiques les plus podcastées pour le mois de mai 2012 est le suivant : le divertissement d’abord (6,9 millions), la culture (5,4 millions) et l’information (4,6 millions). Loin derrière se trouvent la musique (500 000) ou encore le sport (90 000). France Culture, par exemple, est la quatrième radio la plus podcastée, alors qu’elle est loin en termes d’audience. RMC n’apparaît pas dans le classement, elle serait donc, dans le meilleur des cas, dixième. Il y a encore peu d’études sur l’usage du podcast. Pour s’en faire une idée, on ne peut que questionner l’entourage. À le croire, le podcast s’écoute “le soir au lit, sur mon mp3, pour m’endormir…” Comme on lisait un livre… “Dans le train, le métro, quandj’ai un peu de temps devant moi”,“en faisant autre chose le soir dans ma chambre…” Le podcast semble donc rester fidèle à l’usage passif, caractéristique de la radio, mais il se déplace sur des temps plus longs : le soir, en vacances, dans les transports, où l’auditeur est
  • 10. dans d’autres dispositions. Et qui est-il, ce public du podcast ? Majoritairement les 25- 35 ans, ceux que la bande FM est en train de perdre… … et les webradios, de gagner. “Pour nous le silence, c’est de l’info” témoigne Silvain Gire, responsable éditorial d’Arte Radio. “Car c’est aussi dans les silences que les gens disent. Sur un tournagenous cherchons une ambiance, la vérité d’un personnage…Il faut laisser tourner. Un long documentaire peut demander des dizaines et des dizaines d’heures de rushes. Pour les journalistes, la parole est une citation. Ce qui nous intéresse, c’est l’expérience humaine.” Le web a permis l’éclatementdesformats. Aucun besoin de couper plus que de raison pour que le programme rentre dans la case, ni de meubler en cas de manque de matière. Libéré des contraintes des grilles, le programme dure ce qu’il doit durer. Internet semble avoir émancipé les formes, tandis que la radio hertzienne supporte de moins en moins la longueur. En 1969, l’Atelier de Création Radiophonique de France Culture durait trois heures. En 2012, les émissions les plus élaborées de la chaîne culturelle ne traînent plus au-delà des 55 minutes. “Le problème avec la création radiophonique, c’est le flottement que produit en radio ce genre de programme” poursuit Silvain Gire. “Les annonceurs détestent ça. Quand vous zappez, il faut que vous sachiez vite où vous êtes, pour rester. Si vous ne comprenez pas, si vous attendez, vous allez vous lasser et changer.Or le long format, lorsqu’on le prenden route, demande d’accepter ce moment de flottement. Sur France Culture c’est encore possible, les auditeurs sont d’accordpourça. Mais sur les autres antennes FM, c’est plus compliqué. Et pour nous à Arte Radio, internet est l’endroit idéal.” “Le futur de toute radio, c’est du silence”(*) Inspirée par le modèle d’Arte Radio, Silence Radio est une plateforme de diffusion de pastilles sonores créatives. Le nom est évocateur : une radio peut-elle être faite de silence ?
  • 11. (cc) leeroy09481 “L’expression Silence Radio est une oxymore et, comme toutes les oxymores, elle pose question” explique Irvic D’Olivier, fondateur et coordinateur de la webradio. “L’auditeur est de suite dans une situation inattendue. Un peu surpris, il est obligé de se demander ce que peut bien diffuser une radio qui porte ce nom et de quelle manière. De plus, comme Silence Radio est une radio ‘à la demande’, il est vrai que si on ne clique pas, rien n’en sort, c’est littéralement le silence !” La page blanche sur laquelle s’ouvre le site fait d’ailleurs image au silence, comme un espace muet, encore vierge de toute écoute, que l’on peut explorer avant de choisir (ou non) de déclencher un son. “Le silence est la condition sine qua non de l’existence de l’œuvre sonore. Sans silence, pas de chaos, donc pas de musique” poursuit Irvic D’Olivier, qui insiste pour mettre l’accent non pas sur le silence ou le son, mais sur l’écoute. “La radio a toujours été présentée comme un train d’ondes qui va de l’émetteur au récepteur. C’est une vision technicienne et réductrice. L’écoute, c’est justement le contraire. Celle-ci part du récepteur pour in fine rejoindre l’émetteur. C’est l’auditeur qui gère son écoute. C’est à lui d’investir l’espace – le train d’ondes – à la condition que la proposition sonore ne soit pas totalitaire et qu’il puisse créer sa propre ‘image’. Surtout et avant tout, nous avons une haute estime des auditeurs qui font la démarche de venir sur le site. Donc Silence Radio est un projetqui paraîtexigeant, caril se fondesur le refus de mépriserles capacités de l’auditeur, tant sensorielles qu’intellectuelles. Enfin, je l’espère !” À l’époque du lancement de Silence Radio (avril 2005), les espaces dédiés à la création sonore sur le web étaient peu nombreux. Il s’agissait alors de donner à entendre des expressions rares, en faisant se côtoyer les différents genres radiophoniques – fiction,
  • 12. documentaire, field-recording, électro-acoustique, électronique, poésie sonore –, dans un égal souci de fédérer une communauté d’artistes venant d’horizons variés et de diversifier l’offre à destination de l’auditeur. Proposant plus d’une centaine de créations sonores en libre diffusion, Silence Radio se conçoit également comme un réservoir dans lequel des radios FM peuvent puiser pour alimenter leur antenne en contenus originaux. Peut-être serait-il d’ailleurs plus juste de troquer l’expression “radio à la demande” par celle de “radio d’offre”. La coopération entre radios traditionnelles et radios à la demande ne va pas seulement dans un sens. Silence Radio a, par exemple, produit une série de pastilles en 2008 avec Kunstradio, une émission de la radio publique autrichienne. Kunstradio avait la primeur de la diffusion au moment de sa case hebdomadaire, puis les créations sonores étaient mises à disposition sur la webradio pour une écoute hors flux. D’autres créations sur le même thème étaient également mises en ligne, enrichissant ainsi l’offre plus classique, plus limitée, de Kunstradio. Bruit blanc son noir, de Kaye Mortley sur Silence Radio Et la question du silence, est-elle une obsession ? “Beaucoup des pastilles de Silence Radio sont représentatives d’un travail original en termes de format et de rapport au silence. On pourrait parler de silence en fonction du rythme ou considérer que le silence est l’absence de sons, mais on sait aujourd’hui que cela n’existe pas. On pourrait dire que le silence est l’absence de signal entre deux sons, mais alors je préfère la notion d’intervalle, cet ensemble compris entre deux valeurs. Aussi, le silence peut exister dans une ambiance très chargée où l’on a retiré (volontairement ou pas) certaines fréquences. Du coup, se dégage un sentiment de légèreté, de douceur, quasi d’absence, une forme de silence. Pourrait-on parler de silence fréquenciel ? Le silence est partout et nulle part. En fait, je n’aime pas cette notion de silence, trop connotée : on peut lui faire dire tout et son contraire! Après mûreréflexion, le silence ne peut être envisagé que parson aspect qualitatif, sinon rien.” Bien sûr, l’information quotidienne et la création d’auteur ne peuvent être mises sur le même plan. Toutes deux correspondent à des besoins différents. Si le documentaire radiophonique, en écoute à la demande, peut sans complexe s’affranchir de toute contrainte rythmique, l’information quotidienne sera toujours prisonnière d’un carcan, ne serait-ce que dans le but louable d’offrir à l’auditeur un aperçu, aussi complet que possible, des principales informations du jour. Cependant, ces deux genres radiophoniques ont une même finalité : intéresser au sens d’un propos. Et pour cela la liberté de la création est un atout. En fonction du sens, elle invente sa forme. Or, jamais le sens n’est autant abouti que lorsqu’il ne fait qu’un avec son moyen d’expression. Fond et forme ne sont pas deux choses distinctes. En prenant exemple sur la création, en prenant le temps et en réintégrant le silence comme outil de sens, l’information radiophonique gagnerait sans doute en force d’impact.
  • 13. (*) À la demande de certain·es interviewé·es, les prénoms ont été modifiés. … pour aller plus loin : • Les formats de l’écriture radio, RFI • Arrêt interdit, Anne-Marie Gustave, Télérama, avril 2007 • L’indépendance du journaliste, au risque du flux radiophonique, Frédéric Bourgade, Mediapart, février 2008 • (*) The future of all radio is silence, une série radiophonique de Kunstradio, confiée à Resonance FM   Arte RadioEurope 1France BleuFrance CultureFrance InterGRERIrvic D'OlivierRadio FranceRMCSilence RadioSilvain GireSur les Docks  Bio  Derniersarticles Marie Bertin Journaliste indépendante de radio et presse écrite, Nantes.  T w i t t e r  R M N 2 9 N O V E M B R E 2 0 1 2 À 2 : 2 2 “Quand vous zappez, il faut que vous sachiez vite où vous êtes, pour rester.” Exemple type de raisonnement du département marketing, de ces gens qui, depuis leur tour d’ivoire, ne prennent en compte l’auditeur que par paquets de 10.000 et décident de penser à sa place. Malheureusement les modes de fonctionnement des “nouveaux” médias ont tendance à supprimer l’errance des sens, la découverte par hasard, la curiosité attisée, par le ciblage de contenu, le profilage de l’individu et cet idéal de
  • 14. pouvoir fournir exactement à chacun ce qu’il censé vouloir voir, entendre, lire, désirer. Empêchement de l’errance depuis que les tuners n’ont plus de bouton rotatif, l’accès aux interstices est limité; tomber sur une fréquence lointaine à l’occasion de propagations troposphériques ne peut quasiment plus être le fruit du hasard. Naviguer sur le web comme on cherche sans savoir lequel un ouvrage en librairie n’est pas chose aisée. Tout ça pour dire, un auditeur qui tombe sur un programme “non-conforme” va peut-être zapper, mais en le considérant comme un être intelligent et sensible, on peut envisager qu’il va rester d’abord par curiosité, puis peut-être par intérêt. Il pourrait même ressentir un étrange mélange d’excitation, de plaisir et de gratification à l’écoute d’un tel programme. Cette disparition du sens au profit exclusif de la forme, d’une forme aggressive, littéralement assourdissante, a d’après moi des conséquences politiques extraordinairement graves. R É P O N D R E  HER V É [L E T R A N S I S T O R ] 2 9 N O V E M B R E 2 0 1 2 À 6 : 2 5 Le rythme ressenti sur l’antenne d’RMC est également dicté par la cible à laquelle souhaite s’adresser la station : le mâle de plus de 25 ans et de moins de 50, biberonné au réseau FM. La recette d’RMC est justement de reprendre davantage que ses concurrentes généralistes certains codes sonores des FM jeunes : tempo rapide, réalisation nerveuse, tapis musicaux omniprésents, festival de virgules, jingles à grosse voix… R É P O N D R E  F A N C H 1 7 D É C E M B R E 2 0 1 2 À 1 2 : 4 8 Bonjour, très intéressant article ! Si les sons d’infos sont de plus en plus courts les infos sont de plus en plus longues
  • 15. toutes chaînes généralistes confondues. J’en parle ici http://radiofanch.blogspot.fr/2012/12/moins-mais-plus.html R É P O N D R E  A L EXA N D R A 1 1 J A N V I E R 2 0 1 3 À 1 : 1 8 Bonjour et merci pour cet article complet. En emménageant en Allemagne, j’ai découvert le journal d’infos de WDR5. Pour un journaliste radio francais, le journal d’info de cette station, c’est un peu comme etre enfermé vivant dans un cercueil. Heureusement que tout se désapprend. D’une durée de 5 minutes, le/a journaliste y présente calmement les infos du jour et chaque sujet est entrecoupé d’une à deux secondes de pause (silence, respiration, parfois le bruit d’une feuille que l’on met de coté). En 2011,la station a introduit l’enrobé, mais ca n’a pas marché et l’auditeur a pu retrouver l’ancienne forme du jourmal. Concernant le rythme censé rendre vivant le sujet (déjà un éternel débat en télé et cinéma), les ados avec lesquels je travaille en atelier radio ont bien intégré, malgré eux, qu’il faut couper tout ce qui “entrave” le propos : respiration, silence, hésitation. Ils ne captent pas qu’ils produisent parfois des contre-sens car il faut, tsac tsac, que ca aille vite. Alors qu’ils sont eux-memes les premiers à regretter que les adultes ne leur accordent pas assez de temps. Mais heureusement qu’avec le temps, tout se désapprend. Bonne continuation !