Mairies communes du Pays de Fouesnant --phpba qzou
La mer au Pays de Fouesnant - j7kggh
1. Gouesnac’h
DU COTE DE L’ODET
AUJOURD’HUI
HIER
PORS-MEILLOU 1990 : Tout le monde
connaît. C'est le petit coin tranquille,
inhabité, propice à la flânerie de maints
retraités, au passe-temps réparateur du
pêcheur amateur ,à la halte contemplative
du travailleur en congé, aux ébats
désordonnés du petit chien enfin libéré,
aux baignades joyeuses et bruyantes des
enfants du quartier, à l'escale reposante de
quelques marins du dimanche ou touristes
caravaniers lassés des grands chemins...
Bref, un petit coin de paradis
évoquant pour tous insouciance et repos
dans l'air pur retrouvé. Oubliés, le travail,
les tracas, les patrons, fatigue...la
civilisation, quoi!
C'est la fierté de GOUESNAC'H!
Mais PORS-MEILLOU 1920, ça ne
vous dit rien...Alors, regardez: Tout ici
respire cette fois le travail, la fatigue, les
soucis, la dureté des temps pour bêtes et
gens.
Bien âgés sont maintenant ceux qui ont
vécu cette époque. Mais qui mieux
qu’Alain BOURBIGOT, marinier de son
état de 1925 à 1963, saurait nous conter
l’histoire des
'" Travailleurs de l’ODET- ? "
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2. Bien avant ce siècle, la famille
BOURBlGOT a toujours eu le pied marin.
Mon grand-père puis mon père, comme
mes oncles, étaient bateliers de génération
en génération. En 1925, je viens d'avoir 17
ans. Le milieu familial me pousse avec
insistance à perpétuer la tradition. Les
inscrits maritimes ne bénéficient-ils pas
d'une pension gentillette, alors que les
ruraux ne perçoivent rien qui puisse
assurer leurs vieux jours? L'argument est
de taille…et les muscles assez développés!
Me voilà donc embarqué avec mon
père sur le "LAPÉROUSE", une chaloupe
sablière sur laquelle l'ODET sera
désormais mon seul uni vers et la marée
mon seul horaire. Été comme hiver, qu'il
chauffe, vente gèle ou pleuve nous quittons
la maison à 1'heure propice, en plein jour
ou en pleine nuit, à pied d'abord ou, plus
tard, à bicyclette, pour rejoindre notre
mouillage à PORS-GUEW : presque une
heure de route! La marée commence juste
à descendre. Vite, nous embarquons sur la
plate; dix coups de godille et nous voilà à
bord. Larguons les amarres, hissons les
toiles: vent et courant nous entraînent vers
BÉNODET. Une petite escale au port, le
temps d'acheter quelques
provisions:
une tête ou une
fraise de veau, un peu de charcuterie, une
bonne bouteille. Doublons la pointe SaintGilles: nous voici à. pied d'œuvre, contre
cette dune du Letty, bien gonflée de sable
doré dont raffolent nos clients acheteurs.
L'ancrage effectué, la mer se retire
encore et c'est bientôt "la valse des biceps":
il en faut des pelletées pour remplir de 9
mètres cubes!quatre charretées et demie,
les flancs de notre brave LAPÉROUSE
échoué sur la grève. Bah! Nous en avons
jusqu'à la prochaine marée montante!
Prenons le temps de casser la
croûte: les pommes de terre ont cuit
sagement durant le voyage, dans la
marmite ventrue qui se balance au bout
d'un cordage au-dessus du foyer
rudimentaire, à. l'avant de la cale; bientôt
la poêle à frire grésille, le pain s’émiette, la
bouteille se vide…. et les forces
reviennent. Nous sommes souvent à 17
chaloupes là-bas, des gars de BÉNODET,
GOUESHAC'H,
COMBRIT,
L'ILETUDY, MOUSTERLIN, LOCTUDY,
Bigoudens et Fouesnantais confondus dans
cette fierté de dépendre tous du même
quartier du GUILVIHBC.
Mais voici que la marée arrache
notre .LAPÉROUSE dont la lisse seule
émerge tant la charge est pesante. Toute la
voilure ne sera pas de trop, si les vents sont
peu portants pour remonter jusqu'à
QUIMPER; une affaire de quatre heures et
demie au moins. Gare à. nous si la bise
souffle du nord: le mouillagee à PORSKERAING s'imposera et nous ne
poursuivrons que le lendemain.
Ils sont traîtres ces "Vire-Court
encaissés où la rivière ne vous laisse qu'un
courant central de quelques mètres dont il
faut savoir profiter, un chenal connu des
seuls initiés que nous sommes. Combien de
fois avons nous eu pitié de ces grands
voiliers cargos, dundees ou goelettes,
chargés de bois, de vin ou de charbon,
venus de NANTES ou de BREST, et
drossés d'une rive à l'autre par les remous
bouillonnants... Et je te heurte à babord, et
je te cogne à tribord..et je me retrouve en
travers! Heureusement les Affaires
Maritimes leur ont planté deux vieux
canons auxquels ils peuvent s'amarrer pour
mieux manoeuvrer les pauvres !
Pour nous, peu de problèmes dans
notre sage lenteur, jusqu'à ce maudit
CORNIGUEL où bien souvent, le courant
faiblit et le vent est absent. Notre tactique
est alors simple: le plus
solide d'entre nous met pied à terre et le
bout d'un long cordage à l'épaule, tire la
chaloupe le long des deux kilomètres du
chemin de halage, aidé tout de même à la
perche par le collègue barreur. Drôle
d'équipage! Il nous faut remonter ainsi
bien au-delà du Palais de Justice, jusqu'à
l'actuel Pont Max Jacob: c'est là
qu'habituellement nos quatre bras doivent
vider les flancs du "LAPEROUSE. Pas de
temps à perdre: nos 9 m3 doivent
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3. Face au château de LANNIRON, Corentin GUÉGUEN prépare la corde
de halage à la proue, tandis que Alain BOURBIGOT, à la poupe,
s’apprête à gagner la terre ferme
être sur le quai avant que le courant ne
s'inverse et que nous n'en profitions pour
regagner notre mouillage de PORS GUEN
notre commanditaire nous ayant réglé nos
252 Francs (28 F le m3) pour notre
chargement.
Le retour à vide sera tout de même
plus décontracté, surtout si la marée nous
laisse une bonne marge de temps devant
nous. On prendra bien un verre chez
PERIEZ au CAP HORN ! On donnera un
coup de filet en plein milieu de la baie de
KEROGAN : ce n'est pas encore interdit et
ça rapportera bien une vingtaine de belles
plies! Peut-être croiserons-nous les autres
chaloupes de GOUESNAC'H : La
PROTECTRICE, L’ILE THOSTER, le VA
DE BON CŒUR, le SCRAVIC, le
JAURÉGUIBERRY.
Peut-être
échangerons - nous quelques propos avec
nos collègues bateliers : mes deux oncles
Pierre et Jean BOURBIGOT , Corentin
GUÉGUEN, Jean Marie GOUYEN
Vincent
RIEN,
Alain
et
Pierre
DONNARD, François DANIEL Pierre
COSQUÉRIC
ou
encore
Yves
BERTHOLOM dit « FARCEUR »- qui un
jour se paya le luxe de charger six cordes
de bois à PORS MEILLOU, d'aller en
revendre huit aux Bigoudens...et de
rejoindre sa base quelques jours plus tard
sans un sous vaillant en poche.
Notre voyage se terminait ainsi et
c'est fourbus, les muscles endoloris, la tête
parfois lourde, les doigts un peu raidis, que
nous regagnions la maison une fois le
"LAPÉROUSE bien amarré, les outils et
cordages soigneusement rangés pour éviter
les vols.
En 1930, j'avais 22 ans, mon père
jugea sans doute que j'avais pris des forces.
de l'entraînement. de l'expérience, et se mit
en devoir d'acquérir le -JEAN-PIERRE,
capable d'emmagasiner 13 mètres cubes
dans ses larges flancs: l'orgueil de toute la
batellerie locale! Pensez donc: 300 mètres
de toile (1) en quatre voiles: grand-voile,
foc ballon, trinquette et flèche. De quoi
faire
pâlir
de
jalousie
Florence
ARTHAUD!
J'avoue que ce sur toilage se voyait
souvent sous-utilisé: songez à la gîte
possible et au temps nécessaire pour replier
minutieusement toute cette surface à la
main. Nous n'avions pas d'enrouleurs
automatiques, nous! Aussi lorsque mon
père décida de
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4. prendre sa retraite je me contentai,avec
Corentin GUÉGUEN, d'une nouvelle
péniche de 8 mètres cubes le SAIHTJOSEPH, et notre activité se poursuivit
jusqu'en 1953. Depuis lors, depuis 37 ans
donc, une épave s'amenuise peu à peu en
contrebas de Saint Cadou: la carcasse s'est
disloquée et la quille reste le seul témoin
de la coque qui fut notre compagne des
bons et des mauvais jours.
Cette vie de labeur pénible vous
laissera sans doute une impression
d'uniformité lassante, de répétition
décourageante, de routine démoralisante.
Sachez tout de même que certaines riches
variantes venaient parfois rompre la
monotonie du métier.
Il arrivait que certains cultivateurs
de GOUESNAC'H nous commandent un
chargement de maërl. Alors, en route pour
les GLÉNAN où nous chargions suivant la
même technique. La livraison se faisait au
plus près des champs, à PORS-GUEN,
LANHURON, PORS-KÉRAIGN PORSMEILLOU. Si ce dernier site est doté d'une
cale depuis 1870, il n'en allait pas de même
des trois précédents On reprenait alors
notre technique ancestrale: échouer la
péniche, avancer les quatre charrettes bord
contre bord, transvaser à la pelle...et le tour
était joué.
En fin d'année, les commandes
touchaient parfois le goémon de rive. Ceux
qui ne voulaient pas se contenter de leurs
traditionnels radeaux faisaient appel à
nous. Ils fournissaient les coupeurs,
chargeaient la péniche aux endroits très
abrupts, et nous déchargions à PORSMEILLOUU. Mais là, gare aux secteurs de
coupe, bien déterminés suivant les
familles, et gare aussi à l'époque fixée par
un arrêté annuel du Maire.
Le règlement était très strict: trop
audacieux sans doute, ou partisan de la
formule pas vu pas pris, je me suis
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5. fait pincer par les gardes-maritimes qui
m'ont gratifié d'un bon procès verbal alors
que je coupais discrètement sur les rives de
PLOMELIN en dehors de la période
autorisée! Mais que faisaient-ils là, ce jourlà ??
Tous les bateliers approvisionnaient
aussi la Bigoudénie voisine en bois de
chauffage ce qui, nous l'avons vu, n'était
pas pour déplaire à notre ami le Farceur.
Les matériaux de construction
entraient également dans nos attributions,
tels les moellons de la magnifique villa
offerte par le sultan du Maroc au Docteur
HEITZ- BOY ER de BÉNODET (à présent
.le Minaret), livrés par François DANIEL
et Pierre COSQUÉRIC.
Tel encore le sable nécessaire à la réfection
d'un bâtiment: nous poussions alors jusqu'à
la dune de l'ILE-TUDY, personne ne
voulant du sable de COMBRIT pourtant
plus proche, mais jugé trop fin par les uns,
trop gros par les autres. Allez savoir
pourquoi!
Les faïenceries de LOCMARIA
nous mirent très souvent à contribution,soit
pour le kaolin extrait de TOULVEN, (de
grosses mottes de terre blanchâtre chargées
à la main), ou le bois de chauffe des fours,
issu des propriétés de La HUBAUDIERE
(8 cordes de bois ou 1.150 fagots par
voyage).
Assez plaisants aussi furent les
transports clandestins dont nous étions
chargés pendant l'occupation allemande.
Combien de porcs découpés, bien emballés
dans des sacs, ont transité de
GOUESNAC'H
au
CAP-HORN,
simplement posés sur la cargaison de sable.
Le lendemain, c'était des fûts de cidre, du
beurre, de la farine, des volailles... des
provisions de bord, quoi, que personne ne
songea jamais à contrôler.
N'oublions pas enfin le fameux
pardon de La CLARTÉ à COMBRIT, le
deuxième dimanche de septembre. Pour la
seule fois de l'année, notre péniche et celle
de François DANIEL avaient charge
d'âmes. Départ à la barrière rouge de
LANHURON. Destination: bourg de
COMBRIT. Pas d'embarcadères, bien
sûr,que de souliers vernis bien envasés,
que de toilettes rincées à l'eau de mer,...que
de visages transis de peur sur cet élément
liquide...Et que de "pardonneurs" bien
joyeux pour le retour du dimanche soir.
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6. Telle fut ma vie de marinier, interrompue en 1953 par la mévente de notre sable.
Comment faire face à des sabliers géants qui lançaient sur le marché du sable à six francs le
mètre cube ? Hélas! Ils puisent directement à la source sur les bancs du large qui, de mon
temps, réengraissaient la dune après notre passage. La lutte du nain (8 m3 du –LAPÉROUSE)
contre le géant (800 m3 du PEIFRET), était perdue d'avance.
Dix ans de reconversion à la petite pêche en plate sur l’ODET, avec vente directe dans
les fermes, m'ont permis de gagner ma retraite d'inscrit maritime en 1963.
Je ne regrette pas d'avoir fait ce métier. Ce fut dur, dur, mais en même temps tellement
agréable...
Une dernière confidence: j’aime toujours charger à la pelle !
(Propos recueillis par Fred SAVARY.J)
1) Il s’agit propablement de 300 mètres linéaires : la toile à voile était fabriquée en laize de
60 cm.
PORS MEILLOU
A gauche, le manoir de
la famille YVONNET
du RUN.
Il n’en reste que des
ruines.
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