Conférence par Jean-Baptiste Verot
Au tournant du XVIIe siècle, à travers l’oeuvre d’Olivier de Serres, les savoirs nécessaires à la culture du mûrier, à l’éducation des vers à soie et au tirage des cocons sont rassemblés et formalisés dans des traités imprimés, autrement dit réduits en art pour être diffusés et mis en pratique. Au milieu du XVIIIe siècle, alors que l’État royal multiplie les encouragements pour le développement séricicole, et dans le contexte des Lumières agricoles, une bulle éditoriale vient satisfaire la « muriomanie », véritable mode économique qui s’empare des possédants férus d’« amélioration ». Membres de sociétés d’agriculture, entrepreneurs de filature et de moulinage, inspecteurs des manufactures et naturalistes, forts de leur pouvoir-dire, décrivent et prescrivent les savoir-faire séricicoles. S’ils s’appuient sur l’observation des pratiques paysannes dans les régions spécialisées, ils entendent aussi les évaluer et les corriger par la pratique expérimentale d’une sériciculture de cabinet, dont les résultats publiés alimentent surtout les réputations et les controverses savantes.
Les églises dans l'oeuvre de l'architecte Tony Desjardins
La "Muriomanie" des lumières et l'imprimé ou la sériculture réduite en art.
1. La « muriomanie » des Lumières et
l’imprimé, ou la sériciculture réduite
en art
Jean-Baptiste Vérot
Conférence de l’Association des Amis du Musée de
l’Imprimerie – Archives municipales de Lyon – 15
mai 2023
1
2. « Il est bien peu d’arts qu’on puisse
apprendre parfaitement par le secours
des livres, même des Auteurs qui ont été les
plus expérimentés dans les matières qu’ils
traitent. Il est déjà reconnu que les livres écrits
depuis 25 ans, sur la plantation des mûriers et
l’éducation des vers à soie, ne peuvent servir de
rien, ou de peu de chose. On n’en trouve pas
deux qui s’accordent, et cependant ces auteurs
[…] assurent qu’ils n’ont pris pour guides que
leurs expériences ; il faut donc qu’ils les aient
mal faites, ainsi que les calculs nécessaires ».
2
Introduction
3. Introduction
1. Comment les liens entre l’imprimé et la sériciculture
sont-ils noués par la monarchie à travers sa politique
séricicole ?
2. Comment l’imprimé contribue-t-il à la formation de la
sériciculture comme branche de l’agronomie naissante ?
3. Quelles connexions ces imprimés établissent-ils entre
les mondes de l’administration et de l’agriculture savante
d’un côté, et le monde des praticiens de l’autre ?
3
4. Plan
I. Littérature technique et politique séricicole
I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une entreprise éditoriale
I.2. L’imprimé, outil des « hommes à projets »
I.3. L’imprimé et la fabrique administrative des savoirs
II. L’imprimé et la structuration des savoirs séricicoles
II.1. La fédération d’une nébuleuse d’auteurs et de lecteurs
II.2. La médiation des controverses et des collaborations
II.3. La diffusion de savoirs normalisateurs
III. « Les livres […] ne peuvent servir de rien »
III.1. Quand savoir-faire et pouvoir-dire ne se rencontrent pas
III.2. Boissier de Sauvages et la « réduction en art » de la sériciculture
III.3. Une question de format : des traités aux précis
4
5. I. Littérature technique et politique séricicole
I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
I.2. L’imprimé, outil des « hommes à projets »
I.3. L’imprimé et la fabrique administrative des savoirs
5
6. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
6
Portrait de Barthélemy de
Laffemas, ca. 1598.
Qu’est-ce que « l’entreprise des soyes » ?
●
Une politique « mercantiliste » de
substitution d’importations.
→ Diffuser la sériciculture dans le
royaume en même temps que les
manufactures de soieries.
→ 1602-1604 : entreprise de
fourniture des généralités.
→ 1604-1608 : entreprise de
fourniture des diocèses.
7. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
7
« L’entreprise des soyes » et l’imprimé
La première littérature séricicole française
et le cercle de « l’entreprise des soyes » :
●
Olivier de Serres et La cueillette de la soye
par la nourriture des vers qui la font (1599),
« échantillon » du Théâtre d’agriculture et
mesnage des champs (1600)
8. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
8
Requête de Gédéon de Serres au roi
concernant son projet de sériciculture à
Fontainebleau (Bib. de l’Institut de France,
Ms Godefroy 194).
9. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
9
Promesse de vente de mûriers entre Gédéon
de Serres (vendeur) et les entrepreneurs de la
fourniture de mûriers engagés avec la
commission du commerce (Arch. nat.,
Minutier central des notaires parisiens, 1602).
10. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
10
« L’entreprise des soyes » et l’imprimé
La première littérature séricicole française et le cercle de « l’entreprise des
soyes » :
●
Jean-Baptiste Le Tellier et son luxueux Brief discours contenant la maniere
de nourrir les vers à soye…, Paris, P. Pautonnier, 1602.
●
Dédié à Rachel de Cochefilet, épouse de Sully.
●
Gravures sur cuivre de Philippe Galle, sur des dessins de Stradanus :
une réédition commentée de la série Vermis sericus (C. Plantin, Anvers,
1577).
11. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
11
12. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
12
13. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
13
14. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
14
15. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
15
16. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
16
17. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
17
« L’entreprise des soyes » et l’imprimé
La première littérature séricicole française et
le cercle de « l’entreprise des soyes » :
●
Jean-Baptiste Le Tellier et les Mémoires et
instructions
●
16 000 exemplaires commandés par la
commission du commerce
●
1000 l.t. payés par les entrepreneurs aux
imprimeurs parisiens Jamet et Pierre
Mettayer.
18. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
18
« L’entreprise des soyes » et l’imprimé
La première littérature séricicole française et
le cercle de « l’entreprise des soyes » :
●
Laffemas et ses nombreux traités sur la
sériciculture, publiés en tant que
contrôleur général du commerce.
●
Reprise des bois utilisés pour les
Mémoires et instructions de Le Tellier.
19. I.1. « L’entreprise des soyes » sous Henri IV : une
entreprise éditoriale
19
« L’entreprise des soyes » et l’imprimé
La première littérature séricicole française et
le cercle de « l’entreprise des soyes » :
●
L’Instruction de Jehan Vandeveckene et
associés : une rareté bibliographique.
20. I.2. L’imprimé, outil des « hommes à projets »
20
Les usages de l’imprimé par les « hommes à
projets » séricicoles au XVIIe siècle.
●
Qu’est-ce qu’un « homme à projets » ou
projector ?
→ Joan Thisrk, Economic Policy and
Projects. Development of a Consumer Society in
Early Modern England, 1978.
21. I.2. L’imprimé, outil des « hommes à projets »
21
Les usages de l’imprimé par les « hommes à
projets » séricicoles au XVIIe siècle.
●
Un ouvrage méconnu sur la sériciculture,
la Proposition faite au Roy […] Contenant les
moyens de rendre la soye aussi commune en
France […] qu’elle l’est en la Chine…, Marc
Marressé, 1610.
22. I.2. L’imprimé, outil des « hommes à projets »
22
Les usages de l’imprimé par les « hommes à
projets » séricicoles au XVIIe siècle.
●
L’Advis au Roy lyonnais de 1627 : un
projet porté par Claude Dangon ?
23. I.2. L’imprimé, outil des « hommes à projets »
23
Les usages de l’imprimé par les « hommes à
projets » séricicoles au XVIIe siècle.
●
Christophe Isnard, un entrepreneur de
moulinages provençal et ses projets à la
cour de Louis XIV.
→ Les Mémoires et instructions… de
1660 (rééd. 1665) et l’art de la dédicace
flatteuse à la recherche de haut
patronage.
24. I.2. L’imprimé, outil des « hommes à projets »
24
Les usages de l’imprimé par les « hommes à
projets » séricicoles au XVIIe siècle.
●
Christophe Isnard, un entrepreneur de
moulinages provençal et ses projets à la
cour de Louis XIV.
→ Les Vers à soye presentez au Roy
(1669) : un poème publicitaire pour un
projet d’exploitation des vers à soie
« sauvages » de Madagascar.
25. I.2. L’imprimé, outil des « hommes à projets »
25
Les usages de l’imprimé par les « hommes à
projets » séricicoles au XVIIe siècle.
●
Christophe Isnard, un entrepreneur de
moulinages provençal et ses projets à la
cour de Louis XIV.
→ Le Plant de meuriers d’establissement
royal (1673) : encore une publicité
rimée :
« Forcez à force de ducatz,
La Nature pour rendre utiles,
Les Campagnes plus infertilles »
26. I.3. L’imprimé et la fabrique administrative des
savoirs séricicoles
26
Le renouveau du volontarisme séricicole
sous Louis XV :
• Philibert Orry, contrôleur général des
finances de Louis XV (1730-1745)
• Daniel Trudaine, directeur du Bureau du
commerce (1749-1769)
→ Mise en place d’un réseau de
pépinières publiques de mûriers.
→ Distributions gratuites de mûriers et
de vers à soie aux propriétaires.
→ Création d’ateliers de tirage privilégiés
et subventionnés.
• Quel rôle de l’imprimé dans ce
dispositif ?
Portrait d’Orry par Hyacinthe
Rigaud, v. 1738.
27. 27
Les pépinières publiques de mûriers dans le royaume
de France au XVIIIe
siècle
I.3. L’imprimé et la fabrique administrative des
savoirs séricicoles
Des administrateurs démunis :
- Les instructions manuscrites
du jardinier Philibert.
- Des instructions trop
sommaires : la complainte du
directeur de la pépinière
d’Issoire.
28. 28
I.3. L’imprimé et la fabrique administrative des
savoirs séricicoles
Un imprimé de commande administrative :
- 1740 : Orry demande à l’intendant de Touraine
d’encourager la publication d’un traité du sieur Baron.
- 1742 : Publication anonyme à Poitiers du Mémoire
instructif sur les pépinières de meuriers blancs et les manufactures
de vers à soie. Sources ? Diffusion ? Réception ?
→ Mémoires fournis par Orry, dont ceux de
Philibert.
→ Mémoires de l’Académie des sciences de
Montpellier.
→ Distribution orchestrée par l’intendant en
Auvergne.
→ Réédition en 1745, commandée par les États du
Béarn à leur imprimeur ordinaire.
→ Critique par l’inspecteur des manufactures Henri
Sauclières.
29. II. L’imprimé et la structuration des savoirs séricicoles
II.1. La fédération d’une nébuleuse d’auteurs et de
lecteurs
II.2. La médiation des controverses et des collaborations
II.3. La diffusion de savoirs normalisateurs
29
30. 30
II.1. La fédération d’une nébuleuse d’auteurs et de
lecteurs
La « Muriomanie » : un phénomène éditorial typique des « Lumières
agricoles »
Évolution du nombre de
publications de traités sur la
culture du mûrier au XVIIIe
siècle
31. 31
Page de titre de La Muriomanie de
Dubet (1769), livret publicitaire
annonçant le traité finalement intitulé
La Muriométrie (1770).
« Nous voyons que la murimanie (nous prions qu’on nous
pardonne cette expression) gagne toutes les parties du Royaume ;
cette culture qui paroissoit d’abord devoir se borner aux Provinces
méridionales comme la Provence, le Languedoc, le Dauphiné,
s’est étendue dans le Lyonnois, déjà même on cultive avec succès les
muriers en Bourgogne ; nous en avons vu réussir dans les froides
montagnes de l’Auvergne ; la Bresse en éleve, toutes les Généralités
de proche en proche veulent faire des soyes. Dans cette émulation
universelle, pourquoi la Franche-Comté resteroit-elle oisive ? »
« Discours présenté par M. R. De Moedeseule à l’Académie des
Sciences, Belles Lettres & Arts de Besançon ; sur la question
« quelles sont les différentes espèces de grains, de légumes ou de
plantes, dont la culture jusqu’ici inconnue ou négligée en Franche
Comté peut y être introduite avec succès ? », Journal de l’agriculture,
du commerce, des arts et des finances, juin 1769, p. 3-33.
II.1. La fédération d’une nébuleuse d’auteurs et de
lecteurs
32. 32
Louis-Madeleine Bolet
Matthieu Thomé
C.-A. Dubet
Jean-Baptiste
Constant-
Castellet
Pierre-Augustin
Boissier de
Sauvages
Ladmiral
II.1. La fédération d’une nébuleuse d’auteurs et de
lecteurs
Lieux de publication des traités de
sériciculture en France au XVIIIe
siècle
33. 33
Page de titre de la Gazette, année 1780,
n°22.
Portrait de Bertin par Alexandre
Roslin, 1768.
II.1. La fédération d’une nébuleuse d’auteurs et de
lecteurs
34. 34
Évolution du nombre de
contributions relatives à la culture
du mûrier dans la Gazette (1763-
1783)
II.1. La fédération d’une nébuleuse d’auteurs et de
lecteurs
La Gazette et le Journal d’agriculture, des « arènes » qui fédère les amateurs de
sériciculture.
35. 35
Principaux sujets des articles de la
Gazette relatifs à la culture du
mûrier
II.2. La médiation des controverses et des
collaborations
36. II.2. La médiation des controverses et des
collaborations
La controverse du greffage :
– Matthieu Thomé vs. Jean-Baptiste Constant-Castellet, ou l’intérêt
des propriétaires de mûriers vs. l’intérêt des filateurs.
– « Voilà donc deux Auteurs qui nous assurent n’avoir écrit qu’après des
expériences suivies pendant plusieurs années, diamétralement opposés de
sentiment dans un fait. Auquel des deux donnerons nous donc la préférence ?
Comment fixer nos incertitudes sur un point aussi important ? Je pense que
pour y parvenir, il n’est question que d’inviter les gens bien instruits dans cette
partie, à traiter à fond le sujet »
Pierre-Louis de Massac, membre de la Société
d’agriculture de Limoges, Gazette d’agriculture, 4 février
1766, n°10, p. 74-75.
36
37. II.2. La médiation des controverses et des
collaborations
La controverse du greffage :
– Réponse de Constant-Castellet qui détaille ses expériences.
– Réponse pragmatique du « Paysan des Cévennes ».
– Reprise de la controverse avec Dubet, radicalement opposé au
greffage « erreur nationale » de la « dénaturation » des mûriers.
– Réponse de « Bertrand Morus, habitant des Cévennes », dans le Journal
d’agriculture (octobre 1771) :
« Je ne sçais, Monsieur, si en composant votre Traité, permettez-moi de vous le
dire, vous n’avez point été un peu trop persuadé de l’infaillibilité de votre
systême, si vous avez consulté la nature, le sol, nos besoins mêmes, ou plutôt, si
vous avez puisé dans de bonnes sources pour vous procurer certains
éclaircissemens »
37
38. II.2. La médiation des controverses et des
collaborations
Les périodiques et l’organisation des collaborations séricicoles :
– Nombreuses descriptions d’expériences par des particuliers,
comme Vallet, le curé de Sainte-Colombe.
– À partir de 1771, nombreuses « lettres d’Italie » concernant la
« maladie épidémique » qui frappe les mûriers. Diffusion de
l’information concernant le prix de la société d’agriculture de
Brescia sur la question.
38
39. II.3. La diffusion de savoirs normalisateurs
39
Régler l’épineuse question de la question de la
nomenclature :
Dubet dans sa Muriométrie :
« Une chose qui paroît fort singulière, c’est que les Ecrivains n’ont rien de
fixe sur la dénomination des espèces de muriers […] Il est à présumer que
la nomenclature des muriers s’étendra à l’infini, & suivra la progression
des variétés »
← Apparition d’un grand nombre de variétés horticoles du
mûrier blanc.
40. II.3. La diffusion de savoirs normalisateurs
40
Les variétés de mûriers blancs selon le sieur Michel, jardinier de Bagnols (v. 1760)
41. II.3. La diffusion de savoirs normalisateurs
41
Les variétés de mûriers blancs selon le sieur Puech, sériciculteur au Vigan (v. 1755).
42. II.3. La diffusion de savoirs normalisateurs
42
Constant-Castellet entend diffuser par l’imprimé une « nomenclature » des mûriers,
dans son Art de multiplier la soie (Aix-en-Provence, 1760).
43. II.3. La diffusion de savoirs normalisateurs
43
« J’ai vu ce que l’auteur appelle mûrier sauvage à feuilles roses, donner des fruits noirs & assez
gros ; & la même singularité a eu lieu sur celui qu’il nomme feuille d’Espagne. Les mûriers de
la partie du Languedoc où je me suis retiré, approchent beaucoup des espèces des environs
d’Aix. J’ai comparé les uns aux autres, & cette comparaison m’a fait reconnoître beaucoup de
variétés secondaires de ces espèces qui sont déjà elles-mêmes des variétés ».
L’abbé naturaliste François Rozier critique la « division
des espèces de mûriers » diffusée par Constant-Castellet
et ses « copistes » dans son article « Mûre, mûrier » du
Cours complet d’agriculture, Paris, 1786 (tome 7, p. 1-59)
44. II.3. La diffusion de savoirs normalisateurs
44
La diffusion d’un modèle de plantation de mûriers idéale :
La « meurière » idéale de Ladmiral
(1757).
« Ce projet ménage le terrain, […] épargne
beaucoup sur toutes les dépenses des
plantations ordinaires. Il met chaque paysan
au centre de sa petite location. Il fait de sa
location un petit enclos où il n’aura rien à
craindre ni des bestiaux ni des voleurs, & il
peut faire vivre toute sa famille avec un
terrein médiocre »
Ladmiral, Traité des mûriers blancs, Paris,
1757, p. 243-248.
45. II.3. La diffusion de savoirs normalisateurs
45
La diffusion d’un modèle de plantation de mûriers idéale :
Plan de la plantation
du sieur Dulac à
Lugeac, près de
Brioude, 1752 (Arch.
dép. du Puy-de-
Dôme, 22 Fi 102).
46. III. « Les livres […] ne peuvent servir de rien »
III.1. Quand savoir-faire et pouvoir-dire ne se
rencontrent pas
III.2. Boissier de Sauvages et la « réduction en art » de la
sériciculture
III.3. Une question de format : des traités aux précis
46
47. III.1. Quand savoir-faire et pouvoir-dire ne se
rencontrent pas
Pouvoir-dire sans savoir-faire : le cas
du Traité des mûriers signé Louis
Lesbros de La Versanne (1769)
– Adresse au lecteur extrêmement
méprisante à l’égard des paysans.
– Propos presque intégralement
plagié.
– Un texte écrit par le jeune
marquis de Sade ?
47
48. III.1. Quand savoir-faire et pouvoir-dire ne se
rencontrent pas
Aucun jardinier, aucun magnanier
« professionnel » parmi les auteurs de
traités séricicoles.
– Pourtant, beaucoup savent écrire, et
certains essayent d’être publiés,
comme le sieur Bertrand,
« pépiniériste » et « négociant en
mûriers » de Narbonne, qui demande
à l’intendant de Languedoc une aide
pour publier un traité sur la culture
du mûrier blanc (lettre ci-contre,
Arch. dép. de l’Hérault, C 2250,
1751).
48
49. III.1. Quand savoir-faire et pouvoir-dire ne se
rencontrent pas
← L’imprimé technique établir une frontière entre savoir-faire et pouvoir-dire.
– Ce n’étaient pas le savoir-faire des praticiens qui étaient remis en question par
les instances de validation qui leur refusaient la publication imprimée, mais
leur capacité et leur légitimité à les transcrire dans une langue écrite
convenable à la littérature technique.
– Les hommes de la pratique étaient considérés par les instances de légitimation
des savoirs comme incapables de théoriser et de formaliser leur art en raison
de leur enfermement supposé dans les bornes strictes de leur métier et de leur
langage éloigné des codes culturels qui distinguaient et légitimaient les
hommes de lettres (travaux de Liliane Hilaire-Pérez et Marie Thébaud-Sorger)
– « L’acte de textualisation » des techniques comportait en lui-même un
effacement et une forme de « colonisation » des savoirs détenus par les
praticiens spécialistes de ces mêmes techniques (Dorothy Ko).
49
50. III.2. Boissier de Sauvages et la « réduction en art » de
la sériciculture
50
Qu’est-ce qu’une « réduction en art » ?
• Processus de formalisation des savoirs qui
« structure, pendant l’époque moderne, des
pratiques de connaissances pour l’action »
• Consiste à capter, ordonner et diffuser de
manière normalisée des savoirs techniques
jusqu’alors épars et diffus.
• Objectif : le « bien public », l’« administration
réglementée des projets qui intéressent la
collectivité ».
• Des auteurs et des lecteurs qui « appartiennent
au même monde, celui qui, à quelque titre,
contribue à l’exercice du pouvoir » (Hélène
Vérin et Pascal Dubourg-Glatigny)
51. III.2. Boissier de Sauvages et la « réduction en art » de
la sériciculture
51
Pierre-Augustin Boissier de
Sauvages (1710-1795) et ses
Mémoires sur l’éducation des vers à
soye :
– Éminent naturaliste.
– Soutien financier du Bureau
du commerce.
– Enquête de terrain auprès des
sériciculteurs cévenols.
52. III.2. Boissier de Sauvages et la « réduction en art » de
la sériciculture
52
« Nous avons heureusement chez nous des personnes très en état d’en donner des
leçons »
Cherche à « réduire en art » la « routine incertaine » de ces praticiens, en
mêlant observation de leurs principes et « une saine phisique & le bon sens,
sçavoir, celle des expériences & des observations ».
Difficultés de communication et un certain mépris : « deviner la pensée de
gens grossiers & peu intelligibles, qui [lui] fesoient même quelquefois mystére des
moindres choses ».
Un art du questionnaire qui repose sur des connaissances préalables :
« Il est difficile de faire de bonnes questions & de tirer par cette voie des gens de
l’art d’utiles connoissances, si l’on n’en a déjà beaucoup soi-même »
53. III.2. Boissier de Sauvages et la « réduction en art » de
la sériciculture
53
→ Une position intermédiaire, entre élève et maître des « hommes de l’art »,
qui se sert de ses savoirs naturalistes pour améliorer les pratiques qu’il
observe.
→ Dans sa préface, il affirme que son travail de réduction en art est destiné
aux « propriétaires », de manière à les rendre plus capables de diriger les
opérations de sériciculture.
→ Les lecteurs devaient pouvoir se muer en instructeurs des « ouvriers qu’ils
[avaient] à leurs gages » et se faire des « interprêtes » de Boissier de Sauvages.
→ L’amélioration de la sériciculture passe pour Boissier de Sauvages par un
processus circulaire, fait d’une succession de transferts et de traductions,
processus au sein duquel l’imprimé joue le rôle de fixateur et de pivot.
54. III.3. Une question de format : des traités aux précis
Retour en arrière : « l’entreprise des soyes » et sa stratégie de diffusion de
l’information.
54
Gravures sur la nourriture
des vers à soie dans les
Mémoires et instructions
de Le Tellier (1603).
55. III.3. Une question de format : des traités aux précis
55
Délibération des élus-généraux des États de Bourgogne, février 1786 (Arch. dép. de
Côte-d’Or, C 3241).
56. III.3. Une question de format : des traités aux précis
56
Instruction sur la manière de former les
pépinières de Meuriers distribuée par
les États de Languedoc dans les
diocèses civils du Haut-
Languedoc, 1757 (Arch. dép. de
l’Hérault, C 11892).
57. Conclusions
Les traités imprimés de sériciculture :
→ des outils de gouvernement économique.
→ des objets d’une mode agronomique élitiste et peu
connectée aux réalités de terrain.
→ des opérations de captation, de formalisation,
d’amélioration et de diffusion normalisatrice de savoir-faire.
→ des sources irremplaçables pour étudier les techiques
séricicoles anciennes.
57