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N° 7 - Printemps 2012	
OSER LE DIRE... POUVOIR LE FAIRE?
PAROLES D’AUTEURS
Pour son septième numéro, Le Cercle donne la parole aux auteurs du projet artistique Oser le dire… Pouvoir le faire ?, conduit par l’association Arti e Parole.
J’ai nommé : les dramaturges et poètes allemands Philipp Löhle et Werner Fritsch, et l’auteur polonais Art Grabov. Peu connus en France, ils témoignent
des mutations profondes de la forme dramatique du XXIe siècle. Un regard original sur le monde qui éclaire les enjeux d’aujourd’hui à travers un univers
littéraire singulier.
Avec les auteurs Philipp Löhle, Werner Fritsch et Art Grabov, et les traductrices
Ruth Orthmann et Cécile Bocianovski.
Claire Lintignat, Philipp Löhle, Ruth Orthmann, Werner Fritsch, Art Grabov et Cécile Bocianowski © Nathaniel Baruch
2/8
Oser le dire… Pouvoir le faire ?, un projet
théâtral de l’association ARTI e PAROLE.
Après un numéro spécial humour sur le
même argument, Le Cercle donne la parole
aux auteurs.
Oser le dire… Pouvoir le faire?, est un
projet théâtral inédit et ouvert au public
composé de laboratoires et de débats, dans
lesquels un collectif d’artistes et citoyens
s’interrogent sur le binôme «Liberté
d’imagination / Liberté d’action », dans le
champs de l’art et de la vie citoyenne. 
Ce projet se présente en plusieurs étapes
et sous différentes formes. De coopération
internationale, il est mené conjointement
avec des partenaires allemands, polonais,
italiens, français, mexicains, et bénéficie
du soutien du Programme Culture de la
Commission européenne. Il donnera lieu
à plusieurs manifestations en France et à
l’étranger :
Par la création d’un spectacle pluriel ma-
riant les différents univers du théâtre, du
cinéma et de l’architecture (avec une créa-
tion en deux volets sur des textes répon-
dant à une commande d’écriture passée
à des auteurs européens émergeants ou
encore inconnus sur le territoire français).
Par l’organisation de laboratoires artis-
tiques avec des comédiens et des écoles
d’art, en présences des artistes associés au
projet qui tenteront une approche inédite
de leur art ;
Et par l’organisation d’un débat public
sur le thème «  Oser le dire… Pouvoir le
faire ? » avec des personnalités de la société
civile, en collaboration avec des élèves de
Science Po Paris et une université franci-
lienne.
Tous, artistes et citoyens français, alle-
mands, polonais, italiens et mexicain offri-
ront un regard différent sur le sujet à tra-
vers une réflexion artistique et citoyenne.
L’objectif ? Faire dialoguer les langages de
l’art, évaluer leur puissance, leur capacité
de suggestion et d’imagination à l’échelle
de nos démocraties.
L’association franco-italienne, ARTI e
PAROLE a pour but la création d’œuvres
théâtrales inédites et le soutien de toutes
les formes d’expressions artistiques qui
peuvent intervenir dans la représentation
scénique  : musique, scénographie, archi-
tecture, cinéma, peinture, design...
EDITO
ENTRETIEN PUBLIC
Librairie du Rond-Point
OSER LE DIRE... POUVOIR LE FAIRE?
Selon Philipp Löhle, Werner Fritsch et Art Grabov
Nous leur avons donné rendez-vous pour un entretien public à la librairie du Théâtre du Rond-Point,
haut lieu des écritures dramatiques contemporaines, pour qu’ils nous parlent du texte qu’ils ont écrit
pour l’association Arti e Parole sur le thème « Oser le dire… Pouvoir le faire ? », chacun avec une forme
brève de 20mn pour deux personnages. L’écriture terminée, les voici à Paris pour quelques jours où ils
se rencontrent pour la première fois à l’occasion d’un laboratoire artistique avec l’équipe du projet. Ils
sont accompagnés des traductrices Ruth Orthmann et Cécile Bocianovski qui ont traduit leurs textes
– deux pièces de théâtre et un poème – et qui sont aussi les premières ambassadrices des auteurs auprès
de la profession.
Curieux de confronter leur point de vue d’auteur, leur approche du théâtre, et d’autant plus intéressés
que ces textes feront l’objet d’un même spectacle (les 20,22 et 23 juin prochain au Goethe Institut),
nous sommes allé à leur rencontre afin d’en savoir un peu plus… Petit tour d’horizon avant la création !
Werner Fritsch, Art Grabov et Cécile Bocianowski © Nathaniel Baruch
Claire Lintignat : Philipp Löhle, vous êtes en France
aujourd’hui pour nous parler de votre pièce Afroca-
lypse, écrite dans le cadre d’une commande d’écriture
pour Arti e Parole. En résumé, l’Europe est envahie.
Un ancien président et son adjudant se réfugient dans
une forêt sombre, ils transportent avec eux le cadavre
de l’épouse du président. Ils souhaitent enterrer le corps
mais voilà, d’abord il faut manger... Le sujet est sin-
gulier et la fable efficace. Pouvez-vous nous en dire
quelques mots ?
Philipp Löhle : Je suis parti d’un film documen-
taire, Let’s make money*. Dans le film, on voit des
paysans burkinabés qui cultivent le coton. L’un
des personnages responsable des plantations nous
dit à un moment que quelque soit la hauteur des
murs que l’Europe construit autour d’elle pour
se protéger, il y a aura bientôt une telle foule, une
telle masse d’africains aux frontières de l’Europe,
qu’ils franchiront de toute façon les murs les plus
hauts. Ma pièce part de cette idée-là, d’un flot
d’africains qui a submergé l’Europe. Les “non-
civilisés” viennent envahir la civilisation. Ce qui
provoque chez les dits civilisés des comportements
et des manières de faire qu’on attribue générale-
ment par cliché aux africains. Avec cette peur face
à l’étranger qui reste présente.
Quand il y a eu le Printemps arabe, des milliers
de réfugiés ont cherché à gagner l’Europe par la
mer, affluant sur l’île de Lampedusa, parfois dans
des conditions très dangereuses. L’île italienne est
devenue la principale porte d’entrée de l’immigra-
tion illégale en Europe. A ce moment-là il y a eu
tout un marchandage entre les pays européens.
C’est là que j’ai pris conscience de tout ce que
l’Europe à mis en place pour maintenir ses fron-
tières fermées. En Allemagne, tout le monde félici-
tait ce formidable soulèvement des peuples pour la
liberté mais du moment qu’ils restent chez eux. Je
trouve qu’on a traité le sujet de façon mensongère.
3/8
On a l’habitude des pièces politiques dans le théâtre
allemand mais elles font rarement l’objet d’un trai-
tement humoristique. Pourquoi avez-vous écrit une
tragi-comédie ? C’est une forme que vous affectionnez
particulièrement. En quoi sert-elle le discours poli-
tique ?
Philipp Löhle : C’est vrai, au bout du compte
je finis toujours par écrire des tragi-comédies. Le
traitement tragi-comique me semble plus adap-
té à ce type de sujet parce qu’il permet d’éviter
l’ennui sans gommer le sérieux. Quand les gens
commencent à discuter politique, ils parlent tou-
jours très sérieusement. Au théâtre, on peut au
moins en rire. Et puis j’ai quand même l’impres-
sion que le côté noir de cette histoire dans le fond
se traduit mieux à travers la forme comique et
grotesque. C’est certainement plus percutant
que si j’avais essayé de faire une belle et grande
tragédie en une demi-heure. On aurait eu du mal
à y croire. Dans cette pièce, je parle des peurs
des gens, de cette peur viscérale chez les euro-
péens, de l’étranger qui pourrait venir s’installer
chez lui. Si je la représentais telle quelle, je lui
donnerais du crédit. Or je trouve qu’elle n’est pas
légitime et qu’il est préférable de s’en moquer.
Art Grabov, dans votre pièce Passages et portes,
une très jeune femme fait la rencontre d’un homme
dans le wagon d’un métro vide d’une ville, la nuit.
Leur identité reste incertaine et ambiguë jusqu’à la
fin du voyage. Père et fille, ils pourraient être mari
et femme, frère et sœur, ou simplement homme et
femme, jouant des rôles sociaux sur la scène d’une
métropole moderne.
Le texte se compose en 14 brèves conversations sur 14
stations de métro. Ces stations portent toutes le nom
d’une institution emblématique d’une ville occiden-
tale et renvoient aux stations du Chemin de Croix.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Art Grabov : Quand je me suis lancé dans l’écri-
ture de cette pièce, le plus important pour moi
c’était de montrer les deux niveaux de la vie de
l’homme. Un premier niveau basé sur les rap-
ports superficiels qu’on entretient avec les autres,
et un second niveau qui interroge l’espace de la
relation avec soi-même. Je suis parti du thème du
projet “Oser le dire… pouvoir le faire ?”, mais
je ne comprenais pas exactement sa signification.
Finalement, c’est son côté énigmatique qui m’a
le plus inspiré. Cette phrase induit l’idée d’une
opposition entre deux mondes : un monde dans
lequel on parle et un monde dans lequel on agit.
Le simple fait de parler avec quelqu’un nous
pousse à produire des actes qui interagissent avec
les autres. Pour cette pièce, je voulais dynamiser
la langue en introduisant ce rapport avec l’autre.
C’est pour ça que tout le texte est une suite de
dialogues courts qui agissent assez violemment
sur les personnages. Je ne voulais pas raconter
d’histoire, seulement provoquer une série de ren-
contres et voir ce qu’il se passe.
Dans votre pièce les personnages se rencontrent pour
la première fois. Ils ont des choses importantes à se
dire mais ils sont en butte avec leurs émotions, avec le
langage, avec l’autre qui impose son propre schéma.
Communiquer est une épreuve. Qu’est-ce que ça
raconte ?
Art Grabov : Cette impossible communication
entre les êtres est le thème de toute la dramatur-
gie du XXème siècle. Cette pièce est malgré tout
basée sur le dialogue. Je voulais inverser cette
tendance dans le théâtre contemporain qui veut
que l’absence de communication soit l’absence de
rencontre. Ces personnages luttent les uns contre
les autres, ils se font mal parce qu’ils savent la
valeur de la rencontre. Ce qui est important c’est
qu’ils ne baissent pas les bras, qu’ils essayent mal-
gré tout de se rencontrer et de se trouver. On est
rentré depuis peu dans le XXIème siècle. On se
rend compte de tout ce qu’on a perdu et qu’on
Vous savez, Carric, au fond, j’ai un bon pressentiment dans tout ça. Nous
faisons partie de quelque chose, vous et moi, du changement. L’Histoire,
vous comprenez, l’Histoire !
Si vous croyez, monsieur le président.
Oui, je crois. Et tant que nous, vous et moi, conservons de la tenue, nous
existons aussi en tant que civilisation et en tant qu’État. Deux hommes et
un territoire. Dieu sait qu’on n’a pas besoin de plus en tant qu’État. Vous et
moi. Moi et vous. Et des hiérarchies. Ça les arrangerait, ces sauvages, que
nous nous disloquions, que nous jetions par-dessus bord nos valeurs. Mais
nous n’allons pas le faire. N’est-ce pas Carric ?
Monsieur le président, permettez-moi de faire un commentaire, mais tant
que vous existez et je vous vois clairement devant moi en chair et en os, ce
pays continuera d’exister.
Vous avez très bien dit ça, Carric.
Merci, monsieur le président.
Embrassons la terre.
Afrocalypse (extrait), de Philipp Löhle, traduction Ruth Orthmann.
Président :
Carric :
Président :
Carric :
Président :
Carric :
Un temps.
Président :
Philipp Löhle et Ruth Orthmann © Nathaniel Baruch
4/8
n’a pas encore reconstruit. Les personnages de
ma pièce ont conscience qu’ils ont besoin l’un de
l’autre, mais ils n’ont pas les outils, pas de mode
d’emploi. Ils utilisent un langage qui a perdu
son pouvoir de communication mais il n’y a pas
d’autres langages. Ils se rendent compte qu’il y
a quelque chose de vain dans leurs paroles. Ils
essaient de lutter avec ça et de dépasser cet obs-
tacle. En même temps, la parole devient une
sorte d’agression, un moyen de s’en prendre à
l’autre.
Werner Fritsch, vous êtes dramaturge et poète. Pour
Arti e Parole, vous avez écrit un poème Langues
de feu qui fera l’objet d’un traitement scénique au
même titre que les deux pièces de théâtre. En résumé,
un homme est assis près d’un feu. Il s’endort, rêve.
Dans la lumière des langues du feu, enveloppé d’obs-
curité, ressurgit en lui les non-dits, l’indicible. Les
ombres des morts bien-aimés viennent le visiter dans
son sommeil…
Werner Fritsch : Pour ce poème, j’ai choisi cette
image d’un homme assis auprès d’un feu parce
qu’il est perméable à toutes sortes d’inspirations
qui viennent de ce feu. Des pensées qui se mani-
festent et qu’il reçoit. Il y a un aspect autobiogra-
phique évident dans mon texte qui vient s’impri-
mer sur le personnage, mais j’écris aussi pour que
le spectateur se remémore ses propres souvenirs à
travers cet homme : par des réminiscences, par le
souvenir d’un être cher disparu qui revient nous
visiter et que chacun va projeter pour lui-même.
C’est ça aussi la perméabilité : savoir recevoir
ce qui se dit et pouvoir s’y projeter. J’ai écrit
une quarantaine de pièces de théâtre jusqu’ici.
Quand on écrit une pièce, on parle comme sous
des masques en s’incarnant à travers des person-
nages. Mon travail prend désormais un chemin
plus autobiographique.
Votre poème appelle le corps d’une façon singulière, il
renvoie en cela au théâtre. La frontière entre les deux
genres est ténue.
Werner Frtisch : À 13 ans je voulais faire de la
musique comme Jimy Hendrix. Je jouais sur ma
guitare jusqu’à avoir les mains en sang, mais les
gens partaient. Alors je suis passé à l’écriture. J’ai
commencé à écrire de la poésie. À 18 ans j’avais
essayé toutes sortes de styles différents. Ensuite,
j’ai fait beaucoup de théâtre, mais c’était plutôt
de la performance physique sans parole, basée sur
un travail du corps. J’ai fait du cinéma aussi…
J’espère que toutes ces expériences se retrouvent
d’une certaine manière dans ce que j’écris.
Ce thème, « Oser le dire… pouvoir le faire ? », com-
ment l’avez-vous abordé ?
Werner Fritsch : Dans un premier temps, j’ai
écrit tout à fait autre chose. Et en janvier, quand
j’ai rencontré Ruth Orthmann, la traductrice,
j’ai réalisé que ça n’allait pas, que ce n’était pas la
bonne direction. Du coup, j’ai tout changé. Je me
suis mis sous pression. Et puis j’ai pensé que le
défi de ce thème pouvait se rapprocher du thème
faustien sur lequel je travaillais. J’étais dans mon
jardin, assis auprès d’un feu, et tout à coup je me
suis dit : c’est ça le personnage, la manière dont
il doit fonctionner à l’intérieur de ce thème. Je
travaille depuis un certain temps sur un grand
projet multimédia lié au mythe de Faust. Je ne
crois pas qu’on puisse incarner Faust avec un seul
personnage, il représente quelque chose de beau-
coup plus vaste et de perméable. En tout cas,
j’essaye de faire quelque chose de perméable et
de réceptif avec ce personnage.
Et vous Art Grabov, quel sens donnez-vous à ce
thème ?
Art Grabov : Disons que les personnages se re-
trouvent dans des situations qu’ils n’ont pas choi-
sies mais ils doivent réagir de façon très concrète.
Oser le dire, pouvoir le faire : autrement dit, c’est
facile de dire les choses mais les conséquences
doivent être dans l’espace réel.
Vous dîtes que les personnages n’ont pas choisi la si-
tuation dans laquelle ils se trouvent mais c’est le père
qui provoque les retrouvailles avec sa fille ?
Imaginons que je retrouve ma fille vingt ans
après sa naissance. Le seul moyen pour renouer le
contact, c’est le langage. Il faut se parler, se don-
ner des explications dans un temps très court.
Ils essayent de se retrouver mais en même temps
ils luttent, ils se font du mal. D’où l’importante
référence au chemin de croix dans mon texte et
à cet état de souffrance perpétuelle où le rôle de
celui qui souffre et de celui qui fait mal permute.
Philipp Löhle, quelles sont les contraintes que vous
avez rencontrées par rapport à la commande d’écri-
ture ?
Philipp Löhle : J’avais des contraintes formelles.
On m’a demandé d’écrire une pièce courte d’en-
viron vingt minutes pour deux personnages.
Ensuite, il y avait le sujet que je n’ai pas bien
compris : Oser le dire, pouvoir le faire. Je devais
me l’approprier. C’est ce qui est formidable au
théâtre  : avec deux personnages et une demie
heure, on peut raconter le monde entier. On a
besoin de très peu de choses.
Vous parvenez à traduire les contradictions de notre
époque avec beaucoup de sagacité et d’ironie dans vos
dialogues, grâce à des échanges brefs et sarcastiques
portés par un duo de personnages clownesques. Pou-
vez-vous nous en dire un peu plus ?
Philipp Löhle : Oui. Ça vient aussi du fait que
la relation Europe-Afrique est dédoublée par la
relation président-adjudant, maître-serviteur.
Avec cette relation de classes évidente qui vient
en écho. Tous les deux y tiennent d’ailleurs. La
civilisation c’est un haut et un bas. Celui qui
est en bas tient à rester en bas et celui qui est
en haut tient à rester en haut. Ceci n’est pas re-
mis en cause. Quand le président congédie son
adjudant, celui-ci pourrait très bien s’en aller re-
joindre les africains. Mais au fond, quand tout ce
qu’on connaît est en train de se défaire, on essaie
toujours de s’y raccrocher. Ça a à voir avec notre
peur, notre angoisse de l’inconnu. C’est pour ça
aussi que ce texte devait être une comédie. La
peur il faut la traiter d’une façon comique, si
on la présente d’une façon sérieuse, on ne s’en
dégage pas.
Que raconte la relation du président à son adjudant
Carric ? Déchus et isolés du reste du monde, ils sont
comme les derniers représentants du pouvoir dans
notre civilisation européenne.
Philipp Löhle : Le personnage du président n’est
pas un méchant. Tout est toujours dit avec dou-
ceur. On n’est pas dans un rapport de lutte des
classes, Il n’y a pas de colère. Quand le président
demande à son adjudant de se mettre à genoux
pour embrasser la terre, le président se met lui-
même à genoux mais entre-temps il oublie d’em-
brasser la terre alors qu’il voulait le faire. Il ne
cherche pas à humilier Carric. Leur relation ne
Pourquoi je devrais te croire ?
Parce qu’on est seuls ici.
N’oublie pas que j’ai ça.
Et moi j’ai juste ce que je peux
dire.
Et qu’est-ce que je dois en faire ?
Utilise ton arme.
Quoi ? J’entends rien !
Je t’aime !
Fais attention à ce que tu dis !
J’entends rien !
Tu te vides en moi avec ces
« je t’aime » et tu crois quoi ?
Je dois l’avaler ?
Tu peux me cracher dessus.
Passages et portes (extrait),
d’Art Grabov,
traduction Cécile Bocianowski.
Elle :
Lui :
Elle :
Lui :
Elle :
Lui :
Elle :
Lui :
Elle :
Lui :
Elle :
Lui :
Elle montre le paralyseur
Le train grince bruyamment
Grincement aigu du train
Le Train grince pendant un long moment
et s’arrête enfin.
repose pas sur la peur. C’est juste une question de
hiérarchie. Là où le comportement du président
est en décalage, c’est qu’il ne va jamais saisir la
situation existentielle dans laquelle il se trouve.
Il essaye de garder le rapport princier au fin fond
d’une forêt. Carric est plus lucide. Il y en a un qui
a peur de crever de faim et l’autre qui se pose des
questions sur la faiblesse de la nature humaine.
Il s’interroge sur sa magnanimité, le pardon des
Princes.
Art Grabov, qui sont vos personnages, des avatars de
la civilisation contemporaine ?
Art Grabov : Ce sont des everymen. Ils sont
comme un seul être, à la fois homme et femme.
J’ai ajouté un sous-titre à ma pièce « une cho-
régraphie pour deux voix dans la foule ». C’est
important pour moi parce qu’à côté des dialo-
gues, on entend des voix dans la foule. Du coup,
le héros se retrouve au milieu de ce brouhaha. Il
n’est personne, c’est un everyman. C’est comme
un recours conscient au héros du Moyen-âge.
Les spectacles médiévaux étaient joués sur les
places publiques. On suivait la représentation
en se déplaçant d’un endroit à l’autre de la ville.
D’où le lien avec le métro souterrain qui relie les
quartiers les plus importants de la métropole.
Ici, le trajet se fait de façon souterraine. Il traduit
ce qui est invisible à la surface, c’est à dire cette
souffrance individuelle qui reste cachée et qui se
joue dans les profondeurs de l’être. Les stations
de métro renvoient directement aux stations du
chemin de croix et aux différentes étapes de notre
chemin existentiel. Comme par exemple la pre-
mière station – celle de la condamnation – ou
encore la chute. Toutes traduisent d’une certaine
façon les différents obstacles de notre vie.
A chacun sa petite croix comme dirait Beckett. J’ai
l’impression que l’homme contemporain dans votre
pièce ne s’est pas libéré de l’héritage chrétien ?
Art Grabov : Le thème religieux n’est pas traité
en tant que tel, il sert de support pour raconter
quelque chose qui a plus à voir avec la vie intime.
C’est pour ça que l’action se passe sous terre. A la
surface, il y a cette vie institutionnelle qui est un
peu étrangère à l’être et dans laquelle on ne voit
pas ce qui se passe intérieurement. Je me moque
de savoir qui sont les personnages et quelle est
leur histoire. Ce qui compte c’est la situation de
rencontre, la situation de dialogue entre eux. Il
faut s’imaginer rencontrer quelqu’un d’inconnu
dans le métro qui tout à coup va occuper une
place importante dans notre vie émotionnelle.
Comment réagir à ça ? Le langage finalement,
c’est la seule chose qui les relie. Éliminer l’action
et l’histoire pour se concentrer exclusivement sur
ce qui résulte d’une rencontre directe.
Werner Fritsch, dans votre poème vous faites réfé-
rence à Goethe, aux voyages en Italie, à Dante, vous
convoquez Perséphone... La mort recouvre tous les
paysages. N’est-ce pas chez vous la mort de tout ce
qui nous précède ? Celle des êtres aimés, mais aussi
celle de notre culture et de notre histoire ? On pense à
Heiner Müller et au “ci-gît” du théâtre.
Werner Fritsch : C’est Jean Genet qui disait qu’il
faudrait faire du théâtre aux abords des cime-
tières, pour les morts. J’aime bien cette idée-là.
Le théâtre par nature fait revivre les morts. C’est
vrai aussi pour la littérature. Dans l’Odyssée
d’Homère, Ulysse convoque les âmes des morts
au royaume d’Hadès. Il s’entretient avec Tirésias,
Achille et aussi avec sa mère.
Mais les couleurs sont chatoyantes…
Werner Fritsch : Oui. Les couleurs sont très im-
portantes pour moi. Dans la littérature moderne,
quand on pense à Kafka, Bernhardt ou Beckett,
on a l’impression de vivre dans un monde gris.
En noir et blanc. Moi je vois beaucoup de cou-
leurs, je m’inscris plutôt dans la suite de Rim-
baud et de ses Voyelles.
Ruth Orthmann, quelle a été la plus grande difficulté
dans la traduction du poème de Werner Fritsch ; je
pense notamment à la spécificité de sa langue in-
croyablement riche et précise ?
Ruth Orthmann : C’est toute la difficulté de la
poésie. Il ne suffit pas de faire passer un message,
il faut rendre compte de la beauté de la langue,
trouver les mots justes, ceux dont la sonorité
pourra le mieux évoquer l’effet recherché par
l’auteur. Ce n’est pas toujours possible. Par
exemple, il y a tout un jeu sur la qualité liquide
de la lumière avec beaucoup de mots au début de
son poème. J’ai cherché des termes aussi liquides
en français qui sonnent de la même façon, mais
5/8
Art Grabov et Cécile Bocianowski © Nathaniel Baruch
6/8
I. HOMME Feu. Nuit.
Au commencement il y a le souffle
Et le souffle va
À travers moi le souffle
Qui vent s’engouffre dans le feu
De branches de chêne et
De maigres brindilles de genièvre
Déchaîne une tempête d’étincelles
Serpents de braise
Queues de comètes en flèches
Montent vers le ciel étoilé
Et s’éteignent à la hauteur
Des cimes des érables ou
Jaillissent dans les ombelles étoilées
Des fleurs de sureau
Est-ce que toutes les étincelles volantes
Sont les images des âmes
Qu’en ce moment
Quitte le souffle
Langues de feu (extrait),
de Werner Fritsch,
traduction Ruth Orthmann.
ce n’est pas toujours facile. De plus, le texte n’a
pas de ponctuation et il fonctionne par enjam-
bements. En allemand, les mots sont reliés entre
eux d’une certaine façon mais en français cela
peut créer des incongruités. C’est un travail déli-
cat qui demande beaucoup de doigté.
Werner Fritsch, est-ce la première fois que vous êtes
traduit et joué en France ?
Werner Fritsch : Oui. La dernière fois c’était à
l’occasion d’une lecture au Théâtre National de la
Colline avec ma femme. Il y a 20 ans !
J’ai été très agréablement surpris par la démarche
des comédiens pendant la journée de laboratoire
que vous avez consacré à mon texte. J’ai aimé
la manière dont ils ont distribué la parole, très
librement, d’une façon chorale et morcelée. Les
comédiens ont généralement tendance à s’accro-
cher au personnage de manière conventionnelle.
Je vais à Cologne ce week-end pour assister au
travail d’un metteur en scène et d’un musicien
sur l’un de mes textes. Eux non plus ne sont pas
dans un travail d’incarnation. C’est très juste
comme démarche, ça a à voir avec le démem-
brement dont il est justement question dans ce
poème.
Le projet de création entend faire dialoguer le théâtre
et l’architecture. On retrouve cette problématique
dans votre pièce Art Grabov. Comment avez-vous
articulé la relation entre les deux ?
Art Grabov : L’architecture contemporaine est un
espace d’étrangeté et en même temps une forme
d’agression. Nous nous comportons comme l’ar-
chitecture d’une ville nous oblige à le faire. Ça a
une conséquence sur nos sentiments, notre ma-
nière d’être, mais aussi sur notre corps et notre
façon de nous déplacer à l’intérieur de ça. Dans
ma pièce, les personnages font plusieurs fois réfé-
rence à leur propre rapport à l’architecture. C’est
un peu comme si l’homme contemporain était
l’esclave de cet espace entièrement délimité par
l’architecture des immeubles de la ville. Le tra-
jet en métro est assez métaphorique en cela. Il
se déplace dans une ville qui n’est qu’une suite
de signes et qui n’existe pas réellement. C’est
comme un voyage intérieur dans un espace qui
est à la fois intime, enfoui, et qui raconte quelque
chose de notre civilisation.
On connaît très mal les auteurs dramatiques polo-
nais en France. Qu’est-ce qui fait la spécificité de la
langue et de la culture polonaise ?
Werner Fritsch © Nathaniel Baruch
7/8
Cécile Bocianowski (traductrice d’Art Grabov):
La langue française demande à être beaucoup
plus précise que la langue polonaise. Dans le
polonais, il y a une force allusive que l’on perd
quand on veut la traduire en français. Elle se
perd en partie seulement parce qu’on a d’autres
outils qui nous permettent d’en rendre compte.
Art Grabov : La langue française est plus ancrée
socialement que la langue polonaise qui est plus
sauvage. Comme si en français on cherchait à
s’exprimer par le biais de schémas déjà préétablis,
alors qu’en polonais on crée son individualité
dans le langage-même. Le théâtre polonais adore
les néologismes, il adore jouer avec la construc-
tion du langage.
L’atmosphère est très opaque et prégnante dans votre
pièce. Votre écriture rappelle les auteurs scandinaves.
Art Grabov : C’est vrai. Strindberg ou Bergmann
sont aussi mes référents.
C’est un peu Sarah Kane qui aurait rencontré Mae-
terlinck.
Art Grabov : C’est une bonne référence. Je pense
notamment à une pièce de Sarah Kane : Manque
(Crave).
Entretien réalisé par Claire Lintignat
décembre 2011
NOTE
Let’s make money, documentaire réalisé par
Erwin Wagenhofer en 2009. L’ambition du do-
cumentaire est de tirer le portrait de la planète
sous le joug de la finance internationale. A tra-
vers les témoignages des différents acteurs de
ce système, le réalisateur nous révèle les dérives
d’une économie sans garde-fou : paradis fiscaux,
chantage économique, investissements fictifs,
etc. Ce film montre les dérives du système libéral
et des conséquences humaines, démographiques
et écologiques.
Philipp Löhle est un
auteur dramatique alle-
mand, né en 1978 à
Ravensbourg. Il a étu-
dié l’histoire, le théâtre,
les sciences des médias,
ainsi que la littérature
allemande à Erlangen
et à Rome. Pendant ses
études, il travaille en tant
que journaliste et colla-
bore à des court-métrages et des documentaires.
Il écrit plusieurs pièces très remarquées, comme
Kauf-Land en 2005, Die Kaperer, créée en 2008
à Vienne, et Big Mitmache, présentée dans le
cadre du projet «  60 Jahre Deutschland  » à la
Schaubühne de Berlin en 2007. Il participe éga-
lement à une résidence d’écriture au Royal Court
Theatre de Londres. En 2007, il remporte le prix
du Stückemarkt. Sa pièce Dénommé Gospodin
(Genannt Gospodin) lui vaut plusieurs récom-
penses  : une bourse de la Bundervesband der
Deuschen Industrie et une nomination au Mül-
heimer Dramatikerpreis en 2008. La pièce est
d’abord créée au Schauspielhaus de Bochum en
2007. En France, la pièce reçoit l’aide à la créa-
tion. Elle est mise en espace par Benoît Lambert
dans le cadre des 40 ans de Théâtre Ouvert au
Festival d’Avignon en 2011. Elle est éditée aux
PUM (Presses Universitaires du Mirail). Cette
même année, il remporte le prix du jury du Hei-
delberg Stückemarkt ainsi que le Prix du théâtre
jeunesse du Baden-Württemberg pour Lily Link,
et monte une pièce destinée au jeune public, en
coopération avec le théâtre Aalen. De 2008 à
2010, Philpp Löhle est dramaturge en résidence
au théâtre Maxime Gorki de Berlin.
Art Grabov (Artur Gra-
bowski) est un auteur
dramatique polonais, né
en 1967 à Cracovie. Il a
étudié la littérature et la
philosophie et a enseigné
durant plusieurs années.
Il a débuté comme poète
et critique dans le maga-
zine Brulion. Il publie
plusieurs recueils (From
the Stage Directions, The Duel, Beginning in the
Earth, A Gray Man, et Shining), ainsi que des
traités poétiques (Verse -Form et Meaning), et
deux essais (Cage with a View et The Sensua-
lized). Il écrit également une brève tragi-comédie
européenne, The Well, primée dans sa version
italienne en 2001. Dans le même temps, il crée
aux États-Unis une série de micro-tragédies (The
virtues of Western Civilization), produites en
2008 en Croatie, travaille comme dramaturge
pour le American Theater, et dirige des ateliers
de théâtre. Lors de ses nombreux séjours aux
États-Unis, il enseigne la littérature, le théâtre
et la poésie à Chicago, Seattle, et Buffalo. Il a
écrit de nombreuses nouvelles, traduit des poètes
américains et italiens, et collabore régulièrement
au mensuel Teatr. Translating the Goat’s song et
Passages et portes sont ses deux dernières pièces.
Ses œuvres sont jouées en Pologne, en Italie, en
Croatie, aux États-Unis et pour la première fois
en France avec Passages et portes, création Arti e
Parole, 2012.
Site internet de l’auteur : www.grabowski.art.pl
Werner Fritsch est un au-
teur dramatique allemand
qui a émergé à la fin des
années 1990. En 1987,
la parution de son roman
Cherubim fait une sortie
très remarquée. Il écrit de
nombreuses pièces (Chro-
ma, Hydra Krieg, Bach
et Wondreber Totentanz)
ainsi que des monolo-
gues (Sense, Jenseits, Nico et Das Rad des Glücks)
pour la scène, la radio et le cinéma. Il publie de
la prose (Steinbruch et Stechapfel), et tourne plu-
sieurs films (Das sind die Gewitter in der Natur,
Ich wie ein Vogel et Faust Sonnengesang I). Ses
œuvres ont reçu plusieurs prix, notamment le
Prix Robert-Walser, le Prix des aveugles de la
guerre et le Prix Else-Lasker-Schüler. Sa pièce
radiophonique Enigma Emmy Göring obtint
le prix de la meilleure pièce radiophonique en
2006, le Prix allemand de la pièce radiophonique
2007, organisé par ARD, et le prix allemand du
livre audio 2008. Werner Fritsch est membre du
Club PEN et de l’académie des Beaux Arts bava-
rois. Il vit entre Hendelmühle et Berlin.
Ruth Orthmann est
traductrice, de nationa-
lité allemande et fran-
çaise. Elle est installée
en France depuis 1985.
Elle a fait des études de
Lettres et de Théâtre à la
Sorbonne Nouvelle tout
en suivant une formation
de comédienne auprès
d’Antoine Vitez à L’École
de Chaillot. Elle joue notamment sous la direc-
tion d’André Engel, Yannis Kokkos et Eloi Re-
coing. Elle collabore aux mises en scène d’André
Engel, de Jean-Louis Martinelli et de Jean-Louis
Martinoty. Elle écrit une nouvelle version des
dialogues de l’opéra Oberon, de C.M. von Weber
pour le Théâtre du Capitole en 2011. Outre un
certain nombre d’articles et de sur-titrages pour
la MC 93 de Bobigny, elle traduit, à l’initiative
de la Maison Antoine Vitez, Welcome Home, de
Ruth Schweikert et Dénommé Gospodin, de Phi-
lipp Löhle. Avec une bourse du Goethe Institut
elle traduit Les Accapareurs, de Philipp Löhle.
En collaboration avec Eloi Recoing, elle traduit
le Théâtre complet de Heinrich von Kleist (éd.
Actes Sud-Papiers), Franziska et L’esprit de la
BIOGRAPHIES
Oser le dire… Pouvoir le faire ?
(premier volet) : textes de Philipp Löhle,
Werner Fritsch et Art Grabov, les 20,
22, et 23 juin 2012 au Goethe Institut,
dans une mise en scène de Patrizia Buzzi
Barone. Une création originale de l’asso-
ciation Arti e Parole. Second volet prévu
pour la rentrée de septembre 2012.
SPECTACLE
Présidente : Patrizia Buzzi Barone
Responsable du journal : Claire Lintignat
Conception graphique et maquette : Jules Le Barazer
Diffusion : Arti e parole
Association loi 1901 – Siret n°483 328 068 00018 – Licence entrepreneur de spectacle N°7501586
ARTI E PAROLE
20 rue de l’Université 75007 PARIS
tél : +33 (0)1 42 60 49 61 / fax : +33 (0)1 42 60 64 01
contact@artieparole.com
www.artieparole.com
8/8
Nous remercions pour son accueil la Librairie du Théâtre du Rond-Point, partenaire du Journal Le Cercle,
en la personne de sa directrice Claudia de Bonis.
terre, de Frank Wedekind (éditions théâtrales),
Le constructeur Solness, d’Ibsen (éd. Actes Sud-
Papiers), et Têtes rondes et têtes pointues, de
Brecht (l’Arche Éditeur). Depuis la fondation
de la Maison Antoine Vitez, elle est membre du
comité allemand dont elle est la coordinatrice
depuis janvier 2008.
Cécile Bocianowski
est traductrice. Née
en France d’un couple
franco-polonais, elle est
diplômée de Lettres de
la Sorbonne et de Lettres
polonaises de l’Univer-
sité de Varsovie où elle
a vécu plusieurs années.
Elle prépare une thèse de
Littérature comparée à la
Sorbonne sur les dramaturgies du grotesque en
Europe au XXe siècle. Ses recherches portent sur
le théâtre européen, en particulier polonais, ita-
lien, espagnol et francophone. Elle a traduit des
pièces de Michał Walczak, jeune talent du théâtre
polonais contemporain et la dernière pièce de
Tadeusz Słobodzianek, Notre Classe, qui a reçu
le prix Nike 2010, le prix littéraire le plus impor-
tant en Pologne. Elle anime des rencontres avec
des auteurs, elle collabore avec les universités de
la Sorbonne et de Varsovie pour des traductions
littéraires et universitaires ainsi qu’avec la revue
Slavica Bruxellensia de l’Université de Bruxelles.
Elle est l’auteur des sous-titres du film Koniec
Nocy, projeté dans le cadre du festival « Łódź en
Seine » à Paris en 2010. Elle corédige aux Presses
Universitaires de Varsovie un premier volume bi-
lingue consacré aux inédits de la traduction polo-
naise autour de la pièce naturaliste La Morale de
Mme Dulska de Gabriela Zapolska, et prépare le
second volume Fantazy, de Juliusz Słowacki.
Portraits accompagnant les biographies
© Nathaniel Baruch
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Claire Lintignat, Philipp Löhle, Ruth Orthmann, Werner Fritsch, Art Grabov et Cécile Bocianowski © Nathaniel Baruch
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  • 1. N° 7 - Printemps 2012 OSER LE DIRE... POUVOIR LE FAIRE? PAROLES D’AUTEURS Pour son septième numéro, Le Cercle donne la parole aux auteurs du projet artistique Oser le dire… Pouvoir le faire ?, conduit par l’association Arti e Parole. J’ai nommé : les dramaturges et poètes allemands Philipp Löhle et Werner Fritsch, et l’auteur polonais Art Grabov. Peu connus en France, ils témoignent des mutations profondes de la forme dramatique du XXIe siècle. Un regard original sur le monde qui éclaire les enjeux d’aujourd’hui à travers un univers littéraire singulier. Avec les auteurs Philipp Löhle, Werner Fritsch et Art Grabov, et les traductrices Ruth Orthmann et Cécile Bocianovski. Claire Lintignat, Philipp Löhle, Ruth Orthmann, Werner Fritsch, Art Grabov et Cécile Bocianowski © Nathaniel Baruch
  • 2. 2/8 Oser le dire… Pouvoir le faire ?, un projet théâtral de l’association ARTI e PAROLE. Après un numéro spécial humour sur le même argument, Le Cercle donne la parole aux auteurs. Oser le dire… Pouvoir le faire?, est un projet théâtral inédit et ouvert au public composé de laboratoires et de débats, dans lesquels un collectif d’artistes et citoyens s’interrogent sur le binôme «Liberté d’imagination / Liberté d’action », dans le champs de l’art et de la vie citoyenne.  Ce projet se présente en plusieurs étapes et sous différentes formes. De coopération internationale, il est mené conjointement avec des partenaires allemands, polonais, italiens, français, mexicains, et bénéficie du soutien du Programme Culture de la Commission européenne. Il donnera lieu à plusieurs manifestations en France et à l’étranger : Par la création d’un spectacle pluriel ma- riant les différents univers du théâtre, du cinéma et de l’architecture (avec une créa- tion en deux volets sur des textes répon- dant à une commande d’écriture passée à des auteurs européens émergeants ou encore inconnus sur le territoire français). Par l’organisation de laboratoires artis- tiques avec des comédiens et des écoles d’art, en présences des artistes associés au projet qui tenteront une approche inédite de leur art ; Et par l’organisation d’un débat public sur le thème «  Oser le dire… Pouvoir le faire ? » avec des personnalités de la société civile, en collaboration avec des élèves de Science Po Paris et une université franci- lienne. Tous, artistes et citoyens français, alle- mands, polonais, italiens et mexicain offri- ront un regard différent sur le sujet à tra- vers une réflexion artistique et citoyenne. L’objectif ? Faire dialoguer les langages de l’art, évaluer leur puissance, leur capacité de suggestion et d’imagination à l’échelle de nos démocraties. L’association franco-italienne, ARTI e PAROLE a pour but la création d’œuvres théâtrales inédites et le soutien de toutes les formes d’expressions artistiques qui peuvent intervenir dans la représentation scénique  : musique, scénographie, archi- tecture, cinéma, peinture, design... EDITO ENTRETIEN PUBLIC Librairie du Rond-Point OSER LE DIRE... POUVOIR LE FAIRE? Selon Philipp Löhle, Werner Fritsch et Art Grabov Nous leur avons donné rendez-vous pour un entretien public à la librairie du Théâtre du Rond-Point, haut lieu des écritures dramatiques contemporaines, pour qu’ils nous parlent du texte qu’ils ont écrit pour l’association Arti e Parole sur le thème « Oser le dire… Pouvoir le faire ? », chacun avec une forme brève de 20mn pour deux personnages. L’écriture terminée, les voici à Paris pour quelques jours où ils se rencontrent pour la première fois à l’occasion d’un laboratoire artistique avec l’équipe du projet. Ils sont accompagnés des traductrices Ruth Orthmann et Cécile Bocianovski qui ont traduit leurs textes – deux pièces de théâtre et un poème – et qui sont aussi les premières ambassadrices des auteurs auprès de la profession. Curieux de confronter leur point de vue d’auteur, leur approche du théâtre, et d’autant plus intéressés que ces textes feront l’objet d’un même spectacle (les 20,22 et 23 juin prochain au Goethe Institut), nous sommes allé à leur rencontre afin d’en savoir un peu plus… Petit tour d’horizon avant la création ! Werner Fritsch, Art Grabov et Cécile Bocianowski © Nathaniel Baruch Claire Lintignat : Philipp Löhle, vous êtes en France aujourd’hui pour nous parler de votre pièce Afroca- lypse, écrite dans le cadre d’une commande d’écriture pour Arti e Parole. En résumé, l’Europe est envahie. Un ancien président et son adjudant se réfugient dans une forêt sombre, ils transportent avec eux le cadavre de l’épouse du président. Ils souhaitent enterrer le corps mais voilà, d’abord il faut manger... Le sujet est sin- gulier et la fable efficace. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Philipp Löhle : Je suis parti d’un film documen- taire, Let’s make money*. Dans le film, on voit des paysans burkinabés qui cultivent le coton. L’un des personnages responsable des plantations nous dit à un moment que quelque soit la hauteur des murs que l’Europe construit autour d’elle pour se protéger, il y a aura bientôt une telle foule, une telle masse d’africains aux frontières de l’Europe, qu’ils franchiront de toute façon les murs les plus hauts. Ma pièce part de cette idée-là, d’un flot d’africains qui a submergé l’Europe. Les “non- civilisés” viennent envahir la civilisation. Ce qui provoque chez les dits civilisés des comportements et des manières de faire qu’on attribue générale- ment par cliché aux africains. Avec cette peur face à l’étranger qui reste présente. Quand il y a eu le Printemps arabe, des milliers de réfugiés ont cherché à gagner l’Europe par la mer, affluant sur l’île de Lampedusa, parfois dans des conditions très dangereuses. L’île italienne est devenue la principale porte d’entrée de l’immigra- tion illégale en Europe. A ce moment-là il y a eu tout un marchandage entre les pays européens. C’est là que j’ai pris conscience de tout ce que l’Europe à mis en place pour maintenir ses fron- tières fermées. En Allemagne, tout le monde félici- tait ce formidable soulèvement des peuples pour la liberté mais du moment qu’ils restent chez eux. Je trouve qu’on a traité le sujet de façon mensongère.
  • 3. 3/8 On a l’habitude des pièces politiques dans le théâtre allemand mais elles font rarement l’objet d’un trai- tement humoristique. Pourquoi avez-vous écrit une tragi-comédie ? C’est une forme que vous affectionnez particulièrement. En quoi sert-elle le discours poli- tique ? Philipp Löhle : C’est vrai, au bout du compte je finis toujours par écrire des tragi-comédies. Le traitement tragi-comique me semble plus adap- té à ce type de sujet parce qu’il permet d’éviter l’ennui sans gommer le sérieux. Quand les gens commencent à discuter politique, ils parlent tou- jours très sérieusement. Au théâtre, on peut au moins en rire. Et puis j’ai quand même l’impres- sion que le côté noir de cette histoire dans le fond se traduit mieux à travers la forme comique et grotesque. C’est certainement plus percutant que si j’avais essayé de faire une belle et grande tragédie en une demi-heure. On aurait eu du mal à y croire. Dans cette pièce, je parle des peurs des gens, de cette peur viscérale chez les euro- péens, de l’étranger qui pourrait venir s’installer chez lui. Si je la représentais telle quelle, je lui donnerais du crédit. Or je trouve qu’elle n’est pas légitime et qu’il est préférable de s’en moquer. Art Grabov, dans votre pièce Passages et portes, une très jeune femme fait la rencontre d’un homme dans le wagon d’un métro vide d’une ville, la nuit. Leur identité reste incertaine et ambiguë jusqu’à la fin du voyage. Père et fille, ils pourraient être mari et femme, frère et sœur, ou simplement homme et femme, jouant des rôles sociaux sur la scène d’une métropole moderne. Le texte se compose en 14 brèves conversations sur 14 stations de métro. Ces stations portent toutes le nom d’une institution emblématique d’une ville occiden- tale et renvoient aux stations du Chemin de Croix. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Art Grabov : Quand je me suis lancé dans l’écri- ture de cette pièce, le plus important pour moi c’était de montrer les deux niveaux de la vie de l’homme. Un premier niveau basé sur les rap- ports superficiels qu’on entretient avec les autres, et un second niveau qui interroge l’espace de la relation avec soi-même. Je suis parti du thème du projet “Oser le dire… pouvoir le faire ?”, mais je ne comprenais pas exactement sa signification. Finalement, c’est son côté énigmatique qui m’a le plus inspiré. Cette phrase induit l’idée d’une opposition entre deux mondes : un monde dans lequel on parle et un monde dans lequel on agit. Le simple fait de parler avec quelqu’un nous pousse à produire des actes qui interagissent avec les autres. Pour cette pièce, je voulais dynamiser la langue en introduisant ce rapport avec l’autre. C’est pour ça que tout le texte est une suite de dialogues courts qui agissent assez violemment sur les personnages. Je ne voulais pas raconter d’histoire, seulement provoquer une série de ren- contres et voir ce qu’il se passe. Dans votre pièce les personnages se rencontrent pour la première fois. Ils ont des choses importantes à se dire mais ils sont en butte avec leurs émotions, avec le langage, avec l’autre qui impose son propre schéma. Communiquer est une épreuve. Qu’est-ce que ça raconte ? Art Grabov : Cette impossible communication entre les êtres est le thème de toute la dramatur- gie du XXème siècle. Cette pièce est malgré tout basée sur le dialogue. Je voulais inverser cette tendance dans le théâtre contemporain qui veut que l’absence de communication soit l’absence de rencontre. Ces personnages luttent les uns contre les autres, ils se font mal parce qu’ils savent la valeur de la rencontre. Ce qui est important c’est qu’ils ne baissent pas les bras, qu’ils essayent mal- gré tout de se rencontrer et de se trouver. On est rentré depuis peu dans le XXIème siècle. On se rend compte de tout ce qu’on a perdu et qu’on Vous savez, Carric, au fond, j’ai un bon pressentiment dans tout ça. Nous faisons partie de quelque chose, vous et moi, du changement. L’Histoire, vous comprenez, l’Histoire ! Si vous croyez, monsieur le président. Oui, je crois. Et tant que nous, vous et moi, conservons de la tenue, nous existons aussi en tant que civilisation et en tant qu’État. Deux hommes et un territoire. Dieu sait qu’on n’a pas besoin de plus en tant qu’État. Vous et moi. Moi et vous. Et des hiérarchies. Ça les arrangerait, ces sauvages, que nous nous disloquions, que nous jetions par-dessus bord nos valeurs. Mais nous n’allons pas le faire. N’est-ce pas Carric ? Monsieur le président, permettez-moi de faire un commentaire, mais tant que vous existez et je vous vois clairement devant moi en chair et en os, ce pays continuera d’exister. Vous avez très bien dit ça, Carric. Merci, monsieur le président. Embrassons la terre. Afrocalypse (extrait), de Philipp Löhle, traduction Ruth Orthmann. Président : Carric : Président : Carric : Président : Carric : Un temps. Président : Philipp Löhle et Ruth Orthmann © Nathaniel Baruch
  • 4. 4/8 n’a pas encore reconstruit. Les personnages de ma pièce ont conscience qu’ils ont besoin l’un de l’autre, mais ils n’ont pas les outils, pas de mode d’emploi. Ils utilisent un langage qui a perdu son pouvoir de communication mais il n’y a pas d’autres langages. Ils se rendent compte qu’il y a quelque chose de vain dans leurs paroles. Ils essaient de lutter avec ça et de dépasser cet obs- tacle. En même temps, la parole devient une sorte d’agression, un moyen de s’en prendre à l’autre. Werner Fritsch, vous êtes dramaturge et poète. Pour Arti e Parole, vous avez écrit un poème Langues de feu qui fera l’objet d’un traitement scénique au même titre que les deux pièces de théâtre. En résumé, un homme est assis près d’un feu. Il s’endort, rêve. Dans la lumière des langues du feu, enveloppé d’obs- curité, ressurgit en lui les non-dits, l’indicible. Les ombres des morts bien-aimés viennent le visiter dans son sommeil… Werner Fritsch : Pour ce poème, j’ai choisi cette image d’un homme assis auprès d’un feu parce qu’il est perméable à toutes sortes d’inspirations qui viennent de ce feu. Des pensées qui se mani- festent et qu’il reçoit. Il y a un aspect autobiogra- phique évident dans mon texte qui vient s’impri- mer sur le personnage, mais j’écris aussi pour que le spectateur se remémore ses propres souvenirs à travers cet homme : par des réminiscences, par le souvenir d’un être cher disparu qui revient nous visiter et que chacun va projeter pour lui-même. C’est ça aussi la perméabilité : savoir recevoir ce qui se dit et pouvoir s’y projeter. J’ai écrit une quarantaine de pièces de théâtre jusqu’ici. Quand on écrit une pièce, on parle comme sous des masques en s’incarnant à travers des person- nages. Mon travail prend désormais un chemin plus autobiographique. Votre poème appelle le corps d’une façon singulière, il renvoie en cela au théâtre. La frontière entre les deux genres est ténue. Werner Frtisch : À 13 ans je voulais faire de la musique comme Jimy Hendrix. Je jouais sur ma guitare jusqu’à avoir les mains en sang, mais les gens partaient. Alors je suis passé à l’écriture. J’ai commencé à écrire de la poésie. À 18 ans j’avais essayé toutes sortes de styles différents. Ensuite, j’ai fait beaucoup de théâtre, mais c’était plutôt de la performance physique sans parole, basée sur un travail du corps. J’ai fait du cinéma aussi… J’espère que toutes ces expériences se retrouvent d’une certaine manière dans ce que j’écris. Ce thème, « Oser le dire… pouvoir le faire ? », com- ment l’avez-vous abordé ? Werner Fritsch : Dans un premier temps, j’ai écrit tout à fait autre chose. Et en janvier, quand j’ai rencontré Ruth Orthmann, la traductrice, j’ai réalisé que ça n’allait pas, que ce n’était pas la bonne direction. Du coup, j’ai tout changé. Je me suis mis sous pression. Et puis j’ai pensé que le défi de ce thème pouvait se rapprocher du thème faustien sur lequel je travaillais. J’étais dans mon jardin, assis auprès d’un feu, et tout à coup je me suis dit : c’est ça le personnage, la manière dont il doit fonctionner à l’intérieur de ce thème. Je travaille depuis un certain temps sur un grand projet multimédia lié au mythe de Faust. Je ne crois pas qu’on puisse incarner Faust avec un seul personnage, il représente quelque chose de beau- coup plus vaste et de perméable. En tout cas, j’essaye de faire quelque chose de perméable et de réceptif avec ce personnage. Et vous Art Grabov, quel sens donnez-vous à ce thème ? Art Grabov : Disons que les personnages se re- trouvent dans des situations qu’ils n’ont pas choi- sies mais ils doivent réagir de façon très concrète. Oser le dire, pouvoir le faire : autrement dit, c’est facile de dire les choses mais les conséquences doivent être dans l’espace réel. Vous dîtes que les personnages n’ont pas choisi la si- tuation dans laquelle ils se trouvent mais c’est le père qui provoque les retrouvailles avec sa fille ? Imaginons que je retrouve ma fille vingt ans après sa naissance. Le seul moyen pour renouer le contact, c’est le langage. Il faut se parler, se don- ner des explications dans un temps très court. Ils essayent de se retrouver mais en même temps ils luttent, ils se font du mal. D’où l’importante référence au chemin de croix dans mon texte et à cet état de souffrance perpétuelle où le rôle de celui qui souffre et de celui qui fait mal permute. Philipp Löhle, quelles sont les contraintes que vous avez rencontrées par rapport à la commande d’écri- ture ? Philipp Löhle : J’avais des contraintes formelles. On m’a demandé d’écrire une pièce courte d’en- viron vingt minutes pour deux personnages. Ensuite, il y avait le sujet que je n’ai pas bien compris : Oser le dire, pouvoir le faire. Je devais me l’approprier. C’est ce qui est formidable au théâtre  : avec deux personnages et une demie heure, on peut raconter le monde entier. On a besoin de très peu de choses. Vous parvenez à traduire les contradictions de notre époque avec beaucoup de sagacité et d’ironie dans vos dialogues, grâce à des échanges brefs et sarcastiques portés par un duo de personnages clownesques. Pou- vez-vous nous en dire un peu plus ? Philipp Löhle : Oui. Ça vient aussi du fait que la relation Europe-Afrique est dédoublée par la relation président-adjudant, maître-serviteur. Avec cette relation de classes évidente qui vient en écho. Tous les deux y tiennent d’ailleurs. La civilisation c’est un haut et un bas. Celui qui est en bas tient à rester en bas et celui qui est en haut tient à rester en haut. Ceci n’est pas re- mis en cause. Quand le président congédie son adjudant, celui-ci pourrait très bien s’en aller re- joindre les africains. Mais au fond, quand tout ce qu’on connaît est en train de se défaire, on essaie toujours de s’y raccrocher. Ça a à voir avec notre peur, notre angoisse de l’inconnu. C’est pour ça aussi que ce texte devait être une comédie. La peur il faut la traiter d’une façon comique, si on la présente d’une façon sérieuse, on ne s’en dégage pas. Que raconte la relation du président à son adjudant Carric ? Déchus et isolés du reste du monde, ils sont comme les derniers représentants du pouvoir dans notre civilisation européenne. Philipp Löhle : Le personnage du président n’est pas un méchant. Tout est toujours dit avec dou- ceur. On n’est pas dans un rapport de lutte des classes, Il n’y a pas de colère. Quand le président demande à son adjudant de se mettre à genoux pour embrasser la terre, le président se met lui- même à genoux mais entre-temps il oublie d’em- brasser la terre alors qu’il voulait le faire. Il ne cherche pas à humilier Carric. Leur relation ne Pourquoi je devrais te croire ? Parce qu’on est seuls ici. N’oublie pas que j’ai ça. Et moi j’ai juste ce que je peux dire. Et qu’est-ce que je dois en faire ? Utilise ton arme. Quoi ? J’entends rien ! Je t’aime ! Fais attention à ce que tu dis ! J’entends rien ! Tu te vides en moi avec ces « je t’aime » et tu crois quoi ? Je dois l’avaler ? Tu peux me cracher dessus. Passages et portes (extrait), d’Art Grabov, traduction Cécile Bocianowski. Elle : Lui : Elle : Lui : Elle : Lui : Elle : Lui : Elle : Lui : Elle : Lui : Elle montre le paralyseur Le train grince bruyamment Grincement aigu du train Le Train grince pendant un long moment et s’arrête enfin.
  • 5. repose pas sur la peur. C’est juste une question de hiérarchie. Là où le comportement du président est en décalage, c’est qu’il ne va jamais saisir la situation existentielle dans laquelle il se trouve. Il essaye de garder le rapport princier au fin fond d’une forêt. Carric est plus lucide. Il y en a un qui a peur de crever de faim et l’autre qui se pose des questions sur la faiblesse de la nature humaine. Il s’interroge sur sa magnanimité, le pardon des Princes. Art Grabov, qui sont vos personnages, des avatars de la civilisation contemporaine ? Art Grabov : Ce sont des everymen. Ils sont comme un seul être, à la fois homme et femme. J’ai ajouté un sous-titre à ma pièce « une cho- régraphie pour deux voix dans la foule ». C’est important pour moi parce qu’à côté des dialo- gues, on entend des voix dans la foule. Du coup, le héros se retrouve au milieu de ce brouhaha. Il n’est personne, c’est un everyman. C’est comme un recours conscient au héros du Moyen-âge. Les spectacles médiévaux étaient joués sur les places publiques. On suivait la représentation en se déplaçant d’un endroit à l’autre de la ville. D’où le lien avec le métro souterrain qui relie les quartiers les plus importants de la métropole. Ici, le trajet se fait de façon souterraine. Il traduit ce qui est invisible à la surface, c’est à dire cette souffrance individuelle qui reste cachée et qui se joue dans les profondeurs de l’être. Les stations de métro renvoient directement aux stations du chemin de croix et aux différentes étapes de notre chemin existentiel. Comme par exemple la pre- mière station – celle de la condamnation – ou encore la chute. Toutes traduisent d’une certaine façon les différents obstacles de notre vie. A chacun sa petite croix comme dirait Beckett. J’ai l’impression que l’homme contemporain dans votre pièce ne s’est pas libéré de l’héritage chrétien ? Art Grabov : Le thème religieux n’est pas traité en tant que tel, il sert de support pour raconter quelque chose qui a plus à voir avec la vie intime. C’est pour ça que l’action se passe sous terre. A la surface, il y a cette vie institutionnelle qui est un peu étrangère à l’être et dans laquelle on ne voit pas ce qui se passe intérieurement. Je me moque de savoir qui sont les personnages et quelle est leur histoire. Ce qui compte c’est la situation de rencontre, la situation de dialogue entre eux. Il faut s’imaginer rencontrer quelqu’un d’inconnu dans le métro qui tout à coup va occuper une place importante dans notre vie émotionnelle. Comment réagir à ça ? Le langage finalement, c’est la seule chose qui les relie. Éliminer l’action et l’histoire pour se concentrer exclusivement sur ce qui résulte d’une rencontre directe. Werner Fritsch, dans votre poème vous faites réfé- rence à Goethe, aux voyages en Italie, à Dante, vous convoquez Perséphone... La mort recouvre tous les paysages. N’est-ce pas chez vous la mort de tout ce qui nous précède ? Celle des êtres aimés, mais aussi celle de notre culture et de notre histoire ? On pense à Heiner Müller et au “ci-gît” du théâtre. Werner Fritsch : C’est Jean Genet qui disait qu’il faudrait faire du théâtre aux abords des cime- tières, pour les morts. J’aime bien cette idée-là. Le théâtre par nature fait revivre les morts. C’est vrai aussi pour la littérature. Dans l’Odyssée d’Homère, Ulysse convoque les âmes des morts au royaume d’Hadès. Il s’entretient avec Tirésias, Achille et aussi avec sa mère. Mais les couleurs sont chatoyantes… Werner Fritsch : Oui. Les couleurs sont très im- portantes pour moi. Dans la littérature moderne, quand on pense à Kafka, Bernhardt ou Beckett, on a l’impression de vivre dans un monde gris. En noir et blanc. Moi je vois beaucoup de cou- leurs, je m’inscris plutôt dans la suite de Rim- baud et de ses Voyelles. Ruth Orthmann, quelle a été la plus grande difficulté dans la traduction du poème de Werner Fritsch ; je pense notamment à la spécificité de sa langue in- croyablement riche et précise ? Ruth Orthmann : C’est toute la difficulté de la poésie. Il ne suffit pas de faire passer un message, il faut rendre compte de la beauté de la langue, trouver les mots justes, ceux dont la sonorité pourra le mieux évoquer l’effet recherché par l’auteur. Ce n’est pas toujours possible. Par exemple, il y a tout un jeu sur la qualité liquide de la lumière avec beaucoup de mots au début de son poème. J’ai cherché des termes aussi liquides en français qui sonnent de la même façon, mais 5/8 Art Grabov et Cécile Bocianowski © Nathaniel Baruch
  • 6. 6/8 I. HOMME Feu. Nuit. Au commencement il y a le souffle Et le souffle va À travers moi le souffle Qui vent s’engouffre dans le feu De branches de chêne et De maigres brindilles de genièvre Déchaîne une tempête d’étincelles Serpents de braise Queues de comètes en flèches Montent vers le ciel étoilé Et s’éteignent à la hauteur Des cimes des érables ou Jaillissent dans les ombelles étoilées Des fleurs de sureau Est-ce que toutes les étincelles volantes Sont les images des âmes Qu’en ce moment Quitte le souffle Langues de feu (extrait), de Werner Fritsch, traduction Ruth Orthmann. ce n’est pas toujours facile. De plus, le texte n’a pas de ponctuation et il fonctionne par enjam- bements. En allemand, les mots sont reliés entre eux d’une certaine façon mais en français cela peut créer des incongruités. C’est un travail déli- cat qui demande beaucoup de doigté. Werner Fritsch, est-ce la première fois que vous êtes traduit et joué en France ? Werner Fritsch : Oui. La dernière fois c’était à l’occasion d’une lecture au Théâtre National de la Colline avec ma femme. Il y a 20 ans ! J’ai été très agréablement surpris par la démarche des comédiens pendant la journée de laboratoire que vous avez consacré à mon texte. J’ai aimé la manière dont ils ont distribué la parole, très librement, d’une façon chorale et morcelée. Les comédiens ont généralement tendance à s’accro- cher au personnage de manière conventionnelle. Je vais à Cologne ce week-end pour assister au travail d’un metteur en scène et d’un musicien sur l’un de mes textes. Eux non plus ne sont pas dans un travail d’incarnation. C’est très juste comme démarche, ça a à voir avec le démem- brement dont il est justement question dans ce poème. Le projet de création entend faire dialoguer le théâtre et l’architecture. On retrouve cette problématique dans votre pièce Art Grabov. Comment avez-vous articulé la relation entre les deux ? Art Grabov : L’architecture contemporaine est un espace d’étrangeté et en même temps une forme d’agression. Nous nous comportons comme l’ar- chitecture d’une ville nous oblige à le faire. Ça a une conséquence sur nos sentiments, notre ma- nière d’être, mais aussi sur notre corps et notre façon de nous déplacer à l’intérieur de ça. Dans ma pièce, les personnages font plusieurs fois réfé- rence à leur propre rapport à l’architecture. C’est un peu comme si l’homme contemporain était l’esclave de cet espace entièrement délimité par l’architecture des immeubles de la ville. Le tra- jet en métro est assez métaphorique en cela. Il se déplace dans une ville qui n’est qu’une suite de signes et qui n’existe pas réellement. C’est comme un voyage intérieur dans un espace qui est à la fois intime, enfoui, et qui raconte quelque chose de notre civilisation. On connaît très mal les auteurs dramatiques polo- nais en France. Qu’est-ce qui fait la spécificité de la langue et de la culture polonaise ? Werner Fritsch © Nathaniel Baruch
  • 7. 7/8 Cécile Bocianowski (traductrice d’Art Grabov): La langue française demande à être beaucoup plus précise que la langue polonaise. Dans le polonais, il y a une force allusive que l’on perd quand on veut la traduire en français. Elle se perd en partie seulement parce qu’on a d’autres outils qui nous permettent d’en rendre compte. Art Grabov : La langue française est plus ancrée socialement que la langue polonaise qui est plus sauvage. Comme si en français on cherchait à s’exprimer par le biais de schémas déjà préétablis, alors qu’en polonais on crée son individualité dans le langage-même. Le théâtre polonais adore les néologismes, il adore jouer avec la construc- tion du langage. L’atmosphère est très opaque et prégnante dans votre pièce. Votre écriture rappelle les auteurs scandinaves. Art Grabov : C’est vrai. Strindberg ou Bergmann sont aussi mes référents. C’est un peu Sarah Kane qui aurait rencontré Mae- terlinck. Art Grabov : C’est une bonne référence. Je pense notamment à une pièce de Sarah Kane : Manque (Crave). Entretien réalisé par Claire Lintignat décembre 2011 NOTE Let’s make money, documentaire réalisé par Erwin Wagenhofer en 2009. L’ambition du do- cumentaire est de tirer le portrait de la planète sous le joug de la finance internationale. A tra- vers les témoignages des différents acteurs de ce système, le réalisateur nous révèle les dérives d’une économie sans garde-fou : paradis fiscaux, chantage économique, investissements fictifs, etc. Ce film montre les dérives du système libéral et des conséquences humaines, démographiques et écologiques. Philipp Löhle est un auteur dramatique alle- mand, né en 1978 à Ravensbourg. Il a étu- dié l’histoire, le théâtre, les sciences des médias, ainsi que la littérature allemande à Erlangen et à Rome. Pendant ses études, il travaille en tant que journaliste et colla- bore à des court-métrages et des documentaires. Il écrit plusieurs pièces très remarquées, comme Kauf-Land en 2005, Die Kaperer, créée en 2008 à Vienne, et Big Mitmache, présentée dans le cadre du projet «  60 Jahre Deutschland  » à la Schaubühne de Berlin en 2007. Il participe éga- lement à une résidence d’écriture au Royal Court Theatre de Londres. En 2007, il remporte le prix du Stückemarkt. Sa pièce Dénommé Gospodin (Genannt Gospodin) lui vaut plusieurs récom- penses  : une bourse de la Bundervesband der Deuschen Industrie et une nomination au Mül- heimer Dramatikerpreis en 2008. La pièce est d’abord créée au Schauspielhaus de Bochum en 2007. En France, la pièce reçoit l’aide à la créa- tion. Elle est mise en espace par Benoît Lambert dans le cadre des 40 ans de Théâtre Ouvert au Festival d’Avignon en 2011. Elle est éditée aux PUM (Presses Universitaires du Mirail). Cette même année, il remporte le prix du jury du Hei- delberg Stückemarkt ainsi que le Prix du théâtre jeunesse du Baden-Württemberg pour Lily Link, et monte une pièce destinée au jeune public, en coopération avec le théâtre Aalen. De 2008 à 2010, Philpp Löhle est dramaturge en résidence au théâtre Maxime Gorki de Berlin. Art Grabov (Artur Gra- bowski) est un auteur dramatique polonais, né en 1967 à Cracovie. Il a étudié la littérature et la philosophie et a enseigné durant plusieurs années. Il a débuté comme poète et critique dans le maga- zine Brulion. Il publie plusieurs recueils (From the Stage Directions, The Duel, Beginning in the Earth, A Gray Man, et Shining), ainsi que des traités poétiques (Verse -Form et Meaning), et deux essais (Cage with a View et The Sensua- lized). Il écrit également une brève tragi-comédie européenne, The Well, primée dans sa version italienne en 2001. Dans le même temps, il crée aux États-Unis une série de micro-tragédies (The virtues of Western Civilization), produites en 2008 en Croatie, travaille comme dramaturge pour le American Theater, et dirige des ateliers de théâtre. Lors de ses nombreux séjours aux États-Unis, il enseigne la littérature, le théâtre et la poésie à Chicago, Seattle, et Buffalo. Il a écrit de nombreuses nouvelles, traduit des poètes américains et italiens, et collabore régulièrement au mensuel Teatr. Translating the Goat’s song et Passages et portes sont ses deux dernières pièces. Ses œuvres sont jouées en Pologne, en Italie, en Croatie, aux États-Unis et pour la première fois en France avec Passages et portes, création Arti e Parole, 2012. Site internet de l’auteur : www.grabowski.art.pl Werner Fritsch est un au- teur dramatique allemand qui a émergé à la fin des années 1990. En 1987, la parution de son roman Cherubim fait une sortie très remarquée. Il écrit de nombreuses pièces (Chro- ma, Hydra Krieg, Bach et Wondreber Totentanz) ainsi que des monolo- gues (Sense, Jenseits, Nico et Das Rad des Glücks) pour la scène, la radio et le cinéma. Il publie de la prose (Steinbruch et Stechapfel), et tourne plu- sieurs films (Das sind die Gewitter in der Natur, Ich wie ein Vogel et Faust Sonnengesang I). Ses œuvres ont reçu plusieurs prix, notamment le Prix Robert-Walser, le Prix des aveugles de la guerre et le Prix Else-Lasker-Schüler. Sa pièce radiophonique Enigma Emmy Göring obtint le prix de la meilleure pièce radiophonique en 2006, le Prix allemand de la pièce radiophonique 2007, organisé par ARD, et le prix allemand du livre audio 2008. Werner Fritsch est membre du Club PEN et de l’académie des Beaux Arts bava- rois. Il vit entre Hendelmühle et Berlin. Ruth Orthmann est traductrice, de nationa- lité allemande et fran- çaise. Elle est installée en France depuis 1985. Elle a fait des études de Lettres et de Théâtre à la Sorbonne Nouvelle tout en suivant une formation de comédienne auprès d’Antoine Vitez à L’École de Chaillot. Elle joue notamment sous la direc- tion d’André Engel, Yannis Kokkos et Eloi Re- coing. Elle collabore aux mises en scène d’André Engel, de Jean-Louis Martinelli et de Jean-Louis Martinoty. Elle écrit une nouvelle version des dialogues de l’opéra Oberon, de C.M. von Weber pour le Théâtre du Capitole en 2011. Outre un certain nombre d’articles et de sur-titrages pour la MC 93 de Bobigny, elle traduit, à l’initiative de la Maison Antoine Vitez, Welcome Home, de Ruth Schweikert et Dénommé Gospodin, de Phi- lipp Löhle. Avec une bourse du Goethe Institut elle traduit Les Accapareurs, de Philipp Löhle. En collaboration avec Eloi Recoing, elle traduit le Théâtre complet de Heinrich von Kleist (éd. Actes Sud-Papiers), Franziska et L’esprit de la BIOGRAPHIES Oser le dire… Pouvoir le faire ? (premier volet) : textes de Philipp Löhle, Werner Fritsch et Art Grabov, les 20, 22, et 23 juin 2012 au Goethe Institut, dans une mise en scène de Patrizia Buzzi Barone. Une création originale de l’asso- ciation Arti e Parole. Second volet prévu pour la rentrée de septembre 2012. SPECTACLE
  • 8. Présidente : Patrizia Buzzi Barone Responsable du journal : Claire Lintignat Conception graphique et maquette : Jules Le Barazer Diffusion : Arti e parole Association loi 1901 – Siret n°483 328 068 00018 – Licence entrepreneur de spectacle N°7501586 ARTI E PAROLE 20 rue de l’Université 75007 PARIS tél : +33 (0)1 42 60 49 61 / fax : +33 (0)1 42 60 64 01 contact@artieparole.com www.artieparole.com 8/8 Nous remercions pour son accueil la Librairie du Théâtre du Rond-Point, partenaire du Journal Le Cercle, en la personne de sa directrice Claudia de Bonis. terre, de Frank Wedekind (éditions théâtrales), Le constructeur Solness, d’Ibsen (éd. Actes Sud- Papiers), et Têtes rondes et têtes pointues, de Brecht (l’Arche Éditeur). Depuis la fondation de la Maison Antoine Vitez, elle est membre du comité allemand dont elle est la coordinatrice depuis janvier 2008. Cécile Bocianowski est traductrice. Née en France d’un couple franco-polonais, elle est diplômée de Lettres de la Sorbonne et de Lettres polonaises de l’Univer- sité de Varsovie où elle a vécu plusieurs années. Elle prépare une thèse de Littérature comparée à la Sorbonne sur les dramaturgies du grotesque en Europe au XXe siècle. Ses recherches portent sur le théâtre européen, en particulier polonais, ita- lien, espagnol et francophone. Elle a traduit des pièces de Michał Walczak, jeune talent du théâtre polonais contemporain et la dernière pièce de Tadeusz Słobodzianek, Notre Classe, qui a reçu le prix Nike 2010, le prix littéraire le plus impor- tant en Pologne. Elle anime des rencontres avec des auteurs, elle collabore avec les universités de la Sorbonne et de Varsovie pour des traductions littéraires et universitaires ainsi qu’avec la revue Slavica Bruxellensia de l’Université de Bruxelles. Elle est l’auteur des sous-titres du film Koniec Nocy, projeté dans le cadre du festival « Łódź en Seine » à Paris en 2010. Elle corédige aux Presses Universitaires de Varsovie un premier volume bi- lingue consacré aux inédits de la traduction polo- naise autour de la pièce naturaliste La Morale de Mme Dulska de Gabriela Zapolska, et prépare le second volume Fantazy, de Juliusz Słowacki. Portraits accompagnant les biographies © Nathaniel Baruch JE SOUTIENS LE CERCLE ! En vous abonnant ou en offrant un abonnement vous soutenez directement Le Cercle. A partir de 10€ par an* PARLEZ-EN ! Faites connaître Le Cercle à vos amis en France et à l’étranger. Retrouvez tous nos numéros, en version trilingue, sur le site www.artieparole.com Claire Lintignat, Philipp Löhle, Ruth Orthmann, Werner Fritsch, Art Grabov et Cécile Bocianowski © Nathaniel Baruch Ce projet est financé par la Commission Européenne. Les publications reflètent uniquement le point de vue de l’auteur et la Commission ne peut pas être tenue responsable de l’usage des informations contenues dans ce support de communication. * chèque à l’ordre d’Arti e Parole, à l’adresse indiquée ci-dessous, en précisant : nom, prénom, adresse, e-mail et téléphone de l’abonné.