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Concours Viva-cité
MEMOIRES MIGRANTES
LYCEE LAMARTINE - MACON
Classe de Première Littéraire L1
Madame Laforêt - professeur d’Histoire
Année scolaire 2016-2017
SOMMAIRE
Avant-propos: Carte banche
Marine Alvès: Si cela devait recommencer / Max Marcel et Jean-Paul Balsam p. 2
Léna Benoit-Colin: Lettre à mes disparus / Albert et Majer Bulka p. 4
Elise Bienvault: Sans domicile fixe / Théodor Reis p. 6
Chloé Chastang: La mort au bout de l’exil / Max et Herman Tetelbaum p. 7
Orlane Blancard: Un dernier regard / Henri Chaïm et Joseph Goldberg p. 9
Clara Britton: Le Conte des Enfants d’Izieu / Fritz Loebmann et Egon Gamiel p. 11
Marie-Emerence Buchler: Seul et sans identité / Emile Zuckerberg p. 13
Alexa Buis: Mon parcours / Charles Weltner et Nina Aronowicz p. 15
Clara Copie: Les enfants du silence / Elie, Esther et Jacob Benassayag p. 18
Comme un petit frère / Sami Adelsheimer et Max Leiner p. 20
Arthur Côté: Sans nom / Jacques, Richard et Jean-Claude Benguigui p. 23
Laëtitia di Stefano: Un ami parti trop tôt / Gilles Sadowski p. 25
Jules Dreyfus: Mon journal à moi / Otto Wertheimer p. 29
Maëva Felix: D’une âme disparue / Sarah-Suzanne Szulklaper p. 33
Laura Guillotin: Une identité volée / Lucienne Friedler p. 35
François Large: Elle rôde / Marta, Senta Spiegel et Hans Ament p. 38
Amira Mannaï: La vraie vie de Georges et Claude / Georges Halpa et Claude Levan-Reifman p. 40
Anouk Ménevaut-Baudin: A vous, enfants de Dieu / Maurice et Liliane Gerenstein p. 42
Marine Paris: Jestes Bohatere /Mina et Claudine Halaunbrenner p. 44
Romane Plattier: Lettre à Dieu / Alice Jacqueline Luzgart, Paula et Marcel Mermelstein p. 46
Tiphaine Prost: Un meilleur ami / Lettre à Théodore Reis p. 49
Le même chemin, partie du journal de Sigmund Springer à ses parents
/ Sigmund Springer et Arnold Hirsch p. 50
Chloé Sadot: Une rencontre bouleversante / Isidore Kargeman p. 52
Laura Stefan: La poursuite d’un rêve brisé / Renate et Liane Krochmal p. 55
Juliette Thibert: Moi, Baroukh / Barouk Raoul Bentitou p. 57
Sources p. 60
CARTE BLANCHE
Le but premier de ce travail proposé aux élèves de la classe de 1° L1 du lycée Lamartine de Mâcon, a été à
la fois de « jouer collectif » et ainsi composer une œuvre unique, créée à parts égales par chacun, selon sa
sensibilité, mais aussi de faire le lien entre nos trois matières, l’histoire, la géographie et l’Education Morale et
Civique, afin que chacun, sur la durée, se sente, non pas un « numéro » d’une série, mais une partie d’un tout, et
participe à la cohésion de la classe.
Sur le temps long, nous avons abordé des notions complexes pour des adolescents, comme celles de l’exil, de la
perte, et de la trace. Exil loin d’une famille ou d’un pays qui n’existe plus. Perte d’un passé alors que l’avenir
n’apparaît pas encore nettement. Traces laissées dans le XX° siècle de ces déchirures qui ont servi de révélateurs
à notre recherche.
Sur le plan historique, nous sommes partis à la recherche des lambeaux de vie des enfants d’Izieu, et avons
étudié leur parcours, ballotés parfois dans leurs familles mais loin de leurs parents, ou en institutions, de camp
d’internement en familles d’accueil, avant leur disparition à Auschwitz en 1944 pour la très grande majorité
d’entre eux. Sans pathos, la classe s’est fondée sur les archives de la Maison des Enfants d’Izieu pour percevoir ce
que furent ces parcours désarticulés dans une guerre mondiale certes, mais terriblement personnelle pour tous
ces petits dont certains n’avaient pas trois ans. Ils ont ainsi approché l’incroyable déshumanisation de cette
période, dans un contexte très éloigné de leurs préoccupations et ont réalisé que la perte de la dimension
humaine des enfants a, en fait, commencé bien en amont de leur déportation, dans ces parcours multiples
d’orphelins, confiés à l’OSE et aux bonnes volontés, dans l’espoir d’années de guerre supportables : internés à
Rivesaltes ou Gurs, déplacés, recueillis, puis arrêtés comme de féroces criminels, chargés comme du bétail vers la
sinistre prison de Montluc, puis vers Drancy et, pour finir, déportés « dans des trains longs comme la honte ».
Plongée personnelle, en apnée, dans une mémoire faite de photographies, de textes, de dessins d’enfants,
d’archives, puis d’une visite à la Maison des Enfants d’Izieu sur les lieux-mêmes de si tragiques événements,
comme une immersion dans le calme de cette petite montagne, puis dans le bruit des bottes, le hurlement des
ordres et le silence des enfants, emmenés de force vers Auschwitz, eux et leur courte vie.
La réappropriation individuelle par les lycéens du parcours des enfants d’Izieu, parfois de fratries entières, s’est
faite sous la forme de compositions, lettres, journaux intimes, témoignages a posteriori, scénario de film… Chacun
a eu carte blanche… et a joué le jeu.
Sur le plan géographique, mais aussi historique et donc forcément civique, nous avons invité Velibor ČOLIĆ,
auteur reconnu dans son pays la Yougoslavie avant la guerre de 1991, réfugié en France et maintenant apatride,
qui est venu présenter à la classe son dernier roman Manuel d’exil : comment réussir son exil en trente-cinq
leçons, paru chez Gallimard en Mai 2016, et, grâce à cette rencontre, la mémoire du passé s’est éclairée à la
lumière de celle d’une Europe déchirée, bien moins lointaine que celle de la Seconde Guerre mondiale.
Et là, nous sommes passés subitement de chiffres, ceux de ces centaines, ces milliers, ces millions de victimes de
1939-1945, pourcentages morbides de la misère guerrière rangés en colonnes, à une réalité bien plus concrète,
puisqu’en vérité, à chaque guerre, il ne s’agit pas de soustractions mais d’additions forcenées de vies cabossées et
si vite anéanties: une, plus une, plus une …
C’est ce que Velibor ČOLIĆ est venu leur raconter : on ne part pas de son pays par plaisir mais parce qu’on y est
obligé : guerre, exactions, famine … les motifs ne manquent pas. On abandonne tout, on espère survivre, on a
peur, on ne sait rien de l’avenir, on ne peut pas revenir en arrière. Et là encore, ceux qui disparaissent en premier,
comme dans chaque guerre, ce sont bien les civils, et parmi les civils, de nombreux enfants …
Tous avaient lu Manuel d’exil, et les discussions ont été fructueuses.
Sur le plan civique également, les échanges furent porteurs de valeurs importantes, entre témoignages de
l’auteur, moments adultes quand il raconte par exemple avoir été traducteur pour le TPIY des violences faites aux
femmes bosniaques dans le contexte de la reconnaissance du viol comme arme de guerre en Yougoslavie…
« L’expérience civique » s’est poursuivie avec un atelier d’écriture, chacun ayant été mis dans la situation du civil
qui n’a que « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir », pour quitter sa vie « d’avant » et remplir à toute
vitesse un petit sac de ce qu’il pense essentiel … avant de s’exiler brutalement vers un avenir où rester debout et
vivant sera l’ultime défi.
Le choix de la citation extraite de Manuel d’exil qui illustre chaque chapitre, a permis à tous de relier le passé
lointain au passé récent, et de comprendre qu’un pays, ses villes, sa mémoire, et même ses habitants - victimes,
prisonniers, réfugiés - peuvent disparaître, et que la déshumanisation, la perte de la dimension humaine, est bien
le fait de l’homme.
Cette implication civique de chacun se prolongera le 24 Mai prochain puisque certains élèves participeront au
Festival de la Manufacture d’Idées à Hurigny, organisé par Emmanuel Favre, et qui réunit archéologues,
anthropologues, historiens, cinéastes, journalistes, écrivains, mais aussi danseurs et musiciens. Ils seront sollicités
pour l’animation du débat d’ouverture, aux côtés de personnalités reconnues comme Philippe Artières,
universitaire, et Serge Portelli, ancien juge d’instruction qui a travaillé sur la notion de traces dans les enquêtes
policières. L’intervention de ces élèves concernera le rôle des archives comme traces du passé à travers leur
travail sur les enfants d’Izieu, mais aussi le roman comme témoignage d’un parcours d’exil avec le livre de Velibor
ČOLIĆ.
On n’est pas citoyen par hasard, on le devient. C’est une construction lente, laborieuse, qui permet de consolider
un présent complexe, et de le comprendre grâce à la mémoire du passé. Les deux notions sont indissociables :
oublier le passé reviendrait à ne pas pouvoir lire le présent.
Nous aurons tous des moments d’exil dans nos vies. Tous les adolescents le savent. Mais les traces qu’auront
laissées la littérature, la philosophie, et l’histoire nous porteront.
-1-
Si cela devait recommencer
« … Je murmure une complainte, stupide et enfantine, tout en sachant que les mots ne peuvent rien effacer, que
ma langue ne signifie plus rien, que je suis loin, et que ce loin est devenu ma patrie et mon destin... »
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.11
Les premiers mots qui me reviennent à l'esprit quand je repense à ce que j'ai vécu sont : « N'aie pas peur
et sois fort ». La vie est ainsi faite de choses inexplicables et certaines sont inévitables. Tout cela commença en
octobre 1940, quand les premières lois antisémites ont été appliquées. Vous comprendrez directement que nous,
familles juives, sommes bloqués dans un régime qui est contre nous. Puis le cauchemar va commencer lorsque
papa nous sera enlevé dès le premier convoi, tu ne le reverras plus jamais. Ton cœur sera brisé et le manque de
notre père se creusera de plus en plus, jour après jour, minute après minute. Jean-Paul, reste fort, car le pire n'est
pas encore arrivé, et malgré ton jeune âge, tu vas vivre des horreurs. Maman et Berthe partiront vivre à
Villeurbanne et tu resteras chez notre grand-mère avec Max et Hélène. Le départ de ta mère va t'affecter mais tu
n'auras pas réellement le temps de penser à cela car peu après, en février 1943, aura lieu la rafle.
Oui, la rafle. Tu dois te demander ce que c'est car au moment où je t’écris cette lettre, tu ne connais
toujours pas ce mot horrible qui te deviendra si habituel et singulier dans quelques années. La rafle, c'est une
arrestation massive et horrible de Juifs car les SS seront violents avec toi. Les SS, ce sont les hommes qui nous
déporteront. Nous allons tous être déportés à Drancy, un camp d'internement, tu seras libéré et tu seras encore
une fois envoyé dans une maison d'enfants de l'UGIF. Mais maman nous manquera à Max Marcel et toi, alors
vous allez tenter de la rejoindre à Villeurbanne.
L'histoire est loin d'être terminée car tu seras séparé de ton frère quand tu va devoir rejoindre la maison
d'Izieu et lui, une école catholique à Belley. Cette maison est dirigée par Sabine Zlatin, et là, tu vas faire de
superbes rencontres et te lier d'amitié avec beaucoup de jeunes garçons comme toi. Tu auras la chance de vivre
de nombreux moments de bonheur et de retrouver ton frère qui viendra te rendre visite. Vous vous êtes vus le 6
avril 1944, mais c'est malheureusement ce jour là que ton destin va basculer.
-2-
Dans les montagnes en direction d'Izieu, trois véhicules de la gestapo lyonnaise arrivent. Des hommes
nombreux et armés viennent vous chercher sur ordre de Klaus Barbie. Dans le véhicule qui va te déporter, tu
seras complètement apeuré et perdu, heureusement que ton grand frère sera là pour te rassurer. Tu ne va pas
comprendre ce qui t’arrive alors que tes jours seront comptés, et que tu seras en train de vivre l'une des choses
les plus dramatiques de l'histoire de l'humanité. J'ai le cœur brisé à l'idée de te dire la suite de ce trajet qui va te
paraître interminable...
Mon cher moi, on est le 13 avril 1944, tu es dans le convoi numéro 71 et ce convoi te déporte en
directement vers Auschwitz-Birkenau. C'est à cet endroit que tu seras vu pour la dernière fois. Là-bas, tu auras ta
dernière conversation, ta dernière rencontre, ton dernier geste, ton dernier mot et ton dernier souffle.
M. A.
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
Si je devais partir en 15 minutes, je prendrais surtout des objets symboliques, des souvenirs. Je prendrais des
photos de ma famille, de mon frère, de mes parents heureux et réunis ensemble. Je prendrais aussi des
vêtements chauds et légers, ainsi qu'une couverture pour dormir et des affaires de toilette. J’emporterai le
chapelet porte-bonheur de ma grand-mère. Surtout de la nourriture pour ne pas mourir de faim ou me
déshydrater.
Pour conclure, je partirais la tête pleine de souvenirs heureux de mes proches.
M. A.
-3-
Lettre à mes disparus
« …A mes pieds, les longues ombres des arbres dessinent une étonnante arabesque, pareille à un tableau à
peine animé qui se déplace paresseusement, devant mes yeux. Pendant un bref instant j’essais de leur donner une
forme logique… »
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.12
Chère Maman,
Cela faisait bien longtemps que je ne t’avais pas envoyé de lettre, mais je te promets que je vais me rattraper. Je
ne compte plus les jours depuis notre séparation.
Il n’y a pas longtemps que nous sommes à Izieu, je voulais t’en parler la dernière fois. Il y a tellement d’enfants qui
pleurent la nuit. Certains crient leurs souvenirs de la violence des nazis puis se réveillent en sueur, vite consolés
par une éducatrice. Je me souviens à mon tour de scènes sans doute moins violentes, mais qui restent imprimées
dans ma tête. C’est souvent d’autres enfants qui nous en parlent. Bien qu’ils soient encore marqués, ils arrivent à
oublier leurs histoires et s’amusent sans en reparler. Et parfois j’oublie aussi. On s’amuse bien là-bas, en tout cas
mieux qu’avant notre séjour ici. Si tu voyais Albert... Notre petit «Coco», bien qu’il soit le plus petit, il fait rire tout
le monde. Même les éducatrices tombent sous son charme ! Le soir ils nous obligent à quelques activités comme
du dessin ou de l’écriture. Albert s’amuse comme un fou avec ses crayons de couleur, moi je me limite à
l’écriture. Nous laver ici au début, n’ayant pas l’eau courante, on allait à la fontaine dehors, dans la cour.
Enfin… Cela fait un moment que je me demande où vous êtes tous les deux. Quand ils ont pris papa aussi, un an
après toi, une dame nous a accueillis, une femme très gentille. On nous a dit qu’elle s’appelait Marie-Antoinette
Pallarès. Quand on était encore avec elle, je me souviens avoir entendu à la radio ces phrases du gouvernement
de Vichy : «Dans une intention d’humanité, le chef du gouvernement a obtenu que les enfants y compris ceux de
moins de 16 ans, soient autorisés à accompagner leurs parents dans les convois de déportation ». Ce qui me fait
le plus mal, c’est d’avoir entendu Albert dire qu’ils avaient de la chance de ne pas être séparés de leurs parents.
Mais tu dois le savoir, je crois l’avoir déjà écrit dans ma dernière lettre.
En parlant de lettres, je me demande si tu lis les miennes, puisque je n’en ai jamais en retour. Peut-être ne les
reçois-tu pas, qui sait ? Si c’est le cas tant pis, j’écris quand même.
-4-
Cela soulage mes maux, et fait espérer Albert. Il me demande toujours pourquoi nous ? Pourquoi cette guerre ?
Pourquoi sont-ils si méchants… L’autre jour il m’a dit : « Les grands ne pourraient-ils pas s’aimer au lieu de
se tirer dessus ? ». Que répondre à l’innocence d’un enfant de quatre ans… ?
Marcel, Albert.
Je revois alors comme dans un flash, les quelques images de mon enfance. Les ombres d’Auschwitz me
rappellent mes après-midis en Pologne, sous les saules, lorsque nous étions allongés dans l’herbe, hypnotisés par
le simple passage des nuages. Je chantais une berceuse à Albert et l’on s’endormait tous deux avec la divine
sensation d’être hors d’atteinte. Alors je regarde une dernière fois cet arbre, une si petite ombre de vie au milieu
des horreurs d’Auschwitz, puis je m’endors avec mon frère. Cette fois, j’ai peur que ce ne soit pour toujours.
L. B. C.
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
On me dit de ne pas paniquer mais de me dépêcher quand même. « Prends l’essentiel ! ». Alors je cours vers ma
carte d’identité, je prends quelques habits chauds, n’oublie surtout pas le couteau suisse que m’a offert mon
père. Je prends quelques photos, sous le coup d’un grand besoin personnel et sentimental. Impossible pour moi
de partir sans prendre mon carnet de dessin, alors je le glisse dans mon sac à dos, accompagné de quelques bics
noirs. Je prends quand même mon téléphone et son chargeur, toujours sur moi de toute manière, même si je sais
très bien que je ne m’en servirai pas lors du voyage. J’emporte toutes mes petites économies, ça, tout le monde
comprend. J’ai peur de trop remplir mon sac mais également d’oublier l’essentiel. Je prends le temps de changer
mes chaussures, je vais beaucoup marcher dans les prochaines heures à venir…
Je porte mon sac. Ca devrait aller pour le poids. Il y a encore de la place pour de la paracorde. Je me moque de
moi-même, j’ai l’impression qu’avec ce que j’ai je vais vivre... Ma chienne regarde cette scène sans rien
comprendre. Je l’emmène avec moi, on verra bien jusqu’où elle ira.
L. B. C.
-5-
Sans domicile fixe
« … Je pense évidemment à la mort. Mais peu, aussi peu que possible. Pour en avoir moins peur, depuis des
semaines déjà j'apprends à vivre avec une idée très simple, très peu philosophique : brusquement, tout s'arrête et
c'est le noir absolu. J'imagine ce néant comme un endroit apaisé situé quelque part entre le ciel et les feuilles de
platane qui tremblent à peine sous la petite brise… »
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.12-13
Il s'appelait Théodor Reis
Il est né le 19 mars
De l'année 1928
Un pauvre enfant qui est né juif
Ce garçon était allemand
Il a grandi à Egelsbach
Avec lui sa mère et sa mère-grand
Ils n'ont pas eu le choix du départ
Ils sont partis chez des cousins
Mais tous trois au camp de Gurs déportés
En mars 1942, Théodor est libéré
Par une femme nommée Sabine Zlatin
À Auschwitz, pas de pitié,
Pour sa grand-mère et sa mère
Lui s'est lié d'amitié À Pavalas-les-Flots
maison d'enfants en bord de mer
-6-
Avec son ami Paul Niederman
Ils sont baladés de maisons en maisons
Ils arrivent à Izieu en juin 43
Où ils ont un accueil plutôt bon
De la rafle du 6 avril 1944
Il est emmené à Drancy
Puis le 15 mai 1944
A Reval en Estonie déporté
Dans le convoi 73, qui l'emmenait vers sa fin
Avec Arnold Hirsch, son ami, et Miron Zlatin
Théodor Reis finit sa vie à 17 ans
Sans avoir dit « Adieu » à tous ses parents
Il avait tout à construire
Mais il a dû partir
Pour bien d'autres pays
À cause d'Hitler et de Klaus Barbie
E. B.
La mort au bout de l'exil
Max et Hermann Tetelbaum ont séjourné à Izieu. Max, l'aîné, était né le 14 août 1931. Hermann, lui, a vu
le jour deux ans plus tard le premier novembre 1933. Ils sont nés tous les deux à Anvers en Belgique. Comment
sont-ils arrivés là ? Hermann se souvient de son parcours :
« J'ai été interné à Rivesaltes, c'est un ancien camp militaire reconverti en camp d'internement pour la
zone libre. Puis j'ai été libéré le 14 mars 1941, j'avais 7 ans. De mai à juillet 1942, j'ai vécu à la maison pour
enfants de Mordelles, à côté de Rennes et ai été ensuite scolarisé à Broût-Vernet dans l'Allier. Enfin, je suis parti
rejoindre mon grand-frère Max à Marseille, et de là, nous sommes partis pour Izieu. »
-7-
Maintenant que les deux frères sont à Izieu, les jours passent, sans leurs parents, sans leur frère Maurice,
sans leur sœur Gabrielle. Pour s'occuper, on invente des histoires. Max dessine les personnages à l'aquarelle, à
l'encre, à la mine de plomb. D'autres réalisent les textes. Les jours défilent, l'institutrice utilise son sifflet pour
indiquer la fin de la récréation. Les plus grands s'occupent du verger. Miron Zlatin, le mari de Sabine Zlatin la
directrice de la maison, se rend au village avec un vélo et la carriole pour aller chercher de la nourriture. Le
facteur dépose des colis. Les enfants jouent avec ceux du village. Et le temps passe. Malheureusement, Klaus
Barbie ordonne la rafle de la maison pour le 6 avril 1944, trois hommes de la Gestapo arrivent avec des véhicules
anodins, afin de n'alerter personne.
Là, c'est sous la menace des armes et avec des ordres hurlés que les deux frères sont emmenés à Drancy,
camp d'internement qui se situe en Île-de-France où ils sont affamés, n'ont pas d'hygiène et sont seuls. Puis ils
sont déportés au camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau par le convoi numéro 71, le 13 avril 1944. Ils
meurent à 13 et 11 ans. Leur mère, Gabrielle et Maurice sont déportés dans le convoi suivant, le numéro 72.
Dans les convois, ils sont entassés comme des sacs, ils ont a peine assez de place pour respirer. Le trajet
s'étire en longueur, sans nourriture, sans eau, sans repères. Ils sont eux aussi exécutés à leur arrivée à Auschwitz-
Birkenau.
Seul le père, Jankiel Tetelbaum, interné à Rivesaltes, échappe à la déportation et aux camps
d'extermination.
E. B.
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
Si je n'avais que quinze minutes pour faire un sac et quitter ma maison sans retour, je prendrais mon lapin
en peluche baptisé Flocon, Le Monde de Narnia de C. L. Lewis, un t-shirt, un pantalon, ma brosse à dent, mon
retourneur de temps, mon coupe-papier, ma brosse à cheveux, mes papiers, mon portefeuille avec de l'argent, un
disque de Emerson Lake and Palmer, mon carnet avec un stylo bille, ma statuette de la vierge Marie, ma flûte
traversière et ma photo de famille préférée.
E. B.
-8-
Un dernier regard
« …Plus ma situation est désespérée, plus mes rêves sont doux... »
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.14
Certains me prendraient pour un fou.
Non ! Je ne vais pas m'effondrer,
Je dois rester fort pour mon petit frère,
Afin que nous puissions sortir de cet incroyable Enfer.
Nous n'avons aucun moyen de partir.
Mais ils ne nous retireront pas une chose essentielle :
Notre cher et précieux imaginaire.
Le destin peut encore changer, je l'espère.
Devant ces machines infernales,
Nous traverse une pensée universelle.
L'espoir est encore là, c'est sûr.
-9-
Sous ce temps d'un froid hivernal,
Nous resterons dignes et soudés, je vous l'assure !
Je revois les yeux de ma mère posés sur moi,
Je revois cette femme aimante, serrant Joseph dans ses bras.
Ces hommes nous ont retiré à tout jamais
L'amour inconditionnel qu'elle nous portait.
Un dernier regard vers notre maison d'enfance,
Envolée notre unique chance
De s'échapper de ce lieu effrayant.
Non, nous ne plongerons pas dans le néant.
Un dernier regard vers ce train des condamnés,
Envolé notre billet de retour pour la liberté.
O. B.
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
Il ne me reste plus que quinze minutes pour tout préparer et partir à jamais d'ici. Je me précipite et
prends un grand sac à dos. La première chose dont je m'empare est d'une photo de ma famille. Ensuite je saute
sur mon lit et attrape une peluche qui m'est chère, ainsi que deux livres : Terrienne, de Jean-Claude MOURLEVAT,
et Rester Fort, de Demi LOVATO. Grâce à ce livre et ces paroles de réconfort, peut-être que le détachement avec
le cocon familial sera moins difficile. Une fois cela mis dans le sac, j'attrape deux pantalons, deux hauts à manches
longues, un gilet, un gel douche, et une brosse. Je me dirige vers mon bureau, saisis un pendentif offert par ma
mère et l'attache autour de mon cou, et enfin je décroche du mur qui me fait face une prière à laquelle je tiens
beaucoup. Je range mon portable et mon chargeur dans le sac, regarde pour la dernière fois ma chambre, et m'en
vais dans le hall d'entrée. Ma mère me tend une gourde. Je la serre alors dans mes bras, un torrent de larmes se
déversant sur nos deux visages côte à côte. Je sors de la maison, y jette un dernier regard chargé de tristesse et
de colère, puis je commence alors cet exil, démarrant une toute autre vie...
O. B.
-10-
Le Conte des Enfants d'Izieu
«… Je sais que je ne représente plus rien pour personne. Je ne suis même plus un être humain. Je suis juste une
ombre parmi les ombres... »
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.14
Très tôt le matin, sur un pan de colline d'Izieu où se trouvent une large maison ainsi qu'une fontaine, deux
enfants jouent à cache-cache. C'est au tour du jeune Egon, 9ans, de jouer à l'Allemand et de chercher son ami
Fritz de 15 ans qui joue le Juif.
EGON commençant à sangloter : Fritz ! Fritz ! Où es-tu ? Je joue plus, c'est plus drôle … Friiitz !
FRITZ sortant de derrière un muret : Pourquoi tu pleures, ce n'est qu'une partie de cache-cache !
EGON des larmes dans les yeux : Je t'avais perdu …
FRITZ : Allez sèche-moi ça ! Lui tendant un morceau de chocolat : Tiens, mange.
EGON qui ne pleure plus : Merci.
FRITZ le taquinant: Maintenant tu m'en dois un carré.
EGON : Quoi !?!
FRITZ : Ah bah, attend, ça m'a coûté 10 francs.
EGON : Mais, je suis ton ami !
FRITZ : Oui, mais les bons comptes font les bons amis.
EGON : Mais …
FRITZ s'esclaffant de rire : Mais non, je rigole ! Ah ! Ah ! Ah ! Je te le laisse.
EGON souriant d'un air taquin : Tu n'es pas drôle… dit Fritz, tu peux encore me raconter ton histoire, s'il te plaît ?
FRITZ avec un soupir : Tu dois vraiment l'aimer pour me la demander chaque jour. Bon alors comment ça
commence déjà ? Réfléchissant... Ah oui ça me revient, bon alors …
…C'est l'histoire de deux enfants qui vivaient dans un petit village sur une colline, le premier s'appelait Egonomus
et le deuxième, plus grand, se nommait Fritzirias. Ils étaient très bons amis et ne se quittaient jamais. Ils se
disaient tous deux que la vie était longue et heureuse car quand ils rentraient à la maison, il y avait toujours de
quoi boire et manger, mais un jour alors qu'ils jouaient dans la vallée, une armée de géants les attaquèrent et les
enfermèrent dans de grands sacs. Ils se retrouvèrent prisonniers. Un peu plus tard dans une grotte, d'autres
géants les insultèrent dans une langue inconnue, les enfermèrent dans de grandes cages dont le vent faisait
grincer la ferraille rouillée. Après quelques heures d'emprisonnement, on les ressortit et remit dans de grandes
boîtes. Ils étaient terrifiés par la vitesse à laquelle le géant marchait grâce à ses bottes
-11-
de sept lieues, mais nos deux héros se soutenaient et essayait de passer le temps...
Quand ils furent enfin libérés, ils ne savaient pas encore que les géants voulaient les manger. Après s’être
dévêtus, être entrés dans une marmite, ils commencèrent à sentir la chaleur du feu récemment allumé, ils
comprirent que leurs fin était proche. Mais le couvercle avait mal été fermé par un des géants. Egonomus et
Fritzirias remarquèrent donc cette scintillante lumière et par cette brèche ils réussirent à s'enfuir et purent enfin
rejoindre leur famille.
EGON des étoiles dans les yeux : Bravo, je suis sûr que tu deviendras un grand conteur plus tard !
FRITZ : Ah oui? Je ne sais pas, j'attendrais déjà que la guerre soit finie, car tu sais bien qu'il ne faut pas que l'on
nous remarque malgré notre étoile jaune...
Regardant son étoile avec tristesse: Bon, on rentre à la maison!
Se frottant rapidement les bras : Je commence à avoir froid et puis j'ai faim aussi, pas toi ?
EGON: Oui je veux manger! Est-ce que Hans était déjà réveillé quand nous étions partis ?
FRITZ: Oui, il était en train de mettre les bols sur la table avec Martha et Otto, pour que nous puissions prendre le
petit déjeuner.
EGON : J'ai hâte d'arriver à la maison ! Il commence à courir pour prendre de l'avance Le dernier arrivé est une
poule mouillée !
SFRITZ : Aujourd'hui il fait beau, une belle journée s'annonce.
C. B.
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
J’ai 15 minutes… Je suis devant la porte, devant les façades de mon passé. Je ne pense qu'a une chose "que
prendre ?" Je cours alors dans ma maison comme si un magasin entier avait été ouvert pour moi et que dans 15
minutes celui-ci allait se refermer pour oublier à jamais tous mes objets, toute ma vie derrière moi. J'attrape donc
mon sac, je me précipite d'abord dans ma chambre. J'aurais eu envie de balayer tous ce qu'il y avait sur mon
bureau afin de mettre tous cela dans mon sac, pour ne rien oublier de mon petit chez moi. Mais cela est
impossible, ce serait trop lourd. J'ouvre alors mon placard mural, saisissant couvertures, pulls, maillots, pantalons,
culottes et chaussettes, le nécessaire pour se changer. J'attrape au passage ma boussole et mon diapason, ainsi
que mon téléphone qui trainait sur l'étagère. Je me baisse ensuite et prends mon argent. Même la boîte au fond
du tiroir qui devait servir en cas de grande nécessité, car je sais que dans 10 minutes, je ne reverrai plus jamais ma
maison, comme si je démissionnais de mon travail, de mon foyer, de ma famille, et que l'on abandonnait
absolument tout, toute sa vie. Je redescends et ouvre mon frigo puis le referme voyant que tous ces aliments
seraient périmés certainement trop vite. En tout cas bien avant que je ne puisse les manger. Je me hâte donc de
prendre deux ou trois pommes, du pain des biscuits, et des barres de céréales. Je me dirige ensuite dans le hall
prenant mon écharpe, mes gants, mon bonnet et mon manteau. Puis je me dépêche d'aller à la salle de bain, pour
enfourner dans mon sac une serviette, un gant, et du savon en bouteille. Finissant de fermer mon sac bombé, je
sors alors dehors lâchant un dernier regard sur mes souvenirs d'enfants. Je passe ensuite mon passeport de ma
poche à mon porte-monnaie, en montant dans la voiture. Enfin en tournant la bague que je portais au doigt, je
me plonge dans mes pensées et je sais que je ne représente plus rien pour personne. Je ne suis même plus un
être humain. Je suis juste une ombre parmi les ombres, un animal s'enfuyant dans la nuit ...
C. B.
-12-
Seul et sans identité
“… Je n'ai plus de nom, je suis ni grand, ni petit, je ne suis plus le fils ou frère. Je suis un chien mouillé d'oubli dans
une longue nuit sans aube, une petite cicatrice sur le visage du monde…”
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.15
Je n'ai plus de corps mais surtout plus d'âme. Je ne suis plus qu'une tête vide de souvenirs, visible dans une
lumière que je ne verrai plus.
Je me souviens de ce matin là, mes yeux étaient ouverts et pourtant ma vie était éteinte à jamais.
Je me souviens de ce matin là, mes yeux étaient ouverts et pourtant j'aurais rêvé qu'ils soient fermés, pour que
tout cela ne soit qu'un cauchemar. Mes parents me manquaient; je ne savais pas où ils étaient ; on m'avait dit de
regarder derrière les nuages, mais je ne voyais rien… En réalité, je savais qu'ils avaient été arrêtés puis tués mais
avec mon jeune âge je ne pouvais pas m'y résigner et préférais croire ce que l'on me disait.
Ce jour où ils étaient partis sans moi, car j'avais les oreillons et de l'anémie, je les avaient laissé seuls,et pourtant
j'aurais préféré partir avec eux et ne jamais les quitter. Au moins, moi aussi j'aurai pu voir ce qu'il y a derrière les
nuages. Parfois quand je me lève je m’aperçois que le ciel est bleu, alors je regarde attentivement si ils veillent sur
moi mais à chaque fois aucune silhouette, aucun visage n'est visible. Et moi-même, même si je les apercevais, je
ne serais pas sûr de les reconnaître encore…
Il ne me reste qu'une photographie de papa et de maman mais lorsqu’on est venu me chercher, pour partir en
colonie d'été avec d'autres enfants, je n'ai pas pu l'emmener avec moi. J'étais avec Max et Herman TETELBAUM
qui venaient eux aussi d'Anvers en Belgique.
Je me rappelle de ces cris et rires qui résonnaient, certains enfants étaient accompagnés de leurs frères ou sœurs,
plus âgés ou plus jeunes ; mais moi, j'étais fils unique et j'avais cinq ans. Je ne réalisais pas vraiment pourquoi
j’étais ici... Beaucoup d'enfants étaient bruyants, surtout ceux de mon âge, mais ils étaient également très
appréciés, contrairement à moi qui étais un peu à l'écart et effacé.
Il y avait une salle de classe et une salle de jeu, mais lorsque je suis entré dans la pièce, je me souviens de la
maîtresse qui m'a dit que je n'avais pas encore l'âge et qu'il n'y avait plus de place dans la salle de classe. Alors je
participais aux activités de dessins et d'écriture. Je ne savais pas écrire mais je faisais des dessins sur des lettres
qui n'étaient jamais réellement envoyés, puisque j'étais orphelin.
-13-
Et quand je devais me confronter à la nuit et mes mauvais songes, je ne réussissais pas à dormir, alors je regardais
par la fenêtre et à chaque fois, une des monitrices du nom de Paulette PALLARES-ROCHES, finissait sa tournée de
lecture par moi, dans le dortoir des garçons jusqu'à que je puisse réussir à m'endormir. Elle m'avait promis qu'ici,
à la colonie d'Izieu, je n'aurais pas de craintes à avoir et que même si j'étais seul, sans mes parents, le lieu était un
véritable havre de paix, loin des conflits et des persécutions.
Quelques jours plus tard, pendant mon petit-déjeuner, j'ai soudain senti des présences, comme si mes parents me
protégeaient enfin. Mais je fus soudain sorti de ce rêve éveillé par le regard affolé de l'animatrice Léa, puis par les
cris d'une petite fille qui répétait ces mots : « Les Allemands ». Une fourmilière d'enfants se bouscula dans tout
les sens, chacun tentant de sauver sa peau. Les cris et les larmes furent vite remplacés par un silence pesant plein
d'inquiétude et de frayeur. Je me tenais à Léa aussi fort que je le pouvais, mais un soldat réussit à m'attraper et
nous avons été tous deux envoyés dans un camion. Elle ne m'avait pas lâché.
C'est alors que nous sommes arrivés à la prison de Montluc. C'était un endroit clos et sombre avec de nombreux
grillages. Seuls les regards exorbités des prisonniers créaient une lueur dans l'obscurité. Je marchais le plus
rapidement possible dans les couloirs; mon corps était imprégné par des tremblements de peur. Mais les soldats
me serraient le bras gauche de plus en plus fort à tel point que je ne sentais plus mon sang couler dans mes
veines. A vrai dire, il était glacé par la terreur, Tandis que mon cœur, lui, avait des battements et des pulsations de
plus en plus accélérés.
Le lendemain à la première heure nous étions déjà en route pour le camp de Drancy. Je me souviens seulement
de ses immeubles immenses comparés à ma petite taille. Ce n'était pour nous qu'un lieu de passage et nous
étions déjà en route pour Auschwitz.
Une fois sur la rampe de débarquement d'Auschwitz je m'accrochais de nouveau à Léa, Léa FELDBLUM, aussi fort
que je le pus. C'était une monitrice qui s'était occupée de la petite enfance lorsque nous étions à la Maison
d'Izieu. Elle servait également de cobaye aux médecins nazis pour les expérimentations médicales et pourtant
moi, je l'avais pris pour ma mère, pendant un instant. C'est à ce moment là, dès mon arrivée que la lumière s'est
comme soudain éteinte. Les bruits sont devenus sourds et forts. Et mon corps s'écroula sur le sol, le sang afflua,
mais je ne sentais aucune douleur. Enfin des mains me portèrent pour me monter aux cieux à la droite de mon
père et à la gauche de ma mère. Le cauchemar était enfin terminé et mes yeux pour l'éternité fermés...
M.-E. B.
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
Si j'avais quinze minutes pour partir et préparer mes affaires, je commencerais par prendre les choses
nécessaires à ma survie durant mon exil, c'est-à-dire de l'eau en bouteille, de la nourriture, et des médicaments.
Je n'oublierais pas de prendre des habits chauds et de quoi me laver. Il me faudra, bien sûr, tous les papiers
nécessaires à mon exil et mon passeport. Je prendrai aussi de quoi écrire pour ne pas perdre ma langue
maternelle, et de l'argent. Sans oublier plein d'amour et de souvenirs gravés à jamais dans ma tête comme dans
mon cœur.
M. - E. B.
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Mon parcours
« … Je veux rester à jamais l'habitant de mes propres rêves, vivre une autre vie éthérée et légère, une existence
féerique sans douleur ... »
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.18
Le 23 mars 1944
Je m’appelle Nina Aronowicz. J’ai 11 ans et je suis née en Belgique le 28 novembre 1932. J’ai été placée à Izieu
sans vraiment comprendre pourquoi. J’ai entendu mes parents en parler, puis plus tard ceux qui nous
encadraient, et à la radio. J’ai cru comprendre que nous étions « différents ». Je n’ai pas voulu chercher plus loin
parce que j’avais peur de connaître la vérité.
J’ai décidé d’écrire ce journal pour me rappeler des moindres détails de cette aventure et je pourrai en parler plus
tard, quand la guerre sera finie, quand je retournerai à l’école et même quand je serai vieille.
Ça fait déjà un petit moment que je suis à Izieu et j’apprécie tous les enfants. Je suis devenue très amie avec un
garçon, il s’appelle Charles, il a 9 ans et il est Parisien. Je ne me rappelle plus quand est-ce qu’il est né, je le lui
redemanderai. Il fait toujours attention à moi.
Aujourd’hui, je me suis isolée vers la fontaine car mes parents me manquent vraiment beaucoup. Je ne les ai pas
vus depuis plusieurs mois, c’est très dur, je ne suis pas habituée à être loin d’eux pendant autant de temps.
J’espère qu’ils vont bien.
Le 27 mars 1944.
J’ai demandé à Charles son nom de famille et sa date de naissance. Il s’appelle Charles Weltner et il est né le
7 août 1934. Aujourd’hui ensemble, on a parlé de nos parents.
Je vais donc parler des miens. Mon père s'appelle Szyja-Leib Aronowicz, il est né le 24 février 1902 à Kozminek en
Pologne. Ma mère s'appelle Mieckla Aronowicz, elle est née le 14 octobre 1903 à Kalisz en Pologne. Ce que je
préférais faire avec ma maman, c'était la cuisine. Elle adorait faire des gâteaux. Et souvent, elle chantait. Alors, on
cuisinait en chantant.
-15-
Avec mon papa, on se promenait souvent dans le parc au bout de notre rue, jusqu'à ce que je sois obligée de
porter une étoile jaune en dehors de la maison. Papa et Maman aussi devaient l'avoir. Je leur avais demandé
pourquoi, et c'est la première fois qu'ils m'ont dit que c'était parce qu'on est différent. Quelques-uns de nos
voisins aussi la portaient. Toutes mes amies qui ne l'avaient pas sur leurs vêtements ne me parlaient plus et ne
jouaient plus avec moi. Ça m'a rendue très triste car je m'entendais très bien avec elles avant de devoir porter
cette étoile. J'ai très vite remarqué qu'à l'école, on était une quinzaine à en porter une et plus aucun de nous
n'avait de copains, ni de copines. Alors on est tous devenus amis. Papa et Maman préféraient ne pas sortir,
hormis pour m'emmener à l'école et aller travailler. Puis la guerre a commencé. On était obligés de se cacher à
cause de notre différence. Mes parents ne m'ont pas expliqué en quoi nous ne sommes pas comme les autres. Ils
m'ont dit que j'étais encore trop petite pour comprendre. On a finalement fui la Belgique et ils m'ont laissé en
France. Je ne sais pas où ils sont, et quand est-ce qu'ils reviendront me chercher mais ils me manquent
énormément.
Le 31 mars 1944.
Aujourd'hui, je vais raconter mon parcours jusqu'à Izieu. C'est ce dont on a parlé aujourd'hui avec Charles. Je suis
née à Bruxelles, en Belgique. J'ai grandi là-bas. Mais dès le début de la guerre, nous sommes partis en France. Ma
tante et mon oncle, eux, sont partis en Amérique. La dernière fois que j'ai vu mes parents, c'est lorsqu'ils m'ont
déposé chez des amis, Monsieur et Madame Régnât. Je ne les avais jamais vus auparavant. Maman m'a dit qu'ils
étaient très gentils, qu'ils allaient prendre soin de moi pendant leur absence et qu'il fallait que je sois sage. Puis,
elle a rajouté avant de partir avec Papa qu'après un certain temps, les Régnât m'emmèneraient dans une maison
avec plein d'autres enfants comme moi. J'ai finalement dû dire au revoir à mes parents. Je me demande quand
est-ce qu'ils viendront me chercher. Je me rappellerai toujours du visage de ma maman lorsque je l'ai prise dans
mes bras pour la dernière fois. C'était assez horrible quand j'y pense. J'avais l'impression que je ne la reverrais
plus jamais, tout comme Papa. Je n'avais jamais vu mon Papa triste, et là, pour la première fois, il avait les larmes
aux yeux. Je pense qu'ils devaient savoir qu'on ne se reverrait pas avant longtemps. Ils m'ont promis pourtant
qu'on se retrouverait. J'ai vécu pendant presque un an chez les Régnât, avec leurs enfants. Je vivais donc à Lunel
dans l'Hérault, en France. Puis, comme Maman me l'avait dit, ils m'ont envoyé dans une maison avec plein
d'enfants. C'était la maison de Campestre dans l'Hérault, puis j'ai été transférée avec d'autres enfants ici, à Izieu.
C'est très joli ici. On voit les montagnes, ainsi que le Rhône, on le voit couler le long des montagnes. On s'entend
bien avec tout le monde. Même avec les voisins. Parfois, ils viennent nous chercher pour aller jouer avec eux ou
pour se promener et plein d'autres activités encore. Tout le monde est vraiment très gentil. Je suis heureuse
d'être dans un aussi bel endroit.
Le 3 avril 1944.
Tous les encadrants ont l'air inquiets, je ne comprends pas pourquoi. Tous les adultes ont un comportement
étrange. Pour nous, les enfants, rien ne se passe de spécial. On joue, on rigole, on a même prévu de se voir une
fois que la guerre sera terminée. Je n'ai plus de nouvelles des membres de ma famille depuis longtemps, j'espère
qu'ils vont bien. Ma tante et mon oncle sont en Amérique, mes parents sont partis et depuis je n'ai plus aucune
nouvelle. Heureusement, Charles est toujours là pour me soutenir car il me comprend, il vit la même chose que
moi. Il ne me dit pas grand chose sur sa famille, je crois que c'est parce que ça le touche beaucoup, ça doit lui faire
mal d'en parler.
Le 9 avril 1944.
Je suis à Drancy, de méchants hommes brutaux sont venus nous chercher. Je me suis d'ailleurs blessée lorsqu'ils
m'ont mis dans la camionnette. J'ai réussi à rester vers Charles, le voyage fut long. Lorsqu'on s'arrêtait, les
hommes qui étaient venus nous chercher ont frappé certains d'entre nous. J'ai beaucoup pleuré, certains de mes
amis ont été grièvement blessés. Charles m'a murmuré à l'oreille que je devais essayer de me rappeler tout les
moments heureux que j'avais vécus. Alors j'ai pensé à mes parents, puis cela m'a rendue encore plus triste. Donc,
j'ai pensé à nos moments à Izieu. J'ai alors repensé à la lettre
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qu’Otto m'avait écrite, cela m'a fait sourire. Depuis, je la relis sans cesse. Je ne pense pas pouvoir beaucoup
écrire à présent.
Je cache mon carnet du mieux que je peux. J'ai peur, j'ai vraiment très peur. J'ai entendu dire que certaines
personnes étaient tuées parce qu'elles avaient écrit. Je ne veux pas mourir. Si ces hommes découvrent mon
carnet, ils pourraient me tuer, cela m’effraie tellement. Qu'est-ce qu'ils veulent nous faire ? Qu'avons-nous fait de
mal ? Et s'ils nous tuaient tous ? Mes amis, ma famille et moi ?
Le 10 avril 1944.
Nous allons être transférés d'ici peu. Je crois que c'est à « Auschwitz » mais je ne suis pas bien sûre. Je ne sais pas
ce qui va nous arriver. J'ai très peur. En réalité, tout le monde a peur. Je les entends arriver. Ils n'ont pas l'air
contents, je ne sais pas ce qu'il va nous arri ...
« Ce jour là, Nina aurait pu être en train d'écrire lorsque la Gestapo sont venus chercher les enfants d'Izieu ainsi
que leurs éducateurs. Prise violemment par le bras, traînée à terre, blessée, voire même frappée. C'est ainsi que
cela se passe. On nous prend des gens qu'on ne nous rend pas. La mort est parfois précipitée. Soit par la maladie,
ou par le meurtre. Nina avait seulement 11 ans et Charles n'en avait que 9 lorsqu'ils ont été tués par ces barbares.
Comment peut-on vivre la conscience tranquille tout en sachant qu'on a causé la mort de milliers de personnes ? »
A. B.
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
Je me précipiterai dans ma chambre pour prendre le plus grand sac que j'ai. J'y mettrai deux sweatshirts, deux
débardeurs, un gilet, un jean noir, un survêtement, un bonnet, des gants ainsi que quelques sous-vêtements et
quelques paires de chaussettes, en privilégiant les plus chaudes et épaisses. Je prendrai ma batterie externe, mes
deux téléphones, mes chargeurs, mes écouteurs et mon livre préféré Qui es-tu Alaska ? de John Green. Je
chercherai rapidement mes carnets - où j'aurai placé quelques photos de famille, des dessins de mes deux petites
cousines et des mots transcrits de ma tante et mon petit cousin - ainsi qu'un critérium et des stylos et les mettrais
en vrac dans mon sac. Sur mon lit, déjà défait vu qu'il n'est quasiment jamais ordonné, je prendrai mon plaid au
cas-où je me retrouverai dehors, dans le froid hivernal. J'irai rapidement dans la salle de bain pour prendre ma
brosse à cheveux, une serviette, le premier gel douche qui me passe sous la main, mon dentifrice ainsi que ma
brosse à dents et pour finir deux ou trois élastiques pour les cheveux pour éviter qu'ils ne me gênent, tout en
prenant soin de me les attacher dès que j'en ai un sous la main. Je filerai à la cuisine prendre deux bouteilles
d'eau puis quelques trucs à manger. Pour terminer, je me dirigerai vers les bijoux de ma mère pour prendre la
bague que mon grand-père avait offert à ma grand-mère avec les initiales de leurs prénoms « AA » et dont ma
mère avait hérité. Alors, je vérifierai si je porte bien le collier que mon ami m'a offert. Puis je partirai - à
contrecœur - en regardant ma maison, sans doute en pleurant, laissant tout mes souvenirs, toute ma vie derrière
moi en me disant que je ne reverrai peut-être plus ni mes parents, ni même le reste de ma famille. C'est donc le
cœur lourd que je m'en irai.
A. B.
-17-
Les enfants du silence
(Photo archives Maison d’Izieu)
« …J'ai la sensation que cette addition de petites douleurs me confirme que je suis bel et bien vivant … »
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.18-19
Je suis le cadet de la famille, je me nomme Elie, je suis né le 20 Novembre 1933 à Mostaganem, en Algérie. J'ai un
petit frère 8 ans, Jacob, et une grande sœur de 12 ans, Esther. Quand j'ai eu 6 ans, on a appris qu'une guerre se
déroulait en Europe. Mais cette guerre se ressentait aussi ici, en Algérie ; des groupes de résistance se formaient
déjà, comme les volontaires du Maghreb. Les Juifs d'Algérie étaient désormais inférieurs aux Musulmans. Maman
et papa étaient inquiets, je le sentais lorsqu'ils me bordaient, le soir, ainsi que ma sœur et mon frère. Mais aucun
de nous cinq n'aurait pu, ne serait-ce qu'imaginer, ce que le destin nous réservait.
Je ne sais plus pourquoi ni comment, mais mes frères et moi avions fait un voyage en France. Un voyage, c'était le
mot qu'avaient employé papa et maman, pourtant ils nous laissèrent ici, en nous bafouillant quelques
explications incompréhensibles, qu'ils prononçaient alors qu'ils pleuraient. Nous, nous ne comprenions pas, mais
nous pleurions tout de même. Nous avons appris par la suite que nous étions dans une colonie pour enfants, que
nous allions vivre ici avec d'autres enfants qui venaient de nombreux d'endroits ; nous ne retenions que les noms
des pays : Allemagne, Pologne, France, Algérie, Autriche … nous étions bien une grosse quarantaine ici ! J'aurais
aimé pouvoir dire à maman que j'étais heureux, que Jacob et Esther s'occupaient bien de moi. Et j'aurais
également aimé dire à papa que je travaillais du mieux que je pouvais, et que j'étais sage. En fait, j'aurais
simplement aimé être avec eux, réunis, comme avant. Nous vivions comme ça, simplement, sans jamais trop se
poser de questions. Ce qu'il se passait à l’extérieur ? C'était pour les grandes personnes. Nous, nous nous
contentions de sourire et de jouer. Bon, bien sûr, nous nous posions des questions, des questions pleines d'une
innocence bouleversante. Puis, il y eut comme un dénouement malheureux, comme une déformation volontaire
d'une œuvre rendue parfaite antérieurement.
C'était une belle journée de printemps ; une matinée d'avril où retentissait le chant des oiseaux dans la plaine
couverte d'un nouveau manteau vert. Nous nous apprêtions à manger notre délice matinal, lorsqu’ une brutalité
morbide vint gâcher notre utopie créée à partir de bribes de rêves et de quelques folies égarées. Ces tueurs
légaux allemands sont venus pour nous, mais pourquoi ? Mes questions manquèrent
-18-
de réponses, ainsi que de temps. Cette rafle nous a expédiés à Montluc, prison du 3° arrondissement lyonnais,
avec une entrée barrée d'une pancarte en hauteur où étaient inscrites les informations suivantes : « Prison
Militaire, 1921 ».
Un point de vue diffère beaucoup en fonction d'une pensée ; la gestapo pensait que nous manquions de
perfection humaine ; mais je me suis toujours demandé comment on pouvait juger une vie à peine commencée, à
peine pensée, à peine gênante. Nous étions victimes d'un acharnement discriminatoire ordonné par un tyran.
Après cette brève rétention, on nous envoya, mon frère et ma sœur, moi, ainsi que les autres, au camp de Drancy,
au Nord Est de Paris. Là-bas, l'ambiance était lourde et pleine de mort, les bâtiments étaient délabrés, les gens
affamés, les gardes violents et la survie difficile. Je ne pensais plus. Je ne posais plus de questions. L'horreur que je
voyais quotidiennement suffisait à mon esprit encore trop innocent pour comprendre. Ma seule pensée fut bien
trop naïve pour que la vie me croie ; je me disais qu'une belle fin m'attendait après ce cauchemar. Mais c'est la
mort qui arriva.
La peur. Une foule. Des gardes. Un train. Un wagon plein. Le départ. Des paysages. L'inconnu. La peur. La gare de
débarquement. Le tri. Une salle. Des douches. L’incompréhension. Des souvenirs.
C. C.
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
Si j'avais 15 minutes pour partir, je laisserais mon passé de côté et je penserais au futur. Je prendrais donc
le nécessaire pour ma survie, comme de la nourriture et de quoi boire, ainsi que mon téléphone et son chargeur.
J'aurai aussi une petite trousse de secours, et, pour la nuit, une petite couverture ainsi qu'une lampe torche. Je
penserai aussi à mes papiers d’identité et de quoi me changer et le minimum pour mon hygiène.
C. C.
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Comme un petit frère
« ... J'ai déjà fait mes adieux à ceux que j'aimais, me dis-je, à mes amis et mes villes. Mais je n'ai pas encore fait
une vraie séparation. Peut-être parce que la vraie séparation n'est pas encore possible. Les gens avec qui nous
avons vécu, ils sont nous-mêmes : nous sommes notre propre histoire. Si nous pouvions, même pour un court
instant, sortir de cette histoire, alors la séparation deviendrait possible... »
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.32
C’'était une grande maison, certain la voyaient comme une colonie de vacances, d’autres comme un
refuge. Moi, je n’avais pas encore réussi à déterminer pourquoi je me trouvais ici. Sami, non plus d’ailleurs. Nous
sommes arrivés le 3 juillet 1943, nous venions d’être délivrés de ce qu’ils appellent le centre d’hébergement, nous
étions terrorisés. Sami ne savait pratiquement plus où il se trouvait. Il avait perdu sa mère huit mois plus tôt, elle
a été déportée, mais il ne se rendait pas compte du haut de ses trois ans et demi de ce qui lui était arrivé.
Personne ne lui avait dit qu’elle était décédée, tout le monde le savait, tout le monde le regardait faire des tonnes
de dessin en lui promettant de les donner à sa mère. Je n’étais pas d’accord avec cela, pour moi, Sami, même s’il
était encore un bambin, devait connaître la vérité et on ne devait pas la lui cacher. Mais on m’avait formellement
interdit de lui dire quoi que ce soit. Les adultes, que l’on considérait quasiment comme nos parents, cherchaient
seulement à nous redonner le sourire après les horreurs dont nous sortions, c’est pourquoi ils avaient caché la
mort de sa mère à Sami. Dans cette maison nous bénéficiions de l’affection parentale à laquelle les rafles nous
avaient brutalement arrachés. Nous étions plusieurs par chambre, je partageais la mienne avec Sami, qui, tous les
soirs, me répétait le même phrase qui m’arrachait le cœur :
« Max ?
Oui ?
Tu crois que ma maman va revenir un jour ? »
Et moi, obligé de lui mentir, tous les soirs, je lui répondais :
« Oui, bientôt »
Il souriait puis se rendormait. Moi, je n'ai jamais su ce qu'il en était de mes parents. J'aimais regarder les
étoiles le soir en me disant que s'ils n'étaient pas vivants, ils étaient là, dans le ciel et ils brillaient. C'était souvent
quand la nuit tombait que je pensais à eux. La journée, les moniteurs faisaient leur possible pour nous occuper.
Des jeux, des promenades, des dessins, tout était bon pour nous faire oublier l'horreur que nous avions pu vivre.
Dans cette maison, nous nous sentions à l’abri, protégés.
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Nous étions beaucoup, je ne sais trop combien mais je me demandais comment ils pouvaient tous nous gérer sans
que aucun de nous ne se sente ignoré. C'est ainsi que ce matin je me réveillais, on pouvait déjà sentir l'odeur du
pain frais, les rayons de soleil passaient à travers les vitres des fenêtres et venaient dorer les murs blancs qui nous
entouraient. Je levais le drap qui me recouvrait. Sami dormait encore, il avait du mal à s'endormir le soir, il lui
manquait à lui, comme à nous tous, le baiser d'une mère pour nous rassurer et éloigner les mauvais rêves. Je
descendais les escaliers qui grinçaient sous chacun de mes pas. Sami descendait à son tour et s'installait à table à
côté de moi. Nous nous étions réveillés les derniers, tout le monde était déjà habillé. Certains, comme Sami et
moi petit-déjeunions, d'autres jouaient. Cela faisait longtemps que je n'avais eu pareil réveil, la journée
commençait bien. C'était le premier jour de nos vacances, je savais déjà que nous allions passer la journée à
dessiner ou à jouer au ballon dehors. La maîtresse était partie, la classe allait restée vide pendant deux semaines.
Nous allions enfin nous enlever de la tête ces horribles multiplications et dictées qui me rappelaient à quel point
l'orthographe française est compliquée. C'est à ce moment que Léa vint s’asseoir à côté de Sami (ce qui d'ailleurs
le fit sourire jusqu'aux oreilles). Sami adorait Léa, il en était même secrètement amoureux. Comme beaucoup de
nos camarades en fait. Léa était une des adultes qui nous encadraient, elle passait la plus grande partie de son
temps avec les plus petits. Nous commencions à manger quand trois hommes, un petit et deux grands et forts,
frappèrent à la porte et entrèrent. Ils avaient l'air méchant, on pouvait savoir, rien qu'avec l'expression de leur
visage, qu'ils ne nous voulaient pas du bien. L'un d'entre eux déclara : « Monsieur Léon Reifman, descendez, on a
besoin de vous »
Léon courut dans les escaliers pour se sauver. Les trois hommes s'approchèrent du salon et le plus petit
donna l'ordre aux deux autres de nous capturer. Nous étions bloqués, nous ne pouvions plus nous sauver. Des
cris, des pleurs, très vite la terreur se propagea. Un homme m'attrapa, l'autre prit Sami. Nous essayions de nous
débattre comme nous le pouvions, mais ils étaient beaucoup trop forts pour des enfants comme nous. Ils nous
jetèrent dans un énorme camion. Certains d'entre nous tentaient de s’échapper par le haut, mais ils étaient vite
rattrapés et jetés sur le sol du camion par les deux brutes. J'étais figé, pétrifié. Je ne comprenais pas. Mon unique
et seule occupation était de consoler Sami qui pleurait à chaude larmes tandis qu'une des grandes perches nous
criait de nous taire. Monsieur Zlatin essaya de protester mais il fut rapidement calmé par l'Allemand qui lui
enfonça son immense arme à feu dans le ventre et lui donna un coup de pied dans les jambes qui le fit tomber à
terre. C'est à ce moment que je pris conscience de ce qui nous arrivait. Je regardais autour de moi. Nous étions
tous entassés, tous pleuraient, même les adultes. Sami me posait nombre de questions auxquelles je ne pouvais
pas répondre :
« Où est-ce qu'on va ? » « Qu'est-ce que ces hommes nous veulent ? » « Pourquoi sont-ils méchants ? » « Est-ce
que nous rentrons chez nous ? »
A vrai dire, je savais que nous ne rentrions pas chez nous. Je savais également pourquoi ils étaient
méchants, car nous étions Juifs, et que eux étaient Allemands et nazis. En revanche je ne savais pas ou nous
allions. Peut être sommes-nous sur la route pour Rivesaltes et nous allions retourner au camp d'internement.
Cette idée me faisait froid dans le dos. Les rats, le manque de nourriture, d'eau et les gens malades, je ne voulais
pas revivre tout ça. Après un trajet qui me paru une éternité, le camion s'arrêta, les portes s'ouvrit. On nous fit
entrer brutalement dans un gigantesque et sinistre bâtiment sur lequel je lu l’inscription « Prison de Montluc ». A
l'arrivée un vieil homme sévère nous demandait notre nom et notre prénom. J'observais l'environnement où je
me trouvais et je compris que le cauchemar commençait. Sami s'avança :
« Ton nom ?
Samuel Adelsheimer. »
Puis ce fut mon tour : « Ton nom ?
Je m'appelle Max Leiner. »
Je crois que les conditions dans cette prison étaient pires que celles dans les camps d'internement. Ici nous
n'avions pas de nourriture. Je ne comprenais pas pourquoi nous étions enfermés. Les voleurs et les criminels vont
en prison mais nous n'avions commis aucun crime. Le fait d’être Juif était-il un crime ? Est-ce que ma religion était
un argument assez fort pour mériter cela ?
-21-
Est-ce une raison assez valable pour me faire frapper, insulter et enfermer alors que je n'ai que huit ans ? Nous
mourrions tous de faim, de soif et de peur. Nous étions toujours aussi entassés dans nos cellules, nous étouffions.
Les jours paraissaient longs. Quelques jours après notre arrivée, les mêmes hommes qui nous avaient fait
enfermer ici, vinrent pour nous faire remonter dans le camion avec la même violence. Sauf que cette fois-ci le
trajet fut beaucoup plus long. Le camion s'arrêta, les portes s'ouvrirent. J'avais l'impression de revivre ce que
j'avais vécu quelques jours auparavant. Les Allemands s’écrièrent :
« Tout le monde descend et que ça saute ! »
Nous étions arrivés à Drancy. Quand nous entrions, je découvrais un bâtiment sinistre avec des sortes
d'appartements entassés les uns sur les autres. C'était un lieu fermé et gardé par des hommes en uniforme. Je
pensais que notre cauchemar s’arrêtait ici mais j'étais vraiment loin de la réalité.
Le 13 avril 1944, on nous emmena prendre un train. Je n'en savais pas plus que cela. Sami était placé à
côté de moi, nous étions beaucoup dans le wagon, tellement que nous étouffions. Certain s'évanouissaient.
Certains enfants de la colonie n'étaient pas partis. Le trajet dura deux jours, ce fut interminable. Nous sommes
alors arrivés devant une sorte de camp. L'entrée comportait les inscriptions « Le travail rend libre » en allemand.
A l'arrivée nous avons été tatoués d'un numéro comme si nous étions des animaux. Puis les Allemands nous ont
emmenés avec brutalité à ce qu'ils appelaient « la douche ». Ils nous ont alors demandé de nous déshabiller
devant tout le monde : je n'ai jamais ressenti pareille honte.
Puis nous sommes entrés dans une pièce sombre et sinistre, sans fenêtres. Après quelques minutes, je vis des
visages se décomposer, puis je m’endormis au côté de Sami, qui fit de même.
C. C.
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
« Il me reste quinze minutes pour partir, quinze minutes qui semblent être des secondes. Je prends
d'abord de quoi survivre, des médicaments, à boire, à manger et quelques vêtements chauds. Puis je prends
quelques souvenirs, mon collier porte-bonheur et une photo de ma nièce et de ma famille. En voyant tous ces
objets, je me remémore tous les moments en famille que j'ai passé, ma vie d'avant, ma vie normale. Je lâche deux
larmes qui tombent sur la photo de ma nièce, je comprends que je ne vais pas la voir grandir, elle est à peine âgée
de six mois. Puis enfin, je prends mon téléphone et son chargeur dans l'espoir de pouvoir avoir des nouvelles des
êtres qui me sont chers. Je réalise que je vais devoir dire au revoir à ma demeure, mon pays, mes amis et ma
famille. J'embrasse mes parents puis passe le pas de la porte, le cœur brisé. La peur au ventre, je me dirige vers le
train, mon sac sur le dos. »
C. C.
-22-
Sans nom
« … J’ai l’impression que je suis Shéhérazade, que le récit de ma vie d’avant n’est qu’un conte ténébreux où défilent
à nouveau des chemises brunes, où l’on brûle encore une fois des villes, des gens et des livres … »
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.48
Stanley : « Bon, tu as des idées pour le projet sur le biopic de la fratrie déportée ? Comment ils s’appelaient
déjà ?
Arthur : Jacques, Richard et Jean-Claude Benguigui.
Stanley : Oui, bon, tu penses à quoi ?
Arthur : Je pensais construire le film autour de plusieurs flashbacks des 3 gamins juste avant d’entrer sous la
douche. Le spectateur verrait comment ils en sont arrivés là.
Stanley : Pas bête, on ferait un flashback qui réunirait les souvenirs des 3 frères à plusieurs époques, jusqu’à
Auschwitz où ils ont été gazés.
Arthur : Et on finirait par une mise en scène du procès de Klaus Barbie, l’officier SS qui les a fait déporter, au
moment où leur mère Fortunée Benguigui a fini par rassembler des preuves ayant permis de faire juger les nazis
impliqués dans les arrestations. On rajoutera aux dialogues leurs qualités et à quel point ce qui s’est passé ne doit
jamais se reproduire.
Stanley : Excellente idée. Par quoi on commence ?
Arthur : Je pensais à une première partie sur leur enfance à Oran en Algérie.
Stanley : Ils sont originaires d’Algérie ?
Arthur : Oui, ils sont venus en France en 1942, à Marseille.
Stanley : J’ai besoin d’indications sur leurs personnalités, pour diriger les acteurs.
Arthur : Je n’ai pas trouvé grand-chose à ce sujet. Apparemment, Jacques était scout, c’était un meneur et il était
toujours de bonne humeur. Il s’entendait à merveille avec son frère Richard, et tous deux faisaient des concours
de fou-rire. Jean-Claude, lui, était très souple et faisait beaucoup de gymnastique et les adultes le regardaient
faire ses exercices.
Stanley : On n’a rien d’autre ? En même temps, ils n’ont pas vécu assez longtemps pour qu’on les connaisse
mieux. C’est déjà triste d’être connu pour ça.
Arthur: Pour sûr. Bref, après ça, on peut monter quelques séquences dans lesquelles ils voyagent jusqu’à Izieu, on
montre leur nouvelle vie là-bas et ensuite on montre l’arrestation par Klaus Barbie de tous les enfants présents.
-23-
Stanley : Tu ne trouves pas ça un peu expéditif ?
Arthur : Si, tu as raison, on peut monter des images d’eux en train de s’amuser en classe, ou avec les enfants du
village, ou même d’autres enfants d’Izieu comme Georgie.
Stanley : D’accord, et pour la scène suivante, on pourrait mettre un convoi armé nazi se dirigeant jusqu’à chez
eux. Après que Léon Reifmann se soit enfui en pensant que la gestapo venait pour lui, les enfants essaieraient de
se cacher mais je pense à faire en sorte que Barbie menace de faire brûler la maison s’ils ne sortent pas.
Arthur: En effet, ce n’est pas ce qui s’est passé mais c’est plus simple qu’une scène où les nazis cherchent un par
un les enfants. Après ça on enchaîne sur une scène où ils sont envoyés à Montluc, la sinistre prison lyonnaise qui a
accueilli plus de 10000 prisonniers durant toute la guerre, puis à Drancy, où environ 67000 Juifs ont transité pour
être conduits à Auschwitz par le convoi 71.
Stanley : Puis on monte quelques images du voyage et des conditions dans les wagons, on filmerait l’intérieur du
wagons avec tout le monde entassé et certains qui tentent de boire quelques gouttes d’eau dans les nœuds du
bois, tiens, tu savais qu’ils se tenaient pour pas tous tomber, car ils n’avaient pas la place de s’asseoir ? Ou qu’ils
passaient cinq jours dans les wagons sans eau, sans nourriture et sans hygiène ? Ensuite on fait une ellipse jusqu’à
la scène où ils arrivent aux portes du camp, des nazis leurs prendraient tout leurs biens puis ils regarderaient les
cheminées et des enfants qui viennent d’arriver se diriger vers les douches pour faire comprendre au spectateur
ce qui va leur arriver.
Arthur : Après ça, on enchaîne les scènes de la vie dans le camp pour montrer l’horreur d’Auschwitz. On peut
montrer des enfants morts de faim, de froid ou de maladies. On verrait des Juifs rasés et tatoués faire des travaux
dangereux ou bien d’autres manger uniquement les petites rations réglementaires. On peut aussi montrer des
nazis passer à tabac des Juifs et on passe à la scène de début où ils entrent dans la chambre à gaz, la caméra reste
sur les portes qui se ferment et on laisse juste les bruits du gaz qui s’échappe et leurs cris de douleurs. Puis on
passe à la scène du procès de Klaus Barbie, puis générique.
Stanley : Et pour finir, on fait une réplique de fosse commune ou l’on verrait leurs cadavres. On pourrait rajouter
des petits détails, comme la trace des ongles au plafond des chambres à gaz, ou des nazis qui tuent des Juifs au
gré de leurs envies alors qu’ils commencent sérieusement à perdre la guerre. Ce film va faire un carton, bon on se
retrouve sur le plateau de tournage, à bientôt.
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
Mince, que 15 minutes pour faire ma valise ! Je dois choisir méthodiquement, je ne reviendrai sûrement
jamais… Mais je m’égare, pas le temps de penser ! Que mettre ? Des vêtements pour commencer, mon portable ?
Non il est déjà dans ma poche, mais son chargeur par contre, oui. Quoi d’autre ? Mon PC ? Oui très important, je
dois rester informé et ça m’occupera. Ma console, oui, il y aura bien une TV là où j’irai, à moins que j’emporte la
mienne ?... Mais qu’est ce que j’imagine, c’est une valise pas un coffre. Quoi d’autre… ma collection du cycle de
Dune, comment ai-je pu ne pas y penser avant ? Il faut aussi que je prenne un oreiller, au moins un petit. Je vais y
mettre aussi de l’eau et de la nourriture, sait-on jamais, et s’il me reste de la place, le plus de films possibles. Mon
Dieu qu’elle est lourde, je me sens tel Atlas à chaque mouvement. Voila, elle est rangée dans le coffre, ma
ceinture est bouclée et le moteur est démarré. Adieu ma maison et adieu, France qui m’a vu grandir, tu me
manqueras.
A. C.
-24-
Un ami parti trop tôt
« …Le ciel est comme il est. La terre aussi. Jusqu’à la mort. Il n’est pas de grands romans, la condition de l’homme
est dérisoire. Une géographie en vaut une autre, un rêve est une vie aussi. Il n’y a qu’une histoire vraie. Les choses
durent plus que les hommes… »
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.72
Comme tous les dimanches, j’allais chez ma grand-mère, mais ce dimanche changea mon état d’esprit
pour toujours. Jusque là je trouvais que ma vie était d’un ennui mortel. Comme d’habitude en arrivant chez elle,
elle nous embrassa tous très fort et nous posa comme toujours les mêmes questions, sur les sujets suivants : les
amours, les amis, la santé et l’école. Ma grand-mère – ex-professeur d’histoire – me posait toujours des tas de
questions sur ce que je faisais en histoire. Quand je lui appris que nous avions un projet de rédaction sur des
enfants déportés dans l’Ain plus précisément à Izieu, et que je lui expliquai l’idée plus précisément, elle me
demanda quel enfant j’avais choisi. Je lui répondis qu’en face de cette longue liste funèbre, j’avais été comme
attirée par un prénom plus précisément, celui de Gilles SADOWSKI. A l’entente de ce nom, ma grand-mère fit un
bond. Elle avait une drôle d’expression plaquée sur le visage. Je continuai de parler de cela, tout en disant que je
commençais à regretter d’avoir pris cette personne car, après plusieurs recherches je n’avais rien trouvé.
Immédiatement ma grand-mère comme prise d’un excès de folie, me prit le bras et m’emmena dans sa chambre.
Elle me laissa toute pantelante au milieu de cette pièce, totalement perdue. Pendant qu’elle courrait dans tous
les sens dans son habitation. D’un coup elle se stoppa et se retourna toute souriante avec une boîte à chaussure.
Je la regarde perdue. Elle me tendit cette dernière que je refuse en lui disant que, je ne voulais pas d’une paire de
chaussure. Elle leva les yeux, exaspérée, et me mit en main cette boîte et me dit droit dans les yeux
« n’abandonne jamais cet enfant, jamais. ». Curieuse de savoir ce qu’il y a dans cette dernière, je l’ouvris comme
Pandore l’avait fait avant moi, sauf que ce que je découvris à l’intérieur se fut des lettres, mais ce que je découvris
au fil des jours à travers ces lettres une histoire tout autant tragique. Suite à ça ma grand-mère me fit un bisou,
elle avait les yeux scintillants. La soirée passa très rapidement, je n’avais qu’une pensée en tête, découvrir ce qui
se trouvaient dans ses lettres et quel était le lien avec ce Gilles.
Le lendemain soir après les cours, je rentre chez moi, salue mes parents et me dirige par automatisme
dans ma chambre, mes yeux sous la fatigue se ferment… quand soudain ils se rouvrirent soudainement : les
lettres ! Je me dirigée vers mon placard, dans lequel j’avais placé la boîte. J’ai regardé les lettres et pris celle avec
la date la plus ancienne : 26 juillet 1942.
-25-
Dans cette lettre Gilles racontait à une certaine Hélène – ma grand-mère – que ses parents étaient allés
voir quelle route serait la meilleure pour “passer” en toute discrétion. En attendant il habitait avec sa tante et sa
cousine Lily, il était toujours à Paris mais au lieu du 20ème
arrondissement il se trouvait à présent dans le 11ème
arrondissement. Sa tante était très gentille avec lui, elle aussi était juive et se cachait du mieux qu’elle pouvait,
des amis lui apportaient des provisions. Dans sa lettre suivante Gilles annonçait à Hélène que ses parents
n’étaient pas revenus.
Sa tante lui avait dit qu’ils avaient peut être mal estimé leur temps de route et qu’ils seraient sûrement la
demain au plus tard. Quelques jours plus tard Gilles apprit que sa mère avait été arrêtée et envoyée au
Vélodrome d’hiver. Gilles était bien jeune mais, il avait très vite compris que sa mère n’avait guère de chance de
survivre, il avait entendu dire de sa tante, qui parlait au téléphone, que de nombreuses autres personnes avaient
été emportées là-bas, et que tout ceux qui avaient été envoyé à cet endroit ils avaient été envoyé à la prison de
Montluc, puis dans le camp de Drancy, puis à Auschwitz. Sa tante qui parlait ajouta que très peu de gens
arrivaient à partir de ce camp. Il fit part de ses peurs et de ses sentiments à ma grand-mère et lui avoua que cette
nuit là il avait pleuré toutes les larmes de son corps. Il savait ce qui se passait dehors, il savait qu’il risquait le
même sort que ses parents, mais il ne comprenait pas pourquoi tant de haine envers les juifs, qu’avait il fait pour
mériter cela ?
Gilles qui vivait toujours chez sa tante s’était rapproché de sa cousine Lily il devinrent comme frère et
sœur, il envoya une photo, à sa confidente, de lui et Lily. Sur cette photo Lily tenait la main de Gilles. Cette
dernière portait une robe et dans ses cheveux un nœud blanc y était logé. Lily dépassait d’une tête Gilles. Ce
dernier paraissait heureux à présent. Il raconta dans chacune de ses lettres ce qu’il faisait, chaque jour il vivait
une nouvelle expérience, toujours caché mais il la vivait tout de même. Il comprit que malgré le fait que le danger
se trouvait derrière les murs de la maison, il ne lui arracherait jamais son bonheur, et sa joie de vivre. Enfin c’est
ce qu’il croyait… Le 26 août, cette date ce petit garçon n’était pas prêt de l’oublier. Sa tante ce jour là se fit
embarquer, par la même occasion Lily qui avait vu sa mère partir était sortie de leur planque et s’était faite
attraper. Il se souvient encore que les hommes avaient crié : « Nehmen sie nach Auschwitz ! Juden schmutzig ! »
Gilles aurait voulut venir avec elles mais, tétanisé par la peu,r il ne put réussir à sortir de la planque, en dessous
du parquet. Après cette date, il n’y eut plus de lettres pendant un an…
Durant l’été 1943, il envoya de nouveau une lettre à ma grand-mère lui expliquant n’avait pas pût lui envoyer de
lettres car il n’avait pas le droit de sortir de sa cachette. Il avait survécu grâce à des anciens amis de sa tante qui
venaient lui apportait à manger. Il lui expliqua aussi qu’un groupe de personne et venu le chercher leur groupe
s’appelle l’O.S.E – Œuvre de Secours aux Enfants – l’avait emmené à Izieu dans l’Ain. Il lui décrivait la maison
d’Izieu comme un lieu “paradisiaque”. Il lui expliquait qu’il y avait des gens de son âge mais qu’il avait peur de se
faire ami avec eux, car tout les gens à qui il s’était attaché et qui était comme lui juifs étaient mort- il ne voulait
pas voir quelqu’un d’autre à qui il tenait mourir-. A part ça il adorait être à Izieu. Lui qui jusqu’ici avait vécu en
ville décrivait les animaux qu’il voyait à Hélène dans ses lettres et essayait du mieux qu’il pouvait de les
reproduire en dessin. Parfois il allait à la cascade de Glandieu, qui était pas très loin de la maison d’Izieu,
accompagné des grands. Les personnes du village étaient très gentilles avec lui. Il expliqua qu’il était très surpris
que des personnes qui n’étaient pas juives, étaient indifférentes qu’il le soit. Le soir, les moniteurs et monitrices,
surtout Paulette, ou comme il le disait au départ Madame Pallarès, essayait de calmer les enfants qui criaient la
nuit, sous les images de leurs proches morts pour certains, pour d’autre la peur d’être embarqué et tué, les plus
petits pleuraient sous le manque de leurs parents. Beaucoup de jeunes enfants s’amusaient à répéter que leurs
parents allaient revenir et les grands pour les préserver nourrissaient leurs espoirs. Il y avait deux dortoirs dont un
rose et un bleu, plus la magnanerie qui était utilisé comme dortoir pour les garçons quand il n’y avait pas assez de
place. Les dortoirs étaient mixtes. Gilles s’amusait à décrire aussi les plats qu’il mangeait. Il disait qu’il n’avait
depuis longtemps pas mangé autant et aussi bon. Il ajouta aussi qu’une éducatrice – Léa Feldblum – s’amusait
chaque jour à leur préparer des desserts différent : parfois des crêpes, une autre un gâteau ou bien une tarte.
-26-
A l’automne 1943, les plats se firent moins nombreux, Gilles, caché, avait entendu que les tickets d’alimentation
devenaient de moins en moins suffisants. Puis Gilles reprit l’école. Il reprit les cours grâce à Gabrielle Perrier.
Monsieur et Madame Zlatin avaient aménagé un ancien dortoir en salle de classe. Il avait appris beaucoup de
choses et avait l’impression d’être revenu dans sa vie d’avant, lorsqu’il pouvait aller en cours tranquillement sans
risquer sa vie.
A Izieu, il avait l’impression que rien ne pouvait lui arriver, il savait qu’il était en zone libre c’est les
personnes de l’O.S.E qui lui avait dit, au départ il ne les avait pas cru, mais plus le temps passait plus il
commençait à croire que cela était vrai et il commençait à reprendre confiance. Les petits disaient de plus en plus
souvent que c’était un mauvais moment à passer, que la guerre allait finir et que leurs parents
reviendraient. Gilles espérait que son père soit encore vivant. Qui sait ? Il est peut être encore vivant.
5 avril 1944, dernière lettre de Gilles : il écrit qu’il a hâte, car le lendemain il va fêter Pâques, chose qu’il
n’avait pas fait depuis longtemps. Il dit qu’il lui enverrait une lettre pour lui décrire ce moment merveilleux. Il lui
avoue qu’à présent il pense que jamais la guerre n’arrivera ici, il se sent apaisé. Il n’entendait plus les voix des
gardes Allemand crier leurs ordres depuis quelques mois à présent. Les seules voix qu’il entendait étaient celle
des moniteurs, des adultes et des enfants dans la maison.
Je relève la tête, bouche bée, je crois comprendre pourquoi se fut la dernière lettre de Gilles. Une larme à
cette pensée coule le long de ma joue. J’attrape mon téléphone pour appeler ma grand-mère lorsque soudain
j’aperçois l’heure. Il est 1h18 du matin, je repose mon téléphone, en sachant que cela ne servirait à rien de
l’appelle à cette heure. Je mets mon pyjama et me couche, mes yeux se ferment et je tombe dans un sommeil
profond. Je vois Gilles qui me sourit cette nuit là.
Le lendemain à midi je m’éclipse de la cantine pour appeler ma grand-mère ne pouvant attendre le soir pour lui
poser les questions qui me torturent l’esprit. Le téléphone sonne et quelques sonneries plus tard la frêle voix de
ma grand-mère retentit à mon oreille.
« Bonjour ma chérie, comment vas-tu ?
Je vais bien Mamie dis moi, ce Gilles… il n’a plus envoyé de lettre après le 5 avril 1944, c’est parce que…
Oui ma chérie… il est mort suite à cette lettre
Un instant de silence se place entre nous puis je continue :
Mamie ?
Oui ?
Gilles, il avait beaucoup d’importance pour toi, n’est-ce pas ?
Oui … Il m’était très cher, c’était un garçon très intelligent et très mature pour son âge. C’était mon meilleur ami…
un ami parti trop tôt.
L. D. S.
-27-
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
« J’apprends que les gardes ne sont pas loin, je n’ai que quinze minutes pour faire mon sac et partir de ma maison
dans laquelle se trouvent tant de souvenirs. Je monte dans ma chambre, par habitude de toutes ses années vécu
ici. Je me dirige vers mon étagère sur laquelle tout en haut se trouve mon porte- monnaie, je jette un coup d’œil à
l’intérieur et pense à toutes ces années d’économie. Puis, je jette ce dernier sur mon lit, je me tourne de nouveau
vers mon étagère et au milieu de celle-ci se trouve une photo de ma famille et moi, je l’attrape, la regarde
tendrement et mélancoliquement.
Je me mets à penser que dans quelques minutes, je ne les verrai plus. Elle finit au côté de mon porte monnaie. Je
me dirige ensuite, vers ma bibliothèque à deux pas de mon étagère et attrape le livre Qui es-tu Alaska ? De John
Green. Je prends tout ce qui ce trouve sur le lit et descends les escaliers. Je dépose tout ce que j’ai dans les mains
et les pose sur la table de la cuisine. Je prends un paquet de biscuits dans un des placards et le dépose lui aussi sur
la table. Je me dis que je risque d’avoir faim sur la route, j’attrape une bouteille d’eau et la mets au côté des
autres objets. Ensuite, je me dirige dans le garage et prends dans le placard un sac. Je reviens à la cuisine, mets
tout ce qu’il y a sur la table dans ce petit sac et réfléchis un instant à ce que je pourrais ajouter. Mon livre
contenant toute mes idées d’histoires ! Je ne supporterais pas de ne pas l’avoir avec moi. Je commence à
redescendre, lorsque je me dis qu’il voudrait mieux que je prenne quelque chose pour me réchauffe, on ne sait
jamais. Je reviens dans ma chambre et attrape le plaid au dessus de mon armoire. Je redescends, range tout cela
dans mon sac et regarde son contenu. Tout ce dont j’ai besoin se trouve dans ce sac. A cet instant je me rends
compte que tous ces biens matériels, que j’ai accumulés au fil du temps, ne servent à rien. Le plus important ce
sont les souvenirs, personne ne peut nous les enlever et ils nous suivent, qu’importe là où nous allons. »
L. D. S.
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Mon journal à moi
Photo Archives de la Maison d’Izieu
« Le monde s'éveille péniblement comme s'il avait honte, lui aussi, d'être malade et d'avoir la gueule de bois…
L'air est translucide… J'essaye de me souvenir de la nuit d'avant, et de toutes les autres nuits, mais rien ne me
vient à l'esprit. Je ferme les yeux... »
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.80-81
Lundi 13/03/1944
Depuis quelques temps, notre vie a changé. J'ai décidé de raconter à toi, mon journal, nos joies et nos peurs. Je
n'ai plus le droit d'aller sur les aires de jeux après l'école à Manheim. Je dois rentrer et je ne peux plus jouer dans
la rue avec mes copains. D'ailleurs, depuis que je suis obligé de porter une étoile jaune sur mon manteau, je n'ai
plus de copain. J'ai l'impression que c'est comme si on avait la varicelle et qu'on était contagieux. Je ne
comprends pas toujours ce qu'il se passe. Mes parents m'ont dit qu'un dictateur nommé « Hitler » est à la tête de
l'Allemagne, qu’il n'aimait pas les Juifs et que c'est pour cela qu'il faut que l'on soit discrets. La semaine dernière,
nos voisins, la famille Stein, sont partis encadrés par la Gestapo. Toute la famille, même mon ami Paul. Et depuis,
nous n'avons pas de nouvelles. J'ai l'impression que tous les Juifs ont fui ou sont partis...Mais pourquoi les Juifs ?
Qu'a-t-on de différent ?
Mardi 14/03/1944
Papa et Maman m'ont réveillé ce matin. Maman pleurait. Je ne comprenais pas pourquoi et je lui ai fait un câlin et
nous avons chanté notre comptine favorite « La plus belle des mamans ». Cela lui a redonné le sourire. Je n'aime
pas voir ma mère triste. Je me suis aperçu que mon père avait lui aussi la larme à l’œil. Je l'ai serré dans mes bras
et au final, ma mère nous a rejoints et nous a enlacés. Plus tard, mes parents m'ont emmené à la voiture. Je n'ai
pas compris ce qu'il se passait mais l'ambiance pesante a fait que je n'ai pas posé de questions. Lorsque j'ai vu par
la vitre que nous quittions la ville de Manheim, la peur m'a assailli. J'ai donc demandé où nous allions, ma mère
m'a alors répondu que nous devions partir et qu'ils allaient m'emmener dans une colonie de vacances où je serais
en sécurité. Elle m'a dit d'obéir à madame Zlatin et que je devais être sage jusqu'à leur retour. Je lui ai alors
demandé quand est-ce qu'ils reviendront me chercher. Elle ne savait pas, ils devaient aider quelques amis. La
route fut longue et silencieuse. Arrivés à la grande maison d'Izieu, madame et monsieur Zlatin nous ont accueillis.
Ils nous ont montré toutes les pièces de cette demeure. La maison est beige avec des volets bleus, il y a une
fontaine devant la maison. Nous sommes entourés de fermes et de montagnes. En bas de la colline, il y a un petit
lac.
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J'espère qu'on ira s'y baigner. Il y a beaucoup d'enfants de tous âges et de toutes nationalités mais Monsieur
Zlatin a formellement interdit de parler une autre langue que le français. Cette langue qui est si dure à apprendre
mais que j’aime bien. Mais surtout, j'adore dessiner.
Samedi 19/03/1944 :
Je n'ai pas réussi à prendre le temps d'écrire sur mon journal à cause de mes devoirs, de mon dessin mais aussi de
la journée au lac avec les amis. Je n'ai pas eu de difficultés à trouver des copains. Je m'en suis même fait dans le
village. Madame Zlatin m'a donné une nouvelle carte d'identité avec le nom d’ « Octave Wermet ». Elle m'a dit
que ce nom sonnait moins Juif et que ça me sauverai la vie. Je l'ai remerciée mais je n'ai pas cherché plus loin
même si je me demande pourquoi les Juifs sont chassés. Nous sommes tous égaux pourtant. On pourrait croire
que nous sommes des animaux qui devons à tout prix échapper à des chasseurs. Cette histoire m'intrigue …
Lundi 21/03/1944 :
C'est bientôt l'anniversaire de mon amie Esther. Elle va avoir 12 ans. Elle est dans ma classe avec Jacques. On fait
beaucoup de bêtises ensemble. En revanche, c'est toujours Jacques qui se fait prendre, il est gentil et il s'occupe
bien de ses frères et sœurs. J'aurai aimé avoir un frère, heureusement Théodor est un peu comme mon grand
frère. Vu que nous sommes tous les deux Allemands, parfois, on s'amuse à parler notre langue pour que les
autres ne comprennent pas. C'est notre petit jeu.
Mardi 22/03/1944 :
Aujourd'hui, je n'ai rien fais d’intéressant. Je pense offrir une lettre avec un dessin à Esther. Depuis que je suis
arrivée, une fille m'a tapé dans l’œil mais je ne sais pas comment faire pour lui parler.
Jeudi 24/03/1944 :
J'ai appris que Sarah-Suzanne été née le même jour que moi mais elle a un an de moins. C'est plutôt drôle. Sur les
44 enfants, il y en a une qui a le même jour et le même mois d'anniversaire que moi. J'ai hâte d'être l'année
prochaine pour fêter mon anniversaire et je retrouverai peut-être mes parents s'ils reviennent. Je n'ai toujours
pas de nouvelles depuis mon arrivée ici. Ils me manquent terriblement, j'espère qu'ils vont bien.
Dimanche 27/03/1944 :
Je me rends compte que plus nous sommes petit, plus le français est facile à apprendre, contrairement à Arnold
et Théodor qui ont beaucoup de mal. Jacques m'a conseillé d'écrire une lettre à Nina - sur ses nouveaux papiers
d'identités, son prénom est Mina - pour qu'elle se souvienne de moi. C'est vrai que c'est une bonne idée. Je le
ferai sûrement bientôt.
Archives de la Maison d’Izieu
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Mardi 29/03/1944 :
J'ai offert mon dessin à Esther, elle était très contente. Elle a aussi eu des billes et deux boulets. J'ai aussi,
timidement, donné ma lettre à Nina. Elle m'a fait un bisou sur la joue, je suis devenu tout rouge.
Samedi 03/04/1944 :
Désolé mon cher journal, je t'avais oublié. Ici, il ne se passe pas grand-chose. Mais je passe un peu plus de temps
avec Nina même si elle est souvent avec Charles. Cela m'agace un peu car elle est très proche de lui.
Dimanche 04/04/1944 :
Aujourd'hui, nous sommes allés dans la ferme voisine pour voir les animaux. Avec Jacques, nous avons couru
après les poules pour tenter de les attraper. Elles couraient de partout, c'était assez amusant. Mais ça n'a pas
vraiment fait rire les filles quand elles se sont mises à leur foncer dessus. Mais à un moment, je suis tombé dans la
boue et ça a bien fait rire Nina, donc je me suis vengé en lui courant après en la prenant dans mes bras. Quand
tout-à-coup, une vache a meuglé ce qui nous a fait sursauter alors nous sommes rentrés en courant à la maison.
Les encadrants ainsi que Monsieur Zlatin nous ont sévèrement disputés car nous avions sali l'entrée et les
couloirs.
Vendredi 09/04/1944 :
Tellement de choses se sont déroulées ces quelques jours… Des Allemands avec des camionnettes remplit de
policiers de la milice ont pris tous les enfants, moi y compris, ainsi que les encadrants. Seul Paul a réussi à
s'échapper. Ils nous ont tous répartis dans les camionnettes. L'un d'eux a blessé Nina, cela m'a tellement énervé,
mais j'étais impuissant devant une telle violence. J'ai eu la chance de me retrouver dans la camionnette où se
trouvait Nina, malheureusement je n'étais pas assez près d'elle pour la réconforter. Elle, ainsi que beaucoup
d'autres enfants, pleuraient. Moi non. J'étais beaucoup trop perturbé par les derniers événements pour cela.
Après plusieurs heures de trajet, nous avons été déposés à Montluc, dans une prison aux cellules étroites et
insalubres. Nous avons été placés dans cet endroit sans savoir pourquoi.
-31-
Un encadrant parle déjà de notre mort, cela m'effraie terriblement. Je ne veux pas mourir, je veux juste retrouver
mes parents et sortir de ce cauchemar. À présent, nous sommes à Drancy, vers Paris. D'après ce que j'ai entendu,
c'est un camp d'internement, je n'ai pas vraiment compris mais j'ai supposé que ce n'était pas vraiment le
moment de demander des explications. Je n'ai plus de nouvelles de Nina depuis que nous avons été déplacés à
Montluc, cela m'inquiète.
Mardi 13/04/1944 :
Nous avons été emmenés à Bobigny. Je n'ai pas vu tous mes amis. Ils nous ont entassés avec d'autres personnes
dans des wagons. On ne voit presque pas la lumière du jour. Ils ne nous ont pas donné ni à boire, ni à manger,
alors je suppose que le voyage sera court. Il n'y a pas un bruit, c'est assez perturbant. Je me demande ce qui nous
attend. J'ai trouvé une petite fente qui me donne assez de lumière pour voir ce que j'écris.
Mercredi 14/04/1944
Nous ne sommes pas encore arrivés, mais je pense que le voyage est bientôt terminé. Tout le monde meurt de
faim et de soif. Une odeur d'urine flotte dans l'air, c'est assez infâme. Des personnes sont devenues folles. Je
suppose que c'est à cause de l'enfermement ainsi que leurs passé troublant. Elles me faisaient peur mais je me
rappelais sans cesse que la peur n'avait pas sa place ici. Le train a l'air de s'arrêter, je crois que nous y sommes.
Autour de moi, c'est la pani…
… Dans la panique, Otto perdit son carnet, ce qui mit fin à son récit. Après cela, Otto subit le même sort funeste
que toute autre personne juive. Il se fit déshabiller, déposséder de tout bien, puis cruellement tué à seulement 12
ans.
J. D.
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
Mon père m'annonce que je n'ai que 15 minutes pour m'enfuir. Je me dirige directement dans ma
chambre. J’attrape le plus grand sac à dos que je possède auquel j'attache un sac de couchage. À l'intérieur, je
mets de l'argent, une pochette-souvenirs et quelques photos, un couteau suisse, une lampe torche, une boussole.
Je prends un jean, un tee-shirt, un pull ainsi que des sous-vêtements. Pour finir, je prends mon portable, mon
chargeur et mes écouteurs. Pour la dernière fois, je regarde ma chambre. Puis, je me précipite à la salle de bain
pour prendre ma brosse à dent et mon dentifrice. Ensuite, je cours à la cuisine pour prendre une bouteille d'eau
et le plus de boîtes de conserve possible. Je mets alors mon sac dans le coffre de la voiture.
J. D.
-32-
D'une âme disparue
« … Je suis robotisé par la peur, déshumanisé par la misère. Je suis un long spectre faible et transparent posé sur le
trottoir, un insecte nocturne qui brûle à petit feu, trahi par le halo des lampadaires… «
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.83
Bonjour le monde,
J'espère que cette lettre pourra être retrouvée et si c'est le cas, alors je suis heureuse !
Je suis Sarah-Suzanne Szulklaper mais mes amis m'appellent Suzanne. Je suis née le 5 février 1933, à Paris comme
un de mes camarades, Gilles Sadowski. Mes parents sont Tauba (ma mère est née en Pologne) et Huna Szulklaper,
ils ont été déportés à Auschwitz le 18 juillet 1943 et je suis arrivée à Izieu en novembre de la même année. Je ne
me souviens plus exactement quand.
J'ai passé de bons moments dans cette colonie. La vie y était calme et nous nous amusions bien ! Devant la
maison, il y avait une fontaine où nous rigolions bien ! Nous pouvions aussi aller chez les voisins et nous
promener. Ah, l'air frais me manque... quand on sait où je suis. Pour Noël, nous avons eu le droit à du pain
d'épice, de la pâte de coing et des bonbons ! Rien que d'y penser, j'en salive !
Nous, les enfants de 6 à 12 ans, avions des cours dans une salle aménagée et notre maîtresse s'appelait Gabrielle
Perrier. C'est à cause d'un méchant monsieur qui s'appelle Klaus Barbie qu'on est dans ce wagon. Qu'est-ce qu'on
lui a fait ? Est-ce qu'il n'aime pas les enfants ?
Nous avons été arrêtés le 6 avril 1944 à 8h30, pendant le petit-déjeuner. C'était il y a quatre jours je crois. Nous
avons été transportés en camion jusqu'à un endroit assez lugubre qu'on appelle la prison de Montluc. Là-bas, il y
avait quotidiennement des fusillades. Leurs bruits résonnent encore dans mes oreilles. Puis nous sommes partis à
Drancy où on nous a affamés et laissés dans un coin sans se soucier de notre sort. Nous sommes très fatigués
(nous dormons à même le sol), nous avons peur.
-33-
Ici, ce n'est plus la vie d'avant, nous n'avons ni la force de crier, ni celle de pleurer tellement nous avons faim et
soif. Il y a une odeur nauséabonde dans l'air. Un grand, que je ne connais pas, pleure dans un coin. Léa Feldblum,
une des éducatrices de la colonie, est dans le même convoi que moi. Elle est toujours là pour nous, et elle nous
soutient. J'aimerais tellement retrouver mon chez-moi ou la colonie ! Mes parents me manquent et je me dis que
la vie, sans eux et dans ce wagon, n'a plus vraiment de sens.
A l'heure où on pourra me lire, je serai certainement morte.
A l'heure où j'écris, je suis dans le train pour Auschwitz et je sais que je vais mourir...
En espérant que l'on trouvera cette lettre,
Sarah-Suzanne
P.S : Ci-joint une photo de mon père.
M. F.
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
J'irai prendre mon écharpe ainsi que ma veste sur ma chaise de bureau puis j'irai chercher mes affaires de
rechange dans ma valise pour enfin attraper à la volée un livre que ma meilleure amie m'a offert. J'irai ensuite
dans la salle de bains pour y récupérer ma brosse à dents, du savon, des mouchoirs et des bijoux. Me rendant
compte de mon oubli, je retournerai dans ma chambre pour récupérer mes crayons et stylos ainsi que mes
feuilles et mon carnet sur lequel j’écris des textes. Je me dirigerai ensuite dans la cuisine pour prendre des choses
à boire et à manger. Pour finir, je ferai un gros câlin à mon père et à mon frère mais malheureusement pas à ma
mère car elle n'habite plus à la maison, et je m'en irais par la baie vitrée donnant sur le jardin et partirais à travers
champs.
M. F.
-34-
Une identité volée.
Maison d’Izieu. Case vide. A ce jour, nous ne
possédons aucune information ou image de Lucienne Friedler
« … On a écrit des livres après le goulag, après Hiroshima, après Auschwitz, Mathausen... Peut-on écrire après
Sarajevo ? Pour décrire cette destruction qui relève de l'irréel, pour évoquer le caractère lumineux et sacré du
sacrifice des victimes …? »
Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.105
Petite fille envoyée au paradis des anges,
Petite fille menacée par toutes ces vengeances.
Tu es obligée de fuir, je sais, tu es déçue,
Mais à deux nous sommes plus fortes et non pas vaincues.
Dans cette maison tu apprends que tu n'es pas seule
Tu trouves d'autres enfants conduits par leurs aïeuls
Ils vivent sans parents mais ne sont pas malheureux
Fürher gare à tes furieux, elle est ma fille d'Izieu
-35-
Tout de cette maison te rappelait ton enfance,
Toutes ces odeurs t'appellent à vivre et rire en France,
La Belgique te manque mais nous devons nous taire,
Ma chérie tu ne sais pas encore c'est la guerre !
Des nuages nazis viennent voler ton bonheur.
Comme effacée du monde ils voulaient prendre ton cœur.
Ils enfermèrent tes rêves loin de ce ciel bleu,
Fürher gare à tes furieux, elle est ma fille d'Izieu !
Horreur, injustice, tu pleures et hurles mon nom,
Ils t'emmènent au loin dans ce camp de concentration,
Ils te déchirent de moi, non mon cœur ne bat plus,
Tes larmes coulent en vain, je suis totalement vaincue !
Finie cette épopée, cette histoire merveilleuse
Fini l'amour fleuri, finies les robes joyeuses
Fini l'enfant béni dont tu as volé la vie,
-36- Hitler tu m'as tout pris, tout brûlé, je te bannis !
FÜRHER GARE A TOI FURIEUX, OUI ELLE RESTE MA FILLE… D'IZIEU.
L. G.
« 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… »
« Mémoires migrantes »
Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ
Les précautions. Face à la vie, nous devons nous efforcer de prendre des précautions.
Si la vie devait m'obliger à quitter ma maison, là où mon refuge et amour remplissent mon cœur, je prendrais tout
d'abord, les larmes au bord des yeux, je ne prendrais que mon petit frère à mes côtés. Il est ma vie et mon sang et
je préférerais mille fois abandonner mon âme que de l'abandonner lui. Je m’assiérais avec mes parents à mes
côtés et je leur expliquerai qu'une vie meilleure l'attend ailleurs. Je ne partirais pas sans lui malgré les menaces
qu'on pourrait me faire. Pour tout dire, il me rappelle les enfants d'Izieu. Il aurait pu en être un, à une époque
différente. Quelques bouteilles d'eau, gâteaux et couvertures seraient de l’aventure pour subvenir à ses besoins.
Je l'aime et je ne le laisserai pas mourir si jeune dans un pays où la mort reste présente. Il est mon tout et je le
protégerai jusqu'à ce que mort s'en suive.
L. G.
-37-
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Mémoires migrantes version numérique

  • 1. Concours Viva-cité MEMOIRES MIGRANTES LYCEE LAMARTINE - MACON Classe de Première Littéraire L1 Madame Laforêt - professeur d’Histoire Année scolaire 2016-2017
  • 2. SOMMAIRE Avant-propos: Carte banche Marine Alvès: Si cela devait recommencer / Max Marcel et Jean-Paul Balsam p. 2 Léna Benoit-Colin: Lettre à mes disparus / Albert et Majer Bulka p. 4 Elise Bienvault: Sans domicile fixe / Théodor Reis p. 6 Chloé Chastang: La mort au bout de l’exil / Max et Herman Tetelbaum p. 7 Orlane Blancard: Un dernier regard / Henri Chaïm et Joseph Goldberg p. 9 Clara Britton: Le Conte des Enfants d’Izieu / Fritz Loebmann et Egon Gamiel p. 11 Marie-Emerence Buchler: Seul et sans identité / Emile Zuckerberg p. 13 Alexa Buis: Mon parcours / Charles Weltner et Nina Aronowicz p. 15 Clara Copie: Les enfants du silence / Elie, Esther et Jacob Benassayag p. 18 Comme un petit frère / Sami Adelsheimer et Max Leiner p. 20 Arthur Côté: Sans nom / Jacques, Richard et Jean-Claude Benguigui p. 23 Laëtitia di Stefano: Un ami parti trop tôt / Gilles Sadowski p. 25 Jules Dreyfus: Mon journal à moi / Otto Wertheimer p. 29 Maëva Felix: D’une âme disparue / Sarah-Suzanne Szulklaper p. 33 Laura Guillotin: Une identité volée / Lucienne Friedler p. 35 François Large: Elle rôde / Marta, Senta Spiegel et Hans Ament p. 38 Amira Mannaï: La vraie vie de Georges et Claude / Georges Halpa et Claude Levan-Reifman p. 40 Anouk Ménevaut-Baudin: A vous, enfants de Dieu / Maurice et Liliane Gerenstein p. 42 Marine Paris: Jestes Bohatere /Mina et Claudine Halaunbrenner p. 44 Romane Plattier: Lettre à Dieu / Alice Jacqueline Luzgart, Paula et Marcel Mermelstein p. 46 Tiphaine Prost: Un meilleur ami / Lettre à Théodore Reis p. 49 Le même chemin, partie du journal de Sigmund Springer à ses parents / Sigmund Springer et Arnold Hirsch p. 50 Chloé Sadot: Une rencontre bouleversante / Isidore Kargeman p. 52 Laura Stefan: La poursuite d’un rêve brisé / Renate et Liane Krochmal p. 55 Juliette Thibert: Moi, Baroukh / Barouk Raoul Bentitou p. 57 Sources p. 60
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  • 4. CARTE BLANCHE Le but premier de ce travail proposé aux élèves de la classe de 1° L1 du lycée Lamartine de Mâcon, a été à la fois de « jouer collectif » et ainsi composer une œuvre unique, créée à parts égales par chacun, selon sa sensibilité, mais aussi de faire le lien entre nos trois matières, l’histoire, la géographie et l’Education Morale et Civique, afin que chacun, sur la durée, se sente, non pas un « numéro » d’une série, mais une partie d’un tout, et participe à la cohésion de la classe. Sur le temps long, nous avons abordé des notions complexes pour des adolescents, comme celles de l’exil, de la perte, et de la trace. Exil loin d’une famille ou d’un pays qui n’existe plus. Perte d’un passé alors que l’avenir n’apparaît pas encore nettement. Traces laissées dans le XX° siècle de ces déchirures qui ont servi de révélateurs à notre recherche. Sur le plan historique, nous sommes partis à la recherche des lambeaux de vie des enfants d’Izieu, et avons étudié leur parcours, ballotés parfois dans leurs familles mais loin de leurs parents, ou en institutions, de camp d’internement en familles d’accueil, avant leur disparition à Auschwitz en 1944 pour la très grande majorité d’entre eux. Sans pathos, la classe s’est fondée sur les archives de la Maison des Enfants d’Izieu pour percevoir ce que furent ces parcours désarticulés dans une guerre mondiale certes, mais terriblement personnelle pour tous ces petits dont certains n’avaient pas trois ans. Ils ont ainsi approché l’incroyable déshumanisation de cette période, dans un contexte très éloigné de leurs préoccupations et ont réalisé que la perte de la dimension humaine des enfants a, en fait, commencé bien en amont de leur déportation, dans ces parcours multiples d’orphelins, confiés à l’OSE et aux bonnes volontés, dans l’espoir d’années de guerre supportables : internés à Rivesaltes ou Gurs, déplacés, recueillis, puis arrêtés comme de féroces criminels, chargés comme du bétail vers la sinistre prison de Montluc, puis vers Drancy et, pour finir, déportés « dans des trains longs comme la honte ». Plongée personnelle, en apnée, dans une mémoire faite de photographies, de textes, de dessins d’enfants, d’archives, puis d’une visite à la Maison des Enfants d’Izieu sur les lieux-mêmes de si tragiques événements, comme une immersion dans le calme de cette petite montagne, puis dans le bruit des bottes, le hurlement des ordres et le silence des enfants, emmenés de force vers Auschwitz, eux et leur courte vie. La réappropriation individuelle par les lycéens du parcours des enfants d’Izieu, parfois de fratries entières, s’est faite sous la forme de compositions, lettres, journaux intimes, témoignages a posteriori, scénario de film… Chacun a eu carte blanche… et a joué le jeu. Sur le plan géographique, mais aussi historique et donc forcément civique, nous avons invité Velibor ČOLIĆ, auteur reconnu dans son pays la Yougoslavie avant la guerre de 1991, réfugié en France et maintenant apatride, qui est venu présenter à la classe son dernier roman Manuel d’exil : comment réussir son exil en trente-cinq leçons, paru chez Gallimard en Mai 2016, et, grâce à cette rencontre, la mémoire du passé s’est éclairée à la lumière de celle d’une Europe déchirée, bien moins lointaine que celle de la Seconde Guerre mondiale. Et là, nous sommes passés subitement de chiffres, ceux de ces centaines, ces milliers, ces millions de victimes de 1939-1945, pourcentages morbides de la misère guerrière rangés en colonnes, à une réalité bien plus concrète, puisqu’en vérité, à chaque guerre, il ne s’agit pas de soustractions mais d’additions forcenées de vies cabossées et si vite anéanties: une, plus une, plus une … C’est ce que Velibor ČOLIĆ est venu leur raconter : on ne part pas de son pays par plaisir mais parce qu’on y est obligé : guerre, exactions, famine … les motifs ne manquent pas. On abandonne tout, on espère survivre, on a peur, on ne sait rien de l’avenir, on ne peut pas revenir en arrière. Et là encore, ceux qui disparaissent en premier, comme dans chaque guerre, ce sont bien les civils, et parmi les civils, de nombreux enfants … Tous avaient lu Manuel d’exil, et les discussions ont été fructueuses.
  • 5. Sur le plan civique également, les échanges furent porteurs de valeurs importantes, entre témoignages de l’auteur, moments adultes quand il raconte par exemple avoir été traducteur pour le TPIY des violences faites aux femmes bosniaques dans le contexte de la reconnaissance du viol comme arme de guerre en Yougoslavie… « L’expérience civique » s’est poursuivie avec un atelier d’écriture, chacun ayant été mis dans la situation du civil qui n’a que « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir », pour quitter sa vie « d’avant » et remplir à toute vitesse un petit sac de ce qu’il pense essentiel … avant de s’exiler brutalement vers un avenir où rester debout et vivant sera l’ultime défi. Le choix de la citation extraite de Manuel d’exil qui illustre chaque chapitre, a permis à tous de relier le passé lointain au passé récent, et de comprendre qu’un pays, ses villes, sa mémoire, et même ses habitants - victimes, prisonniers, réfugiés - peuvent disparaître, et que la déshumanisation, la perte de la dimension humaine, est bien le fait de l’homme. Cette implication civique de chacun se prolongera le 24 Mai prochain puisque certains élèves participeront au Festival de la Manufacture d’Idées à Hurigny, organisé par Emmanuel Favre, et qui réunit archéologues, anthropologues, historiens, cinéastes, journalistes, écrivains, mais aussi danseurs et musiciens. Ils seront sollicités pour l’animation du débat d’ouverture, aux côtés de personnalités reconnues comme Philippe Artières, universitaire, et Serge Portelli, ancien juge d’instruction qui a travaillé sur la notion de traces dans les enquêtes policières. L’intervention de ces élèves concernera le rôle des archives comme traces du passé à travers leur travail sur les enfants d’Izieu, mais aussi le roman comme témoignage d’un parcours d’exil avec le livre de Velibor ČOLIĆ. On n’est pas citoyen par hasard, on le devient. C’est une construction lente, laborieuse, qui permet de consolider un présent complexe, et de le comprendre grâce à la mémoire du passé. Les deux notions sont indissociables : oublier le passé reviendrait à ne pas pouvoir lire le présent. Nous aurons tous des moments d’exil dans nos vies. Tous les adolescents le savent. Mais les traces qu’auront laissées la littérature, la philosophie, et l’histoire nous porteront. -1-
  • 6. Si cela devait recommencer « … Je murmure une complainte, stupide et enfantine, tout en sachant que les mots ne peuvent rien effacer, que ma langue ne signifie plus rien, que je suis loin, et que ce loin est devenu ma patrie et mon destin... » Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.11 Les premiers mots qui me reviennent à l'esprit quand je repense à ce que j'ai vécu sont : « N'aie pas peur et sois fort ». La vie est ainsi faite de choses inexplicables et certaines sont inévitables. Tout cela commença en octobre 1940, quand les premières lois antisémites ont été appliquées. Vous comprendrez directement que nous, familles juives, sommes bloqués dans un régime qui est contre nous. Puis le cauchemar va commencer lorsque papa nous sera enlevé dès le premier convoi, tu ne le reverras plus jamais. Ton cœur sera brisé et le manque de notre père se creusera de plus en plus, jour après jour, minute après minute. Jean-Paul, reste fort, car le pire n'est pas encore arrivé, et malgré ton jeune âge, tu vas vivre des horreurs. Maman et Berthe partiront vivre à Villeurbanne et tu resteras chez notre grand-mère avec Max et Hélène. Le départ de ta mère va t'affecter mais tu n'auras pas réellement le temps de penser à cela car peu après, en février 1943, aura lieu la rafle. Oui, la rafle. Tu dois te demander ce que c'est car au moment où je t’écris cette lettre, tu ne connais toujours pas ce mot horrible qui te deviendra si habituel et singulier dans quelques années. La rafle, c'est une arrestation massive et horrible de Juifs car les SS seront violents avec toi. Les SS, ce sont les hommes qui nous déporteront. Nous allons tous être déportés à Drancy, un camp d'internement, tu seras libéré et tu seras encore une fois envoyé dans une maison d'enfants de l'UGIF. Mais maman nous manquera à Max Marcel et toi, alors vous allez tenter de la rejoindre à Villeurbanne. L'histoire est loin d'être terminée car tu seras séparé de ton frère quand tu va devoir rejoindre la maison d'Izieu et lui, une école catholique à Belley. Cette maison est dirigée par Sabine Zlatin, et là, tu vas faire de superbes rencontres et te lier d'amitié avec beaucoup de jeunes garçons comme toi. Tu auras la chance de vivre de nombreux moments de bonheur et de retrouver ton frère qui viendra te rendre visite. Vous vous êtes vus le 6 avril 1944, mais c'est malheureusement ce jour là que ton destin va basculer. -2-
  • 7. Dans les montagnes en direction d'Izieu, trois véhicules de la gestapo lyonnaise arrivent. Des hommes nombreux et armés viennent vous chercher sur ordre de Klaus Barbie. Dans le véhicule qui va te déporter, tu seras complètement apeuré et perdu, heureusement que ton grand frère sera là pour te rassurer. Tu ne va pas comprendre ce qui t’arrive alors que tes jours seront comptés, et que tu seras en train de vivre l'une des choses les plus dramatiques de l'histoire de l'humanité. J'ai le cœur brisé à l'idée de te dire la suite de ce trajet qui va te paraître interminable... Mon cher moi, on est le 13 avril 1944, tu es dans le convoi numéro 71 et ce convoi te déporte en directement vers Auschwitz-Birkenau. C'est à cet endroit que tu seras vu pour la dernière fois. Là-bas, tu auras ta dernière conversation, ta dernière rencontre, ton dernier geste, ton dernier mot et ton dernier souffle. M. A. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ Si je devais partir en 15 minutes, je prendrais surtout des objets symboliques, des souvenirs. Je prendrais des photos de ma famille, de mon frère, de mes parents heureux et réunis ensemble. Je prendrais aussi des vêtements chauds et légers, ainsi qu'une couverture pour dormir et des affaires de toilette. J’emporterai le chapelet porte-bonheur de ma grand-mère. Surtout de la nourriture pour ne pas mourir de faim ou me déshydrater. Pour conclure, je partirais la tête pleine de souvenirs heureux de mes proches. M. A. -3-
  • 8. Lettre à mes disparus « …A mes pieds, les longues ombres des arbres dessinent une étonnante arabesque, pareille à un tableau à peine animé qui se déplace paresseusement, devant mes yeux. Pendant un bref instant j’essais de leur donner une forme logique… » Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.12 Chère Maman, Cela faisait bien longtemps que je ne t’avais pas envoyé de lettre, mais je te promets que je vais me rattraper. Je ne compte plus les jours depuis notre séparation. Il n’y a pas longtemps que nous sommes à Izieu, je voulais t’en parler la dernière fois. Il y a tellement d’enfants qui pleurent la nuit. Certains crient leurs souvenirs de la violence des nazis puis se réveillent en sueur, vite consolés par une éducatrice. Je me souviens à mon tour de scènes sans doute moins violentes, mais qui restent imprimées dans ma tête. C’est souvent d’autres enfants qui nous en parlent. Bien qu’ils soient encore marqués, ils arrivent à oublier leurs histoires et s’amusent sans en reparler. Et parfois j’oublie aussi. On s’amuse bien là-bas, en tout cas mieux qu’avant notre séjour ici. Si tu voyais Albert... Notre petit «Coco», bien qu’il soit le plus petit, il fait rire tout le monde. Même les éducatrices tombent sous son charme ! Le soir ils nous obligent à quelques activités comme du dessin ou de l’écriture. Albert s’amuse comme un fou avec ses crayons de couleur, moi je me limite à l’écriture. Nous laver ici au début, n’ayant pas l’eau courante, on allait à la fontaine dehors, dans la cour. Enfin… Cela fait un moment que je me demande où vous êtes tous les deux. Quand ils ont pris papa aussi, un an après toi, une dame nous a accueillis, une femme très gentille. On nous a dit qu’elle s’appelait Marie-Antoinette Pallarès. Quand on était encore avec elle, je me souviens avoir entendu à la radio ces phrases du gouvernement de Vichy : «Dans une intention d’humanité, le chef du gouvernement a obtenu que les enfants y compris ceux de moins de 16 ans, soient autorisés à accompagner leurs parents dans les convois de déportation ». Ce qui me fait le plus mal, c’est d’avoir entendu Albert dire qu’ils avaient de la chance de ne pas être séparés de leurs parents. Mais tu dois le savoir, je crois l’avoir déjà écrit dans ma dernière lettre. En parlant de lettres, je me demande si tu lis les miennes, puisque je n’en ai jamais en retour. Peut-être ne les reçois-tu pas, qui sait ? Si c’est le cas tant pis, j’écris quand même. -4-
  • 9. Cela soulage mes maux, et fait espérer Albert. Il me demande toujours pourquoi nous ? Pourquoi cette guerre ? Pourquoi sont-ils si méchants… L’autre jour il m’a dit : « Les grands ne pourraient-ils pas s’aimer au lieu de se tirer dessus ? ». Que répondre à l’innocence d’un enfant de quatre ans… ? Marcel, Albert. Je revois alors comme dans un flash, les quelques images de mon enfance. Les ombres d’Auschwitz me rappellent mes après-midis en Pologne, sous les saules, lorsque nous étions allongés dans l’herbe, hypnotisés par le simple passage des nuages. Je chantais une berceuse à Albert et l’on s’endormait tous deux avec la divine sensation d’être hors d’atteinte. Alors je regarde une dernière fois cet arbre, une si petite ombre de vie au milieu des horreurs d’Auschwitz, puis je m’endors avec mon frère. Cette fois, j’ai peur que ce ne soit pour toujours. L. B. C. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ On me dit de ne pas paniquer mais de me dépêcher quand même. « Prends l’essentiel ! ». Alors je cours vers ma carte d’identité, je prends quelques habits chauds, n’oublie surtout pas le couteau suisse que m’a offert mon père. Je prends quelques photos, sous le coup d’un grand besoin personnel et sentimental. Impossible pour moi de partir sans prendre mon carnet de dessin, alors je le glisse dans mon sac à dos, accompagné de quelques bics noirs. Je prends quand même mon téléphone et son chargeur, toujours sur moi de toute manière, même si je sais très bien que je ne m’en servirai pas lors du voyage. J’emporte toutes mes petites économies, ça, tout le monde comprend. J’ai peur de trop remplir mon sac mais également d’oublier l’essentiel. Je prends le temps de changer mes chaussures, je vais beaucoup marcher dans les prochaines heures à venir… Je porte mon sac. Ca devrait aller pour le poids. Il y a encore de la place pour de la paracorde. Je me moque de moi-même, j’ai l’impression qu’avec ce que j’ai je vais vivre... Ma chienne regarde cette scène sans rien comprendre. Je l’emmène avec moi, on verra bien jusqu’où elle ira. L. B. C. -5-
  • 10. Sans domicile fixe « … Je pense évidemment à la mort. Mais peu, aussi peu que possible. Pour en avoir moins peur, depuis des semaines déjà j'apprends à vivre avec une idée très simple, très peu philosophique : brusquement, tout s'arrête et c'est le noir absolu. J'imagine ce néant comme un endroit apaisé situé quelque part entre le ciel et les feuilles de platane qui tremblent à peine sous la petite brise… » Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.12-13 Il s'appelait Théodor Reis Il est né le 19 mars De l'année 1928 Un pauvre enfant qui est né juif Ce garçon était allemand Il a grandi à Egelsbach Avec lui sa mère et sa mère-grand Ils n'ont pas eu le choix du départ Ils sont partis chez des cousins Mais tous trois au camp de Gurs déportés En mars 1942, Théodor est libéré Par une femme nommée Sabine Zlatin À Auschwitz, pas de pitié, Pour sa grand-mère et sa mère Lui s'est lié d'amitié À Pavalas-les-Flots maison d'enfants en bord de mer -6-
  • 11. Avec son ami Paul Niederman Ils sont baladés de maisons en maisons Ils arrivent à Izieu en juin 43 Où ils ont un accueil plutôt bon De la rafle du 6 avril 1944 Il est emmené à Drancy Puis le 15 mai 1944 A Reval en Estonie déporté Dans le convoi 73, qui l'emmenait vers sa fin Avec Arnold Hirsch, son ami, et Miron Zlatin Théodor Reis finit sa vie à 17 ans Sans avoir dit « Adieu » à tous ses parents Il avait tout à construire Mais il a dû partir Pour bien d'autres pays À cause d'Hitler et de Klaus Barbie E. B. La mort au bout de l'exil Max et Hermann Tetelbaum ont séjourné à Izieu. Max, l'aîné, était né le 14 août 1931. Hermann, lui, a vu le jour deux ans plus tard le premier novembre 1933. Ils sont nés tous les deux à Anvers en Belgique. Comment sont-ils arrivés là ? Hermann se souvient de son parcours : « J'ai été interné à Rivesaltes, c'est un ancien camp militaire reconverti en camp d'internement pour la zone libre. Puis j'ai été libéré le 14 mars 1941, j'avais 7 ans. De mai à juillet 1942, j'ai vécu à la maison pour enfants de Mordelles, à côté de Rennes et ai été ensuite scolarisé à Broût-Vernet dans l'Allier. Enfin, je suis parti rejoindre mon grand-frère Max à Marseille, et de là, nous sommes partis pour Izieu. » -7-
  • 12. Maintenant que les deux frères sont à Izieu, les jours passent, sans leurs parents, sans leur frère Maurice, sans leur sœur Gabrielle. Pour s'occuper, on invente des histoires. Max dessine les personnages à l'aquarelle, à l'encre, à la mine de plomb. D'autres réalisent les textes. Les jours défilent, l'institutrice utilise son sifflet pour indiquer la fin de la récréation. Les plus grands s'occupent du verger. Miron Zlatin, le mari de Sabine Zlatin la directrice de la maison, se rend au village avec un vélo et la carriole pour aller chercher de la nourriture. Le facteur dépose des colis. Les enfants jouent avec ceux du village. Et le temps passe. Malheureusement, Klaus Barbie ordonne la rafle de la maison pour le 6 avril 1944, trois hommes de la Gestapo arrivent avec des véhicules anodins, afin de n'alerter personne. Là, c'est sous la menace des armes et avec des ordres hurlés que les deux frères sont emmenés à Drancy, camp d'internement qui se situe en Île-de-France où ils sont affamés, n'ont pas d'hygiène et sont seuls. Puis ils sont déportés au camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau par le convoi numéro 71, le 13 avril 1944. Ils meurent à 13 et 11 ans. Leur mère, Gabrielle et Maurice sont déportés dans le convoi suivant, le numéro 72. Dans les convois, ils sont entassés comme des sacs, ils ont a peine assez de place pour respirer. Le trajet s'étire en longueur, sans nourriture, sans eau, sans repères. Ils sont eux aussi exécutés à leur arrivée à Auschwitz- Birkenau. Seul le père, Jankiel Tetelbaum, interné à Rivesaltes, échappe à la déportation et aux camps d'extermination. E. B. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ Si je n'avais que quinze minutes pour faire un sac et quitter ma maison sans retour, je prendrais mon lapin en peluche baptisé Flocon, Le Monde de Narnia de C. L. Lewis, un t-shirt, un pantalon, ma brosse à dent, mon retourneur de temps, mon coupe-papier, ma brosse à cheveux, mes papiers, mon portefeuille avec de l'argent, un disque de Emerson Lake and Palmer, mon carnet avec un stylo bille, ma statuette de la vierge Marie, ma flûte traversière et ma photo de famille préférée. E. B. -8-
  • 13. Un dernier regard « …Plus ma situation est désespérée, plus mes rêves sont doux... » Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.14 Certains me prendraient pour un fou. Non ! Je ne vais pas m'effondrer, Je dois rester fort pour mon petit frère, Afin que nous puissions sortir de cet incroyable Enfer. Nous n'avons aucun moyen de partir. Mais ils ne nous retireront pas une chose essentielle : Notre cher et précieux imaginaire. Le destin peut encore changer, je l'espère. Devant ces machines infernales, Nous traverse une pensée universelle. L'espoir est encore là, c'est sûr. -9-
  • 14. Sous ce temps d'un froid hivernal, Nous resterons dignes et soudés, je vous l'assure ! Je revois les yeux de ma mère posés sur moi, Je revois cette femme aimante, serrant Joseph dans ses bras. Ces hommes nous ont retiré à tout jamais L'amour inconditionnel qu'elle nous portait. Un dernier regard vers notre maison d'enfance, Envolée notre unique chance De s'échapper de ce lieu effrayant. Non, nous ne plongerons pas dans le néant. Un dernier regard vers ce train des condamnés, Envolé notre billet de retour pour la liberté. O. B. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ Il ne me reste plus que quinze minutes pour tout préparer et partir à jamais d'ici. Je me précipite et prends un grand sac à dos. La première chose dont je m'empare est d'une photo de ma famille. Ensuite je saute sur mon lit et attrape une peluche qui m'est chère, ainsi que deux livres : Terrienne, de Jean-Claude MOURLEVAT, et Rester Fort, de Demi LOVATO. Grâce à ce livre et ces paroles de réconfort, peut-être que le détachement avec le cocon familial sera moins difficile. Une fois cela mis dans le sac, j'attrape deux pantalons, deux hauts à manches longues, un gilet, un gel douche, et une brosse. Je me dirige vers mon bureau, saisis un pendentif offert par ma mère et l'attache autour de mon cou, et enfin je décroche du mur qui me fait face une prière à laquelle je tiens beaucoup. Je range mon portable et mon chargeur dans le sac, regarde pour la dernière fois ma chambre, et m'en vais dans le hall d'entrée. Ma mère me tend une gourde. Je la serre alors dans mes bras, un torrent de larmes se déversant sur nos deux visages côte à côte. Je sors de la maison, y jette un dernier regard chargé de tristesse et de colère, puis je commence alors cet exil, démarrant une toute autre vie... O. B. -10-
  • 15. Le Conte des Enfants d'Izieu «… Je sais que je ne représente plus rien pour personne. Je ne suis même plus un être humain. Je suis juste une ombre parmi les ombres... » Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.14 Très tôt le matin, sur un pan de colline d'Izieu où se trouvent une large maison ainsi qu'une fontaine, deux enfants jouent à cache-cache. C'est au tour du jeune Egon, 9ans, de jouer à l'Allemand et de chercher son ami Fritz de 15 ans qui joue le Juif. EGON commençant à sangloter : Fritz ! Fritz ! Où es-tu ? Je joue plus, c'est plus drôle … Friiitz ! FRITZ sortant de derrière un muret : Pourquoi tu pleures, ce n'est qu'une partie de cache-cache ! EGON des larmes dans les yeux : Je t'avais perdu … FRITZ : Allez sèche-moi ça ! Lui tendant un morceau de chocolat : Tiens, mange. EGON qui ne pleure plus : Merci. FRITZ le taquinant: Maintenant tu m'en dois un carré. EGON : Quoi !?! FRITZ : Ah bah, attend, ça m'a coûté 10 francs. EGON : Mais, je suis ton ami ! FRITZ : Oui, mais les bons comptes font les bons amis. EGON : Mais … FRITZ s'esclaffant de rire : Mais non, je rigole ! Ah ! Ah ! Ah ! Je te le laisse. EGON souriant d'un air taquin : Tu n'es pas drôle… dit Fritz, tu peux encore me raconter ton histoire, s'il te plaît ? FRITZ avec un soupir : Tu dois vraiment l'aimer pour me la demander chaque jour. Bon alors comment ça commence déjà ? Réfléchissant... Ah oui ça me revient, bon alors … …C'est l'histoire de deux enfants qui vivaient dans un petit village sur une colline, le premier s'appelait Egonomus et le deuxième, plus grand, se nommait Fritzirias. Ils étaient très bons amis et ne se quittaient jamais. Ils se disaient tous deux que la vie était longue et heureuse car quand ils rentraient à la maison, il y avait toujours de quoi boire et manger, mais un jour alors qu'ils jouaient dans la vallée, une armée de géants les attaquèrent et les enfermèrent dans de grands sacs. Ils se retrouvèrent prisonniers. Un peu plus tard dans une grotte, d'autres géants les insultèrent dans une langue inconnue, les enfermèrent dans de grandes cages dont le vent faisait grincer la ferraille rouillée. Après quelques heures d'emprisonnement, on les ressortit et remit dans de grandes boîtes. Ils étaient terrifiés par la vitesse à laquelle le géant marchait grâce à ses bottes -11-
  • 16. de sept lieues, mais nos deux héros se soutenaient et essayait de passer le temps... Quand ils furent enfin libérés, ils ne savaient pas encore que les géants voulaient les manger. Après s’être dévêtus, être entrés dans une marmite, ils commencèrent à sentir la chaleur du feu récemment allumé, ils comprirent que leurs fin était proche. Mais le couvercle avait mal été fermé par un des géants. Egonomus et Fritzirias remarquèrent donc cette scintillante lumière et par cette brèche ils réussirent à s'enfuir et purent enfin rejoindre leur famille. EGON des étoiles dans les yeux : Bravo, je suis sûr que tu deviendras un grand conteur plus tard ! FRITZ : Ah oui? Je ne sais pas, j'attendrais déjà que la guerre soit finie, car tu sais bien qu'il ne faut pas que l'on nous remarque malgré notre étoile jaune... Regardant son étoile avec tristesse: Bon, on rentre à la maison! Se frottant rapidement les bras : Je commence à avoir froid et puis j'ai faim aussi, pas toi ? EGON: Oui je veux manger! Est-ce que Hans était déjà réveillé quand nous étions partis ? FRITZ: Oui, il était en train de mettre les bols sur la table avec Martha et Otto, pour que nous puissions prendre le petit déjeuner. EGON : J'ai hâte d'arriver à la maison ! Il commence à courir pour prendre de l'avance Le dernier arrivé est une poule mouillée ! SFRITZ : Aujourd'hui il fait beau, une belle journée s'annonce. C. B. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ J’ai 15 minutes… Je suis devant la porte, devant les façades de mon passé. Je ne pense qu'a une chose "que prendre ?" Je cours alors dans ma maison comme si un magasin entier avait été ouvert pour moi et que dans 15 minutes celui-ci allait se refermer pour oublier à jamais tous mes objets, toute ma vie derrière moi. J'attrape donc mon sac, je me précipite d'abord dans ma chambre. J'aurais eu envie de balayer tous ce qu'il y avait sur mon bureau afin de mettre tous cela dans mon sac, pour ne rien oublier de mon petit chez moi. Mais cela est impossible, ce serait trop lourd. J'ouvre alors mon placard mural, saisissant couvertures, pulls, maillots, pantalons, culottes et chaussettes, le nécessaire pour se changer. J'attrape au passage ma boussole et mon diapason, ainsi que mon téléphone qui trainait sur l'étagère. Je me baisse ensuite et prends mon argent. Même la boîte au fond du tiroir qui devait servir en cas de grande nécessité, car je sais que dans 10 minutes, je ne reverrai plus jamais ma maison, comme si je démissionnais de mon travail, de mon foyer, de ma famille, et que l'on abandonnait absolument tout, toute sa vie. Je redescends et ouvre mon frigo puis le referme voyant que tous ces aliments seraient périmés certainement trop vite. En tout cas bien avant que je ne puisse les manger. Je me hâte donc de prendre deux ou trois pommes, du pain des biscuits, et des barres de céréales. Je me dirige ensuite dans le hall prenant mon écharpe, mes gants, mon bonnet et mon manteau. Puis je me dépêche d'aller à la salle de bain, pour enfourner dans mon sac une serviette, un gant, et du savon en bouteille. Finissant de fermer mon sac bombé, je sors alors dehors lâchant un dernier regard sur mes souvenirs d'enfants. Je passe ensuite mon passeport de ma poche à mon porte-monnaie, en montant dans la voiture. Enfin en tournant la bague que je portais au doigt, je me plonge dans mes pensées et je sais que je ne représente plus rien pour personne. Je ne suis même plus un être humain. Je suis juste une ombre parmi les ombres, un animal s'enfuyant dans la nuit ... C. B. -12-
  • 17. Seul et sans identité “… Je n'ai plus de nom, je suis ni grand, ni petit, je ne suis plus le fils ou frère. Je suis un chien mouillé d'oubli dans une longue nuit sans aube, une petite cicatrice sur le visage du monde…” Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.15 Je n'ai plus de corps mais surtout plus d'âme. Je ne suis plus qu'une tête vide de souvenirs, visible dans une lumière que je ne verrai plus. Je me souviens de ce matin là, mes yeux étaient ouverts et pourtant ma vie était éteinte à jamais. Je me souviens de ce matin là, mes yeux étaient ouverts et pourtant j'aurais rêvé qu'ils soient fermés, pour que tout cela ne soit qu'un cauchemar. Mes parents me manquaient; je ne savais pas où ils étaient ; on m'avait dit de regarder derrière les nuages, mais je ne voyais rien… En réalité, je savais qu'ils avaient été arrêtés puis tués mais avec mon jeune âge je ne pouvais pas m'y résigner et préférais croire ce que l'on me disait. Ce jour où ils étaient partis sans moi, car j'avais les oreillons et de l'anémie, je les avaient laissé seuls,et pourtant j'aurais préféré partir avec eux et ne jamais les quitter. Au moins, moi aussi j'aurai pu voir ce qu'il y a derrière les nuages. Parfois quand je me lève je m’aperçois que le ciel est bleu, alors je regarde attentivement si ils veillent sur moi mais à chaque fois aucune silhouette, aucun visage n'est visible. Et moi-même, même si je les apercevais, je ne serais pas sûr de les reconnaître encore… Il ne me reste qu'une photographie de papa et de maman mais lorsqu’on est venu me chercher, pour partir en colonie d'été avec d'autres enfants, je n'ai pas pu l'emmener avec moi. J'étais avec Max et Herman TETELBAUM qui venaient eux aussi d'Anvers en Belgique. Je me rappelle de ces cris et rires qui résonnaient, certains enfants étaient accompagnés de leurs frères ou sœurs, plus âgés ou plus jeunes ; mais moi, j'étais fils unique et j'avais cinq ans. Je ne réalisais pas vraiment pourquoi j’étais ici... Beaucoup d'enfants étaient bruyants, surtout ceux de mon âge, mais ils étaient également très appréciés, contrairement à moi qui étais un peu à l'écart et effacé. Il y avait une salle de classe et une salle de jeu, mais lorsque je suis entré dans la pièce, je me souviens de la maîtresse qui m'a dit que je n'avais pas encore l'âge et qu'il n'y avait plus de place dans la salle de classe. Alors je participais aux activités de dessins et d'écriture. Je ne savais pas écrire mais je faisais des dessins sur des lettres qui n'étaient jamais réellement envoyés, puisque j'étais orphelin. -13-
  • 18. Et quand je devais me confronter à la nuit et mes mauvais songes, je ne réussissais pas à dormir, alors je regardais par la fenêtre et à chaque fois, une des monitrices du nom de Paulette PALLARES-ROCHES, finissait sa tournée de lecture par moi, dans le dortoir des garçons jusqu'à que je puisse réussir à m'endormir. Elle m'avait promis qu'ici, à la colonie d'Izieu, je n'aurais pas de craintes à avoir et que même si j'étais seul, sans mes parents, le lieu était un véritable havre de paix, loin des conflits et des persécutions. Quelques jours plus tard, pendant mon petit-déjeuner, j'ai soudain senti des présences, comme si mes parents me protégeaient enfin. Mais je fus soudain sorti de ce rêve éveillé par le regard affolé de l'animatrice Léa, puis par les cris d'une petite fille qui répétait ces mots : « Les Allemands ». Une fourmilière d'enfants se bouscula dans tout les sens, chacun tentant de sauver sa peau. Les cris et les larmes furent vite remplacés par un silence pesant plein d'inquiétude et de frayeur. Je me tenais à Léa aussi fort que je le pouvais, mais un soldat réussit à m'attraper et nous avons été tous deux envoyés dans un camion. Elle ne m'avait pas lâché. C'est alors que nous sommes arrivés à la prison de Montluc. C'était un endroit clos et sombre avec de nombreux grillages. Seuls les regards exorbités des prisonniers créaient une lueur dans l'obscurité. Je marchais le plus rapidement possible dans les couloirs; mon corps était imprégné par des tremblements de peur. Mais les soldats me serraient le bras gauche de plus en plus fort à tel point que je ne sentais plus mon sang couler dans mes veines. A vrai dire, il était glacé par la terreur, Tandis que mon cœur, lui, avait des battements et des pulsations de plus en plus accélérés. Le lendemain à la première heure nous étions déjà en route pour le camp de Drancy. Je me souviens seulement de ses immeubles immenses comparés à ma petite taille. Ce n'était pour nous qu'un lieu de passage et nous étions déjà en route pour Auschwitz. Une fois sur la rampe de débarquement d'Auschwitz je m'accrochais de nouveau à Léa, Léa FELDBLUM, aussi fort que je le pus. C'était une monitrice qui s'était occupée de la petite enfance lorsque nous étions à la Maison d'Izieu. Elle servait également de cobaye aux médecins nazis pour les expérimentations médicales et pourtant moi, je l'avais pris pour ma mère, pendant un instant. C'est à ce moment là, dès mon arrivée que la lumière s'est comme soudain éteinte. Les bruits sont devenus sourds et forts. Et mon corps s'écroula sur le sol, le sang afflua, mais je ne sentais aucune douleur. Enfin des mains me portèrent pour me monter aux cieux à la droite de mon père et à la gauche de ma mère. Le cauchemar était enfin terminé et mes yeux pour l'éternité fermés... M.-E. B. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ Si j'avais quinze minutes pour partir et préparer mes affaires, je commencerais par prendre les choses nécessaires à ma survie durant mon exil, c'est-à-dire de l'eau en bouteille, de la nourriture, et des médicaments. Je n'oublierais pas de prendre des habits chauds et de quoi me laver. Il me faudra, bien sûr, tous les papiers nécessaires à mon exil et mon passeport. Je prendrai aussi de quoi écrire pour ne pas perdre ma langue maternelle, et de l'argent. Sans oublier plein d'amour et de souvenirs gravés à jamais dans ma tête comme dans mon cœur. M. - E. B. -14-
  • 19. Mon parcours « … Je veux rester à jamais l'habitant de mes propres rêves, vivre une autre vie éthérée et légère, une existence féerique sans douleur ... » Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.18 Le 23 mars 1944 Je m’appelle Nina Aronowicz. J’ai 11 ans et je suis née en Belgique le 28 novembre 1932. J’ai été placée à Izieu sans vraiment comprendre pourquoi. J’ai entendu mes parents en parler, puis plus tard ceux qui nous encadraient, et à la radio. J’ai cru comprendre que nous étions « différents ». Je n’ai pas voulu chercher plus loin parce que j’avais peur de connaître la vérité. J’ai décidé d’écrire ce journal pour me rappeler des moindres détails de cette aventure et je pourrai en parler plus tard, quand la guerre sera finie, quand je retournerai à l’école et même quand je serai vieille. Ça fait déjà un petit moment que je suis à Izieu et j’apprécie tous les enfants. Je suis devenue très amie avec un garçon, il s’appelle Charles, il a 9 ans et il est Parisien. Je ne me rappelle plus quand est-ce qu’il est né, je le lui redemanderai. Il fait toujours attention à moi. Aujourd’hui, je me suis isolée vers la fontaine car mes parents me manquent vraiment beaucoup. Je ne les ai pas vus depuis plusieurs mois, c’est très dur, je ne suis pas habituée à être loin d’eux pendant autant de temps. J’espère qu’ils vont bien. Le 27 mars 1944. J’ai demandé à Charles son nom de famille et sa date de naissance. Il s’appelle Charles Weltner et il est né le 7 août 1934. Aujourd’hui ensemble, on a parlé de nos parents. Je vais donc parler des miens. Mon père s'appelle Szyja-Leib Aronowicz, il est né le 24 février 1902 à Kozminek en Pologne. Ma mère s'appelle Mieckla Aronowicz, elle est née le 14 octobre 1903 à Kalisz en Pologne. Ce que je préférais faire avec ma maman, c'était la cuisine. Elle adorait faire des gâteaux. Et souvent, elle chantait. Alors, on cuisinait en chantant. -15-
  • 20. Avec mon papa, on se promenait souvent dans le parc au bout de notre rue, jusqu'à ce que je sois obligée de porter une étoile jaune en dehors de la maison. Papa et Maman aussi devaient l'avoir. Je leur avais demandé pourquoi, et c'est la première fois qu'ils m'ont dit que c'était parce qu'on est différent. Quelques-uns de nos voisins aussi la portaient. Toutes mes amies qui ne l'avaient pas sur leurs vêtements ne me parlaient plus et ne jouaient plus avec moi. Ça m'a rendue très triste car je m'entendais très bien avec elles avant de devoir porter cette étoile. J'ai très vite remarqué qu'à l'école, on était une quinzaine à en porter une et plus aucun de nous n'avait de copains, ni de copines. Alors on est tous devenus amis. Papa et Maman préféraient ne pas sortir, hormis pour m'emmener à l'école et aller travailler. Puis la guerre a commencé. On était obligés de se cacher à cause de notre différence. Mes parents ne m'ont pas expliqué en quoi nous ne sommes pas comme les autres. Ils m'ont dit que j'étais encore trop petite pour comprendre. On a finalement fui la Belgique et ils m'ont laissé en France. Je ne sais pas où ils sont, et quand est-ce qu'ils reviendront me chercher mais ils me manquent énormément. Le 31 mars 1944. Aujourd'hui, je vais raconter mon parcours jusqu'à Izieu. C'est ce dont on a parlé aujourd'hui avec Charles. Je suis née à Bruxelles, en Belgique. J'ai grandi là-bas. Mais dès le début de la guerre, nous sommes partis en France. Ma tante et mon oncle, eux, sont partis en Amérique. La dernière fois que j'ai vu mes parents, c'est lorsqu'ils m'ont déposé chez des amis, Monsieur et Madame Régnât. Je ne les avais jamais vus auparavant. Maman m'a dit qu'ils étaient très gentils, qu'ils allaient prendre soin de moi pendant leur absence et qu'il fallait que je sois sage. Puis, elle a rajouté avant de partir avec Papa qu'après un certain temps, les Régnât m'emmèneraient dans une maison avec plein d'autres enfants comme moi. J'ai finalement dû dire au revoir à mes parents. Je me demande quand est-ce qu'ils viendront me chercher. Je me rappellerai toujours du visage de ma maman lorsque je l'ai prise dans mes bras pour la dernière fois. C'était assez horrible quand j'y pense. J'avais l'impression que je ne la reverrais plus jamais, tout comme Papa. Je n'avais jamais vu mon Papa triste, et là, pour la première fois, il avait les larmes aux yeux. Je pense qu'ils devaient savoir qu'on ne se reverrait pas avant longtemps. Ils m'ont promis pourtant qu'on se retrouverait. J'ai vécu pendant presque un an chez les Régnât, avec leurs enfants. Je vivais donc à Lunel dans l'Hérault, en France. Puis, comme Maman me l'avait dit, ils m'ont envoyé dans une maison avec plein d'enfants. C'était la maison de Campestre dans l'Hérault, puis j'ai été transférée avec d'autres enfants ici, à Izieu. C'est très joli ici. On voit les montagnes, ainsi que le Rhône, on le voit couler le long des montagnes. On s'entend bien avec tout le monde. Même avec les voisins. Parfois, ils viennent nous chercher pour aller jouer avec eux ou pour se promener et plein d'autres activités encore. Tout le monde est vraiment très gentil. Je suis heureuse d'être dans un aussi bel endroit. Le 3 avril 1944. Tous les encadrants ont l'air inquiets, je ne comprends pas pourquoi. Tous les adultes ont un comportement étrange. Pour nous, les enfants, rien ne se passe de spécial. On joue, on rigole, on a même prévu de se voir une fois que la guerre sera terminée. Je n'ai plus de nouvelles des membres de ma famille depuis longtemps, j'espère qu'ils vont bien. Ma tante et mon oncle sont en Amérique, mes parents sont partis et depuis je n'ai plus aucune nouvelle. Heureusement, Charles est toujours là pour me soutenir car il me comprend, il vit la même chose que moi. Il ne me dit pas grand chose sur sa famille, je crois que c'est parce que ça le touche beaucoup, ça doit lui faire mal d'en parler. Le 9 avril 1944. Je suis à Drancy, de méchants hommes brutaux sont venus nous chercher. Je me suis d'ailleurs blessée lorsqu'ils m'ont mis dans la camionnette. J'ai réussi à rester vers Charles, le voyage fut long. Lorsqu'on s'arrêtait, les hommes qui étaient venus nous chercher ont frappé certains d'entre nous. J'ai beaucoup pleuré, certains de mes amis ont été grièvement blessés. Charles m'a murmuré à l'oreille que je devais essayer de me rappeler tout les moments heureux que j'avais vécus. Alors j'ai pensé à mes parents, puis cela m'a rendue encore plus triste. Donc, j'ai pensé à nos moments à Izieu. J'ai alors repensé à la lettre -16-
  • 21. qu’Otto m'avait écrite, cela m'a fait sourire. Depuis, je la relis sans cesse. Je ne pense pas pouvoir beaucoup écrire à présent. Je cache mon carnet du mieux que je peux. J'ai peur, j'ai vraiment très peur. J'ai entendu dire que certaines personnes étaient tuées parce qu'elles avaient écrit. Je ne veux pas mourir. Si ces hommes découvrent mon carnet, ils pourraient me tuer, cela m’effraie tellement. Qu'est-ce qu'ils veulent nous faire ? Qu'avons-nous fait de mal ? Et s'ils nous tuaient tous ? Mes amis, ma famille et moi ? Le 10 avril 1944. Nous allons être transférés d'ici peu. Je crois que c'est à « Auschwitz » mais je ne suis pas bien sûre. Je ne sais pas ce qui va nous arriver. J'ai très peur. En réalité, tout le monde a peur. Je les entends arriver. Ils n'ont pas l'air contents, je ne sais pas ce qu'il va nous arri ... « Ce jour là, Nina aurait pu être en train d'écrire lorsque la Gestapo sont venus chercher les enfants d'Izieu ainsi que leurs éducateurs. Prise violemment par le bras, traînée à terre, blessée, voire même frappée. C'est ainsi que cela se passe. On nous prend des gens qu'on ne nous rend pas. La mort est parfois précipitée. Soit par la maladie, ou par le meurtre. Nina avait seulement 11 ans et Charles n'en avait que 9 lorsqu'ils ont été tués par ces barbares. Comment peut-on vivre la conscience tranquille tout en sachant qu'on a causé la mort de milliers de personnes ? » A. B. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ Je me précipiterai dans ma chambre pour prendre le plus grand sac que j'ai. J'y mettrai deux sweatshirts, deux débardeurs, un gilet, un jean noir, un survêtement, un bonnet, des gants ainsi que quelques sous-vêtements et quelques paires de chaussettes, en privilégiant les plus chaudes et épaisses. Je prendrai ma batterie externe, mes deux téléphones, mes chargeurs, mes écouteurs et mon livre préféré Qui es-tu Alaska ? de John Green. Je chercherai rapidement mes carnets - où j'aurai placé quelques photos de famille, des dessins de mes deux petites cousines et des mots transcrits de ma tante et mon petit cousin - ainsi qu'un critérium et des stylos et les mettrais en vrac dans mon sac. Sur mon lit, déjà défait vu qu'il n'est quasiment jamais ordonné, je prendrai mon plaid au cas-où je me retrouverai dehors, dans le froid hivernal. J'irai rapidement dans la salle de bain pour prendre ma brosse à cheveux, une serviette, le premier gel douche qui me passe sous la main, mon dentifrice ainsi que ma brosse à dents et pour finir deux ou trois élastiques pour les cheveux pour éviter qu'ils ne me gênent, tout en prenant soin de me les attacher dès que j'en ai un sous la main. Je filerai à la cuisine prendre deux bouteilles d'eau puis quelques trucs à manger. Pour terminer, je me dirigerai vers les bijoux de ma mère pour prendre la bague que mon grand-père avait offert à ma grand-mère avec les initiales de leurs prénoms « AA » et dont ma mère avait hérité. Alors, je vérifierai si je porte bien le collier que mon ami m'a offert. Puis je partirai - à contrecœur - en regardant ma maison, sans doute en pleurant, laissant tout mes souvenirs, toute ma vie derrière moi en me disant que je ne reverrai peut-être plus ni mes parents, ni même le reste de ma famille. C'est donc le cœur lourd que je m'en irai. A. B. -17-
  • 22. Les enfants du silence (Photo archives Maison d’Izieu) « …J'ai la sensation que cette addition de petites douleurs me confirme que je suis bel et bien vivant … » Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.18-19 Je suis le cadet de la famille, je me nomme Elie, je suis né le 20 Novembre 1933 à Mostaganem, en Algérie. J'ai un petit frère 8 ans, Jacob, et une grande sœur de 12 ans, Esther. Quand j'ai eu 6 ans, on a appris qu'une guerre se déroulait en Europe. Mais cette guerre se ressentait aussi ici, en Algérie ; des groupes de résistance se formaient déjà, comme les volontaires du Maghreb. Les Juifs d'Algérie étaient désormais inférieurs aux Musulmans. Maman et papa étaient inquiets, je le sentais lorsqu'ils me bordaient, le soir, ainsi que ma sœur et mon frère. Mais aucun de nous cinq n'aurait pu, ne serait-ce qu'imaginer, ce que le destin nous réservait. Je ne sais plus pourquoi ni comment, mais mes frères et moi avions fait un voyage en France. Un voyage, c'était le mot qu'avaient employé papa et maman, pourtant ils nous laissèrent ici, en nous bafouillant quelques explications incompréhensibles, qu'ils prononçaient alors qu'ils pleuraient. Nous, nous ne comprenions pas, mais nous pleurions tout de même. Nous avons appris par la suite que nous étions dans une colonie pour enfants, que nous allions vivre ici avec d'autres enfants qui venaient de nombreux d'endroits ; nous ne retenions que les noms des pays : Allemagne, Pologne, France, Algérie, Autriche … nous étions bien une grosse quarantaine ici ! J'aurais aimé pouvoir dire à maman que j'étais heureux, que Jacob et Esther s'occupaient bien de moi. Et j'aurais également aimé dire à papa que je travaillais du mieux que je pouvais, et que j'étais sage. En fait, j'aurais simplement aimé être avec eux, réunis, comme avant. Nous vivions comme ça, simplement, sans jamais trop se poser de questions. Ce qu'il se passait à l’extérieur ? C'était pour les grandes personnes. Nous, nous nous contentions de sourire et de jouer. Bon, bien sûr, nous nous posions des questions, des questions pleines d'une innocence bouleversante. Puis, il y eut comme un dénouement malheureux, comme une déformation volontaire d'une œuvre rendue parfaite antérieurement. C'était une belle journée de printemps ; une matinée d'avril où retentissait le chant des oiseaux dans la plaine couverte d'un nouveau manteau vert. Nous nous apprêtions à manger notre délice matinal, lorsqu’ une brutalité morbide vint gâcher notre utopie créée à partir de bribes de rêves et de quelques folies égarées. Ces tueurs légaux allemands sont venus pour nous, mais pourquoi ? Mes questions manquèrent -18-
  • 23. de réponses, ainsi que de temps. Cette rafle nous a expédiés à Montluc, prison du 3° arrondissement lyonnais, avec une entrée barrée d'une pancarte en hauteur où étaient inscrites les informations suivantes : « Prison Militaire, 1921 ». Un point de vue diffère beaucoup en fonction d'une pensée ; la gestapo pensait que nous manquions de perfection humaine ; mais je me suis toujours demandé comment on pouvait juger une vie à peine commencée, à peine pensée, à peine gênante. Nous étions victimes d'un acharnement discriminatoire ordonné par un tyran. Après cette brève rétention, on nous envoya, mon frère et ma sœur, moi, ainsi que les autres, au camp de Drancy, au Nord Est de Paris. Là-bas, l'ambiance était lourde et pleine de mort, les bâtiments étaient délabrés, les gens affamés, les gardes violents et la survie difficile. Je ne pensais plus. Je ne posais plus de questions. L'horreur que je voyais quotidiennement suffisait à mon esprit encore trop innocent pour comprendre. Ma seule pensée fut bien trop naïve pour que la vie me croie ; je me disais qu'une belle fin m'attendait après ce cauchemar. Mais c'est la mort qui arriva. La peur. Une foule. Des gardes. Un train. Un wagon plein. Le départ. Des paysages. L'inconnu. La peur. La gare de débarquement. Le tri. Une salle. Des douches. L’incompréhension. Des souvenirs. C. C. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ Si j'avais 15 minutes pour partir, je laisserais mon passé de côté et je penserais au futur. Je prendrais donc le nécessaire pour ma survie, comme de la nourriture et de quoi boire, ainsi que mon téléphone et son chargeur. J'aurai aussi une petite trousse de secours, et, pour la nuit, une petite couverture ainsi qu'une lampe torche. Je penserai aussi à mes papiers d’identité et de quoi me changer et le minimum pour mon hygiène. C. C. -19-
  • 24. Comme un petit frère « ... J'ai déjà fait mes adieux à ceux que j'aimais, me dis-je, à mes amis et mes villes. Mais je n'ai pas encore fait une vraie séparation. Peut-être parce que la vraie séparation n'est pas encore possible. Les gens avec qui nous avons vécu, ils sont nous-mêmes : nous sommes notre propre histoire. Si nous pouvions, même pour un court instant, sortir de cette histoire, alors la séparation deviendrait possible... » Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.32 C’'était une grande maison, certain la voyaient comme une colonie de vacances, d’autres comme un refuge. Moi, je n’avais pas encore réussi à déterminer pourquoi je me trouvais ici. Sami, non plus d’ailleurs. Nous sommes arrivés le 3 juillet 1943, nous venions d’être délivrés de ce qu’ils appellent le centre d’hébergement, nous étions terrorisés. Sami ne savait pratiquement plus où il se trouvait. Il avait perdu sa mère huit mois plus tôt, elle a été déportée, mais il ne se rendait pas compte du haut de ses trois ans et demi de ce qui lui était arrivé. Personne ne lui avait dit qu’elle était décédée, tout le monde le savait, tout le monde le regardait faire des tonnes de dessin en lui promettant de les donner à sa mère. Je n’étais pas d’accord avec cela, pour moi, Sami, même s’il était encore un bambin, devait connaître la vérité et on ne devait pas la lui cacher. Mais on m’avait formellement interdit de lui dire quoi que ce soit. Les adultes, que l’on considérait quasiment comme nos parents, cherchaient seulement à nous redonner le sourire après les horreurs dont nous sortions, c’est pourquoi ils avaient caché la mort de sa mère à Sami. Dans cette maison nous bénéficiions de l’affection parentale à laquelle les rafles nous avaient brutalement arrachés. Nous étions plusieurs par chambre, je partageais la mienne avec Sami, qui, tous les soirs, me répétait le même phrase qui m’arrachait le cœur : « Max ? Oui ? Tu crois que ma maman va revenir un jour ? » Et moi, obligé de lui mentir, tous les soirs, je lui répondais : « Oui, bientôt » Il souriait puis se rendormait. Moi, je n'ai jamais su ce qu'il en était de mes parents. J'aimais regarder les étoiles le soir en me disant que s'ils n'étaient pas vivants, ils étaient là, dans le ciel et ils brillaient. C'était souvent quand la nuit tombait que je pensais à eux. La journée, les moniteurs faisaient leur possible pour nous occuper. Des jeux, des promenades, des dessins, tout était bon pour nous faire oublier l'horreur que nous avions pu vivre. Dans cette maison, nous nous sentions à l’abri, protégés. -20-
  • 25. Nous étions beaucoup, je ne sais trop combien mais je me demandais comment ils pouvaient tous nous gérer sans que aucun de nous ne se sente ignoré. C'est ainsi que ce matin je me réveillais, on pouvait déjà sentir l'odeur du pain frais, les rayons de soleil passaient à travers les vitres des fenêtres et venaient dorer les murs blancs qui nous entouraient. Je levais le drap qui me recouvrait. Sami dormait encore, il avait du mal à s'endormir le soir, il lui manquait à lui, comme à nous tous, le baiser d'une mère pour nous rassurer et éloigner les mauvais rêves. Je descendais les escaliers qui grinçaient sous chacun de mes pas. Sami descendait à son tour et s'installait à table à côté de moi. Nous nous étions réveillés les derniers, tout le monde était déjà habillé. Certains, comme Sami et moi petit-déjeunions, d'autres jouaient. Cela faisait longtemps que je n'avais eu pareil réveil, la journée commençait bien. C'était le premier jour de nos vacances, je savais déjà que nous allions passer la journée à dessiner ou à jouer au ballon dehors. La maîtresse était partie, la classe allait restée vide pendant deux semaines. Nous allions enfin nous enlever de la tête ces horribles multiplications et dictées qui me rappelaient à quel point l'orthographe française est compliquée. C'est à ce moment que Léa vint s’asseoir à côté de Sami (ce qui d'ailleurs le fit sourire jusqu'aux oreilles). Sami adorait Léa, il en était même secrètement amoureux. Comme beaucoup de nos camarades en fait. Léa était une des adultes qui nous encadraient, elle passait la plus grande partie de son temps avec les plus petits. Nous commencions à manger quand trois hommes, un petit et deux grands et forts, frappèrent à la porte et entrèrent. Ils avaient l'air méchant, on pouvait savoir, rien qu'avec l'expression de leur visage, qu'ils ne nous voulaient pas du bien. L'un d'entre eux déclara : « Monsieur Léon Reifman, descendez, on a besoin de vous » Léon courut dans les escaliers pour se sauver. Les trois hommes s'approchèrent du salon et le plus petit donna l'ordre aux deux autres de nous capturer. Nous étions bloqués, nous ne pouvions plus nous sauver. Des cris, des pleurs, très vite la terreur se propagea. Un homme m'attrapa, l'autre prit Sami. Nous essayions de nous débattre comme nous le pouvions, mais ils étaient beaucoup trop forts pour des enfants comme nous. Ils nous jetèrent dans un énorme camion. Certains d'entre nous tentaient de s’échapper par le haut, mais ils étaient vite rattrapés et jetés sur le sol du camion par les deux brutes. J'étais figé, pétrifié. Je ne comprenais pas. Mon unique et seule occupation était de consoler Sami qui pleurait à chaude larmes tandis qu'une des grandes perches nous criait de nous taire. Monsieur Zlatin essaya de protester mais il fut rapidement calmé par l'Allemand qui lui enfonça son immense arme à feu dans le ventre et lui donna un coup de pied dans les jambes qui le fit tomber à terre. C'est à ce moment que je pris conscience de ce qui nous arrivait. Je regardais autour de moi. Nous étions tous entassés, tous pleuraient, même les adultes. Sami me posait nombre de questions auxquelles je ne pouvais pas répondre : « Où est-ce qu'on va ? » « Qu'est-ce que ces hommes nous veulent ? » « Pourquoi sont-ils méchants ? » « Est-ce que nous rentrons chez nous ? » A vrai dire, je savais que nous ne rentrions pas chez nous. Je savais également pourquoi ils étaient méchants, car nous étions Juifs, et que eux étaient Allemands et nazis. En revanche je ne savais pas ou nous allions. Peut être sommes-nous sur la route pour Rivesaltes et nous allions retourner au camp d'internement. Cette idée me faisait froid dans le dos. Les rats, le manque de nourriture, d'eau et les gens malades, je ne voulais pas revivre tout ça. Après un trajet qui me paru une éternité, le camion s'arrêta, les portes s'ouvrit. On nous fit entrer brutalement dans un gigantesque et sinistre bâtiment sur lequel je lu l’inscription « Prison de Montluc ». A l'arrivée un vieil homme sévère nous demandait notre nom et notre prénom. J'observais l'environnement où je me trouvais et je compris que le cauchemar commençait. Sami s'avança : « Ton nom ? Samuel Adelsheimer. » Puis ce fut mon tour : « Ton nom ? Je m'appelle Max Leiner. » Je crois que les conditions dans cette prison étaient pires que celles dans les camps d'internement. Ici nous n'avions pas de nourriture. Je ne comprenais pas pourquoi nous étions enfermés. Les voleurs et les criminels vont en prison mais nous n'avions commis aucun crime. Le fait d’être Juif était-il un crime ? Est-ce que ma religion était un argument assez fort pour mériter cela ? -21-
  • 26. Est-ce une raison assez valable pour me faire frapper, insulter et enfermer alors que je n'ai que huit ans ? Nous mourrions tous de faim, de soif et de peur. Nous étions toujours aussi entassés dans nos cellules, nous étouffions. Les jours paraissaient longs. Quelques jours après notre arrivée, les mêmes hommes qui nous avaient fait enfermer ici, vinrent pour nous faire remonter dans le camion avec la même violence. Sauf que cette fois-ci le trajet fut beaucoup plus long. Le camion s'arrêta, les portes s'ouvrirent. J'avais l'impression de revivre ce que j'avais vécu quelques jours auparavant. Les Allemands s’écrièrent : « Tout le monde descend et que ça saute ! » Nous étions arrivés à Drancy. Quand nous entrions, je découvrais un bâtiment sinistre avec des sortes d'appartements entassés les uns sur les autres. C'était un lieu fermé et gardé par des hommes en uniforme. Je pensais que notre cauchemar s’arrêtait ici mais j'étais vraiment loin de la réalité. Le 13 avril 1944, on nous emmena prendre un train. Je n'en savais pas plus que cela. Sami était placé à côté de moi, nous étions beaucoup dans le wagon, tellement que nous étouffions. Certain s'évanouissaient. Certains enfants de la colonie n'étaient pas partis. Le trajet dura deux jours, ce fut interminable. Nous sommes alors arrivés devant une sorte de camp. L'entrée comportait les inscriptions « Le travail rend libre » en allemand. A l'arrivée nous avons été tatoués d'un numéro comme si nous étions des animaux. Puis les Allemands nous ont emmenés avec brutalité à ce qu'ils appelaient « la douche ». Ils nous ont alors demandé de nous déshabiller devant tout le monde : je n'ai jamais ressenti pareille honte. Puis nous sommes entrés dans une pièce sombre et sinistre, sans fenêtres. Après quelques minutes, je vis des visages se décomposer, puis je m’endormis au côté de Sami, qui fit de même. C. C. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ « Il me reste quinze minutes pour partir, quinze minutes qui semblent être des secondes. Je prends d'abord de quoi survivre, des médicaments, à boire, à manger et quelques vêtements chauds. Puis je prends quelques souvenirs, mon collier porte-bonheur et une photo de ma nièce et de ma famille. En voyant tous ces objets, je me remémore tous les moments en famille que j'ai passé, ma vie d'avant, ma vie normale. Je lâche deux larmes qui tombent sur la photo de ma nièce, je comprends que je ne vais pas la voir grandir, elle est à peine âgée de six mois. Puis enfin, je prends mon téléphone et son chargeur dans l'espoir de pouvoir avoir des nouvelles des êtres qui me sont chers. Je réalise que je vais devoir dire au revoir à ma demeure, mon pays, mes amis et ma famille. J'embrasse mes parents puis passe le pas de la porte, le cœur brisé. La peur au ventre, je me dirige vers le train, mon sac sur le dos. » C. C. -22-
  • 27. Sans nom « … J’ai l’impression que je suis Shéhérazade, que le récit de ma vie d’avant n’est qu’un conte ténébreux où défilent à nouveau des chemises brunes, où l’on brûle encore une fois des villes, des gens et des livres … » Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.48 Stanley : « Bon, tu as des idées pour le projet sur le biopic de la fratrie déportée ? Comment ils s’appelaient déjà ? Arthur : Jacques, Richard et Jean-Claude Benguigui. Stanley : Oui, bon, tu penses à quoi ? Arthur : Je pensais construire le film autour de plusieurs flashbacks des 3 gamins juste avant d’entrer sous la douche. Le spectateur verrait comment ils en sont arrivés là. Stanley : Pas bête, on ferait un flashback qui réunirait les souvenirs des 3 frères à plusieurs époques, jusqu’à Auschwitz où ils ont été gazés. Arthur : Et on finirait par une mise en scène du procès de Klaus Barbie, l’officier SS qui les a fait déporter, au moment où leur mère Fortunée Benguigui a fini par rassembler des preuves ayant permis de faire juger les nazis impliqués dans les arrestations. On rajoutera aux dialogues leurs qualités et à quel point ce qui s’est passé ne doit jamais se reproduire. Stanley : Excellente idée. Par quoi on commence ? Arthur : Je pensais à une première partie sur leur enfance à Oran en Algérie. Stanley : Ils sont originaires d’Algérie ? Arthur : Oui, ils sont venus en France en 1942, à Marseille. Stanley : J’ai besoin d’indications sur leurs personnalités, pour diriger les acteurs. Arthur : Je n’ai pas trouvé grand-chose à ce sujet. Apparemment, Jacques était scout, c’était un meneur et il était toujours de bonne humeur. Il s’entendait à merveille avec son frère Richard, et tous deux faisaient des concours de fou-rire. Jean-Claude, lui, était très souple et faisait beaucoup de gymnastique et les adultes le regardaient faire ses exercices. Stanley : On n’a rien d’autre ? En même temps, ils n’ont pas vécu assez longtemps pour qu’on les connaisse mieux. C’est déjà triste d’être connu pour ça. Arthur: Pour sûr. Bref, après ça, on peut monter quelques séquences dans lesquelles ils voyagent jusqu’à Izieu, on montre leur nouvelle vie là-bas et ensuite on montre l’arrestation par Klaus Barbie de tous les enfants présents. -23-
  • 28. Stanley : Tu ne trouves pas ça un peu expéditif ? Arthur : Si, tu as raison, on peut monter des images d’eux en train de s’amuser en classe, ou avec les enfants du village, ou même d’autres enfants d’Izieu comme Georgie. Stanley : D’accord, et pour la scène suivante, on pourrait mettre un convoi armé nazi se dirigeant jusqu’à chez eux. Après que Léon Reifmann se soit enfui en pensant que la gestapo venait pour lui, les enfants essaieraient de se cacher mais je pense à faire en sorte que Barbie menace de faire brûler la maison s’ils ne sortent pas. Arthur: En effet, ce n’est pas ce qui s’est passé mais c’est plus simple qu’une scène où les nazis cherchent un par un les enfants. Après ça on enchaîne sur une scène où ils sont envoyés à Montluc, la sinistre prison lyonnaise qui a accueilli plus de 10000 prisonniers durant toute la guerre, puis à Drancy, où environ 67000 Juifs ont transité pour être conduits à Auschwitz par le convoi 71. Stanley : Puis on monte quelques images du voyage et des conditions dans les wagons, on filmerait l’intérieur du wagons avec tout le monde entassé et certains qui tentent de boire quelques gouttes d’eau dans les nœuds du bois, tiens, tu savais qu’ils se tenaient pour pas tous tomber, car ils n’avaient pas la place de s’asseoir ? Ou qu’ils passaient cinq jours dans les wagons sans eau, sans nourriture et sans hygiène ? Ensuite on fait une ellipse jusqu’à la scène où ils arrivent aux portes du camp, des nazis leurs prendraient tout leurs biens puis ils regarderaient les cheminées et des enfants qui viennent d’arriver se diriger vers les douches pour faire comprendre au spectateur ce qui va leur arriver. Arthur : Après ça, on enchaîne les scènes de la vie dans le camp pour montrer l’horreur d’Auschwitz. On peut montrer des enfants morts de faim, de froid ou de maladies. On verrait des Juifs rasés et tatoués faire des travaux dangereux ou bien d’autres manger uniquement les petites rations réglementaires. On peut aussi montrer des nazis passer à tabac des Juifs et on passe à la scène de début où ils entrent dans la chambre à gaz, la caméra reste sur les portes qui se ferment et on laisse juste les bruits du gaz qui s’échappe et leurs cris de douleurs. Puis on passe à la scène du procès de Klaus Barbie, puis générique. Stanley : Et pour finir, on fait une réplique de fosse commune ou l’on verrait leurs cadavres. On pourrait rajouter des petits détails, comme la trace des ongles au plafond des chambres à gaz, ou des nazis qui tuent des Juifs au gré de leurs envies alors qu’ils commencent sérieusement à perdre la guerre. Ce film va faire un carton, bon on se retrouve sur le plateau de tournage, à bientôt. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ Mince, que 15 minutes pour faire ma valise ! Je dois choisir méthodiquement, je ne reviendrai sûrement jamais… Mais je m’égare, pas le temps de penser ! Que mettre ? Des vêtements pour commencer, mon portable ? Non il est déjà dans ma poche, mais son chargeur par contre, oui. Quoi d’autre ? Mon PC ? Oui très important, je dois rester informé et ça m’occupera. Ma console, oui, il y aura bien une TV là où j’irai, à moins que j’emporte la mienne ?... Mais qu’est ce que j’imagine, c’est une valise pas un coffre. Quoi d’autre… ma collection du cycle de Dune, comment ai-je pu ne pas y penser avant ? Il faut aussi que je prenne un oreiller, au moins un petit. Je vais y mettre aussi de l’eau et de la nourriture, sait-on jamais, et s’il me reste de la place, le plus de films possibles. Mon Dieu qu’elle est lourde, je me sens tel Atlas à chaque mouvement. Voila, elle est rangée dans le coffre, ma ceinture est bouclée et le moteur est démarré. Adieu ma maison et adieu, France qui m’a vu grandir, tu me manqueras. A. C. -24-
  • 29. Un ami parti trop tôt « …Le ciel est comme il est. La terre aussi. Jusqu’à la mort. Il n’est pas de grands romans, la condition de l’homme est dérisoire. Une géographie en vaut une autre, un rêve est une vie aussi. Il n’y a qu’une histoire vraie. Les choses durent plus que les hommes… » Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.72 Comme tous les dimanches, j’allais chez ma grand-mère, mais ce dimanche changea mon état d’esprit pour toujours. Jusque là je trouvais que ma vie était d’un ennui mortel. Comme d’habitude en arrivant chez elle, elle nous embrassa tous très fort et nous posa comme toujours les mêmes questions, sur les sujets suivants : les amours, les amis, la santé et l’école. Ma grand-mère – ex-professeur d’histoire – me posait toujours des tas de questions sur ce que je faisais en histoire. Quand je lui appris que nous avions un projet de rédaction sur des enfants déportés dans l’Ain plus précisément à Izieu, et que je lui expliquai l’idée plus précisément, elle me demanda quel enfant j’avais choisi. Je lui répondis qu’en face de cette longue liste funèbre, j’avais été comme attirée par un prénom plus précisément, celui de Gilles SADOWSKI. A l’entente de ce nom, ma grand-mère fit un bond. Elle avait une drôle d’expression plaquée sur le visage. Je continuai de parler de cela, tout en disant que je commençais à regretter d’avoir pris cette personne car, après plusieurs recherches je n’avais rien trouvé. Immédiatement ma grand-mère comme prise d’un excès de folie, me prit le bras et m’emmena dans sa chambre. Elle me laissa toute pantelante au milieu de cette pièce, totalement perdue. Pendant qu’elle courrait dans tous les sens dans son habitation. D’un coup elle se stoppa et se retourna toute souriante avec une boîte à chaussure. Je la regarde perdue. Elle me tendit cette dernière que je refuse en lui disant que, je ne voulais pas d’une paire de chaussure. Elle leva les yeux, exaspérée, et me mit en main cette boîte et me dit droit dans les yeux « n’abandonne jamais cet enfant, jamais. ». Curieuse de savoir ce qu’il y a dans cette dernière, je l’ouvris comme Pandore l’avait fait avant moi, sauf que ce que je découvris à l’intérieur se fut des lettres, mais ce que je découvris au fil des jours à travers ces lettres une histoire tout autant tragique. Suite à ça ma grand-mère me fit un bisou, elle avait les yeux scintillants. La soirée passa très rapidement, je n’avais qu’une pensée en tête, découvrir ce qui se trouvaient dans ses lettres et quel était le lien avec ce Gilles. Le lendemain soir après les cours, je rentre chez moi, salue mes parents et me dirige par automatisme dans ma chambre, mes yeux sous la fatigue se ferment… quand soudain ils se rouvrirent soudainement : les lettres ! Je me dirigée vers mon placard, dans lequel j’avais placé la boîte. J’ai regardé les lettres et pris celle avec la date la plus ancienne : 26 juillet 1942. -25-
  • 30. Dans cette lettre Gilles racontait à une certaine Hélène – ma grand-mère – que ses parents étaient allés voir quelle route serait la meilleure pour “passer” en toute discrétion. En attendant il habitait avec sa tante et sa cousine Lily, il était toujours à Paris mais au lieu du 20ème arrondissement il se trouvait à présent dans le 11ème arrondissement. Sa tante était très gentille avec lui, elle aussi était juive et se cachait du mieux qu’elle pouvait, des amis lui apportaient des provisions. Dans sa lettre suivante Gilles annonçait à Hélène que ses parents n’étaient pas revenus. Sa tante lui avait dit qu’ils avaient peut être mal estimé leur temps de route et qu’ils seraient sûrement la demain au plus tard. Quelques jours plus tard Gilles apprit que sa mère avait été arrêtée et envoyée au Vélodrome d’hiver. Gilles était bien jeune mais, il avait très vite compris que sa mère n’avait guère de chance de survivre, il avait entendu dire de sa tante, qui parlait au téléphone, que de nombreuses autres personnes avaient été emportées là-bas, et que tout ceux qui avaient été envoyé à cet endroit ils avaient été envoyé à la prison de Montluc, puis dans le camp de Drancy, puis à Auschwitz. Sa tante qui parlait ajouta que très peu de gens arrivaient à partir de ce camp. Il fit part de ses peurs et de ses sentiments à ma grand-mère et lui avoua que cette nuit là il avait pleuré toutes les larmes de son corps. Il savait ce qui se passait dehors, il savait qu’il risquait le même sort que ses parents, mais il ne comprenait pas pourquoi tant de haine envers les juifs, qu’avait il fait pour mériter cela ? Gilles qui vivait toujours chez sa tante s’était rapproché de sa cousine Lily il devinrent comme frère et sœur, il envoya une photo, à sa confidente, de lui et Lily. Sur cette photo Lily tenait la main de Gilles. Cette dernière portait une robe et dans ses cheveux un nœud blanc y était logé. Lily dépassait d’une tête Gilles. Ce dernier paraissait heureux à présent. Il raconta dans chacune de ses lettres ce qu’il faisait, chaque jour il vivait une nouvelle expérience, toujours caché mais il la vivait tout de même. Il comprit que malgré le fait que le danger se trouvait derrière les murs de la maison, il ne lui arracherait jamais son bonheur, et sa joie de vivre. Enfin c’est ce qu’il croyait… Le 26 août, cette date ce petit garçon n’était pas prêt de l’oublier. Sa tante ce jour là se fit embarquer, par la même occasion Lily qui avait vu sa mère partir était sortie de leur planque et s’était faite attraper. Il se souvient encore que les hommes avaient crié : « Nehmen sie nach Auschwitz ! Juden schmutzig ! » Gilles aurait voulut venir avec elles mais, tétanisé par la peu,r il ne put réussir à sortir de la planque, en dessous du parquet. Après cette date, il n’y eut plus de lettres pendant un an… Durant l’été 1943, il envoya de nouveau une lettre à ma grand-mère lui expliquant n’avait pas pût lui envoyer de lettres car il n’avait pas le droit de sortir de sa cachette. Il avait survécu grâce à des anciens amis de sa tante qui venaient lui apportait à manger. Il lui expliqua aussi qu’un groupe de personne et venu le chercher leur groupe s’appelle l’O.S.E – Œuvre de Secours aux Enfants – l’avait emmené à Izieu dans l’Ain. Il lui décrivait la maison d’Izieu comme un lieu “paradisiaque”. Il lui expliquait qu’il y avait des gens de son âge mais qu’il avait peur de se faire ami avec eux, car tout les gens à qui il s’était attaché et qui était comme lui juifs étaient mort- il ne voulait pas voir quelqu’un d’autre à qui il tenait mourir-. A part ça il adorait être à Izieu. Lui qui jusqu’ici avait vécu en ville décrivait les animaux qu’il voyait à Hélène dans ses lettres et essayait du mieux qu’il pouvait de les reproduire en dessin. Parfois il allait à la cascade de Glandieu, qui était pas très loin de la maison d’Izieu, accompagné des grands. Les personnes du village étaient très gentilles avec lui. Il expliqua qu’il était très surpris que des personnes qui n’étaient pas juives, étaient indifférentes qu’il le soit. Le soir, les moniteurs et monitrices, surtout Paulette, ou comme il le disait au départ Madame Pallarès, essayait de calmer les enfants qui criaient la nuit, sous les images de leurs proches morts pour certains, pour d’autre la peur d’être embarqué et tué, les plus petits pleuraient sous le manque de leurs parents. Beaucoup de jeunes enfants s’amusaient à répéter que leurs parents allaient revenir et les grands pour les préserver nourrissaient leurs espoirs. Il y avait deux dortoirs dont un rose et un bleu, plus la magnanerie qui était utilisé comme dortoir pour les garçons quand il n’y avait pas assez de place. Les dortoirs étaient mixtes. Gilles s’amusait à décrire aussi les plats qu’il mangeait. Il disait qu’il n’avait depuis longtemps pas mangé autant et aussi bon. Il ajouta aussi qu’une éducatrice – Léa Feldblum – s’amusait chaque jour à leur préparer des desserts différent : parfois des crêpes, une autre un gâteau ou bien une tarte. -26-
  • 31. A l’automne 1943, les plats se firent moins nombreux, Gilles, caché, avait entendu que les tickets d’alimentation devenaient de moins en moins suffisants. Puis Gilles reprit l’école. Il reprit les cours grâce à Gabrielle Perrier. Monsieur et Madame Zlatin avaient aménagé un ancien dortoir en salle de classe. Il avait appris beaucoup de choses et avait l’impression d’être revenu dans sa vie d’avant, lorsqu’il pouvait aller en cours tranquillement sans risquer sa vie. A Izieu, il avait l’impression que rien ne pouvait lui arriver, il savait qu’il était en zone libre c’est les personnes de l’O.S.E qui lui avait dit, au départ il ne les avait pas cru, mais plus le temps passait plus il commençait à croire que cela était vrai et il commençait à reprendre confiance. Les petits disaient de plus en plus souvent que c’était un mauvais moment à passer, que la guerre allait finir et que leurs parents reviendraient. Gilles espérait que son père soit encore vivant. Qui sait ? Il est peut être encore vivant. 5 avril 1944, dernière lettre de Gilles : il écrit qu’il a hâte, car le lendemain il va fêter Pâques, chose qu’il n’avait pas fait depuis longtemps. Il dit qu’il lui enverrait une lettre pour lui décrire ce moment merveilleux. Il lui avoue qu’à présent il pense que jamais la guerre n’arrivera ici, il se sent apaisé. Il n’entendait plus les voix des gardes Allemand crier leurs ordres depuis quelques mois à présent. Les seules voix qu’il entendait étaient celle des moniteurs, des adultes et des enfants dans la maison. Je relève la tête, bouche bée, je crois comprendre pourquoi se fut la dernière lettre de Gilles. Une larme à cette pensée coule le long de ma joue. J’attrape mon téléphone pour appeler ma grand-mère lorsque soudain j’aperçois l’heure. Il est 1h18 du matin, je repose mon téléphone, en sachant que cela ne servirait à rien de l’appelle à cette heure. Je mets mon pyjama et me couche, mes yeux se ferment et je tombe dans un sommeil profond. Je vois Gilles qui me sourit cette nuit là. Le lendemain à midi je m’éclipse de la cantine pour appeler ma grand-mère ne pouvant attendre le soir pour lui poser les questions qui me torturent l’esprit. Le téléphone sonne et quelques sonneries plus tard la frêle voix de ma grand-mère retentit à mon oreille. « Bonjour ma chérie, comment vas-tu ? Je vais bien Mamie dis moi, ce Gilles… il n’a plus envoyé de lettre après le 5 avril 1944, c’est parce que… Oui ma chérie… il est mort suite à cette lettre Un instant de silence se place entre nous puis je continue : Mamie ? Oui ? Gilles, il avait beaucoup d’importance pour toi, n’est-ce pas ? Oui … Il m’était très cher, c’était un garçon très intelligent et très mature pour son âge. C’était mon meilleur ami… un ami parti trop tôt. L. D. S. -27-
  • 32. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ « J’apprends que les gardes ne sont pas loin, je n’ai que quinze minutes pour faire mon sac et partir de ma maison dans laquelle se trouvent tant de souvenirs. Je monte dans ma chambre, par habitude de toutes ses années vécu ici. Je me dirige vers mon étagère sur laquelle tout en haut se trouve mon porte- monnaie, je jette un coup d’œil à l’intérieur et pense à toutes ces années d’économie. Puis, je jette ce dernier sur mon lit, je me tourne de nouveau vers mon étagère et au milieu de celle-ci se trouve une photo de ma famille et moi, je l’attrape, la regarde tendrement et mélancoliquement. Je me mets à penser que dans quelques minutes, je ne les verrai plus. Elle finit au côté de mon porte monnaie. Je me dirige ensuite, vers ma bibliothèque à deux pas de mon étagère et attrape le livre Qui es-tu Alaska ? De John Green. Je prends tout ce qui ce trouve sur le lit et descends les escaliers. Je dépose tout ce que j’ai dans les mains et les pose sur la table de la cuisine. Je prends un paquet de biscuits dans un des placards et le dépose lui aussi sur la table. Je me dis que je risque d’avoir faim sur la route, j’attrape une bouteille d’eau et la mets au côté des autres objets. Ensuite, je me dirige dans le garage et prends dans le placard un sac. Je reviens à la cuisine, mets tout ce qu’il y a sur la table dans ce petit sac et réfléchis un instant à ce que je pourrais ajouter. Mon livre contenant toute mes idées d’histoires ! Je ne supporterais pas de ne pas l’avoir avec moi. Je commence à redescendre, lorsque je me dis qu’il voudrait mieux que je prenne quelque chose pour me réchauffe, on ne sait jamais. Je reviens dans ma chambre et attrape le plaid au dessus de mon armoire. Je redescends, range tout cela dans mon sac et regarde son contenu. Tout ce dont j’ai besoin se trouve dans ce sac. A cet instant je me rends compte que tous ces biens matériels, que j’ai accumulés au fil du temps, ne servent à rien. Le plus important ce sont les souvenirs, personne ne peut nous les enlever et ils nous suivent, qu’importe là où nous allons. » L. D. S. -28-
  • 33. Mon journal à moi Photo Archives de la Maison d’Izieu « Le monde s'éveille péniblement comme s'il avait honte, lui aussi, d'être malade et d'avoir la gueule de bois… L'air est translucide… J'essaye de me souvenir de la nuit d'avant, et de toutes les autres nuits, mais rien ne me vient à l'esprit. Je ferme les yeux... » Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.80-81 Lundi 13/03/1944 Depuis quelques temps, notre vie a changé. J'ai décidé de raconter à toi, mon journal, nos joies et nos peurs. Je n'ai plus le droit d'aller sur les aires de jeux après l'école à Manheim. Je dois rentrer et je ne peux plus jouer dans la rue avec mes copains. D'ailleurs, depuis que je suis obligé de porter une étoile jaune sur mon manteau, je n'ai plus de copain. J'ai l'impression que c'est comme si on avait la varicelle et qu'on était contagieux. Je ne comprends pas toujours ce qu'il se passe. Mes parents m'ont dit qu'un dictateur nommé « Hitler » est à la tête de l'Allemagne, qu’il n'aimait pas les Juifs et que c'est pour cela qu'il faut que l'on soit discrets. La semaine dernière, nos voisins, la famille Stein, sont partis encadrés par la Gestapo. Toute la famille, même mon ami Paul. Et depuis, nous n'avons pas de nouvelles. J'ai l'impression que tous les Juifs ont fui ou sont partis...Mais pourquoi les Juifs ? Qu'a-t-on de différent ? Mardi 14/03/1944 Papa et Maman m'ont réveillé ce matin. Maman pleurait. Je ne comprenais pas pourquoi et je lui ai fait un câlin et nous avons chanté notre comptine favorite « La plus belle des mamans ». Cela lui a redonné le sourire. Je n'aime pas voir ma mère triste. Je me suis aperçu que mon père avait lui aussi la larme à l’œil. Je l'ai serré dans mes bras et au final, ma mère nous a rejoints et nous a enlacés. Plus tard, mes parents m'ont emmené à la voiture. Je n'ai pas compris ce qu'il se passait mais l'ambiance pesante a fait que je n'ai pas posé de questions. Lorsque j'ai vu par la vitre que nous quittions la ville de Manheim, la peur m'a assailli. J'ai donc demandé où nous allions, ma mère m'a alors répondu que nous devions partir et qu'ils allaient m'emmener dans une colonie de vacances où je serais en sécurité. Elle m'a dit d'obéir à madame Zlatin et que je devais être sage jusqu'à leur retour. Je lui ai alors demandé quand est-ce qu'ils reviendront me chercher. Elle ne savait pas, ils devaient aider quelques amis. La route fut longue et silencieuse. Arrivés à la grande maison d'Izieu, madame et monsieur Zlatin nous ont accueillis. Ils nous ont montré toutes les pièces de cette demeure. La maison est beige avec des volets bleus, il y a une fontaine devant la maison. Nous sommes entourés de fermes et de montagnes. En bas de la colline, il y a un petit lac. -29-
  • 34. J'espère qu'on ira s'y baigner. Il y a beaucoup d'enfants de tous âges et de toutes nationalités mais Monsieur Zlatin a formellement interdit de parler une autre langue que le français. Cette langue qui est si dure à apprendre mais que j’aime bien. Mais surtout, j'adore dessiner. Samedi 19/03/1944 : Je n'ai pas réussi à prendre le temps d'écrire sur mon journal à cause de mes devoirs, de mon dessin mais aussi de la journée au lac avec les amis. Je n'ai pas eu de difficultés à trouver des copains. Je m'en suis même fait dans le village. Madame Zlatin m'a donné une nouvelle carte d'identité avec le nom d’ « Octave Wermet ». Elle m'a dit que ce nom sonnait moins Juif et que ça me sauverai la vie. Je l'ai remerciée mais je n'ai pas cherché plus loin même si je me demande pourquoi les Juifs sont chassés. Nous sommes tous égaux pourtant. On pourrait croire que nous sommes des animaux qui devons à tout prix échapper à des chasseurs. Cette histoire m'intrigue … Lundi 21/03/1944 : C'est bientôt l'anniversaire de mon amie Esther. Elle va avoir 12 ans. Elle est dans ma classe avec Jacques. On fait beaucoup de bêtises ensemble. En revanche, c'est toujours Jacques qui se fait prendre, il est gentil et il s'occupe bien de ses frères et sœurs. J'aurai aimé avoir un frère, heureusement Théodor est un peu comme mon grand frère. Vu que nous sommes tous les deux Allemands, parfois, on s'amuse à parler notre langue pour que les autres ne comprennent pas. C'est notre petit jeu. Mardi 22/03/1944 : Aujourd'hui, je n'ai rien fais d’intéressant. Je pense offrir une lettre avec un dessin à Esther. Depuis que je suis arrivée, une fille m'a tapé dans l’œil mais je ne sais pas comment faire pour lui parler. Jeudi 24/03/1944 : J'ai appris que Sarah-Suzanne été née le même jour que moi mais elle a un an de moins. C'est plutôt drôle. Sur les 44 enfants, il y en a une qui a le même jour et le même mois d'anniversaire que moi. J'ai hâte d'être l'année prochaine pour fêter mon anniversaire et je retrouverai peut-être mes parents s'ils reviennent. Je n'ai toujours pas de nouvelles depuis mon arrivée ici. Ils me manquent terriblement, j'espère qu'ils vont bien. Dimanche 27/03/1944 : Je me rends compte que plus nous sommes petit, plus le français est facile à apprendre, contrairement à Arnold et Théodor qui ont beaucoup de mal. Jacques m'a conseillé d'écrire une lettre à Nina - sur ses nouveaux papiers d'identités, son prénom est Mina - pour qu'elle se souvienne de moi. C'est vrai que c'est une bonne idée. Je le ferai sûrement bientôt. Archives de la Maison d’Izieu -30-
  • 35. Mardi 29/03/1944 : J'ai offert mon dessin à Esther, elle était très contente. Elle a aussi eu des billes et deux boulets. J'ai aussi, timidement, donné ma lettre à Nina. Elle m'a fait un bisou sur la joue, je suis devenu tout rouge. Samedi 03/04/1944 : Désolé mon cher journal, je t'avais oublié. Ici, il ne se passe pas grand-chose. Mais je passe un peu plus de temps avec Nina même si elle est souvent avec Charles. Cela m'agace un peu car elle est très proche de lui. Dimanche 04/04/1944 : Aujourd'hui, nous sommes allés dans la ferme voisine pour voir les animaux. Avec Jacques, nous avons couru après les poules pour tenter de les attraper. Elles couraient de partout, c'était assez amusant. Mais ça n'a pas vraiment fait rire les filles quand elles se sont mises à leur foncer dessus. Mais à un moment, je suis tombé dans la boue et ça a bien fait rire Nina, donc je me suis vengé en lui courant après en la prenant dans mes bras. Quand tout-à-coup, une vache a meuglé ce qui nous a fait sursauter alors nous sommes rentrés en courant à la maison. Les encadrants ainsi que Monsieur Zlatin nous ont sévèrement disputés car nous avions sali l'entrée et les couloirs. Vendredi 09/04/1944 : Tellement de choses se sont déroulées ces quelques jours… Des Allemands avec des camionnettes remplit de policiers de la milice ont pris tous les enfants, moi y compris, ainsi que les encadrants. Seul Paul a réussi à s'échapper. Ils nous ont tous répartis dans les camionnettes. L'un d'eux a blessé Nina, cela m'a tellement énervé, mais j'étais impuissant devant une telle violence. J'ai eu la chance de me retrouver dans la camionnette où se trouvait Nina, malheureusement je n'étais pas assez près d'elle pour la réconforter. Elle, ainsi que beaucoup d'autres enfants, pleuraient. Moi non. J'étais beaucoup trop perturbé par les derniers événements pour cela. Après plusieurs heures de trajet, nous avons été déposés à Montluc, dans une prison aux cellules étroites et insalubres. Nous avons été placés dans cet endroit sans savoir pourquoi. -31-
  • 36. Un encadrant parle déjà de notre mort, cela m'effraie terriblement. Je ne veux pas mourir, je veux juste retrouver mes parents et sortir de ce cauchemar. À présent, nous sommes à Drancy, vers Paris. D'après ce que j'ai entendu, c'est un camp d'internement, je n'ai pas vraiment compris mais j'ai supposé que ce n'était pas vraiment le moment de demander des explications. Je n'ai plus de nouvelles de Nina depuis que nous avons été déplacés à Montluc, cela m'inquiète. Mardi 13/04/1944 : Nous avons été emmenés à Bobigny. Je n'ai pas vu tous mes amis. Ils nous ont entassés avec d'autres personnes dans des wagons. On ne voit presque pas la lumière du jour. Ils ne nous ont pas donné ni à boire, ni à manger, alors je suppose que le voyage sera court. Il n'y a pas un bruit, c'est assez perturbant. Je me demande ce qui nous attend. J'ai trouvé une petite fente qui me donne assez de lumière pour voir ce que j'écris. Mercredi 14/04/1944 Nous ne sommes pas encore arrivés, mais je pense que le voyage est bientôt terminé. Tout le monde meurt de faim et de soif. Une odeur d'urine flotte dans l'air, c'est assez infâme. Des personnes sont devenues folles. Je suppose que c'est à cause de l'enfermement ainsi que leurs passé troublant. Elles me faisaient peur mais je me rappelais sans cesse que la peur n'avait pas sa place ici. Le train a l'air de s'arrêter, je crois que nous y sommes. Autour de moi, c'est la pani… … Dans la panique, Otto perdit son carnet, ce qui mit fin à son récit. Après cela, Otto subit le même sort funeste que toute autre personne juive. Il se fit déshabiller, déposséder de tout bien, puis cruellement tué à seulement 12 ans. J. D. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ Mon père m'annonce que je n'ai que 15 minutes pour m'enfuir. Je me dirige directement dans ma chambre. J’attrape le plus grand sac à dos que je possède auquel j'attache un sac de couchage. À l'intérieur, je mets de l'argent, une pochette-souvenirs et quelques photos, un couteau suisse, une lampe torche, une boussole. Je prends un jean, un tee-shirt, un pull ainsi que des sous-vêtements. Pour finir, je prends mon portable, mon chargeur et mes écouteurs. Pour la dernière fois, je regarde ma chambre. Puis, je me précipite à la salle de bain pour prendre ma brosse à dent et mon dentifrice. Ensuite, je cours à la cuisine pour prendre une bouteille d'eau et le plus de boîtes de conserve possible. Je mets alors mon sac dans le coffre de la voiture. J. D. -32-
  • 37. D'une âme disparue « … Je suis robotisé par la peur, déshumanisé par la misère. Je suis un long spectre faible et transparent posé sur le trottoir, un insecte nocturne qui brûle à petit feu, trahi par le halo des lampadaires… « Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.83 Bonjour le monde, J'espère que cette lettre pourra être retrouvée et si c'est le cas, alors je suis heureuse ! Je suis Sarah-Suzanne Szulklaper mais mes amis m'appellent Suzanne. Je suis née le 5 février 1933, à Paris comme un de mes camarades, Gilles Sadowski. Mes parents sont Tauba (ma mère est née en Pologne) et Huna Szulklaper, ils ont été déportés à Auschwitz le 18 juillet 1943 et je suis arrivée à Izieu en novembre de la même année. Je ne me souviens plus exactement quand. J'ai passé de bons moments dans cette colonie. La vie y était calme et nous nous amusions bien ! Devant la maison, il y avait une fontaine où nous rigolions bien ! Nous pouvions aussi aller chez les voisins et nous promener. Ah, l'air frais me manque... quand on sait où je suis. Pour Noël, nous avons eu le droit à du pain d'épice, de la pâte de coing et des bonbons ! Rien que d'y penser, j'en salive ! Nous, les enfants de 6 à 12 ans, avions des cours dans une salle aménagée et notre maîtresse s'appelait Gabrielle Perrier. C'est à cause d'un méchant monsieur qui s'appelle Klaus Barbie qu'on est dans ce wagon. Qu'est-ce qu'on lui a fait ? Est-ce qu'il n'aime pas les enfants ? Nous avons été arrêtés le 6 avril 1944 à 8h30, pendant le petit-déjeuner. C'était il y a quatre jours je crois. Nous avons été transportés en camion jusqu'à un endroit assez lugubre qu'on appelle la prison de Montluc. Là-bas, il y avait quotidiennement des fusillades. Leurs bruits résonnent encore dans mes oreilles. Puis nous sommes partis à Drancy où on nous a affamés et laissés dans un coin sans se soucier de notre sort. Nous sommes très fatigués (nous dormons à même le sol), nous avons peur. -33-
  • 38. Ici, ce n'est plus la vie d'avant, nous n'avons ni la force de crier, ni celle de pleurer tellement nous avons faim et soif. Il y a une odeur nauséabonde dans l'air. Un grand, que je ne connais pas, pleure dans un coin. Léa Feldblum, une des éducatrices de la colonie, est dans le même convoi que moi. Elle est toujours là pour nous, et elle nous soutient. J'aimerais tellement retrouver mon chez-moi ou la colonie ! Mes parents me manquent et je me dis que la vie, sans eux et dans ce wagon, n'a plus vraiment de sens. A l'heure où on pourra me lire, je serai certainement morte. A l'heure où j'écris, je suis dans le train pour Auschwitz et je sais que je vais mourir... En espérant que l'on trouvera cette lettre, Sarah-Suzanne P.S : Ci-joint une photo de mon père. M. F. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ J'irai prendre mon écharpe ainsi que ma veste sur ma chaise de bureau puis j'irai chercher mes affaires de rechange dans ma valise pour enfin attraper à la volée un livre que ma meilleure amie m'a offert. J'irai ensuite dans la salle de bains pour y récupérer ma brosse à dents, du savon, des mouchoirs et des bijoux. Me rendant compte de mon oubli, je retournerai dans ma chambre pour récupérer mes crayons et stylos ainsi que mes feuilles et mon carnet sur lequel j’écris des textes. Je me dirigerai ensuite dans la cuisine pour prendre des choses à boire et à manger. Pour finir, je ferai un gros câlin à mon père et à mon frère mais malheureusement pas à ma mère car elle n'habite plus à la maison, et je m'en irais par la baie vitrée donnant sur le jardin et partirais à travers champs. M. F. -34-
  • 39. Une identité volée. Maison d’Izieu. Case vide. A ce jour, nous ne possédons aucune information ou image de Lucienne Friedler « … On a écrit des livres après le goulag, après Hiroshima, après Auschwitz, Mathausen... Peut-on écrire après Sarajevo ? Pour décrire cette destruction qui relève de l'irréel, pour évoquer le caractère lumineux et sacré du sacrifice des victimes …? » Manuel d’Exil, Velibor ČOLIĆ, Gallimard, 2016, p.105 Petite fille envoyée au paradis des anges, Petite fille menacée par toutes ces vengeances. Tu es obligée de fuir, je sais, tu es déçue, Mais à deux nous sommes plus fortes et non pas vaincues. Dans cette maison tu apprends que tu n'es pas seule Tu trouves d'autres enfants conduits par leurs aïeuls Ils vivent sans parents mais ne sont pas malheureux Fürher gare à tes furieux, elle est ma fille d'Izieu -35-
  • 40. Tout de cette maison te rappelait ton enfance, Toutes ces odeurs t'appellent à vivre et rire en France, La Belgique te manque mais nous devons nous taire, Ma chérie tu ne sais pas encore c'est la guerre ! Des nuages nazis viennent voler ton bonheur. Comme effacée du monde ils voulaient prendre ton cœur. Ils enfermèrent tes rêves loin de ce ciel bleu, Fürher gare à tes furieux, elle est ma fille d'Izieu ! Horreur, injustice, tu pleures et hurles mon nom, Ils t'emmènent au loin dans ce camp de concentration, Ils te déchirent de moi, non mon cœur ne bat plus, Tes larmes coulent en vain, je suis totalement vaincue ! Finie cette épopée, cette histoire merveilleuse Fini l'amour fleuri, finies les robes joyeuses Fini l'enfant béni dont tu as volé la vie, -36- Hitler tu m'as tout pris, tout brûlé, je te bannis !
  • 41. FÜRHER GARE A TOI FURIEUX, OUI ELLE RESTE MA FILLE… D'IZIEU. L. G. « 15 minutes pour écrire … 15 minutes pour partir… » « Mémoires migrantes » Atelier d'écriture avec l'auteur Velibor ČOLIĆ Les précautions. Face à la vie, nous devons nous efforcer de prendre des précautions. Si la vie devait m'obliger à quitter ma maison, là où mon refuge et amour remplissent mon cœur, je prendrais tout d'abord, les larmes au bord des yeux, je ne prendrais que mon petit frère à mes côtés. Il est ma vie et mon sang et je préférerais mille fois abandonner mon âme que de l'abandonner lui. Je m’assiérais avec mes parents à mes côtés et je leur expliquerai qu'une vie meilleure l'attend ailleurs. Je ne partirais pas sans lui malgré les menaces qu'on pourrait me faire. Pour tout dire, il me rappelle les enfants d'Izieu. Il aurait pu en être un, à une époque différente. Quelques bouteilles d'eau, gâteaux et couvertures seraient de l’aventure pour subvenir à ses besoins. Je l'aime et je ne le laisserai pas mourir si jeune dans un pays où la mort reste présente. Il est mon tout et je le protégerai jusqu'à ce que mort s'en suive. L. G. -37-