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AVANT-PROPOS
L’ensemble des documents ici présents visent quelques objectifs :
1) Donner un cadre pour appuyer la présentation en ce qui concerne
l’approche des campagnes aux deux derniers siècles de l’Ancien
Régime
2) Fournir des documents à titre indicatif, comme appuis d’une
possible réflexion et comme éléments d’inspiration où puiser,
éventuellement
En conséquence, tout ne fera pas l’objet d’un même commentaire,
mais l’ensemble sera disponible pour chacun
Fabien Gaveau, professeur d’histoire en CPGE, chercheur associé au CNRS,
UMR 6298 ARTEHIS, Dijon, membre du Comité de rédaction des revues Etudes rurales
(CNRS-EHESS-Collège de France) et Histoire et Sociétés rurales (Université de Caen-MSH-
CNRS)
Tensions, mutations et crispations dans la société d’ordres (XVIIème-XVIIIème siècles)
Les campagnes
Tensions, mutations et crispations dans la société d’ordres (XVIIème-XVIIIème siècles)
Les campagnes
Eléments des programmes du lycée
La classe de seconde
Thème 2 : XVe – XVIe siècles : un nouveau rapport au monde, un temps de mutation intellectuelle: parmi les thèmes La constitution
d’empires coloniaux, une circulation économique dans l’espace Atlantique, et un point de passage « l’or et l’argent, des Amériques à
l’Europe ».
Thème 3 : L’Etat à l’époque moderne : France et Angleterre; chapitre 1 : l’affirmation de l’Etat dans le royaume de France, avec comme
point de passage « Colbert développe une politique maritime et mercantiliste, et fonde les compagnies des Indes et du Levant »
Thème 4 : Dynamiques et ruptures dans les sociétés des XVIIe et XVIIIe siècles. Parmi les éléments, les physiocrates, l’essor et
l’application de nouvelles techniques préparatoires à la transition industrielle. Le chapitre 2 porte spécifiquement sur « Tensions,
mutations et crispations de la société d’ordres ». Poids de la fiscalité, « des droits féodaux », amélioration de la condition paysanne, le
maintien de l’influence de la noblesse. Passage obligé « 1639 – La révolte des Va Nu-pieds et la condition paysanne »
Une question de mots
Tension : du côté du mouvement
• Action de forces contradictoires voire
antinomiques sur un corps social
• Notion qui prend du sens avec l’examen de
« l’élasticité d’un système », soit son aptitude
à réguler et surmonter des crises
Mutation : du côté du mouvement
• Le fait de changer de forme ou de
fonctionnement
• Notion qui prend du sens avec l’examen
des « dynamiques » qui caractérisent les
composantes d’un système
• Notion qui pousse à examiner le poids
des facteurs endogènes, exogènes
Crispation : du côté du blocage
• Le fait de se fixer sur un point
• Le fait de s’immobiliser sur une
référence, une attitude d’esprit
Les développements démographiques, économiques, politiques engendrent des restructurations socio-politiques selon des rythmes qui
différent (par secteur et par groupe d’acteurs), produisant régulièrement des blocages dont la résolution implique un nouvel équilibre des
forces à l’œuvre dans une société.
Dans le contexte d’une société fondée sur des privilèges (personnels, de corps, de communautés, de provinces) dont le point d’équilibre gît
dans la personne du souverain, les dynamiques à l’œuvre du règne de Louis XIII à celui de Louis XVI engendrent des tensions multiples qui
produisent une crise politico-sociale d’envergure précisément parce que la société est traversée par des dynamiques puissantes que les
régulations héritées ne parviennent plus à contenir. Ce serait donc la puissance des dynamiques qui engendrerait la crise finale de
l’Ancien Régime plus que le blocage, visible en première lecture, du système. Dans ce contexte, les campagnes, dans leur diversité,
représentent un point nodal de la question, ce que les approches renouvelées de l’histoire tendent aujourd’hui à mettre en lumière.
1. Les campagnes, le pluriel d’un royaume en recomposition
Carte de la France divisée par les 12 provinces ou gouvernements, comme elle
furent convocquez aux Estatz generaux de ce royaume l'an 1614, BNF (cartes et
plans, GE-DD-2987 (372)
La France divisée en 13 Parties lors de la tenüe des Etats Généraux en 1614,
désignés par leurs principales villes, avec les Provinces conquises ou acquises
depuis cette époque. Echelles d'un degré et demi, par Louis Brion de La Tour,
ingénieur-géographe, et Gobert-Denis Chambon, Paris, 1788, BNF (cartes et plans,
GE-DD-15316)
Des Etats généraux de 1614 à la préparation de ceux de 1789 : quelques enseignements:
• Un royaume dont l’emprise s’est étendue sur de nouvelles provinces, au Nord, à l’Est, au Sud.
• Un royaume dont les provinces « conquises ou acquises » signifient l’intégration de nouvelles populations à l’ordre monarchique français
selon des accords qui prévoient le maintien de droits acquis (privilèges)
• Un royaume dont la dernière « acquisition » majeure résulte de sa politique en Méditerranée aux côtés de la Sérénissime République de Gênes. Le
cas de la Corse est d’autant plus intéressant que l’île devient le lieu d’application de politiques « expérimentales » pour assurer le développement
d’outils de gouvernement et celui de l’économie agricole selon une optique physiocratique, avec les difficultés que chacun connaît.
Un royaume dont la diversité des composantes se traduit par la nécessité d’articuler des intérêts contradictoires. La référence aux privilèges et
droits des provinces permet longtemps de contenir les tensions entre Versailles et les cours souveraines de ces provinces.
1. 1. Une France qui repose sur des provinces « rurales » mais dont le pouvoir est blotti dans les villes
Au-delà des particularités, quelques éléments permettent d’appréhender le monde des campagnes des années 1640 aux années 1780
La communauté d’habitants :
• Une structure institutionnelle
représentant les intérêts d’une localité
• Une structure dotée de représentants :
échevins, syndics, caporaux ou caporali
dans le sud, pères etc. Derrière les
noms les mêmes fonctions
d’intermédiaires avec les autorités.
• Une structure dotée d’un personnel
renouvelé régulièrement : gardes,
procureur, secrétaire…
• L’existence d’un cursus honorum
informel mais bien réel permettant de
tester les aptitudes à devenir in fine un
syndic (père, caporal, échevin…)
• Une structure dotée d’un patrimoine
• Une structure responsable de l’entretien
de ce patrimoine collectif
• Une entité fiscale sur laquelle repose la
répartition et la levée de l’impôt : les
asseeurs et les collecteurs
Le groupe social –humain-
représenté par la communauté :
• Des différences de fortune qui
mêlent les « gros » et les « petits »
• Des lignages et des alliances
• Des réseaux clientèlaires
• Des subordinations dans le travail
• Des intérêts qui divisent ou
rapprochent
• Des oppositions fréquentes entre
quartiers, entre le « monde des
fermes » et le village…
• Des clivages parfois religieux
(comme en Alsace par exemple)
• Une identité locale incarnée par un
ensemble de rites religieux, festifs.
La ou les seigneurie(s) qui exerce(nt)
une autorité
• Un seigneur et son groupe familial
• Des officiers seigneuriaux, notamment
le juge seigneurial
• Des droits éminents sur les terres de la
seigneurie
• Un relai auprès du pouvoir, un
protecteur et/ou un adversaire
Des échanges avec les autres communautés, les autres groupes sociaux, les représentants du roi, voire le roi lui-même
• Les relations familiales, les mariages
• Les migrations saisonnières
• Les liens avec les milieux urbains
• Des médiateurs multiples :
• Demeurant dans la localité et jouant de leurs relations en-dehors
• Demeurant dans la localité et ayant une origine extérieure (des curés, des vicaires, des enrichis établis dans les villages)
• Ne demeurant pas dans la localité mais qui en sont les protecteurs reconnus, attitrés, par l’existence de droits, de racines familiales
La dimension religieuse
• l’organisation paroissiale diffère de la
communauté (il existe assez souvent
des paroisses qui regroupent des
communautés, certaines communautés
disposent de leur propre vicaire)
• Rôle central du curé dans la structure
du pouvoir
• Situation problématique des autres
cultes, surtout de 1698 à 1787
Le jeu international
La compétition
avec les autres
royaumes
La guerre sur terre
et sur mer
Le « grand »
commerce
Les colonies
La communauté
d’habitants
La / les seigneurie(s)
L’Eglise romaine
ROME
Les Etats parfois
Les institutions de la province
Les représentants du roi
Le Parlement
Justice
Maréchaussée
Fisc
Maîtrise forestière
Le Roi en son conseil
DES PARAMETRES ENVIRONNEMENTAUX
divers sur la
planète
et fonctionnant
en système
Expression régionale et locale des facteurs
environnementaux
1. 2. Les campagnes sont prises dans un étau complexe de forces à la dynamique propre mais qui jouent les unes sur les autres
Les campagnes du royaume vivent dans un monde structuré par un champs de forces dont elles sont le plus souvent conscientes. Les réseaux
humains jouent un rôle décisif entre toutes les échelles pour assurer la défense de protégés, la maîtrise des localités, le maintien du bon ordre,
la résolution des difficultés. Le royaume est un champ de forces entre réseaux qui s’allient, s’affrontent, selon des logiques toujours singulières.
La monnaie
Notariat
1. 3. Les campagnes évoluent en tension entre le poids des héritages et les nécessités du présent
Du côté du passé :
• Les coutumes règlent la vie
• Les droits acquis
• Les privilèges
• La mémoire des familles
Du côté du présent :
• La météorologie et son impact sur les récoltes
• Le mouvement de la démographie
• La manière de valoriser des ressources locales
• La manière d’obtenir un complément de ressources
• Les exigences des seigneurs
• Les exigences de la monarchie
2. Les paramètres des tensions
De ce qui vient d’être présenté, il ressort que les campagnes sont marquées par des phénomènes dont les caractères différents se
conjuguent selon des configurations variables. La vie des habitants des campagnes est caractérisée par des phénomènes :
• Dont le rythme de développement et l’impact varient dans la durée (approche temporelle) et dans l’espace (approche multiscalaire)
• Dont la nature est parfois très clairement identifiée dans ses origines par les sociétés locales, ou parfois simplement décrite sans
que personne n’en sache vraiment l’origine (exemple de la pénurie monétaire : elle est constatée mais personne localement ne se
l’explique)
• Dont les effets se conjuguent de manière systémique, comme les travaux d’Ernest Labrousse l’ont bien mis en évidence dès les
années 1930 avec la question de la crise d’Ancien Régime. Toutes les crises n’ont pourtant pas engendré une Révolution.
L’explication purement économique ne suffit donc pas.
2.1 Des paramètres systémiques impliquant les équilibres productifs : des rappels
• Les effets de la démographie : l’impact des années de guerre du règne de Louis XIV, après les crises démographiques que le
pays a connu depuis le XVIe siècle et les temps difficiles de la seconde moitié du règne de Louis XIII puis de la Fronde des
princes. Les classes creuses des années 1690 se lisent ainsi dans les années 1720-1730, avant la reprise de la croissance
démographique : pénurie de travailleurs, tendance à la hausse des salaires des manouvriers (Le Roy-Ladurie)
• La possibilité de mettre en exploitation des terres nouvelles, comme celles que les périodes de crises démographiques du
XVIIe siècle ont conduit à abandonner. Ces terres portent une fiscalité spécifique (les novales) et certaines, de plus en plus
nombreuses, alimentent des conflits entre villageois et entre communautés d’habitants et seigneurs, en vertu du principe qui veut
qu’il n’existe aucune terre sans seigneur.
• Les effets des aléas de la météorologie sur le volume des récoltes, qui sont d’autant plus marqués que l’aléa en question est
puissant (année 1709 par exemple) ou que des aléas compromettent plusieurs années de suite le niveau des récolte. Une bonne
récolte est d’abord une récolte abondante. Comme Jean-Pierre Poussou le suggère dans ses travaux, l’économie d’Ancien
Régime fonctionne sur une règle qui diffère de celle qui s’installe dans les années 1880 essentiellement : des productions
abondantes ne signifient pas la pauvreté des producteurs mais leur capacité à réaliser des réserves monétaires.
• Les effets du fonctionnement des marchés, dont les conditions impactent l’aptitude à écouler ou obtenir des produits.
• Les effets de la rareté du numéraire, phénomène structurel dans la France d’Ancien Régime à l’échelle de la plupart des
campagnes lorsqu’elles sont éloignées des principaux centres urbains.
• Les effets de la distorsion entre ressources des lieux et accès à d’autres ressources plus lointaines : le rôle des migrations
saisonnières est important, le rôle du basculement dans un autre état social est également important (en ville par l’apprentissage,
dans l’Eglise, par un départ vers des colonies, par un enrôlement dans la troupe ou dans la marine… la liste est longue)
2.2 La question de l’impôt : une affaire que la recherche éclaire de plus en plus finement depuis les travaux de Mireille Touzery notamment
A) L’impôt royal s’organise différemment selon les provinces.
Le Conseil du roi peut en augmenter le montant sans passer par les Parlements du royaume,
c’est-à-dire les cours chargées de veiller au respect des privilèges des provinces et des
hommes.
Avec la collecte de l’impôt, d’autres sommes sont inscrites au rôle de chaque communauté,
comme celles utiles à la conduite de travaux liés à la localité, ou celles nécessaires à des
travaux provinciaux comme les routes et les ponts.
B) Dans les deux tiers septentrionaux du royaume, la taille est fondée sur l’évaluation
annuelle des revenus de chaque foyer, d’après la situation propre à chacun, d’où son nom de
« taille personnelle ». Dans un petit tiers méridional du royaume, la taille est fixée
d’après le potentiel productif des propriétés réellement détenues - dans le sens de la propriété
réelle, pas éminente - par les foyers. La terre roturière en est la base, non la personne,
d’où son nom de « taille réelle », liée à la « chose » (res en latin). Dans ces régions, les biens
d’origine roturière détenus par un noble dans son domaine direct paient la taille, ce qui
implique bien des contestations de la part de ces nobles.
Pour mémoire, dans les pays de taille personnelle le fait d’être noble dispense tout
bonnement du paiement de la taille. Mais pour être ainsi dispensé encore faut-il que sa
noblesse soit effectivement reconnue.
Dans les régions de taille réelle, la connaissance des biens de chaque personne est possible
grâce à la tenue d’un registre, soigneusement mis à jour : le compoix, d’un mot occitan
coumpes (« équilibre »). Le compoix fournit les caractères de chaque bien foncier sous le
nom de chaque détenteur. Les données couvrent la nature du bien (terre à céréales, bois,
jardin, vigne, maison…), sa localisation, sa valeur productive. Pour cette raison, ce registre
s’appelle parfois « estime » ou registre de l’allivrement. Ce mot signifie que la part d’impôt
due par chacun sur le contingent fixé à une communauté est calculée à partir du revenu net
des terres inscrites à son nom. Les communautés d’habitants réalisent ces documents sur
leurs deniers. Elles les tiennent à jour. Plus rares sont les communautés à ajouter un plan à
l’appui du registre des propriétaires. Long à réaliser, coûteux, il ne présente guère d’utilité
dans des sociétés très au fait de leur territoire.
Extrait du terrier du marquisat de Bénac
(Hautes-Pyrénées), section A, 1771, (ADHP, 61
Fi 1)
Extrait du plan terrier de Séméac (Hautes-Pyrénées), années 1770, (ADHP, 1 E HF 904) : les particuliers, le cœur du commun et le seigneur
Ce simple document illustre ce qu’est la
structure d’une communauté d’habitants :
une réunion de particuliers, liés à une
entité commune, avec des droits communs
(le puits ici), et une identité religieuse
garante des défunts. Le cimetière est un
espace central car il enracine les familles
dans la mémoire des lieux
C) Partout, le processus fiscal repose sur l’indication d’une somme globale à payer à l’autorité publique par chaque
communauté, selon la richesse supposée de chacune. Là où un compoix existe, l’opération de répartition interne à la
communauté est assez simple. Dans les régions de taille personnelle, la répartition et la collecte de l’impôt sont confiés à deux
ou trois individus, les fermiers de l’impôt. Il s’agit souvent d’un laboureur aisé, un marchand-laboureur, ayant généralement une
réserve financière liée à la vente de surplus agricoles. L’idéal est de soumettre l’affaire à un marché, comme en Bourgogne.
L’assemblée des chefs de feu retient les mieux-disant pour devenir fermiers de l’impôt. Quatre fois durant l’année, les fermiers
remettent la quotité de l’impôt aux receveurs du roi, ou de la Province dans le cas d’un pays d’États.
Le principe de répartition est que « le fort porte le faible ». Chacun contribue selon sa fortune. Les asseeurs fixent la part de
chaque ménage roturier en se fondant sur des paramètres jugés équitables : le niveau de revenu reconnu, l’état apparent de la
fortune, les charges des familles, les événements subis durant l’année. Ils ajoutent au rôle de chaque foyer la part due pour payer
leur travail de répartiteur et collecteur de l’impôt. Cette rémunération est encadrée. En 1789, dans le ressort des États de
Bourgogne, la collecte de la taille était rémunérée à 2,5 % de la somme prélevée. De même, la levée de la capitation, se fait
au prix d’un peu moins 1 % de la somme levée. D’autres menus frais s’ajoutent à ces indemnités : le salaire du scribe des actes
fiscaux, les heures passées à confectionner la répartition, le prix du papier, de l’encre, des déplacements vers les bureaux des
receveurs. La même organisation existe pour la collecte des revenus de l’Église et celle des droits seigneuriaux, quelle que soit
leur forme, en numéraire ou en nature.
Parfois, la communauté fait une requête en dégrèvement, si l’année est particulièrement mauvaise. Les autorités sont libres de
l’accepter ou de la refuser.
D) Si une communauté ne peut pas verser le montant intégral de l’impôt attendu, les collecteurs s’exposent à une mesure de
contrainte par corps, traduite par leur incarcération, avec l’obligation de payer les frais du séjour en prison*. Quand une
communauté d’habitants est manifestement récalcitrante à produire l’impôt, le pouvoir peut envoyer la troupe en séjour dans le
village aux frais des habitants jusqu’au paiement de l’impôt. Pour éviter cette extrémité, les collecteurs préfèrent avancer la
somme qu’ils n’ont pas pu recouvrer.
E) À l’issue de leur mission, les fermiers rendent compte à la communauté. Elle se réserve le droit de les poursuivre, en cas
d’injustice. Beaucoup de localités n’ont guère les moyens de se passer des rares personnes suffisamment aisées pour rendre le
service fiscal. Dans les faits, les collecteurs ont les moyens de faire payer les foyers, ne serait-ce qu’en exigeant un travail
compensatoire du non-paiement qu’eux-mêmes couvrent sur leurs deniers, ou en demandant une saisie des biens des
récalcitrants. Par leur position sociale, les fermiers disposent d’une emprise sur l’assemblée générale de la communauté
d’habitants et sont capables de juguler la plupart des mécontentements. Ils sont bien souvent des employeurs importants pour les
travaux des champs et en mesure de faire pression sur les foyers les plus modestes.
*L’historien Jeremy Hayhoe (Université de Moncton, Canada) me l’a confirmé à partir de ses recherches sur les communautés
d’habitants de la plaine de Saône en Bourgogne.
2.3 L’action des pouvoirs, en lien avec des questions internationales liées à la puissance, pèse sur les campagnes
A) Les effets des politiques mercantilistes (des choix de la monarchie qui finissent par impacter la vie des campagnes)
• La création d’une flotte de guerre et de commerce pèse sur les ressources forestières du pays. L’ordonnance de
Colbert (1669) introduit une nouvelle gestion qui tend les relations localement entre les Maîtrises et les
communautés d’habitants, le tout et dans la longue durée, sur fond de croissance des besoins en bois pour
d’autres usages : le bois de chauffe, le charbon de bois. Dans ce contexte d’ailleurs, l’application des droits de
triage sur les forêts par les seigneurs est souvent vécu par les communautés d’habitants comme une spoliation.
• La situation devient d’ailleurs « explosive » dans les années 1770-1780, quand la Ferme Générale suggère à
Versailles de prendre en main l’exploitation des forêts en place de la Maîtrise. Les débats qui entourent la
création des salines royales d’Arc-et-Senans en donnent un très bel exemple. Un autre aspect tient dans le
développement des gardes des bois des Maîtrises avec un rapport souvent conflictuel avec les populations
qui tiennent à l’accès aux ressources des forêts.
• L’autre aspect de ces politiques est étroitement lié à la quête des métaux précieux qui permettent le
financement des politiques de la monarchie. Le fonctionnement des circuits financiers est impacté :
• Comment inciter les plus riches familles à investir dans les compagnies de commerce ? Dans les
colonies ?
• Comment générer suffisamment de recettes pour que la monarchie défende son domaine colonial et
son influence ? La question pèse sur les années 1660-1720 puis avec une force inédite des années
1756 à 1783 (de la Guerre de Sept Ans à la Guerre d’Amérique, avec l’impact que l’on sait sur les
finances royales)
• Cet aspect est étroitement lié aux questions monétaires, très complexes sous l’Ancien Régime, mais qui se
traduisent structurellement par la pénurie chronique de numéraire dans les campagnes.
B) Les tensions avec les détenteurs éminent des terres
• C’est la question désormais bien éclairée de la « réaction seigneuriale » dans de nombreuses provinces du
royaume, la Bourgogne en particulier (travaux de Pierre de Saint-Jacob) : à l’occasion des transactions
concernant des seigneuries, les acquéreurs s’engagent souvent dans la rédaction de terriers (dont la production
est par ailleurs nécessaire lorsqu’il s’agit d’honorer les formalités de type « féodales » qui accompagnent
l’acquisition de la seigneurie). Des droits anciens sont alors mis en lumière par les agents des seigneuries, et
selon ce que pensent les nouveaux seigneurs, ces droits font l’objet d’une tentative de réactivation ou non.
Exemple : extrait de l’acte d’achat de la « Terre et seigneurie de Quincy-le-Vicomte » par Georges Louis Leclerc de Buffon, 6
novembre 1784, mention complémentaire du 23 novembre 1784 (Archives privées famille Bazin)
Le 6 novembre 1784, Buffon est informé que la plupart des terres « relèvent en plein fief, foi et hommage de Monsieur le marquis de
Louvois, à cause de son comté de Tonnerre, et vers lui chargé de tels droits seigneuriaux et féodaux que [les biens] peuvent devoir et que
les parties n’ont pu précisément dire et déclarer ».
Déclaration datée du 23 novembre 1784 de la marquise de Louvois, comme fondée de pouvoir de son époux, comte de Tonnerre, suzerain
du vicomte de Tonnerre à Quincy-le-Vicomte :
« Nous, en notre dite qualité, avons inféodé la présente acquisition et mutation, et avons mis ledit seigneur comte de Buffon, en pleine
possession et jouissance de ladite terre et seigneurie et des droits y attachés, à l’effet de quoi l’avons reçu à vassal sous toute protestation
et réserve des droits, et à la charge par ledit seigneur comte de Buffon de faire fournir les foi et hommage, aveu et dénombrement dus à
Monsieur le marquis de Louvois, en sa dite qualité de comte de Tonnerre, dans le temps de la coutume ».
Les enseignements de ces deux extraits :
1) Du 6 novembre 1784 : les parties en présence et le notaire ne savent pas ce que sont les droits
féodaux concernés dans cette vente.
2) Du 23 novembre 1784: Buffon est reconnu vassal du comte de Tonnerre / Il doit reconnaît le
marquis de Louvois comme son suzerain (« foi et hommage ») / Il s’engage à produire le
descriptif détaillé (« aveu et dénombrement ») des droits (pas des biens) qu’il tient de lui,
avec leur montant précis et la forme de leur exécution, paiement en argent ou en nature.
3) Ensuite : Buffon demande à des feudistes d’inventorier les droits qu’il exerce sur la
seigneurie acquise. Un terrier est rédigé, pour recenser les droits liés à la seigneurie et ceux
liés au fief, traduit en redevances.
4) S’en suit une série de contestations avec les habitants des lieux, qui ne se résolvent
qu’après la mort de Buffon et avec la condamnation à la guillotine de son fils et héritier,
en 1793
C) Une poussée physiocratique qui amplifie les sources de tensions : (1) dans le domaine de la fiscalité royale
Les critiques concernant l’impôt renvoient à la poussée des pensées physiocratiques, jusqu’à inspirer des projets réformateurs à Versailles.
La question qui est soulevée est celle d’une juste répartition des contingents fiscaux dans le respect des privilèges personnels.
L’acquisition de la Corse (Traité de Versailles du 15 mai 1768) donne l’occasion de mener une expérience d’abord singulière qui
devient la source d’une réflexion très riche dans l’ensemble du royaume. Il s’agit de la levée du Terrier général de l’isle de Corse,
ordonné par un édit d’avril 1770. La direction de ce travail est établie à Bastia, dans l’ancien domaine des Jésuites, devenu bien de la
Couronne. Dominique Testevuide (1735-1798), géomètre fils d’un laboureur de Champigny-lès-Langres dirige l’opération. Il est
notamment aidé par son neveu Pierre Jacotin (1765-1837).
Terrier général de l’Isle de Corse
ADCS, 1 C 711, 1770-1795
Extrait :
« L’Etat avenir de la Province expose le détail des
objets de régénération et d’amélioration, leur
exécution et les avantages qui doivent en résulter.
Le détail des objets susceptibles d’être améliorés ou
régénérés, porte sur la Population, l’Agriculture,
l’Industrie, et le Commerce. »
ADCS (Ajaccio), 1 C 162 -
Terrier général de l‘isle de
Corse, rouleau de plan n° 20
Le territoire appréhendé par les
géomètres du roi révèle la
difficulté d’une cartographie des
droits et le désir d’enraciner sur le
sol ces droits :
• Le « territoire » d’Aléria et le
« domaine » de Migliacciore
• Les droits des pièves
• Les droits des communautés
• Les droits de communautés de
communautés
• Les droits des particuliers
ADCS (Ajaccio), 1 C 173 - Terrier
général de l‘isle de Corse, rouleau de
plan n° 31.
Même difficulté sur la côte occidentale de
la Corse avec, ici :
• Le domaine de Coti
• Les droits des communautés
• Les droits des pièves
• Les droits des communautés
• Les droits des particuliers
Extraits de deux rouleaux du Terrier général de l’isle de Corse
Le Terrier général de l’isle de Corse complète le dénombrement dit « de Choiseul » (1769
L’enquête dite « de Choiseul » : 1769 (ADCS 1 NUM 35)
Dénombrement systématique de toutes les pièves de la Corse avec relevé des ménages, du
nombre d’animaux possédés par chacun et des principales productions.
Un commentaire précise si la « République » (Gênes) et Paoli (le général insurgé) disposent
de droits dans chaque localité.
Couplée aux résultats du Terrier général de l’Isle de Corse, cette enquête permet de cerner
comment évolue cette province économiquement et démographiquement en une génération
puisque les données éclairent la période 1769-1790.
Les communautés corses vers 1770 vivent
en articulant des terres de montagne et des
terres de plaine (muntagna et phjiaggia).
La cohérence du système agro-pastoral
renvoie à ce qui se pratique dans les
Pyrénées (exemple des montagnes basques
et des terres basses de Gascogne) et dans
d’autres régions
• L’un des artisans du Terrier général est Jean-François Henry de Richeprey (1751-1787), fils d’un conseiller du roi au Parlement de
Nancy. Rappelé de Corse à Versailles en 1775, il est nommé auprès de la nouvelle assemblée provinciale de Haute-Guyenne, généralité
de Montauban, pour établir un cadastre fiscal fondé sur la valeur productive des terres et en finir avec les critiques puissantes contre
l’injustice de l’impôt. Il affronte l’opposition des privilégiés mais parvient à mettre en forme des recommandations sur la manière
d’asseoir une nouvelle répartition de l’impôt sur le revenu des terres, ce qui sera la base des réformes fiscales de la Révolution et de
l’Empire, notamment du cadastre parcellaire dit napoléonien. Henry de Richeprey est ensuite appelé en Guyane pour travailler à la
cadastration des terres de La Fayette.
• L’œuvre de Testevuide et de Richeprey prennent place dans ce vaste mouvement pour refondre la fiscalité royale. Henri Bertin (1720-
1792), contrôleur général des Finances en 1763 avait bien obtenu du roi un édit pour établir un cadastre fiscal mais il est renvoyé sans
pouvoir le mettre en œuvre. L’intendant de Paris Louis Jean Bertier de Sauvigny (1709-1788) cherche à mettre en place un pareil
outil dans son ressort, en s’inspirant également de ce qu’il a connu durant son passage à l’intendance de Grenoble. Là il a travaillé avec
le péréquaire, document éclairant le potentiel fiscal de chaque communauté, établi entre 1697 et 1706, donc se révélant trop vieux pour
bien administrer mais portant une idée utile de juste répartition des contingents fiscaux. Le fils de cet intendant, Louis Benigne Bertier
de Sauvigny (1737-1789) devient lui-même intendant de Paris et met en œuvre le document fiscal dont son père avait rêvé.
• Une troisième expérience, et non des moindres, est celle entreprise par Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781) en Limousin, dont
il obtient l’intendance en 1761. Il y expérimente les intuitions de Quesnay et de Gournay. Il rédige un Avis sur l’assiette et la
répartition de la taille , un Mémoire sur les prêts à intérêts, un Mémoire sur les mines et les carrières, un Mémoire sur la marque de
fer, puis les Lettres sur la liberté du commerce des grains (1770) adressées au contrôleur général l’abbé Terray. Il produit également
les Réflexions sur la formation et la distribution des richesses. Il prend également une part active à la Société d’Agriculture de
Limoges. Tout chez lui milite pour une liberté accrue dans l’économie, le développement des marchés et pour une juste et claire
répartition de l’impôt, assis sur les revenus réels non pas supposés des foyers. En août 1774, il devient contrôleur général des Finances.
Dès septembre 1774, son édit sur la libre circulation des grains provoque l’hostilité des milieux privilégiés qui perdent les revenus liés
au droit de hallage. La mauvaise récolte de l’année amplifie le problème posé par l’opposition à sa politique puisque la montée des prix
des grains entraîne celui du pain, et l’inquiétude des milieux populaires, jusqu’à produire en avril 1775 une série d’émeutes, comme à
Dijon, puis dans nombre de provinces en mai : c’est la célèbre « Guerre des farines » : ici se conjuguent les résistances des milieux
intéressés au contrôle du commerce des grains, les inquiétudes du peuple des villes, et à l’origine les fragilités d’une économie
agricole soumise aux aléas de la conjoncture météorologique et à la faiblesse structurelle des stocks permettant de franchir les
périodes de soudures. Malgré le soutien de Louis XVI et son aptitude à surmonter la crise, Turgot tombe en 1776, après avoir renforcé
l’hostilité de la cour contre lui par la publication de ses décrets de janvier, comme la suppression de la corvée royale et celle des
jurandes et maîtrises.
C) Une poussée physiocratique qui amplifie les sources de tensions : (2) spécifiquement dans les campagnes
• Par le désir des riches fermiers et des propriétaires des seigneuries qui veulent tirer le meilleur profit de leurs biens
• Par les débats qui pèsent sur l’accès au communal, quand il existe. Des seigneurs s’en emparent parfois en générant
l’hostilité des populations ; des fermiers par avance bien établis y envoient leurs troupeaux ne laissant guère le petit
peuple des campagnes en bénéficier.
• Par l’action des gardes des seigneurs, unanimement décriés dans les années 1780 pour leur brutalité.
• Par la multiplication des amendes contre ceux qui s’opposent à l’exploitation coutumière des espaces collectifs.
• La question des transformations des techniques est également présente : qu’implique l’usage de nouveaux outils
dans l’activité agricole ? Comment se manifeste le désir de certains d’échapper aux pratiques collectives ? Comment les
Parlements et le roi lui-même s’emploient-ils à encadrer ce que la société du temps nomme les « droits des pauvres »
(glanage, grappillage etc.) ?
• L’essor des forges se fait en lien avec le pouvoir royal qui autorise l’équipement des cours d’eau avec des biefs et des
moulins (les cours d’eau sont soit placés sous la justice seigneuriale, soit sous la justice royale). L’établissement de
biefs et de retenues engendrent des tensions avec des riverains qui redoutent les inondations du fait des obstacles posés
à écoulement des eaux.
• Le développement d’activité artisanales dans les campagnes est largement présent après les années 1760 surtout, selon
des schémas que Jean-Marc Olivier a contribué à affiner à partir des lectures anciennes de Franklin Mendels (la proto-
industrialisation).
Comment changer une pratique agricole ?
Réflexion publiée dans Gazette du commerce,
9 juillet 1771, p. 437-438
3. Des fièvres régulières et des régulations qui finiront par devenir inopérantes
Au-delà des tensions permanentes qui accompagnent le quotidien des campagnes, le royaume connaît des brusques poussées de fièvre du
règne de Louis XIII (sous le ministère du cardinal de Richelieu) au règne de Louis XVI. Les campagnes en sont un des points d’expression,
mais selon des modalités qui ont évolué sur le fond, preuve que le moteur des contestations glisse vers de nouveaux groupes sociaux. Les
brusques contestations des années 1630-1640 ne se comprennent finalement pas tout à fait comme celles des années 1770, même si la
fiscalité et les difficultés du présent sont toujours des motifs visibles. Dans les années 1630-1640, se joue nettement l’essoufflement de
l’ancienne monarchie et la restructuration du pouvoir, sur fond d’un royaume en guerre extérieure (la Guerre de Trente Ans) et intérieure (la
lutte contre le protestantisme, effets de la Guerre de Trente Ans dans le royaume). Un pivot s’observe après la Fronde et l’affirmation du
pouvoir de Louis XIV, dont l’action des intendants (les commissaires départis) accompagne la reconnaissance du rôle des communautés
d’habitants, aux dépens des anciennes structures seigneuriales. Ces seigneuries perdent de leur puissance sans perdre leur rôle dans
l’administration locale. Un jeu à plusieurs (les officiers du roi, les Parlements, les Etats provinciaux, les communautés, les grands seigneurs
et leurs dépendants) se met alors en place tandis que l’économie du pays se développe, bon an mal an. Les crises de la fin du XVIIIe siècle
expriment davantage des revendications contre « les carcans » des privilèges, partout présents. Ce serait l’objet d’une autre étude pour
laquelle je place en fin de ce document quelques sources qui pourraient être utiles avec la Guerre des farines (1774-1775)
Un moment charnière dans la mutation du royaume : la révolte des Va Nu-pieds de Normandie (1639)
En premier lieu l’historiographie est abondante sur la question qui a d’abord été celle des « révoltes populaires » au temps où Boris
Porchnev (Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, Paris S.V.E.P.E.N., 1963, 679 p., traduction de l’ouvrage de
1948 avec un avant-propos inédit) et Roland Mousnier (notamment « Recherches sur les soulèvements populaires en France
avant la Fronde », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 1958, 5-2, p. 81-113) polarisaient une intense controverse autour de
la question d’une « lutte des classes » dans ces mouvements.
De nombreux travaux ont dès lors été conduits sur ces mouvements, et en particuliers celui de Normandie, de Madeleine Foisil (La
Révolte des Nu-Pieds et les révoltes normandes de 1639, Paris, 1970) à Gauthier Aubert (Révoltes et répressions dans la France
moderne, Paris, Armand Colin, 2015, 240 p.), et à Yves-Marie Bercé (Violences et répression dans la France moderne, Paris,
CNRS Editions, 224 p.) De l’exposé des faits et de ce qu’ils disent de l’état de la société au moment où se fortifie le pouvoir du roi aux
dépens des élites provinciales, les études ont progressivement mis en lumière la naissance de nouveaux modes de prise en main du pays
et la manière dont la régulation sociale est assurée, ou échoue, en fin de compte dans son fonctionnement. Lire également Jean-Marc
Moriceau, La mémoire des croquants. Chronique de la France des campagnes, 1435-1652, Paris, Taillandier, 2018, 608 p.
Là est tout l’acquis d’un grand nombre de travaux qui permettent de lire, au-delà de la révolte en elle-même, la matrice de l’Etat
moderne absolutiste.
Rappel succinct de l’historiographie
16 juillet 1639 : assassinat de Charles Le Poupinel de la Besnardière, lieutenant civil et criminel au bailliage et présidial de Coutances, à Avranches, la
rumeur ayant été propagée d’une suppression du droit de quart bouillon sur les sauniers de sable. La révolte se déploie contre les bureaux des fermes en
Normandie sous la conduite de Jean Quétil de Ponthébert. Le pays d’Avranches et de Domfront s’insurge. La rébellion prend l’aspect d’un soulèvement dans
toute la province, les insurgés s’organisent en armée en septembre.
20 octobre 1639 : Charles Le Roy de la Potherie est commis intendant à Caen avec ordre de mener un « châtiment exemplaire ». Il arrive dans la ville en
novembre.
10 novembre1639 : Jean de Gassion (huguenot français (de Pau), ancien colonel suédois passé à la France) est envoyé en Normandie avec 4 000 fantassins et
1 200 cavaliers, depuis la Picardie et les Flandres.
23 novembre 1639 : Gassion arrive à Caen et mène la répression en Normandie. La ville de Caen est frappée d’une taxe de 60 000 livres. Avranches et Vire
sont reprises.
30 novembre 1639 : Gassion écrase « l’armée de souffrance » à Avranches : 300 morts.
1er et 2 décembre 1639 : Les pendaisons de séditieux débutent à Avranches. Les officiers du présidial de Coutances sont traduits devant le Parlement pour
sédition. Dans la suite du mois : la ville de Rouen, où le Parlement a été frileux, est punie : les revenus de la ville sont réunis au domaine du roi. La ville est
frappée d’une taxe de 150 000 livres. Le Parlement de Rouen est suspendu. Le chancelier Pierre Séguier entre à Rouen le 21 décembre avec les pleins
pouvoirs. Gassion le rejoint avec ses troupes, dont Séguier lui-même reconnaît qu’elles se comportent sans retenue vis-à-vis du pays et des populations. Le roi
ordonne que les murailles des villes séditieuses soient rasées, comme les maisons des insurgés.
Février 1640 : La rébellion reprend dans le pays d’Avranches. L’intendant Le Roy de la Potherie se rend à Bayeux, Avranches, Coutances et Vire.
14 mars 1640 : Le chancelier Séguier et Gassion rentrent dans Coutances. Les échevins sont incarcérés. La répression s’abat sur plusieurs officiers comme
Jean de Bordes vicomte de Coutances, qui sera libéré en définitive. Certains meneurs de la révolte se sont réfugiés à Jersey. Leurs maisons sont démolies. Des
condamnations exemplaires sont prononcées : être rompu vif (comme Jean Quétil de Ponthébert, qui se réfugie à Jersey, ou Le Mettayer de la Luzerne, qui est
effectivement roué et écartelé), être pendu. Des condamnations aux galères sont prononcées, des bannissements perpétuels. Les contumaces sont mis « en
tableau tant à la potence qu’à la porte de l’auditoire », manière de les exécuter symboliquement.
31 mars 1641 : Rouen recouvre ses revenus domaniaux
22 mai 1640 : dernières exécutions à Avranches.
Mai 1641 : l’amnistie générale est proclamée.
26 octobre 1641 : le Parlement de Rouen est rétabli., mais 55 de ses membres sont interdits et le roi prévoit de vendre les offices à de nouveaux conseillers, ce
qui déclenche la résistance des officiers en place, jusqu’à février 1642.
14 mai 1643 : Louis XIII meurt.
Octobre 1643 : un édit rétablit le Parlement dans tous ses anciens privilèges.
Une trame chronologique
Extrait de Amable Floquet (éditeur),
Diaire ou Journal du voyage du
chancelier Séguier en Normandie
après la sédition des Nu-Pieds (1639-
1640) : et documents relatifs à ce
voyage et à la sédition, d’après les
manuscrits de la Bibliothèque royale,
Rouen, 1842.
Le début de la révolte : pages 421-423
Des sources
Extrait du registre paroissial de Saint-Michel-de-Montjoie
(Manche), 5 Mi 2 060, folio 82, recto-verso. Texte transcrit
et traduit pour être lisible
« Registre de ce qui s’est passé dans le pays, dont j’ai pu avoir
la connaissance, tant des guerres, famines, flux du sang que
d’autres choses dans les années 1639 et 1640.
Premièrement
Ce 28 novembre 1639, jour de Saint-André, monsieur Gassion
passa par ce pays et allait combattre les nu-pieds à Avranches.
Il les assiégea le jour Saint-André et emporta la victoire.
Fut tué le marquis de Coutances par les pieds nus, et plusieurs
braves hommes qui étaient là pour la rébellion qui s’était
déclenchée contre le roi.
Cette même année régna le flux du sang, et il mourut de cela en
notre paroisse environ 30 personnes.
Le 8 décembre 1639 coucha en Montjoye le baron de la Groye
et la Fleur avec sa compagnie, qui était de cent chevaux. La
compagnie pilla et ravagea la paroisse. Ce même mois, même
année, logea en ladite paroisse la compagnie de la marine qui
était de plus de cinq cents hommes. Ils logèrent aussi au
Champ-du-Boult et à Saint-Pois.
La même année, et la suivante aussi, la paroisse a souffert de
plusieurs maux de ces gens d’armes qui allaient et venaient.
Cette même année 1639 et les suivantes furent celles où il ne
fallait pas vivre du tout dans ce pays.
Ce huitième jour de mars 1640 Charles Le Roy, sieur de la
Potherye, conseiller du roi, condamna la plupart des bourgeois
d’Avranches à mort pour s’être révoltés contre le roi et avoir
fait beaucoup de mal
Cette même année, il passa par Saint-Pois trente galériens qui
avaient été pris par Gassion, tous des bourgeois. »
Le curé de la paroisse de Saint-Michel-de-Monjoie a rassemblé quelques
années après la révolte des Nu-Pieds ce qu’il pouvait savoir des
événements.
Il décrit comment l’armée du roi, commandée par un nommé Gassion, a
écrasé les insurgés.
Les combats à Avranches, l’occupation des campagnes, la misère née de
la guerre sont l’objet de ce texte.
CAEN
Coutances
Avranches
Domfront
Saint-Michel-de-Monjoie
Champ-du-Boult
Saint-Pois
Vire
Bayeux
Localisation des faits à partir de la vue GoogleEarth actuelle
Saint-Lô
Toujours d’après le Diaire
de Séguier :
1) « cinquième pièce » :
résumé de la rébellion.
2) « huitième pièce » : la
clémence du roi.
La récompense d’un loyal serviteur : des domaines pour le chancelier Séguier, « bienfaiteur » de la Normandie
Lettres patentes données à Chantilly au mois de
mai 1640, enregistrées le 22 juin 1640 au
Parlement de Rouen par la commission du
Parlement de Paris remplaçant celui de Rouen
provisoirement interdit.
Le roi octroie toutes les terres vaines et vagues
situées dans son domaine dans la région
insurgée, aux dépens des communautés
d’habitants.
Les Etats de Normandie remercient Séguier le
26 novembre 1643, article 32 de leurs
remontrances.
La guerre de Trente Ans et les combats en Europe et en France. Le royaume a
besoin de ressources pour affronter la guerre. Des mauvaises années, avec des
récoltes rendues difficiles et le développement des épidémies
Le roi multiplie la vente des offices pour accroître ses ressources et la pression
fiscale s’accentue. Le mécontentement gagne les détenteurs des offices déjà en
place, qui craignent une dévalorisation de leur office et une perte de leurs revenus.
L’inquiétude gagne le petit peuple des campagnes
La rumeur d’une refonte de la gabelle court dans la région d’Avranches. Elle
soulève l’inquiétude et explique l’assassinat d’un officier du roi à Avranches. Les
campagnes se mobilisent autour des sauniers, des vendeurs de bois de chauffe (pris
dans le bocage en particulier) qui alimentent les activités des bouilleurs de sel
Curés, petits nobles désargentés, officiers menacés, travailleurs mobiles diffusent
les rumeurs et les bruits. « L’armée de souffrance » se constitue et met le « pays »
en révolte, déclenchant l’intervention de la troupe.
Niveau global
Niveau français
Niveau provincial
Niveau local
La troupe rétablit violemment le calme dans les villages,
qui sont occupés, pillés, mis en coupe réglée. Les révoltés
sont poursuivis. Les sièges du pouvoir en Normandie sont
punis. La justice du roi s’exprime par la sévérité des
condamnations
Les troupes de Picardie commandées par Gassion sont
envoyées en Normandie.
Le chancelier Seguier et le cardinal de Richelieu doivent
éteindre révoltes et contestations fiscales.
Les élections normandes (structures fiscales) se révoltent.
Les officiers du roi sont attaqués, malmenés. Le désordre
passe pour une atteinte à l’autorité royale.
Synthèse des niveaux d’analyse de la révolte des Nu-PiedsUne ébauche d’analyse
Des héritages du passé Des legs dans le futurUn système soumis au présent
Héritages Présent Legs
Le souvenir du duché de Normandie
(911-1469)
1638-1639 : montée des difficultés.
16 juillet 1639 : insurrection
Renforcement du pouvoir royal sur la
province (intendant)
La clameur de haro: manière d’en
appeler à l’action du duc de Normandie
ou au roi
Défense d’un privilège fiscal contre le
poids des nouveaux impôts
Réaffirmation du privilège sur le sel
Le souvenir de la Ligue et de la lutte
contre la menace anglaise et espagnole
Souvenir de la révolte des nu-pieds
comme illustration de la capacité des
« petits » à se mobiliser
Charte de Louis X le Hutin : les
Normands doivent être associés à la
définition des impôts
Le malheur du temps marque plusieurs
années la province qui avait été une des
plus riches du royaume
Rappel de l’épisode au XIXe siècle
pour soutenir une identité
« normande »
Les « bons » rois Louis XII et Henri IV Usage de la figure des « Nu-pieds »
pour dénoncer le malheur et l’injustice
(« Vivre libre ou périr » est un des
mots d’ordre des révoltés de 1639)
La noblesse défend ses paysans de la
tyrannie des bourgeois
Bref bilan :
1) La révolte des Nu-Pieds témoigne de la reconfiguration profonde de l’emprise du pouvoir
royal sur le pays dans un temps de guerres.
2) La révolte des Nu-Pieds permet en particulier de redéfinir l’action du roi sur une province
(l’intendant, la punition des officiers « timides », la refonte du Parlement de Rouen, la mise
au pas de la petite noblesse…)
3) La révolte des Nu-Pieds signe un nouveau rapport entre le roi et les Normands avec la
garantie donnée à certains privilèges (la gabelle ne sera ici rediscutée qu’en 1791)
Au-delà, l’affermissement du pouvoir royal génère une nouvelle poussée d’hostilité sous
Mazarin, au début du règne de Louis XIV. Une fois jugulée la fronde des Parlements et de la
grande noblesse (et par-là celle de la petite noblesse qui la suit), la monarchie construit un mode
absolutiste de direction des affaires du pays où le monde des offices prend toute son importance.
Les révoltes qui se jouent ensuite (« le papier timbré » par exemple) prouvent que
l’apaisement du pays demeure complexe jusque vers 1695.
La fin du XVIIIe siècle est de nouveau le théâtre d’une effervescence où se joue à nouveau la
reconfiguration intellectuelle des formes de l’autorité. La Guerre des farines (1774-1775) en
sera l’expression, derrière le mécontentement des populations né de la pénurie des grains et des
mesures de libéralisation de leur commerce, mesures voulues par le ministre Turgot. C’est ce
que donnerait à voir l’examen des pièces rassemblées, ici pour information, à la suite de ce
propos.
Sources : Bibliothèque de l’Arsenal, MS 12 447
Prisonniers dans l’affaire des blés, 1775, folio 30
recto.
Transcription orthographe rétablie
« Emeutes des blés
Le nommé Marais
Transféré des prisons de Senlis à la Bastille le (blanc)
en vertu des ordres du roi.
Les ordres pour le transfèrement ont été effectivement
adressés au sieur de la Balme lieutenant de
Maréchaussée le 15 juin mais le prisonnier était alors
transféré à Reims le 3 dudit mois, en vertu d’une
commission du Grand Sceau.
Il a été ramené a Senlis le 17 novembre et le magistrat
a écrit à Senlis, a fait revenir les ordres du Roi, les a
renvoyés à M. de Malesherbes en prévenant M. le
Garde des Sceaux. Le prisonnier s’est évadé le 10
décembre. Il avait été le 3 mai au village de Louvres
faire distribuer le Bled à 12 sols le setier aux paysans
à la tête desquels il était.
M. Le Duc de La Vrillière »
Des actes qui renseignent sur la manière de semer le trouble
Sources : Bibliothèque de l’Arsenal, MS 12 447 Prisonniers
dans l’affaire des blés, 1775, folio 39 recto.
Sources : Bibliothèque de l’Arsenal, MS 12 447 Prisonniers
dans l’affaire des blés, 1775, folio 47 recto.
Lettre issue du manuscrit MS 12447 de la Bibliothèque de l’Arsenal, Dossiers des prisonniers de la guerre des
farines, 1775
« Au Raincy, ce 11 mai 1775,
Quand je suis arrivé ici, Monsieur, j’ai trouvé tous les villages déserts et dans la plus grande consternation, pas un
ouvrier dans les champs, quelques femmes par-ci par-là qui cultivent du mieux qu’elles peuvent. Il couche plus de
400 personnes dans les bois. Quand j’ai vu ce désastre, j’ai cru pouvoir prendre sur moi de faire dire, d’après ma
conversation avec Monsieur le Procureur Général de faire dire dans les villages voisins que le seul mo meilleur moyen
d’obtenir leur grâce était de rentrer dans leur ménage et de reprendre leur travail. Véritablement, il est de la plus
grande conséquence que l’amnistie soit prononcée. J’ai parlé au sieur Guillot, commandant de la maréchaussée de
Bondy il m’a dit (qui quoi qu’il ait fait peut-être une faute de timidité dictée par la prudence dans cette occasion, est
pourtant véritablement un homme de mérite). Il m’a dit qu’il ne connaissait plus dans ce pays-ci de véritablement
coupable de violence ou de mauvais propos que 2 hommes, l’un de Livry nommé Vincennes, l’autre de
Villemomble nommé Mornand. Je dois vous ajouter qu’il faut pour l’acquis de ma conscience que dans la
déposition de quelques fermiers il pourrait se trouver de l’animosité personnelle et que particulièrement Charlemagne
de Bobigny que je connais ainsi que son fils non pour 2 hommes dangereux et peu croyables , méprisés et détestés
à juste titre dans le pays, méritent que l’on prennent garde à la leur d’après tous ces faits que j’ai vus par moi-même
toutes et presque tous les fermiers son des environs étant actuellement remplis au-delà des 2 tiers de ce qui leur a été
enlevé , je ne peux trop insisté pour sur la nécessité de la publication du ban d’amnistie dont je vous ai parlé ainsi
qu’à M. le Procureur Général et à M. le Garde des Sceaux, et sur celle d’accélérer aussi quelques unes des
exécutions que l’on doit faire à Paris et ailleurs.
Voilà, Monsieur, ce que mon amour pour la tranquillité du Roi et de l’Etat ne me permet pas de lui laisser ignorer et
les sentiments d’estime et de confiance que votre réputation m’inspire font que j’ai pris le parti de m’adresser à vous
de préférence pour les lui faire parvenir ainsi qu’à M. Turgot qui connaît mon estime pour lui.
Signature : L. Phil. d’Orléans »
Lettre manuscrite issue du manuscrit MS 12447 de la Bibliothèque de l’Arsenal, Dossiers des prisonniers de la guerre
des farines, 1775, folio 124 recto.
« M. De Mazière, ex-sergent de maréchaussée à Dammartin,
Le sieur Codard de la Martinière, curé d’Ogi-Saint-Vincent, a empêché la restitution des grains que ses paroissiens se sont
faits délivrer au prix de douze livres le setier, en prêchant dimanche 21 du présent mois et le 25 jour de l’Ascension, que ceux
qui avaient eu du blé à raison de 12 sols le setier l’avaient bien acquis et n’étaient tenu à aucune restitution. Ses paroissiens se
sont exactement conformés à son sermon et ne tiennent aucun compte de l’ordre du roi qui leur a été notifié à ce sujet. Ci-
joint la déclaration d’un fermier dudit Ogi-Saint-Vincent.
Il l’y a observé que le curé a prêté de l’argent à ses paroissiens en les engageant d’aller exiger des blés à 12 sols le setier. Il l’y
encore a observer que le sieur curé est un ex-jésuite. »
Notons ici que l’auteur souligne que le curé est un « ex-jésuite », en ce moment où
la Congrégation a été interdite en France par ordre du roi.

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Les campagnes xvi ie et xviiie

  • 1. AVANT-PROPOS L’ensemble des documents ici présents visent quelques objectifs : 1) Donner un cadre pour appuyer la présentation en ce qui concerne l’approche des campagnes aux deux derniers siècles de l’Ancien Régime 2) Fournir des documents à titre indicatif, comme appuis d’une possible réflexion et comme éléments d’inspiration où puiser, éventuellement En conséquence, tout ne fera pas l’objet d’un même commentaire, mais l’ensemble sera disponible pour chacun Fabien Gaveau, professeur d’histoire en CPGE, chercheur associé au CNRS, UMR 6298 ARTEHIS, Dijon, membre du Comité de rédaction des revues Etudes rurales (CNRS-EHESS-Collège de France) et Histoire et Sociétés rurales (Université de Caen-MSH- CNRS) Tensions, mutations et crispations dans la société d’ordres (XVIIème-XVIIIème siècles) Les campagnes
  • 2. Tensions, mutations et crispations dans la société d’ordres (XVIIème-XVIIIème siècles) Les campagnes Eléments des programmes du lycée La classe de seconde Thème 2 : XVe – XVIe siècles : un nouveau rapport au monde, un temps de mutation intellectuelle: parmi les thèmes La constitution d’empires coloniaux, une circulation économique dans l’espace Atlantique, et un point de passage « l’or et l’argent, des Amériques à l’Europe ». Thème 3 : L’Etat à l’époque moderne : France et Angleterre; chapitre 1 : l’affirmation de l’Etat dans le royaume de France, avec comme point de passage « Colbert développe une politique maritime et mercantiliste, et fonde les compagnies des Indes et du Levant » Thème 4 : Dynamiques et ruptures dans les sociétés des XVIIe et XVIIIe siècles. Parmi les éléments, les physiocrates, l’essor et l’application de nouvelles techniques préparatoires à la transition industrielle. Le chapitre 2 porte spécifiquement sur « Tensions, mutations et crispations de la société d’ordres ». Poids de la fiscalité, « des droits féodaux », amélioration de la condition paysanne, le maintien de l’influence de la noblesse. Passage obligé « 1639 – La révolte des Va Nu-pieds et la condition paysanne » Une question de mots Tension : du côté du mouvement • Action de forces contradictoires voire antinomiques sur un corps social • Notion qui prend du sens avec l’examen de « l’élasticité d’un système », soit son aptitude à réguler et surmonter des crises Mutation : du côté du mouvement • Le fait de changer de forme ou de fonctionnement • Notion qui prend du sens avec l’examen des « dynamiques » qui caractérisent les composantes d’un système • Notion qui pousse à examiner le poids des facteurs endogènes, exogènes Crispation : du côté du blocage • Le fait de se fixer sur un point • Le fait de s’immobiliser sur une référence, une attitude d’esprit Les développements démographiques, économiques, politiques engendrent des restructurations socio-politiques selon des rythmes qui différent (par secteur et par groupe d’acteurs), produisant régulièrement des blocages dont la résolution implique un nouvel équilibre des forces à l’œuvre dans une société. Dans le contexte d’une société fondée sur des privilèges (personnels, de corps, de communautés, de provinces) dont le point d’équilibre gît dans la personne du souverain, les dynamiques à l’œuvre du règne de Louis XIII à celui de Louis XVI engendrent des tensions multiples qui produisent une crise politico-sociale d’envergure précisément parce que la société est traversée par des dynamiques puissantes que les régulations héritées ne parviennent plus à contenir. Ce serait donc la puissance des dynamiques qui engendrerait la crise finale de l’Ancien Régime plus que le blocage, visible en première lecture, du système. Dans ce contexte, les campagnes, dans leur diversité, représentent un point nodal de la question, ce que les approches renouvelées de l’histoire tendent aujourd’hui à mettre en lumière.
  • 3. 1. Les campagnes, le pluriel d’un royaume en recomposition Carte de la France divisée par les 12 provinces ou gouvernements, comme elle furent convocquez aux Estatz generaux de ce royaume l'an 1614, BNF (cartes et plans, GE-DD-2987 (372) La France divisée en 13 Parties lors de la tenüe des Etats Généraux en 1614, désignés par leurs principales villes, avec les Provinces conquises ou acquises depuis cette époque. Echelles d'un degré et demi, par Louis Brion de La Tour, ingénieur-géographe, et Gobert-Denis Chambon, Paris, 1788, BNF (cartes et plans, GE-DD-15316) Des Etats généraux de 1614 à la préparation de ceux de 1789 : quelques enseignements: • Un royaume dont l’emprise s’est étendue sur de nouvelles provinces, au Nord, à l’Est, au Sud. • Un royaume dont les provinces « conquises ou acquises » signifient l’intégration de nouvelles populations à l’ordre monarchique français selon des accords qui prévoient le maintien de droits acquis (privilèges) • Un royaume dont la dernière « acquisition » majeure résulte de sa politique en Méditerranée aux côtés de la Sérénissime République de Gênes. Le cas de la Corse est d’autant plus intéressant que l’île devient le lieu d’application de politiques « expérimentales » pour assurer le développement d’outils de gouvernement et celui de l’économie agricole selon une optique physiocratique, avec les difficultés que chacun connaît. Un royaume dont la diversité des composantes se traduit par la nécessité d’articuler des intérêts contradictoires. La référence aux privilèges et droits des provinces permet longtemps de contenir les tensions entre Versailles et les cours souveraines de ces provinces. 1. 1. Une France qui repose sur des provinces « rurales » mais dont le pouvoir est blotti dans les villes
  • 4. Au-delà des particularités, quelques éléments permettent d’appréhender le monde des campagnes des années 1640 aux années 1780 La communauté d’habitants : • Une structure institutionnelle représentant les intérêts d’une localité • Une structure dotée de représentants : échevins, syndics, caporaux ou caporali dans le sud, pères etc. Derrière les noms les mêmes fonctions d’intermédiaires avec les autorités. • Une structure dotée d’un personnel renouvelé régulièrement : gardes, procureur, secrétaire… • L’existence d’un cursus honorum informel mais bien réel permettant de tester les aptitudes à devenir in fine un syndic (père, caporal, échevin…) • Une structure dotée d’un patrimoine • Une structure responsable de l’entretien de ce patrimoine collectif • Une entité fiscale sur laquelle repose la répartition et la levée de l’impôt : les asseeurs et les collecteurs Le groupe social –humain- représenté par la communauté : • Des différences de fortune qui mêlent les « gros » et les « petits » • Des lignages et des alliances • Des réseaux clientèlaires • Des subordinations dans le travail • Des intérêts qui divisent ou rapprochent • Des oppositions fréquentes entre quartiers, entre le « monde des fermes » et le village… • Des clivages parfois religieux (comme en Alsace par exemple) • Une identité locale incarnée par un ensemble de rites religieux, festifs. La ou les seigneurie(s) qui exerce(nt) une autorité • Un seigneur et son groupe familial • Des officiers seigneuriaux, notamment le juge seigneurial • Des droits éminents sur les terres de la seigneurie • Un relai auprès du pouvoir, un protecteur et/ou un adversaire Des échanges avec les autres communautés, les autres groupes sociaux, les représentants du roi, voire le roi lui-même • Les relations familiales, les mariages • Les migrations saisonnières • Les liens avec les milieux urbains • Des médiateurs multiples : • Demeurant dans la localité et jouant de leurs relations en-dehors • Demeurant dans la localité et ayant une origine extérieure (des curés, des vicaires, des enrichis établis dans les villages) • Ne demeurant pas dans la localité mais qui en sont les protecteurs reconnus, attitrés, par l’existence de droits, de racines familiales La dimension religieuse • l’organisation paroissiale diffère de la communauté (il existe assez souvent des paroisses qui regroupent des communautés, certaines communautés disposent de leur propre vicaire) • Rôle central du curé dans la structure du pouvoir • Situation problématique des autres cultes, surtout de 1698 à 1787
  • 5. Le jeu international La compétition avec les autres royaumes La guerre sur terre et sur mer Le « grand » commerce Les colonies La communauté d’habitants La / les seigneurie(s) L’Eglise romaine ROME Les Etats parfois Les institutions de la province Les représentants du roi Le Parlement Justice Maréchaussée Fisc Maîtrise forestière Le Roi en son conseil DES PARAMETRES ENVIRONNEMENTAUX divers sur la planète et fonctionnant en système Expression régionale et locale des facteurs environnementaux 1. 2. Les campagnes sont prises dans un étau complexe de forces à la dynamique propre mais qui jouent les unes sur les autres Les campagnes du royaume vivent dans un monde structuré par un champs de forces dont elles sont le plus souvent conscientes. Les réseaux humains jouent un rôle décisif entre toutes les échelles pour assurer la défense de protégés, la maîtrise des localités, le maintien du bon ordre, la résolution des difficultés. Le royaume est un champ de forces entre réseaux qui s’allient, s’affrontent, selon des logiques toujours singulières. La monnaie Notariat
  • 6. 1. 3. Les campagnes évoluent en tension entre le poids des héritages et les nécessités du présent Du côté du passé : • Les coutumes règlent la vie • Les droits acquis • Les privilèges • La mémoire des familles Du côté du présent : • La météorologie et son impact sur les récoltes • Le mouvement de la démographie • La manière de valoriser des ressources locales • La manière d’obtenir un complément de ressources • Les exigences des seigneurs • Les exigences de la monarchie
  • 7. 2. Les paramètres des tensions De ce qui vient d’être présenté, il ressort que les campagnes sont marquées par des phénomènes dont les caractères différents se conjuguent selon des configurations variables. La vie des habitants des campagnes est caractérisée par des phénomènes : • Dont le rythme de développement et l’impact varient dans la durée (approche temporelle) et dans l’espace (approche multiscalaire) • Dont la nature est parfois très clairement identifiée dans ses origines par les sociétés locales, ou parfois simplement décrite sans que personne n’en sache vraiment l’origine (exemple de la pénurie monétaire : elle est constatée mais personne localement ne se l’explique) • Dont les effets se conjuguent de manière systémique, comme les travaux d’Ernest Labrousse l’ont bien mis en évidence dès les années 1930 avec la question de la crise d’Ancien Régime. Toutes les crises n’ont pourtant pas engendré une Révolution. L’explication purement économique ne suffit donc pas. 2.1 Des paramètres systémiques impliquant les équilibres productifs : des rappels • Les effets de la démographie : l’impact des années de guerre du règne de Louis XIV, après les crises démographiques que le pays a connu depuis le XVIe siècle et les temps difficiles de la seconde moitié du règne de Louis XIII puis de la Fronde des princes. Les classes creuses des années 1690 se lisent ainsi dans les années 1720-1730, avant la reprise de la croissance démographique : pénurie de travailleurs, tendance à la hausse des salaires des manouvriers (Le Roy-Ladurie) • La possibilité de mettre en exploitation des terres nouvelles, comme celles que les périodes de crises démographiques du XVIIe siècle ont conduit à abandonner. Ces terres portent une fiscalité spécifique (les novales) et certaines, de plus en plus nombreuses, alimentent des conflits entre villageois et entre communautés d’habitants et seigneurs, en vertu du principe qui veut qu’il n’existe aucune terre sans seigneur. • Les effets des aléas de la météorologie sur le volume des récoltes, qui sont d’autant plus marqués que l’aléa en question est puissant (année 1709 par exemple) ou que des aléas compromettent plusieurs années de suite le niveau des récolte. Une bonne récolte est d’abord une récolte abondante. Comme Jean-Pierre Poussou le suggère dans ses travaux, l’économie d’Ancien Régime fonctionne sur une règle qui diffère de celle qui s’installe dans les années 1880 essentiellement : des productions abondantes ne signifient pas la pauvreté des producteurs mais leur capacité à réaliser des réserves monétaires. • Les effets du fonctionnement des marchés, dont les conditions impactent l’aptitude à écouler ou obtenir des produits. • Les effets de la rareté du numéraire, phénomène structurel dans la France d’Ancien Régime à l’échelle de la plupart des campagnes lorsqu’elles sont éloignées des principaux centres urbains. • Les effets de la distorsion entre ressources des lieux et accès à d’autres ressources plus lointaines : le rôle des migrations saisonnières est important, le rôle du basculement dans un autre état social est également important (en ville par l’apprentissage, dans l’Eglise, par un départ vers des colonies, par un enrôlement dans la troupe ou dans la marine… la liste est longue)
  • 8. 2.2 La question de l’impôt : une affaire que la recherche éclaire de plus en plus finement depuis les travaux de Mireille Touzery notamment A) L’impôt royal s’organise différemment selon les provinces. Le Conseil du roi peut en augmenter le montant sans passer par les Parlements du royaume, c’est-à-dire les cours chargées de veiller au respect des privilèges des provinces et des hommes. Avec la collecte de l’impôt, d’autres sommes sont inscrites au rôle de chaque communauté, comme celles utiles à la conduite de travaux liés à la localité, ou celles nécessaires à des travaux provinciaux comme les routes et les ponts. B) Dans les deux tiers septentrionaux du royaume, la taille est fondée sur l’évaluation annuelle des revenus de chaque foyer, d’après la situation propre à chacun, d’où son nom de « taille personnelle ». Dans un petit tiers méridional du royaume, la taille est fixée d’après le potentiel productif des propriétés réellement détenues - dans le sens de la propriété réelle, pas éminente - par les foyers. La terre roturière en est la base, non la personne, d’où son nom de « taille réelle », liée à la « chose » (res en latin). Dans ces régions, les biens d’origine roturière détenus par un noble dans son domaine direct paient la taille, ce qui implique bien des contestations de la part de ces nobles. Pour mémoire, dans les pays de taille personnelle le fait d’être noble dispense tout bonnement du paiement de la taille. Mais pour être ainsi dispensé encore faut-il que sa noblesse soit effectivement reconnue. Dans les régions de taille réelle, la connaissance des biens de chaque personne est possible grâce à la tenue d’un registre, soigneusement mis à jour : le compoix, d’un mot occitan coumpes (« équilibre »). Le compoix fournit les caractères de chaque bien foncier sous le nom de chaque détenteur. Les données couvrent la nature du bien (terre à céréales, bois, jardin, vigne, maison…), sa localisation, sa valeur productive. Pour cette raison, ce registre s’appelle parfois « estime » ou registre de l’allivrement. Ce mot signifie que la part d’impôt due par chacun sur le contingent fixé à une communauté est calculée à partir du revenu net des terres inscrites à son nom. Les communautés d’habitants réalisent ces documents sur leurs deniers. Elles les tiennent à jour. Plus rares sont les communautés à ajouter un plan à l’appui du registre des propriétaires. Long à réaliser, coûteux, il ne présente guère d’utilité dans des sociétés très au fait de leur territoire. Extrait du terrier du marquisat de Bénac (Hautes-Pyrénées), section A, 1771, (ADHP, 61 Fi 1)
  • 9. Extrait du plan terrier de Séméac (Hautes-Pyrénées), années 1770, (ADHP, 1 E HF 904) : les particuliers, le cœur du commun et le seigneur Ce simple document illustre ce qu’est la structure d’une communauté d’habitants : une réunion de particuliers, liés à une entité commune, avec des droits communs (le puits ici), et une identité religieuse garante des défunts. Le cimetière est un espace central car il enracine les familles dans la mémoire des lieux
  • 10. C) Partout, le processus fiscal repose sur l’indication d’une somme globale à payer à l’autorité publique par chaque communauté, selon la richesse supposée de chacune. Là où un compoix existe, l’opération de répartition interne à la communauté est assez simple. Dans les régions de taille personnelle, la répartition et la collecte de l’impôt sont confiés à deux ou trois individus, les fermiers de l’impôt. Il s’agit souvent d’un laboureur aisé, un marchand-laboureur, ayant généralement une réserve financière liée à la vente de surplus agricoles. L’idéal est de soumettre l’affaire à un marché, comme en Bourgogne. L’assemblée des chefs de feu retient les mieux-disant pour devenir fermiers de l’impôt. Quatre fois durant l’année, les fermiers remettent la quotité de l’impôt aux receveurs du roi, ou de la Province dans le cas d’un pays d’États. Le principe de répartition est que « le fort porte le faible ». Chacun contribue selon sa fortune. Les asseeurs fixent la part de chaque ménage roturier en se fondant sur des paramètres jugés équitables : le niveau de revenu reconnu, l’état apparent de la fortune, les charges des familles, les événements subis durant l’année. Ils ajoutent au rôle de chaque foyer la part due pour payer leur travail de répartiteur et collecteur de l’impôt. Cette rémunération est encadrée. En 1789, dans le ressort des États de Bourgogne, la collecte de la taille était rémunérée à 2,5 % de la somme prélevée. De même, la levée de la capitation, se fait au prix d’un peu moins 1 % de la somme levée. D’autres menus frais s’ajoutent à ces indemnités : le salaire du scribe des actes fiscaux, les heures passées à confectionner la répartition, le prix du papier, de l’encre, des déplacements vers les bureaux des receveurs. La même organisation existe pour la collecte des revenus de l’Église et celle des droits seigneuriaux, quelle que soit leur forme, en numéraire ou en nature. Parfois, la communauté fait une requête en dégrèvement, si l’année est particulièrement mauvaise. Les autorités sont libres de l’accepter ou de la refuser. D) Si une communauté ne peut pas verser le montant intégral de l’impôt attendu, les collecteurs s’exposent à une mesure de contrainte par corps, traduite par leur incarcération, avec l’obligation de payer les frais du séjour en prison*. Quand une communauté d’habitants est manifestement récalcitrante à produire l’impôt, le pouvoir peut envoyer la troupe en séjour dans le village aux frais des habitants jusqu’au paiement de l’impôt. Pour éviter cette extrémité, les collecteurs préfèrent avancer la somme qu’ils n’ont pas pu recouvrer. E) À l’issue de leur mission, les fermiers rendent compte à la communauté. Elle se réserve le droit de les poursuivre, en cas d’injustice. Beaucoup de localités n’ont guère les moyens de se passer des rares personnes suffisamment aisées pour rendre le service fiscal. Dans les faits, les collecteurs ont les moyens de faire payer les foyers, ne serait-ce qu’en exigeant un travail compensatoire du non-paiement qu’eux-mêmes couvrent sur leurs deniers, ou en demandant une saisie des biens des récalcitrants. Par leur position sociale, les fermiers disposent d’une emprise sur l’assemblée générale de la communauté d’habitants et sont capables de juguler la plupart des mécontentements. Ils sont bien souvent des employeurs importants pour les travaux des champs et en mesure de faire pression sur les foyers les plus modestes. *L’historien Jeremy Hayhoe (Université de Moncton, Canada) me l’a confirmé à partir de ses recherches sur les communautés d’habitants de la plaine de Saône en Bourgogne.
  • 11. 2.3 L’action des pouvoirs, en lien avec des questions internationales liées à la puissance, pèse sur les campagnes A) Les effets des politiques mercantilistes (des choix de la monarchie qui finissent par impacter la vie des campagnes) • La création d’une flotte de guerre et de commerce pèse sur les ressources forestières du pays. L’ordonnance de Colbert (1669) introduit une nouvelle gestion qui tend les relations localement entre les Maîtrises et les communautés d’habitants, le tout et dans la longue durée, sur fond de croissance des besoins en bois pour d’autres usages : le bois de chauffe, le charbon de bois. Dans ce contexte d’ailleurs, l’application des droits de triage sur les forêts par les seigneurs est souvent vécu par les communautés d’habitants comme une spoliation. • La situation devient d’ailleurs « explosive » dans les années 1770-1780, quand la Ferme Générale suggère à Versailles de prendre en main l’exploitation des forêts en place de la Maîtrise. Les débats qui entourent la création des salines royales d’Arc-et-Senans en donnent un très bel exemple. Un autre aspect tient dans le développement des gardes des bois des Maîtrises avec un rapport souvent conflictuel avec les populations qui tiennent à l’accès aux ressources des forêts. • L’autre aspect de ces politiques est étroitement lié à la quête des métaux précieux qui permettent le financement des politiques de la monarchie. Le fonctionnement des circuits financiers est impacté : • Comment inciter les plus riches familles à investir dans les compagnies de commerce ? Dans les colonies ? • Comment générer suffisamment de recettes pour que la monarchie défende son domaine colonial et son influence ? La question pèse sur les années 1660-1720 puis avec une force inédite des années 1756 à 1783 (de la Guerre de Sept Ans à la Guerre d’Amérique, avec l’impact que l’on sait sur les finances royales) • Cet aspect est étroitement lié aux questions monétaires, très complexes sous l’Ancien Régime, mais qui se traduisent structurellement par la pénurie chronique de numéraire dans les campagnes.
  • 12. B) Les tensions avec les détenteurs éminent des terres • C’est la question désormais bien éclairée de la « réaction seigneuriale » dans de nombreuses provinces du royaume, la Bourgogne en particulier (travaux de Pierre de Saint-Jacob) : à l’occasion des transactions concernant des seigneuries, les acquéreurs s’engagent souvent dans la rédaction de terriers (dont la production est par ailleurs nécessaire lorsqu’il s’agit d’honorer les formalités de type « féodales » qui accompagnent l’acquisition de la seigneurie). Des droits anciens sont alors mis en lumière par les agents des seigneuries, et selon ce que pensent les nouveaux seigneurs, ces droits font l’objet d’une tentative de réactivation ou non. Exemple : extrait de l’acte d’achat de la « Terre et seigneurie de Quincy-le-Vicomte » par Georges Louis Leclerc de Buffon, 6 novembre 1784, mention complémentaire du 23 novembre 1784 (Archives privées famille Bazin) Le 6 novembre 1784, Buffon est informé que la plupart des terres « relèvent en plein fief, foi et hommage de Monsieur le marquis de Louvois, à cause de son comté de Tonnerre, et vers lui chargé de tels droits seigneuriaux et féodaux que [les biens] peuvent devoir et que les parties n’ont pu précisément dire et déclarer ». Déclaration datée du 23 novembre 1784 de la marquise de Louvois, comme fondée de pouvoir de son époux, comte de Tonnerre, suzerain du vicomte de Tonnerre à Quincy-le-Vicomte : « Nous, en notre dite qualité, avons inféodé la présente acquisition et mutation, et avons mis ledit seigneur comte de Buffon, en pleine possession et jouissance de ladite terre et seigneurie et des droits y attachés, à l’effet de quoi l’avons reçu à vassal sous toute protestation et réserve des droits, et à la charge par ledit seigneur comte de Buffon de faire fournir les foi et hommage, aveu et dénombrement dus à Monsieur le marquis de Louvois, en sa dite qualité de comte de Tonnerre, dans le temps de la coutume ». Les enseignements de ces deux extraits : 1) Du 6 novembre 1784 : les parties en présence et le notaire ne savent pas ce que sont les droits féodaux concernés dans cette vente. 2) Du 23 novembre 1784: Buffon est reconnu vassal du comte de Tonnerre / Il doit reconnaît le marquis de Louvois comme son suzerain (« foi et hommage ») / Il s’engage à produire le descriptif détaillé (« aveu et dénombrement ») des droits (pas des biens) qu’il tient de lui, avec leur montant précis et la forme de leur exécution, paiement en argent ou en nature. 3) Ensuite : Buffon demande à des feudistes d’inventorier les droits qu’il exerce sur la seigneurie acquise. Un terrier est rédigé, pour recenser les droits liés à la seigneurie et ceux liés au fief, traduit en redevances. 4) S’en suit une série de contestations avec les habitants des lieux, qui ne se résolvent qu’après la mort de Buffon et avec la condamnation à la guillotine de son fils et héritier, en 1793
  • 13. C) Une poussée physiocratique qui amplifie les sources de tensions : (1) dans le domaine de la fiscalité royale Les critiques concernant l’impôt renvoient à la poussée des pensées physiocratiques, jusqu’à inspirer des projets réformateurs à Versailles. La question qui est soulevée est celle d’une juste répartition des contingents fiscaux dans le respect des privilèges personnels. L’acquisition de la Corse (Traité de Versailles du 15 mai 1768) donne l’occasion de mener une expérience d’abord singulière qui devient la source d’une réflexion très riche dans l’ensemble du royaume. Il s’agit de la levée du Terrier général de l’isle de Corse, ordonné par un édit d’avril 1770. La direction de ce travail est établie à Bastia, dans l’ancien domaine des Jésuites, devenu bien de la Couronne. Dominique Testevuide (1735-1798), géomètre fils d’un laboureur de Champigny-lès-Langres dirige l’opération. Il est notamment aidé par son neveu Pierre Jacotin (1765-1837). Terrier général de l’Isle de Corse ADCS, 1 C 711, 1770-1795 Extrait : « L’Etat avenir de la Province expose le détail des objets de régénération et d’amélioration, leur exécution et les avantages qui doivent en résulter. Le détail des objets susceptibles d’être améliorés ou régénérés, porte sur la Population, l’Agriculture, l’Industrie, et le Commerce. »
  • 14. ADCS (Ajaccio), 1 C 162 - Terrier général de l‘isle de Corse, rouleau de plan n° 20 Le territoire appréhendé par les géomètres du roi révèle la difficulté d’une cartographie des droits et le désir d’enraciner sur le sol ces droits : • Le « territoire » d’Aléria et le « domaine » de Migliacciore • Les droits des pièves • Les droits des communautés • Les droits de communautés de communautés • Les droits des particuliers ADCS (Ajaccio), 1 C 173 - Terrier général de l‘isle de Corse, rouleau de plan n° 31. Même difficulté sur la côte occidentale de la Corse avec, ici : • Le domaine de Coti • Les droits des communautés • Les droits des pièves • Les droits des communautés • Les droits des particuliers Extraits de deux rouleaux du Terrier général de l’isle de Corse
  • 15. Le Terrier général de l’isle de Corse complète le dénombrement dit « de Choiseul » (1769 L’enquête dite « de Choiseul » : 1769 (ADCS 1 NUM 35) Dénombrement systématique de toutes les pièves de la Corse avec relevé des ménages, du nombre d’animaux possédés par chacun et des principales productions. Un commentaire précise si la « République » (Gênes) et Paoli (le général insurgé) disposent de droits dans chaque localité. Couplée aux résultats du Terrier général de l’Isle de Corse, cette enquête permet de cerner comment évolue cette province économiquement et démographiquement en une génération puisque les données éclairent la période 1769-1790. Les communautés corses vers 1770 vivent en articulant des terres de montagne et des terres de plaine (muntagna et phjiaggia). La cohérence du système agro-pastoral renvoie à ce qui se pratique dans les Pyrénées (exemple des montagnes basques et des terres basses de Gascogne) et dans d’autres régions
  • 16. • L’un des artisans du Terrier général est Jean-François Henry de Richeprey (1751-1787), fils d’un conseiller du roi au Parlement de Nancy. Rappelé de Corse à Versailles en 1775, il est nommé auprès de la nouvelle assemblée provinciale de Haute-Guyenne, généralité de Montauban, pour établir un cadastre fiscal fondé sur la valeur productive des terres et en finir avec les critiques puissantes contre l’injustice de l’impôt. Il affronte l’opposition des privilégiés mais parvient à mettre en forme des recommandations sur la manière d’asseoir une nouvelle répartition de l’impôt sur le revenu des terres, ce qui sera la base des réformes fiscales de la Révolution et de l’Empire, notamment du cadastre parcellaire dit napoléonien. Henry de Richeprey est ensuite appelé en Guyane pour travailler à la cadastration des terres de La Fayette. • L’œuvre de Testevuide et de Richeprey prennent place dans ce vaste mouvement pour refondre la fiscalité royale. Henri Bertin (1720- 1792), contrôleur général des Finances en 1763 avait bien obtenu du roi un édit pour établir un cadastre fiscal mais il est renvoyé sans pouvoir le mettre en œuvre. L’intendant de Paris Louis Jean Bertier de Sauvigny (1709-1788) cherche à mettre en place un pareil outil dans son ressort, en s’inspirant également de ce qu’il a connu durant son passage à l’intendance de Grenoble. Là il a travaillé avec le péréquaire, document éclairant le potentiel fiscal de chaque communauté, établi entre 1697 et 1706, donc se révélant trop vieux pour bien administrer mais portant une idée utile de juste répartition des contingents fiscaux. Le fils de cet intendant, Louis Benigne Bertier de Sauvigny (1737-1789) devient lui-même intendant de Paris et met en œuvre le document fiscal dont son père avait rêvé. • Une troisième expérience, et non des moindres, est celle entreprise par Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781) en Limousin, dont il obtient l’intendance en 1761. Il y expérimente les intuitions de Quesnay et de Gournay. Il rédige un Avis sur l’assiette et la répartition de la taille , un Mémoire sur les prêts à intérêts, un Mémoire sur les mines et les carrières, un Mémoire sur la marque de fer, puis les Lettres sur la liberté du commerce des grains (1770) adressées au contrôleur général l’abbé Terray. Il produit également les Réflexions sur la formation et la distribution des richesses. Il prend également une part active à la Société d’Agriculture de Limoges. Tout chez lui milite pour une liberté accrue dans l’économie, le développement des marchés et pour une juste et claire répartition de l’impôt, assis sur les revenus réels non pas supposés des foyers. En août 1774, il devient contrôleur général des Finances. Dès septembre 1774, son édit sur la libre circulation des grains provoque l’hostilité des milieux privilégiés qui perdent les revenus liés au droit de hallage. La mauvaise récolte de l’année amplifie le problème posé par l’opposition à sa politique puisque la montée des prix des grains entraîne celui du pain, et l’inquiétude des milieux populaires, jusqu’à produire en avril 1775 une série d’émeutes, comme à Dijon, puis dans nombre de provinces en mai : c’est la célèbre « Guerre des farines » : ici se conjuguent les résistances des milieux intéressés au contrôle du commerce des grains, les inquiétudes du peuple des villes, et à l’origine les fragilités d’une économie agricole soumise aux aléas de la conjoncture météorologique et à la faiblesse structurelle des stocks permettant de franchir les périodes de soudures. Malgré le soutien de Louis XVI et son aptitude à surmonter la crise, Turgot tombe en 1776, après avoir renforcé l’hostilité de la cour contre lui par la publication de ses décrets de janvier, comme la suppression de la corvée royale et celle des jurandes et maîtrises.
  • 17. C) Une poussée physiocratique qui amplifie les sources de tensions : (2) spécifiquement dans les campagnes • Par le désir des riches fermiers et des propriétaires des seigneuries qui veulent tirer le meilleur profit de leurs biens • Par les débats qui pèsent sur l’accès au communal, quand il existe. Des seigneurs s’en emparent parfois en générant l’hostilité des populations ; des fermiers par avance bien établis y envoient leurs troupeaux ne laissant guère le petit peuple des campagnes en bénéficier. • Par l’action des gardes des seigneurs, unanimement décriés dans les années 1780 pour leur brutalité. • Par la multiplication des amendes contre ceux qui s’opposent à l’exploitation coutumière des espaces collectifs. • La question des transformations des techniques est également présente : qu’implique l’usage de nouveaux outils dans l’activité agricole ? Comment se manifeste le désir de certains d’échapper aux pratiques collectives ? Comment les Parlements et le roi lui-même s’emploient-ils à encadrer ce que la société du temps nomme les « droits des pauvres » (glanage, grappillage etc.) ? • L’essor des forges se fait en lien avec le pouvoir royal qui autorise l’équipement des cours d’eau avec des biefs et des moulins (les cours d’eau sont soit placés sous la justice seigneuriale, soit sous la justice royale). L’établissement de biefs et de retenues engendrent des tensions avec des riverains qui redoutent les inondations du fait des obstacles posés à écoulement des eaux. • Le développement d’activité artisanales dans les campagnes est largement présent après les années 1760 surtout, selon des schémas que Jean-Marc Olivier a contribué à affiner à partir des lectures anciennes de Franklin Mendels (la proto- industrialisation).
  • 18. Comment changer une pratique agricole ? Réflexion publiée dans Gazette du commerce, 9 juillet 1771, p. 437-438
  • 19. 3. Des fièvres régulières et des régulations qui finiront par devenir inopérantes Au-delà des tensions permanentes qui accompagnent le quotidien des campagnes, le royaume connaît des brusques poussées de fièvre du règne de Louis XIII (sous le ministère du cardinal de Richelieu) au règne de Louis XVI. Les campagnes en sont un des points d’expression, mais selon des modalités qui ont évolué sur le fond, preuve que le moteur des contestations glisse vers de nouveaux groupes sociaux. Les brusques contestations des années 1630-1640 ne se comprennent finalement pas tout à fait comme celles des années 1770, même si la fiscalité et les difficultés du présent sont toujours des motifs visibles. Dans les années 1630-1640, se joue nettement l’essoufflement de l’ancienne monarchie et la restructuration du pouvoir, sur fond d’un royaume en guerre extérieure (la Guerre de Trente Ans) et intérieure (la lutte contre le protestantisme, effets de la Guerre de Trente Ans dans le royaume). Un pivot s’observe après la Fronde et l’affirmation du pouvoir de Louis XIV, dont l’action des intendants (les commissaires départis) accompagne la reconnaissance du rôle des communautés d’habitants, aux dépens des anciennes structures seigneuriales. Ces seigneuries perdent de leur puissance sans perdre leur rôle dans l’administration locale. Un jeu à plusieurs (les officiers du roi, les Parlements, les Etats provinciaux, les communautés, les grands seigneurs et leurs dépendants) se met alors en place tandis que l’économie du pays se développe, bon an mal an. Les crises de la fin du XVIIIe siècle expriment davantage des revendications contre « les carcans » des privilèges, partout présents. Ce serait l’objet d’une autre étude pour laquelle je place en fin de ce document quelques sources qui pourraient être utiles avec la Guerre des farines (1774-1775) Un moment charnière dans la mutation du royaume : la révolte des Va Nu-pieds de Normandie (1639) En premier lieu l’historiographie est abondante sur la question qui a d’abord été celle des « révoltes populaires » au temps où Boris Porchnev (Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, Paris S.V.E.P.E.N., 1963, 679 p., traduction de l’ouvrage de 1948 avec un avant-propos inédit) et Roland Mousnier (notamment « Recherches sur les soulèvements populaires en France avant la Fronde », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 1958, 5-2, p. 81-113) polarisaient une intense controverse autour de la question d’une « lutte des classes » dans ces mouvements. De nombreux travaux ont dès lors été conduits sur ces mouvements, et en particuliers celui de Normandie, de Madeleine Foisil (La Révolte des Nu-Pieds et les révoltes normandes de 1639, Paris, 1970) à Gauthier Aubert (Révoltes et répressions dans la France moderne, Paris, Armand Colin, 2015, 240 p.), et à Yves-Marie Bercé (Violences et répression dans la France moderne, Paris, CNRS Editions, 224 p.) De l’exposé des faits et de ce qu’ils disent de l’état de la société au moment où se fortifie le pouvoir du roi aux dépens des élites provinciales, les études ont progressivement mis en lumière la naissance de nouveaux modes de prise en main du pays et la manière dont la régulation sociale est assurée, ou échoue, en fin de compte dans son fonctionnement. Lire également Jean-Marc Moriceau, La mémoire des croquants. Chronique de la France des campagnes, 1435-1652, Paris, Taillandier, 2018, 608 p. Là est tout l’acquis d’un grand nombre de travaux qui permettent de lire, au-delà de la révolte en elle-même, la matrice de l’Etat moderne absolutiste. Rappel succinct de l’historiographie
  • 20. 16 juillet 1639 : assassinat de Charles Le Poupinel de la Besnardière, lieutenant civil et criminel au bailliage et présidial de Coutances, à Avranches, la rumeur ayant été propagée d’une suppression du droit de quart bouillon sur les sauniers de sable. La révolte se déploie contre les bureaux des fermes en Normandie sous la conduite de Jean Quétil de Ponthébert. Le pays d’Avranches et de Domfront s’insurge. La rébellion prend l’aspect d’un soulèvement dans toute la province, les insurgés s’organisent en armée en septembre. 20 octobre 1639 : Charles Le Roy de la Potherie est commis intendant à Caen avec ordre de mener un « châtiment exemplaire ». Il arrive dans la ville en novembre. 10 novembre1639 : Jean de Gassion (huguenot français (de Pau), ancien colonel suédois passé à la France) est envoyé en Normandie avec 4 000 fantassins et 1 200 cavaliers, depuis la Picardie et les Flandres. 23 novembre 1639 : Gassion arrive à Caen et mène la répression en Normandie. La ville de Caen est frappée d’une taxe de 60 000 livres. Avranches et Vire sont reprises. 30 novembre 1639 : Gassion écrase « l’armée de souffrance » à Avranches : 300 morts. 1er et 2 décembre 1639 : Les pendaisons de séditieux débutent à Avranches. Les officiers du présidial de Coutances sont traduits devant le Parlement pour sédition. Dans la suite du mois : la ville de Rouen, où le Parlement a été frileux, est punie : les revenus de la ville sont réunis au domaine du roi. La ville est frappée d’une taxe de 150 000 livres. Le Parlement de Rouen est suspendu. Le chancelier Pierre Séguier entre à Rouen le 21 décembre avec les pleins pouvoirs. Gassion le rejoint avec ses troupes, dont Séguier lui-même reconnaît qu’elles se comportent sans retenue vis-à-vis du pays et des populations. Le roi ordonne que les murailles des villes séditieuses soient rasées, comme les maisons des insurgés. Février 1640 : La rébellion reprend dans le pays d’Avranches. L’intendant Le Roy de la Potherie se rend à Bayeux, Avranches, Coutances et Vire. 14 mars 1640 : Le chancelier Séguier et Gassion rentrent dans Coutances. Les échevins sont incarcérés. La répression s’abat sur plusieurs officiers comme Jean de Bordes vicomte de Coutances, qui sera libéré en définitive. Certains meneurs de la révolte se sont réfugiés à Jersey. Leurs maisons sont démolies. Des condamnations exemplaires sont prononcées : être rompu vif (comme Jean Quétil de Ponthébert, qui se réfugie à Jersey, ou Le Mettayer de la Luzerne, qui est effectivement roué et écartelé), être pendu. Des condamnations aux galères sont prononcées, des bannissements perpétuels. Les contumaces sont mis « en tableau tant à la potence qu’à la porte de l’auditoire », manière de les exécuter symboliquement. 31 mars 1641 : Rouen recouvre ses revenus domaniaux 22 mai 1640 : dernières exécutions à Avranches. Mai 1641 : l’amnistie générale est proclamée. 26 octobre 1641 : le Parlement de Rouen est rétabli., mais 55 de ses membres sont interdits et le roi prévoit de vendre les offices à de nouveaux conseillers, ce qui déclenche la résistance des officiers en place, jusqu’à février 1642. 14 mai 1643 : Louis XIII meurt. Octobre 1643 : un édit rétablit le Parlement dans tous ses anciens privilèges. Une trame chronologique
  • 21. Extrait de Amable Floquet (éditeur), Diaire ou Journal du voyage du chancelier Séguier en Normandie après la sédition des Nu-Pieds (1639- 1640) : et documents relatifs à ce voyage et à la sédition, d’après les manuscrits de la Bibliothèque royale, Rouen, 1842. Le début de la révolte : pages 421-423 Des sources
  • 22. Extrait du registre paroissial de Saint-Michel-de-Montjoie (Manche), 5 Mi 2 060, folio 82, recto-verso. Texte transcrit et traduit pour être lisible « Registre de ce qui s’est passé dans le pays, dont j’ai pu avoir la connaissance, tant des guerres, famines, flux du sang que d’autres choses dans les années 1639 et 1640. Premièrement Ce 28 novembre 1639, jour de Saint-André, monsieur Gassion passa par ce pays et allait combattre les nu-pieds à Avranches. Il les assiégea le jour Saint-André et emporta la victoire. Fut tué le marquis de Coutances par les pieds nus, et plusieurs braves hommes qui étaient là pour la rébellion qui s’était déclenchée contre le roi. Cette même année régna le flux du sang, et il mourut de cela en notre paroisse environ 30 personnes. Le 8 décembre 1639 coucha en Montjoye le baron de la Groye et la Fleur avec sa compagnie, qui était de cent chevaux. La compagnie pilla et ravagea la paroisse. Ce même mois, même année, logea en ladite paroisse la compagnie de la marine qui était de plus de cinq cents hommes. Ils logèrent aussi au Champ-du-Boult et à Saint-Pois. La même année, et la suivante aussi, la paroisse a souffert de plusieurs maux de ces gens d’armes qui allaient et venaient. Cette même année 1639 et les suivantes furent celles où il ne fallait pas vivre du tout dans ce pays. Ce huitième jour de mars 1640 Charles Le Roy, sieur de la Potherye, conseiller du roi, condamna la plupart des bourgeois d’Avranches à mort pour s’être révoltés contre le roi et avoir fait beaucoup de mal Cette même année, il passa par Saint-Pois trente galériens qui avaient été pris par Gassion, tous des bourgeois. » Le curé de la paroisse de Saint-Michel-de-Monjoie a rassemblé quelques années après la révolte des Nu-Pieds ce qu’il pouvait savoir des événements. Il décrit comment l’armée du roi, commandée par un nommé Gassion, a écrasé les insurgés. Les combats à Avranches, l’occupation des campagnes, la misère née de la guerre sont l’objet de ce texte. CAEN Coutances Avranches Domfront Saint-Michel-de-Monjoie Champ-du-Boult Saint-Pois Vire Bayeux Localisation des faits à partir de la vue GoogleEarth actuelle Saint-Lô
  • 23. Toujours d’après le Diaire de Séguier : 1) « cinquième pièce » : résumé de la rébellion. 2) « huitième pièce » : la clémence du roi.
  • 24. La récompense d’un loyal serviteur : des domaines pour le chancelier Séguier, « bienfaiteur » de la Normandie Lettres patentes données à Chantilly au mois de mai 1640, enregistrées le 22 juin 1640 au Parlement de Rouen par la commission du Parlement de Paris remplaçant celui de Rouen provisoirement interdit. Le roi octroie toutes les terres vaines et vagues situées dans son domaine dans la région insurgée, aux dépens des communautés d’habitants. Les Etats de Normandie remercient Séguier le 26 novembre 1643, article 32 de leurs remontrances.
  • 25. La guerre de Trente Ans et les combats en Europe et en France. Le royaume a besoin de ressources pour affronter la guerre. Des mauvaises années, avec des récoltes rendues difficiles et le développement des épidémies Le roi multiplie la vente des offices pour accroître ses ressources et la pression fiscale s’accentue. Le mécontentement gagne les détenteurs des offices déjà en place, qui craignent une dévalorisation de leur office et une perte de leurs revenus. L’inquiétude gagne le petit peuple des campagnes La rumeur d’une refonte de la gabelle court dans la région d’Avranches. Elle soulève l’inquiétude et explique l’assassinat d’un officier du roi à Avranches. Les campagnes se mobilisent autour des sauniers, des vendeurs de bois de chauffe (pris dans le bocage en particulier) qui alimentent les activités des bouilleurs de sel Curés, petits nobles désargentés, officiers menacés, travailleurs mobiles diffusent les rumeurs et les bruits. « L’armée de souffrance » se constitue et met le « pays » en révolte, déclenchant l’intervention de la troupe. Niveau global Niveau français Niveau provincial Niveau local La troupe rétablit violemment le calme dans les villages, qui sont occupés, pillés, mis en coupe réglée. Les révoltés sont poursuivis. Les sièges du pouvoir en Normandie sont punis. La justice du roi s’exprime par la sévérité des condamnations Les troupes de Picardie commandées par Gassion sont envoyées en Normandie. Le chancelier Seguier et le cardinal de Richelieu doivent éteindre révoltes et contestations fiscales. Les élections normandes (structures fiscales) se révoltent. Les officiers du roi sont attaqués, malmenés. Le désordre passe pour une atteinte à l’autorité royale. Synthèse des niveaux d’analyse de la révolte des Nu-PiedsUne ébauche d’analyse
  • 26. Des héritages du passé Des legs dans le futurUn système soumis au présent Héritages Présent Legs Le souvenir du duché de Normandie (911-1469) 1638-1639 : montée des difficultés. 16 juillet 1639 : insurrection Renforcement du pouvoir royal sur la province (intendant) La clameur de haro: manière d’en appeler à l’action du duc de Normandie ou au roi Défense d’un privilège fiscal contre le poids des nouveaux impôts Réaffirmation du privilège sur le sel Le souvenir de la Ligue et de la lutte contre la menace anglaise et espagnole Souvenir de la révolte des nu-pieds comme illustration de la capacité des « petits » à se mobiliser Charte de Louis X le Hutin : les Normands doivent être associés à la définition des impôts Le malheur du temps marque plusieurs années la province qui avait été une des plus riches du royaume Rappel de l’épisode au XIXe siècle pour soutenir une identité « normande » Les « bons » rois Louis XII et Henri IV Usage de la figure des « Nu-pieds » pour dénoncer le malheur et l’injustice (« Vivre libre ou périr » est un des mots d’ordre des révoltés de 1639) La noblesse défend ses paysans de la tyrannie des bourgeois
  • 27. Bref bilan : 1) La révolte des Nu-Pieds témoigne de la reconfiguration profonde de l’emprise du pouvoir royal sur le pays dans un temps de guerres. 2) La révolte des Nu-Pieds permet en particulier de redéfinir l’action du roi sur une province (l’intendant, la punition des officiers « timides », la refonte du Parlement de Rouen, la mise au pas de la petite noblesse…) 3) La révolte des Nu-Pieds signe un nouveau rapport entre le roi et les Normands avec la garantie donnée à certains privilèges (la gabelle ne sera ici rediscutée qu’en 1791) Au-delà, l’affermissement du pouvoir royal génère une nouvelle poussée d’hostilité sous Mazarin, au début du règne de Louis XIV. Une fois jugulée la fronde des Parlements et de la grande noblesse (et par-là celle de la petite noblesse qui la suit), la monarchie construit un mode absolutiste de direction des affaires du pays où le monde des offices prend toute son importance. Les révoltes qui se jouent ensuite (« le papier timbré » par exemple) prouvent que l’apaisement du pays demeure complexe jusque vers 1695. La fin du XVIIIe siècle est de nouveau le théâtre d’une effervescence où se joue à nouveau la reconfiguration intellectuelle des formes de l’autorité. La Guerre des farines (1774-1775) en sera l’expression, derrière le mécontentement des populations né de la pénurie des grains et des mesures de libéralisation de leur commerce, mesures voulues par le ministre Turgot. C’est ce que donnerait à voir l’examen des pièces rassemblées, ici pour information, à la suite de ce propos.
  • 28. Sources : Bibliothèque de l’Arsenal, MS 12 447 Prisonniers dans l’affaire des blés, 1775, folio 30 recto. Transcription orthographe rétablie « Emeutes des blés Le nommé Marais Transféré des prisons de Senlis à la Bastille le (blanc) en vertu des ordres du roi. Les ordres pour le transfèrement ont été effectivement adressés au sieur de la Balme lieutenant de Maréchaussée le 15 juin mais le prisonnier était alors transféré à Reims le 3 dudit mois, en vertu d’une commission du Grand Sceau. Il a été ramené a Senlis le 17 novembre et le magistrat a écrit à Senlis, a fait revenir les ordres du Roi, les a renvoyés à M. de Malesherbes en prévenant M. le Garde des Sceaux. Le prisonnier s’est évadé le 10 décembre. Il avait été le 3 mai au village de Louvres faire distribuer le Bled à 12 sols le setier aux paysans à la tête desquels il était. M. Le Duc de La Vrillière »
  • 29. Des actes qui renseignent sur la manière de semer le trouble Sources : Bibliothèque de l’Arsenal, MS 12 447 Prisonniers dans l’affaire des blés, 1775, folio 39 recto. Sources : Bibliothèque de l’Arsenal, MS 12 447 Prisonniers dans l’affaire des blés, 1775, folio 47 recto.
  • 30. Lettre issue du manuscrit MS 12447 de la Bibliothèque de l’Arsenal, Dossiers des prisonniers de la guerre des farines, 1775 « Au Raincy, ce 11 mai 1775, Quand je suis arrivé ici, Monsieur, j’ai trouvé tous les villages déserts et dans la plus grande consternation, pas un ouvrier dans les champs, quelques femmes par-ci par-là qui cultivent du mieux qu’elles peuvent. Il couche plus de 400 personnes dans les bois. Quand j’ai vu ce désastre, j’ai cru pouvoir prendre sur moi de faire dire, d’après ma conversation avec Monsieur le Procureur Général de faire dire dans les villages voisins que le seul mo meilleur moyen d’obtenir leur grâce était de rentrer dans leur ménage et de reprendre leur travail. Véritablement, il est de la plus grande conséquence que l’amnistie soit prononcée. J’ai parlé au sieur Guillot, commandant de la maréchaussée de Bondy il m’a dit (qui quoi qu’il ait fait peut-être une faute de timidité dictée par la prudence dans cette occasion, est pourtant véritablement un homme de mérite). Il m’a dit qu’il ne connaissait plus dans ce pays-ci de véritablement coupable de violence ou de mauvais propos que 2 hommes, l’un de Livry nommé Vincennes, l’autre de Villemomble nommé Mornand. Je dois vous ajouter qu’il faut pour l’acquis de ma conscience que dans la déposition de quelques fermiers il pourrait se trouver de l’animosité personnelle et que particulièrement Charlemagne de Bobigny que je connais ainsi que son fils non pour 2 hommes dangereux et peu croyables , méprisés et détestés à juste titre dans le pays, méritent que l’on prennent garde à la leur d’après tous ces faits que j’ai vus par moi-même toutes et presque tous les fermiers son des environs étant actuellement remplis au-delà des 2 tiers de ce qui leur a été enlevé , je ne peux trop insisté pour sur la nécessité de la publication du ban d’amnistie dont je vous ai parlé ainsi qu’à M. le Procureur Général et à M. le Garde des Sceaux, et sur celle d’accélérer aussi quelques unes des exécutions que l’on doit faire à Paris et ailleurs. Voilà, Monsieur, ce que mon amour pour la tranquillité du Roi et de l’Etat ne me permet pas de lui laisser ignorer et les sentiments d’estime et de confiance que votre réputation m’inspire font que j’ai pris le parti de m’adresser à vous de préférence pour les lui faire parvenir ainsi qu’à M. Turgot qui connaît mon estime pour lui. Signature : L. Phil. d’Orléans »
  • 31. Lettre manuscrite issue du manuscrit MS 12447 de la Bibliothèque de l’Arsenal, Dossiers des prisonniers de la guerre des farines, 1775, folio 124 recto. « M. De Mazière, ex-sergent de maréchaussée à Dammartin, Le sieur Codard de la Martinière, curé d’Ogi-Saint-Vincent, a empêché la restitution des grains que ses paroissiens se sont faits délivrer au prix de douze livres le setier, en prêchant dimanche 21 du présent mois et le 25 jour de l’Ascension, que ceux qui avaient eu du blé à raison de 12 sols le setier l’avaient bien acquis et n’étaient tenu à aucune restitution. Ses paroissiens se sont exactement conformés à son sermon et ne tiennent aucun compte de l’ordre du roi qui leur a été notifié à ce sujet. Ci- joint la déclaration d’un fermier dudit Ogi-Saint-Vincent. Il l’y a observé que le curé a prêté de l’argent à ses paroissiens en les engageant d’aller exiger des blés à 12 sols le setier. Il l’y encore a observer que le sieur curé est un ex-jésuite. » Notons ici que l’auteur souligne que le curé est un « ex-jésuite », en ce moment où la Congrégation a été interdite en France par ordre du roi.