Critique du livre de Jean-Marc Jancovici " Dormez tranquilles jusqu'en 2100" Par Vincent Giret .
L’énergie sera la grande affaire du monde qui vient. Ou plutôt, elle l’est déjà. Extraite, produite et consommée sans limite, cette singulière matière première a façonné tous nos comportements et jusqu’au moindre détail du monde qui nous entoure.
Entre l’an 0 et 1820, le PIB par habitant n’a quasiment pas varié en Europe, une grande ligne plate ou presque. Puis la croissance apparaît, s’installe au début du XIXe siècle et transforme peu à peu tout sur son passage. Les économistes ont mis un nom sur le phénomène : « la », puis « les révolutions industrielles », portées par une grappe d’innovations technologiques. Les physiciens ou les ingénieurs préfèrent mettre d’autres mots sur cette grande transformation : charbon, pétrole, chutes d’eau, gaz et uranium…
C’est le moment où l’homme découvre qu’il existe sur terre des substances combustibles, des énergies, disponibles en quantités considérables, susceptibles d’alimenter des machines à moteurs capables de prendre le relais de nos bras et jambes, avec une efficacité décuplée et sans cesse croissante.
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L’énergie, la croissance et la barbarie - Le Monde - 7 Janvier 2016
1. LE MONDE ECO & ENTREPRISE
Date : 08 JAN 16Pays : France
Périodicité : Quotidien Page de l'article : p.7
Journaliste : Vincent Giret
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JACOB2 8365656400508Tous droits réservés à l'éditeur
L'énergie, la croissance et labarbarie
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«MUTATIONS CHRONIQUE
PAR VINCENT CIRET
L' énergie sera la grande affaire
du monde qui vient. Ou plu-
tôt, elle l'est déjà. Extraite,
produite et consommée sans limite,
cette singulière matière première a
façonné tous nos comportements et
jusqu'au moindre détail du monde
qui nous entoure. Entre l'an o et
1820, le PIB parhabitant n'a quasi-
ment pas varié en Europe, une
grande ligne plate ou presque. Puis
la croissance apparaît, s'installe au
début duXIXe
siècleettransforme
peu à peu tout sur son passage. Les
économistes ont mis un nom sur le
phénomène: «la»,puis «lesrévolu-
tions industrielles », portées par une
grappe d'innovations technologi-
ques. Les physiciens ou les ingé-
nieurs préfèrent mettre d'autres
mots sur cette grande transforma-
tion: charbon, pétrole, chutes d'eau,
gaz et uranium...
C'est le moment où l'homme dé-
couvre qu'il existe sur terre des
substances combustibles, des éner-
gies, disponibles en quantités consi-
dérables, susceptibles d'alimenter
des machines à moteurs capables de
prendre le relais de nos bras et jam-
bes, avecune éfficacité décuplée et
sans cesse croissante.
Revenir àl'origine de la croissance,
c'est mesurer le choc qui nous at-
tend désormais. Saufà privilégier la
thèse du suicide collectif- certes ja-
mais impossible -, il nous faut ac-
cepter l'implacable fin d'un cycle
long de deux siècles où, pour huit
générations, l'énergie, et donc la
croissance, a semblé infinie, indé-
passable et même vitale.
Passé la courte euphorie pari-
sienne de la COP21 etla promesse
d'une dynamique internationale
vient pour chacun et pour tous le
temps de l'action. Pour ne pas se
tromper sur le chemin à emprunter,
il n'est pas inutile de suivre Jean-
MarcJancovici,ingénieurengagéet
lanceur d'alerte sur les dérèglements
du climat et les manières probantes
d'y répondre. Pour éviter aussi les
pièges et chausse-trapes d'un débat
encombré depuis des décennies de
malentendus, d'arrière-pensées et
d'idéologies trompeuses.
Pas d'autres issues, affirme cetin-
lassablepédagogue,qu'unedécarbo-
nisation massive de notre économie
et donc une diminution drastique de
l'usage des énergies fossiles. Ce n'est
pas un nombre de degrés ou un ni-
veau de température qui fait l'enjeu
de ce bouleversement, mais le risque
assuré d'un dérèglement du monde,
d'une«barbariegénéraliséesurune
planèteappauvrie».Et ne croyezpas
vous en tirer en courant derrière le
«développement durable» ou
même la «croissance verte», notre
auteur ne croit guère à ces oxymo-
res: ilyvoit plutôt «l'idéeque cese-
rait sympa défaire autrement mais
que, pourl'heure, on va quand même
continueràfaireessentiellement
comme onfaisait avant». Des expé-
dients pour se donner bonne cons-
cience.
LE NUCLÉAIRE, UN ALLIÉ DU CLIMAT
Ne croyez pas trop non plus au mira-
cle des énergies renouvelables : dans
une démonstration aussi rigoureuse
qu'implacable, Jancovicifaitvoleren
éclats le mythe de l'efficacité du so-
laire et de léolien : le premier ne re-
présente que 0,15 % de la production
énergétique mondiale et le second
0,6%.Lapreuveparl'Allemagne:
notre voisin a investi des sommes
colossales dans ces «nouvelles re-
nouvelables » pour un effet nul ou
presque.LesémissionsdeCO2 par
personne n'y ont guère varié d'un
iota sur les cinq dernières années !
2. LE MONDE ECO & ENTREPRISE
Date : 08 JAN 16Pays : France
Périodicité : Quotidien Page de l'article : p.7
Journaliste : Vincent Giret
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Enfin, n'accordonspasplus de crédit
- et encore moins nos voix - à ces
responsables politiques qui, dans la
même phrase, affirment vouloir à la
fois «chercher la croissance avec les
dents » et « engager une action réso-
lueenfaveurdèla baissedesémis-
sionsdègazcarbonique».Ensemble,
ces deux objectifs ne sont pas tena-
bles, tout simplement...
Il faut donc remettre à l'endroit la
«questionénergie-climat». Et, n'en
déplaise à certains militants à la vue
courte, le nucléaire n'est pas un ad-
versaire du climat, mais son
meilleur allié. Ou plutôt un allié qui
n'a pas toutes les qualités, mais dont
il ne peut déjà plus se passer. «Le nu-
cléaire, affirme Jancovici, est une
formedeproductiond'électricitéqui
présentelemoinsd'inconvénients
pouruneproductiondonnée.»Ces-
sons, ajoute l'auteur, d'avoir en
France«lenucléairehonteux» etde
«nouslaisseraveuglerparlechoix
sentimentaldesAllemands».Lesac-
cidents les plus meurtriers liés à la
production d'électricité ne sont pas
dusaunucléaire,relèveJancovici,
mais à une énergie parfaitement re-
nouvelable:l'hydroélectricité!A
commencer par la rupture d'un
complexe de barrages en Chine,
en 1975, qui aurait fait plus de
loc DOO morts.
Décarboner l'économie, c'est donc
combiner plusieurs moyens d'action,
déployer des programmes d'écono-
mies d'énergie, construire des centra-
les nucléaires, miser (modestement)
sur la capture et la séquestration du
CO2,remplacerautantquepossiblele
charbon par du gaz dans la produc-
tion électrique... Mais aussi et sur-
tout reorganisertout notre « écosys-
tème» politique: entransformant
nos modes de vie, cette mutation ne
ferapas que des gagnants,l'Etat sera
contraint à des arbitrages doulou-
reux qui mettront à mal des démo-
cratiesdéjàfragiliséespard'autres
vents mauvais. •
Dormeztranquillesjusqu'en2100
etautresmalentendus
sur le climat et l'énergie
Jean-Marc Jancovici,
OdileJacob,2015