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LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 28 OCTOBRE 2020
DIX MILLE PAS ET PLUS
LES FEMMES MOINS À PLAT EN BOUT DE COURSE
Par SANDRINE CABUT
Les femmes seraient­elles plus endurantes que
leshommes?Silesrecordsdevitessesontmas­
culins, des femmes peuvent se hisser à la pre­
mière place de courses longues, voire très longues. Ce
fut, par exemple, le cas lors de la première édition des
86 km de l’Ultra­Trail du Mont­Blanc Courmayeur­
Champex­Chamonix (UTMB CCC), en 2006, rempor­
tée par la Française Corinne Favre. L’ultra­traileuse et
championne de ski­alpinisme, 35 ans à l’époque, avait
laissé le premier homme à 18 min. En 2019, la Britan­
nique Jasmin Paris a, elle, été la première femme à ga­
gner la Montane Spine Race, un ultra­marathon de
268 miles (431 km) dans les Pennines, cette chaîne
montagneuse considérée comme la «colonne verté­
brale de l’Angleterre». «Ce qui a rendu la performance
encore plus extraordinaire, c’est qu’elle a battu le re­
cord du parcours de douze heures, tout en tirant son
lait pour son bébé dans les stations de secours le long
de la course», souligne The Guardian.
Au­delà de ces exploits individuels, la question des
différences physiologiques entre les sexes dans les
épreuvesd’enduranceestdevenueunevraiethémati­
que de recherche. Derniers résultats en date, une ana­
lyse portant sur près de 2,4 millions de marathons
individuels conclut que les femmes maintiennent un
rythme plus régulier que les hommes, et qu’elles
s’épuisent moins dans la deuxième moitié des
42,195 km du parcours. Le calcul a été fait à partir des
données de course des participants à six grands
marathons, de 2009 à 2019.
Mode compétition versus quête de plaisir
La grande majorité des marathoniens courent plus
vite pendant la première moitié de l’épreuve. Mais
l’écart de rythme entre les deux parties de la course
est plus modeste chez les femmes (11,49 %) que chez
les hommes (14,07 %), soit 18,33 % d’écart entre les
sexes, souligne l’analyse, récemment publiée sur
Runrepeat, un site collaboratif consacré aux chaus­
sures de sport et à des articles concoctés à partir de
bases de données.
Ces conclusions n’étonnent pas Guillaume Millet,
professeur de physiologie de l’exercice à l’université
de Saint­Etienne. «Toutes les études ou presque sont
concordantes: sur marathon, mais aussi sur des dis­
tances plus courtes de 5 ou 10 km, les femmes ont une
moindre baisse de vitesse au fil de la course. En mara­
thon, c’est vrai même à haut niveau», précise le scien­
tifique et ultra­trailer. Depuis 2009, son équipe a
mené plusieurs recherches chez des participants à
l’Ultra­Trail du Mont­Blanc (UTMB), mythique course
de 171 km avec 10000 mètres de dénivelé positif. Il a
ainsi été montré que, après un ultra­trail, la fatigue
musculaire est moins marquée chez les femmes.
Sont­elles plus résistantes à l’effort que les hommes,
ou gèrent­elles mieux leur course?
Selon le physiologiste de l’exercice, qui devrait
bientôt publier de nouvelles données sur le sujet, is­
sues d’une étude menée sur l’UTMB en 2019, il existe
des différences entre les sexes dans la façon d’appré­
hender l’épreuve. «Les hommes ont tendance à être
davantage en mode compétition que les femmes. Elles
courent davantage dans un état d’esprit de plaisir, du
moins sur les petites distances, ce qui pourrait expli­
quer leur moindre niveau de fatigue à l’arrivée. Cela
semble moins vrai pour des épreuves d’ultra», détaille
Guillaume Millet.
Malgré ces atouts, les femmes ont deux désavanta­
ges physiologiques qui expliquent qu’elles ont globa­
lement du mal à battre les hommes sur les épreuves
d’endurance. Leur capacité à transporter l’oxygène
dans le sang est plus faible et leur proportion de
masse grasse plus élevée, «un handicap en course, un
peu moins à vélo, pas du tout en natation», précise
Guillaume Millet. Il observe cependant que les fem­
mes peuvent davantage utiliser leurs réserves lipidi­
ques à l’effort que les hommes, ce qui leur permet
d’économiser des glucides. «C’est un autre atout sur
les courses d’endurance», conclut­il. 

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