Il a 88 ans : valide mais dément sénile en institution, en fibrillation auriculaire sous AVK, porteur d’une cardiopathie ischémique avec une fraction d’éjection à 25 %, il est transféré vendredi en début d’après-midi de son foyer-logement avec une ischémie subaiguë de la jambe par embolie sous AVK efficace. Une embolectomie est réalisable mais le pronostic est médiocre à quelques mois. Faut-il mobiliser une salle d’opération ou tenter un simple traitement symptomatique en espérant une amélioration ? A qui se référer ? Au médecin traitant ? celui-ci ne travaille pas le samedi. La famille ? elle est à 400km. Ni moi, ni l’anesthésiste, malgré nos 25 ans d’expérience ne savons ce qu’il est bien de faire. Ce brave homme sera opéré sous rachi continue, sortira au 6ème jour sans complication et décédera 6 semaines plus tard…
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La géronto chirurgie - le défi éthique et médical de la chirurgie publique des 10 prochaines années.
1. 54 Lettre du SCH N°24 - Juin 2013 S HS H www.scialytique.org
Il a 88 ans : valide mais dément sénile en institution, en fibrillation auriculaire sous AVK, porteur d’une cardiopathie ischémique
avec une fraction d’éjection à 25 %, il est transféré vendredi en début d’après-midi de son foyer-logement avec une ischémie
subaiguë de la jambe par embolie sous AVK efficace. Une embolectomie est réalisable mais le pronostic est médiocre à quelques
mois. Faut-il mobiliser une salle d’opération ou tenter un simple traitement symptomatique en espérant une amélioration ? A qui
se référer ? Au médecin traitant ? celui-ci ne travaille pas le samedi. La famille ? elle est à 400km. Ni moi, ni l’anesthésiste, malgré
nos 25 ans d’expérience ne savons ce qu’il est bien de faire. Ce brave homme sera opéré sous rachi continue, sortira au 6ème
jour sans complication et décédera 6 semaines plus tard…
Scène banale autour d’un patient de
chirurgie publique, mais scène de
géronto-chirurgie qui résume le défi
que nous allons devoir affronter si nous
souhaitons rester un tantinet médecin.
Jusqu’où aller ? Qui décide ? Quel est le
sens des soins ?
Tout est désormais possible : la chirur-
gie mini-invasive et sa technologie, les
nouvelles drogues anesthésiques et les
analgésielocorégionales ont fait presque
disparaître les contre-indications chirur-
gicales et anesthésiques. Le grand
âge, les grandes tares ne sont plus des
contre-indications.
Dans ces cas limites, il nous faudrait le
temps de la réflexion, mais ce temps
nous est désormais refusé car « time is
money » et l’efficience organisationnelle
pousse aux réponses rapides,
tracées, protocolisées, validées… et
ne rien faire n’est pas encore dans le
« protocolairement correct ».
Le tsunami démographique c’est une
lapalissade, un truisme de rappeler
que la population vieillit. Mais ce n’est
pas une lente montée des eaux : c’est
Le défi éthique et médical de la chirurgie
publique des 10 prochaines années
La géronto-chirurgie
un déferlement qui va nous submerger
à partir de 2015. La population qui
consomme la moitié des soins, est celle
comprise entre 70 et 80 ans. Ceux qui
atteignent cette décade en 2013, sont
nés en 1943, soit 480 000 français. A
partir de 2015, ce sont 800 000 français
qui vont avoir 70 ans, soit tous les ans,
300 000 français de plus vont arriver
sur un marché des soins saturé et dans
un pays financièrement exsangue. (cf.
schémas)
La dette de la France : no comment !
Une autre évidence que de dire que tout
le monde savait, mais que personne ne
voulait voir, ni entendre.
Il faut donc nous préparer à soigner
mieux, plus de patients, avec moins
de moyens.
Le chirurgien, l’anesthésiste et les
équipes paramédicales ne peuvent pas
rester seuls à porter cette problématique.
Ils ne vont plus en avoir le temps, ils
vont s’épuiser et vont prendre des
décisions irrationnelles. (Pour peu qu’au
même moment, au bout du couloir,
un costard/cravate, bien coiffé, aux
dents blanches, la tablette à la main
viendra évaluer pour la nième audit, la
qualité de la prescription médicale en
vue de l’accréditation nième version…!).
Il va falloir penser la prise en charge
de cette géronto-chirurgie. Et surtout,
intégrer que pour résoudre les problèmes
éthiques, il faut du temps pour chaque
patient, de la disponibilité et une vision
globale.
Que suggérer ?
En préambule, cette problématique
doit être reconnue par l’administration
sanitaire.
Dans un deuxième temps, soutenir
que la décision thérapeutique est
pluridisciplinaire : gériatre, médico-
social, chirurgien et anesthésiste
devront trouver des solutions singulières
pour chaque patient, en accord avec le
patient et sa famille.
Ensuite, il faut prioriser l’aspect
médico-social. Pour associer efficience,
disponibilité, empathie et temps, une
solution serait de regrouper ces patients
de géronto-chirurgie dans un service
spécifique, regroupant des spécialités
chirurgicales différentes, avec comme
dénominateur commun de ces patients
le problème éthique et médicosocial
qu’ils posent.
Enfin, une action de communication
spécifique vers le grand public devra
faire sortir cette problématique des
services de chirurgie.
Les chirurgiens, avec les anesthésistes,
doivent défendre une prise en charge
proportionnée et adaptée de ces
patients de géronto-chirurgie. A court
terme, Il est actuellement plus facile et
financièrement plus rentable d’opérer les
patients. La technologie l’autorise. Mais,
à long terme, il nous faut trouver d’autres
voies pour accueillir respectueusement
chaque patient de la déferlante
démographique qui, non anticipée,
déstabilisera les établissements de
soins.
Bernard Lenot
La décade des 70 ans
2010
FEMALEMALE
France : 2010
La décade des 70 ans
2020
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France : 2020