1. LE COURRIER
FOCUS
SAMEDI 19 OCTOBRE 2013
3
GENÈVE
Anne Emery-Torracinta,
la rigueur des
convictions
PAULINE CANCELA
Arrivée en politique sur le tard, en
2005 seulement alors qu’elle avait 47
ans, la socialiste Anne Emery-Torracinta s’est rapidement taillé une réputation d’honnêteté et de sérieux au
parlement genevois. Elle est très profilée sur les questions sociales, engagée dans le milieu associatif depuis
des années, mais n’a pas d’expérience
dans un exécutif à faire valoir. Cette
enseignante d’histoire est toutefois
sortie en tête des candidats de gauche
au premier tour des élections, tout juste derrière les six premiers de l’Entente et du MCG.
C’était presque une surprise pour
la politicienne qui a essuyé deux revers en la matière. En 2009, les socialistes lui avaient préféré la candidature
de Véronique Pürro. Puis en 2012, elle
s’était fait massacrer par le libéral-radical Pierre Maudet lors de la partielle
visant à remplacer Mark Muller. Ce
mauvais score de Mme Emery-Torracinta, qu’on disait pourtant grande favorite, a forcé l’Alternative à une douloureuse introspection. «Ce n’est pas
moi qui ai perdu, mais Pierre Maudet
qui a gagné», analyse aujourd’hui
l’intéressée.
Celle qui s’est lancée dans l’arène
après avoir élevé ses trois enfants a rapidement séduit la classe politique
par sa maîtrise des dossiers. «Elle a
réalisé un vrai travail parlementaire, là
ou certains représentants de la gauche
n’ont pas dépassé la posture», relève le
député Christian Dandrès, son
collègue de parti.
Sa participation à la commission
des finances, qu’elle a présidée jus-
qu’en septembre dernier, lui a permis
d’acquérir une vision transversale des
politiques publiques. Mais la parlementaire s’est surtout fait connaître
pour son engagement «tenace» en faveur de l’emploi et de la justice sociale.
Les Genevois lui doivent en partie
l’augmentation des allocations familiales.
C’est aussi elle qui a livré bataille
face au conseiller d’Etat libéral-radical
François Longchamp au moment de la
révision de la loi sur le chômage.
Mme Emery-Torracinta a toujours été
très critique, sur les emplois de solidarité notamment: «L’Etat ne peut pas
cautionner la sous-enchère salariale.
Si on doit garder cette prestation, il
faut un véritable encadrement et des
salaires plus élevés. Le système montre
à l’heure actuelle qu’il y a des vrais besoins qui méritent de vrais emplois.»
«C’est une femme de convictions, se
réjouit le Vert Christian Bavarel. Si elle
va au Conseil d’Etat, ce ne sera pas
pour faire de la figuration.»
«M. Longchamp a enfumé tout le parlement. Elle a véritablement réussi à
casser son discours», ajoute Christian
Dandrès. Ce combat, Mme EmeryTorracinta entend le poursuivre au
gouvernement, bien qu’en arrondissant un peu les angles.
«En amont, il y a une vraie réflexion
à avoir sur le soutien aux petites entreprises en termes de création d’emplois
et de places d’apprentissages. En aval,
je milite pour des soutiens personnalisés aux personnes au chômage et des
formations réellement qualifiantes»,
raconte la candidate.
L’accent de cette campagne sera mis sur les priorités que sont l’emploi, la formation et le logement. Ici, la grande manifestation
syndicale du 1er juin visant à apporter une réponse de gauche au dumping salarial et à la sous-traitance. KEYSONE
Si elle ne vise aucun département
en particulier, la Rose met l’accent sur
la question sociale. «Il est temps de replacer le curseur sur l’emploi. Genève
a toujours le taux de chômage le plus
élevé de Suisse et une augmentation
constante des coûts de l’aide sociale.
Les enjeux financiers sont donc
énormes.»
Ses convictions lui valent logiquement les critiques de la droite. «Mme
Emery-Torracinta s’est profilée très
fort sur ces thématiques, et on n’a pas
bien vu sa polyvalence», observe Béatrice Hirsch, députée et présidente des
démocrate-chrétiens. On la dit capable de faire des compromis, mais
«dogmatique», voire «psychorigide»
sur ses thèmes de prédilection.
«Je salue sa ténacité, mais elle a
une vision très théorique de la société
qui démontre une méconnaissance
du monde de l’entreprise», attaque le
PLR Pierre Weiss, qui siège avec elle
aux Finances. «Mais j’admire son
combat sur le handicap.» Mère d’une
fille autiste, la socialiste a beaucoup
œuvré pour intégrer cette question
dans les politiques publiques et préside depuis dix ans Insieme Genève.
A gauche, la candidate est plutôt
perçue comme atypique, capable de
défendre des valeurs tout en allant
chercher les accords. Mais aura-t-elle
une marge de manœuvre dans un
gouvernement dominé par la droite?
«J’en suis convaincue, mais cela dé-
pendra de la répartition des dicastères. Avec un bon dossier, on peut
se tenir à des convictions et les défendre avec pragmatisme. Je n’exclus
pas que cela passe par des compromis», répond l’intéressée.
Jusqu’à accepter une baisse
d’impôt comme le sortant Charles
Beer en 2008? «J’aurais accepté la baisse pour les familles, mais pas celle qui
a été approuvée par le Grand Conseil.
J’aurais dit qu’elle allait trop loin.»
Mais la politicienne ne croit ni à la politique du pire ni au Grand Soir. «On
peut déplorer le système consensuel,
mais mieux vaut être à l’intérieur pour
cadrer le libéralisme. Même dans ce
contexte, je crois à un Etat régulateur
et redistributif.» I