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Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
1
KEDGE BUSINESS SCHOOL
__________
MÉMOIRE DE RECHERCHE
Master 2 Marketing – Programme Grande Ecole
__________
Approche des concepts de "marque cool" et de
"marque authentique" par des jeunes Français
membres et non-membres de la culture hip-hop
Loubna MOUDNI
_____________________________________________________________________
Sous la direction de : M. Michaël KORCHIA
Soutenu le 8 juillet 2022
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
2
Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n’engagent
en aucun cas KEDGE Business School et le Programme Grande Ecole.
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
3
REMERCIEMENTS
Je tiens à témoigner toute ma gratitude à ma mère, mon père, et ma sœur, pour leur patience,
leur disponibilité, et leurs encouragements.
Je remercie Jérôme pour ses précieux conseils.
J’adresse toute ma reconnaissance à mon directeur de mémoire, Monsieur Michaël Korchia,
qui a accepté d’encadrer ma recherche.
Enfin, je remercie toutes les personnes qui m’ont consacré du temps pour participer à cette
étude :
Olivia Gil Juliette Anna
Shaï Sana Flavien Marie
Rayan Camille Louis Julia
Hera Abdoulaye Antoine Arthur
Ahmed Rubens Sarah
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
4
RÉSUMÉ
Cette recherche étudie l’influence des concepts de "marque cool" et de "marque
authentique" sur la perception des marques et les choix de consommation de jeunes Français
membres et non-membres de la culture hip-hop.
Les résultats de notre étude soulignent que, selon leur niveau d'implication dans la culture
hip-hop, les jeunes n'apprécient pas les concepts de "marque cool" et de "marque
authentique" de la même façon. De plus, bien que l’authenticité soit une valeur centrale au
sein du hip-hop, cette notion ne guide pas nécessairement les choix de consommation
des jeunes Français membres de la communauté hip-hop. À l’inverse, les jeunes
extérieurs au hip-hop en tiennent davantage compte pour orienter leurs achats.
Par ailleurs, reprendre certains codes du hip-hop pour paraître "cool" et "authentique" est
une stratégie de marque décriée par les membres les plus impliqués dans le hip-hop. Et, si les
jeunes les moins impliqués dans ce mouvement apparaissent plus réceptifs à cette
stratégie, ils suggèrent toutefois la nécessité pour les marques d’entretenir un rapport
crédible et non-essentiellement mercantile avec la culture hip-hop pour être cool et/ou
authentiques.
Mot clés : marque cool, marque authentique, culture hip-hop, sous-culture de
consommation.
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
5
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS............................................................................................................................3
RÉSUMÉ..........................................................................................................................................4
TABLE DES MATIÈRES......................................................................................................................5
INTRODUCTION..............................................................................................................................8
PARTIE 1 : L’ETUDE THEORIQUE....................................................................................................11
I. L’authenticité, une notion philosophique exploitée par les marques................................12
A. L’authenticité, un concept philosophique transversal....................................................12
a) Approche historique et philosophique de l’authenticité – un concept en débat......12
b) Approche moderne de la notion d’authenticité – un concept associé aux marques13
B. L’authenticité, un concept marketing central.................................................................15
a) L’authenticité, un concept de marque appréhendé différemment selon les
consommateurs...................................................................................................................15
b) L’authenticité, un concept publicitaire permettant à la marque d’augmenter sa
rentabilité ............................................................................................................................17
II. L’authenticité, un critère propre au concept de brand coolness.......................................18
A. Brand coolness, l’émergence d’un nouveau concept marketing .............................18
a) Le cool associé aux marques, un concept multidimensionnel...................................18
b) Le cool associé aux marques, un concept mouvant ...................................................20
B. La condition de l’authenticité dans la construction des marques cool.........................22
a) L’authenticité, un critère essentiel aux marques pour être cool ...............................22
b) L’authenticité, une caractéristique que les marques cool entretiennent et
valorisent .............................................................................................................................23
III. L’authenticité, une valeur au cœur de la sous-culture de consommation hip-hop
.............................................................................................................................................24
A. La culture hip-hop, les origines d’une nouvelle source d’inspiration pour les marques...
...........................................................................................................................................24
a) La culture hip-hop, la naissance d’un courant artistique engagé...............................24
b) La culture hip-hop, apparition d’une communauté plurielle .....................................26
B. La culture hip-hop, avènement d’une sous-culture de consommation « authentique »..
.........................................................................................................................................28
a) L’importance de la notion d’authenticité dans le hip-hop.........................................28
b) L’importance des choix de consommation « authentiques » pour les membres du
hip-hop ................................................................................................................................30
PARTIE 2 : L’ETUDE DE TERRAIN...................................................................................................33
I. Description de l’étude terrain .............................................................................................34
A. Objectif de l’étude de terrain..........................................................................................34
B. Détail du protocole..........................................................................................................35
C. Marques sélectionnées ...................................................................................................36
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
6
D. Répartition initiale des répondants.................................................................................41
II. Analyse de l’étude de terrain ..............................................................................................42
A. Les membres extérieurs à la culture hip-hop .................................................................42
a) Les marques cool, des marques simples qui s’inscrivent dans l’actualité.................42
b) Les marques authentiques, des marques à la fois constantes et éthiques...............43
c) « Marque cool » et « marque authentique », une corrélation idéale à atteindre.....44
d) L’utilisation des codes de la culture hip-hop pour communiquer, une stratégie
intelligente mais excluante..................................................................................................45
B. Les membres périphériques de la culture hip-hop.........................................................47
a) Les marques cool, entre activistes et « fausses cool » ...............................................47
b) Les marques authentiques, la culture du savoir-faire et de la transparence............48
c) « Marque cool » et « marque authentique », deux concepts distincts mais
compatibles .........................................................................................................................48
d) L’utilisation des codes de la culture hip-hop pour communiquer, une stratégie
efficace mais parfois maladroite .........................................................................................49
C. Les membres softcore de la culture hip-hop.................................................................50
a) Les marques cool, des marques populaires et créatives............................................50
b) Les marques authentiques, des marques iconiques fidèles à leurs propres codes.......
.....................................................................................................................................51
c) « Marque cool » et « marque authentique », un lien de causalité controversé........52
d) L’utilisation des codes de la culture hip-hop pour communiquer, une stratégie
influente et bien accueillie ..................................................................................................53
D. Les membres hardcore de la culture hip-hop................................................................54
a) Les marques cool, des marques fonctionnelles et cohérentes .................................54
b) Les marques authentiques, des marques honnêtes et singulières ...........................55
c) « Marque cool » et « marque authentique », la prédominance du critère
d’authenticité ......................................................................................................................57
d) L’utilisation des codes de la culture hip-hop pour communiquer, une stratégie de
marque dépassée et néfaste...............................................................................................58
PARTIE 3 : LA DISCUSSION............................................................................................................62
A. Approches des concepts de « marque cool » et de « marque authentique »...............63
B. Lien entre les concepts de « marque cool » et de « marque authentique » .................64
C. Influence de l’authenticité sur la perception des marques et les choix de
consommation.........................................................................................................................64
D. Impact des stratégies de communication utilisant les codes de la culture hip-hop......65
CONCLUSION................................................................................................................................67
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
7
Limites de cette étude.................................................................................................................68
Implications managériales...........................................................................................................68
Pistes de recherches....................................................................................................................69
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................70
ANNEXES ......................................................................................................................................76
A. Les membres extérieurs à la culture hip-hop .................................................................77
1) Arthur ..........................................................................................................................77
2) Julia..............................................................................................................................84
3) Anna.............................................................................................................................89
4) Marie ...........................................................................................................................96
B. Les membres périphériques de la culture hip-hop.......................................................103
1) Juliette .......................................................................................................................103
2) Flavien........................................................................................................................109
3) Louis...........................................................................................................................117
4) Antoine ......................................................................................................................123
C. Les membres softcore de la culture hip-hop...............................................................130
1) Gil...............................................................................................................................130
2) Rubens.......................................................................................................................136
3) Sana ...........................................................................................................................143
4) Abdoulaye..................................................................................................................150
5) Camille.......................................................................................................................156
D. Les membres hardcore de la culture hip-hop..............................................................163
1) Olivia..........................................................................................................................163
2) Shaï ............................................................................................................................170
3) Rayan .........................................................................................................................178
4) Hera ...........................................................................................................................185
5) Ahmed .......................................................................................................................194
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
8
INTRODUCTION
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
9
Alors qu’en 2021 le classement annuel du Snep (Syndicat national de l'édition
phonographique) révélait que les trois artistes les plus écoutés en France étaient les rappeurs
Jul, Ninho, et Orelsan ; en janvier 2022, l’inauguration de l’exposition Hip-hop 360 à la
Philharmonie de Paris cristallisait l’importance du mouvement hip-hop au sein de la société,
une culture pourtant longtemps dénigrée par les politiques et les institutions.
La culture hip-hop est définie par l’anthropologue américain Samy Alim comme la mode, la
musique, la danse, l'art, l'attitude, le langage, et les expériences partagées par toute personne
pratiquant ou consommant au moins un des quatre éléments suivants du hip-hop : le rap, le
breakdance, l'art du graffiti, et le DJ-ing. Né aux Etats-Unis à la fin des années 60, ce mouvement
est apparu en premier lieu comme une alternative à la violence qui ébranlait les quartiers
pauvres de New-York. Puis, porté par des valeurs de liberté, de solidarité, et d’épanouissement
individuel et collectif, le hip-hop a su séduire une large partie de la population, passant de
mouvement artistique et politique alternatif, à sous-culture de consommation majeure dans le
monde.
Depuis son arrivée en France dans les années 80, la culture hip-hop s’est massivement
développée, devenant de nos jours une culture incontournable, autant pour les
consommateurs que pour les marques.
A travers cette recherche, nous avons choisi d’aborder le phénomène de mercantilisation du
hip-hop en appréhendant le point de vue d’une partie de la communauté hip-hop française.
Si certaines recherches ont tenté d’approfondir les concepts de « marque cool » et de
« marque authentique », et que d’autres ont analysé la culture hip-hop en tant que sous-
culture de consommation mondiale, notre travail vise ici à mettre en relation la perception des
marques cool, des marques authentiques et les choix de consommation de jeunes
français membres du hip-hop.
Le critère d’authenticité, par son double lien avec les marques cool et la culture hip-hop,
s’imposera comme notre axe de recherche. D’une part, cette notion constitue une valeur
centrale au sein du mouvement hip-hop et est revendiquée par de nombreux rappeurs : « J'suis
tombé, j'me suis relevé, regarde, maintenant, j'suis debout, J'suis toujours dans l'tunnel, mais
j'commence à voir le bout, Authentique depuis l'début, j'suis pas là pour leur plaire, Mais vu
qu'ça marche, mon frère, j'crois bien qu'on a eu du flair » (ZKR, 2021). D’autre part, une étude
menée en 2006 par Damien Arthur et Pascale Quester souligne que les membres du
mouvement hip-hop australien consomment les marques qu’ils considèrent authentiques pour
en faire des repères symboliques et revendiquer leur appartenance à cette culture, et une
étude menée en 2019 par Warren, Batra, Loureiro, et Bagozzi auprès d’un panel de
consommateurs européens et américains a démontré que ces derniers perçoivent
l’authenticité comme une caractéristique propre aux marques cool.
Question de recherche :
La perception et l’attitude de consommation de jeunes Français membres de la culture hip-hop
envers les « marques cool » sont-elles influencées par le critèred’authenticité?
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
10
Sous-questions de recherche :
Comment les jeunes Français membres de la culture hip-hop appréhendent-ils les concepts
de « marques cool » et de « marques authentiques » ? Quelle relation établissent-ils entre ces
deux concepts ? Dans quelle mesure ces concepts influencent-ils leur perception des marques ?
Quelle importance accordent-ils à chacun de ces concepts pour orienter leurs choix de
consommation ?
Afin de pouvoir répondre à notre question de recherche, nous avons opté pour une étude
en trois parties. La première partie constitue une approche théorique dans laquelle
nous étudierons l’authenticité en tant que concept philosophique et marketing central.
Puis, nous analyserons cette notion à travers le prisme du concept de « marque cool ». Enfin,
nous aborderons l’authenticité en tant que valeur au cœur de la sous-culture de
consommation hip-hop.
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
11
PARTIE 1 : L’ETUDE THEORIQUE
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
12
I. L’authenticité, une notion philosophique exploitée par les marques
A. L’authenticité, un concept philosophique transversal
a) Approche historique et philosophique de l’authenticité – un concept en débat
« I’m not acting. This is who I am. »1
. En 2016, un article publié dans le Washington Post
relayait cette déclaration de Donald Trump commentant son rôle dans l’émission de téléréalité
« The Apprentice ». Au-delà de sa dimension politique, cette phrase peut servir d’introduction
à une réflexion philosophique plus poussée autour des concepts d’authenticité et d’« idéal
d’authenticité personnelle » (Romano, 2020). Ici, Donald Trump sous-entend que ses actes,
parce qu’ils constituent son identité, témoignent de son authenticité – ou de son intégrité
totale envers lui-même et les autres. Il n’en demeure pas moins que si la notion d’authenticité
peut être appréhendée comme une valeur pure provenant du plus profond de chacun, elle peut
aussi renvoyer à une construction sociale, tributaire des choix et engagements que l’on fait.
Etudiée par les philosophes depuis l’époque antique, cette notion interroge finalement sur ce
qu’est l’essence d’un être, l’essence d’une situation, le vrai. Dans son dictionnaire, Le
vocabulaire technique et critique de la philosophie, André Lalande définit le terme
« authentique », au sens propre, comme le caractère « d’un document ou d’une œuvre
émanant réellement de l’auteur auquel ils sont attribués », en opposition à un supposé
« faux ». Au sens courant, ce qui est « authentique » est comparable à ce qui est légitime,
sincère, ou conforme à son apparence. Issu du grec ancien « authentikós », et du latin «
authenticus » qui signifie « se déterminer par sa propre autorité », l’étymologie du mot
authenticité renvoie à l’une des qualités intrinsèques de cette notion qui est de conférer
autorité aux personnes et aux objets qui la possèdent. On retrouve d’ailleurs cette idée en droit,
où un acte authentique est un acte qui fait autorité. Dans le même esprit, on peut parler de
pièces authentiques d'une collection, ou de titre authentique de noblesse.
Historiquement, Heidegger serait le premier à avoir utilisé l’authenticité comme thème
philosophique (Farmer, 1995). Dans Lettre sur l’humanisme, il définit l'authenticité, non pas
comme une « acquisition » de l'Etre – c’est-à-dire une caractéristique de l’identité qui
s’acquiert par les choix que l’on fait tout au long de notre vie – mais comme une ouverture à
l'Etre, ou une introspection poussée, visant à faire ressortir l’ « authentique » de nous-même.
Cette conception de l’authenticité inscrit Heidegger dans le courant de pensée
« expressiviste », ou romantique (Taylor, 1989). Selon ce modèle, être authentique consisterait
à écouter la « voix de la nature » qui parle à chaque personne, du « sentiment intérieur qui ne
trompe jamais ». Dès lors, une vie authentique consiste à exprimer sa nature particulière – ce
que les théoriciens de cette première lignée de penseurs appellent son « Moi » – tout devenant
expression intégrale de celui que l’on est et l’épicentre de l’être de chacun résidant avant tout
dans ce qu’il ressent. Cependant, Claude Romano (2020) souligne qu’en soutenant l’idée selon
laquelle être authentique consisterait simplement exprimer dans sa vie ses propres
dispositions, inclinations, ou opinions, le modèle « expressiviste » néglige le fait que nous
puissions manifester des inclinations susceptibles de n’être finalement pas réellement les
nôtres ou d’être dans l’illusion concernant ce que nous désirons vraiment.
1
« Je ne joue pas, c’est ce que je suis. »
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
13
A ce premier modèle de pensée s’oppose la pensée volontariste notamment incarnée par
Sartre qui considère que « La réflexion pure et authentique est un vouloir de ce que je veux.
C’est le refus de me définir par ce que je suis (Ego) mais par ce que je veux […]. Ainsi la saisie
de soi authentique n’est pas du type de l’être, c’est une volonté dirigée sur une volonté. » (Jean-
Paul Sartre, 1943, p.106). Selon ce courant, l’authenticité de chaque être réside dans sa volonté
de rester fidèle à ses choix et engagements personnels. Cependant, en admettant cela, ce
modèle empêche une possible distinction entre les engagements faussés, inadéquats – c’est-
à-dire procédant d’une forme d’étrangeté à soi ou d’aliénation – et ceux conformes à notre
être. La pensée volontariste fait ainsi apparaître le « problème difficile » de l’authenticité : il ne
suffit pas de s’engager ou de se résoudre à quelque chose pour que ce à quoi nous nous
sommes engagés ou résolu soit en adéquation avec notre être véritable, la possibilité de
l’aveuglement complet sur soi est toujours possible (Romano, 2020).
Les années 60 marquent l’avènement de la pensée expressiviste au sein de la société,
bien que, sur le plan théorique, cette pensée soit « devenue en général l’objet d’un scepticisme,
sinon d’un rejet total » de la part des philosophes (Larmore, 2004, p. 19). L’authenticité,
désormais perçue par les individus comme une « source que nous avons à atteindre […] au fond
de nous-mêmes » (Taylor, 1997, p. 44-45), a ouvert la voie à une nouvelle opportunité de
marché pour les entreprises et les marques. Ces dernières se sont progressivement imprégnées
du modèle de pensée expressiviste pour proposer aux consommateurs différentes offres
répondant au désir « d’être soi-même » : manuels de « développement personnel », coachs et
thérapies « qui promettent de nous aider à nous trouver, à nous réaliser, à exprimer notre vrai
moi » etc. (Taylor, 2007).
b) Approche moderne de la notion d’authenticité – un concept associé aux marques
L’authenticité est devenue « la pierre angulaire du marketing contemporain », elle
constitue un élément essentiel dans la construction de l’identité des marques et leur permet
de se différencier des concurrents aux yeux des consommateurs (Brown, Kozinets, et Sherry,
2003). Alors que sur un marché concurrentiel se positionner sur la base de la supériorité de ses
produits ou de ses services n'est devenu que trop commun, l'authenticité permet aux marques
d'être « vraies », sans avoir besoin d’être parfaites (Beverland, 2005). D’un point de vue
managérial, Song, Wang, et Zhao (2021) ont démontré que valoriser l’authenticité chez les
employés et les responsables génère un impact psychologique positif sur eux et favorise le
développement de meilleures attitudes de travail ; ce qui s’avère bénéfique pour le bien-être
des individus, pour les résultats de l’entreprise, et, par extension, pour l’image de la marque.
L’authenticité de la marque peut être appréhendée comme l'authenticité des offres du marché
(objets et services) basée sur les évaluations des individus, et non pas uniquement sur les
caractéristiques inhérentes à la marque, et composée d’une variété d'attributs – dans la
mesure où il n'existe aucune définition unique de l’authenticité (Bruhn, Schoenmüller, Schäfer,
et Heinrich, 2012).
De nombreux chercheurs ont contribué à l’instauration d’un cadre référentiel du concept
d’authenticité de la marque afin de déterminer comment les marques peuvent s’imprégner de
cette notion.
A partir de l'examen des stratégies de 26 entreprises du secteur du vin de luxe,
Beverland (2005) a montré que le développement d'une histoire sincère, composée de
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
14
références démontrables, au lieu, à la tradition et aux valeurs non commerciales, était crucial
pour transmettre l'authenticité de la marque en identifiant six dimensions sur lesquelles les
marques peuvent appuyer leurs stratégies de communication afin de paraître authentiques :
l’héritage et le pédigré, la cohérence stylistique, l’engagement dans la qualité, le rapport au
lieu, la méthode de production, et la minimisation des intérêts commerciaux. Ces dimensions
constituent des critères de base à l’évaluation de l’authenticité dans le contexte des marques.
Alexander (2009) souligne cependant qu’en fonction du type de marché sur lequel se
positionne une marque (consommation de masse ou de niche), les critères d’authenticité
établis par Beverland ne ressortent pas de la même manière. Ainsi, en prenant l’exemple de la
bière – un produit de grande consommation – Alexander constate que la cohérence stylistique,
le rapport au lieu, et la minimisation des intérêts commerciaux sont des critères d’authenticité
plus significatifs que l'engagement dans la qualité, la méthode de production, ou l’héritage.
D’autres études se sont concentrées sur le développement de supports de mesure
fiables de l’authenticité, permettant aux marques de mieux appréhender leur positionnement
dans l’esprit des consommateurs.
Ainsi, Bruhn, Schoenmüller, Schäfer et Heinrich (2012) ont identifié la continuité (éléments
relatifs à la stabilité, l'endurance et la cohérence de la marque), l'originalité (éléments relatifs
à la particularité, l'individualité, et l'inventivité de la marque), la fiabilité (éléments relatifs à la
confiance, la crédibilité et le respect des promesses de la marque), et le naturel (éléments
relatifs à la sincérité et la non-artificialité de la marque), comme étant quatre dimensions
propres à l’authenticité de la marque. Tandis que Napoli, Dickinson, Beverland, et Farrelly
(2014) ont analysé cette notion à partir de l'engagement qualité, l'héritage, et la sincérité, et
que Morhart, Malär, Guèvremont, Girardin, et Grohmann (2015) ont défini le concept en
termes de continuité, de crédibilité, d'intégrité, et de symbolisme.
L'authenticité a également été appréhendée comme un continuum par Napoli, Dickinson-
Delaportea, et Beverland (2016). Ces derniers ont identifié quatre statuts des marques selon
leur niveau d’authenticité – les novices, les apprenties, les professionnelles, et les maîtresses –
et en ont développés des stratégies adaptées. Le défi des marques novices consiste à établir
une base solide sur laquelle l'authenticité pourra être développée. Dans ce cas, la marque doit
minimiser les motivations de profit et l'intérêt personnel pour parvenir à créer un lien
émotionnel fort avec les consommateurs. Les marques apprenties, qui ont un niveau
d'authenticité modéré, doivent s’engager vers la promotion de la qualité de leurs produits et
de leur héritage historique. Cette approche, appelée « stratégie de culture », met l'accent sur
les compétences artisanales, les connaissances, et les traditions ancestrales exploitées par la
marque. Concernant les marques maîtresses, la poursuite de la « stratégie de culture » est un
moyen pour elles de continuer à améliorer leurs performances tout en satisfaisant les besoins
internes des consommateurs. Enfin les marques puissantes, compte tenu de leur lien avec
l'identité personnelle et sociale, doivent cultiver une « aura » d'authenticité afin d’apparaître
comme des références en matière de différenciation, sur un marché de masse.
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
15
L’authenticité est un concept au cœur des débats philosophiques et politiques de notre
société désormais intrinsèquement lié aux entreprises et aux marques. Pour ces dernières,
l’enjeu est de parvenir à s’approprier au mieux cette notion afin d’en faire un outil marketing
convainquant et différenciant sur le marché.
B. L’authenticité, un concept marketing central
a) L’authenticité, un concept de marque appréhendé différemment selon les
consommateurs
Pour évaluer l’authenticité des marques, Napoli, Dickinson, Beverland et Farrelly (2013)
expliquent que les consommateurs utilisent une combinaison de plusieurs éléments distincts.
Les auteurs définissent l’authenticité de la marque comme étant « une évaluation subjective
de l'authenticité attribuée à une marque par les consommateurs », ce qui suggère qu’il existe
de multiples façons de la définir. Dans le contexte de l’industrie du tourisme, Céline Cravatte
(2009) souligne également que l’authenticité peut être appréhendée différemment selon que
l’on adopte le point de vue du scientifique (l’anthropologue), ou celui du consommateur (le
touriste) et reprend la distinction proposée par Tom Selwyn (1996) entre authenticité « froide »
des premiers – perception reposant sur des critères scientifiques – et authenticité « chaude »
des seconds – perception fondée sur des mythes, des ressentis, et des expériences vécues.
Plusieurs études ont tenté de décomplexifier cette notion plurivoque en identifiant des critères
à partir desquels les consommateurs construisent leur propre conception de l’authenticité.
L’authenticité s’inscrivant dans la recherche identitaire des consommateurs, il apparait
fondamental pour les marques de pouvoir saisir les différentes interprétations qu’ils en font
(Napoli, Dickinson, Beverland, Farrelly, 2013).
En s'appuyant sur plusieurs entretiens approfondis, Beverland et Farelli (2010) ont
cherché à déterminer si les individus sont motivés ou non par des objectifs personnels
spécifiques lorsqu’ils consomment les marques qu’ils considèrent « authentiques ». Les
résultats de cette étude montrent que les consommateurs recherchent l’authenticité à travers
différentes expériences et marques afin de répondre à trois ambitions principales
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
16
« identitaires » : le contrôle, la connexion, et la vertu. Dans un objectif de contrôle, les individus
vont associer l’authenticité à la maîtrise de leur environnement et de leur vie en général. Ainsi,
un surfer interrogé explique rejeter les influences sociales – telles que la mode ou la pression
des pairs – pour orienter ses choix de consommation, et considère « authentiques » les
marques qui l’aident à atteindre la maîtrise personnelle de son activité (le surf). D’un autre
point de vue, les individus peuvent rechercher l’authenticité dans la connexion avec un groupe
de pairs, un lieu, une culture, ou une société, afin de devenir membre actif d’une communauté
et développer un « soi authentique ». Ces derniers vont considérer « authentiques » les
marques locales ou les marques spécialisées dans leur domaine qui ciblent des passionnés
d’une activité et proposent une expérience de connexion et de partage. Enfin, les individus
peuvent associer l’authenticité à la vertu, la moralité, ou l’éthique. En ce sens, une marque peut
être considérée « authentique » si elle respecte les droits de ses employés, ou fixe des prix
raisonnables à ses produits dans le but de pouvoir en faire profiter le plus grand nombre.
Par ailleurs, le cadre de correspondance de l’entité-référente d'authenticité – Entity-
Referent Correspondence (ERC) – développé par Moulard, Raggio et Folse (2021) définit
l’authenticité comme étant la perception du consommateur du degré de correspondance ou
de « vérité » d’une entité supposée authentique, à un point de référence. L'ERC distingue trois
types d'authenticité : le vrai par rapport à l'idéal, le vrai par rapport aux faits, le vrai par rapport
à soi-même. Par-là, sont notamment établis des réseaux nomologiques expliquant comment
les consommateurs construisent leurs perceptions pour chacun des types.
L'authenticité fidèle à l'idéal est définie comme la perception par un consommateur de la
mesure dans laquelle les attributs d'une entité correspondent à une norme socialement
déterminée. En ce sens, une chanson de musique country (correspondant ici à l’« entité ») sera
considérée « authentique » si ses attributs correspondent au modèle communément accepté
de la musique country. Ce premier type d’authenticité renvoie donc à l’existence d’un
consensus déterminant les attributs de l'idéal (ici, la musique country). Or, s’il ne peut exister
une authenticité absolue de l’idéal – en raison de la nature socialement construite, donc
changeante, de cet idéal – dans certains cas, un fort consensus peut être établi à partir de
critères objectifs. Par exemple, le Comité Interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC), une
organisation qui promeut « l'authentique Champagne », a publié des critères stricts pour qu'un
vin puisse être étiqueté « Champagne ». Si les marques peuvent communiquer autour d’un
idéal pour influencer les consommateurs, ces derniers peuvent également former des idéaux
différents de ceux vers lesquels la marque souhaitait les diriger. En outre, différentes
communautés de consommateurs peuvent concevoir des idéaux de marque distincts.
L’authenticité fidèle aux faits est, quant à elle, définie comme la perception par le
consommateur de la mesure dans laquelle les informations communiquées sont conformes à
la réalité. Ce type d’authenticité diffère de l’authenticité par rapport à l’idéal en ce qu’ici,
l’élément de référence est statique, et non pas une construction évolutive. Dans le contexte
des marques, les consommateurs vont considérer qu’une marque est authentique si elle
communique des informations précises et avérées sur les produits qu’elle commercialise.
Enfin, l'authenticité fidèle à soi-même est la perception par un consommateur de la mesure
dans laquelle le comportement d'une entité correspond à ses motivations intrinsèques. Tout
comme pour l’authenticité fidèle à la réalité, le vrai selon soi se réfère à une entité fixe. Par
exemple, une « marque authentique » est une marque mettant en avant des motivations
personnelles (passion pour une activité, enthousiasme vis-à-vis d’un domaine etc.) plutôt que
commerciaux (rentabilité du commerce, forte demande etc.).
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
17
Finalement, au-delà des différences de perceptions, d’expériences, et de choix de
consommation, le point commun à tous les consommateurs réside dans leur volonté d’acquérir
une forme d’authenticité (Beverland et Farelli, 2010).
b) L’authenticité, un concept publicitaire permettant à la marque d’augmenter sa
rentabilité
Avec l’avènement des campagnes publicitaires digitales diffusant des images irréalistes
du corps humain, et notamment des corps féminins, l'authenticité perçue par les
consommateurs est devenue un facteur déterminant leur attitude à l’égard des marques et
orientant leurs décisions d’achats. Plusieurs études ont cherché à savoir comment les
consommateurs perçoivent les publicités de marques « authentiques » en expliquant la
manière dont ce type de contenu influence leurs décisions d’achat, afin d’établir un lien entre
authenticité perçue et rentabilité de la marque.
Dans une série de trois études expérimentales menées auprès d’un groupe de femmes
issues de la génération des « Millenials » (individus nés entre 1985 et 1995), Cornelis et Peters
(2017) ont examiné l’impact d’une image publicitaire, selon qu’elle soit retouchée ou non, sur
la satisfaction des femmes vis-à-vis de leur propre apparence, sur leur attitude envers la
publicité et leurs intentions d'achat auprès de la marque, ainsi que sur leurs jugement à l’égard
du physique d'autres femmes (non-mannequins). Les résultats de la première étude montre
que, lorsqu'elles sont exposées à une clause de non-responsabilité indiquant que le modèle n'a
pas été retouché, les femmes sont à la fois plus satisfaites de leur apparence, ont une plus
grande attitude envers la publicité, et ont l'intention d'acheter la marque. La seconde étude
complète la première et définit le concept d'authenticité à partir de deux composantes : le
réalisme (vraisemblance de l’image par rapport à la réalité) et la signification (fait que la
publicité ait du sens pour le consommateur). Ses résultats montrent que le réalisme du modèle
publicitaire entraine une perception positive des consommatrices à l’égard de la publicité sans
retouches et améliore le jugement qu’elles portent sur elle-même, tandis que le message
véhiculé par la publicité sans retouches influence positivement leurs intentions d’achats. Enfin,
la troisième étude montre que si la publicité sans retouches a des effets positifs sur la
perception que les femmes ont d’elles-mêmes, ce phénomène n’apparaît pas lorsqu’il s’agit du
jugement qu’elles portent sur d’autres femmes. Ainsi, après avoir été exposées à une publicité
sans retouches, les « Millenials » interrogées évaluent les autres femmes « Millenials »
auxquelles elles s'identifiaient (groupe de pairs) comme étant moins attrayantes. A travers ces
études, Cornelis et Peters tentent de démontrer que, plus la publicité d’une marque est perçue
par les consommateurs comme étant authentique, plus ils auront tendance à acheter les
produits de cette marque et, par extension, que l’authenticité perçue de la marque peut être
considérée comme un facteur de rentabilité de cette dernière.
Shoenberger, Eunjin et Johnson (2020) font également ce constat dans une étude analysant les
contenus publicitaires sur le réseau social Instagram. Cette étude révèle que l'intention
d'acheter les articles portés par les mannequins dans les publicités Instagram est plus élevée
lorsque le mannequin est un « mannequin grande taille », et lorsque son physique n’a pas été
retouché (laissant apparaître les imperfections, les tatouages etc.). Ici, les chercheurs montrent
que l’authenticité des mannequins perçue par les consommateurs influence leur appréciation
des produits et de la marque, et motive leurs décisions d’achats.
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
18
Cependant, Becker, Wiegand et Reinartz (2019) nuancent ces résultats en montrant que
la corrélation entre l’authenticité publicitaire et la rentabilité de la marque n’est pas toujours
positive. Ces chercheurs ont identifié quatre dimensions de l’authenticité dans le contexte de
la publicité : la préservation de l’essence de la marque, le fait d’honorer le patrimoine de la
marque, la présentation d’un scénario réaliste, et la transmission d’un message crédible. Ils ont
ensuite examiné 323 publicités télévisées portant sur 67 marques et quatre années, afin de
comprendre l’influence exercée par ces quatre dimensions sur les performances de vente des
produits annoncés. Parmi les résultats, les chercheurs constatent qu’une publicité conforme à
l'essence de la marque a un effet positif sur les ventes dans la plupart des cas, mais un message
publicitaire trop honnête peut également nuire aux performances. Ce dernier point est
particulièrement vrai pour les produits hédoniques pour lesquels les consommateurs
s'appuient davantage sur des informations subjectives pour prendre leurs décisions d'achat.
Une publicité utilisant la phrase « Ce gel douche apporte à votre peau toutes les vitamines
essentielles » peut être un réel succès auprès des consommateurs quand bien même
l’assertion n’est pas vérifiée. De plus, pour les petites marques qui se lancent, utiliser une
allégation exagérée peut stimuler leur notoriété et les aider à se démarquer sur le marché.
L’authenticité peut donc être un concept publicitaire permettant à la marque d’attirer les
consommateurs et d’augmenter sa rentabilité, cependant, les marques ne peuvent pas
simplement se reposer sur les critères établis de cette notion pour construire leurs stratégies
de communication. Il s’agit notamment pour elles de tenir compte de la demande des
consommateurs, des caractéristiques des produits qu’elles vendent, et de la taille de leur
marché.
II. L’authenticité, un critère a propre au concept de brand coolness2
A. Brand coolness, l’émergence d’un nouveau concept marketing
a) Le cool associé aux marques, un concept multidimensionnel
Selon Grossman (2003), le cool est « notre ressource naturelle la plus précieuse : une
substance invisible et impalpable qui peut conférer une valeur fantastique à une marque
particulière d'un produit par ailleurs interchangeable - une basket, un jean, un film d'action ».
Si le cool est tant désiré par les marques et par les consommateurs, il n’en existe aucune
définition précise. Les études menées autour de ce concept s’accordent cependant sur quatre
de ses propriétés : le cool est une construction sociale, le cool est un concept dynamique qui
évolue avec le temps, le cool est un concept subjectif qui dépend des goûts de chacun (Warren,
Batra, Loureiro, et Bagozzi, 2019), et le cool se distingue du désirable par son critère
d’autonomie – critère défini comme la volonté et la capacité de suivre son propre caractère ou
ses propres motivations, sans tenir compte des normes, des croyances, et des attentes des
autres (Warren et Campbell, 2014). Ainsi, les consommateurs considèrent une marque comme
étant cool en fonction du contexte (par exemple, selon qu’ils soient sur son lieu de travail ou
en boîte de nuit, ils identifieront différentes paires de chaussures comme étant cool, et, par
extension, différentes marques de chaussures), en fonction du degré d’autonomie de la
2
Traduction en anglais de l’expression « marque cool »
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
19
marque (capacité de la marque à se détacher des normes), et en fonction de la construction
sociale et de l’époque au sein desquelles elle évolue. De nos jours, les marques « chassent le
cool » dans le but de devenir celles que tout le monde veut représenter. Pour devenir cool,
elles doivent adopter une vision à long terme, être capables de se réinventer, rester petites
tout en devenant grandes, et accepter de prendre des risques pour attirer et convaincre les
consommateurs (Kerner, Pressman, 2007). Afin de mieux appréhender la
multidimensionnalité du concept de brand coolness, les chercheurs ont tenté de déterminer
des caractéristiques propres aux marques cool.
Warren et Campbell (2014) ont mené six études expérimentales visant à démontrer
empiriquement le lien entre l’autonomie d’une marque et la perception de son caractère cool
par les consommateurs. Les résultats ont montré que les consommateurs considèrent qu’un
produit dont le design s’écarte de la norme – c’est-à-dire un produit plus autonome au niveau
de son aspect – est plus cool qu’un produit dont le design s’y conforme. Ainsi, par extension,
une marque de soda proposant un nouveau modèle de bouteille sera considérée par les
consommateurs comme étant plus cool que les autres, car plus originale, plus innovante, plus
autonome. Un autre résultat précise que pour qu’une marque soit cool, son autonomie doit
reposer sur la remise en question d’une norme établie mais considérée comme illégitime par
les consommateurs. Par exemple, en 1984, Apple diffusait sa première publicité incitant les
consommateurs à s'écarter de la norme établie par IBM/Microsoft, dictant l'utilisation d'un
type particulier d'ordinateur et de système d'exploitation. Si cette stratégie a permis à
Apple d’acquérir le statut de "marque cool", c’est parce que de nombreux
consommateurs considéraient à l’époque que la politique d'utilisation des ordinateurs
IBM/Microsoft était inutilement restrictive. C’est donc en remettant en question une norme
illégitime qu’Apple est devenue cool. Les résultats de cette étude montrent également
que, pour être cool, une marque doit cultiver un degré d’autonomie modéré – car
les marques excessivement autonomes ont tendance à être incomprises par les
consommateurs, et les marques insuffisamment autonomes à perdre leur attractivité.
Par ailleurs, selon cette étude, les consommateurs influencés par des contre-cultures
critiques à l'égard des institutions sociales dominantes ont tendance à considérer que
l’augmentation de l’autonomie d’une marque renforce son caractère cool. Enfin, les
résultats montrent également que l’identification des marques cool par les consommateurs
diffère selon s’ils cherchent à se distinguer ou à s’intégrer à un groupe de pairs.
Im, Bhat et Lee (2015) ont quant à eux étudié le lien entre la nouveauté et le
caractère cool d’un produit proposé par une marque. Leurs résultats montrent que les
consommateurs perçoivent la valeur hédonique d'un produit uniquement lorsque les
caractéristiques nouvelles de ce produit sont perçues comme cool. Certains produits
dotés de caractéristiques simplement nouvelles sont parfois considérés comme
bizarres ou absurdes (comme par exemple le téléphone résistant au feu étudié dans
cette recherche), tandis que les produits nouveaux et cool suscitent une certaine
excitation et une attitude positive. Par exemple, l'iPhone et l'iPad sont des produits non
seulement nouveaux, mais également considérés comme cool, ce qui en fait le succès.
Cette étude montre qu’une marque cool peut réduire la perception des risques liée à l’achat
d’un produit par les consommateurs en amenant ces derniers à se concentrer sur des
avantages psychologiques de l’acquisition du produit – tels que l'excitation et le plaisir – et
d’en apprécier la valeur hédonique. Ces résultats soulignent l’importance du caractère cool
associé à la nouveauté. Pour les marques, cela signifie qu’avant
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
20
de lancer un nouveau produit, elles doivent analyser les perceptions des consommateurs afin
de savoir si les caractéristiques de ce nouveau produit sont perçues comme étant significatives
ou cool et conduiront les consommateurs à l’acheter.
Enfin, Warren, Batra, Loureiro, et Bagozzi (2019) ont cherché à préciser le concept de
brand coolness et à déterminer un ensemble de caractéristiques typiquement associées aux
marques cool en utilisant une approche à méthodes mixtes (trois études qualitatives et
neufs études quantitatives). Les résultats de leur recherche ont permis d’identifier dix
caractéristiques propres aux marques cool. Ces dernières sont perçues comme étant
extraordinaires, esthétiquement attrayantes, énergiques, originales, authentiques, rebelles,
d’un statut élevé, sous-culturelles, iconiques, et populaires. Si toutes ces caractéristiques ne
sont pas nécessaires pour chaque marque et chaque segment de consommateurs, leur
recherche montre que l'augmentation de l'une tend à rendre une marque plus cool. Ainsi, les
résultats montrent que Nike est une marque considérée comme cool parce que les chaussures
qu’elle vend sont hautement désirables, esthétiquement attrayantes, dégagent une certaine
énergie, et sont considérées d'une qualité extraordinaire. La marque Apple est quant à elle cool
parce qu’elle fait preuve d'une autonomie positive en restant originale et authentique. Tandis
que la marque Harley-Davidson est devenue cool parce qu’adoptée par des motards hors-la-loi
– population issue d’une sous-culture – qui lui ont donné une image de marque rebelle et
iconique. A l’inverse, la marque BMW est cool parce qu'elle renvoie à un statut social élevé. Les
chercheurs montrent également que le cool associé à la marque influence des variables de
résultats telles que l’attitude et la satisfaction des consommateurs à l’égard de la marque, leur
intention d'en parler, et leur volonté de l’acheter.
Par l’analyse de sa construction plurielle et de ses implications diverses pour les
marques, ces différentes recherches soulignent le caractère multidimensionnel du concept de
brand coolness.
b) Le cool associé aux marques, un concept mouvant
Une marque ne naît pas cool mais peut le devenir, de la même façon qu’elle peut, à
termes, perdre son caractère cool. Le fait d'être cool a permis à des marques en phase de
démarrage (par exemple, Facebook) de s'imposer face à des concurrents établis (par exemple,
Myspace). À l'inverse, le fait de ne pas être cool a fait sombrer certaines marques populaires et
bien financées comme par exemple Segway, ou Zune (Warren, Batra, Loureiro, et Bagozzi,
2019). Les recherches ont montré que le concept de brand coolness est tributaire de divers
éléments de contexte tels que la temporalité, la construction sociale, les
appréciations subjectives etc., au sein desquels il s’inscrit. La notion de brand
coolness est donc dynamique, et c’est ce qui en fait sa complexité. Plusieurs études ont
cherché à étudier cette dimension mouvante afin de comprendre le processus par lequel une
marque peut devenir ou perdre son caractère cool.
O’Donnell et Wardlow (2000) ont proposé une théorie selon laquelle le cool trouve son
origine dans la fluctuation entre le « moi réel » et le « moi idéal » au début de l'adolescence.
Selon cette théorie, les adolescents sont incités à réduire la pulsion entre ces deux « moi » par
des stratégies d'affiliation à un groupe de pairs. Au sein du groupe, des codes sémiotiques
permettent de faire la distinction entre ce qui est cool et ce qui ne l’est pas, et construisent une
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
21
identité commune aux membres. De façon plus globale, l’agrégation des points communs entre
les différents groupes de jeunes permet d’établir ce qui est cool au sein de la société. Cette
théorie soutient l’hypothèse selon laquelle le cool est déterminé par les appréciations de
groupes d’adolescents, ce qui a donné naissance aux « chasseurs du cool » (Gladwell, 1997).
Ces derniers cherchent à anticiper les tendances futures en descellant, parmi les codes
sémiotiques de différents groupes de jeunes, des points communs concernant ce qui est
considéré comme cool. En accumulant ces points communs, le chasseur du cool peut identifier
des modes et inciter les marques à les initier afin de devenir cool. Par exemple, au milieu des
années 1990, on observe la diffusion des jeans serrés au sein de la population, une tendance
considérée cool par une majorité de groupes de jeunes de l’époque. Cette théorie permet
d’appréhender la diffusion du cool et la construction d’une « marque cool » en partant de
théories psychologiques liées à l’adolescence.
Pour déterminer comment les marques cool évoluent au fil du temps, Warren, Batra,
Loureiro, et Bagozzi (2019) ont quant à eux établi un cycle de vie du cool. Les marques
deviennent initialement cool au sein d'une sous-culture particulière (par exemple,
Quicksilver avec les surfeurs, Harley-Davidson avec les motards, Supreme avec les skaters)
dont les membres perçoivent la marque comme rebelle, autonome, désirable et de statut
élevé et l'adoptent comme un moyen de se distinguer de la masse. Par la suite, certaines
marques de niche considérée cool parviennent à s’affranchir de cette sous-culture d’origine
pour devenir cool auprès d’une cible plus large : elles deviennent des marques de masses
cool. En faisant cette transition, elles sont perçues comme moins rebelles, moins
originales, moins authentiques, moins extraordinaires, donc moins cool, par leur cible
initiale (ici, surfeurs, motards et skateurs). Mais, bien qu'elles perdent une partie de leur
autonomie, les marques de masse cool deviennent également plus emblématiques,
contrôlent une plus grande part du marché, et imposent des prix plus élevés. Si les marques
de masse cool, comme Nike, Appel ou Beyonce, sont plus populaires et rentables que les
marques de niche cool, elles doivent toutefois veiller à conserver les éléments qui les ont
rendues cool en premier lieu (désirabilité, autonomie etc.) pour ne pas perdre ce
caractère cool. Le cycle de vie proposé par les chercheurs suggère aux marques de
tenir compte de leur positionnement sur le marché (de niche ou de masse) lorsqu’elles
mettent en place des stratégies pour devenir cool. Ainsi, dans un premier temps, une
marque qui n’est pas perçue comme cool peut devenir cool sur un marché de niche en
adoptant des comportements (produits, promotions, stratégies de prix et de distribution) qui
lui donnent une apparence rebelle, originale, et authentique. Ce type de marque doit
également d’abord cultiver une relation étroite avec une sous-culture particulière plutôt que
d’essayer de s’insérer directement sur un marché de masse. Après avoir réussi à devenir
une marque de niche cool, la marque peut ensuite s’orienter vers une cible plus large tout
en conservant son autonomie (par exemple, Apple conserve son autonomie en se
positionnant comme une alternative plus avant-gardiste à Microsoft), et son lien avec la sous-
culture initiale (par exemple, Nike conserve son lien avec les athlètes de haut
niveau). Cependant, l’étude souligne que la préservation d’une image cool auprès des
consommateurs issus de la sous-culture d’origine (marché de niche) nécessite des actes
qui peuvent parfois sembler trop autonomes pour les consommateurs du marché de
masse. Dans le cas de la marque Harley Davidson, une raison possible pour laquelle ses
motos continuent d'être perçues comme cool par les motards – la sous-culture au sein
de laquelle la marque s’est d’abord développée – est que la plupart des consommateurs du
marché de masse trouvent ces motos trop bruyantes. Inversement, les marques qui
représentent un niveau d'autonomie
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
22
considéré cool par le grand public, comme Starbucks ou Gap, peuvent paraitre trop
classiques pour les consommateurs affiliés à une contre-culture (Warren et Campbell,
2014). Pour la marque cool, la difficulté devient alors de conserver un niveau d’autonomie qui
la rende cool aux yeux du plus grand nombre de consommateurs.
En étudiant l’origine et l’évolution des marques cool, ces recherches mettent en
évidence le caractère mouvant, dans le temps, au sein de la société, et sur le marché,
du concept de brand coolness.
B. La condition de l’authenticité dans la construction des marques cool
a) L’authenticité, un critère essentiel aux marques pour être cool
Le concept multidimensionnel de brand coolness accorde une place essentielle à la
notion d’authenticité. Pour être considérées cool, les marques doivent être perçues comme
authentiques.
Nick Southgate (2003) explique qu’aux yeux des « chasseurs du cool », l’authenticité est la
marque profonde d’un comportement cool. Ainsi, afin de détecter les futures tendances
qui inspireront les marques cool, les chasseurs du cool cherchent à se rapprocher de jeunes
adoptant des comportements considérés comme authentiques. Comme nous l’avons illustré
précédemment, l’authenticité est une notion multidimensionnelle et subjective, c’est
pourquoi les chasseurs du cool la traduisent de manière concrète par la capacité des jeunes à
s’exprimer. Selon les chasseurs du cool, la volonté de s'exprimer fait naturellement partie
du fait d'être cool dans la mesure où les personnes cool s’expriment dans le but de
s'engager socialement. Ce constat est d’autant plus vrai chez les adolescents chez qui
l’expression de soi est le moyen de s’intégrer auprès d’un groupe de pairs et de forcer leur
respect. L’étude de la démarche adoptée par les chasseurs du cool permet de mettre en
exergue le lien intrinsèque entre l’authenticité, le cool, et les marques. Ici, les modes et
tendances initiées par les marques cool trouvent leur origine dans la manière, considérée
comme authentique, qu’ont certains adolescents de s’exprimer au sein de la société.
A travers leur recherche menée autour du concept de brand coolness, Warren, Batra,
Loureiro, et Bagozzi (2019) montrent que l’authenticité figure parmi les dix
caractéristiques qu’ils ont identité comme étant propres aux marques cool. Ces chercheurs
ont réalisé huit études afin de mieux appréhender la manière dont les consommateurs
définissent les marques cool. Pour chaque étude, les répondants devait soit évaluer une
marque qu'ils considèrent comme cool, soit évaluer une marque qu'ils ne considèrent pas
cool, soit évaluer ces deux types de marques. A l’issue des différents groupes de discussion
organisés, l’analyse des réponses a révélé que le terme « authenticité » est le mot le plus
souvent associé aux marques cool. Les commentaires et interventions des personnes
sondées ont également montré que cette notion était associée aux marques cool de façons
différentes en fonction des individus. Par exemple, l’une des personnes interrogées soutenait
que "les marques cool n'essaient pas d'être cool et sont simplement ce qu'elles sont
vraiment.", tandis qu’une seconde personne considérait que la maison de disque Fueled By
Ramen "est une marque cool principalement en raison de son sujet et de son authenticité. [..].
elle s'est très peu écartée du genre avec lequel elle a commencé et accroît sa réputation avec
chaque nouveau
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
23
groupe alternatif à succès qu'elle cultive". Ces deux intervenants ont ici repris le concept
d’authenticité vis-à-vis de soi afin de justifier le caractère cool d’une marque. Ce type
d’authenticité, décrit par Moulard, Raggio et Folse (2021) dans leur cadre de correspondance
de l’entité-référente de l’authenticité, renvoie à perception du consommateur de la mesure
dans laquelle le comportement d'une marque correspond à ses motivations intrinsèques
(passion pour son activité, enthousiasme vis-à-vis de son domaine etc.). Selon ces deux
intervenants, une marque est cool dans la mesure où elle reste cohérente et fidèle à ses
valeurs, conservant une authenticité vis-à-vis d’elle-même. Par ailleurs, d’autres
personnes sondées ont révélé l’importance de rester continue dans le temps pour être une
marque cool. La marque Jack Daniels a par exemple été citée parmi les marques cool parce
qu’elle parvient à cultiver l’image d’une marque traditionnelle, vintage et conserve ainsi les
mêmes codes au fil des années. En ce sens, la marque est ici considérée authentique par
rapport à la construction de son histoire et de son image, ce qui explique son caractère cool.
Ces recherches soulignent l’importance de la notion d’authenticité pour parvenir
à déterminer ce qui est cool, puis pour identifier les marques cool. Les chercheurs montrent
que l’authenticité est un critère central à respecter par les marques pour être perçues
comme cool par les consommateurs.
b) L’authenticité, une caractéristique que les marques cool entretiennent et
valorisent
Si l’authenticité est une caractéristique centrale dans la définition du concept de brand
coolness, à l’ère de la modernité et des nouvelles technologies, les marques cool doivent plus
que jamais cultiver ce trait pour continuer à convaincre et attirer les consommateurs. Ces
derniers ont développé le sentiment d’être empêchés de vivre une existence « réelle », et
exigent désormais des produits qui répondent à leur demande d’authenticité (Molleda, 2010).
Dans le contexte du tourisme, Cravatte (2012) explique que la demande d’authenticité est
portée par une classe moyenne urbaine et se traduit par la quête d’un ailleurs idéalisé
échappant à la société de consommation et prenant un caractère pré-moderne, traditionnel,
harmonieux, vrai, ou singulier. Plusieurs recherches ont tenté d’analyser la façon dont les
marques cool manifestent leur authenticité afin de rester cool aux yeux des consommateurs.
Hemetsberger, Kittinger-Rosanelli, et Mueller (2011), montrent que les marques rétros
sont considérées cool par les consommateurs jeunes et moins jeunes parce qu’elles renvoient
à une forme d’authenticité à travers l’histoire, la mémoire de l'enfance, la nostalgie, et
l'intemporalité. Cette étude explique que les marques rétros apparaissent comme des objets
authentiques, des icônes de la mode, et participent par ailleurs à la quête identitaire des plus
jeunes consommateurs. En effet, les adolescents recherchent une certaine forme d’autonomie
– une distance par rapport à des valeurs et à des développements sociétaux particuliers – et,
en consommant des marques rétros, il s’opposent aux modèles de consommation établis et
apparaissent comme des « héros de la consommation non-conformiste » aux yeux de leurs
pairs. En ce sens, les marques rétros sont cool parce qu’elles permettent aux jeunes
consommateurs d’affirmer leur indépendance, cependant, en devenant des marques de
masse, elles peuvent perdre leur caractère cool en n’incarnant plus la même forme
d’authenticité.
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
24
Par ailleurs, Morris et Anderson (2015) se sont appuyés sur une étude qualitative portant
sur 115 vidéoblogs (vlogs) et un entretien approfondi avec Charlie McDonnell (vlogger
très populaire en Grande-Bretagne, qui a lancé sa chaîne Charlieissocoollike) et ont montré
que, sur Youtube, certains vloggers (vidéos bloggeurs) cultivent leur caractère cool grâce à la
diffusion d’un contenu authentique, reposant sur une définition nouvelle de la masculinité au
sein de la société. Selon les résultats de cette étude, le succès de ces youtubeurs repose
notamment sur le fait que, malgré des niveaux d’audiences très élevés et un engagement
croissant envers les médias traditionnels et les célébrités, ces derniers conservent et
entretiennent une forme d’authenticité à travers leurs choix vestimentaires, leurs
activités sociales, leur manière de s’exprimer et les valeurs qu’ils véhiculent. En misant
sur leur authenticité, ces vloggers renforcent leur caractère cool et deviennent des
marques cool de célébrités en ligne.
Finalement, dans le contexte du brand coolness, la notion d’authenticité s’étend bien
au-delà de la simple stratégie marketing. Le succès de chaînes Youtube incarnant des
valeurs et transmettant des messages forts dénote du fait que, dans un monde au sein
duquel la transparence des informations est facilitée par Internet et les médias sociaux,
la question fondamentale pour les marques cool n’est pas tant de communiquer sur leur
authenticité, mais plutôt d’apparaître dans leur ensemble comme des structures
authentiques, répondant à la fois aux besoins des employés, des consommateurs, et de
toute la société (Weinberger, Weindruch, Arnold, Gilmore, Pine II, et Brackett, 2008).
III. L’authenticité, une valeur au cœur de la sous-culture de consommation hip-hop
A. La culture hip-hop, les origines d’une nouvelle source d’inspiration pour les
marques
a) La culture hip-hop, la naissance d’un courant artistique engagé
Né à la fin des années 60 dans le quartier du South Bronx à New York, la culture hip-
hop s'articule autour de quatre activités principales : le rap, l'art du graffiti, le breakdance, et
le DJ-ing (Arthur, 2008). Au fil des années, ce courant artistique s’est massivement exporté à
travers le monde, jusqu’à devenir, de nos jours, un champ culturel majeur. Plusieurs
chercheurs ont tenté d’étudier ce mouvement afin d’en saisir les fondements, la
caractéristiques, et les enjeux politiques et sociaux sous-jacents.
Selon Fofana (2012), le mouvement hip-hop s’est en premier lieu développé à New-
York, dans les quartiers pauvres ébranlés par la violence guerres de gangs. Dans ce contexte,
les jeunes qui se retrouvaient pour faire la fête adoptent progressivement de nouveaux modes
d’expression à travers la danse, l’utilisation des platines, les joutes verbales et les fresques
murales, donnant naissance à une culture nouvelle. La sociologue souligne qu’au-delà de sa
dimension artistique, le hip-hop apparaît en premier lieu comme une alternative à la violence,
« même si aujourd’hui on met en avant la créativité, les valeurs de solidarité, il ne faut pas
oublier que le hip-hop se fonde d’abord sur la rage et la violence. Il est un dérivatif à la violence
physique, et s’en nourrit. ». Cet aspect se retrouve notamment dans les textes de musique rap,
parfois très virulents, ainsi que dans les performances chorégraphiques symbolisant l’idée de
combat : les « battles » de danse. En représentant la violence de façon créative et pacifique, le
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
25
hip-hop peut être appréhendé comme un mouvement politique, à la fois tributaire d’un
contexte et des interprétations de chacun. Par ailleurs, la sociologue détaille certaines
caractéristiques propres à cette culture. Elle insiste notamment sur l’importance de l’oralité,
« le fait de s’inscrire dans des histoires et des fragments d’histoire » en introduisant des codes
reconnus sans être établis – comme le montre l’exemple des battles de danse dont
l’organisation, sans avoir été définie officiellement, est reconnue et acceptée de tous – et
insiste sur l’enjeu fondamental de la maîtrise : c’est « la maîtrise de son art, la maîtrise de sa
pratique qui donne la légitimité et la reconnaissance des pairs ». Enfin, l’auteur explique que si
de nombreux mouvements créatifs valorisent l’introversion des artistes et les évolutions
individuelles, le hip-hop est quant à lui un art profondément social : « pour être reconnu, il faut
se frotter au regard des pairs » car « le hip-hop renvoie véritablement à une façon d’être
ensemble, de penser ».
En s’appuyant sur une étude de terrain effectuée entre 2008 et 2011, Ailane (2013)
insiste sur la dimension politique du hip-hop dans les zones urbaines précaires du Brésil.
L’auteur reprend le cas du MH2O-Ce (Movimento hip-hop Organizado do Ceará), le premier
collectif de « hip-hop organisé » de la ville de Fortaleza, initié par des étudiants anarchistes
désireux de créer une structure qui soit dirigée par des artistes de la scène hip-hop et utilisant
cet art pour communiquer avec les populations les plus vulnérables – en particulier les jeunes.
A partir de cet exemple, l’auteur montre comment le hip-hop est devenu un instrument au
service du changement social – promouvant la pédagogie de la reconnaissance de soi et luttant
contre la stigmatisation des habitants – qui traduit les convictions d’un mouvement politique
de gauche (ici, l’anarchisme).
Par ailleurs, dans un article portant sur le hip-hop et les injustices sociales, Washington
(2018) explique comment le hip-hop et la musique rap peuvent permettre aux services de
justice sociale de mieux saisir les enjeux et difficultés auxquels sont confrontés les hommes
noirs américains. En effet, si ces derniers sont statistiquement moins enclins à considérer les
services sociaux comme des solutions d’accompagnement bénéfiques, c’est notamment en
raison de l’incapacité de la plupart des conseillers à comprendre l’importance du racisme
institutionnel auquel ils font encore face de nos jours. Or, parce ce qu’ils retranscrivent un vécu
et sont porteurs de revendications sociales fortes, Washington soutient que certains textes de
rap américains peuvent être utilisés par les conseillers sociaux – quel que soit leur spécialité ou
leur cadre professionnel – comme des outils pour mieux comprendre la manière dont les noirs
américains évoluent au sein d’une société encore fortement confrontée au racisme.
Enfin, en adoptant un point de vue philosophique et expérientiel, Weill (2018) identifie
quant à lui plusieurs caractéristiques propre à la culture hip-hop et met en lumière ses
dimensions éducatives et sociales. Dans un premier temps, il explique que la particularité des
œuvres hip-hop est qu’à la différence des œuvres classiques, elles articulent l’activité physique
à l’activité intellectuelle : « Le hip-hop appelle les sens, le mouvement avant de mettre en
branle la pensée. ». L’auteur appréhende le hip-hop comme une « expérience esthétique
fondamentale » – ce concept étant défini par John Dewey (1934) comme le fait que la
rencontre avec une œuvre implique une participation active du spectateur qui, en évoquant
son ressenti, contribue à l’édification de l’art dans son ensemble. De plus, Weill explique que le
hip-hop se caractérise par un état d’esprit particulier reposant sur les notions de
transformation et de subversion. La transformation renvoie à un processus d’apprentissage et
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
26
d’évolution que l’on retrouve par exemple dans l’exercice de la danse. Tandis que la subversion
sous-tend l’idée d’émancipation – la capacité du hip-hop à rompre avec l’existant pour
proposer une autre vision du monde – comme l’illustre l’art du graffiti qui, en détournant
l’utilisation de la bombe de peinture industrielle, se transforme en un acte de transgression
spontané et éphémère, s’opposant à la dimension permanente de l’art pictural classique. Enfin,
l’auteur souligne le rôle du hip-hop en tant qu’outil de médiation sociale auprès des
adolescents. En effet, parce que l’on retrouve dans le hip-hop, tout comme chez les
adolescents, une volonté de se réapproprier le monde, et parce que cette culture tient compte
des « besoins spécifiques pour permettre une inscription dans le collectif où chacun a sa place
sans être renvoyé à ses particularités », elle apparait comme un outil pour aider les jeunes à
s’exprimer, se construire, et s’intégrer à la société.
La culture hip-hop est finalement un mouvement artistique profondément social et
politique, qui parvient à fédérer les individus – notamment les plus jeunes – en leur offrant la
possibilité de définir, d’exprimer, et d’affirmer librement leur identité.
b) La culture hip-hop, apparition d’une communauté plurielle
Le rayonnement international du hip-hop a donné naissance à une communauté
composée d’individus aux profils variés. Face à l’hétérogénéité de cet ensemble, plusieurs
chercheurs ont tenté d’identifier des caractéristiques propres aux membres de cette culture
hip-hop.
Durant deux mois, Motley et Henderson (2008) ont réalisé trente-cinq entretiens
approfondis avec des amateurs de hip-hop issus de pays différents afin de déterminer les points
communs entre les membres de cette diaspora. Les résultats de leur recherche ont révélé que
les membres de la communauté hip-hop sont rassemblés, non seulement autour d’une
sensibilité artistique commune envers le rap, le graffiti, la danse ou le DJ-ing, mais également
autour d’un sentiment de marginalité puissant, à la fois réel et imaginaire. Les auteurs
reprennent ici le paradigme des « marginalités collectives », développé par Osumare (2007),
selon lequel tous les membres du hip-hop s’identifient à la marginalisation des populations
noires dénoncée dans le hip-hop américain, et adaptent cette dénonciation à leur histoire
personnelle et aux difficultés ethniques et sociales qu’ils rencontrent au sein de leur propre
pays. Le hip-hop fédère ainsi, à une échelle internationale, des populations historiquement
marginalisées et opprimées, comme par exemple les Nord-Africains de France et les
autochtones de Nouvelle-Zélande (Maoris).
D’autre part, Chalmers et Arthur (2008) se sont intéressés à une catégorie extrême
de membres du hip-hop australien – les membres hardcore – afin d’analyser la façon dont
ils construisent leur identité, vivent, et expriment leur appartenance à ce mouvement.
Les résultats de leur recherche révèlent que les membres hardcore du hip-hop adoptent un
mode de vie construit autour de la notion de sacré. Cette dimension se retrouve dans
leur façon d’appréhender certaines personnes, certains lieux, ou certains objets qu’ils
perçoivent comme étant la quintessence de la culture hip-hop. Par exemple, certaines paires
de baskets recouvrent une dimension sacrée parce qu’elles ont été portées par les premières
star du rap, renvoyant ainsi aux prémices du hip-hop. De la même manière, les
membres hardcore du hip-hop considèrent certains individus ou lieux comme étant sacrés ils
ont permis l’émergence de cette culture alternative. L’une des personnes interrogées
explique, par exemple, que la ville de New York est une référence sacrée du hip-hop en
raison de son lien passé et présent avec le
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
27
mouvement. De nos jours, de nombreux évènements hip-hop sont organisés à New York, ville
dans laquelle cette culture est née. En détaillant le profil des membres hard-core, cette étude
met en exergue les caractéristiques propres à une catégorie de la communauté hip-hop,
suggérant l’existence d’autres catégories tributaires du niveau d’implication des individus dans
le courant hip-hop.
En effet, dans une autre étude portant sur le hip-hop australien, Arthur et Sherman
(2010) appréhendent ce mouvement comme étant une « contre-culture orientée vers la
consommation », c’est-à-dire une « entité fournissant un espace pour que les membres
puissent développer et exprimer leurs conceptions de soi aux côtés d'autres membres ayant
des intérêts similaires, tout en leur permettant de positionner leurs valeurs, attitudes et
opinions uniques contre la culture dominante et de masse ». Ils montrent que les membres de
cette contre-culture endossent différents statuts selon leur niveau d’engagement dans le
courant. Les auteurs observent d’un part que le noyau dur du courant hip-hop australien
est composé des membres hardcore. Ces derniers sont caractérisés par leur engagement
total et durable à l’égard des valeurs de la contre-culture hip-hop australienne qui
représente une dimension majeure dans leur construction identitaire personnelle.
L’objectivation du capital contre-culturel hip-hop des membres hardcore varie
considérablement, allant de l'abandon de la consommation symbolique jusqu'à la
consommation d'un style homologue mais distinctif. D’autre part, les membres softcore,
plus nombreux mais moins influents et moins respectés, sont décrits comme des individus
subordonnés aux membres hardcore. Les membres softcore sont moins impliqués dans la
contre-culture hip-hop et s’intéressent essentiellement aux qualités symboliques des
marques, produits, et activités qu’ils consomment dans le but d’affirmer leur identité
et leur appartenance à la communauté hip-hop australienne. Enfin, Arthur et Sherman
distinguent les membres périphériques, des individus s’intéressant à la contre-culture hip-
hop australienne uniquement par un effet de mode. Ces derniers ont un faible niveau
d’engagement envers le hip-hop australien et considèrent que l’appartenance à ce
mouvement n’est qu’un jeu d'identité qu’ils peuvent abandonner rapidement – c’est
pourquoi les membres hardcore et softcore ne les considèrent pas comme des membres à
part entière.
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
28
Ces études mettent finalement en évidence une gradation du niveau d’implication des
membres dans la culture hip-hop.
B. La culture hip-hop, avènement d’une sous-culture de consommation « authentique »
a) L’importance de la notion d’authenticité dans le hip-hop
Au sein de la culture hip-hop, l’authenticité est appréhendée comme un registre
« d’évaluation et de validation des objets, des pratiques et des individus » (Guillard et Sonnette,
2020). Plusieurs recherches ont tenté de démontrer comment les membres de cette culture
valorisent et incarnent ce concept multidimensionnel.
Dans un article publié en 1999, McLeod a identifié six dimensions du hip-hop au sein
desquelles la notion d’authenticité est prédominante : la dimension psychologique et sociale
(liée à la construction identitaire des membres du hip-hop), la dimension genrée et sexuelle
(liée au concept de masculinité dans le hip-hop), la dimension ethnique (liée à l’appartenance
des membres à la communauté noire américaine), la dimension culturelle (liée à l’opposition
entre les valeurs de « l’ancienne école », et celles de « la nouvelle école » du hip-hop), la
dimension politico-économique (liée aux enjeux de l’élévation socio-économique des membres
du hip-hop), et la dimension locale (liée au lien entretenu par les membres du hip-hop avec
leur quartier populaire d’origine).
Selon l’auteur, l’authenticité est une notion centrale dans la construction identitaire de la
plupart des membres de la communauté hip-hop. Pour être reconnu et accepté comme un
membre du hip-hop, il s’agit d’être honnête envers soi-même et envers les autres, de « rester
vrai », et d’« être authentique ». De plus, le modèle de masculinité diffusé massivement au sein
du hip-hop sert de base d’évaluation de l’authenticité des individus. Selon cette culture,
l’authenticité d’un homme dépend de son orientation sexuelle (hétérosexualité ou
homosexualité), et de la posture sociale qu’il adopte (virilité et domination, ou comportements
considérés comme féminins…). En outre, l’authenticité des membres du hip-hop dépend de
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
29
leur appartenance ou non à la communauté noire américaine. Le hip-hop étant né au sein de
ce groupe ethnique, les personnes noires ont tendance à être considérées comme des
« membres authentiques du hip-hop ». D’autre part, McLeod souligne que la notion
d’authenticité se retrouve également dans les différents courants du mouvement : « En
identifiant « l’ancienne école » […] comme une période où une culture hip-hop pure existait,
les membres de la communauté hip-hop invoquent un passé authentique qui stabilise le
présent. ». Les membres de « l’ancienne école » du hip-hop sont ainsi considérés comme des
« références authentiques du hip-hop » dans la mesure où ils ont participé à la construction et
à la diffusion de cette culture qu’ils appréhendaient à l’époque, non comme une sous-culture
de consommation lucrative, mais comme un mouvement artistique politique fort.
Enfin, l’auteur explique que la notion d’authenticité renvoie également à la dimension politico-
économique du hip-hop. En effet, l’authenticité transparait à travers le degré de notoriété et
d’enrichissement des membres de la communauté hip-hop – notamment des artistes hip-hop.
Plus un artiste hip-hop est mis en avant par l’industrie artistique à laquelle il appartient, plus il
s’enrichit et s’éloigne de ses origines socio-économiques, et moins il est considéré par les
membres du hip-hop comme un « porte-parole authentique de la rue ». De même, McLeod
pointe l’importance du lien que les artistes entretiennent avec leur quartier d’origine ; pour un
artiste hip-hop, « être authentique » implique « rester fidèle à ses racines » populaires.
Ainsi cette étude, bien que nuançable en raison de son ancienneté, présente un panorama
global des dimensions du hip-hop au sein desquelles la notion d’authenticité joue un rôle clé.
Par ailleurs, à travers une étude réexaminant les réactions observées dans le monde
hip-hop après l’obtention par le groupe Manau de la récompense du « meilleur album Rap et
Groove » l’année 1999, Hammou (2005) analyse le paradoxe d’un « groupe rappant sans
pouvoir se considérer comme un groupe de rap », et interroge la notion d’authenticité dans la
musique rap. Si la musique de Manau reprend indéniablement la rythmique du rap, Hammou
explique que l’intégration de ce groupe à la catégorie musicale « Rap », ainsi que son obtention
de la récompense du « meilleur album rap », ont massivement été décriées par la communauté
hip-hop de l’époque. En effet, à l’issue de la cérémonie des Victoires de la Musique, la presse
spécialisée rap (notamment le magazine Groove) et plusieurs artistes de la scène rap ont
dénoncé le fait que ce groupe déconnecté des « principes fondateurs du hip-hop » ait été
récompensé : « si tu fais de la musique sans message comme les gars, là, de la vallée […], cette
musique peut servir à un gala du FN, n’importe qui peut la prendre et la mettre en sa faveur »3
.
Selon Hammou, le groupe Manau cristallise l’opposition entre, d’une part, la démarche
authentique du mouvement hip-hop et, d’autre part, les motivations commerciales de
l’industrie musicale française, ainsi que l’opposition entre le rap « authentique » porteur de
message et incarné par des minorités marginalisées, et le rap « commercial » « aux thèmes
consensuels privilégié par les « grosses radios » ». L’histoire de ce groupe témoigne de
l’importance de la notion d’authenticité dans le monde du hip-hop, et souligne le fait que de
nombreux membres de cette culture évaluent l’authenticité des rappeurs au-delà de la
musique qu’ils créent.
Finalement, l’expansion du mouvement hip-hop et la massification des consommateurs de
musique rap semblent avoir renforcé le poids de la notion d’authenticité au sein de la culture
hip-hop.
3
Propos tenus par Rocca, rappeur du groupe La Cliqua.
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
30
b) L’importance des choix de consommation « authentiques » pour les membres du
hip-hop
En fédérant un grand nombre d’individus autour de valeurs, de pratiques culturelles, et
d’attitudes de consommations communes, le hip-hop est devenu une sous-culture de
consommation majeure au sein de la société. Une sous-culture de consommation peut être
définie comme étant « un sous-groupe distinct de la société qui s'auto-sélectionne sur la base
d'un engagement partagé envers une classe de produits particulière, une marque ou une
activité de consommation. Les autres caractéristiques d'une sous-culture de la consommation
comprennent une structure sociale hiérarchique identifiable, un ethos unique, ou un ensemble
de croyances et de valeurs partagées, ainsi que des jargons, des rituels et des modes
d'expression symbolique uniques. » (Schouten et McAlexander, 1995). Burgh‐Woodman et
Brace‐Govan (2007) soulignent qu’à la différence des communautés de marque, les sous-
culture de consommation existent en dehors des marques et influencent l’ensemble des modes
de vies de leurs membres. Les auteurs expliquent que la « sous-culture de consommation » est
une notion complexe dont le cadre s’étend au-delà du domaine marketing, et insistent sur la
nécessité pour les marketeurs de tenir compte des différences entre « communauté de
marque », « sous-culture », et « sous culture de consommation », afin de mieux analyser les
comportements des consommateurs « sous-culturels ». Par ailleurs, dans son étude de la sous-
culture du surf, Irwin (1973) suggère qu'une sous-culture de consommation présente un cycle
de vie composé de quatre étapes : l’articulation (apparition de la sous-culture de
consommation au sein d’un groupe de pairs), l’expansion (affirmation et développement de la
sous-culture de consommation), la corruption (exploitation de cette sous-culture par des
membres extérieurs au groupe de pairs originel) et le déclin (diffusion massive de la sous-
culture de consommation au sein de la société : passage de sous-culture de consommation à
culture de masse). En appliquant ce cycle de vie à la sous-culture de consommation des
motards Américains, Schouten et McAlexander (1995) conseillent aux spécialistes du marketing
qui souhaiteraient exploiter une sous-culture de consommation pour renouveler leur offre et
élargir leur marché, de veiller à ne pas diluer les spécificités qui la rendent autonome, unique,
et attrayante.
En tant que communauté issue d’une sous-culture de consommation majeure, la communauté
hip-hop a développé des attitudes de consommation spécifiques visant à affirmer son identité
et son appartenance à la culture hip-hop. Ainsi, plusieurs chercheurs ont tenté de déterminer
la manière dont les membres de cette communauté revendiquent leur « identité hip-hop » à
travers des choix de consommation « authentiques ».
Dans une étude portant sur le concept d’authenticité et les choix de consommation des
membres du mouvement hip-hop australien, Arthur (2006) révèle que ces derniers
consomment des marques qu’ils perçoivent comme étant authentiques selon une approche
nationale-identitaire du hip-hop. Selon l’auteur, les membres du hip-hop australien se sont
progressivement détachés de l’idée selon laquelle « la représentation symbolique de
l'authenticité du hip-hop était l'imitation du style hip-hop américain et la consommation de
marques hip-hop américaines », afin de développer une consommation qui s’éloigne du style
afro-américain et qui soit plus en phase avec leur histoire et identité nationale, donc plus
authentique. Par conséquent, ces derniers ont tendance à consommer des marques hip-hop
australiennes plutôt qu’américaines afin de mettre en avant leurs origines culturelles et
géographiques et participer à la construction d’un « capital culturel hip-hop » australien.
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
31
Par ailleurs, Arthur souligne que les membres du hip-hop australien considèrent des choix de
consommation comme étant authentiques à partir du moment où ils reflètent au moins un des
aspects de leur identité plurielle. Par exemple, DJ Nixon, l’une des personnes interrogées dans
le cadre de l’étude, explique qu’il ne consommera jamais la marque hip-hop afro-américaine
FUBU (For Us By Us) car cette dernière ne fait pas référence à son histoire personnelle, or « il
ne veut pas donner une fausse image de lui-même ». Cependant, il explique pouvoir
consommer d'autres marques américaines telles que Polo Ralph Lauren et Nautica, qui ne sont
pas issues de la culture hip-hop mais illustrent certains aspects de son identité tels que le fait
qu’il soit d’origine « blanche », de classe moyenne supérieure etc.
Cette étude souligne le fait que les choix de consommation des membres de la communauté
hip-hop australienne ont une dimension symbolique forte et traduisent le désir des membres
d’affirmer leur authenticité personnelle et nationale.
Par ailleurs, en interrogeant 1221 consommateurs américains, Podoshen, Andrzejewski
et Hunt (2014) révèlent que les afro-américains membres de la culture hip-hop adeptes de
musique rap ont une plus forte propension au matérialisme et à la consommation ostentatoire
que les afro-américains s’identifiant à d’autres courants et genres musicaux. Selon les auteurs,
ce phénomène s’explique par le fait qu’en accordant le statut de « consommateurs » aux afro-
américains – population à l’origine du mouvement hip-hop et longtemps privée de libertés – la
société leur a offert la possibilité d’accéder à une forme d’émancipation et de réussite sociale
initialement réservée aux blancs. Ainsi, « les racines de la culture matérialiste et ostentatoire
qui entoure le hip-hop […] peuvent être considérées comme un amalgame de facteurs internes
et externes liés à un désir d'inclusion et d'égalité » des membres noirs américains du hip-hop.
Enfin, de façon plus globale, les chercheurs suggèrent que la culture hip-hop accentue les
penchants matérialistes et la consommation ostentatoire chez les individus, et ce, quelle que
soit leur origine ethnique. Ce résultat soulève un paradoxe important propre aux membres de
cette sous-culture de consommation : d’une part, le matérialisme et la consommation
ostentatoire peuvent être appréhendés comme des attitudes inauthentiques et superficielles
en contradiction avec les valeurs sociales et politiques prônées par le hip-hop ; d’autre part,
ces attitudes peuvent être considérées comme des modèles de consommation authentique
dans la mesure où elles illustrent la volonté – ou la réussite effective – de certains membres de
la communauté hip-hop de s’émanciper d’une forme d’infériorité socio-économique : « Started
from the bottom and now we’re here »4
.
Ces deux études montrent que l’authenticité permet d’orienter les choix de
consommation des membres de la culture hip-hop, mais que, selon leur façon d’appréhender
cette notion, ces derniers peuvent adopter des comportements d’achats très différents.
4
Parole extraite de la musique « Started from the bottom » du rappeur Drake.
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
32
Notre revue de littérature nous a d’une part permis d’analyser l’authenticité en tant que notion
marketing centrale, et, d’autre part, en tant que valeur essentielle au sein de la culture hip-
hop.
Notre étude de terrain visera à mettre en perspective ces deux approches de l’authenticité en
analysant le point de vue de jeunes membres du hip-hop à l’égard des concepts de « marque
cool » et de « marque authentique ».
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
33
PARTIE 2 : L’ETUDE DE TERRAIN
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
34
I. Description de l’étude terrain
A. Objectif de l’étude de terrain
A travers cette enquête nous étudierons la manière dont de jeunes français membres de
la culture hip-hop définissent et identifient les marques cool, en se fondant sur l’importance
qu’ils accordent à la notion d’authenticité pour apprécier ces marques, et en
analysant l’importance qu’ils accordent aux marques cool et aux marques authentiques dans
leurs choix de consommation.
Nous observerons également la façon dont les jeunes interrogés évaluent le caractère cool
et la dimension authentique de marques qui, dans leurs stratégies de communication,
reprennent les codes de la culture hip-hop.
La sélection de notre échantillon de répondants s’est appuyée sur la classification des
membres de la culture hip-hop australienne proposée par Arthur et Sherman (2010) en
l’appliquant, ici, à une partie de la communauté hip-hop française.
Nous avons décidé de mettre en perspective le point de vue des jeunes membres de la culture
hip-hop avec celui de jeunes français extérieurs à cette culture afin d’observer
d’éventuelles similitudes et distinctions dans l’appréhension des marques cool et du
critère d’authenticité. Ceci nous a conduit à ajouter la catégorie des « membres
extérieurs » constituée de jeunes français ne connaissant pas et ne s’identifiant pas à la
culture hip-hop.
Pour réaliser cette étude, l’approche qualitative nous est apparue comme étant le format
de recherche le plus pertinent pour aborder les mécanismes de réflexion de différents
jeunes, en tenant compte de leurs parcours, de leurs influences, et de leurs expériences
personnelles.
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
35
B. Détail du protocole
Nous avons échangé avec 18 personnes dans le cadre d’entretiens individuels d’une durée de
1h15 à 1h30. Les sondés étaient composés de 8 filles et 10 garçons, âgés de 18 à 26 ans, et
habitant en France métropolitaine. Tous et toutes ont accepté que nous enregistrions leurs
réponses.
Afin d’identifier des profils pertinents pour l’étude, nous avons procédé à une présélection en
tenant compte de deux critères :
- L’âge : les sondés devaient être nés entre 1996 et 2003, c’est-à-dire avoir entre 18 et
26 ans (période coïncidant avec l’essor du hip-hop en France et âge correspondant à
des profils de jeunes consommateurs).
- L’identification à la culture hip-hop : il s’agissait dans un premier temps de déterminer à
quel grand groupe d’appartenance – membre ou non-membre de la culture hip-hop –
s’identifiait chacun des sondés, en posant la question : « T’identifies-tu à la culture hip-
hop ? ». Puis, dans un second temps, les entretiens individuels nous ont permis de
classer les membres de la culture hip-hop avec plus de précision, en les répartissant
parmi les trois catégories suivantes : les membres périphériques, les membres soft-
core, et les membres hard-core de la culture hip-hop.
Afin de classer correctement nos répondants, nous avons repris les trois grands
critères de différenciation utilisés par Arthur et Sherman (2010) : le niveau de capital
culturel hip-hop incorporé (connaissances personnelles sur le hip-hop, rapport
entretenu avec cette culture), le niveau de capital culturel hip-hop objectivé (modes de
consommation hip-hop adoptés), et l’implication dans la culture hip-hop (pratique
personnelle ou transmission d’un art du hip-hop).
Avant chaque entretien, nous avons précisé la durée et le déroulement de l’échange, sans
toutefois détailler l’objectif global de l’étude afin de ne pas introduire de biais dans les réponses
obtenues.
La première partie de l’entretien (environ 30 minutes) consistait à recueillir les définitions
personnelles des concepts de « cool », « marque cool », « authenticité », et « marque
authentique », et à étudier l’importance de ces notions dans l’appréciation des marques et
l’orientation des choix de consommation des jeunes interrogés.
Durant la seconde partie de l’entretien (environ 40 minutes), nous avons demandé aux sondés
d’exprimer ce que leur évoquaient différentes marques et campagnes de communication au
regard de leur appréciation des concepts de « marque cool » et de « marque authentique ».
Nous leur avons présenté au total huit marques issues de différents secteurs d’activité (luxe,
prêt-à-porter, grande distribution) ayant pour spécificité commune d’avoir développé des
campagnes de communication reprenant certains codes de la culture hip-hop. Nous entendons
ici par « codes de la culture hip-hop » toutes les références artistiques (art du hip-hop, artistes
de la scène hip-hop) et sociales (expressions langagières, pratiques culturelles, revendications
politiques, codes esthétiques…), propres aux membres de la communauté hip-hop.
Dans un premier temps, le sondé donnait son opinion sur une marque sélectionnée en faisant
le lien avec leur appréciation des concepts de « marque cool » et de « marque authentique ».
Puis, dans un second temps – toujours en faisant le lien avec ces concepts – le sondé réagissait
Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop
36
à une campagne de communication (format vidéo ou affiche publicitaire) réalisée par la
marque, en précisant si sa perception et ses intentions d’achat à l’égard de cette dernière
avaient évolué.
L’objectif de cette partie était d’observer l’impact marketing de différentes campagnes de
communication reprenant des codes du hip-hop, sur la perception et le comportement d’achat
de jeunes consommateurs (membres et non-membres du hip-hop) à l’égard des marques.
C. Marques sélectionnées
Marques Campagnes Codes empruntés au hip-hop
Clip publicitaire L.12.12 Eau de
parfum (2021)
https://www.youtube.com/watch?v=NWkBiyOerKk
&ab_channel=Lacoste
CODES ARTISTIQUES :
La campagne est rythmée par la
musique « In, In, In » du rappeur
américain Zebra Katz ; la présence
du champion du monde de BMX
Matthias Dandois et celle du
danseur hip-hop Salif Gueye
illustrent un « écosystème
artistique hip-hop ».
CODES POLITICO-SOCIAUX :
Les acteurs présents dans la vidéo
incarnent la diversité, une valeur
centrale dans la culture hip-hop, et
l’architecture des bâtiments filmés
fait allusion à la construction
historique à la fois urbaine et
populaire du hip-hop.
Affiche publicitaire collection
Lacoste x Moha La Squale (2018)
CODES ARTISTIQUES :
Ces deux campagnes ont pour
égéries des figures de la scène rap
française : Moha La Squale et
Roméo Elvis.
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Mémoire Lauréate Prix du Cercle 2023 - Marque cool, authenticité et culture hip-hop

  • 1. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 1 KEDGE BUSINESS SCHOOL __________ MÉMOIRE DE RECHERCHE Master 2 Marketing – Programme Grande Ecole __________ Approche des concepts de "marque cool" et de "marque authentique" par des jeunes Français membres et non-membres de la culture hip-hop Loubna MOUDNI _____________________________________________________________________ Sous la direction de : M. Michaël KORCHIA Soutenu le 8 juillet 2022
  • 2. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 2 Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n’engagent en aucun cas KEDGE Business School et le Programme Grande Ecole.
  • 3. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 3 REMERCIEMENTS Je tiens à témoigner toute ma gratitude à ma mère, mon père, et ma sœur, pour leur patience, leur disponibilité, et leurs encouragements. Je remercie Jérôme pour ses précieux conseils. J’adresse toute ma reconnaissance à mon directeur de mémoire, Monsieur Michaël Korchia, qui a accepté d’encadrer ma recherche. Enfin, je remercie toutes les personnes qui m’ont consacré du temps pour participer à cette étude : Olivia Gil Juliette Anna Shaï Sana Flavien Marie Rayan Camille Louis Julia Hera Abdoulaye Antoine Arthur Ahmed Rubens Sarah
  • 4. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 4 RÉSUMÉ Cette recherche étudie l’influence des concepts de "marque cool" et de "marque authentique" sur la perception des marques et les choix de consommation de jeunes Français membres et non-membres de la culture hip-hop. Les résultats de notre étude soulignent que, selon leur niveau d'implication dans la culture hip-hop, les jeunes n'apprécient pas les concepts de "marque cool" et de "marque authentique" de la même façon. De plus, bien que l’authenticité soit une valeur centrale au sein du hip-hop, cette notion ne guide pas nécessairement les choix de consommation des jeunes Français membres de la communauté hip-hop. À l’inverse, les jeunes extérieurs au hip-hop en tiennent davantage compte pour orienter leurs achats. Par ailleurs, reprendre certains codes du hip-hop pour paraître "cool" et "authentique" est une stratégie de marque décriée par les membres les plus impliqués dans le hip-hop. Et, si les jeunes les moins impliqués dans ce mouvement apparaissent plus réceptifs à cette stratégie, ils suggèrent toutefois la nécessité pour les marques d’entretenir un rapport crédible et non-essentiellement mercantile avec la culture hip-hop pour être cool et/ou authentiques. Mot clés : marque cool, marque authentique, culture hip-hop, sous-culture de consommation.
  • 5. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 5 TABLE DES MATIÈRES REMERCIEMENTS............................................................................................................................3 RÉSUMÉ..........................................................................................................................................4 TABLE DES MATIÈRES......................................................................................................................5 INTRODUCTION..............................................................................................................................8 PARTIE 1 : L’ETUDE THEORIQUE....................................................................................................11 I. L’authenticité, une notion philosophique exploitée par les marques................................12 A. L’authenticité, un concept philosophique transversal....................................................12 a) Approche historique et philosophique de l’authenticité – un concept en débat......12 b) Approche moderne de la notion d’authenticité – un concept associé aux marques13 B. L’authenticité, un concept marketing central.................................................................15 a) L’authenticité, un concept de marque appréhendé différemment selon les consommateurs...................................................................................................................15 b) L’authenticité, un concept publicitaire permettant à la marque d’augmenter sa rentabilité ............................................................................................................................17 II. L’authenticité, un critère propre au concept de brand coolness.......................................18 A. Brand coolness, l’émergence d’un nouveau concept marketing .............................18 a) Le cool associé aux marques, un concept multidimensionnel...................................18 b) Le cool associé aux marques, un concept mouvant ...................................................20 B. La condition de l’authenticité dans la construction des marques cool.........................22 a) L’authenticité, un critère essentiel aux marques pour être cool ...............................22 b) L’authenticité, une caractéristique que les marques cool entretiennent et valorisent .............................................................................................................................23 III. L’authenticité, une valeur au cœur de la sous-culture de consommation hip-hop .............................................................................................................................................24 A. La culture hip-hop, les origines d’une nouvelle source d’inspiration pour les marques... ...........................................................................................................................................24 a) La culture hip-hop, la naissance d’un courant artistique engagé...............................24 b) La culture hip-hop, apparition d’une communauté plurielle .....................................26 B. La culture hip-hop, avènement d’une sous-culture de consommation « authentique ».. .........................................................................................................................................28 a) L’importance de la notion d’authenticité dans le hip-hop.........................................28 b) L’importance des choix de consommation « authentiques » pour les membres du hip-hop ................................................................................................................................30 PARTIE 2 : L’ETUDE DE TERRAIN...................................................................................................33 I. Description de l’étude terrain .............................................................................................34 A. Objectif de l’étude de terrain..........................................................................................34 B. Détail du protocole..........................................................................................................35 C. Marques sélectionnées ...................................................................................................36
  • 6. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 6 D. Répartition initiale des répondants.................................................................................41 II. Analyse de l’étude de terrain ..............................................................................................42 A. Les membres extérieurs à la culture hip-hop .................................................................42 a) Les marques cool, des marques simples qui s’inscrivent dans l’actualité.................42 b) Les marques authentiques, des marques à la fois constantes et éthiques...............43 c) « Marque cool » et « marque authentique », une corrélation idéale à atteindre.....44 d) L’utilisation des codes de la culture hip-hop pour communiquer, une stratégie intelligente mais excluante..................................................................................................45 B. Les membres périphériques de la culture hip-hop.........................................................47 a) Les marques cool, entre activistes et « fausses cool » ...............................................47 b) Les marques authentiques, la culture du savoir-faire et de la transparence............48 c) « Marque cool » et « marque authentique », deux concepts distincts mais compatibles .........................................................................................................................48 d) L’utilisation des codes de la culture hip-hop pour communiquer, une stratégie efficace mais parfois maladroite .........................................................................................49 C. Les membres softcore de la culture hip-hop.................................................................50 a) Les marques cool, des marques populaires et créatives............................................50 b) Les marques authentiques, des marques iconiques fidèles à leurs propres codes....... .....................................................................................................................................51 c) « Marque cool » et « marque authentique », un lien de causalité controversé........52 d) L’utilisation des codes de la culture hip-hop pour communiquer, une stratégie influente et bien accueillie ..................................................................................................53 D. Les membres hardcore de la culture hip-hop................................................................54 a) Les marques cool, des marques fonctionnelles et cohérentes .................................54 b) Les marques authentiques, des marques honnêtes et singulières ...........................55 c) « Marque cool » et « marque authentique », la prédominance du critère d’authenticité ......................................................................................................................57 d) L’utilisation des codes de la culture hip-hop pour communiquer, une stratégie de marque dépassée et néfaste...............................................................................................58 PARTIE 3 : LA DISCUSSION............................................................................................................62 A. Approches des concepts de « marque cool » et de « marque authentique »...............63 B. Lien entre les concepts de « marque cool » et de « marque authentique » .................64 C. Influence de l’authenticité sur la perception des marques et les choix de consommation.........................................................................................................................64 D. Impact des stratégies de communication utilisant les codes de la culture hip-hop......65 CONCLUSION................................................................................................................................67
  • 7. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 7 Limites de cette étude.................................................................................................................68 Implications managériales...........................................................................................................68 Pistes de recherches....................................................................................................................69 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................70 ANNEXES ......................................................................................................................................76 A. Les membres extérieurs à la culture hip-hop .................................................................77 1) Arthur ..........................................................................................................................77 2) Julia..............................................................................................................................84 3) Anna.............................................................................................................................89 4) Marie ...........................................................................................................................96 B. Les membres périphériques de la culture hip-hop.......................................................103 1) Juliette .......................................................................................................................103 2) Flavien........................................................................................................................109 3) Louis...........................................................................................................................117 4) Antoine ......................................................................................................................123 C. Les membres softcore de la culture hip-hop...............................................................130 1) Gil...............................................................................................................................130 2) Rubens.......................................................................................................................136 3) Sana ...........................................................................................................................143 4) Abdoulaye..................................................................................................................150 5) Camille.......................................................................................................................156 D. Les membres hardcore de la culture hip-hop..............................................................163 1) Olivia..........................................................................................................................163 2) Shaï ............................................................................................................................170 3) Rayan .........................................................................................................................178 4) Hera ...........................................................................................................................185 5) Ahmed .......................................................................................................................194
  • 8. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 8 INTRODUCTION
  • 9. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 9 Alors qu’en 2021 le classement annuel du Snep (Syndicat national de l'édition phonographique) révélait que les trois artistes les plus écoutés en France étaient les rappeurs Jul, Ninho, et Orelsan ; en janvier 2022, l’inauguration de l’exposition Hip-hop 360 à la Philharmonie de Paris cristallisait l’importance du mouvement hip-hop au sein de la société, une culture pourtant longtemps dénigrée par les politiques et les institutions. La culture hip-hop est définie par l’anthropologue américain Samy Alim comme la mode, la musique, la danse, l'art, l'attitude, le langage, et les expériences partagées par toute personne pratiquant ou consommant au moins un des quatre éléments suivants du hip-hop : le rap, le breakdance, l'art du graffiti, et le DJ-ing. Né aux Etats-Unis à la fin des années 60, ce mouvement est apparu en premier lieu comme une alternative à la violence qui ébranlait les quartiers pauvres de New-York. Puis, porté par des valeurs de liberté, de solidarité, et d’épanouissement individuel et collectif, le hip-hop a su séduire une large partie de la population, passant de mouvement artistique et politique alternatif, à sous-culture de consommation majeure dans le monde. Depuis son arrivée en France dans les années 80, la culture hip-hop s’est massivement développée, devenant de nos jours une culture incontournable, autant pour les consommateurs que pour les marques. A travers cette recherche, nous avons choisi d’aborder le phénomène de mercantilisation du hip-hop en appréhendant le point de vue d’une partie de la communauté hip-hop française. Si certaines recherches ont tenté d’approfondir les concepts de « marque cool » et de « marque authentique », et que d’autres ont analysé la culture hip-hop en tant que sous- culture de consommation mondiale, notre travail vise ici à mettre en relation la perception des marques cool, des marques authentiques et les choix de consommation de jeunes français membres du hip-hop. Le critère d’authenticité, par son double lien avec les marques cool et la culture hip-hop, s’imposera comme notre axe de recherche. D’une part, cette notion constitue une valeur centrale au sein du mouvement hip-hop et est revendiquée par de nombreux rappeurs : « J'suis tombé, j'me suis relevé, regarde, maintenant, j'suis debout, J'suis toujours dans l'tunnel, mais j'commence à voir le bout, Authentique depuis l'début, j'suis pas là pour leur plaire, Mais vu qu'ça marche, mon frère, j'crois bien qu'on a eu du flair » (ZKR, 2021). D’autre part, une étude menée en 2006 par Damien Arthur et Pascale Quester souligne que les membres du mouvement hip-hop australien consomment les marques qu’ils considèrent authentiques pour en faire des repères symboliques et revendiquer leur appartenance à cette culture, et une étude menée en 2019 par Warren, Batra, Loureiro, et Bagozzi auprès d’un panel de consommateurs européens et américains a démontré que ces derniers perçoivent l’authenticité comme une caractéristique propre aux marques cool. Question de recherche : La perception et l’attitude de consommation de jeunes Français membres de la culture hip-hop envers les « marques cool » sont-elles influencées par le critèred’authenticité?
  • 10. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 10 Sous-questions de recherche : Comment les jeunes Français membres de la culture hip-hop appréhendent-ils les concepts de « marques cool » et de « marques authentiques » ? Quelle relation établissent-ils entre ces deux concepts ? Dans quelle mesure ces concepts influencent-ils leur perception des marques ? Quelle importance accordent-ils à chacun de ces concepts pour orienter leurs choix de consommation ? Afin de pouvoir répondre à notre question de recherche, nous avons opté pour une étude en trois parties. La première partie constitue une approche théorique dans laquelle nous étudierons l’authenticité en tant que concept philosophique et marketing central. Puis, nous analyserons cette notion à travers le prisme du concept de « marque cool ». Enfin, nous aborderons l’authenticité en tant que valeur au cœur de la sous-culture de consommation hip-hop.
  • 11. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 11 PARTIE 1 : L’ETUDE THEORIQUE
  • 12. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 12 I. L’authenticité, une notion philosophique exploitée par les marques A. L’authenticité, un concept philosophique transversal a) Approche historique et philosophique de l’authenticité – un concept en débat « I’m not acting. This is who I am. »1 . En 2016, un article publié dans le Washington Post relayait cette déclaration de Donald Trump commentant son rôle dans l’émission de téléréalité « The Apprentice ». Au-delà de sa dimension politique, cette phrase peut servir d’introduction à une réflexion philosophique plus poussée autour des concepts d’authenticité et d’« idéal d’authenticité personnelle » (Romano, 2020). Ici, Donald Trump sous-entend que ses actes, parce qu’ils constituent son identité, témoignent de son authenticité – ou de son intégrité totale envers lui-même et les autres. Il n’en demeure pas moins que si la notion d’authenticité peut être appréhendée comme une valeur pure provenant du plus profond de chacun, elle peut aussi renvoyer à une construction sociale, tributaire des choix et engagements que l’on fait. Etudiée par les philosophes depuis l’époque antique, cette notion interroge finalement sur ce qu’est l’essence d’un être, l’essence d’une situation, le vrai. Dans son dictionnaire, Le vocabulaire technique et critique de la philosophie, André Lalande définit le terme « authentique », au sens propre, comme le caractère « d’un document ou d’une œuvre émanant réellement de l’auteur auquel ils sont attribués », en opposition à un supposé « faux ». Au sens courant, ce qui est « authentique » est comparable à ce qui est légitime, sincère, ou conforme à son apparence. Issu du grec ancien « authentikós », et du latin « authenticus » qui signifie « se déterminer par sa propre autorité », l’étymologie du mot authenticité renvoie à l’une des qualités intrinsèques de cette notion qui est de conférer autorité aux personnes et aux objets qui la possèdent. On retrouve d’ailleurs cette idée en droit, où un acte authentique est un acte qui fait autorité. Dans le même esprit, on peut parler de pièces authentiques d'une collection, ou de titre authentique de noblesse. Historiquement, Heidegger serait le premier à avoir utilisé l’authenticité comme thème philosophique (Farmer, 1995). Dans Lettre sur l’humanisme, il définit l'authenticité, non pas comme une « acquisition » de l'Etre – c’est-à-dire une caractéristique de l’identité qui s’acquiert par les choix que l’on fait tout au long de notre vie – mais comme une ouverture à l'Etre, ou une introspection poussée, visant à faire ressortir l’ « authentique » de nous-même. Cette conception de l’authenticité inscrit Heidegger dans le courant de pensée « expressiviste », ou romantique (Taylor, 1989). Selon ce modèle, être authentique consisterait à écouter la « voix de la nature » qui parle à chaque personne, du « sentiment intérieur qui ne trompe jamais ». Dès lors, une vie authentique consiste à exprimer sa nature particulière – ce que les théoriciens de cette première lignée de penseurs appellent son « Moi » – tout devenant expression intégrale de celui que l’on est et l’épicentre de l’être de chacun résidant avant tout dans ce qu’il ressent. Cependant, Claude Romano (2020) souligne qu’en soutenant l’idée selon laquelle être authentique consisterait simplement exprimer dans sa vie ses propres dispositions, inclinations, ou opinions, le modèle « expressiviste » néglige le fait que nous puissions manifester des inclinations susceptibles de n’être finalement pas réellement les nôtres ou d’être dans l’illusion concernant ce que nous désirons vraiment. 1 « Je ne joue pas, c’est ce que je suis. »
  • 13. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 13 A ce premier modèle de pensée s’oppose la pensée volontariste notamment incarnée par Sartre qui considère que « La réflexion pure et authentique est un vouloir de ce que je veux. C’est le refus de me définir par ce que je suis (Ego) mais par ce que je veux […]. Ainsi la saisie de soi authentique n’est pas du type de l’être, c’est une volonté dirigée sur une volonté. » (Jean- Paul Sartre, 1943, p.106). Selon ce courant, l’authenticité de chaque être réside dans sa volonté de rester fidèle à ses choix et engagements personnels. Cependant, en admettant cela, ce modèle empêche une possible distinction entre les engagements faussés, inadéquats – c’est- à-dire procédant d’une forme d’étrangeté à soi ou d’aliénation – et ceux conformes à notre être. La pensée volontariste fait ainsi apparaître le « problème difficile » de l’authenticité : il ne suffit pas de s’engager ou de se résoudre à quelque chose pour que ce à quoi nous nous sommes engagés ou résolu soit en adéquation avec notre être véritable, la possibilité de l’aveuglement complet sur soi est toujours possible (Romano, 2020). Les années 60 marquent l’avènement de la pensée expressiviste au sein de la société, bien que, sur le plan théorique, cette pensée soit « devenue en général l’objet d’un scepticisme, sinon d’un rejet total » de la part des philosophes (Larmore, 2004, p. 19). L’authenticité, désormais perçue par les individus comme une « source que nous avons à atteindre […] au fond de nous-mêmes » (Taylor, 1997, p. 44-45), a ouvert la voie à une nouvelle opportunité de marché pour les entreprises et les marques. Ces dernières se sont progressivement imprégnées du modèle de pensée expressiviste pour proposer aux consommateurs différentes offres répondant au désir « d’être soi-même » : manuels de « développement personnel », coachs et thérapies « qui promettent de nous aider à nous trouver, à nous réaliser, à exprimer notre vrai moi » etc. (Taylor, 2007). b) Approche moderne de la notion d’authenticité – un concept associé aux marques L’authenticité est devenue « la pierre angulaire du marketing contemporain », elle constitue un élément essentiel dans la construction de l’identité des marques et leur permet de se différencier des concurrents aux yeux des consommateurs (Brown, Kozinets, et Sherry, 2003). Alors que sur un marché concurrentiel se positionner sur la base de la supériorité de ses produits ou de ses services n'est devenu que trop commun, l'authenticité permet aux marques d'être « vraies », sans avoir besoin d’être parfaites (Beverland, 2005). D’un point de vue managérial, Song, Wang, et Zhao (2021) ont démontré que valoriser l’authenticité chez les employés et les responsables génère un impact psychologique positif sur eux et favorise le développement de meilleures attitudes de travail ; ce qui s’avère bénéfique pour le bien-être des individus, pour les résultats de l’entreprise, et, par extension, pour l’image de la marque. L’authenticité de la marque peut être appréhendée comme l'authenticité des offres du marché (objets et services) basée sur les évaluations des individus, et non pas uniquement sur les caractéristiques inhérentes à la marque, et composée d’une variété d'attributs – dans la mesure où il n'existe aucune définition unique de l’authenticité (Bruhn, Schoenmüller, Schäfer, et Heinrich, 2012). De nombreux chercheurs ont contribué à l’instauration d’un cadre référentiel du concept d’authenticité de la marque afin de déterminer comment les marques peuvent s’imprégner de cette notion. A partir de l'examen des stratégies de 26 entreprises du secteur du vin de luxe, Beverland (2005) a montré que le développement d'une histoire sincère, composée de
  • 14. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 14 références démontrables, au lieu, à la tradition et aux valeurs non commerciales, était crucial pour transmettre l'authenticité de la marque en identifiant six dimensions sur lesquelles les marques peuvent appuyer leurs stratégies de communication afin de paraître authentiques : l’héritage et le pédigré, la cohérence stylistique, l’engagement dans la qualité, le rapport au lieu, la méthode de production, et la minimisation des intérêts commerciaux. Ces dimensions constituent des critères de base à l’évaluation de l’authenticité dans le contexte des marques. Alexander (2009) souligne cependant qu’en fonction du type de marché sur lequel se positionne une marque (consommation de masse ou de niche), les critères d’authenticité établis par Beverland ne ressortent pas de la même manière. Ainsi, en prenant l’exemple de la bière – un produit de grande consommation – Alexander constate que la cohérence stylistique, le rapport au lieu, et la minimisation des intérêts commerciaux sont des critères d’authenticité plus significatifs que l'engagement dans la qualité, la méthode de production, ou l’héritage. D’autres études se sont concentrées sur le développement de supports de mesure fiables de l’authenticité, permettant aux marques de mieux appréhender leur positionnement dans l’esprit des consommateurs. Ainsi, Bruhn, Schoenmüller, Schäfer et Heinrich (2012) ont identifié la continuité (éléments relatifs à la stabilité, l'endurance et la cohérence de la marque), l'originalité (éléments relatifs à la particularité, l'individualité, et l'inventivité de la marque), la fiabilité (éléments relatifs à la confiance, la crédibilité et le respect des promesses de la marque), et le naturel (éléments relatifs à la sincérité et la non-artificialité de la marque), comme étant quatre dimensions propres à l’authenticité de la marque. Tandis que Napoli, Dickinson, Beverland, et Farrelly (2014) ont analysé cette notion à partir de l'engagement qualité, l'héritage, et la sincérité, et que Morhart, Malär, Guèvremont, Girardin, et Grohmann (2015) ont défini le concept en termes de continuité, de crédibilité, d'intégrité, et de symbolisme. L'authenticité a également été appréhendée comme un continuum par Napoli, Dickinson- Delaportea, et Beverland (2016). Ces derniers ont identifié quatre statuts des marques selon leur niveau d’authenticité – les novices, les apprenties, les professionnelles, et les maîtresses – et en ont développés des stratégies adaptées. Le défi des marques novices consiste à établir une base solide sur laquelle l'authenticité pourra être développée. Dans ce cas, la marque doit minimiser les motivations de profit et l'intérêt personnel pour parvenir à créer un lien émotionnel fort avec les consommateurs. Les marques apprenties, qui ont un niveau d'authenticité modéré, doivent s’engager vers la promotion de la qualité de leurs produits et de leur héritage historique. Cette approche, appelée « stratégie de culture », met l'accent sur les compétences artisanales, les connaissances, et les traditions ancestrales exploitées par la marque. Concernant les marques maîtresses, la poursuite de la « stratégie de culture » est un moyen pour elles de continuer à améliorer leurs performances tout en satisfaisant les besoins internes des consommateurs. Enfin les marques puissantes, compte tenu de leur lien avec l'identité personnelle et sociale, doivent cultiver une « aura » d'authenticité afin d’apparaître comme des références en matière de différenciation, sur un marché de masse.
  • 15. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 15 L’authenticité est un concept au cœur des débats philosophiques et politiques de notre société désormais intrinsèquement lié aux entreprises et aux marques. Pour ces dernières, l’enjeu est de parvenir à s’approprier au mieux cette notion afin d’en faire un outil marketing convainquant et différenciant sur le marché. B. L’authenticité, un concept marketing central a) L’authenticité, un concept de marque appréhendé différemment selon les consommateurs Pour évaluer l’authenticité des marques, Napoli, Dickinson, Beverland et Farrelly (2013) expliquent que les consommateurs utilisent une combinaison de plusieurs éléments distincts. Les auteurs définissent l’authenticité de la marque comme étant « une évaluation subjective de l'authenticité attribuée à une marque par les consommateurs », ce qui suggère qu’il existe de multiples façons de la définir. Dans le contexte de l’industrie du tourisme, Céline Cravatte (2009) souligne également que l’authenticité peut être appréhendée différemment selon que l’on adopte le point de vue du scientifique (l’anthropologue), ou celui du consommateur (le touriste) et reprend la distinction proposée par Tom Selwyn (1996) entre authenticité « froide » des premiers – perception reposant sur des critères scientifiques – et authenticité « chaude » des seconds – perception fondée sur des mythes, des ressentis, et des expériences vécues. Plusieurs études ont tenté de décomplexifier cette notion plurivoque en identifiant des critères à partir desquels les consommateurs construisent leur propre conception de l’authenticité. L’authenticité s’inscrivant dans la recherche identitaire des consommateurs, il apparait fondamental pour les marques de pouvoir saisir les différentes interprétations qu’ils en font (Napoli, Dickinson, Beverland, Farrelly, 2013). En s'appuyant sur plusieurs entretiens approfondis, Beverland et Farelli (2010) ont cherché à déterminer si les individus sont motivés ou non par des objectifs personnels spécifiques lorsqu’ils consomment les marques qu’ils considèrent « authentiques ». Les résultats de cette étude montrent que les consommateurs recherchent l’authenticité à travers différentes expériences et marques afin de répondre à trois ambitions principales
  • 16. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 16 « identitaires » : le contrôle, la connexion, et la vertu. Dans un objectif de contrôle, les individus vont associer l’authenticité à la maîtrise de leur environnement et de leur vie en général. Ainsi, un surfer interrogé explique rejeter les influences sociales – telles que la mode ou la pression des pairs – pour orienter ses choix de consommation, et considère « authentiques » les marques qui l’aident à atteindre la maîtrise personnelle de son activité (le surf). D’un autre point de vue, les individus peuvent rechercher l’authenticité dans la connexion avec un groupe de pairs, un lieu, une culture, ou une société, afin de devenir membre actif d’une communauté et développer un « soi authentique ». Ces derniers vont considérer « authentiques » les marques locales ou les marques spécialisées dans leur domaine qui ciblent des passionnés d’une activité et proposent une expérience de connexion et de partage. Enfin, les individus peuvent associer l’authenticité à la vertu, la moralité, ou l’éthique. En ce sens, une marque peut être considérée « authentique » si elle respecte les droits de ses employés, ou fixe des prix raisonnables à ses produits dans le but de pouvoir en faire profiter le plus grand nombre. Par ailleurs, le cadre de correspondance de l’entité-référente d'authenticité – Entity- Referent Correspondence (ERC) – développé par Moulard, Raggio et Folse (2021) définit l’authenticité comme étant la perception du consommateur du degré de correspondance ou de « vérité » d’une entité supposée authentique, à un point de référence. L'ERC distingue trois types d'authenticité : le vrai par rapport à l'idéal, le vrai par rapport aux faits, le vrai par rapport à soi-même. Par-là, sont notamment établis des réseaux nomologiques expliquant comment les consommateurs construisent leurs perceptions pour chacun des types. L'authenticité fidèle à l'idéal est définie comme la perception par un consommateur de la mesure dans laquelle les attributs d'une entité correspondent à une norme socialement déterminée. En ce sens, une chanson de musique country (correspondant ici à l’« entité ») sera considérée « authentique » si ses attributs correspondent au modèle communément accepté de la musique country. Ce premier type d’authenticité renvoie donc à l’existence d’un consensus déterminant les attributs de l'idéal (ici, la musique country). Or, s’il ne peut exister une authenticité absolue de l’idéal – en raison de la nature socialement construite, donc changeante, de cet idéal – dans certains cas, un fort consensus peut être établi à partir de critères objectifs. Par exemple, le Comité Interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC), une organisation qui promeut « l'authentique Champagne », a publié des critères stricts pour qu'un vin puisse être étiqueté « Champagne ». Si les marques peuvent communiquer autour d’un idéal pour influencer les consommateurs, ces derniers peuvent également former des idéaux différents de ceux vers lesquels la marque souhaitait les diriger. En outre, différentes communautés de consommateurs peuvent concevoir des idéaux de marque distincts. L’authenticité fidèle aux faits est, quant à elle, définie comme la perception par le consommateur de la mesure dans laquelle les informations communiquées sont conformes à la réalité. Ce type d’authenticité diffère de l’authenticité par rapport à l’idéal en ce qu’ici, l’élément de référence est statique, et non pas une construction évolutive. Dans le contexte des marques, les consommateurs vont considérer qu’une marque est authentique si elle communique des informations précises et avérées sur les produits qu’elle commercialise. Enfin, l'authenticité fidèle à soi-même est la perception par un consommateur de la mesure dans laquelle le comportement d'une entité correspond à ses motivations intrinsèques. Tout comme pour l’authenticité fidèle à la réalité, le vrai selon soi se réfère à une entité fixe. Par exemple, une « marque authentique » est une marque mettant en avant des motivations personnelles (passion pour une activité, enthousiasme vis-à-vis d’un domaine etc.) plutôt que commerciaux (rentabilité du commerce, forte demande etc.).
  • 17. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 17 Finalement, au-delà des différences de perceptions, d’expériences, et de choix de consommation, le point commun à tous les consommateurs réside dans leur volonté d’acquérir une forme d’authenticité (Beverland et Farelli, 2010). b) L’authenticité, un concept publicitaire permettant à la marque d’augmenter sa rentabilité Avec l’avènement des campagnes publicitaires digitales diffusant des images irréalistes du corps humain, et notamment des corps féminins, l'authenticité perçue par les consommateurs est devenue un facteur déterminant leur attitude à l’égard des marques et orientant leurs décisions d’achats. Plusieurs études ont cherché à savoir comment les consommateurs perçoivent les publicités de marques « authentiques » en expliquant la manière dont ce type de contenu influence leurs décisions d’achat, afin d’établir un lien entre authenticité perçue et rentabilité de la marque. Dans une série de trois études expérimentales menées auprès d’un groupe de femmes issues de la génération des « Millenials » (individus nés entre 1985 et 1995), Cornelis et Peters (2017) ont examiné l’impact d’une image publicitaire, selon qu’elle soit retouchée ou non, sur la satisfaction des femmes vis-à-vis de leur propre apparence, sur leur attitude envers la publicité et leurs intentions d'achat auprès de la marque, ainsi que sur leurs jugement à l’égard du physique d'autres femmes (non-mannequins). Les résultats de la première étude montre que, lorsqu'elles sont exposées à une clause de non-responsabilité indiquant que le modèle n'a pas été retouché, les femmes sont à la fois plus satisfaites de leur apparence, ont une plus grande attitude envers la publicité, et ont l'intention d'acheter la marque. La seconde étude complète la première et définit le concept d'authenticité à partir de deux composantes : le réalisme (vraisemblance de l’image par rapport à la réalité) et la signification (fait que la publicité ait du sens pour le consommateur). Ses résultats montrent que le réalisme du modèle publicitaire entraine une perception positive des consommatrices à l’égard de la publicité sans retouches et améliore le jugement qu’elles portent sur elle-même, tandis que le message véhiculé par la publicité sans retouches influence positivement leurs intentions d’achats. Enfin, la troisième étude montre que si la publicité sans retouches a des effets positifs sur la perception que les femmes ont d’elles-mêmes, ce phénomène n’apparaît pas lorsqu’il s’agit du jugement qu’elles portent sur d’autres femmes. Ainsi, après avoir été exposées à une publicité sans retouches, les « Millenials » interrogées évaluent les autres femmes « Millenials » auxquelles elles s'identifiaient (groupe de pairs) comme étant moins attrayantes. A travers ces études, Cornelis et Peters tentent de démontrer que, plus la publicité d’une marque est perçue par les consommateurs comme étant authentique, plus ils auront tendance à acheter les produits de cette marque et, par extension, que l’authenticité perçue de la marque peut être considérée comme un facteur de rentabilité de cette dernière. Shoenberger, Eunjin et Johnson (2020) font également ce constat dans une étude analysant les contenus publicitaires sur le réseau social Instagram. Cette étude révèle que l'intention d'acheter les articles portés par les mannequins dans les publicités Instagram est plus élevée lorsque le mannequin est un « mannequin grande taille », et lorsque son physique n’a pas été retouché (laissant apparaître les imperfections, les tatouages etc.). Ici, les chercheurs montrent que l’authenticité des mannequins perçue par les consommateurs influence leur appréciation des produits et de la marque, et motive leurs décisions d’achats.
  • 18. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 18 Cependant, Becker, Wiegand et Reinartz (2019) nuancent ces résultats en montrant que la corrélation entre l’authenticité publicitaire et la rentabilité de la marque n’est pas toujours positive. Ces chercheurs ont identifié quatre dimensions de l’authenticité dans le contexte de la publicité : la préservation de l’essence de la marque, le fait d’honorer le patrimoine de la marque, la présentation d’un scénario réaliste, et la transmission d’un message crédible. Ils ont ensuite examiné 323 publicités télévisées portant sur 67 marques et quatre années, afin de comprendre l’influence exercée par ces quatre dimensions sur les performances de vente des produits annoncés. Parmi les résultats, les chercheurs constatent qu’une publicité conforme à l'essence de la marque a un effet positif sur les ventes dans la plupart des cas, mais un message publicitaire trop honnête peut également nuire aux performances. Ce dernier point est particulièrement vrai pour les produits hédoniques pour lesquels les consommateurs s'appuient davantage sur des informations subjectives pour prendre leurs décisions d'achat. Une publicité utilisant la phrase « Ce gel douche apporte à votre peau toutes les vitamines essentielles » peut être un réel succès auprès des consommateurs quand bien même l’assertion n’est pas vérifiée. De plus, pour les petites marques qui se lancent, utiliser une allégation exagérée peut stimuler leur notoriété et les aider à se démarquer sur le marché. L’authenticité peut donc être un concept publicitaire permettant à la marque d’attirer les consommateurs et d’augmenter sa rentabilité, cependant, les marques ne peuvent pas simplement se reposer sur les critères établis de cette notion pour construire leurs stratégies de communication. Il s’agit notamment pour elles de tenir compte de la demande des consommateurs, des caractéristiques des produits qu’elles vendent, et de la taille de leur marché. II. L’authenticité, un critère a propre au concept de brand coolness2 A. Brand coolness, l’émergence d’un nouveau concept marketing a) Le cool associé aux marques, un concept multidimensionnel Selon Grossman (2003), le cool est « notre ressource naturelle la plus précieuse : une substance invisible et impalpable qui peut conférer une valeur fantastique à une marque particulière d'un produit par ailleurs interchangeable - une basket, un jean, un film d'action ». Si le cool est tant désiré par les marques et par les consommateurs, il n’en existe aucune définition précise. Les études menées autour de ce concept s’accordent cependant sur quatre de ses propriétés : le cool est une construction sociale, le cool est un concept dynamique qui évolue avec le temps, le cool est un concept subjectif qui dépend des goûts de chacun (Warren, Batra, Loureiro, et Bagozzi, 2019), et le cool se distingue du désirable par son critère d’autonomie – critère défini comme la volonté et la capacité de suivre son propre caractère ou ses propres motivations, sans tenir compte des normes, des croyances, et des attentes des autres (Warren et Campbell, 2014). Ainsi, les consommateurs considèrent une marque comme étant cool en fonction du contexte (par exemple, selon qu’ils soient sur son lieu de travail ou en boîte de nuit, ils identifieront différentes paires de chaussures comme étant cool, et, par extension, différentes marques de chaussures), en fonction du degré d’autonomie de la 2 Traduction en anglais de l’expression « marque cool »
  • 19. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 19 marque (capacité de la marque à se détacher des normes), et en fonction de la construction sociale et de l’époque au sein desquelles elle évolue. De nos jours, les marques « chassent le cool » dans le but de devenir celles que tout le monde veut représenter. Pour devenir cool, elles doivent adopter une vision à long terme, être capables de se réinventer, rester petites tout en devenant grandes, et accepter de prendre des risques pour attirer et convaincre les consommateurs (Kerner, Pressman, 2007). Afin de mieux appréhender la multidimensionnalité du concept de brand coolness, les chercheurs ont tenté de déterminer des caractéristiques propres aux marques cool. Warren et Campbell (2014) ont mené six études expérimentales visant à démontrer empiriquement le lien entre l’autonomie d’une marque et la perception de son caractère cool par les consommateurs. Les résultats ont montré que les consommateurs considèrent qu’un produit dont le design s’écarte de la norme – c’est-à-dire un produit plus autonome au niveau de son aspect – est plus cool qu’un produit dont le design s’y conforme. Ainsi, par extension, une marque de soda proposant un nouveau modèle de bouteille sera considérée par les consommateurs comme étant plus cool que les autres, car plus originale, plus innovante, plus autonome. Un autre résultat précise que pour qu’une marque soit cool, son autonomie doit reposer sur la remise en question d’une norme établie mais considérée comme illégitime par les consommateurs. Par exemple, en 1984, Apple diffusait sa première publicité incitant les consommateurs à s'écarter de la norme établie par IBM/Microsoft, dictant l'utilisation d'un type particulier d'ordinateur et de système d'exploitation. Si cette stratégie a permis à Apple d’acquérir le statut de "marque cool", c’est parce que de nombreux consommateurs considéraient à l’époque que la politique d'utilisation des ordinateurs IBM/Microsoft était inutilement restrictive. C’est donc en remettant en question une norme illégitime qu’Apple est devenue cool. Les résultats de cette étude montrent également que, pour être cool, une marque doit cultiver un degré d’autonomie modéré – car les marques excessivement autonomes ont tendance à être incomprises par les consommateurs, et les marques insuffisamment autonomes à perdre leur attractivité. Par ailleurs, selon cette étude, les consommateurs influencés par des contre-cultures critiques à l'égard des institutions sociales dominantes ont tendance à considérer que l’augmentation de l’autonomie d’une marque renforce son caractère cool. Enfin, les résultats montrent également que l’identification des marques cool par les consommateurs diffère selon s’ils cherchent à se distinguer ou à s’intégrer à un groupe de pairs. Im, Bhat et Lee (2015) ont quant à eux étudié le lien entre la nouveauté et le caractère cool d’un produit proposé par une marque. Leurs résultats montrent que les consommateurs perçoivent la valeur hédonique d'un produit uniquement lorsque les caractéristiques nouvelles de ce produit sont perçues comme cool. Certains produits dotés de caractéristiques simplement nouvelles sont parfois considérés comme bizarres ou absurdes (comme par exemple le téléphone résistant au feu étudié dans cette recherche), tandis que les produits nouveaux et cool suscitent une certaine excitation et une attitude positive. Par exemple, l'iPhone et l'iPad sont des produits non seulement nouveaux, mais également considérés comme cool, ce qui en fait le succès. Cette étude montre qu’une marque cool peut réduire la perception des risques liée à l’achat d’un produit par les consommateurs en amenant ces derniers à se concentrer sur des avantages psychologiques de l’acquisition du produit – tels que l'excitation et le plaisir – et d’en apprécier la valeur hédonique. Ces résultats soulignent l’importance du caractère cool associé à la nouveauté. Pour les marques, cela signifie qu’avant
  • 20. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 20 de lancer un nouveau produit, elles doivent analyser les perceptions des consommateurs afin de savoir si les caractéristiques de ce nouveau produit sont perçues comme étant significatives ou cool et conduiront les consommateurs à l’acheter. Enfin, Warren, Batra, Loureiro, et Bagozzi (2019) ont cherché à préciser le concept de brand coolness et à déterminer un ensemble de caractéristiques typiquement associées aux marques cool en utilisant une approche à méthodes mixtes (trois études qualitatives et neufs études quantitatives). Les résultats de leur recherche ont permis d’identifier dix caractéristiques propres aux marques cool. Ces dernières sont perçues comme étant extraordinaires, esthétiquement attrayantes, énergiques, originales, authentiques, rebelles, d’un statut élevé, sous-culturelles, iconiques, et populaires. Si toutes ces caractéristiques ne sont pas nécessaires pour chaque marque et chaque segment de consommateurs, leur recherche montre que l'augmentation de l'une tend à rendre une marque plus cool. Ainsi, les résultats montrent que Nike est une marque considérée comme cool parce que les chaussures qu’elle vend sont hautement désirables, esthétiquement attrayantes, dégagent une certaine énergie, et sont considérées d'une qualité extraordinaire. La marque Apple est quant à elle cool parce qu’elle fait preuve d'une autonomie positive en restant originale et authentique. Tandis que la marque Harley-Davidson est devenue cool parce qu’adoptée par des motards hors-la-loi – population issue d’une sous-culture – qui lui ont donné une image de marque rebelle et iconique. A l’inverse, la marque BMW est cool parce qu'elle renvoie à un statut social élevé. Les chercheurs montrent également que le cool associé à la marque influence des variables de résultats telles que l’attitude et la satisfaction des consommateurs à l’égard de la marque, leur intention d'en parler, et leur volonté de l’acheter. Par l’analyse de sa construction plurielle et de ses implications diverses pour les marques, ces différentes recherches soulignent le caractère multidimensionnel du concept de brand coolness. b) Le cool associé aux marques, un concept mouvant Une marque ne naît pas cool mais peut le devenir, de la même façon qu’elle peut, à termes, perdre son caractère cool. Le fait d'être cool a permis à des marques en phase de démarrage (par exemple, Facebook) de s'imposer face à des concurrents établis (par exemple, Myspace). À l'inverse, le fait de ne pas être cool a fait sombrer certaines marques populaires et bien financées comme par exemple Segway, ou Zune (Warren, Batra, Loureiro, et Bagozzi, 2019). Les recherches ont montré que le concept de brand coolness est tributaire de divers éléments de contexte tels que la temporalité, la construction sociale, les appréciations subjectives etc., au sein desquels il s’inscrit. La notion de brand coolness est donc dynamique, et c’est ce qui en fait sa complexité. Plusieurs études ont cherché à étudier cette dimension mouvante afin de comprendre le processus par lequel une marque peut devenir ou perdre son caractère cool. O’Donnell et Wardlow (2000) ont proposé une théorie selon laquelle le cool trouve son origine dans la fluctuation entre le « moi réel » et le « moi idéal » au début de l'adolescence. Selon cette théorie, les adolescents sont incités à réduire la pulsion entre ces deux « moi » par des stratégies d'affiliation à un groupe de pairs. Au sein du groupe, des codes sémiotiques permettent de faire la distinction entre ce qui est cool et ce qui ne l’est pas, et construisent une
  • 21. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 21 identité commune aux membres. De façon plus globale, l’agrégation des points communs entre les différents groupes de jeunes permet d’établir ce qui est cool au sein de la société. Cette théorie soutient l’hypothèse selon laquelle le cool est déterminé par les appréciations de groupes d’adolescents, ce qui a donné naissance aux « chasseurs du cool » (Gladwell, 1997). Ces derniers cherchent à anticiper les tendances futures en descellant, parmi les codes sémiotiques de différents groupes de jeunes, des points communs concernant ce qui est considéré comme cool. En accumulant ces points communs, le chasseur du cool peut identifier des modes et inciter les marques à les initier afin de devenir cool. Par exemple, au milieu des années 1990, on observe la diffusion des jeans serrés au sein de la population, une tendance considérée cool par une majorité de groupes de jeunes de l’époque. Cette théorie permet d’appréhender la diffusion du cool et la construction d’une « marque cool » en partant de théories psychologiques liées à l’adolescence. Pour déterminer comment les marques cool évoluent au fil du temps, Warren, Batra, Loureiro, et Bagozzi (2019) ont quant à eux établi un cycle de vie du cool. Les marques deviennent initialement cool au sein d'une sous-culture particulière (par exemple, Quicksilver avec les surfeurs, Harley-Davidson avec les motards, Supreme avec les skaters) dont les membres perçoivent la marque comme rebelle, autonome, désirable et de statut élevé et l'adoptent comme un moyen de se distinguer de la masse. Par la suite, certaines marques de niche considérée cool parviennent à s’affranchir de cette sous-culture d’origine pour devenir cool auprès d’une cible plus large : elles deviennent des marques de masses cool. En faisant cette transition, elles sont perçues comme moins rebelles, moins originales, moins authentiques, moins extraordinaires, donc moins cool, par leur cible initiale (ici, surfeurs, motards et skateurs). Mais, bien qu'elles perdent une partie de leur autonomie, les marques de masse cool deviennent également plus emblématiques, contrôlent une plus grande part du marché, et imposent des prix plus élevés. Si les marques de masse cool, comme Nike, Appel ou Beyonce, sont plus populaires et rentables que les marques de niche cool, elles doivent toutefois veiller à conserver les éléments qui les ont rendues cool en premier lieu (désirabilité, autonomie etc.) pour ne pas perdre ce caractère cool. Le cycle de vie proposé par les chercheurs suggère aux marques de tenir compte de leur positionnement sur le marché (de niche ou de masse) lorsqu’elles mettent en place des stratégies pour devenir cool. Ainsi, dans un premier temps, une marque qui n’est pas perçue comme cool peut devenir cool sur un marché de niche en adoptant des comportements (produits, promotions, stratégies de prix et de distribution) qui lui donnent une apparence rebelle, originale, et authentique. Ce type de marque doit également d’abord cultiver une relation étroite avec une sous-culture particulière plutôt que d’essayer de s’insérer directement sur un marché de masse. Après avoir réussi à devenir une marque de niche cool, la marque peut ensuite s’orienter vers une cible plus large tout en conservant son autonomie (par exemple, Apple conserve son autonomie en se positionnant comme une alternative plus avant-gardiste à Microsoft), et son lien avec la sous- culture initiale (par exemple, Nike conserve son lien avec les athlètes de haut niveau). Cependant, l’étude souligne que la préservation d’une image cool auprès des consommateurs issus de la sous-culture d’origine (marché de niche) nécessite des actes qui peuvent parfois sembler trop autonomes pour les consommateurs du marché de masse. Dans le cas de la marque Harley Davidson, une raison possible pour laquelle ses motos continuent d'être perçues comme cool par les motards – la sous-culture au sein de laquelle la marque s’est d’abord développée – est que la plupart des consommateurs du marché de masse trouvent ces motos trop bruyantes. Inversement, les marques qui représentent un niveau d'autonomie
  • 22. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 22 considéré cool par le grand public, comme Starbucks ou Gap, peuvent paraitre trop classiques pour les consommateurs affiliés à une contre-culture (Warren et Campbell, 2014). Pour la marque cool, la difficulté devient alors de conserver un niveau d’autonomie qui la rende cool aux yeux du plus grand nombre de consommateurs. En étudiant l’origine et l’évolution des marques cool, ces recherches mettent en évidence le caractère mouvant, dans le temps, au sein de la société, et sur le marché, du concept de brand coolness. B. La condition de l’authenticité dans la construction des marques cool a) L’authenticité, un critère essentiel aux marques pour être cool Le concept multidimensionnel de brand coolness accorde une place essentielle à la notion d’authenticité. Pour être considérées cool, les marques doivent être perçues comme authentiques. Nick Southgate (2003) explique qu’aux yeux des « chasseurs du cool », l’authenticité est la marque profonde d’un comportement cool. Ainsi, afin de détecter les futures tendances qui inspireront les marques cool, les chasseurs du cool cherchent à se rapprocher de jeunes adoptant des comportements considérés comme authentiques. Comme nous l’avons illustré précédemment, l’authenticité est une notion multidimensionnelle et subjective, c’est pourquoi les chasseurs du cool la traduisent de manière concrète par la capacité des jeunes à s’exprimer. Selon les chasseurs du cool, la volonté de s'exprimer fait naturellement partie du fait d'être cool dans la mesure où les personnes cool s’expriment dans le but de s'engager socialement. Ce constat est d’autant plus vrai chez les adolescents chez qui l’expression de soi est le moyen de s’intégrer auprès d’un groupe de pairs et de forcer leur respect. L’étude de la démarche adoptée par les chasseurs du cool permet de mettre en exergue le lien intrinsèque entre l’authenticité, le cool, et les marques. Ici, les modes et tendances initiées par les marques cool trouvent leur origine dans la manière, considérée comme authentique, qu’ont certains adolescents de s’exprimer au sein de la société. A travers leur recherche menée autour du concept de brand coolness, Warren, Batra, Loureiro, et Bagozzi (2019) montrent que l’authenticité figure parmi les dix caractéristiques qu’ils ont identité comme étant propres aux marques cool. Ces chercheurs ont réalisé huit études afin de mieux appréhender la manière dont les consommateurs définissent les marques cool. Pour chaque étude, les répondants devait soit évaluer une marque qu'ils considèrent comme cool, soit évaluer une marque qu'ils ne considèrent pas cool, soit évaluer ces deux types de marques. A l’issue des différents groupes de discussion organisés, l’analyse des réponses a révélé que le terme « authenticité » est le mot le plus souvent associé aux marques cool. Les commentaires et interventions des personnes sondées ont également montré que cette notion était associée aux marques cool de façons différentes en fonction des individus. Par exemple, l’une des personnes interrogées soutenait que "les marques cool n'essaient pas d'être cool et sont simplement ce qu'elles sont vraiment.", tandis qu’une seconde personne considérait que la maison de disque Fueled By Ramen "est une marque cool principalement en raison de son sujet et de son authenticité. [..]. elle s'est très peu écartée du genre avec lequel elle a commencé et accroît sa réputation avec chaque nouveau
  • 23. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 23 groupe alternatif à succès qu'elle cultive". Ces deux intervenants ont ici repris le concept d’authenticité vis-à-vis de soi afin de justifier le caractère cool d’une marque. Ce type d’authenticité, décrit par Moulard, Raggio et Folse (2021) dans leur cadre de correspondance de l’entité-référente de l’authenticité, renvoie à perception du consommateur de la mesure dans laquelle le comportement d'une marque correspond à ses motivations intrinsèques (passion pour son activité, enthousiasme vis-à-vis de son domaine etc.). Selon ces deux intervenants, une marque est cool dans la mesure où elle reste cohérente et fidèle à ses valeurs, conservant une authenticité vis-à-vis d’elle-même. Par ailleurs, d’autres personnes sondées ont révélé l’importance de rester continue dans le temps pour être une marque cool. La marque Jack Daniels a par exemple été citée parmi les marques cool parce qu’elle parvient à cultiver l’image d’une marque traditionnelle, vintage et conserve ainsi les mêmes codes au fil des années. En ce sens, la marque est ici considérée authentique par rapport à la construction de son histoire et de son image, ce qui explique son caractère cool. Ces recherches soulignent l’importance de la notion d’authenticité pour parvenir à déterminer ce qui est cool, puis pour identifier les marques cool. Les chercheurs montrent que l’authenticité est un critère central à respecter par les marques pour être perçues comme cool par les consommateurs. b) L’authenticité, une caractéristique que les marques cool entretiennent et valorisent Si l’authenticité est une caractéristique centrale dans la définition du concept de brand coolness, à l’ère de la modernité et des nouvelles technologies, les marques cool doivent plus que jamais cultiver ce trait pour continuer à convaincre et attirer les consommateurs. Ces derniers ont développé le sentiment d’être empêchés de vivre une existence « réelle », et exigent désormais des produits qui répondent à leur demande d’authenticité (Molleda, 2010). Dans le contexte du tourisme, Cravatte (2012) explique que la demande d’authenticité est portée par une classe moyenne urbaine et se traduit par la quête d’un ailleurs idéalisé échappant à la société de consommation et prenant un caractère pré-moderne, traditionnel, harmonieux, vrai, ou singulier. Plusieurs recherches ont tenté d’analyser la façon dont les marques cool manifestent leur authenticité afin de rester cool aux yeux des consommateurs. Hemetsberger, Kittinger-Rosanelli, et Mueller (2011), montrent que les marques rétros sont considérées cool par les consommateurs jeunes et moins jeunes parce qu’elles renvoient à une forme d’authenticité à travers l’histoire, la mémoire de l'enfance, la nostalgie, et l'intemporalité. Cette étude explique que les marques rétros apparaissent comme des objets authentiques, des icônes de la mode, et participent par ailleurs à la quête identitaire des plus jeunes consommateurs. En effet, les adolescents recherchent une certaine forme d’autonomie – une distance par rapport à des valeurs et à des développements sociétaux particuliers – et, en consommant des marques rétros, il s’opposent aux modèles de consommation établis et apparaissent comme des « héros de la consommation non-conformiste » aux yeux de leurs pairs. En ce sens, les marques rétros sont cool parce qu’elles permettent aux jeunes consommateurs d’affirmer leur indépendance, cependant, en devenant des marques de masse, elles peuvent perdre leur caractère cool en n’incarnant plus la même forme d’authenticité.
  • 24. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 24 Par ailleurs, Morris et Anderson (2015) se sont appuyés sur une étude qualitative portant sur 115 vidéoblogs (vlogs) et un entretien approfondi avec Charlie McDonnell (vlogger très populaire en Grande-Bretagne, qui a lancé sa chaîne Charlieissocoollike) et ont montré que, sur Youtube, certains vloggers (vidéos bloggeurs) cultivent leur caractère cool grâce à la diffusion d’un contenu authentique, reposant sur une définition nouvelle de la masculinité au sein de la société. Selon les résultats de cette étude, le succès de ces youtubeurs repose notamment sur le fait que, malgré des niveaux d’audiences très élevés et un engagement croissant envers les médias traditionnels et les célébrités, ces derniers conservent et entretiennent une forme d’authenticité à travers leurs choix vestimentaires, leurs activités sociales, leur manière de s’exprimer et les valeurs qu’ils véhiculent. En misant sur leur authenticité, ces vloggers renforcent leur caractère cool et deviennent des marques cool de célébrités en ligne. Finalement, dans le contexte du brand coolness, la notion d’authenticité s’étend bien au-delà de la simple stratégie marketing. Le succès de chaînes Youtube incarnant des valeurs et transmettant des messages forts dénote du fait que, dans un monde au sein duquel la transparence des informations est facilitée par Internet et les médias sociaux, la question fondamentale pour les marques cool n’est pas tant de communiquer sur leur authenticité, mais plutôt d’apparaître dans leur ensemble comme des structures authentiques, répondant à la fois aux besoins des employés, des consommateurs, et de toute la société (Weinberger, Weindruch, Arnold, Gilmore, Pine II, et Brackett, 2008). III. L’authenticité, une valeur au cœur de la sous-culture de consommation hip-hop A. La culture hip-hop, les origines d’une nouvelle source d’inspiration pour les marques a) La culture hip-hop, la naissance d’un courant artistique engagé Né à la fin des années 60 dans le quartier du South Bronx à New York, la culture hip- hop s'articule autour de quatre activités principales : le rap, l'art du graffiti, le breakdance, et le DJ-ing (Arthur, 2008). Au fil des années, ce courant artistique s’est massivement exporté à travers le monde, jusqu’à devenir, de nos jours, un champ culturel majeur. Plusieurs chercheurs ont tenté d’étudier ce mouvement afin d’en saisir les fondements, la caractéristiques, et les enjeux politiques et sociaux sous-jacents. Selon Fofana (2012), le mouvement hip-hop s’est en premier lieu développé à New- York, dans les quartiers pauvres ébranlés par la violence guerres de gangs. Dans ce contexte, les jeunes qui se retrouvaient pour faire la fête adoptent progressivement de nouveaux modes d’expression à travers la danse, l’utilisation des platines, les joutes verbales et les fresques murales, donnant naissance à une culture nouvelle. La sociologue souligne qu’au-delà de sa dimension artistique, le hip-hop apparaît en premier lieu comme une alternative à la violence, « même si aujourd’hui on met en avant la créativité, les valeurs de solidarité, il ne faut pas oublier que le hip-hop se fonde d’abord sur la rage et la violence. Il est un dérivatif à la violence physique, et s’en nourrit. ». Cet aspect se retrouve notamment dans les textes de musique rap, parfois très virulents, ainsi que dans les performances chorégraphiques symbolisant l’idée de combat : les « battles » de danse. En représentant la violence de façon créative et pacifique, le
  • 25. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 25 hip-hop peut être appréhendé comme un mouvement politique, à la fois tributaire d’un contexte et des interprétations de chacun. Par ailleurs, la sociologue détaille certaines caractéristiques propres à cette culture. Elle insiste notamment sur l’importance de l’oralité, « le fait de s’inscrire dans des histoires et des fragments d’histoire » en introduisant des codes reconnus sans être établis – comme le montre l’exemple des battles de danse dont l’organisation, sans avoir été définie officiellement, est reconnue et acceptée de tous – et insiste sur l’enjeu fondamental de la maîtrise : c’est « la maîtrise de son art, la maîtrise de sa pratique qui donne la légitimité et la reconnaissance des pairs ». Enfin, l’auteur explique que si de nombreux mouvements créatifs valorisent l’introversion des artistes et les évolutions individuelles, le hip-hop est quant à lui un art profondément social : « pour être reconnu, il faut se frotter au regard des pairs » car « le hip-hop renvoie véritablement à une façon d’être ensemble, de penser ». En s’appuyant sur une étude de terrain effectuée entre 2008 et 2011, Ailane (2013) insiste sur la dimension politique du hip-hop dans les zones urbaines précaires du Brésil. L’auteur reprend le cas du MH2O-Ce (Movimento hip-hop Organizado do Ceará), le premier collectif de « hip-hop organisé » de la ville de Fortaleza, initié par des étudiants anarchistes désireux de créer une structure qui soit dirigée par des artistes de la scène hip-hop et utilisant cet art pour communiquer avec les populations les plus vulnérables – en particulier les jeunes. A partir de cet exemple, l’auteur montre comment le hip-hop est devenu un instrument au service du changement social – promouvant la pédagogie de la reconnaissance de soi et luttant contre la stigmatisation des habitants – qui traduit les convictions d’un mouvement politique de gauche (ici, l’anarchisme). Par ailleurs, dans un article portant sur le hip-hop et les injustices sociales, Washington (2018) explique comment le hip-hop et la musique rap peuvent permettre aux services de justice sociale de mieux saisir les enjeux et difficultés auxquels sont confrontés les hommes noirs américains. En effet, si ces derniers sont statistiquement moins enclins à considérer les services sociaux comme des solutions d’accompagnement bénéfiques, c’est notamment en raison de l’incapacité de la plupart des conseillers à comprendre l’importance du racisme institutionnel auquel ils font encore face de nos jours. Or, parce ce qu’ils retranscrivent un vécu et sont porteurs de revendications sociales fortes, Washington soutient que certains textes de rap américains peuvent être utilisés par les conseillers sociaux – quel que soit leur spécialité ou leur cadre professionnel – comme des outils pour mieux comprendre la manière dont les noirs américains évoluent au sein d’une société encore fortement confrontée au racisme. Enfin, en adoptant un point de vue philosophique et expérientiel, Weill (2018) identifie quant à lui plusieurs caractéristiques propre à la culture hip-hop et met en lumière ses dimensions éducatives et sociales. Dans un premier temps, il explique que la particularité des œuvres hip-hop est qu’à la différence des œuvres classiques, elles articulent l’activité physique à l’activité intellectuelle : « Le hip-hop appelle les sens, le mouvement avant de mettre en branle la pensée. ». L’auteur appréhende le hip-hop comme une « expérience esthétique fondamentale » – ce concept étant défini par John Dewey (1934) comme le fait que la rencontre avec une œuvre implique une participation active du spectateur qui, en évoquant son ressenti, contribue à l’édification de l’art dans son ensemble. De plus, Weill explique que le hip-hop se caractérise par un état d’esprit particulier reposant sur les notions de transformation et de subversion. La transformation renvoie à un processus d’apprentissage et
  • 26. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 26 d’évolution que l’on retrouve par exemple dans l’exercice de la danse. Tandis que la subversion sous-tend l’idée d’émancipation – la capacité du hip-hop à rompre avec l’existant pour proposer une autre vision du monde – comme l’illustre l’art du graffiti qui, en détournant l’utilisation de la bombe de peinture industrielle, se transforme en un acte de transgression spontané et éphémère, s’opposant à la dimension permanente de l’art pictural classique. Enfin, l’auteur souligne le rôle du hip-hop en tant qu’outil de médiation sociale auprès des adolescents. En effet, parce que l’on retrouve dans le hip-hop, tout comme chez les adolescents, une volonté de se réapproprier le monde, et parce que cette culture tient compte des « besoins spécifiques pour permettre une inscription dans le collectif où chacun a sa place sans être renvoyé à ses particularités », elle apparait comme un outil pour aider les jeunes à s’exprimer, se construire, et s’intégrer à la société. La culture hip-hop est finalement un mouvement artistique profondément social et politique, qui parvient à fédérer les individus – notamment les plus jeunes – en leur offrant la possibilité de définir, d’exprimer, et d’affirmer librement leur identité. b) La culture hip-hop, apparition d’une communauté plurielle Le rayonnement international du hip-hop a donné naissance à une communauté composée d’individus aux profils variés. Face à l’hétérogénéité de cet ensemble, plusieurs chercheurs ont tenté d’identifier des caractéristiques propres aux membres de cette culture hip-hop. Durant deux mois, Motley et Henderson (2008) ont réalisé trente-cinq entretiens approfondis avec des amateurs de hip-hop issus de pays différents afin de déterminer les points communs entre les membres de cette diaspora. Les résultats de leur recherche ont révélé que les membres de la communauté hip-hop sont rassemblés, non seulement autour d’une sensibilité artistique commune envers le rap, le graffiti, la danse ou le DJ-ing, mais également autour d’un sentiment de marginalité puissant, à la fois réel et imaginaire. Les auteurs reprennent ici le paradigme des « marginalités collectives », développé par Osumare (2007), selon lequel tous les membres du hip-hop s’identifient à la marginalisation des populations noires dénoncée dans le hip-hop américain, et adaptent cette dénonciation à leur histoire personnelle et aux difficultés ethniques et sociales qu’ils rencontrent au sein de leur propre pays. Le hip-hop fédère ainsi, à une échelle internationale, des populations historiquement marginalisées et opprimées, comme par exemple les Nord-Africains de France et les autochtones de Nouvelle-Zélande (Maoris). D’autre part, Chalmers et Arthur (2008) se sont intéressés à une catégorie extrême de membres du hip-hop australien – les membres hardcore – afin d’analyser la façon dont ils construisent leur identité, vivent, et expriment leur appartenance à ce mouvement. Les résultats de leur recherche révèlent que les membres hardcore du hip-hop adoptent un mode de vie construit autour de la notion de sacré. Cette dimension se retrouve dans leur façon d’appréhender certaines personnes, certains lieux, ou certains objets qu’ils perçoivent comme étant la quintessence de la culture hip-hop. Par exemple, certaines paires de baskets recouvrent une dimension sacrée parce qu’elles ont été portées par les premières star du rap, renvoyant ainsi aux prémices du hip-hop. De la même manière, les membres hardcore du hip-hop considèrent certains individus ou lieux comme étant sacrés ils ont permis l’émergence de cette culture alternative. L’une des personnes interrogées explique, par exemple, que la ville de New York est une référence sacrée du hip-hop en raison de son lien passé et présent avec le
  • 27. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 27 mouvement. De nos jours, de nombreux évènements hip-hop sont organisés à New York, ville dans laquelle cette culture est née. En détaillant le profil des membres hard-core, cette étude met en exergue les caractéristiques propres à une catégorie de la communauté hip-hop, suggérant l’existence d’autres catégories tributaires du niveau d’implication des individus dans le courant hip-hop. En effet, dans une autre étude portant sur le hip-hop australien, Arthur et Sherman (2010) appréhendent ce mouvement comme étant une « contre-culture orientée vers la consommation », c’est-à-dire une « entité fournissant un espace pour que les membres puissent développer et exprimer leurs conceptions de soi aux côtés d'autres membres ayant des intérêts similaires, tout en leur permettant de positionner leurs valeurs, attitudes et opinions uniques contre la culture dominante et de masse ». Ils montrent que les membres de cette contre-culture endossent différents statuts selon leur niveau d’engagement dans le courant. Les auteurs observent d’un part que le noyau dur du courant hip-hop australien est composé des membres hardcore. Ces derniers sont caractérisés par leur engagement total et durable à l’égard des valeurs de la contre-culture hip-hop australienne qui représente une dimension majeure dans leur construction identitaire personnelle. L’objectivation du capital contre-culturel hip-hop des membres hardcore varie considérablement, allant de l'abandon de la consommation symbolique jusqu'à la consommation d'un style homologue mais distinctif. D’autre part, les membres softcore, plus nombreux mais moins influents et moins respectés, sont décrits comme des individus subordonnés aux membres hardcore. Les membres softcore sont moins impliqués dans la contre-culture hip-hop et s’intéressent essentiellement aux qualités symboliques des marques, produits, et activités qu’ils consomment dans le but d’affirmer leur identité et leur appartenance à la communauté hip-hop australienne. Enfin, Arthur et Sherman distinguent les membres périphériques, des individus s’intéressant à la contre-culture hip- hop australienne uniquement par un effet de mode. Ces derniers ont un faible niveau d’engagement envers le hip-hop australien et considèrent que l’appartenance à ce mouvement n’est qu’un jeu d'identité qu’ils peuvent abandonner rapidement – c’est pourquoi les membres hardcore et softcore ne les considèrent pas comme des membres à part entière.
  • 28. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 28 Ces études mettent finalement en évidence une gradation du niveau d’implication des membres dans la culture hip-hop. B. La culture hip-hop, avènement d’une sous-culture de consommation « authentique » a) L’importance de la notion d’authenticité dans le hip-hop Au sein de la culture hip-hop, l’authenticité est appréhendée comme un registre « d’évaluation et de validation des objets, des pratiques et des individus » (Guillard et Sonnette, 2020). Plusieurs recherches ont tenté de démontrer comment les membres de cette culture valorisent et incarnent ce concept multidimensionnel. Dans un article publié en 1999, McLeod a identifié six dimensions du hip-hop au sein desquelles la notion d’authenticité est prédominante : la dimension psychologique et sociale (liée à la construction identitaire des membres du hip-hop), la dimension genrée et sexuelle (liée au concept de masculinité dans le hip-hop), la dimension ethnique (liée à l’appartenance des membres à la communauté noire américaine), la dimension culturelle (liée à l’opposition entre les valeurs de « l’ancienne école », et celles de « la nouvelle école » du hip-hop), la dimension politico-économique (liée aux enjeux de l’élévation socio-économique des membres du hip-hop), et la dimension locale (liée au lien entretenu par les membres du hip-hop avec leur quartier populaire d’origine). Selon l’auteur, l’authenticité est une notion centrale dans la construction identitaire de la plupart des membres de la communauté hip-hop. Pour être reconnu et accepté comme un membre du hip-hop, il s’agit d’être honnête envers soi-même et envers les autres, de « rester vrai », et d’« être authentique ». De plus, le modèle de masculinité diffusé massivement au sein du hip-hop sert de base d’évaluation de l’authenticité des individus. Selon cette culture, l’authenticité d’un homme dépend de son orientation sexuelle (hétérosexualité ou homosexualité), et de la posture sociale qu’il adopte (virilité et domination, ou comportements considérés comme féminins…). En outre, l’authenticité des membres du hip-hop dépend de
  • 29. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 29 leur appartenance ou non à la communauté noire américaine. Le hip-hop étant né au sein de ce groupe ethnique, les personnes noires ont tendance à être considérées comme des « membres authentiques du hip-hop ». D’autre part, McLeod souligne que la notion d’authenticité se retrouve également dans les différents courants du mouvement : « En identifiant « l’ancienne école » […] comme une période où une culture hip-hop pure existait, les membres de la communauté hip-hop invoquent un passé authentique qui stabilise le présent. ». Les membres de « l’ancienne école » du hip-hop sont ainsi considérés comme des « références authentiques du hip-hop » dans la mesure où ils ont participé à la construction et à la diffusion de cette culture qu’ils appréhendaient à l’époque, non comme une sous-culture de consommation lucrative, mais comme un mouvement artistique politique fort. Enfin, l’auteur explique que la notion d’authenticité renvoie également à la dimension politico- économique du hip-hop. En effet, l’authenticité transparait à travers le degré de notoriété et d’enrichissement des membres de la communauté hip-hop – notamment des artistes hip-hop. Plus un artiste hip-hop est mis en avant par l’industrie artistique à laquelle il appartient, plus il s’enrichit et s’éloigne de ses origines socio-économiques, et moins il est considéré par les membres du hip-hop comme un « porte-parole authentique de la rue ». De même, McLeod pointe l’importance du lien que les artistes entretiennent avec leur quartier d’origine ; pour un artiste hip-hop, « être authentique » implique « rester fidèle à ses racines » populaires. Ainsi cette étude, bien que nuançable en raison de son ancienneté, présente un panorama global des dimensions du hip-hop au sein desquelles la notion d’authenticité joue un rôle clé. Par ailleurs, à travers une étude réexaminant les réactions observées dans le monde hip-hop après l’obtention par le groupe Manau de la récompense du « meilleur album Rap et Groove » l’année 1999, Hammou (2005) analyse le paradoxe d’un « groupe rappant sans pouvoir se considérer comme un groupe de rap », et interroge la notion d’authenticité dans la musique rap. Si la musique de Manau reprend indéniablement la rythmique du rap, Hammou explique que l’intégration de ce groupe à la catégorie musicale « Rap », ainsi que son obtention de la récompense du « meilleur album rap », ont massivement été décriées par la communauté hip-hop de l’époque. En effet, à l’issue de la cérémonie des Victoires de la Musique, la presse spécialisée rap (notamment le magazine Groove) et plusieurs artistes de la scène rap ont dénoncé le fait que ce groupe déconnecté des « principes fondateurs du hip-hop » ait été récompensé : « si tu fais de la musique sans message comme les gars, là, de la vallée […], cette musique peut servir à un gala du FN, n’importe qui peut la prendre et la mettre en sa faveur »3 . Selon Hammou, le groupe Manau cristallise l’opposition entre, d’une part, la démarche authentique du mouvement hip-hop et, d’autre part, les motivations commerciales de l’industrie musicale française, ainsi que l’opposition entre le rap « authentique » porteur de message et incarné par des minorités marginalisées, et le rap « commercial » « aux thèmes consensuels privilégié par les « grosses radios » ». L’histoire de ce groupe témoigne de l’importance de la notion d’authenticité dans le monde du hip-hop, et souligne le fait que de nombreux membres de cette culture évaluent l’authenticité des rappeurs au-delà de la musique qu’ils créent. Finalement, l’expansion du mouvement hip-hop et la massification des consommateurs de musique rap semblent avoir renforcé le poids de la notion d’authenticité au sein de la culture hip-hop. 3 Propos tenus par Rocca, rappeur du groupe La Cliqua.
  • 30. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 30 b) L’importance des choix de consommation « authentiques » pour les membres du hip-hop En fédérant un grand nombre d’individus autour de valeurs, de pratiques culturelles, et d’attitudes de consommations communes, le hip-hop est devenu une sous-culture de consommation majeure au sein de la société. Une sous-culture de consommation peut être définie comme étant « un sous-groupe distinct de la société qui s'auto-sélectionne sur la base d'un engagement partagé envers une classe de produits particulière, une marque ou une activité de consommation. Les autres caractéristiques d'une sous-culture de la consommation comprennent une structure sociale hiérarchique identifiable, un ethos unique, ou un ensemble de croyances et de valeurs partagées, ainsi que des jargons, des rituels et des modes d'expression symbolique uniques. » (Schouten et McAlexander, 1995). Burgh‐Woodman et Brace‐Govan (2007) soulignent qu’à la différence des communautés de marque, les sous- culture de consommation existent en dehors des marques et influencent l’ensemble des modes de vies de leurs membres. Les auteurs expliquent que la « sous-culture de consommation » est une notion complexe dont le cadre s’étend au-delà du domaine marketing, et insistent sur la nécessité pour les marketeurs de tenir compte des différences entre « communauté de marque », « sous-culture », et « sous culture de consommation », afin de mieux analyser les comportements des consommateurs « sous-culturels ». Par ailleurs, dans son étude de la sous- culture du surf, Irwin (1973) suggère qu'une sous-culture de consommation présente un cycle de vie composé de quatre étapes : l’articulation (apparition de la sous-culture de consommation au sein d’un groupe de pairs), l’expansion (affirmation et développement de la sous-culture de consommation), la corruption (exploitation de cette sous-culture par des membres extérieurs au groupe de pairs originel) et le déclin (diffusion massive de la sous- culture de consommation au sein de la société : passage de sous-culture de consommation à culture de masse). En appliquant ce cycle de vie à la sous-culture de consommation des motards Américains, Schouten et McAlexander (1995) conseillent aux spécialistes du marketing qui souhaiteraient exploiter une sous-culture de consommation pour renouveler leur offre et élargir leur marché, de veiller à ne pas diluer les spécificités qui la rendent autonome, unique, et attrayante. En tant que communauté issue d’une sous-culture de consommation majeure, la communauté hip-hop a développé des attitudes de consommation spécifiques visant à affirmer son identité et son appartenance à la culture hip-hop. Ainsi, plusieurs chercheurs ont tenté de déterminer la manière dont les membres de cette communauté revendiquent leur « identité hip-hop » à travers des choix de consommation « authentiques ». Dans une étude portant sur le concept d’authenticité et les choix de consommation des membres du mouvement hip-hop australien, Arthur (2006) révèle que ces derniers consomment des marques qu’ils perçoivent comme étant authentiques selon une approche nationale-identitaire du hip-hop. Selon l’auteur, les membres du hip-hop australien se sont progressivement détachés de l’idée selon laquelle « la représentation symbolique de l'authenticité du hip-hop était l'imitation du style hip-hop américain et la consommation de marques hip-hop américaines », afin de développer une consommation qui s’éloigne du style afro-américain et qui soit plus en phase avec leur histoire et identité nationale, donc plus authentique. Par conséquent, ces derniers ont tendance à consommer des marques hip-hop australiennes plutôt qu’américaines afin de mettre en avant leurs origines culturelles et géographiques et participer à la construction d’un « capital culturel hip-hop » australien.
  • 31. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 31 Par ailleurs, Arthur souligne que les membres du hip-hop australien considèrent des choix de consommation comme étant authentiques à partir du moment où ils reflètent au moins un des aspects de leur identité plurielle. Par exemple, DJ Nixon, l’une des personnes interrogées dans le cadre de l’étude, explique qu’il ne consommera jamais la marque hip-hop afro-américaine FUBU (For Us By Us) car cette dernière ne fait pas référence à son histoire personnelle, or « il ne veut pas donner une fausse image de lui-même ». Cependant, il explique pouvoir consommer d'autres marques américaines telles que Polo Ralph Lauren et Nautica, qui ne sont pas issues de la culture hip-hop mais illustrent certains aspects de son identité tels que le fait qu’il soit d’origine « blanche », de classe moyenne supérieure etc. Cette étude souligne le fait que les choix de consommation des membres de la communauté hip-hop australienne ont une dimension symbolique forte et traduisent le désir des membres d’affirmer leur authenticité personnelle et nationale. Par ailleurs, en interrogeant 1221 consommateurs américains, Podoshen, Andrzejewski et Hunt (2014) révèlent que les afro-américains membres de la culture hip-hop adeptes de musique rap ont une plus forte propension au matérialisme et à la consommation ostentatoire que les afro-américains s’identifiant à d’autres courants et genres musicaux. Selon les auteurs, ce phénomène s’explique par le fait qu’en accordant le statut de « consommateurs » aux afro- américains – population à l’origine du mouvement hip-hop et longtemps privée de libertés – la société leur a offert la possibilité d’accéder à une forme d’émancipation et de réussite sociale initialement réservée aux blancs. Ainsi, « les racines de la culture matérialiste et ostentatoire qui entoure le hip-hop […] peuvent être considérées comme un amalgame de facteurs internes et externes liés à un désir d'inclusion et d'égalité » des membres noirs américains du hip-hop. Enfin, de façon plus globale, les chercheurs suggèrent que la culture hip-hop accentue les penchants matérialistes et la consommation ostentatoire chez les individus, et ce, quelle que soit leur origine ethnique. Ce résultat soulève un paradoxe important propre aux membres de cette sous-culture de consommation : d’une part, le matérialisme et la consommation ostentatoire peuvent être appréhendés comme des attitudes inauthentiques et superficielles en contradiction avec les valeurs sociales et politiques prônées par le hip-hop ; d’autre part, ces attitudes peuvent être considérées comme des modèles de consommation authentique dans la mesure où elles illustrent la volonté – ou la réussite effective – de certains membres de la communauté hip-hop de s’émanciper d’une forme d’infériorité socio-économique : « Started from the bottom and now we’re here »4 . Ces deux études montrent que l’authenticité permet d’orienter les choix de consommation des membres de la culture hip-hop, mais que, selon leur façon d’appréhender cette notion, ces derniers peuvent adopter des comportements d’achats très différents. 4 Parole extraite de la musique « Started from the bottom » du rappeur Drake.
  • 32. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 32 Notre revue de littérature nous a d’une part permis d’analyser l’authenticité en tant que notion marketing centrale, et, d’autre part, en tant que valeur essentielle au sein de la culture hip- hop. Notre étude de terrain visera à mettre en perspective ces deux approches de l’authenticité en analysant le point de vue de jeunes membres du hip-hop à l’égard des concepts de « marque cool » et de « marque authentique ».
  • 33. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 33 PARTIE 2 : L’ETUDE DE TERRAIN
  • 34. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 34 I. Description de l’étude terrain A. Objectif de l’étude de terrain A travers cette enquête nous étudierons la manière dont de jeunes français membres de la culture hip-hop définissent et identifient les marques cool, en se fondant sur l’importance qu’ils accordent à la notion d’authenticité pour apprécier ces marques, et en analysant l’importance qu’ils accordent aux marques cool et aux marques authentiques dans leurs choix de consommation. Nous observerons également la façon dont les jeunes interrogés évaluent le caractère cool et la dimension authentique de marques qui, dans leurs stratégies de communication, reprennent les codes de la culture hip-hop. La sélection de notre échantillon de répondants s’est appuyée sur la classification des membres de la culture hip-hop australienne proposée par Arthur et Sherman (2010) en l’appliquant, ici, à une partie de la communauté hip-hop française. Nous avons décidé de mettre en perspective le point de vue des jeunes membres de la culture hip-hop avec celui de jeunes français extérieurs à cette culture afin d’observer d’éventuelles similitudes et distinctions dans l’appréhension des marques cool et du critère d’authenticité. Ceci nous a conduit à ajouter la catégorie des « membres extérieurs » constituée de jeunes français ne connaissant pas et ne s’identifiant pas à la culture hip-hop. Pour réaliser cette étude, l’approche qualitative nous est apparue comme étant le format de recherche le plus pertinent pour aborder les mécanismes de réflexion de différents jeunes, en tenant compte de leurs parcours, de leurs influences, et de leurs expériences personnelles.
  • 35. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 35 B. Détail du protocole Nous avons échangé avec 18 personnes dans le cadre d’entretiens individuels d’une durée de 1h15 à 1h30. Les sondés étaient composés de 8 filles et 10 garçons, âgés de 18 à 26 ans, et habitant en France métropolitaine. Tous et toutes ont accepté que nous enregistrions leurs réponses. Afin d’identifier des profils pertinents pour l’étude, nous avons procédé à une présélection en tenant compte de deux critères : - L’âge : les sondés devaient être nés entre 1996 et 2003, c’est-à-dire avoir entre 18 et 26 ans (période coïncidant avec l’essor du hip-hop en France et âge correspondant à des profils de jeunes consommateurs). - L’identification à la culture hip-hop : il s’agissait dans un premier temps de déterminer à quel grand groupe d’appartenance – membre ou non-membre de la culture hip-hop – s’identifiait chacun des sondés, en posant la question : « T’identifies-tu à la culture hip- hop ? ». Puis, dans un second temps, les entretiens individuels nous ont permis de classer les membres de la culture hip-hop avec plus de précision, en les répartissant parmi les trois catégories suivantes : les membres périphériques, les membres soft- core, et les membres hard-core de la culture hip-hop. Afin de classer correctement nos répondants, nous avons repris les trois grands critères de différenciation utilisés par Arthur et Sherman (2010) : le niveau de capital culturel hip-hop incorporé (connaissances personnelles sur le hip-hop, rapport entretenu avec cette culture), le niveau de capital culturel hip-hop objectivé (modes de consommation hip-hop adoptés), et l’implication dans la culture hip-hop (pratique personnelle ou transmission d’un art du hip-hop). Avant chaque entretien, nous avons précisé la durée et le déroulement de l’échange, sans toutefois détailler l’objectif global de l’étude afin de ne pas introduire de biais dans les réponses obtenues. La première partie de l’entretien (environ 30 minutes) consistait à recueillir les définitions personnelles des concepts de « cool », « marque cool », « authenticité », et « marque authentique », et à étudier l’importance de ces notions dans l’appréciation des marques et l’orientation des choix de consommation des jeunes interrogés. Durant la seconde partie de l’entretien (environ 40 minutes), nous avons demandé aux sondés d’exprimer ce que leur évoquaient différentes marques et campagnes de communication au regard de leur appréciation des concepts de « marque cool » et de « marque authentique ». Nous leur avons présenté au total huit marques issues de différents secteurs d’activité (luxe, prêt-à-porter, grande distribution) ayant pour spécificité commune d’avoir développé des campagnes de communication reprenant certains codes de la culture hip-hop. Nous entendons ici par « codes de la culture hip-hop » toutes les références artistiques (art du hip-hop, artistes de la scène hip-hop) et sociales (expressions langagières, pratiques culturelles, revendications politiques, codes esthétiques…), propres aux membres de la communauté hip-hop. Dans un premier temps, le sondé donnait son opinion sur une marque sélectionnée en faisant le lien avec leur appréciation des concepts de « marque cool » et de « marque authentique ». Puis, dans un second temps – toujours en faisant le lien avec ces concepts – le sondé réagissait
  • 36. Loubna MOUDNI Marque cool, authenticité, et culture hip-hop 36 à une campagne de communication (format vidéo ou affiche publicitaire) réalisée par la marque, en précisant si sa perception et ses intentions d’achat à l’égard de cette dernière avaient évolué. L’objectif de cette partie était d’observer l’impact marketing de différentes campagnes de communication reprenant des codes du hip-hop, sur la perception et le comportement d’achat de jeunes consommateurs (membres et non-membres du hip-hop) à l’égard des marques. C. Marques sélectionnées Marques Campagnes Codes empruntés au hip-hop Clip publicitaire L.12.12 Eau de parfum (2021) https://www.youtube.com/watch?v=NWkBiyOerKk &ab_channel=Lacoste CODES ARTISTIQUES : La campagne est rythmée par la musique « In, In, In » du rappeur américain Zebra Katz ; la présence du champion du monde de BMX Matthias Dandois et celle du danseur hip-hop Salif Gueye illustrent un « écosystème artistique hip-hop ». CODES POLITICO-SOCIAUX : Les acteurs présents dans la vidéo incarnent la diversité, une valeur centrale dans la culture hip-hop, et l’architecture des bâtiments filmés fait allusion à la construction historique à la fois urbaine et populaire du hip-hop. Affiche publicitaire collection Lacoste x Moha La Squale (2018) CODES ARTISTIQUES : Ces deux campagnes ont pour égéries des figures de la scène rap française : Moha La Squale et Roméo Elvis.