Trame PttDj 2019/11/06 - L'identité des marques et des enseignes à l'heure de la digitalisation
1. Compte-rendu – 24ème petit-déjeuner de la Chaire
E.Leclerc/BearingPoint/ESCP Europe
« Prospective du commerce dans la Société 4.0 »
organisé le mercredi 6 novembre 2019 :
« L’identité des marques et des enseignes à l’heure
de la digitalisation »
Le petit-déjeuner du 6 novembre 2019 de la Chaire E. Leclerc/Bearing Point/ESCP Europe « Prospective
du commerce dans la société 4.0 » a eu pour thème : « L’identité des marques et des enseignes à
l’heure de la digitalisation », avec la participation du Professeur Benoit Heilbrunn, Professeur à l’ESCP
Europe, de Julie Lartigue, Senior Manager chez BearingPoint et de Nadia Dhouib, Directrice des
Galeries Lafayettes Champs-Elysées.
Les débats ont été animés par le Professeur Olivier Badot, ancien doyen à la recherche à l’ESCP Europe
et directeur scientifique de la Chaire et Elisabeth Denner, associée chez BearingPoint.
Les intervenants ont traité la thématique des marques et du digital et plus précisément l’impact de la
digitalisation sur les stratégies de marques et d’enseignes. Une théorisation générale de la thématique
est d’abord proposée par le Professeur Benoit Heilbrunn, ensuite une analyse approfondie des
stratégies de digitalisation des marques est présentée par Julie Lartigue, enfin une illustration de la
thématique est apportée par Nadia Dhouib à travers son témoignage sur le cas des Galeries Lafayette
Champs Elysées.
Identité de marque : entre cohérence et contradictions
Identité de marque et hyper-cohérence
L’approche marketing de la marque associe une marque à une emprunte durable. Cette approche
classique « consiste à associer la marque à des bénéfices fonctionnels et/ou émotionnels et à faire
raisonner ces bénéfices avec un espace socio-culturel ». Il s’agit d’une vision cognitive de la marque
qui devient un outil de positionnement.
Dans ce contexte, l’identité de la marque se résume à la création d‘une différence et à la répétition de
l’emprunte de la marque. Par conséquent, la codification devient la logique récurrente de construction
1
2. de la marque. Le rôle du directeur marketing se résume alors à renforcer la cohérence des codes de la
marque et de ses signes d’identification qui convergent vers une narration précise.
Cependant, une marque ne se réduit pas à ses signes d’identification. En effet, cela risque d’entrainer
un enfermement et une fossilisation de la marque à travers la répétition continue de ses codes et de
ses signes d’identification dans le temps.
Identité de marque et hyper-plasticité
Ainsi, se pose la question de savoir comment faire perdurer les éléments de codification de la marque
face à une société en constante évolution. Pour apporter des éléments de réponse, le Professeur
Heilbrunn souligne l’idée que la « constance n’est pas dans les éléments de codification de la marque
mais dans la narration de la marque c’est-à-dire, l’histoire racontée ». La marque Channel illustre très
bien cette logique en maintenant une narration similaire dans le temps autour de l’« empowerment
féminin » tout en rescénarisant les éléments de cette narration. Dans cette approche, le Professeur
Heilbrunn explique que l’identité n’est pas un état mais un processus. Une identité est construite en
permanence contrairement à l’identification qui est la répétition de l’identique.
Ainsi l’enjeu pour les marques est-il de « rester elles-mêmes en se confrontant à l’altérité
géographique ou culturelle ». La marque doit construire une plasticité en procurant une expérience
qui a du sens et qui présente plusieurs dimensions (cognitive, émotionnelle, pragmatique,
relationnelle, multisensorielle, utopique). Une hyper-plasticité de la marque peut néanmoins affecter
l’iconicité de la marque. C’est notamment le cas de Yahoo, incapable de gérer un système
d’identification suffisamment souple. Une hyper-plasticité de la marque entraine également un risque
d’entropie, c’est-à-dire qu’on ne comprend plus l’essence de la marque ainsi qu’un risque de dualité
en opposition au principe de cohérence encouragé par la théorie marketing de la marque.
Aujourd’hui les stratégies de communication des marques sont en train de passer d’une approche
cross-media, qui consiste à raconter la même histoire sur tous les points de contact de la marque, à
une approche trans-média, qui consiste à présenter une expérience et une narration de marque
différentes selon les points de vente. La marque n’est plus simplement une emprunte mentale mais
un facilitateur de lien. Le Professeur Heilbrunn explique que « la fonction de la marque n’est plus
seulement de faire vivre un ensemble cohérent d’associations mais c’est de catalyser des liens
potentiels qui font la richesse de l’existence personnelle et sociale ». On parle alors de l’utilité sociale
des marques, c’est-à-dire le rôle joué par les marques au sein de la société. Cette utilité sociale de la
marque est liée à sa capacité à transformer la vie des individus et des sociétés. Dans ce contexte, il est
essentiel de repenser la marque en incluant une dimension utopique. Il faut donc introduire une forme
de tension et de contradiction.
Pour conclure son intervention, le Professeur Benoît Heilbrunn souligne l’importance des pratiques
artistiques et créatives dans la construction d’une marque. En effet, le rôle d’une marque est de
comprendre l’évolution de la société et de « disrupter » des modèles figuratifs. L’avenir des marques
se trouve ainsi dans leur imprégnation des pratiques artistiques.
3. La réinvention de l’expérience de marque dans un contexte de
digitalisation
Pour comprendre les effets actuels du digital sur les marques, Julie Lartigue commence par une
rétrospective de la révolution digitale de ces vingt dernières années.
Au début de l’Internet, les marques ont considéré ce nouvel outil comme étant un nouveau canal de
distribution et un nouveau relais de croissance du chiffre d’affaires. Les marques, comprennent
rapidement que le digital peut également leur permettre de mieux connaitre leurs clients, leurs usages
et leurs expériences d’achat. C’est l’entrée dans le « people based marketing » qui permet, grâce à
l’acquisition de données clients, de valoriser la marque à travers l’usage et l’expérience offerte par la
marque, l’engagement de la marque et les communautés de consommateurs. On passe d’une
approche transactionnelle à une approche expérientielle.
Le digital permet aux marques de reprendre le contrôle sur leur image de marque, de se réinventer et
d’investir le direct-to-consumer. Cette stratégie du direct-to-consumer est réalisée de deux manières.
La première consiste à reprendre la conversation directe avec le consommateur à travers la création
d’expériences phygitales qui allient online et offline (applications, sites de marques, flagship stores,
etc). C’est le cas de Starbucks qui a réussi à créer une expérience phygitale unique dans son point de
vente à Shangaï à travers une expérience immersive dans l’univers de la fabrication de café. La
deuxième manière consiste à créer une stratégie direct-to-consumer en mettant en place une relation
intime entre la marque et ses clients par l’exploitation des données-client, l’intelligence artificielle et
le micro-ciblage. C’est le cas de Netflix qui a réussi à créer une intimité avec ses abonnés en
personnalisant la page d’accueil qui diffère selon l’abonné et un fil de recommandations basé sur les
goûts les envies des abonnés.
La question qui se pose est donc celle de savoir comment garder une cohérence face à la multiplication
des points de contact. Julie Lartigue explique que les marques actionnent trois leviers principaux pour
garder le contrôle tout en laissant les consommateurs s’exprimer : (1) respecter sa promesse de
marque, c’est-à-dire la raison d’être de la marque qui constitue une fondation unifiant tous les points
de contact et assurant une cohérence, (2) écouter et animer ses tribus via le « social listening » qui
consiste à identifier les points de résonance de ces tribus pour permettre de développer des services
et produits en résonnance avec leurs envies, (3) trouver le juste milieu entre contrôle et appropriation
de la marque par les consommateurs.
Pour finir, Julie Lartigue souligne l’importance des « détracteurs de la marque » qui doivent être
considérés comme des accélérateurs de changement permettant aux marques de se remettre en
question et de se réinventer plus rapidement. L’application de notation Yuka a poussé de nombreuses
marques à revoir la composition de leurs produits grâce aux avis des consommateurs.
4. Le cas des Galeries Lafayette Champs-Elysées
A travers son témoignage en tant que Directrice des Galeries Lafayette Champs-Elysées, Nadia Dhouib
a exposé les défis de l’ouverture d’un nouveau concept de magasin ainsi que les stratégies déployées
dans un contexte de digitalisation des marques et des enseignes.
L’accent a été mis d’abord sur l’architecture du lieu, en faisant appel à un architecte de renom qui,
bien que n’étant pas spécialisé dans le commerce de détail, a apporté un regard nouveau dans un
bâtiment art déco contribuant ainsi à la création d’une expérience unique en magasin.
Le branding a également constitué un élément-clé dans la stratégie marketing des Galeries Lafayette
Champs-Elysées. La proposition d’une typographie spécialement imaginée pour le magasin a contribué
à créer une « expérience authentique et sincère vis-à-vis des partenaires et des clients ».
La force de vente a également constitué un point important de la stratégie marketing de l’enseigne.
Les vendeurs des Galeries Lafayette Champs-Elysées deviennent des « personnal stylists », formés en
amont au sein de la « Retail Academy » pour accompagner au mieux les clients en magasin.
La présence du digital dans le magasin s’illustre à travers l’allocation d’un smartphone aux vendeurs
afin qu’ils puissent communiquer directement avec les clients du magasin et créer une relation
personnalisée avec eux. Le digital est également présent à travers le « ceintre connecté » qui fournit
l’information en temps réel sur la disponibilité d’un produit.
Pour conclure, Nadia Dhouib explique que la création d’une expérience singulière en magasin a pour
objectif de « surprendre les clients et capter de nouveaux clients qui ne venaient pas forcément sur les
Champs-Elysées ». Cette expérience est créée à travers un espace mouvant qui propose des espaces
de restauration ouverts sur des espaces de vente. C’est également un espace qui donne la parole aux
« influenceuses » pour créer une communauté autour de la marque.