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Goam Lee
Ungno est un
artiste coréen
qui a vécu au
XXe siècle (1904 – 1989) et
qui a beaucoup voyagé en
Asie et en Europe. Il a com-
mencé sa formation en
Corée auprès de deux
maîtres : Song Taehoi et Kim
Gyujin. Ce dernier lui a en-
seigné la peinture tradition-
nelle, notamment les fonde-
ments de la calligraphie*,
l’art de bien écrire. Afin de
poursuivre son apprentis-
sage, il a intégré une école
d’art japonaise (à cette
époque, la Corée avait été
annexée au Japon). Cette
nouvelle école lui a permis
de découvrir l’art européen
et des manières de peindre
différentes des habitudes
orientales, qu’il a aussi con-
tinué à étudier.
Devenu un ar-
tiste très répu-
té dans son
propre pays,
Lee Ungno a
enseigné et
occupé le poste de directeur
d’une école d’art. Dans les
années 1950, il a surtout
commencé à voyager en Eu-
rope, en France puis en Alle-
magne. Son style a beau-
coup évolué à cette époque
car il a chercher à mêler les
différentes traditions qu’il
connaissait, aussi bien asia-
tiques qu’occidentales. Ses
œuvres sont souvent un mé-
lange incroyable de calligra-
phie et peinture. Lorsqu’on
regarde ses tableaux, il est
parfois difficile de savoir s’il
écrit ou s’il dessine !
Mais cette
période de
sa vie est
malheureu-
sement
marquée par un événement
tragique. En 1967, alors
qu’il retourne en Corée pour
une exposition, il est arrêté
et condamné à la prison à
vie pour trahison. Une fois
redevenue indépendante, la
Corée avait été divisée en
deux pays mais les tensions
entre ces nations et avec le
reste du monde étaient de-
meurées très fortes depuis
la Seconde Guerre mondiale
et le gouvernement sud-
coréen a cru que le peintre
pratiquait des activités d’es-
pionnage pour le nord. Heu-
reusement, la mobilisation
internationale a réussi à le
faire libérer en 1970 et il est
revenu s’installer en France.
Son travail original y était
très apprécié et, grâce à Va-
dime Elisséeff, directeur du
musée Cernuschi, il a fondé
en 1971 une Académie de
peinture où il enseignait des
techniques inspirées des
arts asiatiques.
Lee Ungno
Peintre des écritures dessinées
Le musée Cernuschi, dans lequel se trouve une im-
pressionnante collection d’œuvres d’art asiatique,
propose en ce moment une exposition exception-
nelle consacrée à l’artiste coréen Lee Ungno.
Une vie
entre l’Asie
et l’Europe
Un style à
la rencontre
de plusieurs
traditions
Une
reconnaissance
internationale
Elise Kerner
Longévité, 1983, encre sur papier,
137,8 x 71,5 cm, Musée Cernuschi
En Occi-
dent*, nous
avons l’ha-
bitude de
bien différencier les métiers :
les gens travaillant dans des
bureaux, les artisans exerçant
des activités manuelles, les
intellectuels qui pensent et
écrivent, les artistes qui créent
des œuvres … le plus souvent,
chacun effectue son travail
dans son coin. En Asie, ça a
longtemps été différent et on
parle de lettrés plutôt que
d’artistes. Les lettrés sont des
individus très cultivés souvent
fonctionnaires pour leur pays,
et qui pratiquent également
plusieurs activités artistiques.
Une de ces activités est la
peinture et elle comporte des
traditions, c’est-à-dire des ha-
bitudes anciennes que l’on
continue de pratiquer, souvent
en les adaptant.
Lee Ungno a
reçu une for-
mation de
peintre let-
tré grâce à un maitre nommé
Kim Gyujin qui lui a enseigné
les traditions de la peinture
coréenne. L’une d’elles s’ap-
pelle les « Quatre plantes
nobles ». C’est la représenta-
tion de quatre végétaux très
appréciés pour leurs diverses
qualités : l’orchidée, le chry-
santhème, le prunier et le
bambou. Lee Ungno a d’ail-
leurs peint de nombreux bam-
bous et même signé certaines
œuvres « le peintre des bam-
bous » ! Il y a plusieurs raisons
à cela : la signature indique
son intérêt pour cette peinture
traditionnelle et l’idéogramme
(voir « Les signes ») utilisé
pour écrire « bambou » signi-
fie aussi « fonctionnaire » et
évoque, en coréen, les indivi-
dus importants et savants.
Les mots sont
donc extrême-
ment impor-
tants dans
l’art asiatique
et l’expression « peintre let-
tré » le montre bien. L’adjectif
« lettré » décrit une grande
culture et une connaissance de
la littérature, c’est-à-dire des
textes écrits. En Asie, peindre
et écrire ne sont pas vraiment
des activités séparées et la cal-
ligraphie est aussi importante
que les images représentant la
nature ou des scènes avec des
personnages. Tracer un signe
ou une phrase sur une feuille
de papier est un véritable art
dont il faut maitriser les outils
et les techniques. L’artiste ap-
prend à utiliser correctement
le pinceau, l’encre de Chine en
bâtonnet et le papier de riz
pour peindre des caractères
selon son propre style et en
faire des formes belles et
agréables à contempler.
L’œuvre présentée ici montre
que l’écriture d’un caractère et
la peinture abstraite*, c’est-à-
dire qui ne représente pas une
chose du monde visible, sont
très similaires ! Les lignes et la
composition sont le vrai sujet !
Lee Ungno peintre lettré et calligraphe
Des habitudes
différentes
Formation
traditionnelle
LES SIGNES ÉCRITS
Lettre : forme qui per-
met de construire des
syllabes et des mots
mais ne représente pas
une chose ou une idée
par un dessin
E x e m p le : l e mo t
« peintre » avec des
lettres russes : художник
Idéogramme : forme
qui permet à elle seule
d’évoquer une
chose ou une idée
La beauté
des signes
et des mots
Elise Kerner
Formation de
peintre lettré
par un maitre
coréen, décou-
verte des diffé-
rents arts modernes d’Orient et
d’Occident à l’école des Beaux-
Arts au Japon, rencontres avec
des artistes européens pendant
ses voyages en Allemagne et
en France, tout ce parcours fait
de mélanges et d’apprentis-
sage permanent conduit Lee
Ungno à expérimenter sans
cesse. Bien sûr, sa maîtrise des
gestes techniques et son savoir
-faire traditionnel sont des
compagnons de route durant
toute sa vie d’artiste et de pro-
fesseur. D’ailleurs, il enseigne
à ses élèves parisiens à manier
le pinceau et observer la nature
avec attention afin d’avoir les
outils nécessaires pour s’expri-
mer selon leur propre sensibili-
té. Mais il ne voit pas toutes
ces traditions comme des habi-
tudes figées ou des limites. Au
contraire, Lee Ungno les utilise
à sa manière et leur fait pren-
dre de nouvelles directions.
Composition, 1973, encre et cou-
leurs sur papier
154,9 x 68,9 cm Musée Cernuschi
Les idéo-
grammes chi-
nois s’imprè-
gnent des ca-
ractères de l’écriture coréenne,
tout se mélange et, peu à peu,
on ne voit plus des signes avec
un sens mais de simples
images. Il y a des similitudes
avec la calligraphie : le format
en longueur, des dessins res-
semblants à des caractères.
Mais ces signes n’appartien-
nent plus à un langage, ils sont
déformés, se recoupent entre
eux, laissent les couleurs se
mélanger avec les lignes. En
conclusion, il est impossible de
lire quoi que ce soit, il n’y plus
qu’à contempler. On peut dire
que Lee Ungno pousse l’idée
de la calligraphie jusqu’au
bout : pas de dessin figuratif
ou illustratif, plus de significa-
tion, juste des formes et des
couleurs… l’essentiel de la
peinture, sa matière première
en quelque sorte !
Quand on
o b s e r v e
certaines
œ u v r e s
de cette période, elles peuvent
faire penser à d’autres formes
d’art. Cette envie d’expérimen-
ter à partir des signes écrits a
été partagée par d’autres ar-
tistes, très différents, qui ont
également eu envie de trans-
former les lettres et les mots
en dessins. Aux Etats-Unis, on
les a d’ailleurs appelés les
« writers », terme qui signifie
« écrivains » mais nous les con-
naissons mieux sous le nom de
graffeurs.
Trap, Dez, Daze, 1983, New York
On retrouve dans leurs réalisa-
tions des formes de lettres
grossies, modifiées, mêlées,
qui occupent l’ensemble de la
composition et fabriquent une
image souvent éclatante de
couleurs. Bien sûr, les styles et
les ambitions sont différents
mais la démarche est proche.
De façon inattendue, des ar-
tistes de rue américains et un
peintre lettré coréen peuvent
appartenir à une même famille,
un peu comme des cousins
très éloignés !
Dondi, vers 1980, New York
Lee Ungno, signes écrits ou dessins ?
Créer
sans limite
Transformer
les mots
Des expériences
partagées
Elise Kerner
L’écriture et le
dessin ont tou-
jours été présents
dans la formation
comme dans l’oeuvre de Lee
Ungno. On a rencontré ce
double intérêt dans différentes
productions, proches de la cal-
ligraphie traditionnelle ou de la
peinture abstraite. Mais l’atten-
tion de l’artiste s’est portée sur
d’autres domaines encore et, la
nature comme les humains oc-
cupent une place importante au
cours de plusieurs périodes de
son art. Le « peintre des bam-
bous » a beaucoup observé les
groupes d’animaux et les végé-
taux, peignant tout au long de
sa vie, des flamants roses, des
singes, des oiseaux, des feuil-
lages de bananier ou d’eucalyp-
tus. A la fin de la sa carrière,
différentes séries d’oeuvres
semblent parvenir à synthétiser
toutes ces passions en mêlant
signes, formes et figuration.
En déformant
de plus en plus
les caractères
coréens, plus
schématiques que les idéo-
grammes chinois, Lee Ungno
fait surgir de nouvelles images
qui ressemblent très clairement
à des silhouettes humaines.
Comme toujours, il expéri-
mente, explore différentes
pistes avec des personnages
plus ou moins épais, colorés,
nombreux. La simplification
des formes, qui combinent ab-
sence de détails et similitudes
entre elles, est cependant con-
servée et rappelle les grandes
compositions abstraites. Jamais
enfermé dans les traditions ar-
tistiques liées à ses origines, il
leur est cependant fidèle en
conservant toujours une dé-
marche proche du peintre let-
tré, observateur du réel et ex-
périmentateur des formes vi-
suelles.
Foule, 1987, encre et couleurs
45,5 x 68,4 cm, Musée Cernuschi
Foule, 1987, encre sur papier,
90,5 x 180 cm, Musée Cernuschi
A partir des
formes du lan-
gage écrit, le
peintre représente
donc des groupes de person-
nages animés semblant intera-
gir les uns avec les autres…
comme une sorte de communi-
cation par le mouvement et les
gestes. Ces oeuvres paraissent
suggérer qu’il existe un lien
fort entre l’écriture et la vie.
Pour s’exprimer,
partager, trans-
mettre, les hu-
mains utilisent des
signes, souvent
visuels, et surtout
plus variés et
même étranges
qu’on ne le croit.
Une fois encore,
Lee Ungno n’est
pas le seul artiste à montrer
ceci par ses oeuvres. Le poète
Henri Michaux a lui aussi réali-
sé des oeuvres à l’encre de
Chine où les formes semblent à
la fois écriture et dessin. Le
peintre Keith Haring a imaginé
des petits personnages qu’il a
utilisés dans des compositions
où ces bonshommes se méta-
morphosent presque en picto-
grammes. Il existe peut-être
autant d’écritures que l’imagi-
nation des peintres peut en
dessiner !
Mouvements, Henri Michaux, 1951
Retrospect, Keith Haring, 1989
Lee Ungno, un langage en personnages
Un œil
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abstraite
L’écriture
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Lee ungno, peintre des écritures dessinées

  • 1. Goam Lee Ungno est un artiste coréen qui a vécu au XXe siècle (1904 – 1989) et qui a beaucoup voyagé en Asie et en Europe. Il a com- mencé sa formation en Corée auprès de deux maîtres : Song Taehoi et Kim Gyujin. Ce dernier lui a en- seigné la peinture tradition- nelle, notamment les fonde- ments de la calligraphie*, l’art de bien écrire. Afin de poursuivre son apprentis- sage, il a intégré une école d’art japonaise (à cette époque, la Corée avait été annexée au Japon). Cette nouvelle école lui a permis de découvrir l’art européen et des manières de peindre différentes des habitudes orientales, qu’il a aussi con- tinué à étudier. Devenu un ar- tiste très répu- té dans son propre pays, Lee Ungno a enseigné et occupé le poste de directeur d’une école d’art. Dans les années 1950, il a surtout commencé à voyager en Eu- rope, en France puis en Alle- magne. Son style a beau- coup évolué à cette époque car il a chercher à mêler les différentes traditions qu’il connaissait, aussi bien asia- tiques qu’occidentales. Ses œuvres sont souvent un mé- lange incroyable de calligra- phie et peinture. Lorsqu’on regarde ses tableaux, il est parfois difficile de savoir s’il écrit ou s’il dessine ! Mais cette période de sa vie est malheureu- sement marquée par un événement tragique. En 1967, alors qu’il retourne en Corée pour une exposition, il est arrêté et condamné à la prison à vie pour trahison. Une fois redevenue indépendante, la Corée avait été divisée en deux pays mais les tensions entre ces nations et avec le reste du monde étaient de- meurées très fortes depuis la Seconde Guerre mondiale et le gouvernement sud- coréen a cru que le peintre pratiquait des activités d’es- pionnage pour le nord. Heu- reusement, la mobilisation internationale a réussi à le faire libérer en 1970 et il est revenu s’installer en France. Son travail original y était très apprécié et, grâce à Va- dime Elisséeff, directeur du musée Cernuschi, il a fondé en 1971 une Académie de peinture où il enseignait des techniques inspirées des arts asiatiques. Lee Ungno Peintre des écritures dessinées Le musée Cernuschi, dans lequel se trouve une im- pressionnante collection d’œuvres d’art asiatique, propose en ce moment une exposition exception- nelle consacrée à l’artiste coréen Lee Ungno. Une vie entre l’Asie et l’Europe Un style à la rencontre de plusieurs traditions Une reconnaissance internationale Elise Kerner
  • 2. Longévité, 1983, encre sur papier, 137,8 x 71,5 cm, Musée Cernuschi En Occi- dent*, nous avons l’ha- bitude de bien différencier les métiers : les gens travaillant dans des bureaux, les artisans exerçant des activités manuelles, les intellectuels qui pensent et écrivent, les artistes qui créent des œuvres … le plus souvent, chacun effectue son travail dans son coin. En Asie, ça a longtemps été différent et on parle de lettrés plutôt que d’artistes. Les lettrés sont des individus très cultivés souvent fonctionnaires pour leur pays, et qui pratiquent également plusieurs activités artistiques. Une de ces activités est la peinture et elle comporte des traditions, c’est-à-dire des ha- bitudes anciennes que l’on continue de pratiquer, souvent en les adaptant. Lee Ungno a reçu une for- mation de peintre let- tré grâce à un maitre nommé Kim Gyujin qui lui a enseigné les traditions de la peinture coréenne. L’une d’elles s’ap- pelle les « Quatre plantes nobles ». C’est la représenta- tion de quatre végétaux très appréciés pour leurs diverses qualités : l’orchidée, le chry- santhème, le prunier et le bambou. Lee Ungno a d’ail- leurs peint de nombreux bam- bous et même signé certaines œuvres « le peintre des bam- bous » ! Il y a plusieurs raisons à cela : la signature indique son intérêt pour cette peinture traditionnelle et l’idéogramme (voir « Les signes ») utilisé pour écrire « bambou » signi- fie aussi « fonctionnaire » et évoque, en coréen, les indivi- dus importants et savants. Les mots sont donc extrême- ment impor- tants dans l’art asiatique et l’expression « peintre let- tré » le montre bien. L’adjectif « lettré » décrit une grande culture et une connaissance de la littérature, c’est-à-dire des textes écrits. En Asie, peindre et écrire ne sont pas vraiment des activités séparées et la cal- ligraphie est aussi importante que les images représentant la nature ou des scènes avec des personnages. Tracer un signe ou une phrase sur une feuille de papier est un véritable art dont il faut maitriser les outils et les techniques. L’artiste ap- prend à utiliser correctement le pinceau, l’encre de Chine en bâtonnet et le papier de riz pour peindre des caractères selon son propre style et en faire des formes belles et agréables à contempler. L’œuvre présentée ici montre que l’écriture d’un caractère et la peinture abstraite*, c’est-à- dire qui ne représente pas une chose du monde visible, sont très similaires ! Les lignes et la composition sont le vrai sujet ! Lee Ungno peintre lettré et calligraphe Des habitudes différentes Formation traditionnelle LES SIGNES ÉCRITS Lettre : forme qui per- met de construire des syllabes et des mots mais ne représente pas une chose ou une idée par un dessin E x e m p le : l e mo t « peintre » avec des lettres russes : художник Idéogramme : forme qui permet à elle seule d’évoquer une chose ou une idée La beauté des signes et des mots Elise Kerner
  • 3. Formation de peintre lettré par un maitre coréen, décou- verte des diffé- rents arts modernes d’Orient et d’Occident à l’école des Beaux- Arts au Japon, rencontres avec des artistes européens pendant ses voyages en Allemagne et en France, tout ce parcours fait de mélanges et d’apprentis- sage permanent conduit Lee Ungno à expérimenter sans cesse. Bien sûr, sa maîtrise des gestes techniques et son savoir -faire traditionnel sont des compagnons de route durant toute sa vie d’artiste et de pro- fesseur. D’ailleurs, il enseigne à ses élèves parisiens à manier le pinceau et observer la nature avec attention afin d’avoir les outils nécessaires pour s’expri- mer selon leur propre sensibili- té. Mais il ne voit pas toutes ces traditions comme des habi- tudes figées ou des limites. Au contraire, Lee Ungno les utilise à sa manière et leur fait pren- dre de nouvelles directions. Composition, 1973, encre et cou- leurs sur papier 154,9 x 68,9 cm Musée Cernuschi Les idéo- grammes chi- nois s’imprè- gnent des ca- ractères de l’écriture coréenne, tout se mélange et, peu à peu, on ne voit plus des signes avec un sens mais de simples images. Il y a des similitudes avec la calligraphie : le format en longueur, des dessins res- semblants à des caractères. Mais ces signes n’appartien- nent plus à un langage, ils sont déformés, se recoupent entre eux, laissent les couleurs se mélanger avec les lignes. En conclusion, il est impossible de lire quoi que ce soit, il n’y plus qu’à contempler. On peut dire que Lee Ungno pousse l’idée de la calligraphie jusqu’au bout : pas de dessin figuratif ou illustratif, plus de significa- tion, juste des formes et des couleurs… l’essentiel de la peinture, sa matière première en quelque sorte ! Quand on o b s e r v e certaines œ u v r e s de cette période, elles peuvent faire penser à d’autres formes d’art. Cette envie d’expérimen- ter à partir des signes écrits a été partagée par d’autres ar- tistes, très différents, qui ont également eu envie de trans- former les lettres et les mots en dessins. Aux Etats-Unis, on les a d’ailleurs appelés les « writers », terme qui signifie « écrivains » mais nous les con- naissons mieux sous le nom de graffeurs. Trap, Dez, Daze, 1983, New York On retrouve dans leurs réalisa- tions des formes de lettres grossies, modifiées, mêlées, qui occupent l’ensemble de la composition et fabriquent une image souvent éclatante de couleurs. Bien sûr, les styles et les ambitions sont différents mais la démarche est proche. De façon inattendue, des ar- tistes de rue américains et un peintre lettré coréen peuvent appartenir à une même famille, un peu comme des cousins très éloignés ! Dondi, vers 1980, New York Lee Ungno, signes écrits ou dessins ? Créer sans limite Transformer les mots Des expériences partagées Elise Kerner
  • 4. L’écriture et le dessin ont tou- jours été présents dans la formation comme dans l’oeuvre de Lee Ungno. On a rencontré ce double intérêt dans différentes productions, proches de la cal- ligraphie traditionnelle ou de la peinture abstraite. Mais l’atten- tion de l’artiste s’est portée sur d’autres domaines encore et, la nature comme les humains oc- cupent une place importante au cours de plusieurs périodes de son art. Le « peintre des bam- bous » a beaucoup observé les groupes d’animaux et les végé- taux, peignant tout au long de sa vie, des flamants roses, des singes, des oiseaux, des feuil- lages de bananier ou d’eucalyp- tus. A la fin de la sa carrière, différentes séries d’oeuvres semblent parvenir à synthétiser toutes ces passions en mêlant signes, formes et figuration. En déformant de plus en plus les caractères coréens, plus schématiques que les idéo- grammes chinois, Lee Ungno fait surgir de nouvelles images qui ressemblent très clairement à des silhouettes humaines. Comme toujours, il expéri- mente, explore différentes pistes avec des personnages plus ou moins épais, colorés, nombreux. La simplification des formes, qui combinent ab- sence de détails et similitudes entre elles, est cependant con- servée et rappelle les grandes compositions abstraites. Jamais enfermé dans les traditions ar- tistiques liées à ses origines, il leur est cependant fidèle en conservant toujours une dé- marche proche du peintre let- tré, observateur du réel et ex- périmentateur des formes vi- suelles. Foule, 1987, encre et couleurs 45,5 x 68,4 cm, Musée Cernuschi Foule, 1987, encre sur papier, 90,5 x 180 cm, Musée Cernuschi A partir des formes du lan- gage écrit, le peintre représente donc des groupes de person- nages animés semblant intera- gir les uns avec les autres… comme une sorte de communi- cation par le mouvement et les gestes. Ces oeuvres paraissent suggérer qu’il existe un lien fort entre l’écriture et la vie. Pour s’exprimer, partager, trans- mettre, les hu- mains utilisent des signes, souvent visuels, et surtout plus variés et même étranges qu’on ne le croit. Une fois encore, Lee Ungno n’est pas le seul artiste à montrer ceci par ses oeuvres. Le poète Henri Michaux a lui aussi réali- sé des oeuvres à l’encre de Chine où les formes semblent à la fois écriture et dessin. Le peintre Keith Haring a imaginé des petits personnages qu’il a utilisés dans des compositions où ces bonshommes se méta- morphosent presque en picto- grammes. Il existe peut-être autant d’écritures que l’imagi- nation des peintres peut en dessiner ! Mouvements, Henri Michaux, 1951 Retrospect, Keith Haring, 1989 Lee Ungno, un langage en personnages Un œil sur tout Figuration abstraite L’écriture vivante Elise Kerner