2. À son décès en 2016, la peintre
américaine Shirley Jaffe laisse une œuvre
abstraite très riche, dont un ensemble
significatif, versé par dation à l’État
français, a été reçu par le Musée national
d’art moderne en 2019. Cette exposition
inédite montre la manière dont l’artiste
a dû renoncer à la gestualité pour
apporter une tension toujours plus vive à
son expérience artistique. L’accrochage
chronologique orchestre ponctuellement
des vis-à-vis entre des œuvres d’époques
différentes.
3. Née en 1923 dans le New Jersey, Shirley
Jaffe étudie à Cooper Union, à New York,
qu’elle quitte pour Paris, où elle se fixe en
1949.
Proche de Jules Olitski, Norman Bluhm,
Jean-Paul Riopelle, Sam Francis, elle passe
pour une peintre majeure de la nouvelle
abstraction.
Liée plus tard à Kimber Smith, Jack
Youngerman, Al Held, elle sous-loue
l’atelier de Louise Bourgeois dans la même
rue que Joan Mitchell.
En 1969, elle s’installe dans le 5e
arrondissement, rue Saint-Victor – atelier
qu’elle ne quittera plus, et où elle peindra
jusqu’à la dernière minute. Dans les années
1960, elle tourne le dos à des débuts
prometteurs dans l’esprit de
l’Expressionnisme abstrait.
Il faut attendre les années 1970 pour voir
se développer son écriture personnelle aux
contours ciselés qui, sans permettre de
l’assimiler à la vague Hard Edge alors
déclinante, la tient à égale et respectueuse
distance de ses anciens pairs
expressionnistes et des tenants de l’art
concret.
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5. L’œuvre de S. Jaffe s’impose, à
partir des années 1980, dans toute
sa singularité sur la scène artistique
parisienne. Chaque peinture
constitue une unité qui a la réalité
indivisible d’un mur ou d’une
mosaïque.
L’espace du tableau est, ici,
totalement aplani ; même le blanc
acquiert la dureté d’une forme et
s’élève au même niveau que les
formes colorées.
Le tableau All Together (1995),
avec son titre plein d’humour,
résume bien son univers unique,
son inventivité constante à partir
d’une géométrie qu’on pourrait
qualifier de lyrique : dans ce lieu
d’inspiration que constitue, pour
elle, l’univers urbain, les formes se
superposent et se rencontrent pour
mieux diverger dans des
soubresauts imprévus de spirales,
boucles, angles et vagues…
Comme la ville en perpétuelle
évolution, qui se construit et se
détruit, mélange droites et courbes,
mouvement et repos, la toile en
retient l’idée, tout en supprimant
l’anecdote et la perspective.
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9. Tatiana Trouvé est une artiste franco-italienne, née en
1968 à Cosenza (Italie). Elle vit et travaille à Paris.
Après avoir passé son enfance à Dakar, elle poursuit ses
études d'art à la villa Arson de Nice, puis aux Ateliers 63
à Haarlem aux Pays-Bas où elle a notamment reçu
l'enseignement de Stanley Brouwn et Chris Dercon.
À partir de 1997, Tatiana Trouvé se fait connaître à
travers l'installation intitulée le Bureau d'activités
implicites (B.A.I.), ensemble qui ne cessera de croître et
de se modifier jusqu'en 2007.
« [À cette époque], Tatiana Trouvé accumule dessins,
projets et idées de titres, tout en consacrant une grande
partie de son temps à sa recherche d’un emploi, ce qui
suppose un vrai travail de bureau lui imposant de
rédiger lettres, CV et demandes de bourses, d’imprimer
des photos d’identité, de classer les courriers de refus,
etc. C’est justement à partir de ces contingences que se
dessine le projet de faire de tout cela œuvre
autobiographique, "de construire la carapace ou la
structure dans laquelle tout ce monde pourrait devenir
visible" 1. [...] Pendant dix ans – mais le projet pourrait
bien n’être pas encore achevé –, elle travaille ainsi à une
œuvre in process sous le beau titre générique de Bureau
d’Activités Implicites (B.A.I).»
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11. Composé de différents modules sculpturaux
dédiés chacun à une activité spécifique, le B.A.I.
se propose de structurer la genèse et la
mémoire de l’activité artistique, et pour cela
inventorie, classe, codifie toutes formes de
démarches et de pensée de l’artiste, afin d’en
retenir le temps.
Depuis, les dessins, les installations
architecturées, les sculptures et objets de
Tatiana Trouvé rejouent les coordonnées de
l’espace et du temps sur des plans matériels et
physiques autant que sur des plans psychiques.
Les espaces domestiques se confondent avec
des espaces naturels, le minéral croit et le vivant
se fige, l’intérieur et l’extérieur deviennent
indistincts, les deux dimensions du dessin se
combinent aux trois dimensions du volume, les
échelles et les rapports entre les choses sont
altérés…
Ainsi, les ordres et les lois qui définissent notre
réalité sont recomposés dans des mondes où se
formulent de nouvelles coexistences, où l’espace
et le temps flottent, où nos repères perceptifs se
déplacent, à l’origine d’une expérience de
désorientation.