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1
La Constitution de Staline
Samantha Lomb, 2018
INTRODUCTION et résume
« Nous, travailleurs de l'Administration régionale des forêts, avons noté lors de la
discussion du projet de Constitution que le simple fait qu'il ait été soumis à la
discussion populaire constitue une preuve de la puissance de notre syndicat. Le fait
sans précédent dans l'histoire que le peuple ait élaboré sa propre Constitution
témoigne de l'énergie du peuple et de la force et de la stabilité de notre
gouvernement ». L’administration régionale de Kirov
Les dirigeants soviétiques ont tendu la main à leurs citoyens à partir de ce qu'ils
croyaient être une position de force, cherchant à exploiter l'enthousiasme et la
participation populaires pour renforcer et stabiliser l'État soviétique. En 1935,
en réponse à l'évolution des conditions socio-économiques en URSS, le Parti et
l'élite de l'État formèrent une Commission de rédaction afin de réviser, puis de
réécrire la Constitution de l'URSS. La commission travailla sur ce projet
jusqu'au 12 juin 1936, date à laquelle celui-ci fut soumis à la population. La
discussion du projet de Constitution se déroula sur une période de six mois, de
juin à décembre 1936. Durant cette période, on estime que 42 372 990
personnes ont participé à des réunions et des discussions dans toute l'URSS2,
au cours desquelles les citoyens soviétiques ont proposé plus de 43 000
amendements".
Si ce débat public de six mois ne déboucha pas sur des modifications
substantielles du projet, il impliqua cependant les citoyens soviétiques dans un
dialogue sans précédent depuis la révolution. Ce livre analyse ce dialogue entre
les dirigeants de l'État central et les citoyens sur le nouveau contrat social
soviétique, qui délimitait les rôles et les responsabilités respectives que l'État et
les citoyens devaient jouer dans le développement du socialisme. Pour les
dirigeants centraux, le principal objectif de la discussion visait à mobiliser les
2
citoyens dans diverses campagnes de construction de l'État. Par le biais de
celles-ci, les dirigeants essayèrent de développer des formes institutionnelles
durables pour l'administration territoriale, un pouvoir militaire coercitif, la collecte
des impôts et d'autres fonctions socio-économiques'. Cependant, ces objectifs
contrastaient parfois fortement avec l'interprétation de ce contrat social qu'en
avaient les citoyens de l'URSS. Ceux-ci se concentrèrent sur l'obtention, auprès
du gouvernement central, de droits et de privilèges, souvent relatifs à
l'amélioration de leur vie quotidienne, mais ils exprimèrent également tant leur
soutien que leur opposition à certains aspects du projet de Constitution.
La Constitution de Staline déplace le centre d'intérêt de Moscou vers les questions
plus larges de la construction de l'État et de ses relations avec les citoyens, en
reconnaissant l'action des acteurs locaux et en décentralisant le récit historique.
L'ampleur de la discussion à l'échelle de l'Union, avec plus de 40 millions de
participants, rend impossible toute étude significative au niveau national. Une
étude de cas ciblée permet d'examiner et de contextualiser les programmes
souvent contradictoires du gouvernement national, des responsables locaux et
régionaux et de la population. Pour examiner cette opération, ce livre traite de la
région de Kirov, située à environ 900 kilomètres au nord-est de Moscou. Elle est
idéale pour une étude régionale car le débat y fut animé et vaste, et ses archves
sont exceptionnellement riches en matériaux. Du fait de son éloignement de la
ligne d'occupation allemande, les archives ne furent jamais endommagées ni
évacuées. Par conséquent, des documents introuvables ail!eurs, tels que des
lettres et des rapports de district, se trouvent en abondance dans les deux
principales archives de Kirov: les Archives d'État de la région de Kirov (GAKO),
les principales archives d'État de la région, et les Archives d'État de l'histoire
sociale et politique de la région de Kirov (GASPI KO), les archives du Parti
communiste'.
Sur la base de ces sources archivistiques, ce travail fournit de nombreuses
preuves que les citoyens soviétiques, en particulier les travailleurs agricoles
collectifs, s'impliquèrent et firent pression sur l'État pour obtenir des solutions à
certaines de leurs préoccupations locales, voire plus larges. Ils formulèrent
aussi des plaintes concernant la gouvernance locale. Des études régionales
comme celle-ci démontrent que les citoyens soviétiques n'étaient pas dépourvus
de moyens d'action et, en fait, cherchaient souvent à détourner à leurs propres
fins les objectifs, la rhétorique et les campagnes de l'État. Mais, comme l'affirme
ce livre, le peuple ne parla pas toujours d'une seule voix. Les habitants des
villes et des campagnes, et parfois des générations différentes, avaient souvent
des points de vue divergents, tout comme les élites locales et la population dans
son ensemble. La variété des expériences individuelles explique ces
différences. Cette étude permet de mieux comprendre ces différents points de
vue et soutient que le lieu de travail, l'expérience de vie et les valeurs person-
nelles influencèrent les opinions des citoyens sur la Constitution. En tant que
telle, celle-ci offre un contrepoint au travail des historiens qui ont écrit sur
certains aspects de la discussion du projet de Constitution et de la mise en
œuvre des campagnes et des politiques staliniennes en général, mais qui l'ont
fait à l'échelle nationale et du point de vue de la direction centrale à Moscou.
La littérature sur la discussion populaire de la Constitution de 1936 n'est pas
3
abondante. Certains historiens, comme Robert Tucker et Sarah Davies, ne
l'évoquent qu'en passant et se traitent plutôt de l'échec de l'État à honorer ses
promesses. Davies, en particulier, se concentre sur le décalage entre les
promesses faites aux citoyens soviétiques dans la Constitution et les réalités de
leur vie?. D'autres,
1. Cette étude s'appuie largement sur ces deux archives ainsi que sur les journaux de
la réion et les documents relatifs à la Commission centrale comme Ellen Wimberg,
mettent l'accent sur la manière dont les dirigeants soviétiques utilisèrent le débat
pour promouvoir leur propre programme en scrutant la formulation et la
discussion du projet de Constitution telles qu'elles apparaissent dans la presse
soviétique, dans le but d'examiner les tensions entre les différents dirigeants du
Parti, en se concentrant particulièrement sur Boukharine 1• J. Arch Getty, G. I.
Tret'iakov et Andrei Sokolov fournissent de bonnes vues d'ensemble sur le
développement de la commission de rédaction et la discussion à l'échelle
nationale, y compris les ajouts, les corrections et les suggestions les plus
populaires et la manière dont celles-ci influencèrent le projet final de
Constitution • Getty et Sokolov notent tous deux que de nombreux citoyens
soviétiques s'emparèrent de ce forum pour s'exprimer sur des questions
personnelles et locales. Le présent travail fait le même constat. Toutefois, étant
donné que, dans ces études, l'examen des suggestions repose sur des
documents d'archives du Comité exécutif central, leurs témoignages
s'apparentent à des instantanés pris dans tout le pays et sont difficiles à
interpréter autrement qu'en termes généraux. Getty lui-même admet que « sans
études détaillées de la campagne soviétique dans les années 1930, il est
difficile d'interpréter de telles données" ». C'est ici qu'une étude de cas comme
celle-ci fournit le contexte indispensable, en replaçant la discussion à la fois
dans le cadre des projets staliniens de construction de l'État et des schémas et
des préoccupations liées à la vie quotidienne dans les régions'.
Les nouvelles études régionales, qui permettent aux historiens de voir comment
les campagnes ont été mises en œuvre sur le terrain et comment les facteurs
locaux et personnels ont influencé cette mise en œuvre, ont changé
radicalement la perception du stalinisme et de ses projets de construction de
l'État dans l'historiographie occidentale. Les anciennes générations d'historiens
occidentaux n'avaient souvent accès qu'aux publications centrales ou, à partir
du début des années 1990, aux documents des archives centrales. Ils avaient
tendance à dépeindre le stalinisme comme une société totalitaire et dirigiste
dans laquelle toute ouverture n'était qu'un stratagème pour masquer les
véritables intentions du dirigeant soviétique. Par exemple, Robert Tucker
soutient que le principal expédient de Staline pour camoufler l'opération de
terreur à la fin des années 1930 était sa réécriture de la Constitution '. Tucker
réduit le débat à un exercice de propagande visant à accroître la popularité de
Staline, qui « était un maître de la tromperie utilisant le débat public sur la
Constitution «la plus démocratique» comme un écran de fumée pour des
actions visant à transformer le régime soviétique en quelque chose s'approchant
du fascisme ».
La Constitution de Staline s'ajoute à une liste croissante-d'ouvrages qui démontrent
que ta structure de l'État et du Parti ne garantissait pas la réalisation
4
inconditionnelle des directives centrales. En fait, à de nombreuses occasions,
Moscou fut déçue par l'application peu satisfaisante de ces politiques. Au cours
de la discussion du projet de Constitution, plusieurs membres du Comité central
furent désappointés par la mise en œuvre inadéquate de la discussion et
l'attitude désinvolte de nombreux fonctionnaires locaux à l'égard de la tenue de
débats sérieux et de l'enregistrement des suggestions populaires, ainsi que par
la nature locale et personnelle de nombreuses propositions. Après la ratification
de la Constitution, de nombreux dirigeants soviétiques s'inquiétèrent de
l'éventuelle utilisation abusive des nouveaux droits constitutionnels par leurs
anciens ennemis de classe. Cette friction constante entre les objectifs des
dirigeants centraux et ceux des citoyens soviétiques reflète leurs interprétations
divergentes des droits et des devoirs de l'État et des citoyens dans une société
socialiste.
La vision d'une population assiégée par l'État est omniprésente dans les études
historiques sur l'URSS des années 1930. Lewis Siegelbaum et Andreï Sokolov
utilisent la riche collection de documents présentée dans Stalinism as a way of life
pour démontrer comment les défis de la construction du socialisme frappèrent
souvent dangereusement les gens dans leur vie quotidienne. Ils se concentrent
sur la façon dont les citoyens négociaient les perturbations créées par la collec-
tivisation et l'industrialisation rapide, mais Siegelbaum et Sokolov montrent
comment les citoyens apprirent à « parler bolchevique » et à défendre leurs
propres intérêts dans le cadre de la rhétorique créée par l'État 1• En référence
au projet de Constitution, ils notent comment « saisissant l'occasion offerte par
l'incorporation du langage des droits dans la Constitution, les auteurs de lettres et les
participants aux discussions officielles projetèrent leurs propres idées, espoirs et
ressentiments sur le document. Leurs commentaires et suggestions offrent ainsi un
aperçu inhabituel, même s'il n'est pas tout à fait transparent, des mentalités
populaires2 ».
Siegelbaum et Sokolov sont parmi les premiers historiens à reconnaître la
nature interactive de la discussion et le profond intérêt des fonctionnaires de
l'État central pour ce que disait la population, ainsi que la pléthore d'opinions qui
se cachaient sous le mince vernis d'un soutien total aux idées du Parti3.
En tant que pièce maîtresse des politiques de construction de l'État de Staline,
la rédaction, la discussion, la ratification et la mise en œuvre de la Constitution
de 1936 tissent ensemble de nombreux fils: la voie politique que la direction
centrale souhaitait tracer pour le pays, sa capacité à mobiliser la population, et
la capacité du peuple à s'engager auprès de l'État en utilisant son propre
langage et à militer pour ses propres intérêts et souhaits. Ces négociations se
déroulaient dans les nombreux endroits où la politique officielle de l'État et la vie
des citoyens se croisaient. Siegelbaum note dans son étude sur le
stakhanovisme que l'État n'était pas en mesure d'imposer celuici par décret,
mais que l'État et ses citoyens s'engageaient dans une sorte de dialogue
interprétant la manière dont il serait mis en œuvre par l'interpénétration des
intérêts de l'État et des intérêts personnels, dans une interdépendance
mutuelle'. Stephen Kotkin note également, dans sa micro-histoire révolutionnaire
de Magnitogorsk, qu'« il est possible de voir - sans nier la pesante force
coercitive du projet communiste - une lutte dans deux directions, même si les
5
termes sont inégaux, sur le tracé des lignes d'autorité? ». Dans ces aspects
participatifs et collaboratifs, la conception, la rédaction et la discussion de la
Constitution de 1936 reflètent le développement d'autres entreprises sociales
expérimentales, telles que le stakhanovisme et la construction de Magnitogorsk.
Non seulement ces projets de construction de l'État sont contemporains, mais ils
avaient tous pour but de remodeler complètement les fondements de la société.
Pour de nombreux historiens, il semble exister une contradiction entre le fait que
l'URSS des années 1930 était une dictature à parti unique, aspirant à un
contrôle central fort, et la participation populaire des citoyens à la définition
concrète des éléments constituant l'État. Cet ouvrage soutient qu'il n'y avait pas
de contradiction. Si les bolcheviks et l'État soviétique n'avaient aucun désir de
céder le pouvoir, ils considéraient tous deux la participation populaire aux
campagnes sanctionnées par l'Etat comme essentielle. En fait, le Parti cherchait
à mobiliser les citoyens pour de telles campagnes, qu'elles soient au service de
la collectivisation (par exemple, les 25 000)3 ou d'une plus grande productivité
des travailleurs (par exemple le stakhanovisme). Comme le montrent ces
campagnes, le Parti et l'État, loin de dédaigner la participation populaire, l'ont
englobée, bien que dans des limites prescrites. La participation populaire était
un moyen pour le Parti et l'État de communiquer certains objectifs et valeurs à la
population, ainsi qu'un moyen pour celle-ci d'aider l'État central à identifier les
problèmes liés à la mise en œuvre de ces objectifs et à la gouvernance locale.
Si les autorités centrales structurèrent délibérément cette participation, les
participants saisirent souvent l'occasion d'émettre leurs propres préoccupations.
Lorsque les historiens commencèrent à analyser ces campagnes en profondeur,
ils découvrirent beaucoup de négociations et de manœuvres de la part des
cadres chargés de mettre en œuvre les initiatives de l'État et des citoyens
chargés de les réaliser. Siegelbaum note que les initiatives stakhanovistes de la
direction centrale furent souvent transformées de façon spectaculaire
lorsqu'elles furent interprétées et appliquées au niveau régional et local. Il
observe qu'au fur et à mesure que les initiatives descendaient du sommet, elles
étaient transformées, de telle sorte que la campagne connaissait des ajouts et
des suppressions par rapport à ce qui avait été prévu à l'origine ou sanctionné
officiellement. Non que les initiatives de l'État central et du Parti se fussent
arrêtées aux portes de l'usine, mais ce qui se passait au-delà eut un effet
profond sur la formulation et la modification de ces initiatives, alors que la
direction et les travailleurs essayaient de manœuvrer, de s'adapter, de participer
avec enthousiasme ou de résister aux ordres qui leur compliquaient la vie'.
De telles négociations sont également visibles dans l'autre grande campagne
sociale et écologique de masse des années 1930 : la collectivisation. Dans son
étude pionnière sur la collectivisation en Sibérie, James Hughes soutient que la
direction soviétique utilisa la mobilisation de masse et les incitations matérielles
pour fracturer les paysans en tant que classe et empêcher toute résistance au
régime. Hughes affirme que la « méthode ouralo-sibérienne» de collectivisation
connut davantage de succès en partie parce qu'elle reposait sur la mobilisation
et l'organisation du soutien des paysans pauvres. Cette stratégie reposait sur
l'organisation de petits groupes de paysans pauvres et moyens pour arracher
l'assemblée du village au contrôle des koulaks (paysans prospères) et utiliser la
6
légitimité de cette assemblée en tant qu'institution paysanne dirigeante pour
voter l'approbation des politiques du Parti. Hughes note que la participation à la
fois à la collectivisation et à ces groupes de paysans était assurée par l'octroi
d'incitations matérielles sélectives, y compris des avantages exclusifs (des
primes pour les céréales, des marchandises gratuites dans les magasins
coopératifs et une part des biens koulaks pillés) pour les paysans pauvres qui
soutenaient I'État'. Selon Hughes, « la mise en œuvre de la méthode d'influence
sociale (ouralo-sibérienne) permit également de consolider les bases
organisationnelles, les structures bureaucratiques et les procédures
institutionnelles de la «construction de l'État» qui donnaient au Parti de
puissants leviers pour contrôler les campagnes ».
L'idée d'une citoyenneté active embrassant divers aspects de ces campagnes
participatives de construction de l'État est une idée relativement nouvelle dans
l'historiographie soviétique, mais elle ne devrait pas être une surprise. Ces
dernières années, de nombreuses études régionales de qualité, comme celle de
Hughes, ont permis aux historiens d'explorer la mise en œuvre des campagnes
au niveau local et les négociations entre les masses et les responsables locaux
cl régionaux de l'État et du Parti. Dans son étude des campagnes de
collectivisation dans l’, oblast de l'Ouest, Charles Hier affirme que les
responsables locaux du Parti et de l'État étaient souvent laxistes dans la mise
en œuvre de la collectivisation parce qu'ils étaient ceux qui avaient le plus de
biens personnels à perdre. 11documente la façon dont les paysans pauvres
locaux travaillèrent avec les fonctionnaires régionaux pour collectiviser les terres
en raison des avantages que l'État offrait aux fermes collectives, comme les
tracteurs et les semences de haute qualité. Charles Hier constate que de
nombreux paysans non seulement adhérèrent à la collectivisation dans cette
région, mais durent également lutter activement contre les responsables locaux
du Parti et de l'Etat pour mettre en œuvre les directives centrales 1. Dans son
étude de la région de Kirov, Aaron Retish note également que les paysans
adoptèrent et utilisèrent les programmes de l'État pour renforcer leur position
socio-économique et améliorer leur vie quotidienne. Il note que Viatka/Kirov
avait une forte tradition d'autonomie locale et de mobilisation, les paysans étant
bien représentés dans les zemstvos prérévolutionnaires. Pendant la guerre
civile, lorsque des comités de pauvres et d'autres organisations collectives
furent formés, les paysans de la région de Kirov les adoptèrent comme moyen
d'améliorer leurs propriétés foncières et avoir accès aux fournitures agricoles.
Alors que ces comités échouèrent rapidement dans d'autres régions, Retish
note qu'ils ont perduré dans la région de Kirov, constituant la base de certaines
des premières fermes collectives". Les citoyens de cette région firent toujours
preuve d'une grande habileté pour adapter les formes et le langage des
campagnes d'État à leurs besoins. Dans son étude sur la bureaucratie régionale
de Kirov dans les années 1930, Larry Holmes note que la bureaucratie
éducative régionale et locale avait adopté la rhétorique de l'échec et de la
négativité croissants pour expliquer les insuccès matériels et professionnels
dont souffraient les écoles de la région. Selon lui, cela permet d'expliquer
l'utilisation par les administrateurs d'un langage victimaire pour réclamer des
droits et des privilèges. Ils n'essayaient pas seulement de tempérer la colère de
l'État, mais utilisaient plutôt la rhétorique et les institutions de ce dernier pour
régler des comptes personnels et réclamer des droits et des privilèges
7
personnels '.
La présente étude utilise la discussion autour de son projet comme tremplin
pour explorer comment l'État chercha à atteindre ses objectifs de redéfinition
des relations sociales par le biais d'un contrat social : la nouvelle Constitution.
L'État élabora ce contrat social pour contribuer à la création d'une base juridique
stable pour la société, dans
1. Charles Hier, « Party, Peasants and Power in a Russian District : the Winning of
Peasant Support for Collectivization in Sychevka Raion 1928- 1931 » (thèse non
publiée, Université de Pittsburgh, 2004).
le but de promouvoir la participation du peuple aux niveaux local et régional et
responsabiliser les cadres du Parti et de l'État. Comme d'autres discussions
développées dans le cadre des campagnes staliniennes, celle sur le projet de
Constitution fut souvent réinterprétée lors de sa mise en œuvre, ce qui en fait un
forum de négociation sur l'apparence de l'État au niveau local. Cependant,
contrairement au stakhanovisme et aux autres campagnes économiques, la
discussion du projet de Constitution était conçue pour solliciter l'opinion des
citoyens. Alors que les dirigeants du régime avaient sans doute anticipé un
soutien massif à leur vision du socialisme, ce ne fut pas toujours le cas, les
participants utilisant la discussion et le langage de l'État pour mettre en avant
des questions locales et personnelles, donnant une interprétation résolument
différente de ce que devait être l'Union soviétique. La rédaction et la discussion
de la ConstituLion offrent une occasion unique d'étudier ces négociations, car
l'État sollicita spécifiquement et enregistra méticuleusement les réponses et les
opinions des citoyens sur la manière dont les fondements juridiques et
théoriques de l'État devaient être formés.
Le chapitre 1 montre comment le projet de Constitution met en évidence la
tentative de création, par l'État, d'un nouveau contrat social avec ses citoyens et
ce qu'il attend d'eux en retour. Ce chapitre établit le contexte du débat public, en
donnant un aperçu de certaines pensées et théories constitutionnelles qui
jouèrent un rôle dans la rédaction de la Constitution de 1936. A cette fin, ce
chapitre se oncentre sur le développement et l'évolution d'articles spécifiques,
centrés sur la redéfinition des citoyens et des droits de citoyenneté, y compris le
rétablissement du droit de vote des anciens prêtres et des koulaks. Il illustre les
aspects de la Constitution, tels que l'augmentai ion des avantages matériels,
que les dirigeants centraux cherchaient à mettre en avant, et comment ils
espéraient que la discussion autour du projet contribuerait à susciter
l'enthousiasme pour les projets de construction de l'Etat.
Le deuxième chapitre met l'accent sur les réalités complexes qui façonnaient la
vie quotidienne et les préoccupations de cette région on se concentre sur la
situation des denrées alimentaires et les biens matériels nécessaires à la survie.
Les luttes de pouvoir locales, souvent pour l'accès à ces produits de première
nécessité, faisaient partie de la vie quotidienne. Ces réalités façonnaient
considérablement les perceptions des citoyens et les plaintes et suggestions
qu'ils formulèrent au cours de la discussion. Ce chapitre montre clairement que
les citoyens de la région de Kirov étaient politiquement avisés, qu'ils avançaient
8
leurs intérêts personnels par le biais des canaux dont ils disposaient, tels que la
presse et les organisations locales, et qu'ils parlaient le langage politique des
campagnes d'État pour donner à ces problèmes locaux une plus grande visibilité
politique. Ce chapitre révèle une population capable d'utiliser la discussion sur le
projet de Constitution pour faire valoir ses propres intérêts, et en tant que tel, il
offre un contraste avec l'opinion selon laquelle les paysans soviétiques des
années 1930 étaient maussades et apolitiques.
Le chapitre 3 aborde la mise en œuvre du débat populaire dans la région de
Kirov et les nombreuses tensions au sein du système soviétique, révélées par le
débat. La direction centrale du Parti et de l'État avait une vision spécifique de la
manière dont la campagne devait se dérouler. Elle voulait renforcer le processus
de construction de l'État (c'est-à-dire le développement de formes institution-
nelles durables en matière d'administration, de pouvoir militaire et d'extraction de
revenus). La nouvelle Constitution représente cet effort et la vision stalinienne de
l'État. Mais contrairement aux efforts passés de construction de l'État, les
dirigeants soviétiques exhortèrent les citoyens à apprécier et à discuter les
nouveaux droits en termes de citoyenneté que la direction centrale avait inscrits
dans la constitution. Cette orientation était évidente dans les plans des cours
destinés aux organisations locales du Parti, dictant les sujets à traiter pendant la
délibération du projet. Cependant, la mise en œuvre de la discussion fut laissée
principalement aux responsables locaux du district, qui essayaient de concilier le
débat avec les exigences de leurs tâches quotidiennes. En conséquence, de
nombreux organisateurs locaux n'y virent qu'une campagne de plus, se
contentant de lire le projet de Constitution à haute voix au lieu d'encourager la
discussion. Mais certains « discussions inappropriées » sont révélatrices, car
elles étaient axées sur les besoins individuels plutôt que sur les objectifs de
construction de l'État. Parmi elles, on trouve des suggestions visant à accorder
aux fermiers collectifs les mêmes droits qu'aux travailleurs et aux citadins, et la
création de syndicats paysans. Ce chapitre soutient que ces suggestions
n'étaient pas le résultat d'un mauvais travail préparatoire, bien que ce soit un
problème important, mais qu'elles reflétaient les préoccupations et les demandes
de la population, en particulier des paysans.
Le quatrième chapitre analyse la couverture du débat populaire dans le journal
régional, la Kirovskaia Pravda, et dans plusieurs journaux locaux de district. Ces
journaux s'appuient souvent sur des lettres et des documents provenant de
groupes privilégiés, tels que les membres du Parti, les stakhanovistes, les
présidents de fermes collectives et les ouvriers urbains, dont les récits exaltés
servent à valoriser les revendications de victoire socialiste. Ces documents
montrent clairement le fossé séparant cette petite population active, relativement
éduquée et privilégiée, qui avait été intégrée avec succès dans la société
soviétique, et les paysans constituant la grande majorité de la population de la
région. Ce chapitre démontre que les citadins les mieux éduqués et les plus
intégrés politiquement étaient beaucoup plus susceptibles que leurs homologues
ruraux d'adhérer au récit de construction de l'État proposé par le gouvernement
central. Les citadins qui écrivaient aux journaux mettaient l'accent sur la manière
dont ils travaillaient à la création d'un État socialiste fort ; beaucoup
s'engageaient à travailler plus dur en remerciement de leurs nouveaux droits et
privilèges. Les paysans se centraient beaucoup plus sur les questions politiques
9
et économiques locales ; ils avaient leurs propres idées sur la façon dont le
pouvoir de l'État devait être utilisé. Ce chapitre montre clairement que les
objectifs de construction de l'État publiés par les dirigeants du Parti et de l'État
ne furent intériorisés que par une petite couche de citoyens, pour la plupart des
membres de l'élite urbaine et ouvrière, et rapporte les espoirs et les plaintes des
habitants des campagnes.
Le chapitre 5 examine les suggestions populaires formulées par les citoyens de
Kirov. Le chapitre se concentre sur la redéfinition de la citoyenneté visant à
inclure tous les habitants de l'URSS, et sur l'expansion des droits et privilèges
des citoyens, deux thèmes devenus une pierre de touche pour de nombreux
participants au débat. À Kirov, ceux-ci se concentrèrent sur l'inclusion ou l'exclu-
sion de personnes de droits de citoyenneté et/ou d'avantages correspondants,
tout en mettant l'accent sur les questions qui leur permettraient de mener une vie
sûre, stable et matériellement protégée. Bon nombre des suggestions populaires
au projet de Constitution portaient sur les vacances, l'aide matérielle ou
monétaire aux agriculteurs collectifs, la propriété foncière et l'accès aux
ressources éducatives. Les participants utilisaient les outils rhétoriques et
politiques que l'État leur avait donné pour faire valoir leurs intérêts et changer la
politique étatique. Ils citaient souvent ces politiques ou leur contribution aux
efforts de construction de l'État, comme la collectivisation, pour justifier
l'augmentation des avantages matériels et de l'égalité politique pour eux-mêmes
ou leur communauté. Les preuves présentées dans ce chapitre montrent
clairement que de nombreux participants aux discussions étaient politiquement
actifs et engagés dans un dialogue avec l'État afin de promouvoir leurs intérêts,
souvent radicalement différents des besoins et des attentes ce même État dans
le cadre des discussions qu'il dirigeant autour du projet de.Constitution.
Le chapitre 6 examine deux aspects majeurs du nouveau projet de Constitution:
l'extension des droits électoraux et de citoyenneté à tous les habitants de
l'URSS, y compris les anciens koulaks et les membres de sectes religieuses qui
avaient été précédemment dépouillés de leurs droits et systématiquement
discriminés, et l'établissement de protections par habeas corpus pour les
accusés. Ce chapitre se concentre sur la manière dont, au niveau local, les
citoyens acceptèrent ce qu'ils considéraient comme des aspects utiles de ces
politiques, tandis que leurs aspects fondamentaux, qui menaçaient la stabilité
locale, suscitèrent beaucoup de résistance et d'hostilité. Les Kiroviens
adhérèrent à l'instruction de Staline selon laquelle la démocratie devait être un
outil permettant de rendre les cadres locaux responsables de leur comportement
et de leurs échecs. Ils firent de nombreuses su gestions pour accroitre leur
capacité à mettre en cause la responsabilité des fonctionnaires locaux. Mais les
habitants de Kirov privilégiaient la sécurité et la stabilité, surtout dans les
campagnes où l'État est moins présent. Par conséquent, ils rejetèrent
massivement les protections de l'habeas corpus et le rétablissement du droit de
vote pour les personnes qui en avaient été privées, et émirent des contre-
propositions pour permettre à la police et aux citoyens eux-mêmes
d'appréhender plus facilement les criminels.
Le dernier chapitre examine comment les élections nationales de 1937, basées
sur la nouvelle Constitution, contribuèrent à la répression qui débuta cette
10
année-là à Kirov et dans tout le pays. Des rapports sur les activités
antisoviétiques dans la région et des cas de personnes anciennement privées de
leurs droits (lichentsy, koulaks) désignant leurs propres candidats aux fonctions
locales furent envoyés à Moscou. Ces rapports amplifiaient les inquiétudes des
dirigeants nationaux face à ce qu'ils percevaient de l'augmentation des activités
ennemies dans tout le pays. Les procès-verbaux des cellules locales du NKVD,
dont sont tirés de nombreux documents, témoignent de cette inquiétude
croissante au sein de la police et de la communauté en général.
Au fur et à mesure que l'année 1937 se déroulait, les participants à ces réunions
cessèrent de considérer l'infiltration des organes du pouvoir soviétique par des
ennemis de classe comme une possibilité, mais plutôt comme une réalité à
laquelle il fallait faire face de manière active. Ce chapitre explore comment ces
rapports et la pression exercée par les régions contribuèrent au début de la
répression de masse en 1937 et à son évolution. Comme cette étude porte sur 11
ne seule région de la République socialiste fédérative soviétique de Russie
(RSFSR), l'objectif de ce chapitre n'est pas de faire de la surenchère sur la
répression de masse, mais de montrer comment les ques- 1 ions locales et les
préoccupations de l'État se sont superposées. De cette façon, il contribue à la
littérature récente sur la répression, tout en soulevant des questions sur
l'implication populaire.
Constitution de Staline conclut que l'ouverture du droit de vote combiné au forum
ouvert de discussion encouragea de nombreux citoyens soviétiques à engager
un dialogue avec I'Etat sur leurs besoins et leurs responsabilités. Les besoins et
les suggestions de citoyens, centrés sur le local et le personnel, étaient à
l'opposé de ce que l’Etat attendait. Lorsque les citoyens en particulier ceux
appartenant a des groupes déjà suspects, commencèrent à user de leur droits
pour défendre leurs intérêts personnelles, les inquiétudes centrales s'accrurent
au point de contribuer à la répression de masse en 1937. Cette prise de recul
par rapport à la centralisation des autres travaux historiques sur la discussion
constitutionnelle permet de comprendre comment les citoyens appréhendaient
les rôles que l'État et eux-mêmes devaient jouer dans le développement du
socialisme et quelles étaient les responsabilités de chacun.

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La Constitution de l'URSS en 1936

  • 1. 1 La Constitution de Staline Samantha Lomb, 2018 INTRODUCTION et résume « Nous, travailleurs de l'Administration régionale des forêts, avons noté lors de la discussion du projet de Constitution que le simple fait qu'il ait été soumis à la discussion populaire constitue une preuve de la puissance de notre syndicat. Le fait sans précédent dans l'histoire que le peuple ait élaboré sa propre Constitution témoigne de l'énergie du peuple et de la force et de la stabilité de notre gouvernement ». L’administration régionale de Kirov Les dirigeants soviétiques ont tendu la main à leurs citoyens à partir de ce qu'ils croyaient être une position de force, cherchant à exploiter l'enthousiasme et la participation populaires pour renforcer et stabiliser l'État soviétique. En 1935, en réponse à l'évolution des conditions socio-économiques en URSS, le Parti et l'élite de l'État formèrent une Commission de rédaction afin de réviser, puis de réécrire la Constitution de l'URSS. La commission travailla sur ce projet jusqu'au 12 juin 1936, date à laquelle celui-ci fut soumis à la population. La discussion du projet de Constitution se déroula sur une période de six mois, de juin à décembre 1936. Durant cette période, on estime que 42 372 990 personnes ont participé à des réunions et des discussions dans toute l'URSS2, au cours desquelles les citoyens soviétiques ont proposé plus de 43 000 amendements". Si ce débat public de six mois ne déboucha pas sur des modifications substantielles du projet, il impliqua cependant les citoyens soviétiques dans un dialogue sans précédent depuis la révolution. Ce livre analyse ce dialogue entre les dirigeants de l'État central et les citoyens sur le nouveau contrat social soviétique, qui délimitait les rôles et les responsabilités respectives que l'État et les citoyens devaient jouer dans le développement du socialisme. Pour les dirigeants centraux, le principal objectif de la discussion visait à mobiliser les
  • 2. 2 citoyens dans diverses campagnes de construction de l'État. Par le biais de celles-ci, les dirigeants essayèrent de développer des formes institutionnelles durables pour l'administration territoriale, un pouvoir militaire coercitif, la collecte des impôts et d'autres fonctions socio-économiques'. Cependant, ces objectifs contrastaient parfois fortement avec l'interprétation de ce contrat social qu'en avaient les citoyens de l'URSS. Ceux-ci se concentrèrent sur l'obtention, auprès du gouvernement central, de droits et de privilèges, souvent relatifs à l'amélioration de leur vie quotidienne, mais ils exprimèrent également tant leur soutien que leur opposition à certains aspects du projet de Constitution. La Constitution de Staline déplace le centre d'intérêt de Moscou vers les questions plus larges de la construction de l'État et de ses relations avec les citoyens, en reconnaissant l'action des acteurs locaux et en décentralisant le récit historique. L'ampleur de la discussion à l'échelle de l'Union, avec plus de 40 millions de participants, rend impossible toute étude significative au niveau national. Une étude de cas ciblée permet d'examiner et de contextualiser les programmes souvent contradictoires du gouvernement national, des responsables locaux et régionaux et de la population. Pour examiner cette opération, ce livre traite de la région de Kirov, située à environ 900 kilomètres au nord-est de Moscou. Elle est idéale pour une étude régionale car le débat y fut animé et vaste, et ses archves sont exceptionnellement riches en matériaux. Du fait de son éloignement de la ligne d'occupation allemande, les archives ne furent jamais endommagées ni évacuées. Par conséquent, des documents introuvables ail!eurs, tels que des lettres et des rapports de district, se trouvent en abondance dans les deux principales archives de Kirov: les Archives d'État de la région de Kirov (GAKO), les principales archives d'État de la région, et les Archives d'État de l'histoire sociale et politique de la région de Kirov (GASPI KO), les archives du Parti communiste'. Sur la base de ces sources archivistiques, ce travail fournit de nombreuses preuves que les citoyens soviétiques, en particulier les travailleurs agricoles collectifs, s'impliquèrent et firent pression sur l'État pour obtenir des solutions à certaines de leurs préoccupations locales, voire plus larges. Ils formulèrent aussi des plaintes concernant la gouvernance locale. Des études régionales comme celle-ci démontrent que les citoyens soviétiques n'étaient pas dépourvus de moyens d'action et, en fait, cherchaient souvent à détourner à leurs propres fins les objectifs, la rhétorique et les campagnes de l'État. Mais, comme l'affirme ce livre, le peuple ne parla pas toujours d'une seule voix. Les habitants des villes et des campagnes, et parfois des générations différentes, avaient souvent des points de vue divergents, tout comme les élites locales et la population dans son ensemble. La variété des expériences individuelles explique ces différences. Cette étude permet de mieux comprendre ces différents points de vue et soutient que le lieu de travail, l'expérience de vie et les valeurs person- nelles influencèrent les opinions des citoyens sur la Constitution. En tant que telle, celle-ci offre un contrepoint au travail des historiens qui ont écrit sur certains aspects de la discussion du projet de Constitution et de la mise en œuvre des campagnes et des politiques staliniennes en général, mais qui l'ont fait à l'échelle nationale et du point de vue de la direction centrale à Moscou. La littérature sur la discussion populaire de la Constitution de 1936 n'est pas
  • 3. 3 abondante. Certains historiens, comme Robert Tucker et Sarah Davies, ne l'évoquent qu'en passant et se traitent plutôt de l'échec de l'État à honorer ses promesses. Davies, en particulier, se concentre sur le décalage entre les promesses faites aux citoyens soviétiques dans la Constitution et les réalités de leur vie?. D'autres, 1. Cette étude s'appuie largement sur ces deux archives ainsi que sur les journaux de la réion et les documents relatifs à la Commission centrale comme Ellen Wimberg, mettent l'accent sur la manière dont les dirigeants soviétiques utilisèrent le débat pour promouvoir leur propre programme en scrutant la formulation et la discussion du projet de Constitution telles qu'elles apparaissent dans la presse soviétique, dans le but d'examiner les tensions entre les différents dirigeants du Parti, en se concentrant particulièrement sur Boukharine 1• J. Arch Getty, G. I. Tret'iakov et Andrei Sokolov fournissent de bonnes vues d'ensemble sur le développement de la commission de rédaction et la discussion à l'échelle nationale, y compris les ajouts, les corrections et les suggestions les plus populaires et la manière dont celles-ci influencèrent le projet final de Constitution • Getty et Sokolov notent tous deux que de nombreux citoyens soviétiques s'emparèrent de ce forum pour s'exprimer sur des questions personnelles et locales. Le présent travail fait le même constat. Toutefois, étant donné que, dans ces études, l'examen des suggestions repose sur des documents d'archives du Comité exécutif central, leurs témoignages s'apparentent à des instantanés pris dans tout le pays et sont difficiles à interpréter autrement qu'en termes généraux. Getty lui-même admet que « sans études détaillées de la campagne soviétique dans les années 1930, il est difficile d'interpréter de telles données" ». C'est ici qu'une étude de cas comme celle-ci fournit le contexte indispensable, en replaçant la discussion à la fois dans le cadre des projets staliniens de construction de l'État et des schémas et des préoccupations liées à la vie quotidienne dans les régions'. Les nouvelles études régionales, qui permettent aux historiens de voir comment les campagnes ont été mises en œuvre sur le terrain et comment les facteurs locaux et personnels ont influencé cette mise en œuvre, ont changé radicalement la perception du stalinisme et de ses projets de construction de l'État dans l'historiographie occidentale. Les anciennes générations d'historiens occidentaux n'avaient souvent accès qu'aux publications centrales ou, à partir du début des années 1990, aux documents des archives centrales. Ils avaient tendance à dépeindre le stalinisme comme une société totalitaire et dirigiste dans laquelle toute ouverture n'était qu'un stratagème pour masquer les véritables intentions du dirigeant soviétique. Par exemple, Robert Tucker soutient que le principal expédient de Staline pour camoufler l'opération de terreur à la fin des années 1930 était sa réécriture de la Constitution '. Tucker réduit le débat à un exercice de propagande visant à accroître la popularité de Staline, qui « était un maître de la tromperie utilisant le débat public sur la Constitution «la plus démocratique» comme un écran de fumée pour des actions visant à transformer le régime soviétique en quelque chose s'approchant du fascisme ». La Constitution de Staline s'ajoute à une liste croissante-d'ouvrages qui démontrent que ta structure de l'État et du Parti ne garantissait pas la réalisation
  • 4. 4 inconditionnelle des directives centrales. En fait, à de nombreuses occasions, Moscou fut déçue par l'application peu satisfaisante de ces politiques. Au cours de la discussion du projet de Constitution, plusieurs membres du Comité central furent désappointés par la mise en œuvre inadéquate de la discussion et l'attitude désinvolte de nombreux fonctionnaires locaux à l'égard de la tenue de débats sérieux et de l'enregistrement des suggestions populaires, ainsi que par la nature locale et personnelle de nombreuses propositions. Après la ratification de la Constitution, de nombreux dirigeants soviétiques s'inquiétèrent de l'éventuelle utilisation abusive des nouveaux droits constitutionnels par leurs anciens ennemis de classe. Cette friction constante entre les objectifs des dirigeants centraux et ceux des citoyens soviétiques reflète leurs interprétations divergentes des droits et des devoirs de l'État et des citoyens dans une société socialiste. La vision d'une population assiégée par l'État est omniprésente dans les études historiques sur l'URSS des années 1930. Lewis Siegelbaum et Andreï Sokolov utilisent la riche collection de documents présentée dans Stalinism as a way of life pour démontrer comment les défis de la construction du socialisme frappèrent souvent dangereusement les gens dans leur vie quotidienne. Ils se concentrent sur la façon dont les citoyens négociaient les perturbations créées par la collec- tivisation et l'industrialisation rapide, mais Siegelbaum et Sokolov montrent comment les citoyens apprirent à « parler bolchevique » et à défendre leurs propres intérêts dans le cadre de la rhétorique créée par l'État 1• En référence au projet de Constitution, ils notent comment « saisissant l'occasion offerte par l'incorporation du langage des droits dans la Constitution, les auteurs de lettres et les participants aux discussions officielles projetèrent leurs propres idées, espoirs et ressentiments sur le document. Leurs commentaires et suggestions offrent ainsi un aperçu inhabituel, même s'il n'est pas tout à fait transparent, des mentalités populaires2 ». Siegelbaum et Sokolov sont parmi les premiers historiens à reconnaître la nature interactive de la discussion et le profond intérêt des fonctionnaires de l'État central pour ce que disait la population, ainsi que la pléthore d'opinions qui se cachaient sous le mince vernis d'un soutien total aux idées du Parti3. En tant que pièce maîtresse des politiques de construction de l'État de Staline, la rédaction, la discussion, la ratification et la mise en œuvre de la Constitution de 1936 tissent ensemble de nombreux fils: la voie politique que la direction centrale souhaitait tracer pour le pays, sa capacité à mobiliser la population, et la capacité du peuple à s'engager auprès de l'État en utilisant son propre langage et à militer pour ses propres intérêts et souhaits. Ces négociations se déroulaient dans les nombreux endroits où la politique officielle de l'État et la vie des citoyens se croisaient. Siegelbaum note dans son étude sur le stakhanovisme que l'État n'était pas en mesure d'imposer celuici par décret, mais que l'État et ses citoyens s'engageaient dans une sorte de dialogue interprétant la manière dont il serait mis en œuvre par l'interpénétration des intérêts de l'État et des intérêts personnels, dans une interdépendance mutuelle'. Stephen Kotkin note également, dans sa micro-histoire révolutionnaire de Magnitogorsk, qu'« il est possible de voir - sans nier la pesante force coercitive du projet communiste - une lutte dans deux directions, même si les
  • 5. 5 termes sont inégaux, sur le tracé des lignes d'autorité? ». Dans ces aspects participatifs et collaboratifs, la conception, la rédaction et la discussion de la Constitution de 1936 reflètent le développement d'autres entreprises sociales expérimentales, telles que le stakhanovisme et la construction de Magnitogorsk. Non seulement ces projets de construction de l'État sont contemporains, mais ils avaient tous pour but de remodeler complètement les fondements de la société. Pour de nombreux historiens, il semble exister une contradiction entre le fait que l'URSS des années 1930 était une dictature à parti unique, aspirant à un contrôle central fort, et la participation populaire des citoyens à la définition concrète des éléments constituant l'État. Cet ouvrage soutient qu'il n'y avait pas de contradiction. Si les bolcheviks et l'État soviétique n'avaient aucun désir de céder le pouvoir, ils considéraient tous deux la participation populaire aux campagnes sanctionnées par l'Etat comme essentielle. En fait, le Parti cherchait à mobiliser les citoyens pour de telles campagnes, qu'elles soient au service de la collectivisation (par exemple, les 25 000)3 ou d'une plus grande productivité des travailleurs (par exemple le stakhanovisme). Comme le montrent ces campagnes, le Parti et l'État, loin de dédaigner la participation populaire, l'ont englobée, bien que dans des limites prescrites. La participation populaire était un moyen pour le Parti et l'État de communiquer certains objectifs et valeurs à la population, ainsi qu'un moyen pour celle-ci d'aider l'État central à identifier les problèmes liés à la mise en œuvre de ces objectifs et à la gouvernance locale. Si les autorités centrales structurèrent délibérément cette participation, les participants saisirent souvent l'occasion d'émettre leurs propres préoccupations. Lorsque les historiens commencèrent à analyser ces campagnes en profondeur, ils découvrirent beaucoup de négociations et de manœuvres de la part des cadres chargés de mettre en œuvre les initiatives de l'État et des citoyens chargés de les réaliser. Siegelbaum note que les initiatives stakhanovistes de la direction centrale furent souvent transformées de façon spectaculaire lorsqu'elles furent interprétées et appliquées au niveau régional et local. Il observe qu'au fur et à mesure que les initiatives descendaient du sommet, elles étaient transformées, de telle sorte que la campagne connaissait des ajouts et des suppressions par rapport à ce qui avait été prévu à l'origine ou sanctionné officiellement. Non que les initiatives de l'État central et du Parti se fussent arrêtées aux portes de l'usine, mais ce qui se passait au-delà eut un effet profond sur la formulation et la modification de ces initiatives, alors que la direction et les travailleurs essayaient de manœuvrer, de s'adapter, de participer avec enthousiasme ou de résister aux ordres qui leur compliquaient la vie'. De telles négociations sont également visibles dans l'autre grande campagne sociale et écologique de masse des années 1930 : la collectivisation. Dans son étude pionnière sur la collectivisation en Sibérie, James Hughes soutient que la direction soviétique utilisa la mobilisation de masse et les incitations matérielles pour fracturer les paysans en tant que classe et empêcher toute résistance au régime. Hughes affirme que la « méthode ouralo-sibérienne» de collectivisation connut davantage de succès en partie parce qu'elle reposait sur la mobilisation et l'organisation du soutien des paysans pauvres. Cette stratégie reposait sur l'organisation de petits groupes de paysans pauvres et moyens pour arracher l'assemblée du village au contrôle des koulaks (paysans prospères) et utiliser la
  • 6. 6 légitimité de cette assemblée en tant qu'institution paysanne dirigeante pour voter l'approbation des politiques du Parti. Hughes note que la participation à la fois à la collectivisation et à ces groupes de paysans était assurée par l'octroi d'incitations matérielles sélectives, y compris des avantages exclusifs (des primes pour les céréales, des marchandises gratuites dans les magasins coopératifs et une part des biens koulaks pillés) pour les paysans pauvres qui soutenaient I'État'. Selon Hughes, « la mise en œuvre de la méthode d'influence sociale (ouralo-sibérienne) permit également de consolider les bases organisationnelles, les structures bureaucratiques et les procédures institutionnelles de la «construction de l'État» qui donnaient au Parti de puissants leviers pour contrôler les campagnes ». L'idée d'une citoyenneté active embrassant divers aspects de ces campagnes participatives de construction de l'État est une idée relativement nouvelle dans l'historiographie soviétique, mais elle ne devrait pas être une surprise. Ces dernières années, de nombreuses études régionales de qualité, comme celle de Hughes, ont permis aux historiens d'explorer la mise en œuvre des campagnes au niveau local et les négociations entre les masses et les responsables locaux cl régionaux de l'État et du Parti. Dans son étude des campagnes de collectivisation dans l’, oblast de l'Ouest, Charles Hier affirme que les responsables locaux du Parti et de l'État étaient souvent laxistes dans la mise en œuvre de la collectivisation parce qu'ils étaient ceux qui avaient le plus de biens personnels à perdre. 11documente la façon dont les paysans pauvres locaux travaillèrent avec les fonctionnaires régionaux pour collectiviser les terres en raison des avantages que l'État offrait aux fermes collectives, comme les tracteurs et les semences de haute qualité. Charles Hier constate que de nombreux paysans non seulement adhérèrent à la collectivisation dans cette région, mais durent également lutter activement contre les responsables locaux du Parti et de l'Etat pour mettre en œuvre les directives centrales 1. Dans son étude de la région de Kirov, Aaron Retish note également que les paysans adoptèrent et utilisèrent les programmes de l'État pour renforcer leur position socio-économique et améliorer leur vie quotidienne. Il note que Viatka/Kirov avait une forte tradition d'autonomie locale et de mobilisation, les paysans étant bien représentés dans les zemstvos prérévolutionnaires. Pendant la guerre civile, lorsque des comités de pauvres et d'autres organisations collectives furent formés, les paysans de la région de Kirov les adoptèrent comme moyen d'améliorer leurs propriétés foncières et avoir accès aux fournitures agricoles. Alors que ces comités échouèrent rapidement dans d'autres régions, Retish note qu'ils ont perduré dans la région de Kirov, constituant la base de certaines des premières fermes collectives". Les citoyens de cette région firent toujours preuve d'une grande habileté pour adapter les formes et le langage des campagnes d'État à leurs besoins. Dans son étude sur la bureaucratie régionale de Kirov dans les années 1930, Larry Holmes note que la bureaucratie éducative régionale et locale avait adopté la rhétorique de l'échec et de la négativité croissants pour expliquer les insuccès matériels et professionnels dont souffraient les écoles de la région. Selon lui, cela permet d'expliquer l'utilisation par les administrateurs d'un langage victimaire pour réclamer des droits et des privilèges. Ils n'essayaient pas seulement de tempérer la colère de l'État, mais utilisaient plutôt la rhétorique et les institutions de ce dernier pour régler des comptes personnels et réclamer des droits et des privilèges
  • 7. 7 personnels '. La présente étude utilise la discussion autour de son projet comme tremplin pour explorer comment l'État chercha à atteindre ses objectifs de redéfinition des relations sociales par le biais d'un contrat social : la nouvelle Constitution. L'État élabora ce contrat social pour contribuer à la création d'une base juridique stable pour la société, dans 1. Charles Hier, « Party, Peasants and Power in a Russian District : the Winning of Peasant Support for Collectivization in Sychevka Raion 1928- 1931 » (thèse non publiée, Université de Pittsburgh, 2004). le but de promouvoir la participation du peuple aux niveaux local et régional et responsabiliser les cadres du Parti et de l'État. Comme d'autres discussions développées dans le cadre des campagnes staliniennes, celle sur le projet de Constitution fut souvent réinterprétée lors de sa mise en œuvre, ce qui en fait un forum de négociation sur l'apparence de l'État au niveau local. Cependant, contrairement au stakhanovisme et aux autres campagnes économiques, la discussion du projet de Constitution était conçue pour solliciter l'opinion des citoyens. Alors que les dirigeants du régime avaient sans doute anticipé un soutien massif à leur vision du socialisme, ce ne fut pas toujours le cas, les participants utilisant la discussion et le langage de l'État pour mettre en avant des questions locales et personnelles, donnant une interprétation résolument différente de ce que devait être l'Union soviétique. La rédaction et la discussion de la ConstituLion offrent une occasion unique d'étudier ces négociations, car l'État sollicita spécifiquement et enregistra méticuleusement les réponses et les opinions des citoyens sur la manière dont les fondements juridiques et théoriques de l'État devaient être formés. Le chapitre 1 montre comment le projet de Constitution met en évidence la tentative de création, par l'État, d'un nouveau contrat social avec ses citoyens et ce qu'il attend d'eux en retour. Ce chapitre établit le contexte du débat public, en donnant un aperçu de certaines pensées et théories constitutionnelles qui jouèrent un rôle dans la rédaction de la Constitution de 1936. A cette fin, ce chapitre se oncentre sur le développement et l'évolution d'articles spécifiques, centrés sur la redéfinition des citoyens et des droits de citoyenneté, y compris le rétablissement du droit de vote des anciens prêtres et des koulaks. Il illustre les aspects de la Constitution, tels que l'augmentai ion des avantages matériels, que les dirigeants centraux cherchaient à mettre en avant, et comment ils espéraient que la discussion autour du projet contribuerait à susciter l'enthousiasme pour les projets de construction de l'Etat. Le deuxième chapitre met l'accent sur les réalités complexes qui façonnaient la vie quotidienne et les préoccupations de cette région on se concentre sur la situation des denrées alimentaires et les biens matériels nécessaires à la survie. Les luttes de pouvoir locales, souvent pour l'accès à ces produits de première nécessité, faisaient partie de la vie quotidienne. Ces réalités façonnaient considérablement les perceptions des citoyens et les plaintes et suggestions qu'ils formulèrent au cours de la discussion. Ce chapitre montre clairement que les citoyens de la région de Kirov étaient politiquement avisés, qu'ils avançaient
  • 8. 8 leurs intérêts personnels par le biais des canaux dont ils disposaient, tels que la presse et les organisations locales, et qu'ils parlaient le langage politique des campagnes d'État pour donner à ces problèmes locaux une plus grande visibilité politique. Ce chapitre révèle une population capable d'utiliser la discussion sur le projet de Constitution pour faire valoir ses propres intérêts, et en tant que tel, il offre un contraste avec l'opinion selon laquelle les paysans soviétiques des années 1930 étaient maussades et apolitiques. Le chapitre 3 aborde la mise en œuvre du débat populaire dans la région de Kirov et les nombreuses tensions au sein du système soviétique, révélées par le débat. La direction centrale du Parti et de l'État avait une vision spécifique de la manière dont la campagne devait se dérouler. Elle voulait renforcer le processus de construction de l'État (c'est-à-dire le développement de formes institution- nelles durables en matière d'administration, de pouvoir militaire et d'extraction de revenus). La nouvelle Constitution représente cet effort et la vision stalinienne de l'État. Mais contrairement aux efforts passés de construction de l'État, les dirigeants soviétiques exhortèrent les citoyens à apprécier et à discuter les nouveaux droits en termes de citoyenneté que la direction centrale avait inscrits dans la constitution. Cette orientation était évidente dans les plans des cours destinés aux organisations locales du Parti, dictant les sujets à traiter pendant la délibération du projet. Cependant, la mise en œuvre de la discussion fut laissée principalement aux responsables locaux du district, qui essayaient de concilier le débat avec les exigences de leurs tâches quotidiennes. En conséquence, de nombreux organisateurs locaux n'y virent qu'une campagne de plus, se contentant de lire le projet de Constitution à haute voix au lieu d'encourager la discussion. Mais certains « discussions inappropriées » sont révélatrices, car elles étaient axées sur les besoins individuels plutôt que sur les objectifs de construction de l'État. Parmi elles, on trouve des suggestions visant à accorder aux fermiers collectifs les mêmes droits qu'aux travailleurs et aux citadins, et la création de syndicats paysans. Ce chapitre soutient que ces suggestions n'étaient pas le résultat d'un mauvais travail préparatoire, bien que ce soit un problème important, mais qu'elles reflétaient les préoccupations et les demandes de la population, en particulier des paysans. Le quatrième chapitre analyse la couverture du débat populaire dans le journal régional, la Kirovskaia Pravda, et dans plusieurs journaux locaux de district. Ces journaux s'appuient souvent sur des lettres et des documents provenant de groupes privilégiés, tels que les membres du Parti, les stakhanovistes, les présidents de fermes collectives et les ouvriers urbains, dont les récits exaltés servent à valoriser les revendications de victoire socialiste. Ces documents montrent clairement le fossé séparant cette petite population active, relativement éduquée et privilégiée, qui avait été intégrée avec succès dans la société soviétique, et les paysans constituant la grande majorité de la population de la région. Ce chapitre démontre que les citadins les mieux éduqués et les plus intégrés politiquement étaient beaucoup plus susceptibles que leurs homologues ruraux d'adhérer au récit de construction de l'État proposé par le gouvernement central. Les citadins qui écrivaient aux journaux mettaient l'accent sur la manière dont ils travaillaient à la création d'un État socialiste fort ; beaucoup s'engageaient à travailler plus dur en remerciement de leurs nouveaux droits et privilèges. Les paysans se centraient beaucoup plus sur les questions politiques
  • 9. 9 et économiques locales ; ils avaient leurs propres idées sur la façon dont le pouvoir de l'État devait être utilisé. Ce chapitre montre clairement que les objectifs de construction de l'État publiés par les dirigeants du Parti et de l'État ne furent intériorisés que par une petite couche de citoyens, pour la plupart des membres de l'élite urbaine et ouvrière, et rapporte les espoirs et les plaintes des habitants des campagnes. Le chapitre 5 examine les suggestions populaires formulées par les citoyens de Kirov. Le chapitre se concentre sur la redéfinition de la citoyenneté visant à inclure tous les habitants de l'URSS, et sur l'expansion des droits et privilèges des citoyens, deux thèmes devenus une pierre de touche pour de nombreux participants au débat. À Kirov, ceux-ci se concentrèrent sur l'inclusion ou l'exclu- sion de personnes de droits de citoyenneté et/ou d'avantages correspondants, tout en mettant l'accent sur les questions qui leur permettraient de mener une vie sûre, stable et matériellement protégée. Bon nombre des suggestions populaires au projet de Constitution portaient sur les vacances, l'aide matérielle ou monétaire aux agriculteurs collectifs, la propriété foncière et l'accès aux ressources éducatives. Les participants utilisaient les outils rhétoriques et politiques que l'État leur avait donné pour faire valoir leurs intérêts et changer la politique étatique. Ils citaient souvent ces politiques ou leur contribution aux efforts de construction de l'État, comme la collectivisation, pour justifier l'augmentation des avantages matériels et de l'égalité politique pour eux-mêmes ou leur communauté. Les preuves présentées dans ce chapitre montrent clairement que de nombreux participants aux discussions étaient politiquement actifs et engagés dans un dialogue avec l'État afin de promouvoir leurs intérêts, souvent radicalement différents des besoins et des attentes ce même État dans le cadre des discussions qu'il dirigeant autour du projet de.Constitution. Le chapitre 6 examine deux aspects majeurs du nouveau projet de Constitution: l'extension des droits électoraux et de citoyenneté à tous les habitants de l'URSS, y compris les anciens koulaks et les membres de sectes religieuses qui avaient été précédemment dépouillés de leurs droits et systématiquement discriminés, et l'établissement de protections par habeas corpus pour les accusés. Ce chapitre se concentre sur la manière dont, au niveau local, les citoyens acceptèrent ce qu'ils considéraient comme des aspects utiles de ces politiques, tandis que leurs aspects fondamentaux, qui menaçaient la stabilité locale, suscitèrent beaucoup de résistance et d'hostilité. Les Kiroviens adhérèrent à l'instruction de Staline selon laquelle la démocratie devait être un outil permettant de rendre les cadres locaux responsables de leur comportement et de leurs échecs. Ils firent de nombreuses su gestions pour accroitre leur capacité à mettre en cause la responsabilité des fonctionnaires locaux. Mais les habitants de Kirov privilégiaient la sécurité et la stabilité, surtout dans les campagnes où l'État est moins présent. Par conséquent, ils rejetèrent massivement les protections de l'habeas corpus et le rétablissement du droit de vote pour les personnes qui en avaient été privées, et émirent des contre- propositions pour permettre à la police et aux citoyens eux-mêmes d'appréhender plus facilement les criminels. Le dernier chapitre examine comment les élections nationales de 1937, basées sur la nouvelle Constitution, contribuèrent à la répression qui débuta cette
  • 10. 10 année-là à Kirov et dans tout le pays. Des rapports sur les activités antisoviétiques dans la région et des cas de personnes anciennement privées de leurs droits (lichentsy, koulaks) désignant leurs propres candidats aux fonctions locales furent envoyés à Moscou. Ces rapports amplifiaient les inquiétudes des dirigeants nationaux face à ce qu'ils percevaient de l'augmentation des activités ennemies dans tout le pays. Les procès-verbaux des cellules locales du NKVD, dont sont tirés de nombreux documents, témoignent de cette inquiétude croissante au sein de la police et de la communauté en général. Au fur et à mesure que l'année 1937 se déroulait, les participants à ces réunions cessèrent de considérer l'infiltration des organes du pouvoir soviétique par des ennemis de classe comme une possibilité, mais plutôt comme une réalité à laquelle il fallait faire face de manière active. Ce chapitre explore comment ces rapports et la pression exercée par les régions contribuèrent au début de la répression de masse en 1937 et à son évolution. Comme cette étude porte sur 11 ne seule région de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR), l'objectif de ce chapitre n'est pas de faire de la surenchère sur la répression de masse, mais de montrer comment les ques- 1 ions locales et les préoccupations de l'État se sont superposées. De cette façon, il contribue à la littérature récente sur la répression, tout en soulevant des questions sur l'implication populaire. Constitution de Staline conclut que l'ouverture du droit de vote combiné au forum ouvert de discussion encouragea de nombreux citoyens soviétiques à engager un dialogue avec I'Etat sur leurs besoins et leurs responsabilités. Les besoins et les suggestions de citoyens, centrés sur le local et le personnel, étaient à l'opposé de ce que l’Etat attendait. Lorsque les citoyens en particulier ceux appartenant a des groupes déjà suspects, commencèrent à user de leur droits pour défendre leurs intérêts personnelles, les inquiétudes centrales s'accrurent au point de contribuer à la répression de masse en 1937. Cette prise de recul par rapport à la centralisation des autres travaux historiques sur la discussion constitutionnelle permet de comprendre comment les citoyens appréhendaient les rôles que l'État et eux-mêmes devaient jouer dans le développement du socialisme et quelles étaient les responsabilités de chacun.