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Le Manifeste, jeune de 150 ans dans une histoire qui compte
en siècles
Ludo Martens
Etudes marxistes Revue n° 41, date de publication : 1998-01-20
Introduction
À Bruxelles, fin 1847, Karl Marx et Friedrich Engels rédigent le Manifeste du Parti
communiste.
Aucun autre livre n’exercera une influence aussi déterminante sur le monde et sur le
cours de l’histoire ultérieure.
Publié il y a un siècle et demi, le Manifeste est toujours neuf et il marquera sans doute le
XXIe
siècle. En effet, au seuil du troisième millénaire, le capitalisme mondial se précipite
dans des crises d’une force destructive jamais vue. Et sur tous les continents, les
communistes, qui ont subi des défaites importantes avec la restauration du capitalisme
en Union soviétique et en Europe de l’Est, retournent aux sources. Ils retournent tout
d’abord à la première de celles-ci : le Manifeste. Ce livre, que la lecture n’épuise jamais,
aide les communistes à analyser les trahisons qui ont affaibli le mouvement
révolutionnaire mondial pour que le siècle suivant se déroule sous le signe de la
révolution socialiste victorieuse.
Quelle histoire mémorable que celle du Manifeste du Parti communiste !
Au moment de sa publication, le Manifeste était l’étendard d’une organisation comptant
cinq cents membres à peine.
Soixante-dix ans plus tard, Lénine guidait les premiers pas de l’Union soviétique qui
deviendra en deux décennies une grande puissance socialiste.
Lors du centième anniversaire du Manifeste, Staline était – aussi incroyable que cela
puisse paraître aujourd’hui – l’homme le plus populaire parmi les travailleurs de toute
l’Europe. Le prestige de l’Union soviétique était au zénith : la puissance impérialiste la
plus barbare, l’Allemagne nazie, avait été vaincue par l’Armée rouge, le socialisme
s’implantait en Europe de l’Est, et l’immense Chine, le pays du tiers monde qui a le plus
souffert de l’oppression impérialiste, avançait vers sa libération totale et vers le
socialisme.
Mais dix ans plus tard, en 1958, lors du cent-dixième anniversaire du Manifeste, l’histoire
s’apprête à faire un formidable bond en arrière. Khrouchtchev dénonce la politique de
Staline, jette par-dessus bord les principes du socialisme scientifique, transforme l’Union
soviétique selon les conceptions du socialisme bourgeois et petit-bourgeois qui ont été
dénoncées avec tant de véhémence dans le célèbre ouvrage de Marx et Engels.
2
Le Manifeste a cent quarante ans lorsque Gorbatchev achève l’œuvre initiée par
Khrouchtchev : il liquide tous les principes socialistes formulés par Marx et Lénine et
restaure intégralement le capitalisme sauvage en Union soviétique.
Et aujourd’hui, pour le cent cinquantième anniversaire du Manifeste du Parti communiste,
la Russie de Eltsine correspond exactement à cette phrase du Manifeste : « La société
se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux classes
diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat. » Eltsine, sous les
applaudissements de la mafia, affirme que l’héritage de Marx est criminel. Mais contre
Eltsine se dressent plusieurs nouveaux partis communistes de l’ancienne Union
soviétique, dirigés par Nina Andreeva, Tioulkine, Anpilov, Popov et Chenine. Ceux-ci
paraphrasent cet autre mot formidable du Manifeste : « Qu’Eltsine et les siens tremblent
à l’idée d’une révolution communiste ! Les prolétaires n’ont rien à y perdre que leurs
nouvelles chaînes. »
Le Manifeste est un de ces livres rares qui gardent toute leur force, toute leur actualité,
cent cinquante années après leur rédaction.
Sa phrase d’ouverture est un coup de clairon. Elle exprime le défi de tous les opprimés
des temps modernes envers leurs oppresseurs.
« Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme. Toutes les puissances de la
vieille Europe se sont unies en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre. »
Dans sa dernière phrase éclatent la confiance en soi des travailleurs, leur rage de
vaincre, leur mépris de cette bourgeoisie criminelle, les sentiments les plus nobles des
exploités de tous les temps, de tous les pays.
« Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils
proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement
violent de tout l’ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l’idée d’une
révolution communiste ! Les prolétaires n’y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils y ont
un monde à gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
Marx et Engels sont deux géants de l’esprit qui ont bouleversé toute la vie intellectuelle et
politique du XIXe
et du XXe
siècle.
Ils ont accompli une révolution intellectuelle qui permet à tous les travailleurs, à tous les
exploités de comprendre l’histoire et d’en devenir les acteurs conscients. Le marxisme
est l’arme de la libération de toute l’humanité exploitée et broyée par le capitalisme
mondial. Rien donc de plus normal que les idéologues de la bourgeoisie, la dernière
classe exploiteuse, déclarent tous les dix ans, et cela depuis 1871, que « le marxisme est
mort ». Mais ce n’est pas cette propagande intéressée qui empêchera les exploités du
monde entier de s’emparer finalement de la seule arme de leur libération : le marxisme.
De grands exemples pour la jeunesse de 1998
Pour tous les jeunes de 1998 qui, de Calcutta à Rio de Janeiro, de Johannesburg à Los
Angeles, de Moscou à Paris, veulent s’engager dans la lutte pour la libération des
masses exploitées, Marx et Engels restent les grands exemples.
3
Très jeunes, Marx et Engels ont abattu un travail intellectuel impressionnant.
Marx est né à Trèves en 1818, Engels en 1820 à Barmen, autre petite ville de la
Rhénanie.
Esprit universel, Engels avait, avant ses vingt ans, appris l’anglais, le français, l’italien, le
portugais, l’espagnol et le néerlandais. Pour mieux comprendre l’histoire de l’humanité et
suivre les progrès du mouvement ouvrier, il étudie plus tard plusieurs langues de l’Europe
de l’Est, dont le hongrois, puis l’arabe et le russe.
Fils d’un fabriquant de textile très croyant, Engels dévore, à l’âge de dix-neuf ans, La Vie
de Jésus de David Strauss et devient un athée convaincu. Au cours de la même année, il
publie une enquête sur le sort terrible des ouvriers de Wuppertal. Envoyé en Angleterre
par son père pour s’y occuper de commerce, Engels se plonge dans le monde du
prolétariat exploité par les barons du textile. Il interroge longuement les travailleurs dans
les quartiers les plus misérables de Londres et de Manchester. Il fréquente avec
assiduité les réunions ouvrières du mouvement des Chartistes et y expose la situation
des ouvriers en France et en Allemagne. Engels a vingt-deux ans. Il réunit en 1842-1843
dans les quartiers ouvriers un matériel abondant qu’il publiera dans La situation de la
classe ouvrière en Angleterre, qui devient le premier classique du marxisme. Le contact
direct avec la misère et l’exploitation des ouvriers est un des facteurs essentiels qui ont
poussé Engels à se déclarer communiste à l’âge de vingt-trois ans.
En 1836, Marx se rend à Berlin pour y étudier le droit. À dix-neuf ans, il y entre dans un
club de docteurs progressistes qui se livrent à la critique de la religion et de la société
féodale prussienne. En 1841, il devient docteur en philosophie avec une thèse consacrée
à Épicure, grand matérialiste et athée de l’antiquité grecque. Il se passionne pour la lutte
antiféodale et se déclare révolutionnaire démocrate. À vingt-quatre ans, il dirige La
Gazette Rhénane, le principal journal de la bourgeoisie progressiste allemande. Ce
travail lui permet de faire des enquêtes sur la misère paysanne en Allemagne.
En 1843, à vingt-cinq ans, obligé de fuir la censure et la répression en Allemagne, Marx
s’établit à Paris, le centre du mouvement ouvrier révolutionnaire en Europe. Critiquant les
idéologues progressistes de la bourgeoisie comme les partisans d’un socialisme
utopique, Marx formule les bases du socialisme scientifique : « L’arme de la critique ne
peut pas remplacer la critique des armes, car la force matérielle ne peut être abattue que
par une force matérielle. Mais la théorie se transforme elle-même en force matérielle, dès
qu’elle pénètre les masses. (…) La critique de la religion aboutit à l’affirmation que
l’homme est pour l’homme l’être suprême. D’où l’impératif d’abolir toutes les conditions
sociales dans lesquelles l’homme est un être avili, asservi, abandonné et méprisable. »
La seule force capable de réaliser cette tâche est le prolétariat qui, « par la nécessité
matérielle, par ses chaînes mêmes, est obligé de le faire1 ». Marx entre en contact avec
les ouvriers communistes, nombreux parmi les dizaines de milliers de révolutionnaires
allemands réfugiés à Paris. Quand les tisserands de Silésie se soulèvent en juin 1844
contre leurs exploiteurs, Marx affirme que l’avenir est dans la fusion des idées
communistes et du mouvement révolutionnaire des ouvriers.
Friedrich Engels, qui arrive à Paris fin 1844, était arrivé aux mêmes conclusions que
Marx, et avant lui. Désormais ils seront deux amis inséparables.
4
Expulsé de France en février 1845, Marx se réfugie à Bruxelles où il établit une liaison
entre les ouvriers allemands, français, anglais et belges. Il faut, dit-il, que « le mouvement
socialiste se débarrasse de sa limitation nationale2 ».
Mais pour créer le Parti ouvrier révolutionnaire dont ils rêvent, Marx et Engels doivent
d’abord livrer d’âpres batailles contre les adeptes des différentes sectes du « socialisme
vrai ». Tous prônent des « solutions originales » à la question sociale, qu’ils veulent
réaliser par l’exemple, par la propagande, en convainquant les éléments éclairés de la
bourgeoisie, sans passer par la lutte des classes, l’organisation des masses et la
révolution. Ainsi, en octobre 1846, Engels doit faire le nettoyage au sein du Comité
Communiste de Paris. Il écrit à Marx : « Le point essentiel que je devais prouver était la
nécessité de la révolution par la force, et en général le caractère antiprolétarien, petit-
bourgeois, philistin du “socialisme vrai”. (…) Je définis les intentions des communistes de
la manière suivante : 1. promouvoir les intérêts des prolétaires à l’encontre de ceux des
bourgeois; 2. y parvenir par l’abolition de la propriété privée, remplacée par la
communauté des biens; 3. ne reconnaître aucun autre moyen de réaliser ces buts que la
révolution démocratique par la violence3. »
Marx et Engels seront les pères spirituels de la Ligue des Communistes qui tient son
premier congrès à Londres en juin 1847. L’objectif de la Ligue est « le renversement de
la bourgeoisie, la domination du prolétariat, la suppression de l’ancienne société
bourgeoise basée sur les contradictions de classes et la constitution d’une nouvelle
société sans classes et sans propriété privée (des moyens de production)4 ». L’ancienne
devise bourgeoise, « Tous les hommes sont frères », est remplacée par « Prolétaires de
tous les pays, unissez-vous ! » Suite à ce congrès, Engels réalise une première esquisse
du Manifeste du Parti communiste. Il a vingt-sept ans. Marx rédigera la version définitive
fin 1847 à Bruxelles. Il a vingt-neuf ans.
Avec un remarquable esprit de synthèse, Marx et Engels ont condensé toutes leurs
expériences et découvertes dans ce court pamphlet. Dans le Manifeste, nous trouvons
déjà ébauchées la plupart des grandes idées marxistes dans les domaines de l’histoire,
de l’économie et de la politique. Sur ces fondements, Marx et Engels construiront
pendant toute leur vie l’édifice éblouissant du socialisme scientifique.
La naissance du Manifeste du Parti communiste est l’un des rares actes de grandeur qui
se soient jamais produits dans la bonne ville de Bruxelles. L’acte la dépasse à tel point
qu’elle décide immédiatement d’expulser l’auteur de cette œuvre mémorable.
C’est la troisième fois en cinq ans que Marx se trouve dans la situation de réfugié
politique. La première fois, c’était en octobre 1843, lorsque la censure l’obligea de fuir
l’Allemagne, son pays. Puis le 3 février 1845, Marx se faisait expulser de la France.
Enfin, le 4 mars 1848, dix jours après la publication du Manifeste, Marx est arrêté par la
police bruxelloise et conduit à la frontière française comme réfugié politique indésirable.
Tout comme Engels, Marx était un homme pour qui la pratique était intimement liée à la
théorie révolutionnaire.
Deux mois après avoir terminé la rédaction du Manifeste, la révolution de Février 1848
éclate à Paris. À Bruxelles, les milieux révolutionnaires et républicains préparent à leur
5
tour un soulèvement en faveur de la République. Marx y joue un rôle actif. Si l’on peut en
croire un rapport de la police bruxelloise, il vient de recevoir 6 000 francs en héritage de
son père. Marx, qui vivra presque toute sa vie dans la pauvreté, n’hésite pas à dépenser
5 000 francs pour l’achat d’armes destinées aux ouvriers de Bruxelles5.
Alors que la révolution de Février 1848 bouleverse la France, Marx et Engels arrivent à
Paris. Ils dirigent les quatre cents ouvriers du Club des Communistes allemands et les
envoient un à un en Allemagne pour y créer des Cercles ouvriers. Après l’éclatement de
la révolution à Vienne et à Berlin, Marx et Engels rentrent en Rhénanie pour participer à
la révolution allemande. Ils le feront en coordonnant les Cercles ouvriers et en publiant à
partir du 1er juin 1848 La Nouvelle Gazette Rhénane. Dans ce journal Marx définit le
véritable sens de la liberté de presse en régime féodal et bourgeois : « Le devoir de la
presse est de miner toutes les bases du système existant6. » La Nouvelle Gazette
Rhénane se met à la tête de la révolution antiféodale qui déferle sur les différents
royaumes et principautés allemands et défend le rôle dirigeant de la classe ouvrière dans
ces combats. C’est aussi le premier journal de la révolution européenne qui suit de près
le développement des combats en France, en Autriche, en Pologne, en Hongrie, en Italie.
C’est alors un journal révolutionnaire unique dans l’histoire, auquel Engels ne reconnaît
qu’un seul précurseur : L’Ami du Peuple que Marat avait publié au cours de la Révolution
française.
Toute leur vie, Marx et Engels s’inspireront de cette période où ils ont pu s’engager
directement dans le combat révolutionnaire. En 1881, Engels s’en souvient :
« L’insurrection des ouvriers parisiens en juin 1848 nous trouva à notre place. Dès le
premier coup de feu, nous étions corps et âme du côté des insurgés. Après la défaite,
nous étions les seuls à brandir l’étendard du prolétariat vaincu, au moment où les
bourgeois et petits-bourgeois de tous les pays submergeaient les vaincus du flot de leurs
calomnies7. »
Et lorsqu’en novembre 1848 les troupes contre-révolutionnaires formées de Croates
écrasent dans le sang la révolution viennoise, Marx exprime sa conviction que la terreur
blanche sera tôt ou tard vaincue par la terreur rouge. « Les massacres, le cannibalisme
de la contre-révolution elle-même convaincront les peuples que, pour abréger, pour
simplifier, pour concentrer l’agonie meurtrière de la vieille société et les souffrances
sanglantes de l’enfantement de la nouvelle, il existe un seul moyen – le terrorisme
révolutionnaire8. »
Quelques mois plus tard, l’insurrection éclate dans plusieurs principautés allemandes.
Dès avril 1849, Engels devient le conseiller militaire des insurgés. Au mois de juin, au
Palatinat, Engels occupe la fonction d’aide de camp de Willich, le chef du corps franc le
plus combatif et il participe à toutes ses batailles. « J’avais hâte, dira-t-il, d’occuper la
seule position que pouvait prendre dans ce mouvement un rédacteur de La Nouvelle
Gazette Rhénane, au moment du combat : celle du soldat9. »
L’œuvre scientifique accomplie par Marx et Engels est inséparable de leur engagement
aux côtés des ouvriers et de leur participation aux combats des masses insurgées.
En cette année du cent cinquantième anniversaire du Manifeste, la bourgeoisie utilisera
de nombreux stratagèmes pour falsifier la pensée de Marx et Engels. On l’entendra sans
6
doute faire l’éloge de Marx en tant que grand penseur, éminent philosophe, critique avisé
des tares du capitalisme naissant, belle tête scientifique. Bref, la bourgeoisie fera
semblant de rendre hommage au penseur, pour mieux le combattre en tant que géant de
la politique et de la tactique révolutionnaires, en tant que fondateur du premier parti
ouvrier révolutionnaire.
Le plus formidable défi à l’histoire
Entre vingt-deux et trente ans, les jeunes Engels et Marx découvrent les armes qui leur
permettent de lancer le plus formidable défi au monde et à l’histoire. Ils ne sont que deux,
entouré de cinq cents disciples.
Cent cinquante ans plus tard, après la plus formidable contre-révolution que l’histoire ait
jamais vue, le monde s’enfonce dans des crises inextricables, le bruit des armes se fait
de plus en plus obsédant. C’est encore l’œuvre de Marx et Engels qui montre l’issue.
Mais d’où les auteurs du Manifeste ont-ils tiré leur perspicacité et leur clairvoyance ?
De leur critique en profondeur, sans ménagement aucun, de la société capitaliste et des
mensonges des bourgeoisies qui masquent l’exploitation. De leur engagement
inconditionnel aux côtés des prolétaires et de toute l’humanité opprimée. De leur
compréhension du cours de l’histoire et du rôle fondamental joué par le développement
des forces productives, de la science, de la technologie. De leur conviction que seuls le
prolétariat et les masses travailleuses peuvent constituer une force révolutionnaire
capable de renverser l’ordre basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme.
Marx formule son défi au monde et à l’histoire dans cette phrase où il décrit le lien entre
la bourgeoisie et les prolétaires : « La bourgeoisie ressemble à cette déesse de l’antiquité
qui ne voulait boire le vin que dans le crâne de ses victimes. » Et Marx expose avec une
précision remarquable sa vision de l’histoire qui lui permet de prédire la victoire inévitable
de la classe ouvrière et de tous les exploités.
Qui pourra contester que le passage suivant est plus actuel encore en 1998 qu’en 1853,
l’année où il fut écrit ? Quel professeur de lycée, obligé par le programme scolaire de
critiquer Marx, pourra nier la perspicacité géniale de ce texte ? Écrit cinq ans après
le Manifeste, il en explique une des thèses :
« La centralisation du capital est essentielle à son existence. L’influence destructive de
cette centralisation sur les marchés du monde ne fait que révéler, à l’échelle la plus
gigantesque, les lois inhérentes à l’économie (capitaliste). La période bourgeoise de
l’histoire a pour mission de créer la base matérielle du monde nouveau : d’une part,
l’intercommunication universelle fondée sur la dépendance mutuelle de l’humanité et les
moyens de cette intercommunication; d’autre part, le développement des forces de
production de l’homme et la transformation de la production matérielle en une domination
scientifique des éléments. L’industrie et le commerce bourgeois créent ces conditions
matérielles d’un monde nouveau. Quand une grande révolution sociale aura maîtrisé ces
réalisations de l’époque bourgeoise, le marché mondial et les forces modernes de
production, et les aura soumis au contrôle commun des peuples les plus avancés, alors
seulement le progrès humain cessera de ressembler à cette hideuse idole païenne qui ne
voulait boire le nectar que dans le crâne des victimes10. »
7
Maîtres à penser, Marx et Engels sont restés toute leur vie des élèves.
En poursuivant l’élaboration de leur conception révolutionnaire de l’avenir de l’humanité,
Marx et Engels se sont intéressés aux domaines les plus divers de la science. Ils se sont
mis à étudier les dernières découvertes en biologie, archéologie, physique, chimie et
mathématiques.
Engels n’a jamais caché son admiration pour les grands de la Renaissance, les Léonard
de Vinci et les Machiavel qui « ont brisé la dictature spirituelle de l’Église » et ouvert la
voie de la révolution démocratique, antiféodale. « Ce fut une époque qui avait besoin de
géants et qui engendra des géants : géants de la pensée, de la passion et du caractère,
géants d’universalité et d’érudition11. »
L’époque moderne qui voit se dérouler la lutte autrement plus grandiose de tous les
exploités et opprimés contre le capitalisme mondial a besoin de géants de ce calibre.
Marx et Engels furent les premiers.
Marx et Engels, mécontents des conditions sociales et politiques de leur époque, se sont
jetés sur les meilleurs ouvrages philosophiques et historiques. Avec une fureur sacrée, ils
en ont critiqué toutes les conceptions qui défendent et justifient l’ordre bourgeois. Pour
dénoncer l’hypocrisie des phrases pompeuses sur la fraternité, l’égalité, la justice,
l’humanisme et les droits de l’homme, ils ont analysé les intérêts économiques de ceux
qui proféraient ces belles paroles. Ils ont découvert que les intérêts économiques, la
propriété des moyens de production, la place occupée dans le système social
déterminent pour l’essentiel les idées des hommes. En découvrant les lois du
matérialisme historique, Marx et Engels ont jeté les bases de la science de l’histoire et de
la science politique au service de la libération des classes exploitées. Leurs immenses
connaissances, ils les ont mises au service des travailleurs, non par sentiment
« humaniste », pour consoler les victimes d’un système injuste, mais pour en faire les
artisans de la révolution sociale, les artisans de leur propre libération.
L’économie est le fondement de toute société. Marx a entrepris l’étude des lois
fondamentales de l’économie capitaliste et a montré que ce système doit périr à cause
de ses contradictions internes. En détruisant les rapports de production féodaux, la
bourgeoisie a fait œuvre révolutionnaire. Elle a initié un développement sans précédent
des forces productives et de la science. Mais ce développement reste enfermé dans le
carcan des intérêts égoïstes de la bourgeoisie. La propriété privée des grands moyens
de production entraîne cette loi inévitable : le capital ne fonctionne et n’engage des
prolétaires qu’à condition de rapporter des bénéfices conséquents. Les forces
productives sont enfermées dans ce carcan. Pour cette raison, le capitalisme
« progresse » nécessairement au travers de crises économiques destructrices et de
guerres d’extermination. Les crises et les guerres sont les signes extérieurs qui montrent
que le système social bourgeois a fait son temps, que le développement des forces
productives et de la science ne peut pas se faire de manière « humaine » dans le cadre
capitaliste. Sa nature fondamentale fait du capitalisme monopoliste un système barbare,
criminel et inhumain. L’humanité ne peut échapper aux affres d’une existence inhumaine,
à ce cycle de guerres et d’exterminations de masse, à cette agonie qui se prolonge à
l’infini, sans détruire en même temps le carcan qui enferme les forces productives. Ce
carcan fait des instruments de production des monstres dévorant ceux qui les mettent en
8
œuvre. La révolution socialiste n’est pas une alternative pour les travailleurs, elle est la
condition de la survie de la toute grande majorité de l’humanité.
Cette idée a été élaborée dans Le Capital, l’œuvre la plus importante de Marx, qui a
bouleversé la science économique. Marx l’a écrite pour que les travailleurs se battent
avec une plus grande conscience contre le dernier système d’exploitation et pour qu’ils
acquièrent une confiance inébranlable en leur inévitable victoire. Le Capital est la plus
importante œuvre scientifique jamais écrite pour contribuer à la libération de l’humanité
tout entière.
De 1862 à 1867, date de la parution du premier livre, Marx, vivant dans la pauvreté et
souvent frappé de maladie, consacra le meilleur de ses forces à la rédaction du Capital.
À un ami, il s’excuse de ne pas avoir répondu à ses lettres : « J’avais déjà un pied dans
la tombe. Il me fallait mettre à profit chaque instant où je pouvais travailler pour terminer
mon œuvre, à laquelle j’ai sacrifié santé, bonheur et famille. Si l’on voulait se comporter
comme une bête, on pourrait évidemment tourner le dos aux tourments de l’humanité et
ne s’occuper que de sa propre peau12. »
Les idées de Marx et d’Engels sont jeunes de cent cinquante ans dans une histoire qui
compte en siècles.
Marx et Engels ont élaboré une théorie de l’histoire qui n’avait pas pour objet la réalité
immédiate, mais toute l’époque du capitalisme.
Depuis la contre-révolution en Union soviétique, il est à nouveau de bon ton d’affirmer
que le marxisme est dépassé. Mais aussi longtemps que la propriété privée des moyens
de production et le marché libre subsisteront, les théories de Marx garderont toute leur
actualité.
Marx a dit que les hommes de son temps vivaient toujours dans la préhistoire de
l’humanité.
Tant que la grande majorité de l’humanité sera soumise à une minorité d’exploiteurs, elle
subira l’histoire au lieu de la construire consciemment. Le triomphe définitif du socialisme
sera le début de la véritable histoire humaine.
De quels matériaux disposaient Marx et Engels quand ils ont formulé leur analyse du
système capitaliste et de sa chute inévitable ?
Ils avaient d’abord le riche matériel de la Révolution française, la plus grande révolution
que l’histoire avait connue. Elle avait été une tentative unique de détruire de fond en
comble les rapports de propriété et les relations sociales propres à la féodalité. Cette
révolution avait secoué l’Europe entière. Elle avait tiré sa grandeur de la force
révolutionnaire des classes les plus méprisées de la société : ouvriers, artisans, petits
commerçants, petits paysans, sans-travail. C’est en 1793-94, lorsque s’établit la dictature
populaire, que la France révolutionnaire a pu vaincre ses ennemis extérieurs.
La Révolution française permit à Marx et Engels d’étudier en profondeur la lutte des
classes, la nature des différentes classes sociales, les lois de la révolution, la politique
9
révolutionnaire des classes opprimées et la politique opportuniste de la bourgeoisie, la
dictature populaire et la dictature contre-révolutionnaire.
Marx et Engels ont grandi au moment où la production capitaliste dominait déjà
l’Angleterre et s’implantait rapidement en France, puis en Allemagne. Ils ont compris que
la science, la technologie, le machinisme sont des forces révolutionnaires qui
bouleversent sans cesse la société. Ils ont pu analyser la première crise générale en
1825 et ont été témoins de celle qui frappait tous les pays capitalistes en 1847.
Marx et Engels seront les témoins des premiers affrontements de classes entre patrons
et ouvriers à partir des grèves de Lyon en 1830. Pour la première fois dans l’histoire, les
ouvriers commencent à formuler les intérêts fondamentaux de leur classe, opposés aux
intérêts de toutes les classes exploiteuses. Au cours de la Révolution française, les
ouvriers en étaient encore réduits à se battre pour des revendications qui profitaient
essentiellement à la bourgeoisie.
À partir de ce matériel encore rudimentaire, Marx et Engels ont été capables de découvrir
toutes les lois et toutes les contradictions de la société capitaliste qui déterminent son
existence jusqu’à sa destruction. C’est une œuvre de génie.
Le mode de production capitaliste, limité à un petit coin du globe en 1847, a pénétré dans
les endroits les plus reculés de la planète. La concentration des capitaux a pris des
proportions gigantesques. Pratiquement tous les traits du capitalisme que Marx et Engels
ont esquissés, se dessinent aujourd’hui avec une force incommensurable à l’échelle
mondiale.
Engels avait déjà souligné la possibilité pour le capitalisme occidental de prolonger sa vie
en soumettant le monde entier à sa tyrannie. Cela a été réalisé à travers des guerres
coloniales, une guerre mondiale et d’innombrables guerres d’agression et interventions
militaires.
Mais la Première Guerre mondiale entre les puissances impérialistes s’est terminée par
la révolution socialiste en Russie. La Seconde Guerre mondiale déclenchée par les
impérialistes a conduit à la victoire du socialisme dans des pays de l’Europe de l’Est et en
Chine.
Récemment, la contre-révolution en Union soviétique a rejeté en arrière les forces du
socialisme, mais elle a en même temps aiguisé toutes les contradictions du capitalisme
mondial. À part la Chine, la Corée, le Viêt-nam et Cuba qui essaient avec grandes
difficultés de maintenir leur base socialiste, il n’y plus aucun coin du monde qui
n’échappe aux griffes du capitalisme et presque cinq milliards d’hommes subissent
maintenant dans toute leur rigueur les infernales lois capitalistes de l’accumulation que
Marx a si bien décrites.
Ainsi, en cent cinquante années, nous avons vu se dérouler plusieurs épisodes de la lutte
entre la révolution et la contre-révolution. Dans la lutte contre le capitalisme, le socialisme
a connu et connaîtra des victoires et des défaites. Et cette lutte caractérisera toute
l’époque historique qui nous sépare de la victoire définitive du socialisme dans le monde.
La contre-révolution de 1794 et de 1871
10
Depuis les contre-révolutions de 1989, le monde a été submergé par un déluge d’écrits
anticommunistes, tous plus virulents et grossiers les uns que les autres.
Le Manifeste du Parti communiste affirme que toute l’histoire de l’humanité est celle de la
lutte des classes et que celle-ci trouve son reflet dans la lutte des idées et des idéaux.
À travers les siècles, l’arsenal des armes idéologiques avec lequel les classes
réactionnaires ont attaqué les masses travailleuses est resté en grande partie le même.
Les féodaux et les bourgeois ont toujours considéré leur règne comme la seule société
humaine possible, la seule fondée sur la loi divine ou autre justice éternelle. Tous ceux
qui contestaient leur dictature de classe ont toujours été traités comme hors-la-loi,
diaboliques, criminels ou terroristes. L’anticommunisme virulent, que la bourgeoisie
brandit aujourd’hui contre toute idée révolutionnaire et socialiste, a ses racines dans la
féodalité. La haine que les nazis vouaient au marxisme allait de pair avec leur aversion
pour la Révolution française. Le Livre noir du communisme prend la défense de
l’impérialisme en attaquant non seulement Lénine, mais aussi Robespierre :
« Robespierre a incontestablement posé une première pierre sur le chemin qui mena
Lénine vers la terreur. »13
De la même façon, il existe une continuité dans les idées et les idéaux des classes
exploitées en lutte pour leur affranchissement. Depuis des siècles, les opprimés ont
pensé un monde utopique basé sur l’égalité et le partage des richesses. Depuis la
Révolution française et surtout depuis la Commune de Paris, les idéaux de justice et
d’égalité ont une base matérielle : le développement des forces productives et
l’organisation de la lutte des classes exploitées. Depuis Robespierre et Marat, depuis
Marx et Engels, les opprimés ont, pour la première fois dans l’histoire, nourri un espoir
fondé de façon matérialiste. La violence du propos anticommuniste actuel ne doit
intimider aucun progressiste : ces propos circulent depuis le jour où les bourgeois ont
craché leur haine à la figure de Marat et de Marx.
Marat
Marx et Engels ont toujours manifesté une admiration pour les grands dirigeants de la
Révolution française. Engels s’inspirait de Marat, dont il disait qu’il « a arraché le voile » à
tous les opportunistes de la bourgeoisie « et les a démasqués comme des traîtres
achevés à la révolution ». Plein d’admiration, Engels continue : « Marat, comme nous, ne
tenait pas la révolution pour achevée, mais l’avait proclamée en permanence14. » Et
Engels de dénoncer « toute la rage hystérique et toutes les falsifications historiques qui
ont fait qu’on n’avait connu qu’un Marat tout à fait déformé ». Nous pouvons dire à peu
près la même chose aujourd’hui : « Oui, la rage hystérique et les falsifications historiques
ont fait que nous n’avons connu qu’un Staline tout à fait déformé… »
Dans beaucoup de ses idées révolutionnaires, Marat réussit à dépasser instinctivement
le cadre bourgeois que les conditions historiques lui ont imposées. Ses idées sont encore
un appel pour les communistes d’aujourd’hui qui affrontent un capitalisme hautement
développé.
Marat comprend que seuls les masses travailleuses et principalement les ouvriers
peuvent être révolutionnaires jusqu’au bout. « La Révolution n’a été faite et soutenue que
par les dernières classes de la société, par les ouvriers, les artisans, les petits
11
commerçants, les agriculteurs, par la plèbe, par ces infortunés que la richesse impudente
appelle la canaille15. »
Marat comprend la nécessité de la dictature révolutionnaire pour vaincre les classes
exploiteuses. Il explique qu’après une première défaite, les classes qui dominent depuis
dix siècles chercheront la vengeance à tout prix : « Nous sommes dans un état de
guerre. Le salut du peuple est la loi suprême, et tout moyen est bon, lorsqu’il est efficace,
pour se défaire des perfides ennemis qui ne cessent de conspirer contre le bonheur
public. (…) Nos tyrans, revenus de leur première terreur, ne cesseront de conspirer
contre la liberté naissante. C’est le comble de la folie de prétendre que des hommes, en
position depuis dix siècles de nous gourmander, de nous piller, et de nous opprimer
impunément, se résoudront de bonne grâce à n’être que nos égaux : Ils machineront
éternellement contre nous, jusqu’à ce qu’ils soient exterminés; et si nous ne prenons ce
parti (…) il nous est impossible d’échapper à la guerre civile, et de ne pas finir par être
nous-mêmes massacrés16. » Marat anticipe ainsi l’âpreté du combat que Lénine devra
livrer entre 1918 et 1921 contre les tsaristes, contre les bourgeois et contre les armées
étrangères et que Staline continuera contre les koulaks et autres contre-révolutionnaires.
Marat a en horreur les historiens au service des oppresseurs dont ils embellissent les
entreprises les plus barbares et qui dénigrent et calomnient ceux qui se battent pour la
libération des classes opprimées : « Ceux qui écrivent l’histoire sont intimidés par la
crainte ou corrompus par l’avarice. Ils ne nous font point horreur de la tyrannie. Toujours
ils exaltent les entreprises des princes, quelque funestes, d’ailleurs, qu’elles soient à la
liberté. Toujours ils élèvent aux nues des actions criminelles dignes du dernier supplice.
Ils traitent toujours les peuples d’esclaves révoltés, qu’il faut remettre à la chaîne. Ils
représentent les généreux efforts contre la tyrannie comme des rébellions criminelles. Ils
tordent les intentions des meilleurs patriotes, ternissent leur réputation, dénigrent leur vie
et flétrissent leur mémoire, au lieu de rendre hommage à leur vertu17. » Aujourd’hui, les
idéologues de l’ordre établi exaltent toujours « les entreprises funestes et les actions
criminelles des princes » : de la contre-révolution en Union soviétique à la guerre et au
blocus contre l’Irak, de l’occupation militaire des Balkans au génocide du Rwanda. Et
pour ce qui concerne Lénine, Staline et autres Che Guevara, tous les réactionnaires
continuent à « tordre leurs intentions, ternir leur réputation, dénigrer leur vie et flétrir leur
mémoire… »
Non, la propagande anticommuniste actuelle n’a rien de nouveau, elle a ses racines dans
la propagande antirévolutionnaire de 1793.
Au siècle passé, un abbé français publia un ouvrage de vulgarisation à la gloire des rois
de France. Marat, Robespierre, Saint-Just et tous les Montagnards, il les appelle des
« terroristes ». Lorsque l’abbé Pioget déverse sa haine sur la Révolution française, on
croit entendre notre bourgeoisie parlant de Staline : anarchie, terreur, régime sanglant,
un million de morts, tout y est !
« Les statues de nos Rois sont mises en pièces, et désormais domine dans Paris et dans
toute la France le sanglant régime de l’anarchie justement appelé le règne de la
Terreur. » « L’atroce Marat distribue aux assassins des liqueurs fortes qui allument dans
leurs veines la soif du sang. » « Un député crie à Robespierre : “Malheureux, le sang de
Danton t’étouffe !” Le sang d’un million de victimes, aurait-il pu dire avec plus de
vérité18. »
12
La Commune de Paris
Les mêmes gentillesses ont été adressées à Marx et Engels lorsqu’ils ont inspiré la
première révolution socialiste, la Commune de Paris, en 1871. Celle-ci a été le
prolongement de la Révolution française dans l’époque historique nouvelle.
Toute la bourgeoisie française tremblait d’horreur devant cette révolution dont elle était la
cible. Elle utilisa deux tactiques différentes pour la maudire. Une fraction cracha son
dégoût de la Commune de Paris en la liant aux « horreurs » de la Révolution française.
Une autre fraction fit semblant de soutenir la révolution passée, pour charger avec plus
de violence encore contre la révolution présente.
Écoutons d’abord le comte de Laguéronnière : « La Commune de 1871 (…) faisait
revivre, sous le même nom, la Commune de 1793, de sinistre mémoire. » « Robespierre,
Couthon, Marat, Saint-Just, ces types maudits de la première république, ont été
dépassés par leurs successeurs, qui ont fait ces quelques jours plus féconds pour la
moisson de la mort qu’aucun monstre connu à aucune autre époque de malheurs19. »
Les « monstres maudits » de la Commune de Paris et leur « moisson de la mort » :
apparemment, la France de 1871 avait déjà ses « staliniens »…
Voyons maintenant la seconde tactique. Dans un livre publié en 1871, Georges Morin
s’acharne contre les Communards, mais il prétend, lui, soutenir la Révolution française
de 1793 et « ses mesures nécessaires au salut public ». Puis il se hâte de souligner que
son Robespierre a mené un combat implacable contre les précurseurs de la Commune
de Paris, contre « les partisans du socialisme de Jacques Roux et leurs exagérations
démagogiques violentes20 ».
Cette double tactique est toujours très à la mode. Gorbatchev prétendait défendre la
révolution bolchevique de Lénine, pour mieux attaquer le « régime totalitaire de Staline ».
Puis, après la victoire de la contre-révolution, ses hommes proclameront que « toutes les
tares du stalinisme – le totalitarisme, l’écrasement de la dissidence – remontent à
Lénine21 ».
L’ouvrage de Morin, publié en 1871, nous montre comment Marx fut attaqué par la
bourgeoisie « éclairée » de son temps. Très peu de choses ont changé depuis. La
défense des propriétaires du capital, de l’État, de la démocratie et de l’égalité
bourgeoises sont toujours le point de départ des attaques contre le communisme. Morin
attaque Marx à partir de ces positions : « L’État est le représentant des intérêts de tous, il
ne doit pas sacrifier les uns au profit des autres; nous en avons assez de tous les
despotismes. » « L’Internationale semble avoir juré la destruction du capital et de ceux
qui le possèdent. Il ne s’agit plus d’élever les classes ouvrières au niveau des classes
bourgeoises. L’Internationale veut assurer la suprématie aux ouvriers enrôlés sous ses
drapeaux22. »
Lorsque la lutte des opprimés éclate, Morin y voit le résultat d’un complot « longtemps
préparé », l’œuvre d’une secte qui a « son grand-maître » et qui « inspire aux ouvriers la
haine du capital »; les ouvriers ainsi manipulés sont ensuite « déchaînés contre la
société ». Une entreprise aussi néfaste ne peut que sortir, bien évidemment, d’une tête
« étrangère ». Aujourd’hui, les anticommunistes se servent toujours des mêmes ficelles.
13
Lisons la version de 1871 : « L’insurrection dont Paris a été la victime, avait son origine
dans un plan depuis longtemps préparé; il était l’œuvre de ce Karl Marx, allemand,
fondateur et grand-maître de l’Internationale. Ce plan menaçait tous les États d’Europe. Il
s’agit de gagner les classes ouvrières, de leur inspirer la haine du capital (…) et de les
enrégimenter; puis on doit les déchaîner contre les gouvernements établis (…) pour
détruire la société actuelle. Une idée semblable ne pouvait sortir que d’une cervelle
allemande23. »
Voici maintenant en quels termes Morin déclara en 1871 « une guerre à mort contre
l’Internationale » : « Le gouvernement de la Commune ne fut pas autre chose qu’une
oligarchie dictatoriale. » « Les insurgés ont massacré des citoyens sans armes qui
protestaient contre le crime au nom de la liberté violée. (…) L’Internationale existe plus
menaçante que jamais; c’est à la société entière de lui faire une guerre à mort24. »
Le communisme, c’est « la dictature d’une oligarchie » qui organise des « massacres de
citoyens pacifiques »; contre le communisme, il faut « mener une guerre à mort ».
Aujourd’hui, presque toutes les forces bourgeoises souscrivent à ces idées. Elles datent
de la contre-révolution qui extermina en 1871 les héroïques Communards.
Morin parle ensuite du socialisme proclamé par la Commune : « Les doctrines socialistes
et humanitaires, ce sont des armes de combat, et pas autre chose. Séduisantes en
apparence, elles sont immorales en réalité et absurdes en pratique. » « L’œuvre de la
Commune n’a été que la destruction et le néant (…) ses réformes économiques ont été
absurdes et dérisoires25. »
Le communisme est « séduisant en théorie », mais en pratique c’est « la destruction » :
une utopie « meurtrière et absurde ». C’est ce que nous avons lu dans nos journaux en
1989-1992. Cette « sagesse » date donc du temps où Thiers, le bourreau des
Communards, déclara officiellement : « Nous sommes maîtres de Paris. Le sol est jonché
de leurs cadavres. Ce spectacle affreux servira de leçon, il faut l’espérer, aux insensés
qui osaient se déclarer partisans de la Commune26. »
Et pourtant, malgré l’horreur des massacres de 1871, « spectacle affreux » qui devait
« servir de leçon » aux générations suivantes, Lénine et Staline ont osé relever le
drapeau de la Commune de Paris et vaincre.
Un programme pour la révolution socialiste
En ce cent cinquantième anniversaire du Manifeste, les adversaires de Marx recourront
aux méthodes les plus subtiles pour combattre son message. Pour le défendre, nous
n’en proposons qu’une seule : le lire et l’étudier.
Une de leurs ruses sera de nous présenter un Marx apprivoisé. On dira énormément de
bien de son œuvre, pour mieux en cacher les idées les plus importantes, les plus
révolutionnaires, les plus inacceptables pour la bourgeoisie. On célébrera Marx, mais un
Marx revu et corrigé, un Marx dépouillé de tout ce qu’il a de terrifiant pour les riches.
Dans ce domaine, la bourgeoisie n’aura pas besoin de se fatiguer. Elle pourra
simplement faire appel aux professeurs en marxisme de la social-démocratie.
14
Nous verrons plus loin comment Marx et Engels ont dénoncé dans leurs vieux jours les
réformistes qui tentaient de s’emparer de la direction du mouvement socialiste.
C’est après la mort d’Engels en 1895 que cette lutte entre réformistes et révolutionnaires
a éclaté ouvertement. Elle a conduit à la rupture totale au cours de la Première Guerre
mondiale. Dès la victoire de la révolution bolchevique en Russie, les sociaux-démocrates
européens se sont attaqués avec une virulence particulière aux communistes. Selon les
réformistes, les moyens des bolcheviks, « violents, arbitraires, antidémocratiques et
terroristes », étaient condamnés à l’échec en Russie, pays arriéré qui n’était pas mûr
pour le socialisme. À cette époque, nos sociaux-démocrates affirmaient poursuivre le
même but final que les bolcheviks – le socialisme et la société sans classes – mais ils
différaient sur les moyens. Les méthodes réformatrices, graduelles et « s’appuyant sur la
mobilisation des larges masses », aboutiraient au véritable socialisme démocratique. Par
un programme de réformes de plus en plus profondes, la social-démocratie éliminerait
pas à pas le pouvoir du capital pour passer progressivement au socialisme.
Aujourd’hui, nous savons que cette prétendue « voie démocratique vers le socialisme » a
consisté à entraîner les ouvriers dans la boucherie de la Première Guerre mondiale, à
écraser les insurrections ouvrières qui ont suivi cette guerre, à partir en guerre pour
écraser la jeune Union soviétique et à justifier les guerres coloniales et le colonialisme.
La « voie démocratique vers le socialisme » a conduit le président du Parti Ouvrier Belge
(l’ancêtre du Parti socialiste), Henri De Man, à saluer l’occupation de la Belgique par les
national-socialistes d’Hitler ! La « voie démocratique vers le socialisme » a amené un
Paul-Henri Spaak à s’acoquiner avec la CIA pendant la guerre froide et à soutenir le
pacte agressif de l’OTAN jusqu’à en devenir le secrétaire général. L’autre « socialiste »
Willy Claes fera de même. Et aujourd’hui cette « voie » conduit à privatiser les
entreprises publiques, à démanteler la Sécurité sociale, à comprimer les salaires, à
introduire une flexibilité invivable, à liquider les délégués syndicaux combatifs, à
transformer la gendarmerie en une super-police toute-puissante, à criminaliser le
mouvement syndical et démocratique (article 342)…
Le Marx que la social-démocratie nous offrira en cette année anniversaire sera un lion
sans dents ni griffes. Nous reprendrons simplement quelques textes de Marx où le lion se
présente dans toute sa combativité et avec toute son ardeur.
Une autre ruse de la bourgeoisie sera de nous dire tout le bien qu’elle pense de Marx,
pour mieux attaquer les grands continuateurs de son œuvre, Lénine et Staline.
Par les conditions de leurs temps, Marx et Engels ont été essentiellement des théoriciens
et des organisateurs du mouvement ouvrier. Mais cela leur a déjà valu la haine tenace de
toute la bourgeoisie européenne.
Lénine a réalisé la révolution socialiste dans un immense pays. Son « crime » contre la
propriété capitaliste et le pouvoir établi fut bien sûr beaucoup plus inacceptable et la
haine de la bourgeoisie pour son œuvre devint franchement féroce.
Vint alors Staline. En trente ans, il a fait du marxisme une immense force matérielle à
l’échelle mondiale. Staline a consolidé le pouvoir socialiste en Union soviétique, il a
transformé le pays en une grande puissance industrialisée, il a construit une Armée
rouge capable de vaincre le fascisme allemand, il a apporté son aide au triomphe de la
15
révolution socialiste en Chine et en Europe de l’Est. Chassée d’un tiers de la planète par
le vieux spectre du communisme, la bourgeoisie a conçu une haine démentielle pour
celui qui a été le plus grand bâtisseur du communisme.
Dans l’histoire de la révolution socialiste, une chaîne indestructible lie Marx et Engels à
Lénine et à Staline. Les réalisations pratiques de Lénine et de Staline ont dépassé les
réalisations que l’histoire a permises aux temps des pionniers. Mais leur base théorique
et politique était l’œuvre de Marx et Engels, l’œuvre intégrale, sans les révisions ni les
falsifications des Kautsky, Vandervelde et autres socialistes bourgeois.
Une même chaîne indestructible lie en effet, dans l’histoire de la contre-révolution, les
idéologues de la social-démocratie à la bourgeoisie. Dans toutes les périodes où la lutte
de la classe ouvrière a connu un essor, la bourgeoisie a eu besoin d’un personnel
« spécialisé » pour combattre de l’intérieur le mouvement révolutionnaire au nom du
« socialisme véritable ». Scheidemann et Kautsky en Allemagne, Vandervelde en
Belgique, Kerenski et Martov en Russie, tous se sont épuisés en citations de Marx pour
défendre le régime bourgeois et combattre le socialisme de Lénine et Staline. Les
anticommunistes les plus habiles, ce sont eux ! Il est assez significatif que, dans le Livre
noir du communisme, Courtois, le plus haineux des antimarxistes de service, cite
abondamment Kautsky pour conclure : « (Voilà) l’enjeu de la querelle entre Kautsky et
Lénine : démocratie ou dictature, humanité ou terreur27. »
Nous nous attarderons donc un moment auprès du plus sophistiqué parmi les
réformistes, Karl Kautsky, qui, dès 1895, date de la mort d’Engels, se considérait comme
l’homme « le plus fort en théorie marxiste ».
En 1930, il publie un ouvrage classique contre le communisme, Le bolchevisme dans
l’impasse. Dans ce livre, il élabore en détail, dans un verbiage « marxiste », une stratégie
qui doit conduire au renversement du pouvoir bolchevique. Selon Kautsky, la Russie
connaissait « un nouveau servage communiste où le paysan devient un esclave dans les
exploitations soviétiques. » « Depuis le coup d’État de 1917, (…) le bolchevisme est
devenu un bonapartisme », c’est-à-dire une dictature de type fasciste : « Le fascisme
n’est que le pendant du bolchevisme, Mussolini n’est que le singe de Lénine. » « Le
bonapartisme de Staline est la pire, la plus forte des formes que puisse prendre la contre-
révolution28. » Kautsky veut « une révolution démocratique » en Union soviétique dont
« l’insurrection paysanne » sera le moteur. Cette « révolution » aura le soutien des
ouvriers et intellectuels puisque « paysans, ouvriers et intellectuels (…) se placent sur le
terrain de la démocratie ». « Si les prolétaires s’unissent aux paysans en vue de la lutte
pour la démocratie, pour le suffrage universel égal et pour la République parlementaire,
nous pouvons espérer voir la Russie rejeter le poids du cauchemar qui l’oppresse29. »
Il est évident qu’en Union soviétique, en cette année 1930, les paysans riches, imbus des
conceptions féodales les plus barbares, les anciens fonctionnaires, gendarmes et
militaires tsaristes, les patrons expropriés ne pouvaient pas hésiter une seconde à se
ranger derrière ce drapeau « marxiste » qui leur offrait l’espoir de la destruction du
socialisme soviétique. Cette « révolution démocratique », préparée avec obstination tant
par les hitlériens que, ensuite, par Reagan et Mitterrand, l’élève de Kautsky, a finalement
eu lieu en 1990 avec les conséquences que l’on sait.
16
Ces positions de Kautsky nous aident à mieux comprendre comment des bourgeois
peuvent invoquer le nom de Marx pour mieux combattre toutes ses idées essentielles et
pour défendre « la démocratie » et la « république parlementaire » que Marx et Engels
ont ridiculisées avec tant d’esprit.
C’est ici le moment d’exposer brièvement les conceptions politiques fondamentales de
Marx et Engels.
Dans la théorie de la lutte de classes de Marx et Engels, nous voulons souligner trois
points essentiels : 1. leur compréhension de la « démocratie » et de l’État bourgeois; 2. le
rôle de la violence dans le passage au socialisme; 3. la définition du socialisme comme
régime de la dictature du prolétariat. Dans un quatrième point, nous parlons de
l’instrument que Marx et Engels ont créé pour réaliser leur programme : le parti
révolutionnaire de la classe ouvrière.
Sur ces quatre points, le Manifeste du Parti communiste contient déjà les idées
fondamentales que ses auteurs développeront en profondeur tout au long de leur vie
militante.
Ce sont ces idées qui ont été mises en pratique par la révolution bolchevique, le plus
grand affrontement entre la révolution et la contre-révolution que le monde ait connu
jusqu’à présent.
Et on peut dire que les thèses de Marx et Engels sont aujourd’hui plus pertinentes encore
qu’elles ne l’étaient au siècle passé, maintenant que le capitalisme s’est étendu au
monde entier, qu’il a obtenu une victoire dans sa lutte séculaire contre le socialisme et
que toutes les contradictions économiques et sociales de notre monde s’aiguisent de
façon dramatique.
Démocratie, élections et pouvoir d’État
Parlons d’abord de la démocratie et de l’État.
La bourgeoisie définit la société dans laquelle elle règne comme étant « la démocratie ».
Un Parti communiste qui s’oppose aux fondements du régime capitaliste devient pour elle
« un ennemi de la démocratie ». Kautsky a combattu la révolution socialiste au nom de
« la démocratie ». Et lorsque la bourgeoisie internationale a réussi à renverser le
socialisme en Union soviétique et à y introduire le marché libre, elle l’a fait aussi au nom
de cette même « démocratie ».
Ce que nos riches appellent « la démocratie », Marx l’appelle « la dictature de la
bourgeoisie ».
Les moyens de production sont la source de toute la vie de la société. En « démocratie »,
les moyens de production sont la propriété privée des capitalistes qui décident
arbitrairement de la vie des ouvriers, des travailleurs, des allocataires sociaux, des
jeunes : ils ferment des usines, augmentent l’exploitation, diminuent les allocations de
chômage, organisent l’enseignement en fonction des besoins du patronat. Ainsi, la
possession des moyens de production permet aux capitalistes d’imposer, dans la vie
quotidienne, leur dictature sur les travailleurs.
17
La fonction de l’État bourgeois, de ses lois, de ses institutions et de ses forces de
répression, est essentiellement de protéger la libre mainmise des capitalistes sur
« leurs » moyens de production. L’État est un organe de violence destiné à réprimer toute
tentative de mettre en cause la base de toutes les injustices et inégalités : la propriété
privée des moyens de production. L’État, l’instrument de la dictature de la bourgeoisie,
peut par ailleurs réprimer par la violence « légale » toute lutte pour l’amélioration du sort
des exploités, même si celle-ci ne met pas directement en cause la base de ce système.
Voyons ce qu’il en est dans les œuvres de Marx et d’Engels.
« L’État est l’État de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue
économique et qui, grâce à lui, devient aussi la classe politiquement dominante et
acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée30. » « Les
classes possédantes tiennent en servitude le peuple travailleur non seulement par la
puissance de leurs richesses, par la simple exploitation du travail par le capital, mais
aussi par la force de l’État, par l’armée, la bureaucratie, les tribunaux31. » « Le pouvoir
d’État n’est rien d’autre que l’organisation que les classes dominantes, propriétaires
fonciers et capitalistes, se sont donnée pour préserver leurs privilèges32. »
L’État bourgeois peut prendre différentes formes politiques, de la monarchie
constitutionnelle au régime militaire, du fascisme à la république démocratique, mais ces
formes diverses expriment toutes un même fond de classe : la dictature du capital sur le
travail. Engels a écrit : « Dans la république démocratique, la richesse exerce son pouvoir
d’une façon indirecte, mais d’autant plus sûre. D’une part, sous forme de corruption
directe des fonctionnaires. D’autre part, sous forme d’alliance entre le gouvernement et la
Bourse33. » « La République bourgeoise est la République des hommes d’affaires, où la
politique est une affaire commerciale comme une autre34. »
Ce que la bourgeoisie appelle « la démocratie », la seule, l’unique, la vraie
« démocratie », est en réalité « sa » démocratie à elle, la démocratie bourgeoise.
Démocratie pour la classe qui possède les moyens de production, elle devient, pour tout
ce qui est essentiel et lorsque les choses deviennent sérieuses, dictature pour les
travailleurs. C’est le caractère de classe de la société, qui rend hypocrites tous les grands
mots tels que « la démocratie », « la justice », « les droits de l’homme ». Dans la société
dominée par le capital, le sens pratique de ces mots est : démocratie pour les riches,
justice contournable et bienveillante pour les bourgeois, droits de l’homme pour tous ceux
qui défendent l’ordre établi. Mais de quelle « démocratie » ont joui les ouvriers de
Renault-Vilvorde lorsqu’ils ont été jetés à la rue comme de vieux pneus ? De quelle
« justice » ont bénéficié les sept jeunes immigrés abattus ces dernières années par les
forces de répression et les soixante-treize enfants disparus cette dernière décennie en
Belgique ? Quels « droits de l’homme » ont accordés nos Tobback et autres Vande
Lanotte aux milliers de travailleurs « illégaux » expulsés et aux milliers de réfugiés
politiques refoulés ?
Dans la société bourgeoisie, la démocratie, la liberté et la justice sont accordées en
général, mais niées, bafouées ou détruites dans la pratique pour les opprimés. Le peuple
abstrait dispose de toutes les libertés mais une légion de dispositions légales permettent,
en cas de « troubles sérieux » d’arrêter les dirigeants ouvriers, d’interdire les journaux,
les tracts, les manifestations, les réunions et les « attroupements » de plus de cinq
personnes… Marx : « Chaque paragraphe de la Constitution contient sa propre antithèse.
18
Dans le texte, la liberté; dans la marge, la suppression de cette liberté. L’existence
constitutionnelle de la liberté reste entière, intacte, bien que son existence réelle soit
totalement anéantie35. »
Et les élections libres qui permettent d’élire démocratiquement le parlement censé faire
les lois au nom du peuple ?
Voici ce que Marx en disait en 1871 : « Elles consistent à décider une fois tous les trois
ou six ans quel membre de la classe dirigeante doit représenter et aider à réprimer le
peuple au parlement36. » En 1884, Engels déclarait à ce propos : « La classe
possédante règne directement au moyen du suffrage universel. Tant que la classe
opprimée, le prolétariat ne sera pas encore assez mûr pour se libérer lui-même, il
considérera dans sa majorité le régime social existant comme le seul possible et formera,
politiquement parlant, la queue de la classe capitaliste37. » Dans les régimes bourgeois
bien établis, les élections ne sont source d’aucun pouvoir, elles sont une vaste opération
psychologique consistant à faire croire aux électeurs que leur voix peut déterminer la
politique suivie par ceux qui gouvernent. Or, il n’en est rien. Les parlementaires sont élus
par le peuple, mais légifèrent par la grâce du capital.
L’issue des élections est déterminée surtout par les facteurs suivants : l’activité politique
et sociale permanente des partis bourgeois financés par le capital; la mainmise de ces
partis sur tout l’appareil d’État, leurs liens avec les Églises et avec l’enseignement; la
domination des médias – télé, radio, presse – par les grands groupes financiers; le
financement des campagnes électorales par la bourgeoisie; l’intoxication permanente
contre les partis révolutionnaires qui représentent les intérêts des masses.
Dans les conditions de la dictature de la bourgeoisie, le suffrage universel est un moyen
pour légitimer cette dictature.
L’élection par le peuple français de Louis-Bonaparte à la présidence de la République, en
décembre 1848, a permis à celui-ci d’établir ensuite sa dictature personnelle. Engels :
« Louis-Napoléon a montré comment, dans des conditions favorables, le suffrage
universel peut être transformé en un instrument d’oppression des masses38. » Hitler, lui
aussi, a plusieurs fois été plébiscité par le suffrage universel…
Les questions décisives dans l’histoire ne sont jamais décidées par des élections, mais
par la lutte des classes, par la révolution. Engels : « Le suffrage universel est l’index qui
permet de mesurer la maturité de la classe ouvrière. Il ne peut être rien de plus, il ne sera
jamais rien de plus dans l’État actuel. Le jour où le thermomètre du suffrage universel
indiquera pour les travailleurs le point d’ébullition, ils sauront ce qu’il leur reste à
faire39. » « Le suffrage universel (…) vous indique avec l’exactitude la plus irréprochable
le jour où il faut en appeler à la révolution par les armes40. » C’est ce qu’au Chili, un
certain Allende a oublié il y a vingt-cinq ans. Comme cet honnête homme ne voulait pas
d’une révolution par les armes, c’est la contre-révolution qui l’a passé par les armes…
L’État n’est pas du tout un appareil « démocratique » qui renaît des élections tous les
quatre ou cinq ans.
19
C’est une machine d’oppression des classes laborieuses, machine construite au cours de
plusieurs siècles par la bourgeoisie. Cette machine conditionne les élections, plutôt
qu’elle n’en dépend.
Après la première révolution socialiste, la Commune de Paris, Marx définit en 1871 l’État
bourgeois comme « l’engin de guerre du Capital contre le Travail ». Tout au long du
siècle qui a suivi, ce caractère de l’État a été renforcé. Marx a souligné deux autres
caractéristiques de l’État bourgeois qui se sont affirmées depuis : le parlement perd de
plus en plus son influence sur la gestion du pays et l’exécutif, le gouvernement,
concentre de plus en plus tous les pouvoirs. Marx a anticipé la tendance générale à la
fascisation de tous les États bourgeois au cours des années trente, tendance qui s’est
approfondie depuis les années quatre-vingts et qui s’exprime notamment dans le
gonflement affolant des effectifs et des pouvoirs de la gendarmerie.
Face à toutes les théories mystificatrices sur l’État bourgeois, qui pourrait nier l’actualité
et la pertinence des propos suivants de Marx ? « Le pouvoir centralisé de l’État, avec ses
organes, partout présents : armée permanente, police, bureaucratie, clergé et
magistrature, date de l’époque de la monarchie absolue. Au fur et à mesure que le
progrès de l’industrie moderne développait, élargissait, intensifiait l’antagonisme de
classe entre le Capital et le Travail, le pouvoir d’État prenait de plus en plus le caractère
d’un pouvoir national du Capital sur le Travail, d’un appareil de domination de classe.
Après chaque révolution qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère
purement répressif du pouvoir d’État apparaît de façon de plus en plus ouverte. En
présence de la menace de soulèvement du prolétariat, la classe possédante unie utilisa
alors le pouvoir de l’État, sans ménagement et avec ostentation, comme l’engin de
guerre national du Capital contre le Travail. Dans sa croisade permanente contre la
masse des producteurs, elle fut forcée non seulement d’investir l’exécutif de pouvoirs
sans cesse accrus de répression, mais aussi de dépouiller peu à peu sa propre
forteresse parlementaire, l’Assemblée nationale, de tous ses moyens de défense contre
l’exécutif41. »
La violence révolutionnaire
De l’analyse que Marx a faite de la dictature de la bourgeoisie, de la nature de son État et
de sa « démocratie », découle sa théorie sur la violence révolutionnaire comme unique
voie de la libération des masses travailleuses.
« Nous ne l’avons jamais dissimulé : le terrain sur lequel nous agissons, ce n’est pas le
terrain légal, c’est le terrain révolutionnaire42. » « Nous devons déclarer aux
gouvernements : nous savons que vous êtes la force armée contre les prolétaires. Nous
agirons pacifiquement contre vous là où cela nous sera possible, et par les armes quand
cela sera nécessaire43. »
Tout au long de leur vie, Marx et Engels ont été catégoriques sur ce point et seuls des
personnages malhonnêtes peuvent vendre frauduleusement la « voie pacifique » sous
l’étiquette de « marxisme ». Déjà en 1848, dans le Manifeste, ils écrivaient : « Le
prolétariat fonde sa domination par le renversement violent de la bourgeoisie. » Quarante
et un ans plus tard, le vieil Engels répète avec la même énergie : « Le prolétariat ne peut
s’assurer la prédominance politique – l’unique porte ouvrant sur la société nouvelle –
sans une révolution violente44. »
20
Au moment où l’Angleterre ne disposait pas d’importantes forces de répression dressées
contre le prolétariat, Marx a affirmé que « les travailleurs anglais peuvent espérer
atteindre leurs buts par des moyens pacifiques ». Depuis, tous les opportunistes que le
mouvement marxiste a connus, se sont hardiment armés de cette demi-phrase. Mais
même cette paille ne peut pas sauver ces naufragés. À la question précise d’un
journaliste : « Il semble qu’en Angleterre, la solution puisse être obtenue sans révolution
violente ? », Marx répondait : « Aussitôt que la bourgeoisie anglaise se verra mise en
minorité sur des questions qu’elle considère comme vitales, nous verrons ici une nouvelle
guerre esclavagiste45. »
Marx n’est pas du tout un « fanatique » de la violence. Elle n’est pas son premier
principe. Son point de départ est le constat des innombrables « orgies de sang » dans
lesquelles la bourgeoisie noie les mouvements pour l’émancipation nationale et sociale.
Après la terreur qui a liquidé par dizaines de milliers les Communards, Marx écrit : « La
civilisation et la justice de l’ordre bourgeois se montrent sous leur jour sinistre chaque fois
que les esclaves de cet ordre se lèvent contre leurs maîtres. Alors, cette civilisation et
cette justice se démasquent comme la sauvagerie sans masque et la vengeance sans
loi. » « Tout ce concert de calomnies que le parti de l’ordre ne manque jamais, dans ses
orgies de sang, d’élever contre ses victimes, prouve seulement que le bourgeois de nos
jours se considère comme le successeur légitime du baron de jadis, pour lequel toute
arme dans sa propre main était juste contre le plébéien, alors qu’aux mains du plébéien,
la moindre arme constituait par elle-même un crime46. »
Au moment où la police de tous les pays européens possède un arsenal d’armes de
guerre des plus sophistiquées, un bâton, une pierre ou un cocktail Molotov aux mains
d’un jeune immigré des banlieues de Paris, Lyon ou Bruxelles devient un crime
punissable d’un an à trois ans de prison ! Au moment où l’impérialisme américain
concentre toute sa panoplie d’armes les plus barbares contre l’Irak, un pays qui a vu
700 000 de ses hommes, femmes et enfants massacrés par la guerre et le blocus,
quelques vieilles armes hypothétiques aux mains des Irakiens constituent « une menace
pour l’humanité ». Par rapport au temps de Marx, la bourgeoisie multiplie aujourd’hui par
mille l’ampleur de ses orgies sanglantes et la férocité de ses mensonges et calomnies.
La question de la violence comme « accoucheuse de la nouvelle société » est vraiment
au centre de la pensée de Marx et Engels. À tel point qu’en 1879 ils déclarent une guerre
ouverte aux dirigeants du Parti social-démocrate allemand qui prônent la « voie
pacifique ». Marx les appelle carrément « de pauvres contre-révolutionnaires ». Voici en
quels termes Marx et Engels, dans une « lettre circulaire » à tous les dirigeants,
s’expriment : « (Les opportunistes affirment) : “Le parti montre qu’il n’est pas disposé à
entrer dans la voie de la révolution sanglante et violente, mais qu’il est décidé à prendre
la voie de la légalité, c’est-à-dire des réformes.” Aujourd’hui, les électeurs sociaux-
démocrates ne veulent pas enfoncer les murs avec leur tête en tentant une “révolution
sanglante” se trouvant à un contre dix. Cela prouverait donc qu’ils font vœu de ne jamais
profiter d’un événement violent de politique extérieure, d’une subite poussée
révolutionnaire consécutive et même de la victoire du peuple gagnée dans la collision
ainsi survenue ? Si un jour Berlin se montre de nouveau si mal élevé pour faire un 18
mars (début de la révolution de 1848), les sociaux-démocrates devront alors plutôt
“prendre la voie de la légalité”, enlever les barricades et, si besoin est, marcher au pas
avec les troupes glorieuses contre les masses aveugles, brutales et illettrées47. »
21
On s’étonne de la perspicacité de Marx et Engels, géniale dans ce cas. En effet,
« l’événement violent de politique extérieure » en Allemagne, ce fut le déclenchement de
la Première Guerre mondiale. Après quatre années de massacres sans pareils dans
l’histoire, les ouvriers de Berlin, sous la conduite de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg,
se sont insurgés à Berlin, comme Marx l’avait imaginé. Et Noske, Ebert et Scheidemann,
ces dirigeants réformistes opposés à « la révolution sanglante », ont effectivement
« marché au pas avec les troupes réactionnaires ». Pire, ils les ont dirigées en tant que
ministres de la bourgeoisie ! Ces réformistes se sont retrouvés jusqu’aux genoux dans le
sang de 30 000 ouvriers massacrés sur leurs instructions !
La dictature du prolétariat
Dans son essence, la société capitaliste est caractérisée par la dictature de la
bourgeoisie : dictature économique, politique, idéologique et militaire. Il s’ensuit que le
noyau du marxisme est sa théorie de la dictature du prolétariat.
Quand Marx doit résumer son apport à la science politique, c’est à cette question qu’il
renvoie. « En ce qui me concerne, ce n’est pas à moi que revient le mérite d’avoir
découvert ni l’existence des classes dans la société moderne, ni la lutte entre elles.
Longtemps avant moi, des historiens bourgeois avaient décrit le développement
historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient exprimé
l’anatomie économique. Ce que je fis de nouveau, ce fut : 1. démontrer que l’existence
des classes n’est liée qu’à des phases de développement historique déterminé de la
production; 2. que la lutte des classes conduit nécessairement à la dictature du
prolétariat; 3. que cette dictature elle-même ne constitue que la transition à l’abolition de
toutes les classes et à une société sans classes48. »
Pour Marx, la prise du pouvoir par le prolétariat et les classes travailleuses est le début
d’un très long processus historique au cours duquel l’humanité passera de l’économie
capitaliste à l’économie communiste.
L’économie communiste sera caractérisée par un haut développement intellectuel et
moral de l’homme et par un accroissement phénoménal de sa force productive. Le travail
sera devenu le premier besoin de l’homme, chacun travaillera selon ses capacités et
recevra de la société tout ce dont il aura besoin. La différence entre le travail intellectuel
et manuel aura disparu, ainsi que la différence entre la ville et la campagne.
Pour y arriver, il faudra une longue période de transformations révolutionnaires de la
société et des hommes. Ce processus de transformation ne peut être accompli que par
l’État de la dictature du prolétariat. Quand la société aura atteint le stade du
communisme, l’État proprement dit, c’est-à-dire une machine nécessaire pour opprimer
certaines classes ou résidus de classes, cessera d’exister.
Marx le formule ainsi : « Si les ouvriers substituent leur dictature révolutionnaire à la
dictature de la bourgeoisie, ils donnent à l’État une forme révolutionnaire et
transitoire49. » « Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période
de transformation révolutionnaire de celle-là en celle-ci. À quoi correspond une période
de transition politique où l’État ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire
du prolétariat50. »
22
Sous le socialisme, la lutte des classes et la révolution doivent continuer parce qu’il y a
toujours des forces qui tentent de rétablir l’exploitation de l’homme par l’homme. Aussi
longtemps qu’existent des différences de classes et que circulent des idées
réactionnaires, se trouve une base pour un processus contre-révolutionnaire. Marx le
disait : « Le socialisme est la déclaration permanente de la révolution, la dictature de
classe du prolétariat, comme point de transition nécessaire pour arriver à la suppression
des différences de classes en général, (…) au bouleversement de toutes les idées qui
émanent des relations sociales de la période capitaliste51. »
Inutile de préciser que toutes ces thèses sont depuis longtemps combattues par la social-
démocratie. Mais il est plus intéressant de s’attarder un instant aux positions de
Khrouchtchev. Il attaqua avec une violence extrême la politique de Staline. Il prétendait
qu’en 1936 déjà, le danger d’une restauration avait disparu et que l’épuration organisée
par Staline avait été arbitraire et criminelle. En 1956, Khrouchtchev affirmait qu’il n’y avait
plus le moindre danger de restauration capitaliste et que, par conséquent, la dictature du
prolétariat avait perdu sa raison d’être. Il promettait une progression économique et
intellectuelle si rapide que l’Union soviétique accéderait au stade du communisme en…
1980 ! Toutes ces affirmations antimarxistes ont été ridiculisées par l’évolution réelle de
l’Union soviétique. En 1990, année où elle aurait dû se trouver en plein communisme,
sans différentiation de classes aucune, le capitalisme le plus sauvage a été restauré et
l’Union soviétique s’acheminait vers son éclatement…
Voyons maintenant quelles sont les tâches essentielles qui doivent être accomplies,
selon Marx et Engels, par la dictature du prolétariat.
La première fonction de l’État socialiste est d’organiser les prolétaires et les masses
travailleuses pour dépouiller les capitalistes de leur pouvoir économique et politique et
pour réprimer toutes leurs tentatives de reprendre le pouvoir.
C’est ce que Lénine et Staline ont fait.
Marx : « Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat52. » Engels :
« Une révolution est l’acte par lequel une fraction de la population impose sa volonté à
l’autre au moyen de fusils, de baïonnettes et de canons. Le parti victorieux, s’il ne veut
pas avoir combattu en vain, doit continuer à dominer avec la terreur que ses armes
inspirent aux réactionnaires53. »
Khrouchtchev déclarait en 1956 qu’il n’y avait plus de forces bourgeoises à réprimer. Et
trente ans plus tard, Gorbatchev rétablissait la dictature de la nouvelle bourgeoisie…
Passons à la deuxième fonction de la dictature du prolétariat. Le pouvoir socialiste doit
briser la machine de l’État bourgeois, démanteler les institutions qui servent directement
la bourgeoisie, briser les liens entre l’État et les classes exploiteuses, chasser les
fonctionnaires qui appartiennent aux milieux bourgeois.
Lénine et Staline ont appliqué ces consignes.
Marx : « La Commune de Paris dut reconnaître d’emblée que la classe ouvrière, une fois
au pouvoir, ne pouvait continuer à administrer avec la vieille machine d’État. La classe
ouvrière devait éliminer la vieille machine d’oppression jusqu’alors employée contre elle-
23
même54. » Le vieil appareil d’État est un lieu où les forces et les habitudes de la
bourgeoisie peuvent être maintenues, il peut devenir le point de regroupement de la
bourgeoisie. Si les anciennes institutions ne sont pas détruites et supprimées, dit Marx
sur base de son expérience de la révolution allemande de 1848-1849, « le parti vaincu
renforce ses positions dans l’administration et dans l’armée » et se prépare à la contre-
révolution55.
La troisième fonction de la dictature du prolétariat est de veiller à ce que la bourgeoisie
ne puisse pas renaître au sein des structures socialistes.
Comme le dit Marx, la Commune de Paris a dû « prendre des assurances contre ses
propres mandataires et fonctionnaires en les proclamant, en tout temps et sans
exception, révocables56. » Les élus de la Commune étaient essentiellement des ouvriers
et des travailleurs qui ne devaient pas seulement faire les lois, mais aussi participer à leur
exécution. Ils étaient responsables de leurs actes et révocables par leurs électeurs. Ils
étaient rémunérés à un salaire d’ouvrier. L’armée était remplacée par une garde
nationale constituée en majorité par des ouvriers. La défense était assurée par le peuple
en armes. Les policiers étaient responsables de leurs actes et révocables. Magistrats et
juges étaient élus, responsables de leurs actes et révocables. L’idée directrice était de
constituer un nouvel appareil d’État au service des travailleurs et contrôlé par eux et
d’empêcher que cet appareil ne puisse se détacher des travailleurs pour ensuite les
dominer57.
En Union soviétique, la lutte contre la bureaucratisation de l’appareil du Parti et de l’État
a été un des aspects les plus difficiles de la continuation de la révolution sous le
socialisme. En 1937, Staline a organisé des élections pour les organisations de base du
Parti qui ont conduit à un changement de 55% des cadres inférieurs. L’épuration de la
même année a frappé un grand nombre de bureaucrates des échelons supérieurs.
Khrouchtchev et surtout Brejnev ont critiqué violemment la politique de Staline en cette
matière et ils ont garanti la « tranquillité » à la bureaucratie du Parti et de l’État qui
deviendra la force sociale principale œuvrant pour la restauration capitaliste.
La quatrième fonction de la dictature du prolétariat est la réorganisation de l’économie
sur une base socialiste. Marx : « Après la victoire du prolétariat, c’est justement l’État qui
représente l’unique organisation que la classe ouvrière triomphante trouve en place pour
son usage. Certes, cet État demande d’importantes modifications avant de pouvoir
assumer ses nouvelles fonctions. Mais c’est le seul appareil à l’aide duquel le prolétariat
triomphant peut (…) réaliser la révolution économique de la société sans laquelle toute
sa victoire se terminerait inexorablement par une défaite et l’extermination massive des
ouvriers, comme ce fut le cas après la Commune de Paris58. »
Staline a pris à cœur l’application de cette directive. L’industrialisation socialiste et la
collectivisation de l’agriculture ont été justement cette « révolution économique » qui a
permis d’éviter « la défaite et l’extermination massive des ouvriers » lorsque les nazis se
sont rués sur l’Union soviétique. L’industrialisation et la collectivisation n’ont pu être
réalisées qu’à travers des batailles acharnées contre les anciennes classes exploiteuses.
Il n’y a pas le moindre doute que, sans la victoire de l’industrialisation et de la
collectivisation, Hitler aurait triomphé. Les sociaux-démocrates qui ont fulminé contre le
« caractère forcé » de l’industrialisation et de la collectivisation, ont démontré ainsi dans
quel camp ils se trouvaient.
24
Un parti de classe et conscient de l’être
Marx et d’Engels ont toujours eu comme préoccupation principale dans leurs activités
politiques la formation d’un parti de classe, d’un parti prolétarien constitué de tous les
travailleurs qui acceptent le programme communiste.
Engels affirme sans ambages : « Une chose dans notre tactique demeure invariable pour
tous les pays et tous les temps : amener les ouvriers à créer leur propre parti autonome,
opposé à tous les partis bourgeois59. »
Opposé à tous les partis bourgeois
Le parti joue le rôle déterminant, irremplaçable, dans l’accomplissement des deux tâches
fondamentales du programme communiste : la réalisation de la révolution violente et
l’instauration de la dictature du prolétariat. Engels exprime cette vérité dans les termes
suivants : « Le prolétariat ne peut conquérir le pouvoir politique – seule porte donnant sur
la société nouvelle – sans révolution violente. Pour qu’au jour de la décision, le prolétariat
soit assez fort pour vaincre – et cela, Marx et moi nous l’avons défendu depuis 1847 – il
est nécessaire qu’il forme un parti autonome, séparé de tous les autres et opposé à eux
tous, un parti de classe conscient de l’être60. » « Tout parti véritablement prolétarien a
toujours posé comme but premier de la lutte, la dictature du prolétariat61. »
Mais créer un parti de classe, un parti fidèle aux intérêts immédiats et historiques des
travailleurs, est une tâche extrêmement compliquée. Pour y réussir, ses dirigeants
doivent être fidèles aux principes du socialisme scientifique et éviter l’écueil des
différentes conceptions pseudo-socialistes. Engels a eu ce mot célèbre : « Ne jamais
oublier que le socialisme, depuis qu’il est devenu une science, veut être traité, c’est-à-
dire étudié, comme une science. La tâche consistera, ensuite, à répandre les
conceptions toujours plus claires, ainsi acquises, et à consolider de plus en plus
puissamment l’organisation du Parti et celle des syndicats62. »
Dans un chapitre brillant du Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels ont expliqué
que la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie élaborent des programmes « socialistes » et
créent des partis « socialistes » pour entraîner le prolétariat dans leur sillage et pour
réaliser leurs ambitions propres. En suivant cette voie, la classe ouvrière restera toujours
soumise à la dictature du capital.
En 1850, Marx et Engels ont approfondi ces idées du Manifeste sur base de leur
expérience au cours de la révolution allemande. Ils écrivent dans une Adresse à la Ligue
des Communistes : « En ce moment où les petits-bourgeois démocratiques sont partout
opprimés, ils prêchent au prolétariat l’union et la réconciliation. Ils lui tendent la main et
s’efforcent de mettre sur pied un grand parti d’opposition. Ils s’efforcent de prendre les
ouvriers au piège d’une organisation de parti qui sert de paravent à leurs propres intérêts
particuliers et où les revendications particulières du prolétariat ne doivent pas être
formulées. Le prolétariat perdrait toute sa position indépendante, conquise au prix de tant
de peines, et retomberait au rang de simple appendice de la démocratie bourgeoise
officielle63. »
Le danger que Marx et Engels signalent ici s’est pleinement réalisé en Belgique où le
Parti Ouvrier Belge, l’ancêtre du PS et du SP, a été dès le début ce « grand parti
25
d’opposition » où le prolétariat a servi de force d’appui aux chefs de la petite-bourgeoisie
démocratique.
« En théorie zéro, en pratique bons à rien »
Partout en Europe, Marx et Engels ont impulsé la création de partis prolétariens en
rupture avec le socialisme bourgeois et petit-bourgeois. Mais dès que les partis marxistes
ont acquis une réelle influence de masse, l’influence de la petite-bourgeoisie s’est fait
sentir en leur sein.
Le parti social-démocrate allemand a connu un développement important après 1870, au
point que Bismarck a fait adopter une « loi contre les socialistes » en octobre 1878. Les
organisations ouvrières et leur presse ont été interdites.
En 1879, trois intellectuels du parti, Höchberg, Bernstein et Schramm, qui ont tous subi
l’influence de Dühring, éditent l’organe central du parti à Zürich. En fait, à travers eux, le
socialisme petit-bourgeois, combattu par Marx depuis le Manifeste, prend le pouvoir
idéologique dans le plus important parti marxiste…
Dans une lettre circulaire d’une grande portée historique, Engels déclare la guerre à
l’opportunisme qui prône une alliance avec la bourgeoisie démocratique. Cet
opportunisme s’exprime dans la phrase : « Plus le Parti saura demeurer calme, objectif et
réfléchi dans sa critique des conditions existantes et dans ses projets de changement, et
moins il sera possible à la réaction d’intimider la bourgeoisie en agitant le spectre de la
terreur rouge. » Engels réplique à cela de façon cinglante, avec une référence claire
au Manifeste : « Afin d’enlever à la bourgeoisie la dernière trace de peur, il faut lui
démontrer clairement et simplement que le spectre rouge n’est vraiment qu’un spectre,
qu’il n’existe pas. Or, qu’est-ce que le secret du spectre rouge, si ce n’est la peur de la
bourgeoisie de l’inévitable lutte à mort qu’elle aura à mener avec le prolétariat ? (…) (Les
trois rédacteurs) sont les représentants de la petite-bourgeoisie qui manifestent leur peur
que le prolétariat, entraîné par la situation révolutionnaire, “n’aille trop loin”. Au lieu de la
franche opposition politique, ils recherchent le compromis général; au lieu de lutter contre
le gouvernement et la bourgeoisie, ils cherchent à les gagner à leur cause par la
persuasion; au lieu de résister avec un esprit de fronde à toutes les violences exercées
d’en haut, ils se soumettent avec humilité et avouent qu’ils méritent d’être châtiés. Nos
sociaux-démocrates d’aujourd’hui considèrent le renversement de l’ordre capitaliste
comme un objectif lointain et, par conséquent, comme quelque chose qui n’a absolument
aucune incidence sur la pratique politique du présent. La lutte de classes entre prolétariat
et bourgeoisie, on la reconnaît sur le papier, mais dans la pratique on la camoufle, on la
dilue et on l’édulcore64. »
Marx y ajoutait dans une lettre à Sorge : « Ces gens-là, en théorie zéro, en pratique bons
à rien, veulent extirper les dents au socialisme et rendre le Parti respectable aux yeux
des petits-bourgeois. Ce sont de pauvres remueurs de langue contre-révolutionnaires. Ils
sont déjà tellement atteints d’idiotisme parlementaire qu’ils croient être au-dessus de la
critique65. »
Toutes ces paroles s’appliquent parfaitement au Parti Ouvrier Belge dès sa fondation en
1885, comme un récent numéro d’Études Marxistes l’a brillamment démontré66.C’est
bien l’idéologie du Parti socialiste belge qui était « dépassée » dès son origine. Et la
26
critique du réformisme, formulée par Marx et Engels en 1879, n’a rien perdu de son
mordant ni de son actualité.
Trois années plus tard, une même lutte idéologique éclata au sein du parti français où
Guesde et Lafargue défendaient le marxisme et où Malon et Brousse prônaient le
réformisme, appelé « possibilisme ». Engels commentait : « En France, la scission tant
attendue a eu lieu. La divergence tient à une question de principe : la lutte doit-elle être
menée comme une lutte de classe du prolétariat contre la bourgeoisie, ou est-il
admissible de renoncer en opportunistes (en possibilistes) au caractère de classe du
mouvement et au programme, chaque fois que cela permettrait d’obtenir davantage de
voix, de partisans ? Le développement du prolétariat s’accompagne partout de luttes
intérieures. Ceux qui ont, comme Marx et moi, combattu toute leur vie les soi-disant
socialistes plus que quiconque, ceux-là ne seront pas trop désolés de voir éclater
l’inévitable lutte67. » Quelques années plus tard, Engels disait des dirigeants réformistes
qu’ils forment « une bande d’intrigants et d’arrivistes qui ne cessent de trahir les
véritables principes du Parti face à la bourgeoisie régnante et renoncent aux méthodes
de lutte éprouvées pour assurer des places à eux-mêmes, et aux ouvriers qui les suivent
de petits, d’infimes avantages68. »
Ainsi, nous voyons que Marx et Engels, de leur vivant, ont déjà dû dénoncer le courant
réformiste au sein du mouvement marxiste, courant qui deviendra dominant dans la
social-démocratie européenne après la mort d’Engels en 1895. La lutte que Lénine et
Staline ont menée de 1900 à 1919 contre la social-démocratie réformiste et traître est
donc la continuation directe du combat idéologique initié par Marx et Engels. Du 2 au 6
mars 1919 a eu lieu à Moscou le premier congrès de l’Internationale communiste où 35
partis ont levé haut le drapeau de Marx et Engels.
La révolution, processus international
L’actualité de Marx et Engels réside aussi dans leur vision de la révolution socialiste en
tant que processus mondial. Pour chaque période de la lutte des classes, ils ont été
capables de faire une analyse de toutes les forces qui agissaient sur la scène
internationale et de leur interaction.
Nous traiterons quatre points dans ce chapitre. 1. l’internationalisme prolétarien de Marx
et Engels. 2. leurs idées sur la menace d’une guerre mondiale et sur la stratégie à suivre
dans cette éventualité.
3. leur estimation du rôle révolutionnaire que pourra jouer la Russie. 4. leur
compréhension des bouleversements dans le tiers monde.
L’internationalisme
Marx et Engels ont mis en évidence le rôle révolutionnaire de la bourgeoisie, consistant à
créer des forces de production modernes et un marché mondial qui permettent
l’intercommunication universelle de l’humanité. Leur vision de la révolution socialiste est
mondiale : « Une grande révolution sociale devra maîtriser les réalisations de l’époque
bourgeoise et les soumettre au contrôle commun des peuples69. »
27
Déjà dans le Manifeste, l’internationalisme prolétarien est présenté comme un élément
fondamental qui distingue le Parti communiste de tous les autres : « Dans les différentes
luttes nationales des prolétaires, les communistes mettent en avant et font valoir les
intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. »
Dix-huit ans plus tard, Marx rédige sa célèbre Critique du programme de Gotha où il
défend les principes du Manifeste contre les courants nationalistes. Le Parti socialiste
allemand notamment oublie le premier principe : « la fraternité internationale des classes
ouvrières dans leur lutte commune contre les classes dominantes et leurs
gouvernements70. » Au même moment, Engels souligne pour ses compatriotes ce devoir
crucial : « Avant tout, il s’agit de maintenir le véritable esprit international qui n’admet
aucun chauvinisme patriotique et qui salue avec joie tout nouveau progrès du
mouvement prolétarien, de quelque nation qu’il provienne71. »
En 1893, Engels reproche amèrement aux socialistes français leur chauvinisme et leur
idée que la France doit nécessairement jouer un rôle directeur dans la révolution
socialiste, comme elle le fit dans la révolution bourgeoise : « Ni Français, ni Allemands, ni
Anglais n’auront, à eux seuls, la gloire d’avoir écrasé le capitalisme. Si la France – peut-
être – donne le signal, ce sera en Allemagne, le pays le plus profondément travaillé par le
socialisme, que la lutte se décidera, et encore ni les Français, ni les Allemands n’auront
définitivement assuré la victoire tant que l’Angleterre restera aux mains de la bourgeoisie.
L’émancipation du prolétariat ne peut être qu’un fait international. Si vous tâchez d’en
faire un fait simplement français, vous la rendez impossible72. »
Marx et Engels ont toujours souligné que les ouvriers de n’importe quel pays doivent voir
leur lutte dans le cadre global des révolutions antiféodale et socialiste et la subordonner
aux nécessités de ces révolutions. Ils se sont toujours opposés avec énergie à la
poursuite d’objectifs partiels qui entraient en contradiction avec les objectifs de la
révolution universelle.
Ainsi, au cours de la révolution européenne de 1848, Marx et Engels soutiennent à fond
la lutte pour l’indépendance de la Pologne – pour l’unique raison qu’elle s’attaque aux
trois grandes puissances de la réaction féodale : la Russie, la Prusse et l’Autriche qui se
sont partagé la Pologne. Marx et Engels soutiennent la lutte nationale des Polonais
uniquement parce qu’elle affaiblit la féodalité et participe, de ce fait, à la révolution
antiféodale.
Au même moment, Marx et Engels combattent le « panslavisme démocratique » qui
soutient « l’indépendance et la liberté » des peuples tchèque, croate, slovène et morave.
Ils combattent l’indépendance de ces « peuples contre-révolutionnaires » qui se sont
engagés à écraser les insurrections démocratiques dans l’empire autrichien et qui font le
jeu de la réaction féodale russe et autrichienne. « Les Tchèques et les Slaves du Sud
ont, au moment décisif et pour leurs intérêts nationaux mesquins, trahi la révolution anti-
féodale », déclare Engels73.
En Belgique, nous sommes particulièrement bien servis en « intérêts nationaux
mesquins » !
En 1795, ce qui est devenu plus tard la Belgique était rattaché à la France
révolutionnaire. À ce moment, toutes les forces contre-révolutionnaires s’étaient liguées
28
contre la France : l’empire anglais et les puissances féodales – la Prusse, la Russie et
l’Autriche. C’est à l’empire autrichien que la Belgique avait appartenu jusqu’à son
rattachement à la France. En 1798, éclatait la « Guerre des paysans », essentiellement
en pays flamand. Elle s’attaquait à tous les éléments progressistes de la Révolution
française. Sa devise était : « Vive l’Empereur » (l’empereur autrichien). Sa force
dirigeante était constituée par la noblesse de la campagne et le clergé réactionnaire. Les
villes flamandes fermaient leurs portes devant ces troupes sortant tout droit du moyen
âge. Toutes les forces révolutionnaires voulaient la défaite de ce mouvement clérico-
féodal qui était le précurseur du « nationalisme » flamand le plus étriqué et obscurantiste.
En 1916-1917, dans tous les pays, les travailleurs embrigadés dans les armées
bourgeoises commençaient à comprendre le caractère criminel de la guerre mondiale
inter-impérialiste. Seule l’insurrection socialiste pouvait mettre fin à celle-ci et à la
dictature bourgeoise, source de la guerre. Autour de l’Yser, le prolétariat du monde entier
se faisait décimer : il y avait, à côté des Belges de langue néerlandaise et française, des
Français, des Anglais et des Allemands, ainsi que des Sénégalais, des Marocains, des
Indiens et des Chinois ! Dans leur haine commune de la guerre et de la bourgeoisie
s’exprimait comme nulle part ailleurs au monde l’internationalisme prolétarien. Or, en
Flandre, la réaction, œuvrant directement pour l’impérialisme allemand, provoqua un
mouvement « national » contre-révolutionnaire. Ce dernier s’opposait farouchement à la
révolution prolétarienne qui, seule, pouvait libérer les ouvriers et paysans, qu’ils parlent le
français ou le néerlandais, de la domination bourgeoise.
Au cours de l’hiver 1960-61, un formidable mouvement de grève déferlait sur toute la
Belgique et développait la conscience anticapitaliste. Dans la partie francophone, le PS
tenta désespérément de détourner le mouvement et mit en œuvre une intoxication que
nous subissons aujourd’hui depuis trente-huit ans : « Le fédéralisme va sauver la
Wallonie ! » Le fédéralisme, mot d’ordre de la droite flamande, serait devenu une arme
anticapitaliste de l’autre côté de la « frontière linguistique ». C’est ainsi que la
mesquinerie nationaliste a été injectée dans une classe ouvrière qui avait de grandes
traditions internationalistes, et qui, au siècle passé, avait élu à Liège le premier député
socialiste flamand, le Gantois Anseele…
Vers une guerre mondiale
À partir de 1885, Engels évoqua le danger d’une guerre mondiale dévastatrice.
Il analysa trois facteurs qui poussaient l’Europe vers la guerre.
D’abord, la rivalité entre la bourgeoisie française et allemande pour la suprématie en
Europe s’amplifiait. La guerre entre la France et l’Allemagne s’était terminée en 1871 par
l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne. « L’annexion de l’Alsace-Lorraine, cause
immédiate de la folle course aux armements, a bien excité le chauvinisme des
bourgeoisies française et allemande74. » Cette annexion était une injustice, mais les
ouvriers français ne devaient pas placer cet intérêt national très limité au-dessus de
l’intérêt général de la révolution socialiste européenne. « Entre une France et une
Allemagne socialistes, il ne peut y avoir de question d’Alsace-Lorraine. Les patriotes
d’Alsace-Lorraine ne sauraient-ils attendre ? Y a-t-il là matière à dévaster tout un
continent75 ? » Oui, répondaient en 1914 les opportunistes français autour de Jaurès et
Thomas…
Le Manifeste, jeune de 150 ans dans une histoire qui compte en siècles  Ludo Martens Etudes marxistes Revue n° 41, date de publication : 1998-01-20
Le Manifeste, jeune de 150 ans dans une histoire qui compte en siècles  Ludo Martens Etudes marxistes Revue n° 41, date de publication : 1998-01-20
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Le Manifeste, jeune de 150 ans dans une histoire qui compte en siècles Ludo Martens Etudes marxistes Revue n° 41, date de publication : 1998-01-20

  • 1. 1 Le Manifeste, jeune de 150 ans dans une histoire qui compte en siècles Ludo Martens Etudes marxistes Revue n° 41, date de publication : 1998-01-20 Introduction À Bruxelles, fin 1847, Karl Marx et Friedrich Engels rédigent le Manifeste du Parti communiste. Aucun autre livre n’exercera une influence aussi déterminante sur le monde et sur le cours de l’histoire ultérieure. Publié il y a un siècle et demi, le Manifeste est toujours neuf et il marquera sans doute le XXIe siècle. En effet, au seuil du troisième millénaire, le capitalisme mondial se précipite dans des crises d’une force destructive jamais vue. Et sur tous les continents, les communistes, qui ont subi des défaites importantes avec la restauration du capitalisme en Union soviétique et en Europe de l’Est, retournent aux sources. Ils retournent tout d’abord à la première de celles-ci : le Manifeste. Ce livre, que la lecture n’épuise jamais, aide les communistes à analyser les trahisons qui ont affaibli le mouvement révolutionnaire mondial pour que le siècle suivant se déroule sous le signe de la révolution socialiste victorieuse. Quelle histoire mémorable que celle du Manifeste du Parti communiste ! Au moment de sa publication, le Manifeste était l’étendard d’une organisation comptant cinq cents membres à peine. Soixante-dix ans plus tard, Lénine guidait les premiers pas de l’Union soviétique qui deviendra en deux décennies une grande puissance socialiste. Lors du centième anniversaire du Manifeste, Staline était – aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd’hui – l’homme le plus populaire parmi les travailleurs de toute l’Europe. Le prestige de l’Union soviétique était au zénith : la puissance impérialiste la plus barbare, l’Allemagne nazie, avait été vaincue par l’Armée rouge, le socialisme s’implantait en Europe de l’Est, et l’immense Chine, le pays du tiers monde qui a le plus souffert de l’oppression impérialiste, avançait vers sa libération totale et vers le socialisme. Mais dix ans plus tard, en 1958, lors du cent-dixième anniversaire du Manifeste, l’histoire s’apprête à faire un formidable bond en arrière. Khrouchtchev dénonce la politique de Staline, jette par-dessus bord les principes du socialisme scientifique, transforme l’Union soviétique selon les conceptions du socialisme bourgeois et petit-bourgeois qui ont été dénoncées avec tant de véhémence dans le célèbre ouvrage de Marx et Engels.
  • 2. 2 Le Manifeste a cent quarante ans lorsque Gorbatchev achève l’œuvre initiée par Khrouchtchev : il liquide tous les principes socialistes formulés par Marx et Lénine et restaure intégralement le capitalisme sauvage en Union soviétique. Et aujourd’hui, pour le cent cinquantième anniversaire du Manifeste du Parti communiste, la Russie de Eltsine correspond exactement à cette phrase du Manifeste : « La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat. » Eltsine, sous les applaudissements de la mafia, affirme que l’héritage de Marx est criminel. Mais contre Eltsine se dressent plusieurs nouveaux partis communistes de l’ancienne Union soviétique, dirigés par Nina Andreeva, Tioulkine, Anpilov, Popov et Chenine. Ceux-ci paraphrasent cet autre mot formidable du Manifeste : « Qu’Eltsine et les siens tremblent à l’idée d’une révolution communiste ! Les prolétaires n’ont rien à y perdre que leurs nouvelles chaînes. » Le Manifeste est un de ces livres rares qui gardent toute leur force, toute leur actualité, cent cinquante années après leur rédaction. Sa phrase d’ouverture est un coup de clairon. Elle exprime le défi de tous les opprimés des temps modernes envers leurs oppresseurs. « Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre. » Dans sa dernière phrase éclatent la confiance en soi des travailleurs, leur rage de vaincre, leur mépris de cette bourgeoisie criminelle, les sentiments les plus nobles des exploités de tous les temps, de tous les pays. « Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l’ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l’idée d’une révolution communiste ! Les prolétaires n’y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils y ont un monde à gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » Marx et Engels sont deux géants de l’esprit qui ont bouleversé toute la vie intellectuelle et politique du XIXe et du XXe siècle. Ils ont accompli une révolution intellectuelle qui permet à tous les travailleurs, à tous les exploités de comprendre l’histoire et d’en devenir les acteurs conscients. Le marxisme est l’arme de la libération de toute l’humanité exploitée et broyée par le capitalisme mondial. Rien donc de plus normal que les idéologues de la bourgeoisie, la dernière classe exploiteuse, déclarent tous les dix ans, et cela depuis 1871, que « le marxisme est mort ». Mais ce n’est pas cette propagande intéressée qui empêchera les exploités du monde entier de s’emparer finalement de la seule arme de leur libération : le marxisme. De grands exemples pour la jeunesse de 1998 Pour tous les jeunes de 1998 qui, de Calcutta à Rio de Janeiro, de Johannesburg à Los Angeles, de Moscou à Paris, veulent s’engager dans la lutte pour la libération des masses exploitées, Marx et Engels restent les grands exemples.
  • 3. 3 Très jeunes, Marx et Engels ont abattu un travail intellectuel impressionnant. Marx est né à Trèves en 1818, Engels en 1820 à Barmen, autre petite ville de la Rhénanie. Esprit universel, Engels avait, avant ses vingt ans, appris l’anglais, le français, l’italien, le portugais, l’espagnol et le néerlandais. Pour mieux comprendre l’histoire de l’humanité et suivre les progrès du mouvement ouvrier, il étudie plus tard plusieurs langues de l’Europe de l’Est, dont le hongrois, puis l’arabe et le russe. Fils d’un fabriquant de textile très croyant, Engels dévore, à l’âge de dix-neuf ans, La Vie de Jésus de David Strauss et devient un athée convaincu. Au cours de la même année, il publie une enquête sur le sort terrible des ouvriers de Wuppertal. Envoyé en Angleterre par son père pour s’y occuper de commerce, Engels se plonge dans le monde du prolétariat exploité par les barons du textile. Il interroge longuement les travailleurs dans les quartiers les plus misérables de Londres et de Manchester. Il fréquente avec assiduité les réunions ouvrières du mouvement des Chartistes et y expose la situation des ouvriers en France et en Allemagne. Engels a vingt-deux ans. Il réunit en 1842-1843 dans les quartiers ouvriers un matériel abondant qu’il publiera dans La situation de la classe ouvrière en Angleterre, qui devient le premier classique du marxisme. Le contact direct avec la misère et l’exploitation des ouvriers est un des facteurs essentiels qui ont poussé Engels à se déclarer communiste à l’âge de vingt-trois ans. En 1836, Marx se rend à Berlin pour y étudier le droit. À dix-neuf ans, il y entre dans un club de docteurs progressistes qui se livrent à la critique de la religion et de la société féodale prussienne. En 1841, il devient docteur en philosophie avec une thèse consacrée à Épicure, grand matérialiste et athée de l’antiquité grecque. Il se passionne pour la lutte antiféodale et se déclare révolutionnaire démocrate. À vingt-quatre ans, il dirige La Gazette Rhénane, le principal journal de la bourgeoisie progressiste allemande. Ce travail lui permet de faire des enquêtes sur la misère paysanne en Allemagne. En 1843, à vingt-cinq ans, obligé de fuir la censure et la répression en Allemagne, Marx s’établit à Paris, le centre du mouvement ouvrier révolutionnaire en Europe. Critiquant les idéologues progressistes de la bourgeoisie comme les partisans d’un socialisme utopique, Marx formule les bases du socialisme scientifique : « L’arme de la critique ne peut pas remplacer la critique des armes, car la force matérielle ne peut être abattue que par une force matérielle. Mais la théorie se transforme elle-même en force matérielle, dès qu’elle pénètre les masses. (…) La critique de la religion aboutit à l’affirmation que l’homme est pour l’homme l’être suprême. D’où l’impératif d’abolir toutes les conditions sociales dans lesquelles l’homme est un être avili, asservi, abandonné et méprisable. » La seule force capable de réaliser cette tâche est le prolétariat qui, « par la nécessité matérielle, par ses chaînes mêmes, est obligé de le faire1 ». Marx entre en contact avec les ouvriers communistes, nombreux parmi les dizaines de milliers de révolutionnaires allemands réfugiés à Paris. Quand les tisserands de Silésie se soulèvent en juin 1844 contre leurs exploiteurs, Marx affirme que l’avenir est dans la fusion des idées communistes et du mouvement révolutionnaire des ouvriers. Friedrich Engels, qui arrive à Paris fin 1844, était arrivé aux mêmes conclusions que Marx, et avant lui. Désormais ils seront deux amis inséparables.
  • 4. 4 Expulsé de France en février 1845, Marx se réfugie à Bruxelles où il établit une liaison entre les ouvriers allemands, français, anglais et belges. Il faut, dit-il, que « le mouvement socialiste se débarrasse de sa limitation nationale2 ». Mais pour créer le Parti ouvrier révolutionnaire dont ils rêvent, Marx et Engels doivent d’abord livrer d’âpres batailles contre les adeptes des différentes sectes du « socialisme vrai ». Tous prônent des « solutions originales » à la question sociale, qu’ils veulent réaliser par l’exemple, par la propagande, en convainquant les éléments éclairés de la bourgeoisie, sans passer par la lutte des classes, l’organisation des masses et la révolution. Ainsi, en octobre 1846, Engels doit faire le nettoyage au sein du Comité Communiste de Paris. Il écrit à Marx : « Le point essentiel que je devais prouver était la nécessité de la révolution par la force, et en général le caractère antiprolétarien, petit- bourgeois, philistin du “socialisme vrai”. (…) Je définis les intentions des communistes de la manière suivante : 1. promouvoir les intérêts des prolétaires à l’encontre de ceux des bourgeois; 2. y parvenir par l’abolition de la propriété privée, remplacée par la communauté des biens; 3. ne reconnaître aucun autre moyen de réaliser ces buts que la révolution démocratique par la violence3. » Marx et Engels seront les pères spirituels de la Ligue des Communistes qui tient son premier congrès à Londres en juin 1847. L’objectif de la Ligue est « le renversement de la bourgeoisie, la domination du prolétariat, la suppression de l’ancienne société bourgeoise basée sur les contradictions de classes et la constitution d’une nouvelle société sans classes et sans propriété privée (des moyens de production)4 ». L’ancienne devise bourgeoise, « Tous les hommes sont frères », est remplacée par « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » Suite à ce congrès, Engels réalise une première esquisse du Manifeste du Parti communiste. Il a vingt-sept ans. Marx rédigera la version définitive fin 1847 à Bruxelles. Il a vingt-neuf ans. Avec un remarquable esprit de synthèse, Marx et Engels ont condensé toutes leurs expériences et découvertes dans ce court pamphlet. Dans le Manifeste, nous trouvons déjà ébauchées la plupart des grandes idées marxistes dans les domaines de l’histoire, de l’économie et de la politique. Sur ces fondements, Marx et Engels construiront pendant toute leur vie l’édifice éblouissant du socialisme scientifique. La naissance du Manifeste du Parti communiste est l’un des rares actes de grandeur qui se soient jamais produits dans la bonne ville de Bruxelles. L’acte la dépasse à tel point qu’elle décide immédiatement d’expulser l’auteur de cette œuvre mémorable. C’est la troisième fois en cinq ans que Marx se trouve dans la situation de réfugié politique. La première fois, c’était en octobre 1843, lorsque la censure l’obligea de fuir l’Allemagne, son pays. Puis le 3 février 1845, Marx se faisait expulser de la France. Enfin, le 4 mars 1848, dix jours après la publication du Manifeste, Marx est arrêté par la police bruxelloise et conduit à la frontière française comme réfugié politique indésirable. Tout comme Engels, Marx était un homme pour qui la pratique était intimement liée à la théorie révolutionnaire. Deux mois après avoir terminé la rédaction du Manifeste, la révolution de Février 1848 éclate à Paris. À Bruxelles, les milieux révolutionnaires et républicains préparent à leur
  • 5. 5 tour un soulèvement en faveur de la République. Marx y joue un rôle actif. Si l’on peut en croire un rapport de la police bruxelloise, il vient de recevoir 6 000 francs en héritage de son père. Marx, qui vivra presque toute sa vie dans la pauvreté, n’hésite pas à dépenser 5 000 francs pour l’achat d’armes destinées aux ouvriers de Bruxelles5. Alors que la révolution de Février 1848 bouleverse la France, Marx et Engels arrivent à Paris. Ils dirigent les quatre cents ouvriers du Club des Communistes allemands et les envoient un à un en Allemagne pour y créer des Cercles ouvriers. Après l’éclatement de la révolution à Vienne et à Berlin, Marx et Engels rentrent en Rhénanie pour participer à la révolution allemande. Ils le feront en coordonnant les Cercles ouvriers et en publiant à partir du 1er juin 1848 La Nouvelle Gazette Rhénane. Dans ce journal Marx définit le véritable sens de la liberté de presse en régime féodal et bourgeois : « Le devoir de la presse est de miner toutes les bases du système existant6. » La Nouvelle Gazette Rhénane se met à la tête de la révolution antiféodale qui déferle sur les différents royaumes et principautés allemands et défend le rôle dirigeant de la classe ouvrière dans ces combats. C’est aussi le premier journal de la révolution européenne qui suit de près le développement des combats en France, en Autriche, en Pologne, en Hongrie, en Italie. C’est alors un journal révolutionnaire unique dans l’histoire, auquel Engels ne reconnaît qu’un seul précurseur : L’Ami du Peuple que Marat avait publié au cours de la Révolution française. Toute leur vie, Marx et Engels s’inspireront de cette période où ils ont pu s’engager directement dans le combat révolutionnaire. En 1881, Engels s’en souvient : « L’insurrection des ouvriers parisiens en juin 1848 nous trouva à notre place. Dès le premier coup de feu, nous étions corps et âme du côté des insurgés. Après la défaite, nous étions les seuls à brandir l’étendard du prolétariat vaincu, au moment où les bourgeois et petits-bourgeois de tous les pays submergeaient les vaincus du flot de leurs calomnies7. » Et lorsqu’en novembre 1848 les troupes contre-révolutionnaires formées de Croates écrasent dans le sang la révolution viennoise, Marx exprime sa conviction que la terreur blanche sera tôt ou tard vaincue par la terreur rouge. « Les massacres, le cannibalisme de la contre-révolution elle-même convaincront les peuples que, pour abréger, pour simplifier, pour concentrer l’agonie meurtrière de la vieille société et les souffrances sanglantes de l’enfantement de la nouvelle, il existe un seul moyen – le terrorisme révolutionnaire8. » Quelques mois plus tard, l’insurrection éclate dans plusieurs principautés allemandes. Dès avril 1849, Engels devient le conseiller militaire des insurgés. Au mois de juin, au Palatinat, Engels occupe la fonction d’aide de camp de Willich, le chef du corps franc le plus combatif et il participe à toutes ses batailles. « J’avais hâte, dira-t-il, d’occuper la seule position que pouvait prendre dans ce mouvement un rédacteur de La Nouvelle Gazette Rhénane, au moment du combat : celle du soldat9. » L’œuvre scientifique accomplie par Marx et Engels est inséparable de leur engagement aux côtés des ouvriers et de leur participation aux combats des masses insurgées. En cette année du cent cinquantième anniversaire du Manifeste, la bourgeoisie utilisera de nombreux stratagèmes pour falsifier la pensée de Marx et Engels. On l’entendra sans
  • 6. 6 doute faire l’éloge de Marx en tant que grand penseur, éminent philosophe, critique avisé des tares du capitalisme naissant, belle tête scientifique. Bref, la bourgeoisie fera semblant de rendre hommage au penseur, pour mieux le combattre en tant que géant de la politique et de la tactique révolutionnaires, en tant que fondateur du premier parti ouvrier révolutionnaire. Le plus formidable défi à l’histoire Entre vingt-deux et trente ans, les jeunes Engels et Marx découvrent les armes qui leur permettent de lancer le plus formidable défi au monde et à l’histoire. Ils ne sont que deux, entouré de cinq cents disciples. Cent cinquante ans plus tard, après la plus formidable contre-révolution que l’histoire ait jamais vue, le monde s’enfonce dans des crises inextricables, le bruit des armes se fait de plus en plus obsédant. C’est encore l’œuvre de Marx et Engels qui montre l’issue. Mais d’où les auteurs du Manifeste ont-ils tiré leur perspicacité et leur clairvoyance ? De leur critique en profondeur, sans ménagement aucun, de la société capitaliste et des mensonges des bourgeoisies qui masquent l’exploitation. De leur engagement inconditionnel aux côtés des prolétaires et de toute l’humanité opprimée. De leur compréhension du cours de l’histoire et du rôle fondamental joué par le développement des forces productives, de la science, de la technologie. De leur conviction que seuls le prolétariat et les masses travailleuses peuvent constituer une force révolutionnaire capable de renverser l’ordre basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Marx formule son défi au monde et à l’histoire dans cette phrase où il décrit le lien entre la bourgeoisie et les prolétaires : « La bourgeoisie ressemble à cette déesse de l’antiquité qui ne voulait boire le vin que dans le crâne de ses victimes. » Et Marx expose avec une précision remarquable sa vision de l’histoire qui lui permet de prédire la victoire inévitable de la classe ouvrière et de tous les exploités. Qui pourra contester que le passage suivant est plus actuel encore en 1998 qu’en 1853, l’année où il fut écrit ? Quel professeur de lycée, obligé par le programme scolaire de critiquer Marx, pourra nier la perspicacité géniale de ce texte ? Écrit cinq ans après le Manifeste, il en explique une des thèses : « La centralisation du capital est essentielle à son existence. L’influence destructive de cette centralisation sur les marchés du monde ne fait que révéler, à l’échelle la plus gigantesque, les lois inhérentes à l’économie (capitaliste). La période bourgeoise de l’histoire a pour mission de créer la base matérielle du monde nouveau : d’une part, l’intercommunication universelle fondée sur la dépendance mutuelle de l’humanité et les moyens de cette intercommunication; d’autre part, le développement des forces de production de l’homme et la transformation de la production matérielle en une domination scientifique des éléments. L’industrie et le commerce bourgeois créent ces conditions matérielles d’un monde nouveau. Quand une grande révolution sociale aura maîtrisé ces réalisations de l’époque bourgeoise, le marché mondial et les forces modernes de production, et les aura soumis au contrôle commun des peuples les plus avancés, alors seulement le progrès humain cessera de ressembler à cette hideuse idole païenne qui ne voulait boire le nectar que dans le crâne des victimes10. »
  • 7. 7 Maîtres à penser, Marx et Engels sont restés toute leur vie des élèves. En poursuivant l’élaboration de leur conception révolutionnaire de l’avenir de l’humanité, Marx et Engels se sont intéressés aux domaines les plus divers de la science. Ils se sont mis à étudier les dernières découvertes en biologie, archéologie, physique, chimie et mathématiques. Engels n’a jamais caché son admiration pour les grands de la Renaissance, les Léonard de Vinci et les Machiavel qui « ont brisé la dictature spirituelle de l’Église » et ouvert la voie de la révolution démocratique, antiféodale. « Ce fut une époque qui avait besoin de géants et qui engendra des géants : géants de la pensée, de la passion et du caractère, géants d’universalité et d’érudition11. » L’époque moderne qui voit se dérouler la lutte autrement plus grandiose de tous les exploités et opprimés contre le capitalisme mondial a besoin de géants de ce calibre. Marx et Engels furent les premiers. Marx et Engels, mécontents des conditions sociales et politiques de leur époque, se sont jetés sur les meilleurs ouvrages philosophiques et historiques. Avec une fureur sacrée, ils en ont critiqué toutes les conceptions qui défendent et justifient l’ordre bourgeois. Pour dénoncer l’hypocrisie des phrases pompeuses sur la fraternité, l’égalité, la justice, l’humanisme et les droits de l’homme, ils ont analysé les intérêts économiques de ceux qui proféraient ces belles paroles. Ils ont découvert que les intérêts économiques, la propriété des moyens de production, la place occupée dans le système social déterminent pour l’essentiel les idées des hommes. En découvrant les lois du matérialisme historique, Marx et Engels ont jeté les bases de la science de l’histoire et de la science politique au service de la libération des classes exploitées. Leurs immenses connaissances, ils les ont mises au service des travailleurs, non par sentiment « humaniste », pour consoler les victimes d’un système injuste, mais pour en faire les artisans de la révolution sociale, les artisans de leur propre libération. L’économie est le fondement de toute société. Marx a entrepris l’étude des lois fondamentales de l’économie capitaliste et a montré que ce système doit périr à cause de ses contradictions internes. En détruisant les rapports de production féodaux, la bourgeoisie a fait œuvre révolutionnaire. Elle a initié un développement sans précédent des forces productives et de la science. Mais ce développement reste enfermé dans le carcan des intérêts égoïstes de la bourgeoisie. La propriété privée des grands moyens de production entraîne cette loi inévitable : le capital ne fonctionne et n’engage des prolétaires qu’à condition de rapporter des bénéfices conséquents. Les forces productives sont enfermées dans ce carcan. Pour cette raison, le capitalisme « progresse » nécessairement au travers de crises économiques destructrices et de guerres d’extermination. Les crises et les guerres sont les signes extérieurs qui montrent que le système social bourgeois a fait son temps, que le développement des forces productives et de la science ne peut pas se faire de manière « humaine » dans le cadre capitaliste. Sa nature fondamentale fait du capitalisme monopoliste un système barbare, criminel et inhumain. L’humanité ne peut échapper aux affres d’une existence inhumaine, à ce cycle de guerres et d’exterminations de masse, à cette agonie qui se prolonge à l’infini, sans détruire en même temps le carcan qui enferme les forces productives. Ce carcan fait des instruments de production des monstres dévorant ceux qui les mettent en
  • 8. 8 œuvre. La révolution socialiste n’est pas une alternative pour les travailleurs, elle est la condition de la survie de la toute grande majorité de l’humanité. Cette idée a été élaborée dans Le Capital, l’œuvre la plus importante de Marx, qui a bouleversé la science économique. Marx l’a écrite pour que les travailleurs se battent avec une plus grande conscience contre le dernier système d’exploitation et pour qu’ils acquièrent une confiance inébranlable en leur inévitable victoire. Le Capital est la plus importante œuvre scientifique jamais écrite pour contribuer à la libération de l’humanité tout entière. De 1862 à 1867, date de la parution du premier livre, Marx, vivant dans la pauvreté et souvent frappé de maladie, consacra le meilleur de ses forces à la rédaction du Capital. À un ami, il s’excuse de ne pas avoir répondu à ses lettres : « J’avais déjà un pied dans la tombe. Il me fallait mettre à profit chaque instant où je pouvais travailler pour terminer mon œuvre, à laquelle j’ai sacrifié santé, bonheur et famille. Si l’on voulait se comporter comme une bête, on pourrait évidemment tourner le dos aux tourments de l’humanité et ne s’occuper que de sa propre peau12. » Les idées de Marx et d’Engels sont jeunes de cent cinquante ans dans une histoire qui compte en siècles. Marx et Engels ont élaboré une théorie de l’histoire qui n’avait pas pour objet la réalité immédiate, mais toute l’époque du capitalisme. Depuis la contre-révolution en Union soviétique, il est à nouveau de bon ton d’affirmer que le marxisme est dépassé. Mais aussi longtemps que la propriété privée des moyens de production et le marché libre subsisteront, les théories de Marx garderont toute leur actualité. Marx a dit que les hommes de son temps vivaient toujours dans la préhistoire de l’humanité. Tant que la grande majorité de l’humanité sera soumise à une minorité d’exploiteurs, elle subira l’histoire au lieu de la construire consciemment. Le triomphe définitif du socialisme sera le début de la véritable histoire humaine. De quels matériaux disposaient Marx et Engels quand ils ont formulé leur analyse du système capitaliste et de sa chute inévitable ? Ils avaient d’abord le riche matériel de la Révolution française, la plus grande révolution que l’histoire avait connue. Elle avait été une tentative unique de détruire de fond en comble les rapports de propriété et les relations sociales propres à la féodalité. Cette révolution avait secoué l’Europe entière. Elle avait tiré sa grandeur de la force révolutionnaire des classes les plus méprisées de la société : ouvriers, artisans, petits commerçants, petits paysans, sans-travail. C’est en 1793-94, lorsque s’établit la dictature populaire, que la France révolutionnaire a pu vaincre ses ennemis extérieurs. La Révolution française permit à Marx et Engels d’étudier en profondeur la lutte des classes, la nature des différentes classes sociales, les lois de la révolution, la politique
  • 9. 9 révolutionnaire des classes opprimées et la politique opportuniste de la bourgeoisie, la dictature populaire et la dictature contre-révolutionnaire. Marx et Engels ont grandi au moment où la production capitaliste dominait déjà l’Angleterre et s’implantait rapidement en France, puis en Allemagne. Ils ont compris que la science, la technologie, le machinisme sont des forces révolutionnaires qui bouleversent sans cesse la société. Ils ont pu analyser la première crise générale en 1825 et ont été témoins de celle qui frappait tous les pays capitalistes en 1847. Marx et Engels seront les témoins des premiers affrontements de classes entre patrons et ouvriers à partir des grèves de Lyon en 1830. Pour la première fois dans l’histoire, les ouvriers commencent à formuler les intérêts fondamentaux de leur classe, opposés aux intérêts de toutes les classes exploiteuses. Au cours de la Révolution française, les ouvriers en étaient encore réduits à se battre pour des revendications qui profitaient essentiellement à la bourgeoisie. À partir de ce matériel encore rudimentaire, Marx et Engels ont été capables de découvrir toutes les lois et toutes les contradictions de la société capitaliste qui déterminent son existence jusqu’à sa destruction. C’est une œuvre de génie. Le mode de production capitaliste, limité à un petit coin du globe en 1847, a pénétré dans les endroits les plus reculés de la planète. La concentration des capitaux a pris des proportions gigantesques. Pratiquement tous les traits du capitalisme que Marx et Engels ont esquissés, se dessinent aujourd’hui avec une force incommensurable à l’échelle mondiale. Engels avait déjà souligné la possibilité pour le capitalisme occidental de prolonger sa vie en soumettant le monde entier à sa tyrannie. Cela a été réalisé à travers des guerres coloniales, une guerre mondiale et d’innombrables guerres d’agression et interventions militaires. Mais la Première Guerre mondiale entre les puissances impérialistes s’est terminée par la révolution socialiste en Russie. La Seconde Guerre mondiale déclenchée par les impérialistes a conduit à la victoire du socialisme dans des pays de l’Europe de l’Est et en Chine. Récemment, la contre-révolution en Union soviétique a rejeté en arrière les forces du socialisme, mais elle a en même temps aiguisé toutes les contradictions du capitalisme mondial. À part la Chine, la Corée, le Viêt-nam et Cuba qui essaient avec grandes difficultés de maintenir leur base socialiste, il n’y plus aucun coin du monde qui n’échappe aux griffes du capitalisme et presque cinq milliards d’hommes subissent maintenant dans toute leur rigueur les infernales lois capitalistes de l’accumulation que Marx a si bien décrites. Ainsi, en cent cinquante années, nous avons vu se dérouler plusieurs épisodes de la lutte entre la révolution et la contre-révolution. Dans la lutte contre le capitalisme, le socialisme a connu et connaîtra des victoires et des défaites. Et cette lutte caractérisera toute l’époque historique qui nous sépare de la victoire définitive du socialisme dans le monde. La contre-révolution de 1794 et de 1871
  • 10. 10 Depuis les contre-révolutions de 1989, le monde a été submergé par un déluge d’écrits anticommunistes, tous plus virulents et grossiers les uns que les autres. Le Manifeste du Parti communiste affirme que toute l’histoire de l’humanité est celle de la lutte des classes et que celle-ci trouve son reflet dans la lutte des idées et des idéaux. À travers les siècles, l’arsenal des armes idéologiques avec lequel les classes réactionnaires ont attaqué les masses travailleuses est resté en grande partie le même. Les féodaux et les bourgeois ont toujours considéré leur règne comme la seule société humaine possible, la seule fondée sur la loi divine ou autre justice éternelle. Tous ceux qui contestaient leur dictature de classe ont toujours été traités comme hors-la-loi, diaboliques, criminels ou terroristes. L’anticommunisme virulent, que la bourgeoisie brandit aujourd’hui contre toute idée révolutionnaire et socialiste, a ses racines dans la féodalité. La haine que les nazis vouaient au marxisme allait de pair avec leur aversion pour la Révolution française. Le Livre noir du communisme prend la défense de l’impérialisme en attaquant non seulement Lénine, mais aussi Robespierre : « Robespierre a incontestablement posé une première pierre sur le chemin qui mena Lénine vers la terreur. »13 De la même façon, il existe une continuité dans les idées et les idéaux des classes exploitées en lutte pour leur affranchissement. Depuis des siècles, les opprimés ont pensé un monde utopique basé sur l’égalité et le partage des richesses. Depuis la Révolution française et surtout depuis la Commune de Paris, les idéaux de justice et d’égalité ont une base matérielle : le développement des forces productives et l’organisation de la lutte des classes exploitées. Depuis Robespierre et Marat, depuis Marx et Engels, les opprimés ont, pour la première fois dans l’histoire, nourri un espoir fondé de façon matérialiste. La violence du propos anticommuniste actuel ne doit intimider aucun progressiste : ces propos circulent depuis le jour où les bourgeois ont craché leur haine à la figure de Marat et de Marx. Marat Marx et Engels ont toujours manifesté une admiration pour les grands dirigeants de la Révolution française. Engels s’inspirait de Marat, dont il disait qu’il « a arraché le voile » à tous les opportunistes de la bourgeoisie « et les a démasqués comme des traîtres achevés à la révolution ». Plein d’admiration, Engels continue : « Marat, comme nous, ne tenait pas la révolution pour achevée, mais l’avait proclamée en permanence14. » Et Engels de dénoncer « toute la rage hystérique et toutes les falsifications historiques qui ont fait qu’on n’avait connu qu’un Marat tout à fait déformé ». Nous pouvons dire à peu près la même chose aujourd’hui : « Oui, la rage hystérique et les falsifications historiques ont fait que nous n’avons connu qu’un Staline tout à fait déformé… » Dans beaucoup de ses idées révolutionnaires, Marat réussit à dépasser instinctivement le cadre bourgeois que les conditions historiques lui ont imposées. Ses idées sont encore un appel pour les communistes d’aujourd’hui qui affrontent un capitalisme hautement développé. Marat comprend que seuls les masses travailleuses et principalement les ouvriers peuvent être révolutionnaires jusqu’au bout. « La Révolution n’a été faite et soutenue que par les dernières classes de la société, par les ouvriers, les artisans, les petits
  • 11. 11 commerçants, les agriculteurs, par la plèbe, par ces infortunés que la richesse impudente appelle la canaille15. » Marat comprend la nécessité de la dictature révolutionnaire pour vaincre les classes exploiteuses. Il explique qu’après une première défaite, les classes qui dominent depuis dix siècles chercheront la vengeance à tout prix : « Nous sommes dans un état de guerre. Le salut du peuple est la loi suprême, et tout moyen est bon, lorsqu’il est efficace, pour se défaire des perfides ennemis qui ne cessent de conspirer contre le bonheur public. (…) Nos tyrans, revenus de leur première terreur, ne cesseront de conspirer contre la liberté naissante. C’est le comble de la folie de prétendre que des hommes, en position depuis dix siècles de nous gourmander, de nous piller, et de nous opprimer impunément, se résoudront de bonne grâce à n’être que nos égaux : Ils machineront éternellement contre nous, jusqu’à ce qu’ils soient exterminés; et si nous ne prenons ce parti (…) il nous est impossible d’échapper à la guerre civile, et de ne pas finir par être nous-mêmes massacrés16. » Marat anticipe ainsi l’âpreté du combat que Lénine devra livrer entre 1918 et 1921 contre les tsaristes, contre les bourgeois et contre les armées étrangères et que Staline continuera contre les koulaks et autres contre-révolutionnaires. Marat a en horreur les historiens au service des oppresseurs dont ils embellissent les entreprises les plus barbares et qui dénigrent et calomnient ceux qui se battent pour la libération des classes opprimées : « Ceux qui écrivent l’histoire sont intimidés par la crainte ou corrompus par l’avarice. Ils ne nous font point horreur de la tyrannie. Toujours ils exaltent les entreprises des princes, quelque funestes, d’ailleurs, qu’elles soient à la liberté. Toujours ils élèvent aux nues des actions criminelles dignes du dernier supplice. Ils traitent toujours les peuples d’esclaves révoltés, qu’il faut remettre à la chaîne. Ils représentent les généreux efforts contre la tyrannie comme des rébellions criminelles. Ils tordent les intentions des meilleurs patriotes, ternissent leur réputation, dénigrent leur vie et flétrissent leur mémoire, au lieu de rendre hommage à leur vertu17. » Aujourd’hui, les idéologues de l’ordre établi exaltent toujours « les entreprises funestes et les actions criminelles des princes » : de la contre-révolution en Union soviétique à la guerre et au blocus contre l’Irak, de l’occupation militaire des Balkans au génocide du Rwanda. Et pour ce qui concerne Lénine, Staline et autres Che Guevara, tous les réactionnaires continuent à « tordre leurs intentions, ternir leur réputation, dénigrer leur vie et flétrir leur mémoire… » Non, la propagande anticommuniste actuelle n’a rien de nouveau, elle a ses racines dans la propagande antirévolutionnaire de 1793. Au siècle passé, un abbé français publia un ouvrage de vulgarisation à la gloire des rois de France. Marat, Robespierre, Saint-Just et tous les Montagnards, il les appelle des « terroristes ». Lorsque l’abbé Pioget déverse sa haine sur la Révolution française, on croit entendre notre bourgeoisie parlant de Staline : anarchie, terreur, régime sanglant, un million de morts, tout y est ! « Les statues de nos Rois sont mises en pièces, et désormais domine dans Paris et dans toute la France le sanglant régime de l’anarchie justement appelé le règne de la Terreur. » « L’atroce Marat distribue aux assassins des liqueurs fortes qui allument dans leurs veines la soif du sang. » « Un député crie à Robespierre : “Malheureux, le sang de Danton t’étouffe !” Le sang d’un million de victimes, aurait-il pu dire avec plus de vérité18. »
  • 12. 12 La Commune de Paris Les mêmes gentillesses ont été adressées à Marx et Engels lorsqu’ils ont inspiré la première révolution socialiste, la Commune de Paris, en 1871. Celle-ci a été le prolongement de la Révolution française dans l’époque historique nouvelle. Toute la bourgeoisie française tremblait d’horreur devant cette révolution dont elle était la cible. Elle utilisa deux tactiques différentes pour la maudire. Une fraction cracha son dégoût de la Commune de Paris en la liant aux « horreurs » de la Révolution française. Une autre fraction fit semblant de soutenir la révolution passée, pour charger avec plus de violence encore contre la révolution présente. Écoutons d’abord le comte de Laguéronnière : « La Commune de 1871 (…) faisait revivre, sous le même nom, la Commune de 1793, de sinistre mémoire. » « Robespierre, Couthon, Marat, Saint-Just, ces types maudits de la première république, ont été dépassés par leurs successeurs, qui ont fait ces quelques jours plus féconds pour la moisson de la mort qu’aucun monstre connu à aucune autre époque de malheurs19. » Les « monstres maudits » de la Commune de Paris et leur « moisson de la mort » : apparemment, la France de 1871 avait déjà ses « staliniens »… Voyons maintenant la seconde tactique. Dans un livre publié en 1871, Georges Morin s’acharne contre les Communards, mais il prétend, lui, soutenir la Révolution française de 1793 et « ses mesures nécessaires au salut public ». Puis il se hâte de souligner que son Robespierre a mené un combat implacable contre les précurseurs de la Commune de Paris, contre « les partisans du socialisme de Jacques Roux et leurs exagérations démagogiques violentes20 ». Cette double tactique est toujours très à la mode. Gorbatchev prétendait défendre la révolution bolchevique de Lénine, pour mieux attaquer le « régime totalitaire de Staline ». Puis, après la victoire de la contre-révolution, ses hommes proclameront que « toutes les tares du stalinisme – le totalitarisme, l’écrasement de la dissidence – remontent à Lénine21 ». L’ouvrage de Morin, publié en 1871, nous montre comment Marx fut attaqué par la bourgeoisie « éclairée » de son temps. Très peu de choses ont changé depuis. La défense des propriétaires du capital, de l’État, de la démocratie et de l’égalité bourgeoises sont toujours le point de départ des attaques contre le communisme. Morin attaque Marx à partir de ces positions : « L’État est le représentant des intérêts de tous, il ne doit pas sacrifier les uns au profit des autres; nous en avons assez de tous les despotismes. » « L’Internationale semble avoir juré la destruction du capital et de ceux qui le possèdent. Il ne s’agit plus d’élever les classes ouvrières au niveau des classes bourgeoises. L’Internationale veut assurer la suprématie aux ouvriers enrôlés sous ses drapeaux22. » Lorsque la lutte des opprimés éclate, Morin y voit le résultat d’un complot « longtemps préparé », l’œuvre d’une secte qui a « son grand-maître » et qui « inspire aux ouvriers la haine du capital »; les ouvriers ainsi manipulés sont ensuite « déchaînés contre la société ». Une entreprise aussi néfaste ne peut que sortir, bien évidemment, d’une tête « étrangère ». Aujourd’hui, les anticommunistes se servent toujours des mêmes ficelles.
  • 13. 13 Lisons la version de 1871 : « L’insurrection dont Paris a été la victime, avait son origine dans un plan depuis longtemps préparé; il était l’œuvre de ce Karl Marx, allemand, fondateur et grand-maître de l’Internationale. Ce plan menaçait tous les États d’Europe. Il s’agit de gagner les classes ouvrières, de leur inspirer la haine du capital (…) et de les enrégimenter; puis on doit les déchaîner contre les gouvernements établis (…) pour détruire la société actuelle. Une idée semblable ne pouvait sortir que d’une cervelle allemande23. » Voici maintenant en quels termes Morin déclara en 1871 « une guerre à mort contre l’Internationale » : « Le gouvernement de la Commune ne fut pas autre chose qu’une oligarchie dictatoriale. » « Les insurgés ont massacré des citoyens sans armes qui protestaient contre le crime au nom de la liberté violée. (…) L’Internationale existe plus menaçante que jamais; c’est à la société entière de lui faire une guerre à mort24. » Le communisme, c’est « la dictature d’une oligarchie » qui organise des « massacres de citoyens pacifiques »; contre le communisme, il faut « mener une guerre à mort ». Aujourd’hui, presque toutes les forces bourgeoises souscrivent à ces idées. Elles datent de la contre-révolution qui extermina en 1871 les héroïques Communards. Morin parle ensuite du socialisme proclamé par la Commune : « Les doctrines socialistes et humanitaires, ce sont des armes de combat, et pas autre chose. Séduisantes en apparence, elles sont immorales en réalité et absurdes en pratique. » « L’œuvre de la Commune n’a été que la destruction et le néant (…) ses réformes économiques ont été absurdes et dérisoires25. » Le communisme est « séduisant en théorie », mais en pratique c’est « la destruction » : une utopie « meurtrière et absurde ». C’est ce que nous avons lu dans nos journaux en 1989-1992. Cette « sagesse » date donc du temps où Thiers, le bourreau des Communards, déclara officiellement : « Nous sommes maîtres de Paris. Le sol est jonché de leurs cadavres. Ce spectacle affreux servira de leçon, il faut l’espérer, aux insensés qui osaient se déclarer partisans de la Commune26. » Et pourtant, malgré l’horreur des massacres de 1871, « spectacle affreux » qui devait « servir de leçon » aux générations suivantes, Lénine et Staline ont osé relever le drapeau de la Commune de Paris et vaincre. Un programme pour la révolution socialiste En ce cent cinquantième anniversaire du Manifeste, les adversaires de Marx recourront aux méthodes les plus subtiles pour combattre son message. Pour le défendre, nous n’en proposons qu’une seule : le lire et l’étudier. Une de leurs ruses sera de nous présenter un Marx apprivoisé. On dira énormément de bien de son œuvre, pour mieux en cacher les idées les plus importantes, les plus révolutionnaires, les plus inacceptables pour la bourgeoisie. On célébrera Marx, mais un Marx revu et corrigé, un Marx dépouillé de tout ce qu’il a de terrifiant pour les riches. Dans ce domaine, la bourgeoisie n’aura pas besoin de se fatiguer. Elle pourra simplement faire appel aux professeurs en marxisme de la social-démocratie.
  • 14. 14 Nous verrons plus loin comment Marx et Engels ont dénoncé dans leurs vieux jours les réformistes qui tentaient de s’emparer de la direction du mouvement socialiste. C’est après la mort d’Engels en 1895 que cette lutte entre réformistes et révolutionnaires a éclaté ouvertement. Elle a conduit à la rupture totale au cours de la Première Guerre mondiale. Dès la victoire de la révolution bolchevique en Russie, les sociaux-démocrates européens se sont attaqués avec une virulence particulière aux communistes. Selon les réformistes, les moyens des bolcheviks, « violents, arbitraires, antidémocratiques et terroristes », étaient condamnés à l’échec en Russie, pays arriéré qui n’était pas mûr pour le socialisme. À cette époque, nos sociaux-démocrates affirmaient poursuivre le même but final que les bolcheviks – le socialisme et la société sans classes – mais ils différaient sur les moyens. Les méthodes réformatrices, graduelles et « s’appuyant sur la mobilisation des larges masses », aboutiraient au véritable socialisme démocratique. Par un programme de réformes de plus en plus profondes, la social-démocratie éliminerait pas à pas le pouvoir du capital pour passer progressivement au socialisme. Aujourd’hui, nous savons que cette prétendue « voie démocratique vers le socialisme » a consisté à entraîner les ouvriers dans la boucherie de la Première Guerre mondiale, à écraser les insurrections ouvrières qui ont suivi cette guerre, à partir en guerre pour écraser la jeune Union soviétique et à justifier les guerres coloniales et le colonialisme. La « voie démocratique vers le socialisme » a conduit le président du Parti Ouvrier Belge (l’ancêtre du Parti socialiste), Henri De Man, à saluer l’occupation de la Belgique par les national-socialistes d’Hitler ! La « voie démocratique vers le socialisme » a amené un Paul-Henri Spaak à s’acoquiner avec la CIA pendant la guerre froide et à soutenir le pacte agressif de l’OTAN jusqu’à en devenir le secrétaire général. L’autre « socialiste » Willy Claes fera de même. Et aujourd’hui cette « voie » conduit à privatiser les entreprises publiques, à démanteler la Sécurité sociale, à comprimer les salaires, à introduire une flexibilité invivable, à liquider les délégués syndicaux combatifs, à transformer la gendarmerie en une super-police toute-puissante, à criminaliser le mouvement syndical et démocratique (article 342)… Le Marx que la social-démocratie nous offrira en cette année anniversaire sera un lion sans dents ni griffes. Nous reprendrons simplement quelques textes de Marx où le lion se présente dans toute sa combativité et avec toute son ardeur. Une autre ruse de la bourgeoisie sera de nous dire tout le bien qu’elle pense de Marx, pour mieux attaquer les grands continuateurs de son œuvre, Lénine et Staline. Par les conditions de leurs temps, Marx et Engels ont été essentiellement des théoriciens et des organisateurs du mouvement ouvrier. Mais cela leur a déjà valu la haine tenace de toute la bourgeoisie européenne. Lénine a réalisé la révolution socialiste dans un immense pays. Son « crime » contre la propriété capitaliste et le pouvoir établi fut bien sûr beaucoup plus inacceptable et la haine de la bourgeoisie pour son œuvre devint franchement féroce. Vint alors Staline. En trente ans, il a fait du marxisme une immense force matérielle à l’échelle mondiale. Staline a consolidé le pouvoir socialiste en Union soviétique, il a transformé le pays en une grande puissance industrialisée, il a construit une Armée rouge capable de vaincre le fascisme allemand, il a apporté son aide au triomphe de la
  • 15. 15 révolution socialiste en Chine et en Europe de l’Est. Chassée d’un tiers de la planète par le vieux spectre du communisme, la bourgeoisie a conçu une haine démentielle pour celui qui a été le plus grand bâtisseur du communisme. Dans l’histoire de la révolution socialiste, une chaîne indestructible lie Marx et Engels à Lénine et à Staline. Les réalisations pratiques de Lénine et de Staline ont dépassé les réalisations que l’histoire a permises aux temps des pionniers. Mais leur base théorique et politique était l’œuvre de Marx et Engels, l’œuvre intégrale, sans les révisions ni les falsifications des Kautsky, Vandervelde et autres socialistes bourgeois. Une même chaîne indestructible lie en effet, dans l’histoire de la contre-révolution, les idéologues de la social-démocratie à la bourgeoisie. Dans toutes les périodes où la lutte de la classe ouvrière a connu un essor, la bourgeoisie a eu besoin d’un personnel « spécialisé » pour combattre de l’intérieur le mouvement révolutionnaire au nom du « socialisme véritable ». Scheidemann et Kautsky en Allemagne, Vandervelde en Belgique, Kerenski et Martov en Russie, tous se sont épuisés en citations de Marx pour défendre le régime bourgeois et combattre le socialisme de Lénine et Staline. Les anticommunistes les plus habiles, ce sont eux ! Il est assez significatif que, dans le Livre noir du communisme, Courtois, le plus haineux des antimarxistes de service, cite abondamment Kautsky pour conclure : « (Voilà) l’enjeu de la querelle entre Kautsky et Lénine : démocratie ou dictature, humanité ou terreur27. » Nous nous attarderons donc un moment auprès du plus sophistiqué parmi les réformistes, Karl Kautsky, qui, dès 1895, date de la mort d’Engels, se considérait comme l’homme « le plus fort en théorie marxiste ». En 1930, il publie un ouvrage classique contre le communisme, Le bolchevisme dans l’impasse. Dans ce livre, il élabore en détail, dans un verbiage « marxiste », une stratégie qui doit conduire au renversement du pouvoir bolchevique. Selon Kautsky, la Russie connaissait « un nouveau servage communiste où le paysan devient un esclave dans les exploitations soviétiques. » « Depuis le coup d’État de 1917, (…) le bolchevisme est devenu un bonapartisme », c’est-à-dire une dictature de type fasciste : « Le fascisme n’est que le pendant du bolchevisme, Mussolini n’est que le singe de Lénine. » « Le bonapartisme de Staline est la pire, la plus forte des formes que puisse prendre la contre- révolution28. » Kautsky veut « une révolution démocratique » en Union soviétique dont « l’insurrection paysanne » sera le moteur. Cette « révolution » aura le soutien des ouvriers et intellectuels puisque « paysans, ouvriers et intellectuels (…) se placent sur le terrain de la démocratie ». « Si les prolétaires s’unissent aux paysans en vue de la lutte pour la démocratie, pour le suffrage universel égal et pour la République parlementaire, nous pouvons espérer voir la Russie rejeter le poids du cauchemar qui l’oppresse29. » Il est évident qu’en Union soviétique, en cette année 1930, les paysans riches, imbus des conceptions féodales les plus barbares, les anciens fonctionnaires, gendarmes et militaires tsaristes, les patrons expropriés ne pouvaient pas hésiter une seconde à se ranger derrière ce drapeau « marxiste » qui leur offrait l’espoir de la destruction du socialisme soviétique. Cette « révolution démocratique », préparée avec obstination tant par les hitlériens que, ensuite, par Reagan et Mitterrand, l’élève de Kautsky, a finalement eu lieu en 1990 avec les conséquences que l’on sait.
  • 16. 16 Ces positions de Kautsky nous aident à mieux comprendre comment des bourgeois peuvent invoquer le nom de Marx pour mieux combattre toutes ses idées essentielles et pour défendre « la démocratie » et la « république parlementaire » que Marx et Engels ont ridiculisées avec tant d’esprit. C’est ici le moment d’exposer brièvement les conceptions politiques fondamentales de Marx et Engels. Dans la théorie de la lutte de classes de Marx et Engels, nous voulons souligner trois points essentiels : 1. leur compréhension de la « démocratie » et de l’État bourgeois; 2. le rôle de la violence dans le passage au socialisme; 3. la définition du socialisme comme régime de la dictature du prolétariat. Dans un quatrième point, nous parlons de l’instrument que Marx et Engels ont créé pour réaliser leur programme : le parti révolutionnaire de la classe ouvrière. Sur ces quatre points, le Manifeste du Parti communiste contient déjà les idées fondamentales que ses auteurs développeront en profondeur tout au long de leur vie militante. Ce sont ces idées qui ont été mises en pratique par la révolution bolchevique, le plus grand affrontement entre la révolution et la contre-révolution que le monde ait connu jusqu’à présent. Et on peut dire que les thèses de Marx et Engels sont aujourd’hui plus pertinentes encore qu’elles ne l’étaient au siècle passé, maintenant que le capitalisme s’est étendu au monde entier, qu’il a obtenu une victoire dans sa lutte séculaire contre le socialisme et que toutes les contradictions économiques et sociales de notre monde s’aiguisent de façon dramatique. Démocratie, élections et pouvoir d’État Parlons d’abord de la démocratie et de l’État. La bourgeoisie définit la société dans laquelle elle règne comme étant « la démocratie ». Un Parti communiste qui s’oppose aux fondements du régime capitaliste devient pour elle « un ennemi de la démocratie ». Kautsky a combattu la révolution socialiste au nom de « la démocratie ». Et lorsque la bourgeoisie internationale a réussi à renverser le socialisme en Union soviétique et à y introduire le marché libre, elle l’a fait aussi au nom de cette même « démocratie ». Ce que nos riches appellent « la démocratie », Marx l’appelle « la dictature de la bourgeoisie ». Les moyens de production sont la source de toute la vie de la société. En « démocratie », les moyens de production sont la propriété privée des capitalistes qui décident arbitrairement de la vie des ouvriers, des travailleurs, des allocataires sociaux, des jeunes : ils ferment des usines, augmentent l’exploitation, diminuent les allocations de chômage, organisent l’enseignement en fonction des besoins du patronat. Ainsi, la possession des moyens de production permet aux capitalistes d’imposer, dans la vie quotidienne, leur dictature sur les travailleurs.
  • 17. 17 La fonction de l’État bourgeois, de ses lois, de ses institutions et de ses forces de répression, est essentiellement de protéger la libre mainmise des capitalistes sur « leurs » moyens de production. L’État est un organe de violence destiné à réprimer toute tentative de mettre en cause la base de toutes les injustices et inégalités : la propriété privée des moyens de production. L’État, l’instrument de la dictature de la bourgeoisie, peut par ailleurs réprimer par la violence « légale » toute lutte pour l’amélioration du sort des exploités, même si celle-ci ne met pas directement en cause la base de ce système. Voyons ce qu’il en est dans les œuvres de Marx et d’Engels. « L’État est l’État de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi la classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée30. » « Les classes possédantes tiennent en servitude le peuple travailleur non seulement par la puissance de leurs richesses, par la simple exploitation du travail par le capital, mais aussi par la force de l’État, par l’armée, la bureaucratie, les tribunaux31. » « Le pouvoir d’État n’est rien d’autre que l’organisation que les classes dominantes, propriétaires fonciers et capitalistes, se sont donnée pour préserver leurs privilèges32. » L’État bourgeois peut prendre différentes formes politiques, de la monarchie constitutionnelle au régime militaire, du fascisme à la république démocratique, mais ces formes diverses expriment toutes un même fond de classe : la dictature du capital sur le travail. Engels a écrit : « Dans la république démocratique, la richesse exerce son pouvoir d’une façon indirecte, mais d’autant plus sûre. D’une part, sous forme de corruption directe des fonctionnaires. D’autre part, sous forme d’alliance entre le gouvernement et la Bourse33. » « La République bourgeoise est la République des hommes d’affaires, où la politique est une affaire commerciale comme une autre34. » Ce que la bourgeoisie appelle « la démocratie », la seule, l’unique, la vraie « démocratie », est en réalité « sa » démocratie à elle, la démocratie bourgeoise. Démocratie pour la classe qui possède les moyens de production, elle devient, pour tout ce qui est essentiel et lorsque les choses deviennent sérieuses, dictature pour les travailleurs. C’est le caractère de classe de la société, qui rend hypocrites tous les grands mots tels que « la démocratie », « la justice », « les droits de l’homme ». Dans la société dominée par le capital, le sens pratique de ces mots est : démocratie pour les riches, justice contournable et bienveillante pour les bourgeois, droits de l’homme pour tous ceux qui défendent l’ordre établi. Mais de quelle « démocratie » ont joui les ouvriers de Renault-Vilvorde lorsqu’ils ont été jetés à la rue comme de vieux pneus ? De quelle « justice » ont bénéficié les sept jeunes immigrés abattus ces dernières années par les forces de répression et les soixante-treize enfants disparus cette dernière décennie en Belgique ? Quels « droits de l’homme » ont accordés nos Tobback et autres Vande Lanotte aux milliers de travailleurs « illégaux » expulsés et aux milliers de réfugiés politiques refoulés ? Dans la société bourgeoisie, la démocratie, la liberté et la justice sont accordées en général, mais niées, bafouées ou détruites dans la pratique pour les opprimés. Le peuple abstrait dispose de toutes les libertés mais une légion de dispositions légales permettent, en cas de « troubles sérieux » d’arrêter les dirigeants ouvriers, d’interdire les journaux, les tracts, les manifestations, les réunions et les « attroupements » de plus de cinq personnes… Marx : « Chaque paragraphe de la Constitution contient sa propre antithèse.
  • 18. 18 Dans le texte, la liberté; dans la marge, la suppression de cette liberté. L’existence constitutionnelle de la liberté reste entière, intacte, bien que son existence réelle soit totalement anéantie35. » Et les élections libres qui permettent d’élire démocratiquement le parlement censé faire les lois au nom du peuple ? Voici ce que Marx en disait en 1871 : « Elles consistent à décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante doit représenter et aider à réprimer le peuple au parlement36. » En 1884, Engels déclarait à ce propos : « La classe possédante règne directement au moyen du suffrage universel. Tant que la classe opprimée, le prolétariat ne sera pas encore assez mûr pour se libérer lui-même, il considérera dans sa majorité le régime social existant comme le seul possible et formera, politiquement parlant, la queue de la classe capitaliste37. » Dans les régimes bourgeois bien établis, les élections ne sont source d’aucun pouvoir, elles sont une vaste opération psychologique consistant à faire croire aux électeurs que leur voix peut déterminer la politique suivie par ceux qui gouvernent. Or, il n’en est rien. Les parlementaires sont élus par le peuple, mais légifèrent par la grâce du capital. L’issue des élections est déterminée surtout par les facteurs suivants : l’activité politique et sociale permanente des partis bourgeois financés par le capital; la mainmise de ces partis sur tout l’appareil d’État, leurs liens avec les Églises et avec l’enseignement; la domination des médias – télé, radio, presse – par les grands groupes financiers; le financement des campagnes électorales par la bourgeoisie; l’intoxication permanente contre les partis révolutionnaires qui représentent les intérêts des masses. Dans les conditions de la dictature de la bourgeoisie, le suffrage universel est un moyen pour légitimer cette dictature. L’élection par le peuple français de Louis-Bonaparte à la présidence de la République, en décembre 1848, a permis à celui-ci d’établir ensuite sa dictature personnelle. Engels : « Louis-Napoléon a montré comment, dans des conditions favorables, le suffrage universel peut être transformé en un instrument d’oppression des masses38. » Hitler, lui aussi, a plusieurs fois été plébiscité par le suffrage universel… Les questions décisives dans l’histoire ne sont jamais décidées par des élections, mais par la lutte des classes, par la révolution. Engels : « Le suffrage universel est l’index qui permet de mesurer la maturité de la classe ouvrière. Il ne peut être rien de plus, il ne sera jamais rien de plus dans l’État actuel. Le jour où le thermomètre du suffrage universel indiquera pour les travailleurs le point d’ébullition, ils sauront ce qu’il leur reste à faire39. » « Le suffrage universel (…) vous indique avec l’exactitude la plus irréprochable le jour où il faut en appeler à la révolution par les armes40. » C’est ce qu’au Chili, un certain Allende a oublié il y a vingt-cinq ans. Comme cet honnête homme ne voulait pas d’une révolution par les armes, c’est la contre-révolution qui l’a passé par les armes… L’État n’est pas du tout un appareil « démocratique » qui renaît des élections tous les quatre ou cinq ans.
  • 19. 19 C’est une machine d’oppression des classes laborieuses, machine construite au cours de plusieurs siècles par la bourgeoisie. Cette machine conditionne les élections, plutôt qu’elle n’en dépend. Après la première révolution socialiste, la Commune de Paris, Marx définit en 1871 l’État bourgeois comme « l’engin de guerre du Capital contre le Travail ». Tout au long du siècle qui a suivi, ce caractère de l’État a été renforcé. Marx a souligné deux autres caractéristiques de l’État bourgeois qui se sont affirmées depuis : le parlement perd de plus en plus son influence sur la gestion du pays et l’exécutif, le gouvernement, concentre de plus en plus tous les pouvoirs. Marx a anticipé la tendance générale à la fascisation de tous les États bourgeois au cours des années trente, tendance qui s’est approfondie depuis les années quatre-vingts et qui s’exprime notamment dans le gonflement affolant des effectifs et des pouvoirs de la gendarmerie. Face à toutes les théories mystificatrices sur l’État bourgeois, qui pourrait nier l’actualité et la pertinence des propos suivants de Marx ? « Le pouvoir centralisé de l’État, avec ses organes, partout présents : armée permanente, police, bureaucratie, clergé et magistrature, date de l’époque de la monarchie absolue. Au fur et à mesure que le progrès de l’industrie moderne développait, élargissait, intensifiait l’antagonisme de classe entre le Capital et le Travail, le pouvoir d’État prenait de plus en plus le caractère d’un pouvoir national du Capital sur le Travail, d’un appareil de domination de classe. Après chaque révolution qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir d’État apparaît de façon de plus en plus ouverte. En présence de la menace de soulèvement du prolétariat, la classe possédante unie utilisa alors le pouvoir de l’État, sans ménagement et avec ostentation, comme l’engin de guerre national du Capital contre le Travail. Dans sa croisade permanente contre la masse des producteurs, elle fut forcée non seulement d’investir l’exécutif de pouvoirs sans cesse accrus de répression, mais aussi de dépouiller peu à peu sa propre forteresse parlementaire, l’Assemblée nationale, de tous ses moyens de défense contre l’exécutif41. » La violence révolutionnaire De l’analyse que Marx a faite de la dictature de la bourgeoisie, de la nature de son État et de sa « démocratie », découle sa théorie sur la violence révolutionnaire comme unique voie de la libération des masses travailleuses. « Nous ne l’avons jamais dissimulé : le terrain sur lequel nous agissons, ce n’est pas le terrain légal, c’est le terrain révolutionnaire42. » « Nous devons déclarer aux gouvernements : nous savons que vous êtes la force armée contre les prolétaires. Nous agirons pacifiquement contre vous là où cela nous sera possible, et par les armes quand cela sera nécessaire43. » Tout au long de leur vie, Marx et Engels ont été catégoriques sur ce point et seuls des personnages malhonnêtes peuvent vendre frauduleusement la « voie pacifique » sous l’étiquette de « marxisme ». Déjà en 1848, dans le Manifeste, ils écrivaient : « Le prolétariat fonde sa domination par le renversement violent de la bourgeoisie. » Quarante et un ans plus tard, le vieil Engels répète avec la même énergie : « Le prolétariat ne peut s’assurer la prédominance politique – l’unique porte ouvrant sur la société nouvelle – sans une révolution violente44. »
  • 20. 20 Au moment où l’Angleterre ne disposait pas d’importantes forces de répression dressées contre le prolétariat, Marx a affirmé que « les travailleurs anglais peuvent espérer atteindre leurs buts par des moyens pacifiques ». Depuis, tous les opportunistes que le mouvement marxiste a connus, se sont hardiment armés de cette demi-phrase. Mais même cette paille ne peut pas sauver ces naufragés. À la question précise d’un journaliste : « Il semble qu’en Angleterre, la solution puisse être obtenue sans révolution violente ? », Marx répondait : « Aussitôt que la bourgeoisie anglaise se verra mise en minorité sur des questions qu’elle considère comme vitales, nous verrons ici une nouvelle guerre esclavagiste45. » Marx n’est pas du tout un « fanatique » de la violence. Elle n’est pas son premier principe. Son point de départ est le constat des innombrables « orgies de sang » dans lesquelles la bourgeoisie noie les mouvements pour l’émancipation nationale et sociale. Après la terreur qui a liquidé par dizaines de milliers les Communards, Marx écrit : « La civilisation et la justice de l’ordre bourgeois se montrent sous leur jour sinistre chaque fois que les esclaves de cet ordre se lèvent contre leurs maîtres. Alors, cette civilisation et cette justice se démasquent comme la sauvagerie sans masque et la vengeance sans loi. » « Tout ce concert de calomnies que le parti de l’ordre ne manque jamais, dans ses orgies de sang, d’élever contre ses victimes, prouve seulement que le bourgeois de nos jours se considère comme le successeur légitime du baron de jadis, pour lequel toute arme dans sa propre main était juste contre le plébéien, alors qu’aux mains du plébéien, la moindre arme constituait par elle-même un crime46. » Au moment où la police de tous les pays européens possède un arsenal d’armes de guerre des plus sophistiquées, un bâton, une pierre ou un cocktail Molotov aux mains d’un jeune immigré des banlieues de Paris, Lyon ou Bruxelles devient un crime punissable d’un an à trois ans de prison ! Au moment où l’impérialisme américain concentre toute sa panoplie d’armes les plus barbares contre l’Irak, un pays qui a vu 700 000 de ses hommes, femmes et enfants massacrés par la guerre et le blocus, quelques vieilles armes hypothétiques aux mains des Irakiens constituent « une menace pour l’humanité ». Par rapport au temps de Marx, la bourgeoisie multiplie aujourd’hui par mille l’ampleur de ses orgies sanglantes et la férocité de ses mensonges et calomnies. La question de la violence comme « accoucheuse de la nouvelle société » est vraiment au centre de la pensée de Marx et Engels. À tel point qu’en 1879 ils déclarent une guerre ouverte aux dirigeants du Parti social-démocrate allemand qui prônent la « voie pacifique ». Marx les appelle carrément « de pauvres contre-révolutionnaires ». Voici en quels termes Marx et Engels, dans une « lettre circulaire » à tous les dirigeants, s’expriment : « (Les opportunistes affirment) : “Le parti montre qu’il n’est pas disposé à entrer dans la voie de la révolution sanglante et violente, mais qu’il est décidé à prendre la voie de la légalité, c’est-à-dire des réformes.” Aujourd’hui, les électeurs sociaux- démocrates ne veulent pas enfoncer les murs avec leur tête en tentant une “révolution sanglante” se trouvant à un contre dix. Cela prouverait donc qu’ils font vœu de ne jamais profiter d’un événement violent de politique extérieure, d’une subite poussée révolutionnaire consécutive et même de la victoire du peuple gagnée dans la collision ainsi survenue ? Si un jour Berlin se montre de nouveau si mal élevé pour faire un 18 mars (début de la révolution de 1848), les sociaux-démocrates devront alors plutôt “prendre la voie de la légalité”, enlever les barricades et, si besoin est, marcher au pas avec les troupes glorieuses contre les masses aveugles, brutales et illettrées47. »
  • 21. 21 On s’étonne de la perspicacité de Marx et Engels, géniale dans ce cas. En effet, « l’événement violent de politique extérieure » en Allemagne, ce fut le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Après quatre années de massacres sans pareils dans l’histoire, les ouvriers de Berlin, sous la conduite de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, se sont insurgés à Berlin, comme Marx l’avait imaginé. Et Noske, Ebert et Scheidemann, ces dirigeants réformistes opposés à « la révolution sanglante », ont effectivement « marché au pas avec les troupes réactionnaires ». Pire, ils les ont dirigées en tant que ministres de la bourgeoisie ! Ces réformistes se sont retrouvés jusqu’aux genoux dans le sang de 30 000 ouvriers massacrés sur leurs instructions ! La dictature du prolétariat Dans son essence, la société capitaliste est caractérisée par la dictature de la bourgeoisie : dictature économique, politique, idéologique et militaire. Il s’ensuit que le noyau du marxisme est sa théorie de la dictature du prolétariat. Quand Marx doit résumer son apport à la science politique, c’est à cette question qu’il renvoie. « En ce qui me concerne, ce n’est pas à moi que revient le mérite d’avoir découvert ni l’existence des classes dans la société moderne, ni la lutte entre elles. Longtemps avant moi, des historiens bourgeois avaient décrit le développement historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient exprimé l’anatomie économique. Ce que je fis de nouveau, ce fut : 1. démontrer que l’existence des classes n’est liée qu’à des phases de développement historique déterminé de la production; 2. que la lutte des classes conduit nécessairement à la dictature du prolétariat; 3. que cette dictature elle-même ne constitue que la transition à l’abolition de toutes les classes et à une société sans classes48. » Pour Marx, la prise du pouvoir par le prolétariat et les classes travailleuses est le début d’un très long processus historique au cours duquel l’humanité passera de l’économie capitaliste à l’économie communiste. L’économie communiste sera caractérisée par un haut développement intellectuel et moral de l’homme et par un accroissement phénoménal de sa force productive. Le travail sera devenu le premier besoin de l’homme, chacun travaillera selon ses capacités et recevra de la société tout ce dont il aura besoin. La différence entre le travail intellectuel et manuel aura disparu, ainsi que la différence entre la ville et la campagne. Pour y arriver, il faudra une longue période de transformations révolutionnaires de la société et des hommes. Ce processus de transformation ne peut être accompli que par l’État de la dictature du prolétariat. Quand la société aura atteint le stade du communisme, l’État proprement dit, c’est-à-dire une machine nécessaire pour opprimer certaines classes ou résidus de classes, cessera d’exister. Marx le formule ainsi : « Si les ouvriers substituent leur dictature révolutionnaire à la dictature de la bourgeoisie, ils donnent à l’État une forme révolutionnaire et transitoire49. » « Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de celle-là en celle-ci. À quoi correspond une période de transition politique où l’État ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat50. »
  • 22. 22 Sous le socialisme, la lutte des classes et la révolution doivent continuer parce qu’il y a toujours des forces qui tentent de rétablir l’exploitation de l’homme par l’homme. Aussi longtemps qu’existent des différences de classes et que circulent des idées réactionnaires, se trouve une base pour un processus contre-révolutionnaire. Marx le disait : « Le socialisme est la déclaration permanente de la révolution, la dictature de classe du prolétariat, comme point de transition nécessaire pour arriver à la suppression des différences de classes en général, (…) au bouleversement de toutes les idées qui émanent des relations sociales de la période capitaliste51. » Inutile de préciser que toutes ces thèses sont depuis longtemps combattues par la social- démocratie. Mais il est plus intéressant de s’attarder un instant aux positions de Khrouchtchev. Il attaqua avec une violence extrême la politique de Staline. Il prétendait qu’en 1936 déjà, le danger d’une restauration avait disparu et que l’épuration organisée par Staline avait été arbitraire et criminelle. En 1956, Khrouchtchev affirmait qu’il n’y avait plus le moindre danger de restauration capitaliste et que, par conséquent, la dictature du prolétariat avait perdu sa raison d’être. Il promettait une progression économique et intellectuelle si rapide que l’Union soviétique accéderait au stade du communisme en… 1980 ! Toutes ces affirmations antimarxistes ont été ridiculisées par l’évolution réelle de l’Union soviétique. En 1990, année où elle aurait dû se trouver en plein communisme, sans différentiation de classes aucune, le capitalisme le plus sauvage a été restauré et l’Union soviétique s’acheminait vers son éclatement… Voyons maintenant quelles sont les tâches essentielles qui doivent être accomplies, selon Marx et Engels, par la dictature du prolétariat. La première fonction de l’État socialiste est d’organiser les prolétaires et les masses travailleuses pour dépouiller les capitalistes de leur pouvoir économique et politique et pour réprimer toutes leurs tentatives de reprendre le pouvoir. C’est ce que Lénine et Staline ont fait. Marx : « Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat52. » Engels : « Une révolution est l’acte par lequel une fraction de la population impose sa volonté à l’autre au moyen de fusils, de baïonnettes et de canons. Le parti victorieux, s’il ne veut pas avoir combattu en vain, doit continuer à dominer avec la terreur que ses armes inspirent aux réactionnaires53. » Khrouchtchev déclarait en 1956 qu’il n’y avait plus de forces bourgeoises à réprimer. Et trente ans plus tard, Gorbatchev rétablissait la dictature de la nouvelle bourgeoisie… Passons à la deuxième fonction de la dictature du prolétariat. Le pouvoir socialiste doit briser la machine de l’État bourgeois, démanteler les institutions qui servent directement la bourgeoisie, briser les liens entre l’État et les classes exploiteuses, chasser les fonctionnaires qui appartiennent aux milieux bourgeois. Lénine et Staline ont appliqué ces consignes. Marx : « La Commune de Paris dut reconnaître d’emblée que la classe ouvrière, une fois au pouvoir, ne pouvait continuer à administrer avec la vieille machine d’État. La classe ouvrière devait éliminer la vieille machine d’oppression jusqu’alors employée contre elle-
  • 23. 23 même54. » Le vieil appareil d’État est un lieu où les forces et les habitudes de la bourgeoisie peuvent être maintenues, il peut devenir le point de regroupement de la bourgeoisie. Si les anciennes institutions ne sont pas détruites et supprimées, dit Marx sur base de son expérience de la révolution allemande de 1848-1849, « le parti vaincu renforce ses positions dans l’administration et dans l’armée » et se prépare à la contre- révolution55. La troisième fonction de la dictature du prolétariat est de veiller à ce que la bourgeoisie ne puisse pas renaître au sein des structures socialistes. Comme le dit Marx, la Commune de Paris a dû « prendre des assurances contre ses propres mandataires et fonctionnaires en les proclamant, en tout temps et sans exception, révocables56. » Les élus de la Commune étaient essentiellement des ouvriers et des travailleurs qui ne devaient pas seulement faire les lois, mais aussi participer à leur exécution. Ils étaient responsables de leurs actes et révocables par leurs électeurs. Ils étaient rémunérés à un salaire d’ouvrier. L’armée était remplacée par une garde nationale constituée en majorité par des ouvriers. La défense était assurée par le peuple en armes. Les policiers étaient responsables de leurs actes et révocables. Magistrats et juges étaient élus, responsables de leurs actes et révocables. L’idée directrice était de constituer un nouvel appareil d’État au service des travailleurs et contrôlé par eux et d’empêcher que cet appareil ne puisse se détacher des travailleurs pour ensuite les dominer57. En Union soviétique, la lutte contre la bureaucratisation de l’appareil du Parti et de l’État a été un des aspects les plus difficiles de la continuation de la révolution sous le socialisme. En 1937, Staline a organisé des élections pour les organisations de base du Parti qui ont conduit à un changement de 55% des cadres inférieurs. L’épuration de la même année a frappé un grand nombre de bureaucrates des échelons supérieurs. Khrouchtchev et surtout Brejnev ont critiqué violemment la politique de Staline en cette matière et ils ont garanti la « tranquillité » à la bureaucratie du Parti et de l’État qui deviendra la force sociale principale œuvrant pour la restauration capitaliste. La quatrième fonction de la dictature du prolétariat est la réorganisation de l’économie sur une base socialiste. Marx : « Après la victoire du prolétariat, c’est justement l’État qui représente l’unique organisation que la classe ouvrière triomphante trouve en place pour son usage. Certes, cet État demande d’importantes modifications avant de pouvoir assumer ses nouvelles fonctions. Mais c’est le seul appareil à l’aide duquel le prolétariat triomphant peut (…) réaliser la révolution économique de la société sans laquelle toute sa victoire se terminerait inexorablement par une défaite et l’extermination massive des ouvriers, comme ce fut le cas après la Commune de Paris58. » Staline a pris à cœur l’application de cette directive. L’industrialisation socialiste et la collectivisation de l’agriculture ont été justement cette « révolution économique » qui a permis d’éviter « la défaite et l’extermination massive des ouvriers » lorsque les nazis se sont rués sur l’Union soviétique. L’industrialisation et la collectivisation n’ont pu être réalisées qu’à travers des batailles acharnées contre les anciennes classes exploiteuses. Il n’y a pas le moindre doute que, sans la victoire de l’industrialisation et de la collectivisation, Hitler aurait triomphé. Les sociaux-démocrates qui ont fulminé contre le « caractère forcé » de l’industrialisation et de la collectivisation, ont démontré ainsi dans quel camp ils se trouvaient.
  • 24. 24 Un parti de classe et conscient de l’être Marx et d’Engels ont toujours eu comme préoccupation principale dans leurs activités politiques la formation d’un parti de classe, d’un parti prolétarien constitué de tous les travailleurs qui acceptent le programme communiste. Engels affirme sans ambages : « Une chose dans notre tactique demeure invariable pour tous les pays et tous les temps : amener les ouvriers à créer leur propre parti autonome, opposé à tous les partis bourgeois59. » Opposé à tous les partis bourgeois Le parti joue le rôle déterminant, irremplaçable, dans l’accomplissement des deux tâches fondamentales du programme communiste : la réalisation de la révolution violente et l’instauration de la dictature du prolétariat. Engels exprime cette vérité dans les termes suivants : « Le prolétariat ne peut conquérir le pouvoir politique – seule porte donnant sur la société nouvelle – sans révolution violente. Pour qu’au jour de la décision, le prolétariat soit assez fort pour vaincre – et cela, Marx et moi nous l’avons défendu depuis 1847 – il est nécessaire qu’il forme un parti autonome, séparé de tous les autres et opposé à eux tous, un parti de classe conscient de l’être60. » « Tout parti véritablement prolétarien a toujours posé comme but premier de la lutte, la dictature du prolétariat61. » Mais créer un parti de classe, un parti fidèle aux intérêts immédiats et historiques des travailleurs, est une tâche extrêmement compliquée. Pour y réussir, ses dirigeants doivent être fidèles aux principes du socialisme scientifique et éviter l’écueil des différentes conceptions pseudo-socialistes. Engels a eu ce mot célèbre : « Ne jamais oublier que le socialisme, depuis qu’il est devenu une science, veut être traité, c’est-à- dire étudié, comme une science. La tâche consistera, ensuite, à répandre les conceptions toujours plus claires, ainsi acquises, et à consolider de plus en plus puissamment l’organisation du Parti et celle des syndicats62. » Dans un chapitre brillant du Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels ont expliqué que la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie élaborent des programmes « socialistes » et créent des partis « socialistes » pour entraîner le prolétariat dans leur sillage et pour réaliser leurs ambitions propres. En suivant cette voie, la classe ouvrière restera toujours soumise à la dictature du capital. En 1850, Marx et Engels ont approfondi ces idées du Manifeste sur base de leur expérience au cours de la révolution allemande. Ils écrivent dans une Adresse à la Ligue des Communistes : « En ce moment où les petits-bourgeois démocratiques sont partout opprimés, ils prêchent au prolétariat l’union et la réconciliation. Ils lui tendent la main et s’efforcent de mettre sur pied un grand parti d’opposition. Ils s’efforcent de prendre les ouvriers au piège d’une organisation de parti qui sert de paravent à leurs propres intérêts particuliers et où les revendications particulières du prolétariat ne doivent pas être formulées. Le prolétariat perdrait toute sa position indépendante, conquise au prix de tant de peines, et retomberait au rang de simple appendice de la démocratie bourgeoise officielle63. » Le danger que Marx et Engels signalent ici s’est pleinement réalisé en Belgique où le Parti Ouvrier Belge, l’ancêtre du PS et du SP, a été dès le début ce « grand parti
  • 25. 25 d’opposition » où le prolétariat a servi de force d’appui aux chefs de la petite-bourgeoisie démocratique. « En théorie zéro, en pratique bons à rien » Partout en Europe, Marx et Engels ont impulsé la création de partis prolétariens en rupture avec le socialisme bourgeois et petit-bourgeois. Mais dès que les partis marxistes ont acquis une réelle influence de masse, l’influence de la petite-bourgeoisie s’est fait sentir en leur sein. Le parti social-démocrate allemand a connu un développement important après 1870, au point que Bismarck a fait adopter une « loi contre les socialistes » en octobre 1878. Les organisations ouvrières et leur presse ont été interdites. En 1879, trois intellectuels du parti, Höchberg, Bernstein et Schramm, qui ont tous subi l’influence de Dühring, éditent l’organe central du parti à Zürich. En fait, à travers eux, le socialisme petit-bourgeois, combattu par Marx depuis le Manifeste, prend le pouvoir idéologique dans le plus important parti marxiste… Dans une lettre circulaire d’une grande portée historique, Engels déclare la guerre à l’opportunisme qui prône une alliance avec la bourgeoisie démocratique. Cet opportunisme s’exprime dans la phrase : « Plus le Parti saura demeurer calme, objectif et réfléchi dans sa critique des conditions existantes et dans ses projets de changement, et moins il sera possible à la réaction d’intimider la bourgeoisie en agitant le spectre de la terreur rouge. » Engels réplique à cela de façon cinglante, avec une référence claire au Manifeste : « Afin d’enlever à la bourgeoisie la dernière trace de peur, il faut lui démontrer clairement et simplement que le spectre rouge n’est vraiment qu’un spectre, qu’il n’existe pas. Or, qu’est-ce que le secret du spectre rouge, si ce n’est la peur de la bourgeoisie de l’inévitable lutte à mort qu’elle aura à mener avec le prolétariat ? (…) (Les trois rédacteurs) sont les représentants de la petite-bourgeoisie qui manifestent leur peur que le prolétariat, entraîné par la situation révolutionnaire, “n’aille trop loin”. Au lieu de la franche opposition politique, ils recherchent le compromis général; au lieu de lutter contre le gouvernement et la bourgeoisie, ils cherchent à les gagner à leur cause par la persuasion; au lieu de résister avec un esprit de fronde à toutes les violences exercées d’en haut, ils se soumettent avec humilité et avouent qu’ils méritent d’être châtiés. Nos sociaux-démocrates d’aujourd’hui considèrent le renversement de l’ordre capitaliste comme un objectif lointain et, par conséquent, comme quelque chose qui n’a absolument aucune incidence sur la pratique politique du présent. La lutte de classes entre prolétariat et bourgeoisie, on la reconnaît sur le papier, mais dans la pratique on la camoufle, on la dilue et on l’édulcore64. » Marx y ajoutait dans une lettre à Sorge : « Ces gens-là, en théorie zéro, en pratique bons à rien, veulent extirper les dents au socialisme et rendre le Parti respectable aux yeux des petits-bourgeois. Ce sont de pauvres remueurs de langue contre-révolutionnaires. Ils sont déjà tellement atteints d’idiotisme parlementaire qu’ils croient être au-dessus de la critique65. » Toutes ces paroles s’appliquent parfaitement au Parti Ouvrier Belge dès sa fondation en 1885, comme un récent numéro d’Études Marxistes l’a brillamment démontré66.C’est bien l’idéologie du Parti socialiste belge qui était « dépassée » dès son origine. Et la
  • 26. 26 critique du réformisme, formulée par Marx et Engels en 1879, n’a rien perdu de son mordant ni de son actualité. Trois années plus tard, une même lutte idéologique éclata au sein du parti français où Guesde et Lafargue défendaient le marxisme et où Malon et Brousse prônaient le réformisme, appelé « possibilisme ». Engels commentait : « En France, la scission tant attendue a eu lieu. La divergence tient à une question de principe : la lutte doit-elle être menée comme une lutte de classe du prolétariat contre la bourgeoisie, ou est-il admissible de renoncer en opportunistes (en possibilistes) au caractère de classe du mouvement et au programme, chaque fois que cela permettrait d’obtenir davantage de voix, de partisans ? Le développement du prolétariat s’accompagne partout de luttes intérieures. Ceux qui ont, comme Marx et moi, combattu toute leur vie les soi-disant socialistes plus que quiconque, ceux-là ne seront pas trop désolés de voir éclater l’inévitable lutte67. » Quelques années plus tard, Engels disait des dirigeants réformistes qu’ils forment « une bande d’intrigants et d’arrivistes qui ne cessent de trahir les véritables principes du Parti face à la bourgeoisie régnante et renoncent aux méthodes de lutte éprouvées pour assurer des places à eux-mêmes, et aux ouvriers qui les suivent de petits, d’infimes avantages68. » Ainsi, nous voyons que Marx et Engels, de leur vivant, ont déjà dû dénoncer le courant réformiste au sein du mouvement marxiste, courant qui deviendra dominant dans la social-démocratie européenne après la mort d’Engels en 1895. La lutte que Lénine et Staline ont menée de 1900 à 1919 contre la social-démocratie réformiste et traître est donc la continuation directe du combat idéologique initié par Marx et Engels. Du 2 au 6 mars 1919 a eu lieu à Moscou le premier congrès de l’Internationale communiste où 35 partis ont levé haut le drapeau de Marx et Engels. La révolution, processus international L’actualité de Marx et Engels réside aussi dans leur vision de la révolution socialiste en tant que processus mondial. Pour chaque période de la lutte des classes, ils ont été capables de faire une analyse de toutes les forces qui agissaient sur la scène internationale et de leur interaction. Nous traiterons quatre points dans ce chapitre. 1. l’internationalisme prolétarien de Marx et Engels. 2. leurs idées sur la menace d’une guerre mondiale et sur la stratégie à suivre dans cette éventualité. 3. leur estimation du rôle révolutionnaire que pourra jouer la Russie. 4. leur compréhension des bouleversements dans le tiers monde. L’internationalisme Marx et Engels ont mis en évidence le rôle révolutionnaire de la bourgeoisie, consistant à créer des forces de production modernes et un marché mondial qui permettent l’intercommunication universelle de l’humanité. Leur vision de la révolution socialiste est mondiale : « Une grande révolution sociale devra maîtriser les réalisations de l’époque bourgeoise et les soumettre au contrôle commun des peuples69. »
  • 27. 27 Déjà dans le Manifeste, l’internationalisme prolétarien est présenté comme un élément fondamental qui distingue le Parti communiste de tous les autres : « Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, les communistes mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. » Dix-huit ans plus tard, Marx rédige sa célèbre Critique du programme de Gotha où il défend les principes du Manifeste contre les courants nationalistes. Le Parti socialiste allemand notamment oublie le premier principe : « la fraternité internationale des classes ouvrières dans leur lutte commune contre les classes dominantes et leurs gouvernements70. » Au même moment, Engels souligne pour ses compatriotes ce devoir crucial : « Avant tout, il s’agit de maintenir le véritable esprit international qui n’admet aucun chauvinisme patriotique et qui salue avec joie tout nouveau progrès du mouvement prolétarien, de quelque nation qu’il provienne71. » En 1893, Engels reproche amèrement aux socialistes français leur chauvinisme et leur idée que la France doit nécessairement jouer un rôle directeur dans la révolution socialiste, comme elle le fit dans la révolution bourgeoise : « Ni Français, ni Allemands, ni Anglais n’auront, à eux seuls, la gloire d’avoir écrasé le capitalisme. Si la France – peut- être – donne le signal, ce sera en Allemagne, le pays le plus profondément travaillé par le socialisme, que la lutte se décidera, et encore ni les Français, ni les Allemands n’auront définitivement assuré la victoire tant que l’Angleterre restera aux mains de la bourgeoisie. L’émancipation du prolétariat ne peut être qu’un fait international. Si vous tâchez d’en faire un fait simplement français, vous la rendez impossible72. » Marx et Engels ont toujours souligné que les ouvriers de n’importe quel pays doivent voir leur lutte dans le cadre global des révolutions antiféodale et socialiste et la subordonner aux nécessités de ces révolutions. Ils se sont toujours opposés avec énergie à la poursuite d’objectifs partiels qui entraient en contradiction avec les objectifs de la révolution universelle. Ainsi, au cours de la révolution européenne de 1848, Marx et Engels soutiennent à fond la lutte pour l’indépendance de la Pologne – pour l’unique raison qu’elle s’attaque aux trois grandes puissances de la réaction féodale : la Russie, la Prusse et l’Autriche qui se sont partagé la Pologne. Marx et Engels soutiennent la lutte nationale des Polonais uniquement parce qu’elle affaiblit la féodalité et participe, de ce fait, à la révolution antiféodale. Au même moment, Marx et Engels combattent le « panslavisme démocratique » qui soutient « l’indépendance et la liberté » des peuples tchèque, croate, slovène et morave. Ils combattent l’indépendance de ces « peuples contre-révolutionnaires » qui se sont engagés à écraser les insurrections démocratiques dans l’empire autrichien et qui font le jeu de la réaction féodale russe et autrichienne. « Les Tchèques et les Slaves du Sud ont, au moment décisif et pour leurs intérêts nationaux mesquins, trahi la révolution anti- féodale », déclare Engels73. En Belgique, nous sommes particulièrement bien servis en « intérêts nationaux mesquins » ! En 1795, ce qui est devenu plus tard la Belgique était rattaché à la France révolutionnaire. À ce moment, toutes les forces contre-révolutionnaires s’étaient liguées
  • 28. 28 contre la France : l’empire anglais et les puissances féodales – la Prusse, la Russie et l’Autriche. C’est à l’empire autrichien que la Belgique avait appartenu jusqu’à son rattachement à la France. En 1798, éclatait la « Guerre des paysans », essentiellement en pays flamand. Elle s’attaquait à tous les éléments progressistes de la Révolution française. Sa devise était : « Vive l’Empereur » (l’empereur autrichien). Sa force dirigeante était constituée par la noblesse de la campagne et le clergé réactionnaire. Les villes flamandes fermaient leurs portes devant ces troupes sortant tout droit du moyen âge. Toutes les forces révolutionnaires voulaient la défaite de ce mouvement clérico- féodal qui était le précurseur du « nationalisme » flamand le plus étriqué et obscurantiste. En 1916-1917, dans tous les pays, les travailleurs embrigadés dans les armées bourgeoises commençaient à comprendre le caractère criminel de la guerre mondiale inter-impérialiste. Seule l’insurrection socialiste pouvait mettre fin à celle-ci et à la dictature bourgeoise, source de la guerre. Autour de l’Yser, le prolétariat du monde entier se faisait décimer : il y avait, à côté des Belges de langue néerlandaise et française, des Français, des Anglais et des Allemands, ainsi que des Sénégalais, des Marocains, des Indiens et des Chinois ! Dans leur haine commune de la guerre et de la bourgeoisie s’exprimait comme nulle part ailleurs au monde l’internationalisme prolétarien. Or, en Flandre, la réaction, œuvrant directement pour l’impérialisme allemand, provoqua un mouvement « national » contre-révolutionnaire. Ce dernier s’opposait farouchement à la révolution prolétarienne qui, seule, pouvait libérer les ouvriers et paysans, qu’ils parlent le français ou le néerlandais, de la domination bourgeoise. Au cours de l’hiver 1960-61, un formidable mouvement de grève déferlait sur toute la Belgique et développait la conscience anticapitaliste. Dans la partie francophone, le PS tenta désespérément de détourner le mouvement et mit en œuvre une intoxication que nous subissons aujourd’hui depuis trente-huit ans : « Le fédéralisme va sauver la Wallonie ! » Le fédéralisme, mot d’ordre de la droite flamande, serait devenu une arme anticapitaliste de l’autre côté de la « frontière linguistique ». C’est ainsi que la mesquinerie nationaliste a été injectée dans une classe ouvrière qui avait de grandes traditions internationalistes, et qui, au siècle passé, avait élu à Liège le premier député socialiste flamand, le Gantois Anseele… Vers une guerre mondiale À partir de 1885, Engels évoqua le danger d’une guerre mondiale dévastatrice. Il analysa trois facteurs qui poussaient l’Europe vers la guerre. D’abord, la rivalité entre la bourgeoisie française et allemande pour la suprématie en Europe s’amplifiait. La guerre entre la France et l’Allemagne s’était terminée en 1871 par l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne. « L’annexion de l’Alsace-Lorraine, cause immédiate de la folle course aux armements, a bien excité le chauvinisme des bourgeoisies française et allemande74. » Cette annexion était une injustice, mais les ouvriers français ne devaient pas placer cet intérêt national très limité au-dessus de l’intérêt général de la révolution socialiste européenne. « Entre une France et une Allemagne socialistes, il ne peut y avoir de question d’Alsace-Lorraine. Les patriotes d’Alsace-Lorraine ne sauraient-ils attendre ? Y a-t-il là matière à dévaster tout un continent75 ? » Oui, répondaient en 1914 les opportunistes français autour de Jaurès et Thomas…