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PRÄDIKTIVE NEUROWISSENSCHAFTEN / NEUROSCIENCES PRÉDICTIVES / PREDICTIVE NEUROSCIENCES
Bioethica Forum / 2015 / Volume 8 / No. 4	 133
Point de vue
L’expertise psychiatrique pénale et les neurosciences
Gérard Niveaua
a Médecin adjoint agrégé, Privat docent à la faculté de médecine de Genève, Centre Universitaire Romand de Médecine Légale
Les acteurs du procès pénal, et bien souvent l’opinion
publique, attendent de l’expert psychiatre bien plus
qu’un avis sur la responsabilité et le risque de récidive.
Ce qu’ils sollicitent au fond est une explication scienti-
fique du comportement humain déviant, autant dire une
révélation divinatoire qui aurait un caractère rationnel
[1]. La petite histoire de la psychiatrie légale montre une
galerie de portraits d’experts qui chacun à leur manière
ont tenté de franchir l’obstacle de la boite noire qu’est
le cerveau humain: Esquirol et les monomanies, Morel
et la dégénérescence, Gall et les penchants, Lombroso
et la phrénologie, les psychanalystes et l’inconscient, les
psychopharmacologues et les ­neurotransmetteurs …
Que nous apprend cette revue quelque peu syncopée?
D’une part que sur le chemin qui va l’obscurantisme à
la méthode scientifique, beaucoup de sottises ont été
dites et beaucoup d’erreurs commises au nom de la
­modernité [2]. D’autre part que lorsqu’une nouvelle
technique apparaît sur le marché de l’exploration du
psychisme, elle est toujours utilisée dans le domaine de
l’expertise pénale. La raison n’en est pas conjoncturelle
mais structurelle. Il est en effet inhérent au processus
de l’expertise que les parties tentent de mobiliser tous
les moyens à disposition pour parvenir à leur fin, les
moyens les plus récents et prétendument les plus scien-
tifiques ayant toujours dans cet optique une valeur plus
spectaculaire que les plus anciens, déjà soumis à des
décennies de critiques et de remise en cause [3]. Dès
lors la question n’est pas de savoir si les neurosciences
doivent être utilisées dans le cadre des expertises pé-
nales. La question est de savoir comment les mettre en
œuvre sans répéter les erreurs du passé.
Deux grands axes peuvent être proposés pour canaliser
l’usage des neurosciences dans l’expertise pénale: la
valeur probante et l’éthique de l’impartialité.
Lorsque l’on évoque la valeur probante d’une tech-
nique expertale on se réfère habituellement aux guide-
lines issus du cas Daubert v. Merrell Dow Pharmaceu-
ticals, Inc, 1993. Cinq critères ont été retenus dans
cette affaire pour qu’une expertise scientifique soit
­reconnue probante [4]: a) La méthode est-elle testable?
b) A-t-elle été testée? c) Y-a-t-il un taux d’erreur connu?
d) La ­méthode a-t-elle été l’objet de publications avec
revues par des pairs? e) la théorie qui sous-tend la
­méthode est-elle généralement admise dans la commu-
nauté scientifique? On constatera aisément que peu de
techniques issues des neurosciences et appliquées dans
le domaine de l’expertise psychiatrique sont à même de
satisfaire strictement ces cinq critères. Or l’exigence de
ne mettre en œuvre que des techniques ayant une
­valeur probante reconnue répond à la crainte de l’effet
sensationnel de méthodes qui relèvent d’une grande
complexité technique et dont les résultats, quoiqu’ima-
gés et graphiques, sont en fait incompréhensibles pour
le non initié [5]. Il existe un risque majeur de suresti-
mation de la valeur scientifique des techniques mises
en œuvre lors du passage du domaine scientifique au
domaine juridique. La connaissance de l’impact réel
des phénomènes constatés sur le libre arbitre du sujet
accusé reste, en l’état actuel des connaissances, et sans
doute pour encore un certain temps, plutôt de l’ordre
de la spéculation que de la valeur probante.
L’éthique de l’impartialité, quant à elle, guide l’en-
semble de l’activité de l’expert. Dans cette perspective,
la mise en œuvre d’une technique de neuroscience ne
saurait répondre à une volonté de démontrer une irres-
ponsabilité ou une dangerosité. Elle doit répondre à un
besoin justifié par une démarche clinique et être com-
plémentaire de celle-ci. Il s’agit donc d’une indication
médicale et non juridique. Or un test ou un examen n’a
de valeur au sens médical que s’il est fiable en termes
de reproductibilité et connu en termes de sensibilité et
de spécificité. Il existe encore de grandes incertitudes
pour des examens neuropsychologiques dont la plupart
sont encore à un stade expérimental. Bien plus, dans le
domaine médico-légal, le fossé est encore majeur entre
les résultats des études expérimentales et la compré-
hension des mécanismes du passage à l’acte criminel
[6].Appliquer à un accusé des conclusions en termes de
degré de responsabilité ou de dangerosité sur la base
de travaux expérimentaux en laboratoire pourrait
constituer, en l’absence de connaissance suffisamment
robuste des mécanismes en cause, une atteinte ma-
jeure au principe d’impartialité et d’objectivité.
L’introduction des neurosciences dans le processus d’ex-
pertise pénale constitue la péripétie la plus récente d’une
série de méthodes sensées révéler le fonctionnement
psychique d’un accusé, pour un acte passé et survenu
dans un contexte qui lui est singulier. Le but est ambi-
tieux mais les résultats en réalité modestes au regard de
l’état des connaissances et de la complexité des ques-
tions posées. Il n’appartient pas à une technique balbu-
tiante, aussi techniquement performante soit-elle, de
modifier les concepts socio-juridiques de responsabilité
ou de risque. Il est nécessaire par contre de lui permettre
de déployer au mieux ses effets positifs dans le cadre du
respect des principes fondamentaux de l’éthique médi-
cale et du droit. En ce sens le neurodroit ne doit pas être
créé par les neurosciences. Il doit être conçu pour les
­encadrer. L’heure n’est pas encore à la disruption.
Bioethica Forum / 2015 / Volume 8 / No. 4	 134
PRÄDIKTIVE NEUROWISSENSCHAFTEN / NEUROSCIENCES PRÉDICTIVES / PREDICTIVE NEUROSCIENCES
Correspondance
Dr. Gérard Niveau
E-mail: Gerard.Niveau[at]hcuge.ch
Références
1.	 Urbaniok F, Laubacher A, Hardegger J, Rossegger A, Endrass J,
Moskvitin K. Neurobiological determinism: human freedom of
choice and criminal responsibility. Int J Offender Ther Comp Crimi-
nol. 2012 Apr;56(2):174–190.
2.	 Lazare A, Levy RS. Apologizing for humiliations in medical practice.
Chest. 2011 Apr;139(4):746–751.
3.	 Wechsler HJ, Kehn A, Wise RA, Cramer RJ. Attorney beliefs concer-
ning scientific evidence and expert witness credibility. Int J Law
Psychiatry. 2015 Jul-Aug;41:58–66.
4.	 Zlotnick J, Lin JR. Handwriting evidence in Federal Courts – From
Frye to Kumho. Forensic Sci Rev. 2001 Jul;13(2):87–99.
5.	 Gkotsi GM, Moulin V, Gasser J. [Neuroscience in the Courtroom:
From responsibility to dangerousness, ethical issues raised by the
new French law.]. Encephale. 2014 Oct 27.
6.	 Meynen G. A neurolaw perspective on psychiatric assessments of
criminal responsibility: decision-making, mental disorder, and the
brain. Int J Law Psychiatry. 2013 Mar-Apr;36(2):93–99.

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L’expertise psychiatrique pénale et les neurosciences

  • 1. PRÄDIKTIVE NEUROWISSENSCHAFTEN / NEUROSCIENCES PRÉDICTIVES / PREDICTIVE NEUROSCIENCES Bioethica Forum / 2015 / Volume 8 / No. 4 133 Point de vue L’expertise psychiatrique pénale et les neurosciences Gérard Niveaua a Médecin adjoint agrégé, Privat docent à la faculté de médecine de Genève, Centre Universitaire Romand de Médecine Légale Les acteurs du procès pénal, et bien souvent l’opinion publique, attendent de l’expert psychiatre bien plus qu’un avis sur la responsabilité et le risque de récidive. Ce qu’ils sollicitent au fond est une explication scienti- fique du comportement humain déviant, autant dire une révélation divinatoire qui aurait un caractère rationnel [1]. La petite histoire de la psychiatrie légale montre une galerie de portraits d’experts qui chacun à leur manière ont tenté de franchir l’obstacle de la boite noire qu’est le cerveau humain: Esquirol et les monomanies, Morel et la dégénérescence, Gall et les penchants, Lombroso et la phrénologie, les psychanalystes et l’inconscient, les psychopharmacologues et les ­neurotransmetteurs … Que nous apprend cette revue quelque peu syncopée? D’une part que sur le chemin qui va l’obscurantisme à la méthode scientifique, beaucoup de sottises ont été dites et beaucoup d’erreurs commises au nom de la ­modernité [2]. D’autre part que lorsqu’une nouvelle technique apparaît sur le marché de l’exploration du psychisme, elle est toujours utilisée dans le domaine de l’expertise pénale. La raison n’en est pas conjoncturelle mais structurelle. Il est en effet inhérent au processus de l’expertise que les parties tentent de mobiliser tous les moyens à disposition pour parvenir à leur fin, les moyens les plus récents et prétendument les plus scien- tifiques ayant toujours dans cet optique une valeur plus spectaculaire que les plus anciens, déjà soumis à des décennies de critiques et de remise en cause [3]. Dès lors la question n’est pas de savoir si les neurosciences doivent être utilisées dans le cadre des expertises pé- nales. La question est de savoir comment les mettre en œuvre sans répéter les erreurs du passé. Deux grands axes peuvent être proposés pour canaliser l’usage des neurosciences dans l’expertise pénale: la valeur probante et l’éthique de l’impartialité. Lorsque l’on évoque la valeur probante d’une tech- nique expertale on se réfère habituellement aux guide- lines issus du cas Daubert v. Merrell Dow Pharmaceu- ticals, Inc, 1993. Cinq critères ont été retenus dans cette affaire pour qu’une expertise scientifique soit ­reconnue probante [4]: a) La méthode est-elle testable? b) A-t-elle été testée? c) Y-a-t-il un taux d’erreur connu? d) La ­méthode a-t-elle été l’objet de publications avec revues par des pairs? e) la théorie qui sous-tend la ­méthode est-elle généralement admise dans la commu- nauté scientifique? On constatera aisément que peu de techniques issues des neurosciences et appliquées dans le domaine de l’expertise psychiatrique sont à même de satisfaire strictement ces cinq critères. Or l’exigence de ne mettre en œuvre que des techniques ayant une ­valeur probante reconnue répond à la crainte de l’effet sensationnel de méthodes qui relèvent d’une grande complexité technique et dont les résultats, quoiqu’ima- gés et graphiques, sont en fait incompréhensibles pour le non initié [5]. Il existe un risque majeur de suresti- mation de la valeur scientifique des techniques mises en œuvre lors du passage du domaine scientifique au domaine juridique. La connaissance de l’impact réel des phénomènes constatés sur le libre arbitre du sujet accusé reste, en l’état actuel des connaissances, et sans doute pour encore un certain temps, plutôt de l’ordre de la spéculation que de la valeur probante. L’éthique de l’impartialité, quant à elle, guide l’en- semble de l’activité de l’expert. Dans cette perspective, la mise en œuvre d’une technique de neuroscience ne saurait répondre à une volonté de démontrer une irres- ponsabilité ou une dangerosité. Elle doit répondre à un besoin justifié par une démarche clinique et être com- plémentaire de celle-ci. Il s’agit donc d’une indication médicale et non juridique. Or un test ou un examen n’a de valeur au sens médical que s’il est fiable en termes de reproductibilité et connu en termes de sensibilité et de spécificité. Il existe encore de grandes incertitudes pour des examens neuropsychologiques dont la plupart sont encore à un stade expérimental. Bien plus, dans le domaine médico-légal, le fossé est encore majeur entre les résultats des études expérimentales et la compré- hension des mécanismes du passage à l’acte criminel [6].Appliquer à un accusé des conclusions en termes de degré de responsabilité ou de dangerosité sur la base de travaux expérimentaux en laboratoire pourrait constituer, en l’absence de connaissance suffisamment robuste des mécanismes en cause, une atteinte ma- jeure au principe d’impartialité et d’objectivité. L’introduction des neurosciences dans le processus d’ex- pertise pénale constitue la péripétie la plus récente d’une série de méthodes sensées révéler le fonctionnement psychique d’un accusé, pour un acte passé et survenu dans un contexte qui lui est singulier. Le but est ambi- tieux mais les résultats en réalité modestes au regard de l’état des connaissances et de la complexité des ques- tions posées. Il n’appartient pas à une technique balbu- tiante, aussi techniquement performante soit-elle, de modifier les concepts socio-juridiques de responsabilité ou de risque. Il est nécessaire par contre de lui permettre de déployer au mieux ses effets positifs dans le cadre du respect des principes fondamentaux de l’éthique médi- cale et du droit. En ce sens le neurodroit ne doit pas être créé par les neurosciences. Il doit être conçu pour les ­encadrer. L’heure n’est pas encore à la disruption.
  • 2. Bioethica Forum / 2015 / Volume 8 / No. 4 134 PRÄDIKTIVE NEUROWISSENSCHAFTEN / NEUROSCIENCES PRÉDICTIVES / PREDICTIVE NEUROSCIENCES Correspondance Dr. Gérard Niveau E-mail: Gerard.Niveau[at]hcuge.ch Références 1. Urbaniok F, Laubacher A, Hardegger J, Rossegger A, Endrass J, Moskvitin K. Neurobiological determinism: human freedom of choice and criminal responsibility. Int J Offender Ther Comp Crimi- nol. 2012 Apr;56(2):174–190. 2. Lazare A, Levy RS. Apologizing for humiliations in medical practice. Chest. 2011 Apr;139(4):746–751. 3. Wechsler HJ, Kehn A, Wise RA, Cramer RJ. Attorney beliefs concer- ning scientific evidence and expert witness credibility. Int J Law Psychiatry. 2015 Jul-Aug;41:58–66. 4. Zlotnick J, Lin JR. Handwriting evidence in Federal Courts – From Frye to Kumho. Forensic Sci Rev. 2001 Jul;13(2):87–99. 5. Gkotsi GM, Moulin V, Gasser J. [Neuroscience in the Courtroom: From responsibility to dangerousness, ethical issues raised by the new French law.]. Encephale. 2014 Oct 27. 6. Meynen G. A neurolaw perspective on psychiatric assessments of criminal responsibility: decision-making, mental disorder, and the brain. Int J Law Psychiatry. 2013 Mar-Apr;36(2):93–99.