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G. Niveau
C. Dang
INTRODUCTION
En tant qu’expert, le psychiatre se situe à l’interface entre la
justice et la médecine, dans sa dimension psycho-sociale.
Acceptant la mission d’expertise, il devient auxiliaire du juge
et quitte son rôle de thérapeute. Il aborde donc sa mission sans parti pris, en
toute neutralité, et dans le souci d’accomplir sa mission avec diligence et com-
pétence.1
Cette position très particulière du médecin expert n’est pas toujours connue,
a priori, de la personne expertisée. Il convient donc de l’en informer, ainsi que
des conséquences qui en découlent pour ce qui est de la gestion du secret pro-
fessionnel, auquel l’expert est tenu, sauf à l’égard de l’autorité qui l’a mandaté.
EXPERTISES PSYCHIATRIQUES PÉNALES: LA RESPONSABILITÉ
DANS LE NOUVEAU CODE PÉNAL SUISSE (CPS)2
La nouvelle teneur de la partie générale du CPS, entrée en vigueur le 1er jan-
vier 2007, donne une place importante à l’expertise psychiatrique.3 Pourtant le
CPS est relativement laconique sur les conditions de mise en œuvre d’une telle
expertise. L’article 20 prévoit en effet que l’autorité d’instruction ou le juge or-
donne une expertise «s’il existe une raison sérieuse de douter de la responsabi-
lité de l’auteur». C’est en effet le juge qui demande l’expertise, mais les parties
peuvent également la solliciter ou tenter de s’y opposer et leurs interventions
dépendent évidemment de leurs buts dans la procédure. En fait les raisons pour
le juge d’instruction de solliciter ou de refuser l’expertise psychiatrique sont
nombreuses et complexes: comportement de l’accusé, nature des actes, anté-
cédents connus, nécessité de forme pour la constitution du dossier d’instruction.
La question centrale de l’expertise psychiatrique pénale est celle de la res-
ponsabilité. Cette notion se définit, au sens pénal, par deux facultés qui doivent
être cumulativement présentes: la faculté cognitive et la faculté volitive. La facul-
té cognitive consiste pour un individu à comprendre une situation, un événement
ou un acte, dans son sens concret aussi bien que symbolique. Cette faculté est
classiquement déficiente, par exemple, dans les cas d’état confusionnel, de
New challenges in forensic psychiatry
The new Swiss criminal code and the recent
evolution of evaluation methods have led to
change in the three main areas of forensic
psychiatry: criminal responsibility, credibility
of child sexual abuse allegations, and dange-
rousness.
The assessment of criminal responsibility
requires the retrospective examination of the
cognitive and volitive capacities of the accu-
sed. If needed, mandatory therapeutic pro-
positions that conform to the new criminal
code must be recommended.
With regard to child sexual abuse allegations,
the credibility of the allegations is analysed
with specific scales, such as Statement
Validity Analysis, interpreted in light of the
current state of knowledge in child develop-
ment and child psychiatry.
Rev Med Suisse 2008; 4 : 1600-4
Les trois domaines principaux de la psychiatrie médico-légale:
la responsabilité pénale, la crédibilité des déclarations des mi-
neurs et la dangerosité, ont été bouleversés par les modifica-
tions du code pénal suisse (CPS) et par l’évolution récente des
méthodologies d’évaluation.
L’appréciation de la responsabilité pénale nécessite l’évaluation
rétrospective des capacités cognitives et volitives d’un accusé.
Elle doit déboucher si besoin sur des propositions de mesures
thérapeutiques obligatoires, conformément aux nouvelles dis-
positions du CPS.
La crédibilité des déclarations des mineurs s’analyse avec l’aide
d’outils d’évaluation spécifiques, tel le Statement Validity
Analysis, dans le cadre d’une connaissance pédopsychiatrique
du développement de l’enfant.
Nouveaux enjeux de la psychiatrie
médico-légale
perspective
1600 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008
Drs Gérard Niveau et Cécile Dang
Unité de psychiatrie légale
Centre universitaire romand
de médecine légale
Avenue de Champel 9
1211 Genève 4
Gerard.Niveau@hcuge.ch
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 0
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Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 1601
retard mental, de psychose dissociative. La faculté volitive
concerne quant à elle la capacité d’agir conformément à sa
volonté. C’est elle qui pose le plus souvent problème pour
ce qui est de la distinction entre le normal et le pathologi-
que. En effet, les notions de volonté et de liberté d’action
comportent des dimensions philosophiques qui risquent
de faire entrer dans la discussion de la responsabilité des
aspects subjectifs difficiles à cerner. La faculté volitive est
le plus clairement atteinte dans les cas d’hallucinations
impérieuses ou de délires paranoïdes. Elle pose question
dans des cas, par exemple, de troubles de la personnalité
dont l’influence sur la capacité de décision peut être ap-
préciée de façon très variable.
La justification des conclusions de l’expert en matière
de responsabilité est donc essentielle et doit reposer sur
une argumentation solide. Il est important à ce stade de
situer dans quel domaine conceptuel doit se placer la
réflexion. L’ancien code pénal orientait explicitement l’ex-
pert en indiquant les grands axes de causes possibles de
diminution de la responsabilité: maladie mentale, faibles-
se d’esprit, troubles de la conscience, etc. Ces termes ne
manquaient pas de susciter les critiques des médecins car
ils ne recouvraient pas de réalité médicale précise et né-
cessitaient une interprétation de leur signification selon la
jurisprudence. Or, étonnamment, le nouveau Code pénal,
à l’art. 19, non seulement a évincé ces termes critiquables
mais a même utilisé une tournure syntaxique qui ne cite
aucune pathologie médicale comme cause possible de
responsabilité restreinte ou d’irresponsabilité: «L’auteur
n’est pas punissable si, au moment d’agir, il ne possédait
pas la faculté d’apprécier le caractère illicite de son acte
ou de se déterminer d’après cette appréciation». Il serait
donc possible en théorie d’imaginer pouvoir argumenter
une conclusion d’expertise ne reposant pas sur un diag-
nostic médical, concernant l’accusé au moment des faits. Il
sera d’un grand intérêt de savoir si la jurisprudence ouvrira
une voie (hautement conflictuelle) dans ce sens. Il faut
cependant remarquer que dans les articles suivants du
code pénal, (art. 59, 60, 61, 63 et 64), faisant référence à
l’état mental de l’inculpé au moment des faits, le législateur
utilise à nouveau les termes de «trouble mental grave»,
«toxico-dépendant», et pour les moins de 25 ans «graves
troubles du développement de la personnalité», ce qui
laisse entendre que la question de la responsabilité reste
toujours liée à la notion de diagnostic médical.
Sous le terme de «graves troubles mentaux», le législa-
teur a voulu entendre l’ensemble des troubles psychiatri-
ques décrits dans les classifications reconnues, y compris
les troubles de la personnalité et les paraphilies. On com-
prend aisément que facultés volitives et cognitives peuvent
être altérées plus ou moins gravement par ces différents
troubles et qu’il peut donc exister tout un gradient entre
la responsabilité totale et l’irresponsabilité. La Suisse a été
l’un des premiers pays à reconnaître la notion de responsa-
bilité restreinte, puisque celle-ci était déjà présente dans
la première version du CPS de 1937.
Il existe en fait une rupture de continuité entre un
degré plus ou moins important de responsabilité restreinte
et l’irresponsabilité, celle-ci ouvrant la possibilité que l’af-
faire ne soit pas jugée et que l’accusé ne soit condamné à
aucune peine (mais soit habituellement astreint à une me-
sure thérapeutique, éventuellement privative de liberté).
Si la conclusion de l’expertise va dans le sens de la respon-
sabilité restreinte, elle ne peut aboutir qu’à une diminution
de la peine, en principe proportionnelle à la diminution
de responsabilité, mais elle ouvre également la voie à une
ou plusieurs mesures de sureté.
De façon plus prononcée dans le code pénal actuel que
dans sa version antérieure, l’expertise doit également ré-
pondre à la question des mesures thérapeutiques qu’il
pourrait être justifié et utile d’imposer à l’accusé. Le CPS
prévoit quatre types de mesure que l’on peut résumer ainsi.
Traitement ambulatoire
L’expertisé sera astreint à des consultations, des soins
médicamenteux ou psychothérapeutiques, ou tout autre
pratique soignante, mais il restera libre de ses mouvements
et de son lieu d’habitation.
Traitement institutionnel ouvert
L’expertisé sera placé dans un établissement, habituel-
lement de soins, qui ne présente aucune caractéristique
carcérale. Il devra donc accepter de rester dans cet éta-
blissement, y compris s’il s’oppose à la mesure. L’établisse-
ment en question est le plus souvent un hôpital psychia-
trique.
Traitement institutionnel fermé
L’expertisé sera placé dans un établissement ayant à la
fois des caractéristiques de soin et de privation de liberté.
De tels établissements n’existent pas actuellement en
Suisse romande. Il s’agit pourtant de la mesure qui corres-
pond le mieux au type de prise en charge souhaitée pour
des personnes ayant à la fois des caractéristiques de ma-
lades et de délinquants. Un projet de construction de ce
type d’établissement est en cours à Genève et devrait
aboutir dans les cinq ans à venir. En attendant l’ouverture
de ce lieu, les mesures institutionnelles fermées s’effec-
tuent en milieu de détention, soit en prison préventive, soit
en pénitencier.
Internement
Il s’agit actuellement de la mesure la plus sévère. Elle
ne peut s’appliquer que pour les auteurs ayant commis
des actes passibles d’une peine privative de liberté maxi-
male de cinq ans au moins. Cette mesure «thérapeutique»
est très particulière car elle peut s’appliquer non seule-
ment en cas de graves troubles mentaux de l’accusé, mais
également, en l’absence de tels troubles, si «en raison des
caractéristiques de la personnalité de l’auteur, des cir-
constances dans lesquelles il a commis l’infraction et de
son vécu, il est sérieusement à craindre qu’il ne commette
d’autres infractions du même genre». L’internement est
censé être exécuté dans un lieu de soins ayant des carac-
téristiques de sécurité élevées. De tels lieux n’existent pas
non plus en Suisse romande et l’internement se déroule
également en milieu de détention.
Il faut enfin citer la mesure particulière de l’internement
à vie, qui devait figurer dans le CPS suite à la votation po-
pulaire le 8 février 2004 en faveur de l’initiative «Interne-
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Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 0
ment à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés
dangereux et non amendables». En raison, entre autres,
de la non-conformité de ce projet avec les principes de la
Convention européenne des droits de l’homme, l’interne-
ment à vie ne figure actuellement pas dans le CPS: le projet
de son introduction est toujours d’actualité.
Finalement, la mission d’expertise pénale se concrétise
sous forme d’un rapport qui doit être rendu à l’autorité qui a
délivré le mandat. La rédaction de ce document est essen-
tielle car s’il ne remplit pas certaines conditions indispen-
sables, il peut être invalidé, ce qui ruine évidemment tout
le travail réalisé en amont. Il faut donc rappeler quelques
conditions minimales de validité d’un tel rapport.4
• Le rapport doit se baser sur des éléments objectifs (exa-
mens médicaux, rapports, pièces du dossier) qu’il convient
de citer.
• Il ne doit pas contenir de contradiction interne.
• Il doit être impartial.
• Il doit répondre aux questions posées.
• Il doit se référer aux connaissances scientifiques les plus
récentes.
• Et pourtant doit être aisément compréhensible par un
lecteur non spécialisé.
DÉFIS DE L’EXPERTISE EN CRÉDIBILITÉ
La médiatisation des révélations d’abus sexuels sur mi-
neurs s’est accrue ces dernières décennies. La révélation
de ces faits provoque toujours un fort impact émotionnel
dans le public, en raison de la violence faite aux enfants
victimes mais aussi en raison du risque d’erreur judiciaire.
Les attentes de la justice et de la société ont donné dans
ce domaine plus d’importance aux experts psychiatres et
à leur évaluation de la parole de l’enfant.
Historiquement, la valeur attribuée aux déclarations de
l’enfant, enfant victime ou enfant témoin, a beaucoup évo-
lué dans le cadre des procédures pénales. On est passé
du statut extrême de l’enfant non fiable à celui, non moins
extrême, de l’enfant qui ne pouvait pas mentir.5
Aujourd’hui, grâce à une meilleure connaissance en ma-
tière de développement de l’enfant (mémoire, cognition,
rappel, savoir, langage…), et à l’identification des phéno-
mènes délétères liés aux interrogatoires répétés ou sug-
gestifs, la parole de l’enfant a acquis auprès des tribunaux
une nouvelle valeur, plus nuancée mais aussi plus juste.
Cette dernière constitue l’enjeu des expertises de crédi-
bilité, dans des procédures où les preuves manquent et
où la parole d’un adulte s’oppose à celle d’un enfant.
L’expertise de crédibilité est demandée à un spécialiste
(psychiatre ou psychologue), par un juge dans le cadre d’une
instruction pénale, dans laquelle la majorité des accusa-
tions reposent sur les allégations d’une victime mineure.
L’absence de preuves ou d’aveux complets de l’inculpé
nécessite l’intervention du spécialiste qui devra détermi-
ner si les accusations de la victime supposée sont crédibles
ou non. Par exemple, il est apparu que parmi les accusa-
tions d’abus sexuel dans les cas de divorce litigieux nom-
breuses étaient fausses (accusations intentionnellement
erronées ou par perte de confiance de la part d’un parent
dans son ex-conjoint).
Le spécialiste doit donc se baser sur la lecture du dos-
sier pénal, l’analyse du discours de l’enfant et d’une éven-
tuelle psychopathologie, ainsi que sur l’examen du con-
texte des révélations.
L’objectif principal de cette expertise est donc, via un
examen clinique de l’enfant, l’analyse stricte de son dis-
cours et l’étude de sa situation socio-familiale, d’évaluer si
ses déclarations peuvent être crues ou pas et donc si les
accusations peuvent être considérées comme fondées ou
non. De là découle la suite d’une procédure pouvant con-
duire éventuellement à une condamnation.
La tentation est grande et le danger immense de con-
fondre la crédibilité et la véracité, c’est-à-dire d’assimiler
un discours qui peut être cru à une preuve que les faits se
sont réellement déroulés.
Devant l’enjeu de ces expertises et les progrès réalisés
en matière de recherche sur la crédibilité, de nouveaux
paramètres apparaissent comme incontournables. Sur la
base de «l’hypothèse de Undeutsch» selon laquelle les
témoignages relevant d’événements factuels réellement
vécus sont qualitativement différents de déclarations qui
ne sont pas fondées sur l’expérience vécue, une équipe
internationale a créé le Statement Validity Analysis (SVA) à la
fin des années 1980.6 Cette méthode est actuellement la
mieux validée et probablement la plus utilisée.7
Conformément à la SVA, le recueil des allégations de
l’enfant doit répondre à certains critères afin de diminuer,
autant que faire se peut, les phénomènes de victimisation
secondaire et de suggestibilité. C’est pourquoi les toutes
premières déclarations à la police (en général les plus in-
formatives) sont désormais enregistrées sur support audio-
vidéo. L’architecture même de l’audition vise à éviter les
questions induisant chez l’enfant une reconstruction in-
consciente post-événementielle (suggestibilité) qui rend
son discours moins fiable car moins fidèle à ses souvenirs.
Dans un deuxième temps, l’expert procède à l’étude
des déclarations de l’enfant, selon la méthode du Criteria-
Based Content Analysis (CBCA). Il s’agit d’une analyse de l’au-
dition à travers dix-neuf critères. Ceux-ci sont regroupés
sous différentes catégories comme les caractéristiques gé-
nérales du discours (cohérence, consistance…), ses carac-
téristiques spécifiques (interactions, détails…), le contenu
relatif aux motivations de la déclaration et les éléments du
scénario d’abus. Les critères sont systématiquement re-
cherchés et pondérés en fonction de l’âge de l’enfant ou de
la présence d’une pathologie psychique. Le CBCA consti-
tue pour l’essentiel un outil qualitatif, mais non psycho-
métrique.
Dans un troisième temps, cette analyse est complétée
par l’application de facteurs de vérification liés à la qualité
de l’audition, à ce qui est observé chez l’enfant pendant
l’audition (comportement, gestuelle…) et la présence d’au-
tres preuves (matérielle, médicale…).
Finalement, l’analyse des déclarations de l’enfant per-
met de relever certains critères de crédibilité dont le
nombre et la qualité doivent être interprétés à la lumière
des résultats de la littérature scientifique et des particula-
rités cliniques du cas. Les conclusions doivent permettre,
autant que faire se peut, d’aboutir à un prononcé de cré-
dibilité ou de non-crédibilité. La crédibilité «moyenne»
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équivaut habituellement à l’absence de conclusion et ne
permet guère à la justice de progresser, mais il en va de
l’honnêteté de l’expert de reconnaître qu’il ne peut pas se
prononcer lorsqu’il est dans l’indécision.
MÉTHODOLOGIE ACTUELLE DE L’EXPERTISE
EN DANGEROSITÉ
La nouvelle teneur de la partie générale du CPS, entrée
en vigueur le 1er janvier 2007, suppose un recours accru à
l’expert psychiatre pour l’évaluation de la dangerosité des
délinquants.
D’une part, les questions posées à l’expert dans le cadre
de l’expertise en responsabilité s’étendent au domaine de
la dangerosité, puisque l’expert doit évaluer, en sus de la
responsabilité, le risque de récidive lié soit à un trouble
mental grave, soit à «des caractéristiques de la personna-
lité de l’auteur, des circonstances dans lesquelles il a com-
mis l’infraction et de son vécu» (art.64 CPS).
D’autre part, la réforme du code pénal permet désormais
de mettre en place une mesure thérapeutique pendant
l’exécution d’une peine privative de liberté, alors que cette
mesure n’avait pas été prévue dans le jugement initial
(art. 65 CPS). Le recours à l’expert psychiatre est là aussi
nécessaire.
Enfin, et c’est la source principale des demandes d’ex-
pertise en dangerosité, le CPS prévoit désormais que les
décisions d’application des peines et des mesures seront
prises par une «autorité d’exécution». Cette autorité de
justice, le Tribunal d’application des peines et des mesures
à Genève, le juge d’application des peines dans le canton
de Vaud, a désormais régulièrement recours à des experts
pour évaluer la dangerosité des personnes soumises à des
mesures.
Historiquement, l’évaluation de la dangerosité s’est
longtemps faite sur le modèle «clinique». Il s’agissait pour
l’expert d’appliquer à la dangerosité le même processus
de raisonnement que pour le diagnostic médical, c’est-à-
dire de procéder à une collecte de tous les signes censés
être significatifs d’un état dangereux ou de l’absence d’un
tel état. L’inconvénient principal de cette méthode était
que l’état dangereux n’existe pas en tant que tableau cli-
nique sémiologiquement déterminé et que le recueil des
signes de dangerosité dépendait principalement de l’in-
tuition, de l’expérience et des connaissances de l’expert.
Cette évaluation était donc extrêmement subjective.
Les critiques à l’égard de l’évaluation clinique de l’état
dangereux ont débuté dès le milieu du XXe siècle et se
sont amplifiées dans les années suivantes. Un des exemples
les plus significatifs de ces critiques est l’étude Steadman
(1972) sur la cohorte des «Baxstrom patients», constituée
de malades qui avaient été considérés comme dangereux
mais avaient été libérés suite à un vice de procédure. Il est
apparu à travers ces travaux que l’évaluation clinique de la
dangerosité n’était pas meilleure, et souvent inférieure à
ce que pouvait laisser espérer le hasard.8
La question de l’évaluation de la dangerosité pose le
double problème des faux positifs et des faux négatifs.
Les faux positifs sont les cas pour lesquels les expertisés
sont considérés comme dangereux alors qu’ils ne le sont
pas. Ces erreurs sont les plus nombreuses car les experts ont
toujours tendance à surévaluer la dangerosité par crainte
de commettre l’erreur inverse qui est le faux négatif. Dans
ces cas en effet les sujets dangereux ne sont pas évalués
comme tels. Ils peuvent alors être libérés et faire de nou-
velles victimes.
A partir des années 1980, de nouvelles méthodologies
ont vu le jour pour tenter de pallier les défauts de ces éva-
luations cliniques. Ces méthodes sont nombreuses et nous
en présentons ci-dessous trois principales en raison de
leurs validations bien établies.
La Psychopathic Checklist Revisited (PCL-R) de Hare n’est
pas à proprement parler une échelle d’évaluation de la
dangerosité mais une méthode d’évaluation de la psycho-
pathie.9 Ce profil psychologique a été étudié et réactuali-
sé par Hare et est proche de la notion criminologique de
personnalité criminelle de Pinatel ou de celle de person-
nalité antisociale du DSM-IV. Plus la tendance psychopa-
thique est élevée, plus le risque de comportements anti-
sociaux est élevé. La PCL-R est donc par elle-même un
élément d’appréciation important de la dangerosité, et
elle est de plus un des facteurs d’appréciation d’autres
échelles.
Les échelles d’évaluations spécifiques de la dangerosité
peuvent être actuarielles ou semi-cliniques. Les échelles
actuarielles relèvent de la volonté de calculer un risque en
excluant toute subjectivité clinique. Une des plus connues
est la Violence Risk Appraisal Guide (VRAG), accompagnée de
sa version spécifique aux délinquants sexuels la Sex Offender
Risk Appraisal Guide (SORAG).10 La VRAG comporte douze
items. Chacun de ceux-ci donne lieu à un score en fonction
d’une pondération précise. Le score final aboutit à une
évaluation du risque de récidive, en pourcentage pour un
temps déterminé.
L’inconvénient majeur des échelles actuarielles est que,
ne prenant pas en considération l’avenir, mais uniquement
le passé, elles ne sont pas évolutives. Quelle que soit
l’évolution psychique du délinquant ou de son environne-
ment social, son risque de récidive selon l’échelle actua-
rielle restera le même.
Les échelles semi-cliniques par contre se basent sur le
recueil de facteurs appartenant non seulement au passé
du délinquant, mais également à son état actuel et aux
projets quant à son avenir. Une des plus connues est la
Historical-Clinical Risk Management scale (HCR-20)11 qui com-
prend vingt items cotés entre 0 et 2, ce qui permet une
notation sur 40 points. La HCR-20 n’a pas de cut-off, et
l’évaluation finale de la dangerosité appartient entière-
ment à l’évaluateur, en fonction de la note finale et de l’ap-
préciation qu’il fait du poids de chaque facteur. C’est en
ceci qu’elle est considérée comme semi-clinique.
Actuellement, l’expert qui se charge d’une mission d’éva-
luation de la dangerosité ne peut plus se contenter d’une
évaluation clinique. Cependant, il serait tout aussi criti-
quable qu’il se contente de réaliser une échelle actuarielle
ou semi-clinique et qu’il en applique directement les
résultats.12 L’expertise d’évaluation du risque de récidive
et de la dangerosité relève toujours d’une étude clinique
approfondie de chaque cas individuel, assortie du recours
à l’utilisation d’une ou plusieurs échelles standardisées,
0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008
33334_1600_1604.qxp 26.6.2008 9:06 Page 4
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 0
dont les résultats doivent être pesés et pondérés en fonc-
tion des particularités anamnestiques et cliniques du sujet.
CONCLUSION
Accepter la charge d’une expertise revient à s’astreindre
à un travail de compétence et de responsabilité. L’expert
doit toujours être en mesure de rendre compte de son tra-
vail devant l’autorité qui l’a mandaté et de justifier les
réponses qu’il a apportées aux questions qui lui étaient
posées.
Quoique contraint à prendre connaissance de nombreux
dossiers et sollicité lui-même à produire un rapport médi-
co-légal, l’expert se doit de rester proche de la clinique et
de la réalité du champ thérapeutique. Il doit être autant
informé de l’évolution de sa spécialité que de celle de la
loi et de la jurisprudence.
1604 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008
1 * Rosatti P. L’expertise médicale. De la décision à
propos de quelques diagnostics difficiles. Chêne-Bourg:
Ed. Médecine et Hygiène, 2002.
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l’application du nouveau code pénal suisse sur la psy-
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chiatry, second edition. New York: Oxford University
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scientifique des témoignages d’enfants. Bruxelles: Eds
De Boeck Université, 1998.
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children’s statements of sexual abuse. Behavioural As-
sessment 1991;13:265-91.
7 Vrij A. Criteria-based content analysis.A qualitative
review of the first 37 studies. Psychology, public policy
and Law 2005;11:3-41.
8 Steadman HJ,Keveles G.The community adjustment
and criminal activity of the Baxstrom patients: 1966-
1970.Am J Psychiatry 1972;129:304-10.
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tric analysis of the latent structure of psychopathy:
Evidence for dimensionality. J Abnorm Psychol 2007;
116:701-16.
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Violent offenders, appraising and managing risk, second
edition.American psychological association,Washington,
2002.
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assessment scheme.Criminal Justice and Behavior 1999;
26:3-19.
12 * Gray NS, Fitzgerald S, Taylor J, Macculloch MJ,
Snowden RJ. Predicting future reconviction in offen-
ders with intellectual disabilities:The predictive efficacy
of VRAG, PCL-SV, and the HCR-20. Psychol Assess
2007;19:474-9.
* à lire
** à lire absolument
Bibliographie
Implications pratiques
La pratique de l’expertise psychiatrique pénale suppose une
connaissance approfondie de la partie générale du Code
pénal suisse
L’expertise en responsabilité nécessite un diagnostic rétros-
pectif et une appréciation des capacités cognitives et volitives
de l’expertisé au moment des faits. L’expert doit être en
mesure de faire des propositions de mesures thérapeutiques
L’expertise en crédibilité des déclarations des mineurs sup-
pose une formation spécialisée en pédopsychiatrie et le ma-
niement d’outils d’évaluation tel le StatementValidity Analysis
L’évaluation de la dangerosité repose à la fois sur l’utilisation
d’échelles standardisées et sur l’appréciation clinique du spé-
cialiste
>
>
>
>
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Nouveaux enjeux de la psychiatrie médico légale

  • 1. G. Niveau C. Dang INTRODUCTION En tant qu’expert, le psychiatre se situe à l’interface entre la justice et la médecine, dans sa dimension psycho-sociale. Acceptant la mission d’expertise, il devient auxiliaire du juge et quitte son rôle de thérapeute. Il aborde donc sa mission sans parti pris, en toute neutralité, et dans le souci d’accomplir sa mission avec diligence et com- pétence.1 Cette position très particulière du médecin expert n’est pas toujours connue, a priori, de la personne expertisée. Il convient donc de l’en informer, ainsi que des conséquences qui en découlent pour ce qui est de la gestion du secret pro- fessionnel, auquel l’expert est tenu, sauf à l’égard de l’autorité qui l’a mandaté. EXPERTISES PSYCHIATRIQUES PÉNALES: LA RESPONSABILITÉ DANS LE NOUVEAU CODE PÉNAL SUISSE (CPS)2 La nouvelle teneur de la partie générale du CPS, entrée en vigueur le 1er jan- vier 2007, donne une place importante à l’expertise psychiatrique.3 Pourtant le CPS est relativement laconique sur les conditions de mise en œuvre d’une telle expertise. L’article 20 prévoit en effet que l’autorité d’instruction ou le juge or- donne une expertise «s’il existe une raison sérieuse de douter de la responsabi- lité de l’auteur». C’est en effet le juge qui demande l’expertise, mais les parties peuvent également la solliciter ou tenter de s’y opposer et leurs interventions dépendent évidemment de leurs buts dans la procédure. En fait les raisons pour le juge d’instruction de solliciter ou de refuser l’expertise psychiatrique sont nombreuses et complexes: comportement de l’accusé, nature des actes, anté- cédents connus, nécessité de forme pour la constitution du dossier d’instruction. La question centrale de l’expertise psychiatrique pénale est celle de la res- ponsabilité. Cette notion se définit, au sens pénal, par deux facultés qui doivent être cumulativement présentes: la faculté cognitive et la faculté volitive. La facul- té cognitive consiste pour un individu à comprendre une situation, un événement ou un acte, dans son sens concret aussi bien que symbolique. Cette faculté est classiquement déficiente, par exemple, dans les cas d’état confusionnel, de New challenges in forensic psychiatry The new Swiss criminal code and the recent evolution of evaluation methods have led to change in the three main areas of forensic psychiatry: criminal responsibility, credibility of child sexual abuse allegations, and dange- rousness. The assessment of criminal responsibility requires the retrospective examination of the cognitive and volitive capacities of the accu- sed. If needed, mandatory therapeutic pro- positions that conform to the new criminal code must be recommended. With regard to child sexual abuse allegations, the credibility of the allegations is analysed with specific scales, such as Statement Validity Analysis, interpreted in light of the current state of knowledge in child develop- ment and child psychiatry. Rev Med Suisse 2008; 4 : 1600-4 Les trois domaines principaux de la psychiatrie médico-légale: la responsabilité pénale, la crédibilité des déclarations des mi- neurs et la dangerosité, ont été bouleversés par les modifica- tions du code pénal suisse (CPS) et par l’évolution récente des méthodologies d’évaluation. L’appréciation de la responsabilité pénale nécessite l’évaluation rétrospective des capacités cognitives et volitives d’un accusé. Elle doit déboucher si besoin sur des propositions de mesures thérapeutiques obligatoires, conformément aux nouvelles dis- positions du CPS. La crédibilité des déclarations des mineurs s’analyse avec l’aide d’outils d’évaluation spécifiques, tel le Statement Validity Analysis, dans le cadre d’une connaissance pédopsychiatrique du développement de l’enfant. Nouveaux enjeux de la psychiatrie médico-légale perspective 1600 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 Drs Gérard Niveau et Cécile Dang Unité de psychiatrie légale Centre universitaire romand de médecine légale Avenue de Champel 9 1211 Genève 4 Gerard.Niveau@hcuge.ch Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 0 33334_1600_1604.qxp 26.6.2008 9:06 Page 1
  • 2. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 1601 retard mental, de psychose dissociative. La faculté volitive concerne quant à elle la capacité d’agir conformément à sa volonté. C’est elle qui pose le plus souvent problème pour ce qui est de la distinction entre le normal et le pathologi- que. En effet, les notions de volonté et de liberté d’action comportent des dimensions philosophiques qui risquent de faire entrer dans la discussion de la responsabilité des aspects subjectifs difficiles à cerner. La faculté volitive est le plus clairement atteinte dans les cas d’hallucinations impérieuses ou de délires paranoïdes. Elle pose question dans des cas, par exemple, de troubles de la personnalité dont l’influence sur la capacité de décision peut être ap- préciée de façon très variable. La justification des conclusions de l’expert en matière de responsabilité est donc essentielle et doit reposer sur une argumentation solide. Il est important à ce stade de situer dans quel domaine conceptuel doit se placer la réflexion. L’ancien code pénal orientait explicitement l’ex- pert en indiquant les grands axes de causes possibles de diminution de la responsabilité: maladie mentale, faibles- se d’esprit, troubles de la conscience, etc. Ces termes ne manquaient pas de susciter les critiques des médecins car ils ne recouvraient pas de réalité médicale précise et né- cessitaient une interprétation de leur signification selon la jurisprudence. Or, étonnamment, le nouveau Code pénal, à l’art. 19, non seulement a évincé ces termes critiquables mais a même utilisé une tournure syntaxique qui ne cite aucune pathologie médicale comme cause possible de responsabilité restreinte ou d’irresponsabilité: «L’auteur n’est pas punissable si, au moment d’agir, il ne possédait pas la faculté d’apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d’après cette appréciation». Il serait donc possible en théorie d’imaginer pouvoir argumenter une conclusion d’expertise ne reposant pas sur un diag- nostic médical, concernant l’accusé au moment des faits. Il sera d’un grand intérêt de savoir si la jurisprudence ouvrira une voie (hautement conflictuelle) dans ce sens. Il faut cependant remarquer que dans les articles suivants du code pénal, (art. 59, 60, 61, 63 et 64), faisant référence à l’état mental de l’inculpé au moment des faits, le législateur utilise à nouveau les termes de «trouble mental grave», «toxico-dépendant», et pour les moins de 25 ans «graves troubles du développement de la personnalité», ce qui laisse entendre que la question de la responsabilité reste toujours liée à la notion de diagnostic médical. Sous le terme de «graves troubles mentaux», le législa- teur a voulu entendre l’ensemble des troubles psychiatri- ques décrits dans les classifications reconnues, y compris les troubles de la personnalité et les paraphilies. On com- prend aisément que facultés volitives et cognitives peuvent être altérées plus ou moins gravement par ces différents troubles et qu’il peut donc exister tout un gradient entre la responsabilité totale et l’irresponsabilité. La Suisse a été l’un des premiers pays à reconnaître la notion de responsa- bilité restreinte, puisque celle-ci était déjà présente dans la première version du CPS de 1937. Il existe en fait une rupture de continuité entre un degré plus ou moins important de responsabilité restreinte et l’irresponsabilité, celle-ci ouvrant la possibilité que l’af- faire ne soit pas jugée et que l’accusé ne soit condamné à aucune peine (mais soit habituellement astreint à une me- sure thérapeutique, éventuellement privative de liberté). Si la conclusion de l’expertise va dans le sens de la respon- sabilité restreinte, elle ne peut aboutir qu’à une diminution de la peine, en principe proportionnelle à la diminution de responsabilité, mais elle ouvre également la voie à une ou plusieurs mesures de sureté. De façon plus prononcée dans le code pénal actuel que dans sa version antérieure, l’expertise doit également ré- pondre à la question des mesures thérapeutiques qu’il pourrait être justifié et utile d’imposer à l’accusé. Le CPS prévoit quatre types de mesure que l’on peut résumer ainsi. Traitement ambulatoire L’expertisé sera astreint à des consultations, des soins médicamenteux ou psychothérapeutiques, ou tout autre pratique soignante, mais il restera libre de ses mouvements et de son lieu d’habitation. Traitement institutionnel ouvert L’expertisé sera placé dans un établissement, habituel- lement de soins, qui ne présente aucune caractéristique carcérale. Il devra donc accepter de rester dans cet éta- blissement, y compris s’il s’oppose à la mesure. L’établisse- ment en question est le plus souvent un hôpital psychia- trique. Traitement institutionnel fermé L’expertisé sera placé dans un établissement ayant à la fois des caractéristiques de soin et de privation de liberté. De tels établissements n’existent pas actuellement en Suisse romande. Il s’agit pourtant de la mesure qui corres- pond le mieux au type de prise en charge souhaitée pour des personnes ayant à la fois des caractéristiques de ma- lades et de délinquants. Un projet de construction de ce type d’établissement est en cours à Genève et devrait aboutir dans les cinq ans à venir. En attendant l’ouverture de ce lieu, les mesures institutionnelles fermées s’effec- tuent en milieu de détention, soit en prison préventive, soit en pénitencier. Internement Il s’agit actuellement de la mesure la plus sévère. Elle ne peut s’appliquer que pour les auteurs ayant commis des actes passibles d’une peine privative de liberté maxi- male de cinq ans au moins. Cette mesure «thérapeutique» est très particulière car elle peut s’appliquer non seule- ment en cas de graves troubles mentaux de l’accusé, mais également, en l’absence de tels troubles, si «en raison des caractéristiques de la personnalité de l’auteur, des cir- constances dans lesquelles il a commis l’infraction et de son vécu, il est sérieusement à craindre qu’il ne commette d’autres infractions du même genre». L’internement est censé être exécuté dans un lieu de soins ayant des carac- téristiques de sécurité élevées. De tels lieux n’existent pas non plus en Suisse romande et l’internement se déroule également en milieu de détention. Il faut enfin citer la mesure particulière de l’internement à vie, qui devait figurer dans le CPS suite à la votation po- pulaire le 8 février 2004 en faveur de l’initiative «Interne- 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 33334_1600_1604.qxp 26.6.2008 9:06 Page 2
  • 3. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 0 ment à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés dangereux et non amendables». En raison, entre autres, de la non-conformité de ce projet avec les principes de la Convention européenne des droits de l’homme, l’interne- ment à vie ne figure actuellement pas dans le CPS: le projet de son introduction est toujours d’actualité. Finalement, la mission d’expertise pénale se concrétise sous forme d’un rapport qui doit être rendu à l’autorité qui a délivré le mandat. La rédaction de ce document est essen- tielle car s’il ne remplit pas certaines conditions indispen- sables, il peut être invalidé, ce qui ruine évidemment tout le travail réalisé en amont. Il faut donc rappeler quelques conditions minimales de validité d’un tel rapport.4 • Le rapport doit se baser sur des éléments objectifs (exa- mens médicaux, rapports, pièces du dossier) qu’il convient de citer. • Il ne doit pas contenir de contradiction interne. • Il doit être impartial. • Il doit répondre aux questions posées. • Il doit se référer aux connaissances scientifiques les plus récentes. • Et pourtant doit être aisément compréhensible par un lecteur non spécialisé. DÉFIS DE L’EXPERTISE EN CRÉDIBILITÉ La médiatisation des révélations d’abus sexuels sur mi- neurs s’est accrue ces dernières décennies. La révélation de ces faits provoque toujours un fort impact émotionnel dans le public, en raison de la violence faite aux enfants victimes mais aussi en raison du risque d’erreur judiciaire. Les attentes de la justice et de la société ont donné dans ce domaine plus d’importance aux experts psychiatres et à leur évaluation de la parole de l’enfant. Historiquement, la valeur attribuée aux déclarations de l’enfant, enfant victime ou enfant témoin, a beaucoup évo- lué dans le cadre des procédures pénales. On est passé du statut extrême de l’enfant non fiable à celui, non moins extrême, de l’enfant qui ne pouvait pas mentir.5 Aujourd’hui, grâce à une meilleure connaissance en ma- tière de développement de l’enfant (mémoire, cognition, rappel, savoir, langage…), et à l’identification des phéno- mènes délétères liés aux interrogatoires répétés ou sug- gestifs, la parole de l’enfant a acquis auprès des tribunaux une nouvelle valeur, plus nuancée mais aussi plus juste. Cette dernière constitue l’enjeu des expertises de crédi- bilité, dans des procédures où les preuves manquent et où la parole d’un adulte s’oppose à celle d’un enfant. L’expertise de crédibilité est demandée à un spécialiste (psychiatre ou psychologue), par un juge dans le cadre d’une instruction pénale, dans laquelle la majorité des accusa- tions reposent sur les allégations d’une victime mineure. L’absence de preuves ou d’aveux complets de l’inculpé nécessite l’intervention du spécialiste qui devra détermi- ner si les accusations de la victime supposée sont crédibles ou non. Par exemple, il est apparu que parmi les accusa- tions d’abus sexuel dans les cas de divorce litigieux nom- breuses étaient fausses (accusations intentionnellement erronées ou par perte de confiance de la part d’un parent dans son ex-conjoint). Le spécialiste doit donc se baser sur la lecture du dos- sier pénal, l’analyse du discours de l’enfant et d’une éven- tuelle psychopathologie, ainsi que sur l’examen du con- texte des révélations. L’objectif principal de cette expertise est donc, via un examen clinique de l’enfant, l’analyse stricte de son dis- cours et l’étude de sa situation socio-familiale, d’évaluer si ses déclarations peuvent être crues ou pas et donc si les accusations peuvent être considérées comme fondées ou non. De là découle la suite d’une procédure pouvant con- duire éventuellement à une condamnation. La tentation est grande et le danger immense de con- fondre la crédibilité et la véracité, c’est-à-dire d’assimiler un discours qui peut être cru à une preuve que les faits se sont réellement déroulés. Devant l’enjeu de ces expertises et les progrès réalisés en matière de recherche sur la crédibilité, de nouveaux paramètres apparaissent comme incontournables. Sur la base de «l’hypothèse de Undeutsch» selon laquelle les témoignages relevant d’événements factuels réellement vécus sont qualitativement différents de déclarations qui ne sont pas fondées sur l’expérience vécue, une équipe internationale a créé le Statement Validity Analysis (SVA) à la fin des années 1980.6 Cette méthode est actuellement la mieux validée et probablement la plus utilisée.7 Conformément à la SVA, le recueil des allégations de l’enfant doit répondre à certains critères afin de diminuer, autant que faire se peut, les phénomènes de victimisation secondaire et de suggestibilité. C’est pourquoi les toutes premières déclarations à la police (en général les plus in- formatives) sont désormais enregistrées sur support audio- vidéo. L’architecture même de l’audition vise à éviter les questions induisant chez l’enfant une reconstruction in- consciente post-événementielle (suggestibilité) qui rend son discours moins fiable car moins fidèle à ses souvenirs. Dans un deuxième temps, l’expert procède à l’étude des déclarations de l’enfant, selon la méthode du Criteria- Based Content Analysis (CBCA). Il s’agit d’une analyse de l’au- dition à travers dix-neuf critères. Ceux-ci sont regroupés sous différentes catégories comme les caractéristiques gé- nérales du discours (cohérence, consistance…), ses carac- téristiques spécifiques (interactions, détails…), le contenu relatif aux motivations de la déclaration et les éléments du scénario d’abus. Les critères sont systématiquement re- cherchés et pondérés en fonction de l’âge de l’enfant ou de la présence d’une pathologie psychique. Le CBCA consti- tue pour l’essentiel un outil qualitatif, mais non psycho- métrique. Dans un troisième temps, cette analyse est complétée par l’application de facteurs de vérification liés à la qualité de l’audition, à ce qui est observé chez l’enfant pendant l’audition (comportement, gestuelle…) et la présence d’au- tres preuves (matérielle, médicale…). Finalement, l’analyse des déclarations de l’enfant per- met de relever certains critères de crédibilité dont le nombre et la qualité doivent être interprétés à la lumière des résultats de la littérature scientifique et des particula- rités cliniques du cas. Les conclusions doivent permettre, autant que faire se peut, d’aboutir à un prononcé de cré- dibilité ou de non-crédibilité. La crédibilité «moyenne» 1602 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 33334_1600_1604.qxp 26.6.2008 9:06 Page 3
  • 4. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 1603 équivaut habituellement à l’absence de conclusion et ne permet guère à la justice de progresser, mais il en va de l’honnêteté de l’expert de reconnaître qu’il ne peut pas se prononcer lorsqu’il est dans l’indécision. MÉTHODOLOGIE ACTUELLE DE L’EXPERTISE EN DANGEROSITÉ La nouvelle teneur de la partie générale du CPS, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, suppose un recours accru à l’expert psychiatre pour l’évaluation de la dangerosité des délinquants. D’une part, les questions posées à l’expert dans le cadre de l’expertise en responsabilité s’étendent au domaine de la dangerosité, puisque l’expert doit évaluer, en sus de la responsabilité, le risque de récidive lié soit à un trouble mental grave, soit à «des caractéristiques de la personna- lité de l’auteur, des circonstances dans lesquelles il a com- mis l’infraction et de son vécu» (art.64 CPS). D’autre part, la réforme du code pénal permet désormais de mettre en place une mesure thérapeutique pendant l’exécution d’une peine privative de liberté, alors que cette mesure n’avait pas été prévue dans le jugement initial (art. 65 CPS). Le recours à l’expert psychiatre est là aussi nécessaire. Enfin, et c’est la source principale des demandes d’ex- pertise en dangerosité, le CPS prévoit désormais que les décisions d’application des peines et des mesures seront prises par une «autorité d’exécution». Cette autorité de justice, le Tribunal d’application des peines et des mesures à Genève, le juge d’application des peines dans le canton de Vaud, a désormais régulièrement recours à des experts pour évaluer la dangerosité des personnes soumises à des mesures. Historiquement, l’évaluation de la dangerosité s’est longtemps faite sur le modèle «clinique». Il s’agissait pour l’expert d’appliquer à la dangerosité le même processus de raisonnement que pour le diagnostic médical, c’est-à- dire de procéder à une collecte de tous les signes censés être significatifs d’un état dangereux ou de l’absence d’un tel état. L’inconvénient principal de cette méthode était que l’état dangereux n’existe pas en tant que tableau cli- nique sémiologiquement déterminé et que le recueil des signes de dangerosité dépendait principalement de l’in- tuition, de l’expérience et des connaissances de l’expert. Cette évaluation était donc extrêmement subjective. Les critiques à l’égard de l’évaluation clinique de l’état dangereux ont débuté dès le milieu du XXe siècle et se sont amplifiées dans les années suivantes. Un des exemples les plus significatifs de ces critiques est l’étude Steadman (1972) sur la cohorte des «Baxstrom patients», constituée de malades qui avaient été considérés comme dangereux mais avaient été libérés suite à un vice de procédure. Il est apparu à travers ces travaux que l’évaluation clinique de la dangerosité n’était pas meilleure, et souvent inférieure à ce que pouvait laisser espérer le hasard.8 La question de l’évaluation de la dangerosité pose le double problème des faux positifs et des faux négatifs. Les faux positifs sont les cas pour lesquels les expertisés sont considérés comme dangereux alors qu’ils ne le sont pas. Ces erreurs sont les plus nombreuses car les experts ont toujours tendance à surévaluer la dangerosité par crainte de commettre l’erreur inverse qui est le faux négatif. Dans ces cas en effet les sujets dangereux ne sont pas évalués comme tels. Ils peuvent alors être libérés et faire de nou- velles victimes. A partir des années 1980, de nouvelles méthodologies ont vu le jour pour tenter de pallier les défauts de ces éva- luations cliniques. Ces méthodes sont nombreuses et nous en présentons ci-dessous trois principales en raison de leurs validations bien établies. La Psychopathic Checklist Revisited (PCL-R) de Hare n’est pas à proprement parler une échelle d’évaluation de la dangerosité mais une méthode d’évaluation de la psycho- pathie.9 Ce profil psychologique a été étudié et réactuali- sé par Hare et est proche de la notion criminologique de personnalité criminelle de Pinatel ou de celle de person- nalité antisociale du DSM-IV. Plus la tendance psychopa- thique est élevée, plus le risque de comportements anti- sociaux est élevé. La PCL-R est donc par elle-même un élément d’appréciation important de la dangerosité, et elle est de plus un des facteurs d’appréciation d’autres échelles. Les échelles d’évaluations spécifiques de la dangerosité peuvent être actuarielles ou semi-cliniques. Les échelles actuarielles relèvent de la volonté de calculer un risque en excluant toute subjectivité clinique. Une des plus connues est la Violence Risk Appraisal Guide (VRAG), accompagnée de sa version spécifique aux délinquants sexuels la Sex Offender Risk Appraisal Guide (SORAG).10 La VRAG comporte douze items. Chacun de ceux-ci donne lieu à un score en fonction d’une pondération précise. Le score final aboutit à une évaluation du risque de récidive, en pourcentage pour un temps déterminé. L’inconvénient majeur des échelles actuarielles est que, ne prenant pas en considération l’avenir, mais uniquement le passé, elles ne sont pas évolutives. Quelle que soit l’évolution psychique du délinquant ou de son environne- ment social, son risque de récidive selon l’échelle actua- rielle restera le même. Les échelles semi-cliniques par contre se basent sur le recueil de facteurs appartenant non seulement au passé du délinquant, mais également à son état actuel et aux projets quant à son avenir. Une des plus connues est la Historical-Clinical Risk Management scale (HCR-20)11 qui com- prend vingt items cotés entre 0 et 2, ce qui permet une notation sur 40 points. La HCR-20 n’a pas de cut-off, et l’évaluation finale de la dangerosité appartient entière- ment à l’évaluateur, en fonction de la note finale et de l’ap- préciation qu’il fait du poids de chaque facteur. C’est en ceci qu’elle est considérée comme semi-clinique. Actuellement, l’expert qui se charge d’une mission d’éva- luation de la dangerosité ne peut plus se contenter d’une évaluation clinique. Cependant, il serait tout aussi criti- quable qu’il se contente de réaliser une échelle actuarielle ou semi-clinique et qu’il en applique directement les résultats.12 L’expertise d’évaluation du risque de récidive et de la dangerosité relève toujours d’une étude clinique approfondie de chaque cas individuel, assortie du recours à l’utilisation d’une ou plusieurs échelles standardisées, 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 33334_1600_1604.qxp 26.6.2008 9:06 Page 4
  • 5. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 0 dont les résultats doivent être pesés et pondérés en fonc- tion des particularités anamnestiques et cliniques du sujet. CONCLUSION Accepter la charge d’une expertise revient à s’astreindre à un travail de compétence et de responsabilité. L’expert doit toujours être en mesure de rendre compte de son tra- vail devant l’autorité qui l’a mandaté et de justifier les réponses qu’il a apportées aux questions qui lui étaient posées. Quoique contraint à prendre connaissance de nombreux dossiers et sollicité lui-même à produire un rapport médi- co-légal, l’expert se doit de rester proche de la clinique et de la réalité du champ thérapeutique. Il doit être autant informé de l’évolution de sa spécialité que de celle de la loi et de la jurisprudence. 1604 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 juillet 2008 1 * Rosatti P. L’expertise médicale. De la décision à propos de quelques diagnostics difficiles. Chêne-Bourg: Ed. Médecine et Hygiène, 2002. 2 Code pénal suisse www.admin.ch 3 Gasser J, Gravier B. Quelques conséquences de l’application du nouveau code pénal suisse sur la psy- chiatrie légale. Rev Med Suisse 2007;3:2103-12. 4 * Rosner R. Principles and practice of forensic psy- chiatry, second edition. New York: Oxford University press, 2003. 5 ** Ceci SJ, Bruck M. L’enfant témoin. Une analyse scientifique des témoignages d’enfants. Bruxelles: Eds De Boeck Université, 1998. 6 ** Raskin DC,Esplin PW.Statement validity assess- ment: Interview procedures and content analysis of children’s statements of sexual abuse. Behavioural As- sessment 1991;13:265-91. 7 Vrij A. Criteria-based content analysis.A qualitative review of the first 37 studies. Psychology, public policy and Law 2005;11:3-41. 8 Steadman HJ,Keveles G.The community adjustment and criminal activity of the Baxstrom patients: 1966- 1970.Am J Psychiatry 1972;129:304-10. 9 Guay JP, Ruscio J, Knight RA, Hare RD. A taxome- tric analysis of the latent structure of psychopathy: Evidence for dimensionality. J Abnorm Psychol 2007; 116:701-16. 10 Quinsey VL, Harris GT, Rice ME, Cornier CA. Violent offenders, appraising and managing risk, second edition.American psychological association,Washington, 2002. 11 * Douglas K,Webster C.The HCR-20 violence risk assessment scheme.Criminal Justice and Behavior 1999; 26:3-19. 12 * Gray NS, Fitzgerald S, Taylor J, Macculloch MJ, Snowden RJ. Predicting future reconviction in offen- ders with intellectual disabilities:The predictive efficacy of VRAG, PCL-SV, and the HCR-20. Psychol Assess 2007;19:474-9. * à lire ** à lire absolument Bibliographie Implications pratiques La pratique de l’expertise psychiatrique pénale suppose une connaissance approfondie de la partie générale du Code pénal suisse L’expertise en responsabilité nécessite un diagnostic rétros- pectif et une appréciation des capacités cognitives et volitives de l’expertisé au moment des faits. L’expert doit être en mesure de faire des propositions de mesures thérapeutiques L’expertise en crédibilité des déclarations des mineurs sup- pose une formation spécialisée en pédopsychiatrie et le ma- niement d’outils d’évaluation tel le StatementValidity Analysis L’évaluation de la dangerosité repose à la fois sur l’utilisation d’échelles standardisées et sur l’appréciation clinique du spé- cialiste > > > > 33334_1600_1604.qxp 26.6.2008 9:06 Page 5