L’effet de déculpabilisation de la théorie étiologique cérébrale de la schizophrénie observable en clinique n’a pas entraîné la déstigmatisation
sociale des malades. L'ascension sociale du paradigme “Blaming the Brain” est corrélée positivement à
la stigmatisation sociale. Les programmes d'intervention précoce/dépistage précoce de la schizophrénie doivent en tenir compte.
1. Un air de révolution
psychiatrique?
La schizophrénie, le cerveau, les
savoirs sociaux et l’intervention
précoce vus par les sciences
sociales
Krzysztof Skuza
UNIL, SSP, ISSP, Laboratoire de sociologie
1
2. Psychiatries, psychiatres,
préventions...
Les trois “âges” de la psychiatrie: regard (Pinel) - écoute (Freud) - geste médical
(choc insulinique, électroconvulsion, neuroleptiques)
S. Freud “L’analyse avec fin et l’analyse sans fin” (1937): chap. IV (au sujet de la
névrose): tant qu’un conflit actuel ne se manifeste pas, l’analyste ne peut avoir
aucune influence sur lui. Produire artificiellement de nouveaux conflits
transférentiels dans un but préventif est nuisible pour le transfert positif
indispensable à la cure
H. Grivois “Peut-on et a-t-on l’intérêt à faire un diagnostic précoce de la
schizophrénie?” (2000), (au sujet de la psychose): la psychose naissante (≠
schizophrénie débutante) est un accident et ne peut faire l’objet d’aucune prévention,
mais nécessite une clinique spécifique
réticence théorique traditionnelle de la psychiatrie dynamique par rapport à la
prévention visant la réduction de l’incidence de la maladie psychiatrique...
...et le sentiment chez de nombreux cliniciens d’arriver en retard...
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3. Intervention précoce = prévention secondaire
(Caplan, 1964) (Warner, 2001)
prévention
primaire secondaire tertiaire
réduction de réduction de réduction des
l’incidence la durée complications
EPPIC, McGorry
Warner (2001): pharmacothérapie
PRIME, McGlashan
campagne contre les facteurs suivi dans le milieu
TIPP Lausanne (?)
de risque périnataux etc.
etc.
quel rôle pour psychiatre
psychiatre superflu?
le psychiatre? + équipe méd.-soc.
3
4. Intervention précoce:
pourquoi maintenant?
point de vue
type de
épistémique subjectif des institutionnelle
réponse
acteurs
“Une médicalisation
“de nouvelles
progressive de la
connaissances et le “il faut faire quelque
psychiatrie entraîne
progrès de la chose, nous ne
réponse-type l’adoption d’une
recherche ont rendu voulons plus arriver
logique de la
possible une nouvelle toujours trop tard”
médecine préventive
approche”
somatique”
rupture d’avec le pessimisme kraepelinien, la théorie étiologique
prise de conscience du biais de chronicité, cérébrale et les SGAs
argument(s)- DPNT/DUP, nouvelles études ont fait entrer la
épidémiologiques et évolution favorable psychiatrie dans le
type(s)
d’une partie des patients, nouveaux “mainstream” de la
médicaments, sentiments des cliniciens médecine préventive
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5. Guerres des psys 1
biais de chronicité contre biais de sélection?(Warner, 2005) (Cf.
reproche du biais de sélection formulée habituellement au projet
Soteria (Mosher/Ciompi)...)
DPNT/DUP et le résultat thérapeutique: corrélation pertinente pour
plusieurs troubles psychotiques, à l’exception la schizophrénie
(Warner, 2005)
DPNT/DUP force prédictive: ce facteur n’explique pas plus de 15% de
la variance, ce que l’on appelle la “corrélation faible à modérée”, il
n’existerait pas de corrélation entre DPNT/DUP et les symptômes
négatifs (Addington, 2007)
SGAs: efficacité améliorée mais pas révolutionnaire du tout, effets
secondaires pyramidaux “remplacés” par effets secondaires
métaboliques, sécurité à long terme inconnue, stratégies de “sortie”
inconnues (Addington, 2007).
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6. Guerres des psys 2: le socio s’en mêle...
Point de vue institutionnel (sur le “champ” psychiatrique déchiré par des tendances idéologiques
antagonistes: l’intervention précoce, telle qu’on la pratique aujourd’hui peut être perçue comme un pas en
avant en direction de la biologisation de la schizophrénie (...et de la psychiatrie) et renforce la dérive du
modèle stress-vulnérabilité: exemple du dépistage et de la thérapeutique
dépistage: population clinique: 20-40% de prédictions correctes (valeur
prédictive positive modeste) (McGorry & Yung, 1997), population générale:
6-25% (sensibilité modeste) (Warner, 2001). Problème: beaucoup de “faux
positifs” dans la population clinique et beaucoup de “faux négatifs” dans la
population générale
solution envisagée: marqueurs biologiques de la SZ (probablement cliniquement
utile, mais ne résout pas le problème conceptuel avec la schizophrénie. Quel
coût social d’un tel outil qui risque de produire une altérité biologique radicale
du “fou”, que l’on pourrait “démasquer” même à son insu? )
thérapeutique: des neuroleptiques conçus pour le stade chronique sont utilisés
(doses réduites) “avant” que la maladie se manifeste
solution envisagée: (ré-)prendre au sérieux le modèle stress-vulnérabilité et
utiliser plutôt des antidépresseur que des neuroleptiques (Cornblatt et al.,
2001). (solution toujours “biologique” qui plus est contestable depuis la méta-
analyse de Kirsch et al., 2008. Logique dominante: cost-effectiveness...)
6
7. 0 20 40 60 80
(Angermeyer&Matschinger, 2005)
évén. vie
1990 2001
stress trav.
rupt. fam.
51
cerveau
affect. parent-
70
faibl. caract.
cond. immor.
41 Les causes “psychosociales” conservent leur
hérédité
popularité, les profanes tendent toutefois à se
60 tourner vers les causes biologiques “dures”,
processus accompagné d’un léger effet de
déculpabilisation des proches du schizophrène
(rupt.fam, affect. parent-) et du schizophrène lui-
même (faibl. caract.)
7
8. Schizophrénie, maladie du cerveau: une
définition qui a tout pour plaire?
“Schizophrenia is a chronic, severe, and disabling
brain disorder that has been recognized throughout
recorded history.” (NIMH)
fou, agent de ses avoir victime passive de
être
symptômes la schizophrénie l’organe malade
schizophrène
mère perverse Blaming the Blaming the alliée/partenaire
schizophrénogène mother brain thérapeutique
affinité affinité
psychiatre en mal
médecin “sérieux”
avec les avec les
de reconnaissance
sc. humaines sc. naturelles
8
9. déculpabilisation en clinique,
stigmatisation en société...
Degré de distance sociale souhaitée par rapport à un schizophrène
(Angermeyer & Matschinger, 2005)
1990 2001
+16%
+19% 90%
+14% 75%
84%
+13%
63%
+16% 68% 60%
44% 45%
60%
30%
33% 46%
35%
20%
15%
19%
locataire 0%
collègue tr.
voisin
chargé d’enf.
recommand.
9
10. Questionnements...
l’effet de déculpabilisation observable en clinique n’a pas entraîné la déstigmatisation
sociale; ascension sociale du paradigme “Blaming the Brain” corrélé positivement à
la stigmatisation sociale
détection précoce: le paradigme biomédical y est présent tant en version “faible” que
“forte” (i.e. espoir de pouvoir renforcer la fiabilité du diagnostic par un/des
marqueur(s) biologiques) et risque d’alimenter la stigmatisation sociale (“détection
de fous asymptomatiques invisibles”)
l’un des usages sociaux des savoirs psychopathologiques experts consiste en leurs
mise à contribution à la construction sociale de l’altérité radicale des schizophrènes,
ce y compris au niveau biologique (“le cerveau schizophrène”); construction d’un
“eux” dangereux car imprévisible; la finesse experte s’estompe en cours de route
détection précoce: médecins généralistes, mais aussi, potentiellement, M. et Mme
Tout-le-monde en tant que parents d’un schizophrène potentiel, les enseignants, les
policiers, le clergé, etc. doivent tous être au courant des “signaux d’alarme”.
Comment vont-ils utiliser ce savoir à la fois potentiellement stigmatisant, peu
spécifique et à l’utilité diagnostique faible ?
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11. Problème de la demande sociale: vivons-nous
dans une société de dépistage qui aurait
ponctué nos parcours de vie par des balises
d’angoisses spécifiques?
trisomie autisme schizophrénie Alzheimer
... et si l’angoisse du risque était un
symptôme caractéristique de notre société
qui aurait chronicisé l’appréhension
anxieuse? (non sans aide de certains
paradigmes de la médecine préventive...)
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