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LUCIE RANDOIN (1885-1960)
Note biographique
établie par Pierre Cornu et Egizio
Valceschini au titre
du Comité d’histoire Inrae-Cirad
Octobre 2023
Lucie Randoin compte parmi les figures pionnières de la conquête des institutions
scientifiques françaises par les femmes au 20ème
siècle. Le relatif oubli dans lequel elle est
tombée depuis son décès en 1960 ne tient pas à des obstacles qui auraient été mis à la
reconnaissance de son talent ou de ses réalisations, mais plus simplement au fait qu’elle a
essentiellement agi au profit d’une recherche finalisée autour des enjeux de la nutrition dans
une période historique marquée par des crises et des guerres ayant impliqué une forte
mobilisation de la recherche appliquée et de l’expertise. La focalisation excessive de nos
mémoires sur l’excellence en termes de recherche fondamentale explique largement cette
invisibilité de Lucie Randoin dans les commémorations du rôle des femmes dans l’aventure
scientifique du siècle, quand bien même ses travaux des années 1920 sur les vitamines
relèvent aussi de cet ordre.
Avec le recul de l’histoire, sa contribution apparaît d’une très grande valeur, aussi bien en
termes de production de connaissances que d’invention de méthodes d’approche des enjeux
de la nutrition et plus encore d’innovations dans l’expertise sur les qualités nutritionnelles
des aliments. Dans sa carrière, Lucie Randoin a tout d’abord montré de hautes qualités
académiques, puis une grande force de travail, enfin et surtout un grand sens des
responsabilités dans l’institutionnalisation d’une recherche sur la nutrition qui constitua un
front pionner de la recherche à son époque. Son legs est certes dispersé entre les différents
organismes de recherche qui ont pris en main la question de la nutrition après son départ à la
retraite, mais pour autant il est considérable à l’Inserm aussi bien qu’à l’Inra, devenu Inrae
en 2020.
Ajoutons enfin que Lucie Randoin a démontré dans sa carrière des vertus de lucidité, de
courage et d’engagement, y compris sous l’Occupation, qui en font une figure
particulièrement digne d’un hommage rétrospectif.
Éléments de biographie
Lucie Randoin naît le 11 mai 1885 à Bœurs-en-Othe (Yonne), fille d'Arthur Fandard et
d'Estelle Gauvin. En 1892, la famille s’installe à Passy où les parents de Lucie Randoin
ouvrent une librairie. Leur décès précoce oblige toutefois cette dernière à gagner sa vie tout en
menant à bien ses études. Lucie Randoin s'inscrit en licence ès-science à l'université de la
Sorbonne en vue de passer l’agrégation. Elle obtient sa licence en 1908, puis un diplôme
d'études supérieures en 1909. Arrivée seconde à l'agrégation de sciences naturelles en 1911,
elle est la deuxième femme à réussir le concours. Pendant dix ans, de 1909 à 1919, elle
travaille dans le laboratoire de physiologie de la Faculté des sciences de Paris comme
assistante du professeur de médecine et de physiologie Albert Dastre (1844-1917). Elle débute
avant la guerre une thèse sur « Le sucre libre et le sucre protéidique du sang », qu’elle doit
suspendre pendant ls hostilités pour occuper les fonctions de maître de conférences à la
Faculté de médecine de Paris, en l’absence du titulaire, mobilisé. Mariée en juillet 1914 avec
Arthur Randoin, géologue, elle voit son époux partir immédiatement pour le front, dont il ne
rentrera qu’en 1918, avec comme séquelles durables une insuffisance pulmonaire.
Lucie Randoin soutient sa thèse le 14 mai 1918 à la Faculté des sciences de Paris. Dès lors,
elle va développer une activité inlassable de chercheuse, d’experte et d’organisatrice de la
recherche pour faire avancer les connaissances sur la nutrition, et notamment sur la question
du rôle des vitamines. Installée tout d’abord au laboratoire de l’Institut océanographique, elle
présente ses premières notes de vitaminologie en collaboration avec Paul Portier en 1919.
Tout au long des années 1920, Lucie Randoin publie un grand nombre de travaux sur les
vitamines, et pose les bases d’une science appliquée de la nutrition. Elle présente ainsi
successivement les résultats de ses travaux sur « le facteur antiscorbutique » et sur le « le
facteur hydrosoluble B ». Ces terminologies montrent la dimension descriptive de ces
résultats, alors que les vitamines, dénommées ainsi par Funck en 1911, n’étaient pas encore
identifiées chimiquement, et non étudiées en France. De fait, leur existence n’était encore
déterminée que par les effets de leur absence. Ces travaux d’identification et de qualification
des vitamines valent alors à Lucie Randoin le surnom de « muse des vitamines »...
Dès 1923-1924, Lucie Randoin et Henri Simmonet explicitent la « nécessité de réaliser pour
chaque âge de la vie et pour les divers états physiologiques que peut présenter l’organisme,
des équilibres alimentaires déterminés », bases physiologiques de l’alimentation rationnelle et
d’une « nouvelle thérapeutique ». Au-delà de la composition des aliments et de l’identification
des éléments nutritifs et des interactions entre ces composés au sein du régime alimentaire, les
recherches de Lucie Randoin font entrer la nutrition dans une complexité nouvelle. D’abord
pensée en termes simplement caloriques, la notion d’équilibre alimentaire avait été
développée au début du XXe siècle par Albert Dastre, qui considérait que les mammifères
n’ont besoin « que d’albuminoïdes, d’hydrates de carbone et de graisses » en supplément de
l’oxygène fourni par la respiration. Lucie Randoin ajoute donc à la doctrine énergétique une
dimension qualitative, qui cesse de considérer les principes nutritifs comme
« interchangeables au prorata de leur valeur calorifique ».
Dans l’Entre-deux-guerres, la nutrition est un champ de recherche qui mobilise
essentiellement la biochimie et la physiologie. En France, c’est principalement à Strasbourg,
sous l’impulsion d’Émile Florent Terroine (1882-1974), qu’elle se développe. Ce champ de la
connaissance obtient une première reconnaissance dans la capitale avec la création du Centre
National de la Recherche Scientifique (CNRS) en 1939 et au sein de l’École Pratique des
Hautes Études, avec la création d’un centre de recherches scientifiques sur l'alimentation,
initialement dirigé par Lucie Randoin. Ses travaux prennent place au sein de deux laboratoires
expérimentaux : le laboratoire de physiologie de la nutrition de l’École des Hautes Études,
subventionné par la Caisse nationale de la recherche scientifique, et celui de physiologie du
Centre de recherches sur l’alimentation de l’Institut de Recherche Agronomique (IRA, dissous
comme institution en 1934), sous tutelle du ministère de l’Agriculture. L’ensemble de ces
structures est regroupé dans un complexe scientifique abrité rue de l’Estrapade à Paris. Lucie
Randoin jouit alors d’une reconnaissance au plus haut niveau. Elle représente la France,
comme déléguée, aux conférences internationales pour la standardisation des vitamines
(Londres 1931, 1934). Elle participe également à de nombreux congrès scientifiques (Boston
en 1929, Rome en 1932, Madrid en 1934, Bruxelles en 1935…).
À la fin des années 1930, sous l’impulsion du comité d’hygiène de la Société des Nations, la
France se dote d’un dispositif d’enquêtes novateur dans le champ de la nutrition. Il est mis en
place, sur le modèle des « dietary surveys » aux États-Unis, par le physiologiste André Mayer
(1875-1956), professeur de physiologie au Collège de France et nouvellement Président de la
Société Scientifique d’Hygiène Alimentaire (SSHA), et par Lucie Randoin, à cette date
directrice du laboratoire de physiologie à la SSHA. Depuis le début du siècle, cette société est
le principal lieu d’élaboration de « l’alimentation rationnelle », c’est-à-dire d’une discipline
qui se charge de quantifier, de manière expérimentale, les activités physiologiques avec des
unités qui servent aussi à quantifier les aliments (calories, sucres, etc.) et de trouver le
meilleur équilibre entre les deux.
Le dispositif des « Enquêtes nationales sur l’alimentation » comporte deux volets. Le premier
consiste en l’évaluation des disponibilités alimentaires. Le second vise à mesurer les
consommations réelles des individus et des collectivités, et se révèle le plus innovant. Le
dispositif mis en œuvre se distingue tout d’abord des enquêtes par budgets de famille qui
furent longtemps les principales sources de renseignement sur les consommations
alimentaires. L’enquête de Lucie Randoin développe une méthodologie basée sur la pesée
systématique des aliments, quantifiant toutes les opérations culinaires qui pourraient causer
une déperdition de poids ou d’éléments nutritionnels. Pour pouvoir calculer la composition
des rations consommées à l’aide des tables de composition des aliments qu’elle a elle-même
mises au point, les enquêteuses doivent « fournir autant que possible le poids de tous les
aliments crus qui sont absorbés, soit aux repas, soit en dehors des repas, soit en dehors de la
famille ». Ce dispositif est également novateur en ce qu’il porte sur la population générale,
c’est-à-dire en dehors des institutions dont les patients, prisonniers et militaires, avaient été les
principales cibles des efforts de quantification des besoins alimentaires jusqu’alors. La
publication en 1937 du questionnaire dans le Bulletin de la SSHA en assure les conditions de
reproductibilité et permet à ses auteurs de placer les jalons d’une standardisation des
procédures de collecte de données sur l’alimentation. Deux années seront nécessaires à
l’équipe d’enquêteuses pour recueillir l’ensemble des données. In fine, entre 1937 et 1939 est
recueillie et analysée la composition de l’alimentation de plus de 230 familles et
50 collectivités, soit un total de 14 605 « rationnaires ».
A partir de ces données, Lucie Randoin et ses collaborateurs procèdent au calcul, inédit en
France, de la ration calorique moyenne par individu et par groupe de population selon
l’habitat et le métier, basée sur les consommations réelles. Ils réalisent également l’analyse
nutritionnelle des aliments consommés, qui servira notamment à mettre à jour les Tables de
composition des aliments publiées pour la première fois en France par Lucie Randoin en
1937. Les résultats de l’enquête leur permettent enfin d’établir de nouvelles rations
alimentaires pour les différents groupes de population, à la différence des « rations
théoriques » définies jusqu’ici de manière expérimentale.
La CNRSA finance le dispositif jusqu’en 1940, avec le soutien d’André Mayer. Le relais, en
termes de budget, est pris pour l’année 1942 par le Secours National, puis à partir de février
1943 par l’Institut National d’Hygiène (INH). La création de cette nouvelle institution en
modifie le fonctionnement, puisque désormais les données sont communiquées
mensuellement à la Section de nutrition, qui les analyse et en publie les résultats dans le
Bulletin de l’INH. Elle modifie également la méthode d’enquête. Le service de la SSHA
effectue une forme de sous-traitance des enquêtes, et en laisse l’analyse au directeur du
Service nutrition, Jean Trémolières.
Lors de l’entrée en guerre, Lucie Randoin bénéficie de la reconduction des crédits de la
CNRSA pour les Enquêtes nationales sur l’alimentation jusqu’à la fin de 1940, le comité
spécialisé s’appuyant sur ses travaux et lui passant commande par exemple d’un guide sur le
colis du soldat. Les enjeux sont saisis sous l’occupation par l’équipe « nutrition » de la
Fondation française pour l’étude des problèmes humains dirigée par Alexis Carrel, avec des
objectifs pratiques davantage que scientifiques. En 1943, la Fondation publie un manuel dont
l’objectif est de « guider ceux qui ont ou auront la possibilité de faire manger leurs
semblables, hommes, femmes, enfants, travailleurs de toutes catégories ». La première partie
fait un état des connaissances chimiques et physiologiques sur l’alimentation de l’homme et la
seconde entend donner « le moyen d’établir des rations physiologiques, c’est-à-dire d’utiliser
au mieux les produits alimentaires mis à la disposition des communautés et celui de remédier
dans la mesure du possible au déficit des rations ». Les auteurs de ce document s’appuient
essentiellement sur les travaux et publications de l’équipe de Lucie Randoin.
L’expérience de la Seconde Guerre mondiale et des privations de l’occupation modifie non
seulement le contenu des normes nutritionnelles (par exemple, les quantités de protéines ou de
calories recommandées) mais influe aussi sur la manière dont elles sont mesurées et mises en
application. La notion de « ration » entre en concurrence avec une conception plus large des
« standards alimentaires » visant à préciser les seuils inférieurs de consommation auxquels se
développent certaines maladies. Tout au long de la période, Lucie Randoin se démultiplie
pour rationaliser au mieux le ravitaillement et avertir sur les conséquences de la sous-
nutrition. Son laboratoire sert également de refuge à des personnes pourchassées par
l’occupant ou le régime de Vichy.
À la Libération, la recherche en nutrition, et particulièrement en nutrition humaine, se
concentre autour de Paris. Ainsi, la répartition des principaux lieux de la recherche se fait
entre le campus de Bellevue-Meudon et la rue de l’Estrapade au sein de la Société scientifique
d’hygiène alimentaire, dont la plus éminente représentante est Lucie Randoin. Cette dernière
est alors une contributrice importante à l’œuvre de réorganisation à la fois de la recherche et
de l’administration de la santé publique. En 1944, elle devient présidente de la Société de
chimie biologique ; en 1946, elle est admise à l’Académie de médecine, où elle est la seule
femme à siéger depuis le décès de Marie Curie.
C’est dans cette période charnière que Lucie Randoin se fait formatrice d’une nouvelle
génération de chercheurs. Jean Causeret, diplômé de la Sorbonne, est recruté en 1942 comme
agent technique du CNRS sous sa direction. Après deux années de travaux bibliographiques
sur la composition des aliments, ce dernier entreprend l’étude de l’influence de différents
composés nutritionnels sur la croissance de jeunes rats blancs. La publication des résultats
conclut à l’interaction entre les éléments minéraux dont le ratio détermine soit un effet
bénéfique soit inhibant pour la croissance. Dans le même temps, les travaux bibliographiques
de Jean Causeret permettent la réédition, la correction et l’augmentation des Tables de Lucie
Randoin.
Jusqu’à la fin des années 1950, le laboratoire de Lucie Randoin se distingue par une activité
multiforme, à la fois de recherche en laboratoire, d’expertise auprès des pouvoirs publics et
des industriels, de vulgarisation des sciences de la nutrition et de dialogue avec les autres
institutions scientifiques nationales et internationales. Avec l’appui de l’administration de
l'enseignement technique, elle fonde en 1951, aux côtés de Jean Trémolières, l’Institut
supérieur de l'alimentation et de l'école de diététique, dont elle assure elle-même une partie
des enseignements. Lucie Randoin fait par ailleurs un grand nombre d'interventions à la radio
et participe à plusieurs émissions de télévision. En 1956, elle est chargée d'organiser sur les
ondes nationales un cours intitulé « Tribune de la Santé », qui s’étale sur trois mois.
L’Institut national de la recherche agronomique (Inra), fondé en 1946 et placé sous la tutelle
du ministère de l’Agriculture, a des compétences en technologie alimentaire, mais aucune en
nutrition humaine. C’est par des échanges réguliers avec le laboratoire de Lucie Randoin que
les agronomes vont comprendre la nécessité pour eux de prendre en compte les qualités
nutritionnelles des produits agricoles, puis de leurs formes transformées. Au départ à la
retraite de Lucie Randoin, c’est Jean Causeret qui est l’artisan du transfert de l’héritage en
étude des aliments de cette dernière à l’Inra. En effet, le jeune institut agronomique décide
d’ouvrir un front de recherche spécifiquement dédié à la nutrition humaine, sur la base de la
création d’un Laboratoire d’études des qualités des aliments de l’homme, créé par André
François au sein de son département de Nutrition et confié à Jean Causeret en 1963.
Décédée en 1960 à l’âge de 75 ans, Lucie Randoin aura travaillé pendant près d’un demi-
siècle sans discontinuer à établir une science de la nutrition humaine en France, à la croisée de
la recherche médicale, des enjeux sanitaires et sociaux et de l’innovation industrielle.
Décorations
Lucie Randoin est élevée au rang de chevalier de la Légion d’honneur en 1933, d’officier en
1948, et enfin de commandeur en juillet 1958. Elle obtient le rang de chevalier puis d'officier
du Mérite agricole (1930, 1957), d'officier de l'ordre de la Santé publique (1956), de
commandeur de l'ordre des Palmes académiques (1957).
Sources bibliographiques:
Antoine Leblanc. La construction d’une compétence : histoire de la nutrition humaine à l’Inra (1946-
1997), mémoire de Master 2 (sous la direction de Pierre Cornu), Université Lumière Lyon 2, juin 2019,
195 p.
Thomas Depecker, Anne Lhuissier. La reconfiguration des normes et des enquêtes alimentaires en
France : le service nutrition de l’institut national d’hygiène, Sciences sociales et santé, 2016/2 (vol.
34), PP. 5-36.
Thomas Depecker, Anne Lhuissier. Enquêtes nutritionnelles et reconfiguration des normes
alimentaires en France au cours de la seconde guerre mondiale. 2014. ffhal-02795760ff
Jean Causeret, Denis Poupardin, et Jean-Louis Dufour, « Entretien avec Jean Causeret », Archorales
Inra, 2003, Tome 9, p. 105.
Jean Causeret, « Du voyage de noces au départ à la retraite, quarante ans de souvenirs. Tome I. les
années parisiennes 1946-1967. Fascicule I », Document manuscrit, Archives personnelles de Jean
Causeret, 1998, p. 42.

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Lucie Randoin - Notice biographique de l'INRAE

  • 1. LUCIE RANDOIN (1885-1960) Note biographique établie par Pierre Cornu et Egizio Valceschini au titre du Comité d’histoire Inrae-Cirad Octobre 2023 Lucie Randoin compte parmi les figures pionnières de la conquête des institutions scientifiques françaises par les femmes au 20ème siècle. Le relatif oubli dans lequel elle est tombée depuis son décès en 1960 ne tient pas à des obstacles qui auraient été mis à la reconnaissance de son talent ou de ses réalisations, mais plus simplement au fait qu’elle a essentiellement agi au profit d’une recherche finalisée autour des enjeux de la nutrition dans une période historique marquée par des crises et des guerres ayant impliqué une forte mobilisation de la recherche appliquée et de l’expertise. La focalisation excessive de nos mémoires sur l’excellence en termes de recherche fondamentale explique largement cette invisibilité de Lucie Randoin dans les commémorations du rôle des femmes dans l’aventure scientifique du siècle, quand bien même ses travaux des années 1920 sur les vitamines relèvent aussi de cet ordre. Avec le recul de l’histoire, sa contribution apparaît d’une très grande valeur, aussi bien en termes de production de connaissances que d’invention de méthodes d’approche des enjeux de la nutrition et plus encore d’innovations dans l’expertise sur les qualités nutritionnelles des aliments. Dans sa carrière, Lucie Randoin a tout d’abord montré de hautes qualités académiques, puis une grande force de travail, enfin et surtout un grand sens des responsabilités dans l’institutionnalisation d’une recherche sur la nutrition qui constitua un front pionner de la recherche à son époque. Son legs est certes dispersé entre les différents organismes de recherche qui ont pris en main la question de la nutrition après son départ à la retraite, mais pour autant il est considérable à l’Inserm aussi bien qu’à l’Inra, devenu Inrae en 2020.
  • 2. Ajoutons enfin que Lucie Randoin a démontré dans sa carrière des vertus de lucidité, de courage et d’engagement, y compris sous l’Occupation, qui en font une figure particulièrement digne d’un hommage rétrospectif. Éléments de biographie Lucie Randoin naît le 11 mai 1885 à Bœurs-en-Othe (Yonne), fille d'Arthur Fandard et d'Estelle Gauvin. En 1892, la famille s’installe à Passy où les parents de Lucie Randoin ouvrent une librairie. Leur décès précoce oblige toutefois cette dernière à gagner sa vie tout en menant à bien ses études. Lucie Randoin s'inscrit en licence ès-science à l'université de la Sorbonne en vue de passer l’agrégation. Elle obtient sa licence en 1908, puis un diplôme d'études supérieures en 1909. Arrivée seconde à l'agrégation de sciences naturelles en 1911, elle est la deuxième femme à réussir le concours. Pendant dix ans, de 1909 à 1919, elle travaille dans le laboratoire de physiologie de la Faculté des sciences de Paris comme assistante du professeur de médecine et de physiologie Albert Dastre (1844-1917). Elle débute avant la guerre une thèse sur « Le sucre libre et le sucre protéidique du sang », qu’elle doit suspendre pendant ls hostilités pour occuper les fonctions de maître de conférences à la Faculté de médecine de Paris, en l’absence du titulaire, mobilisé. Mariée en juillet 1914 avec Arthur Randoin, géologue, elle voit son époux partir immédiatement pour le front, dont il ne rentrera qu’en 1918, avec comme séquelles durables une insuffisance pulmonaire. Lucie Randoin soutient sa thèse le 14 mai 1918 à la Faculté des sciences de Paris. Dès lors, elle va développer une activité inlassable de chercheuse, d’experte et d’organisatrice de la recherche pour faire avancer les connaissances sur la nutrition, et notamment sur la question du rôle des vitamines. Installée tout d’abord au laboratoire de l’Institut océanographique, elle présente ses premières notes de vitaminologie en collaboration avec Paul Portier en 1919. Tout au long des années 1920, Lucie Randoin publie un grand nombre de travaux sur les vitamines, et pose les bases d’une science appliquée de la nutrition. Elle présente ainsi successivement les résultats de ses travaux sur « le facteur antiscorbutique » et sur le « le facteur hydrosoluble B ». Ces terminologies montrent la dimension descriptive de ces résultats, alors que les vitamines, dénommées ainsi par Funck en 1911, n’étaient pas encore identifiées chimiquement, et non étudiées en France. De fait, leur existence n’était encore déterminée que par les effets de leur absence. Ces travaux d’identification et de qualification des vitamines valent alors à Lucie Randoin le surnom de « muse des vitamines »... Dès 1923-1924, Lucie Randoin et Henri Simmonet explicitent la « nécessité de réaliser pour chaque âge de la vie et pour les divers états physiologiques que peut présenter l’organisme, des équilibres alimentaires déterminés », bases physiologiques de l’alimentation rationnelle et d’une « nouvelle thérapeutique ». Au-delà de la composition des aliments et de l’identification des éléments nutritifs et des interactions entre ces composés au sein du régime alimentaire, les recherches de Lucie Randoin font entrer la nutrition dans une complexité nouvelle. D’abord pensée en termes simplement caloriques, la notion d’équilibre alimentaire avait été développée au début du XXe siècle par Albert Dastre, qui considérait que les mammifères n’ont besoin « que d’albuminoïdes, d’hydrates de carbone et de graisses » en supplément de l’oxygène fourni par la respiration. Lucie Randoin ajoute donc à la doctrine énergétique une dimension qualitative, qui cesse de considérer les principes nutritifs comme « interchangeables au prorata de leur valeur calorifique ».
  • 3. Dans l’Entre-deux-guerres, la nutrition est un champ de recherche qui mobilise essentiellement la biochimie et la physiologie. En France, c’est principalement à Strasbourg, sous l’impulsion d’Émile Florent Terroine (1882-1974), qu’elle se développe. Ce champ de la connaissance obtient une première reconnaissance dans la capitale avec la création du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) en 1939 et au sein de l’École Pratique des Hautes Études, avec la création d’un centre de recherches scientifiques sur l'alimentation, initialement dirigé par Lucie Randoin. Ses travaux prennent place au sein de deux laboratoires expérimentaux : le laboratoire de physiologie de la nutrition de l’École des Hautes Études, subventionné par la Caisse nationale de la recherche scientifique, et celui de physiologie du Centre de recherches sur l’alimentation de l’Institut de Recherche Agronomique (IRA, dissous comme institution en 1934), sous tutelle du ministère de l’Agriculture. L’ensemble de ces structures est regroupé dans un complexe scientifique abrité rue de l’Estrapade à Paris. Lucie Randoin jouit alors d’une reconnaissance au plus haut niveau. Elle représente la France, comme déléguée, aux conférences internationales pour la standardisation des vitamines (Londres 1931, 1934). Elle participe également à de nombreux congrès scientifiques (Boston en 1929, Rome en 1932, Madrid en 1934, Bruxelles en 1935…). À la fin des années 1930, sous l’impulsion du comité d’hygiène de la Société des Nations, la France se dote d’un dispositif d’enquêtes novateur dans le champ de la nutrition. Il est mis en place, sur le modèle des « dietary surveys » aux États-Unis, par le physiologiste André Mayer (1875-1956), professeur de physiologie au Collège de France et nouvellement Président de la Société Scientifique d’Hygiène Alimentaire (SSHA), et par Lucie Randoin, à cette date directrice du laboratoire de physiologie à la SSHA. Depuis le début du siècle, cette société est le principal lieu d’élaboration de « l’alimentation rationnelle », c’est-à-dire d’une discipline qui se charge de quantifier, de manière expérimentale, les activités physiologiques avec des unités qui servent aussi à quantifier les aliments (calories, sucres, etc.) et de trouver le meilleur équilibre entre les deux. Le dispositif des « Enquêtes nationales sur l’alimentation » comporte deux volets. Le premier consiste en l’évaluation des disponibilités alimentaires. Le second vise à mesurer les consommations réelles des individus et des collectivités, et se révèle le plus innovant. Le dispositif mis en œuvre se distingue tout d’abord des enquêtes par budgets de famille qui furent longtemps les principales sources de renseignement sur les consommations alimentaires. L’enquête de Lucie Randoin développe une méthodologie basée sur la pesée systématique des aliments, quantifiant toutes les opérations culinaires qui pourraient causer une déperdition de poids ou d’éléments nutritionnels. Pour pouvoir calculer la composition des rations consommées à l’aide des tables de composition des aliments qu’elle a elle-même mises au point, les enquêteuses doivent « fournir autant que possible le poids de tous les aliments crus qui sont absorbés, soit aux repas, soit en dehors des repas, soit en dehors de la famille ». Ce dispositif est également novateur en ce qu’il porte sur la population générale, c’est-à-dire en dehors des institutions dont les patients, prisonniers et militaires, avaient été les principales cibles des efforts de quantification des besoins alimentaires jusqu’alors. La publication en 1937 du questionnaire dans le Bulletin de la SSHA en assure les conditions de reproductibilité et permet à ses auteurs de placer les jalons d’une standardisation des procédures de collecte de données sur l’alimentation. Deux années seront nécessaires à l’équipe d’enquêteuses pour recueillir l’ensemble des données. In fine, entre 1937 et 1939 est recueillie et analysée la composition de l’alimentation de plus de 230 familles et 50 collectivités, soit un total de 14 605 « rationnaires ».
  • 4. A partir de ces données, Lucie Randoin et ses collaborateurs procèdent au calcul, inédit en France, de la ration calorique moyenne par individu et par groupe de population selon l’habitat et le métier, basée sur les consommations réelles. Ils réalisent également l’analyse nutritionnelle des aliments consommés, qui servira notamment à mettre à jour les Tables de composition des aliments publiées pour la première fois en France par Lucie Randoin en 1937. Les résultats de l’enquête leur permettent enfin d’établir de nouvelles rations alimentaires pour les différents groupes de population, à la différence des « rations théoriques » définies jusqu’ici de manière expérimentale. La CNRSA finance le dispositif jusqu’en 1940, avec le soutien d’André Mayer. Le relais, en termes de budget, est pris pour l’année 1942 par le Secours National, puis à partir de février 1943 par l’Institut National d’Hygiène (INH). La création de cette nouvelle institution en modifie le fonctionnement, puisque désormais les données sont communiquées mensuellement à la Section de nutrition, qui les analyse et en publie les résultats dans le Bulletin de l’INH. Elle modifie également la méthode d’enquête. Le service de la SSHA effectue une forme de sous-traitance des enquêtes, et en laisse l’analyse au directeur du Service nutrition, Jean Trémolières. Lors de l’entrée en guerre, Lucie Randoin bénéficie de la reconduction des crédits de la CNRSA pour les Enquêtes nationales sur l’alimentation jusqu’à la fin de 1940, le comité spécialisé s’appuyant sur ses travaux et lui passant commande par exemple d’un guide sur le colis du soldat. Les enjeux sont saisis sous l’occupation par l’équipe « nutrition » de la Fondation française pour l’étude des problèmes humains dirigée par Alexis Carrel, avec des objectifs pratiques davantage que scientifiques. En 1943, la Fondation publie un manuel dont l’objectif est de « guider ceux qui ont ou auront la possibilité de faire manger leurs semblables, hommes, femmes, enfants, travailleurs de toutes catégories ». La première partie fait un état des connaissances chimiques et physiologiques sur l’alimentation de l’homme et la seconde entend donner « le moyen d’établir des rations physiologiques, c’est-à-dire d’utiliser au mieux les produits alimentaires mis à la disposition des communautés et celui de remédier dans la mesure du possible au déficit des rations ». Les auteurs de ce document s’appuient essentiellement sur les travaux et publications de l’équipe de Lucie Randoin. L’expérience de la Seconde Guerre mondiale et des privations de l’occupation modifie non seulement le contenu des normes nutritionnelles (par exemple, les quantités de protéines ou de calories recommandées) mais influe aussi sur la manière dont elles sont mesurées et mises en application. La notion de « ration » entre en concurrence avec une conception plus large des « standards alimentaires » visant à préciser les seuils inférieurs de consommation auxquels se développent certaines maladies. Tout au long de la période, Lucie Randoin se démultiplie pour rationaliser au mieux le ravitaillement et avertir sur les conséquences de la sous- nutrition. Son laboratoire sert également de refuge à des personnes pourchassées par l’occupant ou le régime de Vichy. À la Libération, la recherche en nutrition, et particulièrement en nutrition humaine, se concentre autour de Paris. Ainsi, la répartition des principaux lieux de la recherche se fait entre le campus de Bellevue-Meudon et la rue de l’Estrapade au sein de la Société scientifique d’hygiène alimentaire, dont la plus éminente représentante est Lucie Randoin. Cette dernière est alors une contributrice importante à l’œuvre de réorganisation à la fois de la recherche et de l’administration de la santé publique. En 1944, elle devient présidente de la Société de
  • 5. chimie biologique ; en 1946, elle est admise à l’Académie de médecine, où elle est la seule femme à siéger depuis le décès de Marie Curie. C’est dans cette période charnière que Lucie Randoin se fait formatrice d’une nouvelle génération de chercheurs. Jean Causeret, diplômé de la Sorbonne, est recruté en 1942 comme agent technique du CNRS sous sa direction. Après deux années de travaux bibliographiques sur la composition des aliments, ce dernier entreprend l’étude de l’influence de différents composés nutritionnels sur la croissance de jeunes rats blancs. La publication des résultats conclut à l’interaction entre les éléments minéraux dont le ratio détermine soit un effet bénéfique soit inhibant pour la croissance. Dans le même temps, les travaux bibliographiques de Jean Causeret permettent la réédition, la correction et l’augmentation des Tables de Lucie Randoin. Jusqu’à la fin des années 1950, le laboratoire de Lucie Randoin se distingue par une activité multiforme, à la fois de recherche en laboratoire, d’expertise auprès des pouvoirs publics et des industriels, de vulgarisation des sciences de la nutrition et de dialogue avec les autres institutions scientifiques nationales et internationales. Avec l’appui de l’administration de l'enseignement technique, elle fonde en 1951, aux côtés de Jean Trémolières, l’Institut supérieur de l'alimentation et de l'école de diététique, dont elle assure elle-même une partie des enseignements. Lucie Randoin fait par ailleurs un grand nombre d'interventions à la radio et participe à plusieurs émissions de télévision. En 1956, elle est chargée d'organiser sur les ondes nationales un cours intitulé « Tribune de la Santé », qui s’étale sur trois mois. L’Institut national de la recherche agronomique (Inra), fondé en 1946 et placé sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, a des compétences en technologie alimentaire, mais aucune en nutrition humaine. C’est par des échanges réguliers avec le laboratoire de Lucie Randoin que les agronomes vont comprendre la nécessité pour eux de prendre en compte les qualités nutritionnelles des produits agricoles, puis de leurs formes transformées. Au départ à la retraite de Lucie Randoin, c’est Jean Causeret qui est l’artisan du transfert de l’héritage en étude des aliments de cette dernière à l’Inra. En effet, le jeune institut agronomique décide d’ouvrir un front de recherche spécifiquement dédié à la nutrition humaine, sur la base de la création d’un Laboratoire d’études des qualités des aliments de l’homme, créé par André François au sein de son département de Nutrition et confié à Jean Causeret en 1963. Décédée en 1960 à l’âge de 75 ans, Lucie Randoin aura travaillé pendant près d’un demi- siècle sans discontinuer à établir une science de la nutrition humaine en France, à la croisée de la recherche médicale, des enjeux sanitaires et sociaux et de l’innovation industrielle. Décorations Lucie Randoin est élevée au rang de chevalier de la Légion d’honneur en 1933, d’officier en 1948, et enfin de commandeur en juillet 1958. Elle obtient le rang de chevalier puis d'officier du Mérite agricole (1930, 1957), d'officier de l'ordre de la Santé publique (1956), de commandeur de l'ordre des Palmes académiques (1957). Sources bibliographiques: Antoine Leblanc. La construction d’une compétence : histoire de la nutrition humaine à l’Inra (1946- 1997), mémoire de Master 2 (sous la direction de Pierre Cornu), Université Lumière Lyon 2, juin 2019, 195 p.
  • 6. Thomas Depecker, Anne Lhuissier. La reconfiguration des normes et des enquêtes alimentaires en France : le service nutrition de l’institut national d’hygiène, Sciences sociales et santé, 2016/2 (vol. 34), PP. 5-36. Thomas Depecker, Anne Lhuissier. Enquêtes nutritionnelles et reconfiguration des normes alimentaires en France au cours de la seconde guerre mondiale. 2014. ffhal-02795760ff Jean Causeret, Denis Poupardin, et Jean-Louis Dufour, « Entretien avec Jean Causeret », Archorales Inra, 2003, Tome 9, p. 105. Jean Causeret, « Du voyage de noces au départ à la retraite, quarante ans de souvenirs. Tome I. les années parisiennes 1946-1967. Fascicule I », Document manuscrit, Archives personnelles de Jean Causeret, 1998, p. 42.