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LA TRIBUNE... de Thomas Grellier
Consultant et professeur universitaire de marketing/
communication, spécialiste du secteur jeux vidéo
umeur tenace. Les
éditeurs de jeux vidéo
et les constructeurs
de consoles organise-
raient des ruptures de stocks,
afin de « créer le buzz » et sus-
citer le désir chez les consom-
mateurs. Ces derniers, une fois
le produit de nouveau dispo-
nible, seraient plus réceptifs
quant à l’acte d’achat. Voici résumée la fameuse « stra-
tégie marketing de la pénurie », souvent dénoncée par
les journalistes et parfois argumentée par les profes-
seurs de marketing. Certains soupçonnent fortement
Sony de l’avoir organisée à l’échelle mondiale pour la
PlayStation 4 ou, plus récemment, au Japon, pour la
sortie de Bloodborne. Cette théorie du complot ne tient
pas face aux arguments commerciaux, financiers et
justement marketing, je vais y revenir.
En revanche, la stratégie marketing dite « de la
rareté » existe bel et bien : elle consiste en la mise sur
le marché d’une quantité limitée d’un produit (comme
la version collector 20th
Anniversary de la PS4 ou une
figurine Amiibo produite en petite série). La stratégie
de la rareté déclenche, dans une première phase, une
communication abondante à destination des fans de la
marque concernée, puis, dans un second temps, l’écou-
lement quasi immédiat du produit, ce qui entraîne
de nouveau une communication abondante… L’objec-
tif de cette stratégie n’est pas de générer un chiffre
d’affaires important (car le produit est disponible en
faible quantité) mais une communication massive sur
la marque.
Revenons à la stratégie de la pénurie. Nintendo et
Sony n’ont jamais souhaité organiser des ruptures de
leurs consoles pendant les 6 premiers mois. Ces rup-
tures furent la conséquence d’une demande trop forte
par rapport à la maturité du processus de production et
à la capacité de stockage. Il faut environ un an pour faire
tourner « à plein régime » une chaîne de production de
consoles. Une fois produites, ces machines doivent être
stockées (un coût très élevé) en attendant que la chaîne
logistique se mette en place pour livrer tous les points
de ventes dans le monde. Si nous devons reprendre
l’exemple de la PS4, la production aurait dû démarrer
pendant le salon de l’E3, pour satisfaire les demandes
de Noël 2013. Impossible.
Toutes les sociétés cotées en bourse ont des objectifs
commerciaux pour une année fiscale. Croyez-vous que
Sony raterait « volontairement » des ventes de PS4, au
nom du marketing ? Alors que la bataille avec Microsoft
est intense et que la course à la base installée symbolise
la clé de voûte de l’écosystème d’une console ? À votre
avis, que pense GameStop (Micromania, en France),
leader mondial de la distribution de jeux vidéo, quand
Sony lui annonce qu’il ne pourra livrer que 50 % de sa
commande ? C’est mettre en danger une relation com-
merciale, construite sur la durée. Pour les éditeurs, c’est
aussi une terrible nouvelle : cela se traduit par des ventes
de leurs jeux AAA en baisse par rapport aux prévisions.
Sans parler du marketing justement : quel risque terrible
de voir les joueurs se tourner vers un concurrent dont les
produitssont,eux,disponibles.Danslecasdesjeuxvidéo,
la stratégie marketing de la pénurie, ce vieux serpent de
mer, ne tient pas face aux réalités du marché. Elle va à
l’encontre de la création de valeur de son écosystème.
« La stratégie de la pénurie :
un mythe »
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