[SPORT DUO] Sacrées "Marins de l’année 2019" par la Fédération française de Voile, leur attelage est l'un des plus prometteurs en vue d'une 磊 aux JO de Tokyo.
Aloïse Retornaz et Camille Lecointre se sont "mutuellement choisies, comme une évidence".
Au-delà de leurs compétences techniques individuelles, l'équilibre de leur duo tient également par l'appui de leur entraîneur coach et de leur préparatrice mentale.
1. Les 470 coups
Aloïse Retornaz et Camille Lecointre Les deux marins
championnes d’Europe forment un duo soudé
et chamailleur en dériveur double.
E
n ce lundi de la fin juin, Camille Lecointre et Aloïse
Retornaz, qui composent l’équipage qui représentera
laFranceauxJeuxolympiquesdeTokyol’anprochain
en voilier de type 470, ne savent pas encore quand reprendra
la compétition. Dans cette parenthèse désenchantée, Retor-
naz, 26 ans, l’équipière cérébrale qui affleure le 1,80 m,s’oxy-
gène l’esprit en travaillant à temps partiel dans une banque
comme ingénieure informatique. Camille Lecointre, 35 ans,
labarreuseinstinctiveauformatdepoche,quidomineladis-
ciplinedansl’Hexagonedepuisdixans,a,elle,profitéducon-
finement pour reprendre la méditation, tenter d’apprendre
l’hébreu(lalanguedesonmari)etprofiterdesonfils,Gabriel,
2 ans et demi. Les deux championnes d’Europe de 470, élues
«marins de l’année» en décembre par leur fédération, pous-
sent le mimétisme jusqu’à être habillées presque pareil:
hoody bleu aux armes de l’équipe de France, jeans, baskets
et socquettes, inévitablement à marée basse. Après une se-
maine de stage à Quiberon, elles ont le teint bruni de ceux
qui sont habitués à côtoyer le soleil.
Ellesdonnentrendez-vousauTrimaran,unebrasserieduport
de plaisance du Moulin-Blanc, à Brest. Camille engloutit un
burgertandisqu’Aloïseoptepouruntartare,fritespourtoutes
les deux. Elles concluent d’un café gourmand. La diététique
attendra…AprèssamédailledebronzeàRioen2016,Camille
Retornaz ne savait pas si elle repartirait aux JO.«Avant, ma
vie tournait autour de la voile. Depuis l’arrivée de mon fils
[à l’automne 2017, ndlr], je suis plus détachée», avance-t-elle.
Finalement,ausortirdesonaccouchement,elledécidedere-
piquer à la compétition avec Aloïse Retornaz.
Elles se sont mutuellement choisies, comme une évidence.
Les deux font équipage commun dans leur 470 depuis jan-
vier2018.Letempsleurestcompté.«Dansle“4-7”,lesgensqui
percentsontsouventlàdepuisdesannées,ilsrestentlongtemps
avecleurpremièrecoéquipière»,jugeRetornaz.Lesdeuxforts
caractères, au goût exacerbé de la gagne, deviennent néan-
moins vite performants. A l’évidence, les neuf ans d’écart ne
posent pas problème. «C’est une vision archaïque de la voile,
tranchelabarreuse.Laformuleidéale,c’estquandilyaunbon
équilibre et que chacune y trouve son compte.» «On commu-
nique en permanence. On a séparé le fonctionnement en
deuxpartiesselonlesallures.Danslefeudel’action,onsepar-
tage les décisions», abonde l’équipière.
Camille Lecointre disputera à Tokyo ses troisièmes JO
(4e en2012,3e en2016).AloïseRetornaz,saquatrièmecoéqui-
Par Rico Rizzitelli
Photo Vincent Gouriou
pière, «ne rêve que de ça depuis l’école». En 2016, elles étaient
enconcurrenceetAloïsen’avaitpasconnusespremiersJeux.
«Çanesepassaitpastropbiendansmonéquipageprécédent.
Alors j’ai fait à Camille “salut, je suis là!”» rappelle Aloïse.
«C’était une décision mutuelle, une évidence. Aloïse, c’était la
meilleure sur le marché, on va dire», ironise la barreuse.
Lesdeuxontcommencéparl’Optimist,cedériveurensolitaire
destiné aux enfants. Camille Lecointre a grandi à Harfleur
(Seine-Maritime).«J’avaisundoubleprojet,j’étudiaislachimie
marine à la fac. La voile est devenue une profession quand je
suis entrée en équipe de France en 2007. Là où j’ai commencé
à avoir des revenus», raille-t-elle. Elle déménage à Brest et
passedelachimiemarineàlamarinenationale,oùelleeffec-
tue un travail de représentation. Son contrat avec l’armée
constitueencorel’essentieldesesrevenus(«1500euros,plus
[l]essponsors.»).Elleaundemi-frèreetunedemi-sœur,ainsi
qu’unesœurquiestgéomètre-expert.Sesparentsonttravaillé
tous les deux comme profs. «On est presque tous enseignants
de mère en filles dans la famille»,dit-elle. Gideon Kliger, son
mari israélien, ex-régatier de haut niveau et aujourd’hui en-
traîneur de l’équipe d’Espagne de 470, s’étonne: «Je suis sur-
pris que sa famille n’ait aucune connexion avec la voile. Lors
desrepas,j’échangeavecmonbeau-frèrequiestpianisteeton
fait des parallèles entre les régates et les concerts.»
AloïseRetornaza,elle,étépousséeparunpèrefandevoilequi
avaitdéjàinitiésesdeuxgrandessœurs.Aprèsl’Optimist,où
elleaeufurtivementCamille
commeprofen2005,ellede-
vientdoublechampionnedu
monde de 470 chez les ju-
niorsetrêved’enfaireunmé-
tier. Elle trouve une école
d’ingénieurquiluipermetde
combiner les deux.«Une fois
mes études terminées, je me
suis demandé ce que j’allais
arrêter:lesportoulesétudes?
Avec la fédé, on a trouvé un
système pour faire les deux.
J’ai cherché une entreprise à
Brest quand j’ai commencé à
naviguer avec Camille.» Au
Crédit mutuel Arkéa, elle
travaille «40 à 70 jours
par an, pour un peu moins
de2000eurosparmois».Sasœuraînéeestdanslenautisme,
etlacadetteœuvredanslamêmebanquequ’elle.Sesparents
sonttouslesdeuxcomptables,samèreétantcertifiéeexperte.
La famille Retornaz aime les chiffres.«Entre les trois sœurs,
elleestcellequiassurelelien,quiapaiselestensions,témoigne
Ondine, la plus âgée. Elle a un vrai esprit d’équipe.»
Le report des Jeux de Tokyo a perturbé tout le programme
de Camille Lecointre. Elle avait prévu d’avoir un second en-
fant et d’inscrire Gabriel à la maternelle en septembre. «Ce
n’est pas tabou, mais il faut le programmer à l’avance.» La
barreuse n’est pas sûre d’être à Marseille dans quatre ans, où
auront lieu les régates des JO de Paris 2024 («tout est ouvert
mais ça va être compliqué de repartir»). Aloïse Retornaz n’en
est pas à ce type de perspective. «Pas de copain, rien à décla-
rer», répond-elle à mi-voix. «Pas déclaré aux impôts en tout
cas», s’amuse Lecointre. Leur numéro de duettiste semble
bien rodé, avec l’aînée qui finit souvent par tailler sa cadette.
La petite entreprise compte également deux personnages
essentiels: Gildas Philippe, l’entraîneur, et Emilie Pelosse,
la préparatrice mentale. «Dans un 470, on n’est que deux. S’il
n’y a pas de chimie, ça ne marche pas,professe Aloïse. Au dé-
but, on ne parlait de rien, la préparatrice est intervenue pour
qu’onapprenneàseconnaître.Après,ilyatoujoursdesdésac-
cords, comme dans un couple.» «Comme dans un vieux cou-
ple», reprend Camille en se marrant. Outre ses compétences
techniques, Gildas Philippe, leur coach, sert aussi de média-
teur, la psychologue du sport n’étant pas là en permanence.
A les voir se chamailler, on dirait que les deux crocodiles co-
habitent parfaitement dans le même marigot. Sur la religion,
AloïseRetornazhésite(«pasdereligion,anciennementcatho-
lique»), la seconde ironise: «Elle croit en ses gris-gris sur le
bateau, mais pas en Dieu. Elle pense que ses tortues en plasti-
que vont nous porter bonheur.» L’or olympique, qui sait, est
peut-être à ce prix.•
25 février 1985
Naissance de Camille
Lecointre à Harfleur
(Seine-Maritime).
3 février 1994
Naissance d’Aloïse
Retornaz à Brest
(Finistère).
14 mai 2019
Championnes d’Europe
de 470.
7 décembre 2019
«Marin(s) de l’année»
par la Fédération
française de voile.
En attendant les JO (7/8)
Aloïse Retornaz et Camille Lecointre, le 29 juin à Brest.
Libération Lundi 10 Août 2020