Elargir la compréhension du Haut Potentiel, comment profiter de leur talents, conseils pour la gestion de carrière, enquête auprès de responsables RH eux-même HP, ...
Les Hauts Potentiels en entreprise : Article HR Today
1. Dossier Quand le talent devient un handicap
HR Today 1 | 201622
L
orsqu’on demande aux personnes qui ont été détectées
HP leur propre définition du haut potentiel, elles répon-
dent à l’unisson: «C’est quelqu’un qui réfléchit vite, est
très sensible et se sent différent des autres». Dans le monde de
l’entreprise, le terme Haut Potentiel désigne les collaborateurs
avec un potentiel professionnel important et qui sont donc
promis à d’importantes fonctions managériales. Mais, dans le
langage courant et chez les psychologues, un HP désigne une
personne ayant un haut Quotient Intellectuel (QI). Attention
à ne pas confondre avec le génie: il y aurait quelques centaines
de millions de HPs dans le monde (2 à 5% de la population),
pour seulement quelques milliers de génies…
Pour cet article, j’ai interviewé huit cadres HP et occupant
des fonctions telles que recruteur, responsable de formation,
DRH ou directeur opérationnel. Je me suis également basé sur
mon expérience avec plusieurs centaines d’autres HP que j’ai
rencontrésetaccompagnésentantquecoachetconsultanten
management.
Une absence globale de prise de charge
Premierconstat:aucunedesentreprisesinterrogéesn’amisen
place de programmes adaptés pour les HP. Ce qui laisse penser
quel’importanceduphénomèneestmalconnueetlefonction-
nement des personnes intéressées mal compris. Dans la pra-
tique, je croise régulièrement des HP dont les qualités ne sont
ni reconnues ni utilisées, qui s’ennuient à mourir à leur poste
detravailetquifinissentd’ailleursparfoisparlequitter,deleur
plein gré ou non.
Il faut comprendre que le don de leur hyper-intelligence ne
vient pas sans contrepartie. En fait, ces personnes vivent
comme si elles étaient branchées sur un amplificateur. Et ce
n’est pas seulement leur intelligence qui est amplifiée, mais
aussi leur créativité, leurs sensations, et leurs émotions… (lire
encadré). Gérer cette amplification n’est pas toujours simple,
ni pour eux, ni pour l’entreprise. Leur grande sensibilité et leur
maladresse sociale peuvent entraîner des problèmes compor-
tementaux, mais également susciter incompréhension et ja-
lousie de la part de leurs collègues. On ne compte pas les cas de
cadres HP qui s’attirent les foudres de leurs collègues parce
qu’ils s’expriment sur un ton trop directif: ils ont raison sur le
fond, mais pas sur la forme. «À dire et à répéter trop souvent
des choses qui n’ont pas envie d’être entendues, on finit par
déranger et même par être exclu.» Le «très» devient ainsi un
«trop»: «Le HP est une ressource qu’on a envie d’exploiter,
mais à laquelle on n’a pas envie d’être confronté.» Qui a vrai-
ment envie d’un collègue ou d’un subordonné plus intelligent
que lui? Étonnamment, je croise beaucoup de HP qui n’ont pas
Bernard Jouvel est consultant en management et executive coach. Il a accompagné
en entreprise des centaines de personnes diagnostiquées HP. Il nous livre ici ses
impressions et ses conseils.
L’homme qui murmurait
à l’oreille des HP
la carrière que l’on pourrait imaginer.Tout comme les enfants
précoces peuvent être en échec scolaire, les adultes HP peu-
vent avoir du mal à trouver leur place dans l’entreprise.
Mon vécu avec des HP
Lorsque je détecte un HP, l’intéressé réagit systématiquement
par la dénégation: «Je connais des gens brillants intellec-
tuellement, mais pas moi!». En fait, ils pensent que ce ne sont
pas eux qui sont très rapides, mais les autres qui sont lents. Un
bras de fer intellectuel commence: ils mettent toute leur capa-
cité cognitive au service de la résistance, remettent en cause le
processus de coaching, jusqu’au coach lui-même. Il faut être
solide pour coacher un HP! Cette lutte masque en fait un appel
à l’aide pour s’assurer qu’ils peuvent me faire confiance. C’est
comme s’ils me disaient: «Je veux être certain que tu me com-
prends vraiment, et que tu ne vas pas me lâcher comme les
autres l’ont fait».
Une fois passé ce cap, leur intelligence peut enfin se mettre
au service du coaching. C’est même le raz-de-marée d’énergie.
Ils veulent que le coaching avance très rapidement. Je com-
mence souvent par l’exploration de leurs émotions. J’insiste
sur la nécessité de réconcilier la tête et le cœur. J’utilise parfois
un exercice issu des arts martiaux qui «court-circuite» le men-
tal pour passer par le corps. Je génère une situation de stress à
travers des exercices de respiration. Ils se retrouvent face à la
peur et réalisent qu’ils sont capables de la gérer. J’essaie aussi
de leur faire comprendre qu’être hypersensible, ce n’est pas
être faible. L’objectif est de faire de leur hypersensibilité une
alliée.
Nous travaillons ensuite à réinvestir des codes sociaux.
Que peuvent-ils changer dans leurs interactions pour ne pas
heurter les autres? Comment expliquer leur différence? Une
fois qu’on a accepté son altérité, on peut commencer à re-
construirelesrelationssurdenouvellesbases.Pourcela,ilfaut
qu’ils sachent ce qui est important pour eux. Quels sont leurs
valeurs, leurs compétences, leurs rêves? Ce sont des questions
clés pour les HP, car ils ont souvent un «faux self» très dévelop-
pé. Ce qu’ils pensent être et ce qu’ils désirent, n’est souvent pas
en ligne avec qui ils sont vraiment et ce qu’ils veulent pro-
fondément. «Hyperempathiques», ils se sont fréquemment
suradaptés dès l’enfance aux attentes de leur entourage. Au fil
du temps, ils peuvent ne plus faire la différence entre leurs
envies et ce qu’on attend d’eux.
Comment profiter pleinement du talent des HP?
«Cela ne fait aucun sens d’embaucher des gens intelligents
puisdeleurdirecequ’ilsdoiventfaire.Nousrecrutonsdesgens
Bernard Jouvel,
consultant en
management et
executive coach.
2. Quand le talent devient un handicap Dossier
HR Today 1 | 2016 23
intelligents afin qu’ils nous disent ce que nous
devons faire» (Steve Jobs).
Faut-il utiliser des tests de dépistage? Je ne le
recommande pas forcément. Ils sont très parcel-
laires, car ils ne prennent en compte que quel-
ques dimensions de l’intelligence. Leur autre dé-
fautestqu’ilssontextrêmementanxiogènes.Que
faire si la personne n’atteint pas le score qui la
qualifierait d’HP?
Un grand besoin d’espace et de liberté
Il est beaucoup plus utile de comprendre les spé-
cificités du fonctionnement HP. Cela permet de
répondre à leurs besoins pour tenter de tirer le
meilleur d’eux-mêmes, et maintenir leur perfor-
mancesurladurée.Ilfautsavoirqu’ilsontbesoin
d’espace et de liberté (mais pas trop, car il existe
un risque d’éparpillement). Ils ont également be-
soin d’être entendus et encouragés, de savoir que
leur avis sera pris en compte. Il leur faut des pro-
blèmes à résoudre et des nouveautés à apprendre
pour satisfaire leur appétit intellectuel. Ils excel-
lent dans le multitâches. Mais comme ils ont du
mal à «rentrer dans les cases», il faudra éviter de
leur confier des tâches trop répétitives et de les
placerdansdesenvironnementstropcadrés(sur-
tout pas de micro-management).
Une responsable du recrutement m’a dit: «Ce
sontdescolossesauxpiedsd’argile:s’ilsn’ontpas
travaillé sur eux-mêmes, leur manque de con-
fiance systématique et leur grande sensibilité re-
présentent des facteurs problématiques dans des
fonctions de leadership.» C’est pourquoi certains
HP seront très mal à l’aise dans un rôle de mana-
ger. Mais s’ils apprennent à maîtriser leur sensi-
bilité, ils pourront devenir d’excellents leaders
participatifs. «Un manager HP est très motivant
pour son équipe, et il développera naturellement
leurs compétences.»
Conseils pour la gestion de carrière
Concernant leur gestion de carrière, les HP sont
généralement plus intéressés par le contenu d’un
poste que par le titre. Ils préféreront un emploi
qui leur permet de s’épanouir, à un poste presti-
gieux ou mieux payé, mais frustrant. «Lorsque
j’identifie un HP en début de carrière, j’essaye de
lui aménager un parcours qui offre des possibili-
tés de découvrir plusieurs postes de base, même
rapidement (sur quelques mois), avant de le faire
évoluer vers des fonctions managériales.»
Et pour conclure, voici la recommandation
d’un chasseur de tête: «Vérifier que la personne a
intégré la nécessité de gérer les aspects émo-
tionnels et que le poste va suffisamment le nour-
rir intellectuellement. Informer le client pour
qu’il puisse bien comprendre et bénéficier des ta-
lents du HP.» L’entreprise doit jouer un rôle en
donnant un cadre permettant à un HP de donner
son meilleur, afin de profiter de ses excep-
tionnelles capacités. De son côté, le HP doit aussi
se donner les moyens de réussir en effectuant
un travail de développement personnel pour
apprendre à gérer son potentiel et en particulier
ses émotions. n
Bernard Jouvel
iStockphoto
Surdoués, ou surefficients mentaux, plu-
sieurs termes commençant par «sur» quali-
fient les HP. Car ce sont bien les superlatifs
qui se trouvent au centre de leur fonction-
nement. Le Dr Kazimierz Dabrowski a été
l’un des premiers à réaliser que la spécifici-
té des HP dépassait le cadre de la stricte in-
telligence, laquelle est habituellement me-
surée par un test de QI. Il a établi que la
sensibilité et le ressenti des HP dépassaient
la norme, en intensité, sur cinq plans: les
émotions (avec une grande empathie et un
besoin d’entretenir des relations exclusives,
notamment), les sensations (les cinq sens
sont concernés); l’imagination (inclination
à la rêverie, vie intérieure riche, tendance à
s’ennuyer rapidement…); la psychomotrici-
té (besoin de bouger, grande énergie) et
enfin, l’intellect (intense activité cérébrale,
habileté d’analyse et de synthèse, etc.)
Mais attention, en cherchant à définir le
haut potentiel par un ensemble de caracté-
ristiques communes, on risque d’oublier
que derrière la définition se trouvent des
individus tous différents, avec leur chemin
de vie et leur personnalité propre! vb
Définition du HP selon le Dr Dabrowski: