RLDA 92 - L'associé représenté deux fois à l'assemblée
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10 I RLDA Numéro 92 I Avril 2014
Sous la direction scientifique de Jacques MESTRE, Professeur agrégé des Facultés de droit,
Directeur du Centre de droit économique d’Aix-Marseille, et Dominique VELARDOCCHIO,
Agrégée des Facultés de droit, Professeur à la Faculté de droit d’Aix-Marseille.
DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
L’associé représenté deux fois à l’assemblée
1. Progressivement, la Cour de cassation précise le régime des
droits sociaux indivis, au-delà des règles énoncées par le législa-
teur. Ainsi, alors que deux dispositions, l’article 1844 du code civil
et l’article L. 225-110 du code de commerce, prévoient la représen-
tation des indivisaires par un mandataire unique, le présent arrêt,
destiné à être publié au Bulletin, vient rappeler que la qualité d’as-
socié reconnue à l’indivisaire lui permet d’assister à l’assemblée
générale aux côtés de son représentant (Cass. com., 21 janv. 2014,
n° 13-10.151, préc., D. 2014, p. 647, obs. Lienhard A. Cf. également Cou-
ret A., Le droit pour tous les indivisaires de participer à l’assemblée géné-
rale, JCP E 2014, 1069).
2. Étaient en cause les trois titulaires indivis (deux sœurs et un frère)
de la nue-propriété d’une partie des parts représentant le capital
d’une société civile. La société faisait assigner une indivisaire et son
conjoint (le couple Y). Alors que la première avait donné mandat au
second de la représenter lors des assemblées d’associés, la société
demandait à la juridiction saisie qu’elle dise que l’épouse n’avait
aucune qualité pour assister à ces assemblées, qu’il lui soit fait dé-
fense de s’y faire assister ou représenter par son conjoint et enfin
qu’il soit fait défense audit conjoint de pénétrer au siège social.
3. Il régnait visiblement une ambiance tendue dans la société, car
pour s’opposer à la présence du conjoint qu’elle jugeait « illégi-
time », la société avait fait valoir, devant la cour d’appel, que cette
présence était « perturbatrice dans la mesure où il force les dé-
fenses du gérant et se comporte avec agressivité ». On ne sait s’il
faut prendre au sens littéral le forçage des défenses du gérant et
si les assemblées tournaient à la bataille rangée ! Il demeure que
la société avait vu ses demandes accueillies par un arrêt d’appel
(infirmatif), qui avait fait défense sous astreinte à l’indivisaire de se
faire représenter par son conjoint, et à celui-ci de pénétrer au siège
social notamment pour assister aux assemblées générales s’y te-
nant, également sous astreinte.
4. Les conjoints ainsi bannis des assemblées formaient cependant
un pourvoi en cassation qui est accueilli par la chambre commer-
ciale pour violation de l’article 1844, alinéa 1er
, du code civil, dont
l’énoncé constitue le chapeau de l’arrêt : « Attendu que tout asso-
cié a le droit de participer aux décisions collectives » (cf. sur ce texte
Le Cannu P., Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives,
Mélanges Merle Ph., Dalloz, 2013, p. 443, l’auteur commençant son propos
par les mots suivants : « Est-il un texte du droit des sociétés qui exprime
en si peu de mots autant que le premier alinéa de l’article 1844 du code
civil ? »). Il faut avant tout reprendre la question de la représenta-
tion posant problème en l’espèce (I) avant d’évoquer la solution à
laquelle parvient la décision (II) et d’envisager plus largement la
question de la représentation des associés dans les sociétés (III).
I. – QUI REPRÉSENTE QUI ?
5. Il faut tout d’abord observer que l’arrêt présentait une petite
complexité, qui tenait au fait que le conjoint Y n’était pas le re-
présentant commun des indivisaires, mais seulement de Mme Y.
En clair, alors que l’indivision était déjà dotée d’un représentant
commun aux assemblées générales de la société, désigné par une
décision de justice, Mme Y, titulaire de droits indivis, prétendait
Les propriétaires indivis de droits sociaux « sont représentés par un mandataire unique », aux
termes de l’article 1844 du code civil. Pour autant, ils ont individuellement la qualité d’associé, ce
qui implique le droit de participer aux décisions collectives. Comment se concilient l’exercice de ce
droit et la représentation par un mandataire unique ? C’est la question à laquelle répond le présent
arrêt, qui permet à l’indivisaire d’être présent à l’assemblée ou représenté par une autre personne
que le mandataire unique, aux fins de l’exercice de son droit de participer aux décisions collectives.
Cass. com., 21 janv. 2014, n° 13-10.151, P+B
ÎRLDA 5026
Par Bruno DONDERO
Agrégé des Facultés de droit
Professeur à l’École de droit de la Sorbonne
Université Paris 1