RLDA 92 : Prévention et règlement des différends économiques
1. CHRONIQUE
Perspectives
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Numéro 92 I Avril 2014 RLDA I 69
I. – PROCÉDÉS CONTRACTUELS ET SOCIÉTAIRES
A. – L’utilisation d’une clause contractuelle et/ou le re-
cours à une délibération collective
1) La nécessité d’une clause préalable pour fonder une
rupture contractuelle en cas de changement de contrôle
Cass. com., 29 janv. 2013, n° 11-23.676, Bull. civ. IV, n° 19, Rev. sociétés 2013,
p. 552, note Caffin-Moi M.
Parmi les clauses contractuelles susceptibles de prévenir de
possibles différends dans le domaine économique, figure sans
conteste celle qui, en cas de changement de contrôle affectant
une société contractante, ouvre la possibilité à l’autre partie,
quand ce n’est pas aux deux, de résilier unilatéralement et de ma-
nière anticipée le contrat en cours. Ou encore, via une variante
notamment pratiquée dans le cadre d’une relation de partenariat
sociétaire unissant deux sociétés, de proposer à celle des deux qui
« subit » le changement de contrôle de l’autre, de mettre en œuvre
une alternative d’achat ou de vente de titres qui évitera la pérenni-
sation d’une coexistence jugée désormais peu souhaitable.
Le grand intérêt de l’arrêt commenté est d’attirer particulièrement
l’attention des praticiens sur la nécessité de stipuler une telle
clause pour qui veut faire du changement de contrôle la source
ou l’occasion d’une telle rupture. Car, à défaut, l’argumentation
qui se fonderait uniquement le fort intuitus personae qui avait ani-
mé les sociétés cocontractantes a fort peu de chances de suffire.
C’est du moins ainsi que nous interprétons l’arrêt de la chambre
commerciale de la Cour de cassation rendu dans les circonstances
suivantes.
Les sociétés C. et S., après avoir été en relations d’affaires pendant
deux ans, avaient conclu en février 1999 une convention de distri-
bution et de licence de marque accordant à la seconde une exclu-
sivité de vente dans un secteur déterminé, pour une durée initiale
de deux ans, tacitement renouvelable par période d’un an. Ayant
ultérieurement appris que l’intégralité du capital de la société S. se
trouvait, à la suite d’une cession totale, détenue par un actionnaire
unique et que cette situation avait entraîné un changement de di-
rigeant social, la société C. entendit mettre un terme au contrat
en décembre 2007. Mais, considérant cette brusque résiliation
fautive, la société S. l’assigna en paiement de dommages-intérêts.
Or la chambre commerciale approuve les juges du fond (CA Mont-
pellier, 17 mai 2011) d’avoir rejeté cette action : « attendu qu’ayant
justement énoncé qu’en raison du principe d’autonomie de la per-
sonne morale, cette dernière reste inchangée en cas de cession de
la totalité des parts ou actions d’une société ou de changement
de ses dirigeants et relevé l’absence de stipulation contractuelle
autorisant la rupture avant échéance dans de telles hypothèses,
la cour d’appel, qui a ainsi fait ressortir qu’il n’était pas établi que
la convention de distribution exclusive ait été conclue en considé-
ration de la personne du dirigeant, en a déduit à bon droit, sans
écarter le caractère intuitu personae du contrat, qu’en l’absence
d’une stipulation particulière, la convention était maintenue en dé-
pit des changements survenus ».
Autrement dit, la continuité de la personnalité morale fait échec,
en cas de cession de contrôle, à une résiliation immédiate du
contrat, à moins qu’une clause de celui-ci n’ait aménagé un droit
de rupture ou encore qu’en faisant expressément référence à la
personne du dirigeant initial, cette même clause ne révèle un intui-
tus personae justifiant une telle rupture. Bref, en toute hypothèse,
une clause s’avère bien nécessaire !
2) Clauses d’exclusion et droits de l’exclu
Cass.com.,4déc.2012,n° 11-27.667,D,JCPE2013,n° 1031,noteDonderoB. ;
Cass. com., 9 juill. 2013, n° 11-27.235, P+B, Bull.Joly Sociétés 2013,
p. 636, note Poracchia D., RLDA 2013, n° 4753, note Reygrobellet A. ;
Cass. 2e
civ., 26 sept. 2013, n° 12-23.129, D
À mi-chemin entre la prévention et le règlement du différend, se si-
tue la clause qui, dans les statuts d’une société, permet et organise
l’exclusion d’un associé. Exclure, c’est en effet, tout à la fois, préve-
nir un potentiel litige qui, bien souvent, ne tarderait à se manifester
et aussi régler, par hypothèse, un différend qui oppose d’ores et
déjà, au moins de manière latente, les associés.
Mais si la clause d’exclusion, longtemps contestée au nom d’un
prétendu droit fondamental de l’associé à rester dans la société
contre les vents et marées… de ses coassociés, est aujourd’hui
très généralement admise par la jurisprudence (cf. Lamy Sociétés
commerciales 2013, n° 855), et parfois même par la loi (SAS, coopé-
ratives), sa mise en œuvre continue régulièrement de susciter des
difficultés, qu’il appartient alors aux juges de traiter. À preuve trois
intéressants arrêts de la Cour de cassation.
Prévention et règlement des différends économiques
ÎRLDA 5075
Par Jacques MESTRE,
Professeur à Aix-Marseille Université
Directeur du Centre de droit économique
(EA4224)
Et Anne-Sophie MESTRE-CHAMI
Chargée d’enseignement à la Faculté de droit
d’Evry
Avocate