Par Alain Laurent, philosophe, essayiste et directeur de collection aux Belles Lettres. Non seulement, la sécurité des citoyens est de moins en moins assurée en raison du laxisme délibéré imprégnant les réponses pénales surtout telles qu’elles sont repensées selon les canons de la scélérate idéologie de type Syndicat de la Magistrature (la culture de l’excuse et la réinsertion sans peine…) dont s’inspirent Christiane Taubira et François Hollande, mais que la pratique pénale depuis longtemps suivie et maintenant érigée en doctrine d’État est foncièrement immorale.
3. En finir avec l’angélisme pénal
Tribune libre Novembre 2013 – Page 3
ENTRETIEN
Damien Theillier : Vous partez dans votre livre d’un état des lieux
de la justice en France. Et votre analyse s’appuie sur un constat que
je résume : notre système judiciaire et pénitentiaire ne parvient plus à
assurer la sécurité face aux délinquants et aux criminels. Pourtant vous
dites que le problème est d’ordre philosophique et non simplement
politique. Qu’entendez-vous par là ?
Alain Laurent : Ce qui suscite légitimement l’indignation dans cet
état des lieux, c’est que, non seulement, la sécurité des citoyens est
de moins en moins assurée en raison du laxisme délibéré imprégnant
les réponses pénales surtout telles qu’elles sont repensées selon les
canons de la scélérate idéologie de type Syndicat de la Magistrature
(la culture de l’excuse et la réinsertion sans peine…) dont s’inspirent
Christiane Taubira et François Hollande, mais que la pratique pénale
depuis longtemps suivie et maintenant érigée en doctrine d’État
est foncièrement immorale. Ce qui renvoie à une problématique
de philosophie morale : le rejet des principes et de la logique de
la responsabilité individuelle, le refus de punir comme il convient le
viol des droits d’autrui, et la politique de « traitement social » de la
délinquance qui s’ensuit – avec le comble : l’attribution de droits
sociaux aux délinquants sous main de justice.
Damien Theillier : Vous aviez pensé à prendre comme titre de votre
ouvrage : « La compassion dévoyée ». En effet, la compassion de
nos jours ne va pas tellement aux victimes des viols et des agressions
en tout genre mais plutôt aux auteurs desdits crimes. Comment
expliquez-vous cette perversion de la compassion que vous appelez
« angélisme pénal » ?
Alain Laurent : Notre époque se caractérise en effet par le
dévoiement et l’hypertrophie obsessionnelle de la compassion,
un sentiment moral fondamental qui fait des humains des êtres
réellement civilisés lorsqu’il s’applique à bon escient à ceux de nos
semblables qui subissent les coups du sort et en souffrent (on notera
qu’un délinquant en est radicalement dépourvu : c’est même sa
définition). Mais qui dérape et déraille totalement quand au contraire
en bénéficient les individus qui violent volontairement et brutalement
les droits élémentaires des autres, criminels et délinquants en premier
lieu qu’on transmue en malheureuses victimes. En fait, l’« angélisme
pénal » n’est qu’un point d’application particulier d’un plus vaste
syndrome moral dévastateur : il s’agit d’une inversion radicale des
valeurs alimentée par la « haine de soi », un complexe de culpabilité
effréné mais immérité. Tenter d’expliquer en profondeur l’emprise
croissante de cette pathologie nous mènerait trop loin ici.
Damien Theillier : Selon Maurice Cusson, que vous citez, un criminel
est un calculateur rationnel pour lequel la plus petite satisfaction de
ses appétits « égoïstes » vaut n’importe quel tourment pour les autres.
L’utilité économique est-elle donc le moteur qui anime ces criminels
et délinquants ?
4. Tribune libre
Page 4 – Novembre 2013 En finir avec l’angélisme pénal
Alain Laurent : D’abord, il ne s’agit pas seulement d’utilité
« économique » et, d’autre part la catégorie de l’ « utilité » ne me paraît
pas particulièrement pertinente pour rendre compte des motivations
sous-tendant réellement la conduite transgressive et violente. Ce qui
fait courir la plupart de ceux qui choisissent le mode de vie délinquant
ou criminel, c’est le plaisir (le « fun », l’adrénaline) de s’affranchir
des disciplines auxquelles s’astreignent les citoyens ordinaires pour
gagner leur vie par leurs propres efforts et sans agresser les autres,
mais aussi celui, à connotation parfois sadique, de réduire les autres
à l’état d’objets ou d’esclaves. Le véritable moteur est avant tout
d’ordre existentiel.
Damien Theillier : Si les criminels méprisent totalement les droits
d’autrui, pensez-vous que la fermeté et la sévérité de la réponse
pénale soient à même de réduire la criminalité ?
Alain Laurent : Bien entendu, parce qu’étant des « calculateurs
rationnels » capables de monter fort intelligemment des « coups »,
mais donc aussi de prendre en compte d’éventuels risques croissants
que ça finisse très mal pour eux par un enfermement rigoureux de
longue durée, une partie d’entre eux va y réfléchir à deux fois avant
de se lancer dans une carrière délinquante. Mais le plus important
est peut-être ailleurs : dans la persuasion autant que la dissuasion.
J’entends par là qu’en créant un contexte global de réprobation
sociale impitoyable de tout ce qui viole brutalement les droits
d’autrui, une prévention morale peut se révéler efficace en faisant
intégrer en amont chez les individus dits en « perte de repères » qu’il y
a des interdits à respecter absolument. C’est l’actuel climat ambiant
de tolérance et d’excuse préalable à tout (le laxisme) qui constitue
le terrain criminogène de base.
Damien Theillier : Vous êtes philosophe et un chapitre de la
seconde partie du livre est consacré à Kant. Pourquoi cet auteur du
XVIIIe siècle vous semble plus important pour penser la justice pénale
que d’autres comme Beccaria ou Bentham qui sont souvent plus
connus sur ce sujet ?
Alain Laurent : On est là en effet au cœur du sujet. Beccaria a
servi d’alibi au développement inconsidéré d’un humanitarisme de
mauvais aloi porteur d’un nouvel abolitionnisme, celui des peines
et de la prison. Quant à Bentham, il mise tout sur une conception
exclusivement et platement utilitariste à courte vue, avec laquelle
on peut justifier n’importe quoi, de la peine de mort en série jusqu’à
un monde sans prisons. Avec Kant, au contraire, on a affaire à une
philosophie morale raisonnée qui pose de manière fondamentale
les principes d’un monde authentiquement civilisé : le primat de
la responsabilité personnelle et l’impératif catégorique du respect
d’autrui, à toujours traiter comme une fin et jamais comme un moyen :
d’où procède la légitimité et la nécessité du punir si on l’enfreint. Kant
rappelle qu’il y a une infirmité originelle de l’utilitarisme pénal: au nom
de quoi et en vue de quoi une chose peut-elle apparaître « utile » ?
On ne peut pas faire l’économie d’une réflexion préalable sur les
valeurs et leur hiérarchie.
5. En finir avec l’angélisme pénal
Tribune libre Novembre 2013 – Page 5
Damien Theillier : Vous avez écrit de nombreux ouvrages consacrés
à l’histoire de la pensée libérale. Or le libéralisme est souvent taxé
de laxisme, notamment en matière juridique. Peut-on concilier un
libéralisme authentique, avec une réhabilitation de la sanction
pénale ?
Alain Laurent : Il est exact qu’un certain libéralisme contemporain,
et pas seulement celui qui croit se reconnaître dans le « liberalism »
gauchisant à l’américaine, semble parfois pécher lui aussi
par aveuglement volontaire : soit en délaissant carrément la
problématique pénale, soit en psalmodiant le refrain de « la douceur
des peines », soit même en prétendant tout résoudre par la seule
réparation financière. Or, dans la grande tradition libérale, le principe
et la logique de la responsabilité individuelle sont au fondement de
l’édification d’une société de pleine liberté pour tous : voir avant
tout Bastiat, mais aussi auparavant Benjamin Constant puis ensuite
Tocqueville, connu pour son soutien à une sanction des plus sévères
des actes criminels. Dans la mouvance libertarienne elle-même, au
moins dans sa version « objectiviste » (Ayn Rand, Robert Bidinotto…),
on n’est pas moins actuellement aussi rigoureux : la plus grande
liberté individuelle pour tous ne peut aller, à moins d’être incohérente
et vouée à l’autodestruction, sans une ferme répression de tout ce
qui viole le droit des gens de vivre paisiblement et librement dans leur
existence courante.
Damien Theillier : Le libéralisme économique est accusé de faire
la guerre aux pauvres. Je vais me faire l’avocat du diable, n’est-
ce pas justement le cas avec l’appel à plus de fermeté envers les
délinquants, ce que vous appelez le « réalisme pénal » ?
Alain Laurent : C’est insulter les pauvres que prétendre qu’ils
seraient fatalement voués à devenir des délinquants. La réalité sociale
prouve qu’il n’en est rien, et c’est bien souvent chez les personnes
les plus modestes qu’on trouve une pratique encore vivante de la
décence morale, cette clé de l’inhibition dans l’œuf de toute velléité
transgressive violente. Les catégories populaires et certainement
pas « populistes » ne sont-elles pas d’ailleurs actuellement les plus
demandeuses de rigueur pénale accrue ?
Damien Theillier : Au-delà du débat philosophique sur la peine,
quelles sont les mesures concrètes que vous voudriez voir appliquer
pour améliorer la justice en France ? N’y a-t-il pas un problème
structurel de formation uniformisée et étatisée des magistrats ?
Alain Laurent : Le rétablissement des peines plancher, l’exécution
intégrale des peines prononcées sauf exceptions à définir
prudemment, des peines à hauteur de la violence subie par les
victimes, droits nouveaux pour celles-ci dans la procédure pénale,
révision du statut pénal des mineurs les plus âgés : ça suffirait
amplement à nous remettre sur le droit chemin ! La formation des
magistrats ne souffre pas selon moi du fait qu’elle soit dispensée dans
des institutions étatiques, mais de la prégnance idéologique dans
celles-ci de ce que j’ai appelé « l’angélisme pénal ».
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par Xavier Raufer,Criminologue, directeur des études au Centre universitaire de recherche sur les
menaces criminelles contemporaines.
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par Alexandre Giuglaris, juriste et délégué général de l’Institut pour la Justice.
N°3 La politique pénale, l’idéologie anti-sécuritaire et le libéralisme
par Alain Wolfelsperger, économiste, a été professeur à l’Institut d’Études Politiques de Paris.
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