2. Signification symbolique de la légende
Les historiens voient dans cette légende l'illustration poétique de "la pénétration des
civilisations d'Asie occidentale dans la mer Egée".
Alors qu'on parle aujourd'hui "d'identité européenne", il nous paraît opportun de rappeler
que notre continent porte le nom de cette princesse phénicienne.
En outre, l'image du Zeus-taureau évoque le dieu crétois mi-homme, mi-taureau passé à
la postérité dans la légende du Minotaure.
La littérature, source d'inspiration de la peinture
Les Métamorphoses d'Ovide, Livre II vers 847à 867
L'enlèvement d'Europe par Zeus
" Ille pater rectorque deum (...)
Induitur faciem tauri mixtusque iuvencis
Mugit et in teneris formosus obambulat
herbis.
Quippe color nivis est (...)
Colla toris exstant (...) armis palearia
pendent ;
Cornua parva quidem (...)
Nullae in fronte minae nec formidabile
lumen ;
Pacem vultus habet. Miratur Agenore nata
Quod tam formosus , quod proelia nulla
minetur ;
Sed quamvis mitem, metuit contingere
primo.
Mox adit et flores ad candida porrigit ora.
Lui, le père et le maître des dieux prend
l'apparence d'un taureau ; mêlé au jeune
troupeau, il mugit et de sa belle allure, il foule
l'herbe tendre. C'est qu'en effet, sa couleur est
celle de la neige (...)
De son cou, les muscles sont saillants, (...)
jusqu'à ses épaules pend son fanon ; ses cornes
sont petites (...)
Sur son front, aucune menace et rien à redouter
dans ses yeux ; la paix resplendit sur sa face. La
fille d'Agénor s'étonne de voir un animal si beau
et si peu enclin aux combats ; mais en dépit de
sa douceur, elle craint d'abord de le toucher.
Bientôt elle s'approche de l'animal et offre des
fleurs à sa bouche d'une blancheur éclatante.
Et nunc alludit viridique exultat in herba
Nunc latus in fulvis niveum deponit
harenis ;
Paulatimque metu dempto, modo pectora
praebet
Virginea plaudenda manu , modo cornua
sertis
Inpedienda novis. Ausa est quoque regia
virgo,
Nescia quem premeret, tergo considere tauri
...
Tantôt l'animal folâtre et bondit dans l'herbe
verte, tantôt il pose son flanc de neige sur le
sable fauve ; et quand il a peu à peu fait
disparaître la peur de la jeune fille, il lui
présente tantôt son poitrail à flatter de la main,
tantôt ses cornes à entourer de fraîches
guirlandes. La jeune princesse osa même,
ignorant qui la poursuivait de ses assauts,
s'asseoir sur le dos du taureau.
(...) mediique per aequora ponti
Fert praedam. Pavet haec litusque ablata
relictum
Respicit et dextra cornum tenet, altera dorso
Imposita est; tremulae sinuantur flamine
vestes.
(...) Et il emporte sa proie en pleine mer.
Europe enlevée tremble d'effroi et regarde en
arrière le rivage qu'elle a quitté ; de sa main
droite, elle tient une corne ; sa main gauche,
elle l'a posée sur la croupe de l'animal ; ses
vêtements frissonnent et ondulent sous le
souffle du vent.
3. Regards sur le tableau de François Boucher : L'enlèvement d'Europe
Composition triangulaire
Triangle inférieur gauche : tous les personnages humains sont
regroupés (compagnes d'Europe, Europe elle-même) et Zeus le dieu-
animal (taureau).
Triangle supérieur de droite : l'espace est occupé par l'élément
marin, les nuages et les petits amours.
Jeu des couleurs
Grande luminosité des chairs (jeunes filles, Europe, les amours).
Blancheur éclatante du taureau.
Contraste des couleurs du décor : couleurs sombres (arbres, nuages,
mer) et luminosité du ciel.
Spontanéité des attitudes qui saisissent sur le vif la confiance et l'innocence des jeunes
filles aussi bien que d'Europe.
Placidité troublante du taureau
Conclusion
La scène valorise la beauté triomphante d'Europe (place centrale du personnage, tous
sont tournés vers elle et l'entourent). Mais cette scène étonnante par son caractère
paisible est prête à se dénouer: tout indique l'imminence d'un événement exceptionnel: le
taureau au regard oblique, les amours qui sillonnent le ciel et qui portent dans les airs un
voile prêt à cacher les amours illicites, la mer qui offre déjà ses flots à Zeus pour la
chevauchée légendaire.