1. L'île de la Réunion et les artistes
A une Dame créole
Au pays parfumé que le soleil caresse,
J’ai connu, sous un dais d’arbres tout empourprés
Et de palmiers d’où pleut sur les yeux la paresse,
Une dame créole aux charmes ignorés.
Son teint est pâle et chaud; la brune enchanteresse
A dans le cou des airs noblement maniérés;
Grande et svelte en marchant comme une chasseresse,
Son sourire est tranquille et ses yeux assurés.
Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire,
Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire,
Belle digne d’orner les antiques manoirs,
Vous feriez, à l’abri des ombreuses retraites
Germer mille sonnets dans le coeur des poètes,
Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal,1841
Ti fleur fanée
Vi souvien mon nénère adoré
Le ti bouquet d'ou l'a donne à mouin
Na longtemps li lé fané
Vi souvien comme ça lé loin
Ti fleur fanée, ti fleur aimée
di a moin toujou, qu'ou qu'c'est l'amour
Ti fleur fanée, ti fleur aimée
di a moin toujou, qu'ou qu'c'est l'amour
Vi marché dans la foret,
Il faisait bon il faisait frais
Dans z'herb l'avai la rosée
Dans le ciel z'oiseaux i chantaient
Depuis ça le temps l'a passé,
Il reste plus qu'un doux souvenir
Quand mi pense mon coeur l'est brisé
Tout ici bas comme ça i doit y finir
George Fourcade, 1930
Le maloya, l'âme musicale de la Réunion
Le Maloya, à la fois musique, chant et danse, est au cœur des
traditions de l’île qui continuent à se transmettre d’une
génération à l’autre.
Le Maloya a l’honneur de figurer, depuis 2009, dans la très
sélective liste du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité,
certifiée par l’UNESCO. Il est né pour exprimer la douleur et la
révolte chez les esclaves d’origine malgache et africaine, dans
les plantations sucrières de La Réunion. Son nom vient d’ailleurs
du terme maloy aho, qui signifie parler en malgache.
Jadis dialogue entre un soliste et un chœur accompagné de
percussions, le Maloya prend aujourd’hui des formes de plus en
plus variées, au niveau des textes comme des instruments
(introduction de ''djembés,'' synthétiseurs, batterie...). Chanté et
dansé sur scène par des artistes professionnels ou semi-
professionnels, il se métisse avec le rock, le reggae ou le jazz, et
inspire la poésie et le slam. Autrefois dédié au culte des ancêtres
dans un cadre rituel, le Maloya est devenu peu à peu un chant de
complaintes et de revendication pour les esclaves et, depuis une
trentaine d’années, une musique représentative de l’identité
réunionnaise.
Mon île
Mon île,
Tu n'es pas comme les autres îles,
Tu ne viens pas d'une famille d'îles,
Aux plages de palmiers.
Pas de filles aux colliers de fleurs,
Pour touristes en peine de coeur,
A l'ombre de tes cocotiers.
Mon île,
Tu n'es pas la carte postale,
Pour ces vacances idéales,
Près des lagons aux sables d'or.
Tu as choisi comme ceinture,
De hautes falaises blessures,
Où l'océan gronde si fort.
Le long des côtes sauvages,
Le charme fou des paysages,
Et des vacoas insolents,
Jouant de la houle et des vents.
Laisse aux voyageurs de passage,
Une singulière image,
Mêlée de bleus, de noir, de blanc,
De soleil or et rouge sang.
Mon île,
Tu n'es pas la fille facile,
Parée de frusques inutiles,
Sans un sou d'amour dans le coeur.
Tu as choisi la pureté,
Et tu caches bien ta beauté,
Au fond des cirques où bat ton coeur.
Mon île,
Tu n'es pas l'île enchanteresse,
Qu'on fait miroiter dans la presse,
Aux riches des riches pays.
Pour te protéger des ravages,
Tu as donné à tes villages,
Le nom des Saints du Paradis.
Mais du haut de tes montagnes,
Quand la colère te gagne,
Tu vomis des fleuves de sang,
Que tu rejettes à l'océan.
Et puis tu redeviens sage,
Tu t'endors dans tes nuages,
Et de longues années durant,
Tu berces ton sommeil d'enfant.
Mon île,
Tu as réuni dans ton coeur,
Des gens de toutes les couleurs,
Comme un défi au monde entier.
Pour le pire et pour le meilleur,
Tu as choisi comme âme soeur,
Le pays de la liberté.
Mon île,
Quand du soir au petit matin,
Sous la fraîcheur des tamarins,
Ton peuple se met à danser,
Au rythme lent des maloyas,
Au son des tamtams des ségas,
C'est comme pour te remercier.
Et du fond de ma mémoire,
Les lourdes pages de l'histoire,
Auront beau me rappeler,
La douleur de ton passé.
Malgré les pires passages,
Mon plus beau livre d'images,
C'est celui qui porte ton nom:
Mon île de la Réunion.
Jacqueline Farreyrol,