Quelques interviews de dirigeants connaissant les deux pays : qu'est-ce qui fait la différence de performance entre la France et l'Allemagne...
"L'envie d'y croire" !
1. QU’EST-CE QUE LA COMPÉTITIVITÉ ? COMPARAISON FRANCE
ALLEMAGNE
Christophe Faurie.
La compétitivité, une question de taxes, comme on le dit en France ? Une question de courage, comme on
le dit ailleurs ? Cet article est une comparaison entre France et Allemagne, rédigée à partir d’interviews,
faites en 2014, de dirigeants connaissant les deux pays.
On nous dit que la compétitivité de l’entreprise vient de l’Etat. C’est à lui d’abaisser les charges des
entreprises. Mais la compétitivité est un terme sportif ! Ce n’est pas être passif ! C’est se battre ! Qu’est-ce,
réellement, que la compétitivité ? Comment rendre l’entreprise française compétitive, si la compétitivité
est son problème ?
Commençons par une comparaison France, Allemagne. Car, lorsque l’on parle de compétitivité,
« Allemagne » est le mot qui vient juste après. Qu’avons-nous à apprendre de l’Allemagne ?
Beaucoup de travaux traitent du sujet. Ils sont cohérents, mais froids. Pour leur donner un peu de vécu, j’ai
interviewé des personnes, généralement des dirigeants, qui connaissent bien les deux cultures. Leur point
de vue apporte une dimension surprenante à la question…
1. Les racines culturelles de l’avantage allemand
Un consultant américain à qui j’ai demandé son opinion sur le débat français sur la compétitivité des
entreprises, m’a répondu : « Cette réaction quasi-nationale quasi-unanime pourrait prendre racine dans
l'absence de l'éthique protestante du salut par le travail et la domination par l'éthique catholique du salut
par la grâce, de Dieu ou de l'État. Si on met tout sur le dos des charges sociales, que personne ne pourra
changer sans allumer une révolution dans les rues, c'est aussi une excuse pour ne rien faire. »
L’avantage allemand serait-il culturel ?
Pour un Allemand, tout ce qui n’est pas allemand est de mauvaise qualité. Or, que fait M.Montebourg ?
Alors qu’il veut créer de l’emploi en France et qu’il est prêt à donner l’argent du contribuable à l’entreprise
qui s’installera chez nous, son discours terrorise l’homme d’affaire. Les étrangers n’ont que son nom à la
bouche ! Il n’est pas seul. La France se fait une contre-publicité tonitruante.
Les logiques allemandes et françaises sont opposées. La logique allemande part du client ; la logique
française de l’entreprise, ou de son dirigeant. La logique allemande est rationnelle. Elle a un objectif, à très
long terme : acquérir le monopole d’un marché mondial (une niche pour les PME). Il est ensuite décliné
impeccablement, systématiquement, de manière procédurale. Le dispositif intègre de larges marges de
sécurité. Le modèle français est opportuniste. L’entreprise grossit au hasard des clients, sans réel plan.
Jusqu’à ce qu’elle atteigne les limites du dirigeant. Le dispositif navigue au bord de la crise.
Explication culturelle. L’organisation française est une question d’hommes, l’allemande de « systèmes » :
« La France va culpabiliser et pressurer ses collaborateurs le plus souvent généralistes en leur interdisant le
droit à l’erreur, d’où un manque d’initiative et la naissance de stars. Temps de prise de décisions plus long,
fait en coulisse. Règles du jeu floues. Les collaborateurs sont remplaçables (logique de mise en concurrence).
L’Allemagne autorise l’erreur car elle émane du système et non de l’individu et le cas échéant elle formera ses
collaborateurs. Prise de décisions collectives, rationnelles ou le long terme est au centre. Règles du jeu claires
pour l’entreprise et les collaborateurs. Les collaborateurs formés ont de la valeur (logique de confiance et
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2. long terme). » Un autre interviewé : « Cette rigueur se voit sur le poste de travail et sur les méthodes de
management où l’on n’hésite pas à montrer du doigt (dans le sens « humilier ») les dysfonctionnements. Cela
a un impact sur la qualité, la propreté du poste de travail... »
Plus subtil. Une journaliste allemande a attiré mon attention sur ce paradoxe. Ce qui la frappe en France,
c’est l’importance que le Français accorde au travail. Il se définit même par son travail. Le travail envahit la
vie privée. Il empêche toute prise de recul. L’Allemand travaille 35h, puis se consacre à autre chose. C’est
pour cela que le travail en Allemagne peut être heureux et efficace. « Le Français va considérer que le mode
pompier (ou sa capacité à s’adapter à toutes les situations) est valorisant : un déficit grave d’organisation est
parfois perçu comme un challenge qui doit être récompensé », ajoute un interviewé. Un autre : le travail en
France ? « Moyen de jauger son ego. »
Et si l’Allemand était efficace parce qu’il voulait se débarrasser du travail ? Et si le Français entretenait le
dysfonctionnement comme raison d’être ?
2. Allemagne, colosse au pied d’argile ?
Un spécialiste de la compétitivité des entreprises s’émerveille de ce qu’en Allemagne, du marketing à la
maintenance, tous les processus sont clés. En France, c’est seulement le cas d’un petit nombre d’entre eux
(et encore rarement des bons !).
Mais n’est-ce pas une faiblesse ? La structure allemande est lourde, coûteuse et rigide. D’autant que la
culture allemande joue un rôle capital dans le dispositif. Un interviewé à qui je parle de mon expérience
d’une relation client fournisseur basée sur la collaboration, me répond : « ça dépend du client ; vrai avec les
clients germaniques ou reconnus comme tels, les autres clients peuvent perdre de l’autonomie s’ils sont
considérés comme pas au niveau. » Un autre : « (L’Allemand) a peu de flexibilité pour déroger aux processus,
ce qui peut le rendre « rigide » ou « irascible » aux yeux du client, mais comme c’est un bon communicant cela
renvoie une image plutôt structurée qui est rassurante ».
Bref, l’entreprise allemande a du mal face à l’aléa, d’autant que les décisions se prennent par consensus.
Un dirigeant : « J'ai ressenti un possible « refoulement » d'un leadership type « Führer », compte tenu du
passé et de l'image douloureux de ce pays. Ce qui engendre un management paradoxal puisque l'attente du
développement de l'organisation exige un Führer et il ne veut pas se manifester. »
Ce n’est pas tout. Un article d’Adam Posen, dans le Financial Times : « Les entreprises allemandes gagnent
uniquement en réduisant les salaires et en déplaçant leur production à l'est ». « (l') investissement s'est réduit
continûment ». Contrairement à ce que l’on dit parfois, l’Allemagne a massivement délocalisé, en Europe de
l’est. Ce qui est malsain : ces gains sont sans lendemain.
Finalement, l’avantage allemand n’est pas aussi formidable qu’on le dit. Qu’est-ce qui fait que l’entreprise
française ne parvienne pas à rattraper son retard ?
3. Bienvenus en France
Une multinationale de l’électronique, se demande ce que fait donc son concurrent pour que la grande
distribution mondiale préfère ses produits ? Enquête. Surprise : les prescripteurs clés n’ont jamais
entendu parler de l’entreprise, de son histoire et de son savoir-faire ! Or, ces derniers sont
impressionnants. On apprend aussi que le concurrent (étranger) doit son avantage à un service minimum,
et sans génie, de relation client !
Un câblo-opérateur. Prouesses surprenantes. En dépit de moyens très inférieurs à ceux de ses
concurrents, il est techniquement en pointe. Mais il est déficitaire. Or, son centre d’appels prend 3 appels
sur 10 ! Pourquoi un si mauvais service, alors que l’entreprise doit impérativement conserver des abonnés
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3. qui lui coûtent si cher à acquérir ? Et que le centre d’appels a suffisamment d’effectifs ? Il a été conçu sur le
principe : « ils sont en panne, ils peuvent attendre ». Il a été laissé à lui-même.
Bureau d’études d’un équipementier automobile. Ses ingénieurs optimisent ses produits de manière à ce
qu’ils utilisent le minimum de matière. Malheureusement, la phase de conception d’un véhicule (2 ans)
entraîne de multiples itérations. A chacune, il faut perdre un temps fou pour modifier le produit, qui ne
respecte plus les normes de sécurité. Par contraste, les Japonais et les Allemands ne cherchent pas
l’optimisation immédiate. Ils partent d’une version robuste, qu’ils affinent à chaque modification.
Un fabricant de matériel informatique international veut faire une campagne de communication. Il met en
concurrence des agences de publicité. Il fait un test d’impact sur un échantillon de son marché. Une
proposition se détache nettement. Elle met remarquablement en valeur les forces de l’entreprise. Réaction
du directeur de la (jeune) agence retenue : ce test est une insulte aux vertus artistiques de son œuvre !
Je pourrais citer des dizaines d’exemples du même type.
4. les gisements ignorés de l’entreprise française
Pour le spécialiste de la compétitivité des entreprises dont il est question plus haut, les entreprises
françaises sont « conservatrices » : elles ne se remettent pas en cause, elles n’évoluent pas. Du coup, le
marché s’écarte d’elles. Elles perdent de vue ce qui est important pour lui : « elles ne concentrent pas la
valeur ajoutée sur le client ». Elles ne savent plus quels sont les processus clés qui permettent de délivrer
efficacement cette valeur ajoutée. « Ils n’ont pas de pilote, d’indicateurs, pas de mesure de coûts, ils sont en
boucle ouverte. » L’énergie de l’entreprise est gaspillée au mauvais endroit, notamment dans les fonctions
support qui « s’auto alimentent », ou qui dérivent vers le « flicage ». Pourquoi cette tendance ?
« L’organisation est construite autour des hommes ». (En Allemagne, elle l’est autour des processus.)
L’organigramme est plus le reflet de luttes de pouvoir que des processus clés. D’où trous et redondances.
Les entreprises françaises compensent leur handicap grandissant par l’exploit et l’impasse. Mais ça n’a
qu’un temps.
Alors que faire ? S’il n’y avait pas de blocage psychologique, la question serait facile à résoudre, dit
l’interviewé. En effet, paradoxalement, si l’éloignement entre l’entreprise et le marché est un handicap,
c’est aussi une source d’avantages. Car, l’entreprise possède des « gisements non valorisés », puisqu’elle ne
sait pas ce qui compte pour le marché ! Et surtout, elle surestime « la complexité d’exploitation du
gisement ».
Comment l’exploiter ? Il faut « oser une ambition à long terme (5 ans au moins) », « définir un objectif avec
un temps d’avance sur la concurrence ». Puis concevoir l’organisation cible qui permet de réaliser cet
objectif. L’évolution de l’organisation existante vers cette organisation cible doit paraître naturelle, pour
ne pas entraîner de résistance au changement.
En fait, tout est lié. L’examen du besoin du marché et des caractéristiques de l’entreprise permet de définir
les « gisements » et donc d’en tirer une stratégie. L’idée alors est de « mettre le paquet là où ça vaut le
coût ». Comment ? Identifier 2 à 5 « processus clés ». « Ces processus vont du «besoin client à la satisfaction
client ». Ils concentrent le savoir-faire de l’entreprise, la valeur ajoutée, et les mettent au service du client,
pour l’atteinte de l’objectif. Il faut focaliser les énergies sur ces processus.
Attention, on ne parle pas de physique nucléaire ici. Comme l’illustre les exemples qui démarrent ce billet,
les processus clés sont de l’ordre du bon sens. Par exemple, la procédure de réponse à appel d’offres est
souvent négligée. « Une commande a été gagnée aux USA : on a découvert que nous étions 20% au dessous
du prix du moins disant ! » me dit un ingénieur d’un équipementier, mal en point. Vu l’impact d’une telle
erreur sur la rentabilité de l’entreprise, aucune entreprise allemande ne la ferait…
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4. A ce point, il est possible de faire émerger les « pilotes » responsables de ces processus, et ce dont ils ont
besoin pour faire leur travail de pilotage. « Ce qui permet de bâtir un schéma de délégation de pouvoirs qui
responsabilise les opérationnels et qui soulage le dirigeant. » L’entreprise devient agile.
« Ce travail sur la compétitivité permet de s'autofinancer en partie par les gains obtenus (volet retour sur
investissement) et limite d'autant les besoins financiers qu'il aurait fallu trouver chez des investisseurs
extérieurs (avec un fort risque de dilution des dirigeants dans le pourcentage de contrôle du Capital). »
5. Retrouver l’envie d’y croire
L’économiste Albert Hirschman a étudié, après guerre, l’Amérique latine et ses réformes. Il en est arrivé à
penser que, si elles échouaient, c’était du fait d’une prédiction auto-réalisatrice. Pour réussir, il fallait « y
croire » (« a bias for hope »).
Et si l’entreprise française n’était pas compétitive seulement du fait d’un accès de déprime ? Que faudrait-
il pour qu’elle « retrouve l’envie d’y croire » et cherche ses « gisements non valorisés » ?
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