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MARDI 8 SEPTEMBRE 2020
0123
Danslaroue
des ardoisiers
ANoyant­la­Gravoyère,villageouvrierdeMaine­et­Loire,
lesmineursavaientlapassiondu cyclisme, unsport
considérécommebourgeoisaudébutduXXe siècle.
Mais ilsontréussiàyédifierunvélodromerenommé,
qui aaccueillilaplupartdesgloiresdelapetitereine
noyant­la­gravoyère (maine­et­loire) ­
envoyé spécial
P
arfois, il y a du brouillard. Les
rues de Noyant­la­Gravoyère,
village ouvrier du Maine­et­
Loire, semblent alors aussi lon­
gues que celles des cités miniè­
res anglaises du Yorkshire –
Grimethorpe, Armthorpe, Moorthorpe et
ainsi de suite. Bordées de maisons identi­
ques, précédées de jardinets d’agrément,
réparties au gré d’une voirie tantôt rectili­
gne, tantôt curviligne. Mais ici, ce n’est pas
du charbon que les hommes ramenaient à la
surface, plutôt de l’ardoise. Et de ce fog
angevin émergent les silhouettes des che­
valements rouillés, cernées par la forêt.
Quand il se dissipe apparaît un vélodrome.
C’est un ovale de ciment rugueux où les
lichens s’incrustent. Des gradins de schiste
sombre bordent la ligne d’arrivée. Les virages
relevés sont appuyés sur des talus herbeux.
Pour la main courante: béton armé, coulé en
place. Tout ça est installé en plein cœur du
bourg, le long de la rue Constant­Gérard. Une
esplanade tient lieu de sas. Elle s’appelle
place du Vélodrome. La piste, elle, porte le
nom d’un cycliste fameux: Georges Paillard,
double champion du monde de demi­fond
(1929, 1932). Un enfant du pays.
Si la piste a été inaugurée en 1952, le jour de
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débuté bien avant. Elle se confond avec celle
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fond à la faveur de visites organisées. Les car­
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LA CONFRÉRIE DES AMATEURS DE CYCLES
«Ma mère tenait le café que la Société coopé­
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lomètres, avait ouvert là, dit­il en désignant le
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ment est d’autant plus remarquable que, en
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La Grande Guerre brise l’élan de La Joyeuse.
Elle ne le retrouvera pas avant les années
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meuter le public, elle imagine se doter d’un
vélodrome. Il sera en bois. Démontable. Pro­
blème: à force de manier ce mikado géant, on
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joursdesmorceaux.«Faudraitpeut­êtrecons­
truire en dur et voir plus grand», suggère Léon
Dohin, dit «Malva», mineur et vainqueur du
critérium cycliste de la Fête du muguet 1925
au Louroux­Béconnais (Maine­et­Loire).
On cherche un terrain. En 1934, l’Union pro­
létarienne de Renazé offre une parcelle acco­
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LeFrontpopulaireestenmarche.LaJoyeuse
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listes. Un vélodrome de gauche, c’est possible.
Aux côtés d’André Rivière, président à gâpette
blanche, ardoisier version bureau, André
Courcou, mineur et cafetier à Misengrain,
s’occupe de tout. «En 1925, la police le considé­
rait comme un des dix­sept militants commu­
nistes les plus influents du site. En 1932, il était
secrétaire adjoint de la cellule de Noyant­la­
Gravoyère», relate Laurent Beaumont.
Avecpeudemoyensmaisbeaucoupd’éner­
gie, il arrive à faire la nique aux grands vélo­
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sement roulée soit­elle, rebute les cadors, car
on s’y vautre à qui mieux mieux. André
Bergamini en témoigne: «C’était en 1948,
dansunecourseàl’américaine.Jejouaislaga­
gne. Mais en plongeant vers la ligne d’arrivée,
mon boyau arrière a déjanté. Badaboum!
J’étais salement touché. J’aurais pu y rester. Je
ne suis jamais revenu.» Quant à Abdel­Kader
Zaaf, célèbre pour avoir emprunté la route
du Tour de France à rebrousse­poil, il vient
enrichir sa collection de gamelles en tout
genre. «Il décrochait à chaque virage, et vlan,
par terre!», raconte Alain Doret.
On entreprend donc de tout refaire. A la
manœuvre, M. Alibert, géomètre des mines
de fer voisines des ardoisières. Il décide de
reproduire précisément la piste du mythique
vélodrome milanais Vigorelli, siège de tant
d’exploits.Intriguésparcetterépliqueinsolite,
livrée en 1952, Robic, Géminiani, Anquetil et
Poulidor pointent le bout de leur guidon.
Roger Doret installe le petit Alain, en bar­
boteuse, sur les genoux de Bobet. Le photo­
graphe Jean Cellier immortalise la scène, tan­
dis qu’un masseur surnommé «Potiron»
dénoue les musculatures en plein air.
«C’était la fête! J’entends encore sonner la
cloche du dernier tour. Ce sont mes émotions
d’enfant», assure Andrée Avignon, 72 ans,
fille de Victor Avignon, fendeur d’ardoises et
recordman de vitesse du Maine­et­Loire
sous le maillot de La Joyeuse. «J’habitais
Renazé. J’avais 12 ans. Je venais à vélo pour
voir les champions: Thévenet, Graczyk,
Debosscher. J’ai même demandé un autogra­
phe à Cyrille Guimard, qui est devenu mon
directeur sportif», confie Marc Madiot,
61 ans, vainqueur de trois Paris­Roubaix,
dont un chez les amateurs, directeur général
de l’équipe Groupama­FDJ.
Pour autant, La Joyeuse ne se laisse pas gri­
ser. Il y a des valeurs à défendre. La solidarité
reste un devoir. Le bénévolat un credo. L’en­
gagement une vertu. Entre deux réunions
cyclistes, on militait. Roger Doret est adhé­
rent FO, tout comme Victor Avignon.
D’autres cotisent à la CGT. «C’était beaucoup
plus qu’un club de sport, reconnaît Simone
Genet, 81 ans, fille de mineur, veuve de
mineur.Ilyavaitunedimensionsociale.Lavie
était dure, mais la camaraderie passait avant
tout. Le vélodrome symbolisait tout ça. C’était
bien.» Ça n’a pas duré assez longtemps.
A partir des années 1970, les coureurs
deviennent très gourmands. Le budget de La
Joyeuse ne leur suffit plus. La société véloci­
pédique baisse le rideau. La commune
rachète la piste, la confie au comité des fêtes,
qui fait appel à Bernard Pichard, fondu de
vélo. Il parvient à enrôler des coursiers répu­
tés – Delépine, Matignon, Botherel. Mais on
décide de l’éconduire. En 1977, année de la
fermeture de la coopérative, on organise
une dernière course et on abandonne le
vélodrome aux écoles de cyclisme. Elles ne
tarderont pas à y renoncer.
«ON RISQUAIT LA SORTIE EN VOL PLANÉ»
De toute façon, il ne répondait plus aux exi­
gences athlétiques. «Quand on prenait trop
de vitesse, on risquait la sortie en vol plané. Di­
rection les gradins!», certifie l’ancien pistard
loudunais Jean­Pierre Cassen, 56 ans, qui fut
recordmandeFrancedu500mdépartarrêté.
Alors, qu’en faire? Le démolir? «Non, coupe
Daniel Dupuis, maire de la commune de 1977
à 2014 (PS, puis PRG). Il appartient à notre his­
toire et derrière cette histoire, il y a des hom­
mes et des combats. Ce n’est pas un vestige,
c’est un témoignage. Il est notre richesse.»
Alain Doret, qui a veillé sur lui entre 2004 et
2014 en tant qu’adjoint au maire chargé des
travaux et de la voirie, ne dit pas autre chose.
Neserait­cequeparfidélitéàsonpère.Maisce
ne sont pas les citoyens noyantais qui décide­
ront de son sort. Depuis 2016, Noyant­la­Gra­
voyère a rejoint la commune nouvelle de
Segré­en­Anjou­Bleu. Daniel Brossier, maire
délégué,tentederassurer:«Nousn’enreferons
évidemment pas un vélodrome, mais il restera
le lieu de partage que nos anciens ont voulu.»
A l’heure où le patron du Medef, Geoffroy
RouxdeBézieux,assuredansLesEchosquele
vélo est le nouveau golf («Bike is the new
golf»), au moment où le Tour de France
démontre qu’il peut se priver de son public, à
l’époque où les cycles Pinarello, chef­d’œuvre
de l’artisanat italien, passent sous le contrôle
de LVMH, géant français de l’industrie glo­
bale du luxe, un sobre anneau de ciment,
posé sur une veine schisteuse du haut Anjou,
continue de rappeler, envers et contre tout,
ce que le cyclisme doit aux gens de peu et à
leurs luttes. On n’est pas obligé de l’oublier. 
michel dalloni
Au vélodrome de Noyant­La­Gravoyère (Maine­et­Loire), le 28 août. CYRIL CHIGOT/DIVERGENCE POUR «LE MONDE»
« J’AVAIS 12 ANS. 
JE VENAIS À VÉLO 
POUR VOIR LES 
CHAMPIONS. J’AI 
MÊME DEMANDÉ 
UN AUTOGRAPHE À 
CYRILLE GUIMARD, 
QUI EST DEVENU 
MON DIRECTEUR 
SPORTIF »
MARC MADIOT
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  • 1. MARDI 8 SEPTEMBRE 2020 0123 Danslaroue des ardoisiers ANoyant­la­Gravoyère,villageouvrierdeMaine­et­Loire, lesmineursavaientlapassiondu cyclisme, unsport considérécommebourgeoisaudébutduXXe siècle. Mais ilsontréussiàyédifierunvélodromerenommé, qui aaccueillilaplupartdesgloiresdelapetitereine noyant­la­gravoyère (maine­et­loire) ­ envoyé spécial P arfois, il y a du brouillard. Les rues de Noyant­la­Gravoyère, village ouvrier du Maine­et­ Loire, semblent alors aussi lon­ gues que celles des cités miniè­ res anglaises du Yorkshire – Grimethorpe, Armthorpe, Moorthorpe et ainsi de suite. Bordées de maisons identi­ ques, précédées de jardinets d’agrément, réparties au gré d’une voirie tantôt rectili­ gne, tantôt curviligne. Mais ici, ce n’est pas du charbon que les hommes ramenaient à la surface, plutôt de l’ardoise. Et de ce fog angevin émergent les silhouettes des che­ valements rouillés, cernées par la forêt. Quand il se dissipe apparaît un vélodrome. C’est un ovale de ciment rugueux où les lichens s’incrustent. Des gradins de schiste sombre bordent la ligne d’arrivée. Les virages relevés sont appuyés sur des talus herbeux. Pour la main courante: béton armé, coulé en place. Tout ça est installé en plein cœur du bourg, le long de la rue Constant­Gérard. Une esplanade tient lieu de sas. Elle s’appelle place du Vélodrome. La piste, elle, porte le nom d’un cycliste fameux: Georges Paillard, double champion du monde de demi­fond (1929, 1932). Un enfant du pays. Si la piste a été inaugurée en 1952, le jour de Pâques, en présence du héros, son histoire a débuté bien avant. Elle se confond avec celle des mineurs, à qui elle appartenait. Ils l’ont rêvée avant de la construire. Une belle victoire pour eux qui menaient tant de combats. Les jours de courses, on venait de partout, même d’Ille­et­Vilaine, pour fêter, voir et complimenter les héros du Tour de France. Il y avait davantage de monde aux guichets que dans les rues. Jusqu’à 4000 personnes. Plus du double de la popu­ lation. Moments de liesse ouvrière. AlafinduXXesiècle,lespuitsontfermé.Les filons avaient tout donné. Les mineurs aussi. Dorénavant,seulslestouristesdescendentau fond à la faveur de visites organisées. Les car­ reaux sont en friche et le vélodrome désaf­ fecté. Aux beaux jours, des adolescents à VTT viennent faire un tour ou deux en pensant à autre chose. Alain Doret en sourit: «Il n’y a pas un Noyantais qui a passé plus de temps que moi sur la piste.» Cet ancien des ardoisiè­ res, devenu enseignant et président du Foyer laïque d’éducation permanente (FLEP), est ici chez lui. Il y est né, voilà soixante­treize ans. LA CONFRÉRIE DES AMATEURS DE CYCLES «Ma mère tenait le café que la Société coopé­ rative de l’Union prolétarienne de Renazé, une commune minière de Mayenne située à 15 ki­ lomètres, avait ouvert là, dit­il en désignant le bâtiment qui abrite aujourd’hui le bar­res­ taurant­traiteur Les Perreyeux (menu à 11,80 euros). Mon père, qui travaillait au ser­ vice de l’entretien des matériels de la mine, fai­ sait le speaker lors des réunions cyclistes. Je restais avec lui des heures entières. Le vélo­ drome, c’était une partie de sa vie. D’ailleurs, il était aussi vice­président de La Joyeuse.» La Joyeuse et ses mystères… Aucune trace de cette société d’amateurs de cycles dans les ar­ chives. Les historiens notent qu’elle apparaît dans l’annuaire 1912 de l’Union vélocipédique de France (UVF), qui la localise à «Nogent­la­ Gravoyère» (sic). Repérée sur Internet, une carte postale sacrément vintage, intitulée «Vivelajoyeusemisengrein»,montre51mes­ sieursàbacchantes,répartissurtroisrangs.Ils sont endimanchés, coiffés de curieuses cas­ quettes de yachtmen. Sept bécanes gisent à leurs pieds. Ils n’ont pas l’air super joyeux. Quisont­ils?«DesgensdelaminedeMisen­ grain [avec un a], une des ardoisières de Noyant», avance Alain Doret. Leur engoue­ ment est d’autant plus remarquable que, en ce temps­là, le cyclisme est un loisir bour­ geois et les bicyclettes des objets de prix. Il s’agit avant tout de s’unir. «Les sociétés coo­ pératives ou sportives créent une sociabilité ouvrière. Elles révèlent une volonté d’auto­or­ ganisation face aux patrons et aux curés, qui régissaient les activités», explique Laurent Beaumont, 45 ans, auteur du blog «Mouve­ ment révolutionnaire angevin». La Grande Guerre brise l’élan de La Joyeuse. Elle ne le retrouvera pas avant les années 1920.Afindemobilisersesadhérentsetdera­ meuter le public, elle imagine se doter d’un vélodrome. Il sera en bois. Démontable. Pro­ blème: à force de manier ce mikado géant, on alesreinsencompote.Etpuis,ilmanquetou­ joursdesmorceaux.«Faudraitpeut­êtrecons­ truire en dur et voir plus grand», suggère Léon Dohin, dit «Malva», mineur et vainqueur du critérium cycliste de la Fête du muguet 1925 au Louroux­Béconnais (Maine­et­Loire). On cherche un terrain. En 1934, l’Union pro­ létarienne de Renazé offre une parcelle acco­ lée au bistrot de maman Doret. Merci, cama­ rades! Et maintenant, au boulot! On choisit de bâtir une piste en terre. On en remue des tonnes. On sait faire. On travaille tôt le matin avant d’embaucher ou tard le soir après avoir débauché. On y passe ses dimanches. On dé­ caisse, on remblaie et on dame comme des bêtes. On érige une tribune couverte. A son fronton, on accroche une banderole, en let­ tres capitales: «Honneur au sport cycliste.» Beau comme un film de Julien Duvivier. LeFrontpopulaireestenmarche.LaJoyeuse aenfinlesourire.Danssesrangs,descommu­ nistes, des socialistes et des anarcho­syndica­ listes. Un vélodrome de gauche, c’est possible. Aux côtés d’André Rivière, président à gâpette blanche, ardoisier version bureau, André Courcou, mineur et cafetier à Misengrain, s’occupe de tout. «En 1925, la police le considé­ rait comme un des dix­sept militants commu­ nistes les plus influents du site. En 1932, il était secrétaire adjoint de la cellule de Noyant­la­ Gravoyère», relate Laurent Beaumont. Avecpeudemoyensmaisbeaucoupd’éner­ gie, il arrive à faire la nique aux grands vélo­ dromes d’Angers et de Cholet. A Noyant­la­ Gravoyère vinrent rouler les quatre frères Tribouillard, la paire belge Albert Buysse­Al­ bert Billiet, Eloi Tassin, futur champion de France sur route 1945, Georges et Maurice Bautru, deux Nantais caractériels. André Bergamini, 92 ans, ancien de La Joyeuse, affirme avoir vu le Maurice poursuivre un concurrent dans les travées pour l’estourbir à grands coups de roue avant: «Il lui reprochait de l’avoir tassé au moment du sprint.» En 1942, en pleine guerre, André Courcou convainc même Maurice Archambaud, alors recordman de l’heure, de se produire ici. Quelques affiches et, le 26 juillet, c’est l’émeute. Près de 4000 personnes se pres­ sent. Du jamais­vu. Les Allemands sont débordés. Ils prennent peur, tentent de refouler les spectateurs qui n’en finissent pas de s’entasser autour de l’anneau, mais doivent renoncer face à la marée. La course peut avoir lieu. On en parle encore. Cependant, la piste en terre, aussi soigneu­ sement roulée soit­elle, rebute les cadors, car on s’y vautre à qui mieux mieux. André Bergamini en témoigne: «C’était en 1948, dansunecourseàl’américaine.Jejouaislaga­ gne. Mais en plongeant vers la ligne d’arrivée, mon boyau arrière a déjanté. Badaboum! J’étais salement touché. J’aurais pu y rester. Je ne suis jamais revenu.» Quant à Abdel­Kader Zaaf, célèbre pour avoir emprunté la route du Tour de France à rebrousse­poil, il vient enrichir sa collection de gamelles en tout genre. «Il décrochait à chaque virage, et vlan, par terre!», raconte Alain Doret. On entreprend donc de tout refaire. A la manœuvre, M. Alibert, géomètre des mines de fer voisines des ardoisières. Il décide de reproduire précisément la piste du mythique vélodrome milanais Vigorelli, siège de tant d’exploits.Intriguésparcetterépliqueinsolite, livrée en 1952, Robic, Géminiani, Anquetil et Poulidor pointent le bout de leur guidon. Roger Doret installe le petit Alain, en bar­ boteuse, sur les genoux de Bobet. Le photo­ graphe Jean Cellier immortalise la scène, tan­ dis qu’un masseur surnommé «Potiron» dénoue les musculatures en plein air. «C’était la fête! J’entends encore sonner la cloche du dernier tour. Ce sont mes émotions d’enfant», assure Andrée Avignon, 72 ans, fille de Victor Avignon, fendeur d’ardoises et recordman de vitesse du Maine­et­Loire sous le maillot de La Joyeuse. «J’habitais Renazé. J’avais 12 ans. Je venais à vélo pour voir les champions: Thévenet, Graczyk, Debosscher. J’ai même demandé un autogra­ phe à Cyrille Guimard, qui est devenu mon directeur sportif», confie Marc Madiot, 61 ans, vainqueur de trois Paris­Roubaix, dont un chez les amateurs, directeur général de l’équipe Groupama­FDJ. Pour autant, La Joyeuse ne se laisse pas gri­ ser. Il y a des valeurs à défendre. La solidarité reste un devoir. Le bénévolat un credo. L’en­ gagement une vertu. Entre deux réunions cyclistes, on militait. Roger Doret est adhé­ rent FO, tout comme Victor Avignon. D’autres cotisent à la CGT. «C’était beaucoup plus qu’un club de sport, reconnaît Simone Genet, 81 ans, fille de mineur, veuve de mineur.Ilyavaitunedimensionsociale.Lavie était dure, mais la camaraderie passait avant tout. Le vélodrome symbolisait tout ça. C’était bien.» Ça n’a pas duré assez longtemps. A partir des années 1970, les coureurs deviennent très gourmands. Le budget de La Joyeuse ne leur suffit plus. La société véloci­ pédique baisse le rideau. La commune rachète la piste, la confie au comité des fêtes, qui fait appel à Bernard Pichard, fondu de vélo. Il parvient à enrôler des coursiers répu­ tés – Delépine, Matignon, Botherel. Mais on décide de l’éconduire. En 1977, année de la fermeture de la coopérative, on organise une dernière course et on abandonne le vélodrome aux écoles de cyclisme. Elles ne tarderont pas à y renoncer. «ON RISQUAIT LA SORTIE EN VOL PLANÉ» De toute façon, il ne répondait plus aux exi­ gences athlétiques. «Quand on prenait trop de vitesse, on risquait la sortie en vol plané. Di­ rection les gradins!», certifie l’ancien pistard loudunais Jean­Pierre Cassen, 56 ans, qui fut recordmandeFrancedu500mdépartarrêté. Alors, qu’en faire? Le démolir? «Non, coupe Daniel Dupuis, maire de la commune de 1977 à 2014 (PS, puis PRG). Il appartient à notre his­ toire et derrière cette histoire, il y a des hom­ mes et des combats. Ce n’est pas un vestige, c’est un témoignage. Il est notre richesse.» Alain Doret, qui a veillé sur lui entre 2004 et 2014 en tant qu’adjoint au maire chargé des travaux et de la voirie, ne dit pas autre chose. Neserait­cequeparfidélitéàsonpère.Maisce ne sont pas les citoyens noyantais qui décide­ ront de son sort. Depuis 2016, Noyant­la­Gra­ voyère a rejoint la commune nouvelle de Segré­en­Anjou­Bleu. Daniel Brossier, maire délégué,tentederassurer:«Nousn’enreferons évidemment pas un vélodrome, mais il restera le lieu de partage que nos anciens ont voulu.» A l’heure où le patron du Medef, Geoffroy RouxdeBézieux,assuredansLesEchosquele vélo est le nouveau golf («Bike is the new golf»), au moment où le Tour de France démontre qu’il peut se priver de son public, à l’époque où les cycles Pinarello, chef­d’œuvre de l’artisanat italien, passent sous le contrôle de LVMH, géant français de l’industrie glo­ bale du luxe, un sobre anneau de ciment, posé sur une veine schisteuse du haut Anjou, continue de rappeler, envers et contre tout, ce que le cyclisme doit aux gens de peu et à leurs luttes. On n’est pas obligé de l’oublier.  michel dalloni Au vélodrome de Noyant­La­Gravoyère (Maine­et­Loire), le 28 août. CYRIL CHIGOT/DIVERGENCE POUR «LE MONDE» « J’AVAIS 12 ANS.  JE VENAIS À VÉLO  POUR VOIR LES  CHAMPIONS. J’AI  MÊME DEMANDÉ  UN AUTOGRAPHE À  CYRILLE GUIMARD,  QUI EST DEVENU  MON DIRECTEUR  SPORTIF » MARC MADIOT directeur général de l’équipe Groupama-FDJ.