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La
Résilience
Lundi 28 mai, 19h00-22h00
Breakfast in America 2, 4 rue Malher, 75004 Paris
Café Sciences
Avec
Laurent Coque
Chercheur en neuroscience
La
resilience
Tout public !
Dossier
1
Sommaire
Sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p2
Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p3
Risques, résilience, et rétablissements : les enseignements de l'étude longitudinale
de Kauai . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p4
Résilience : facteurs, développements, mise en œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p12
La modélisation biologique du stress et de ses conséquences . . . . . . . . . . . . . p22
Sommeil et comportement : enfants de foyers affectés par l’alcoolisme et enfant de
familles témoins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p29
Résilience et mode alimentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p31
Résilience et enképhalines opioïdes endogènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p32
Un merveilleux malheur – Boris Cyrulnik 1999, citations . . . . . . . . . . . . . p35
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p49
Les coulisses du Café Sciences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p51
Pour rester en contact avec le Café Science . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p52
2
La résilience c'est rebondir suite à un événe-
ment qui bouleverse la vie. Une épreuve terrible peut donc
orienter l'après de la personne vers un nouvel état qui la
grandit, lui est positif. Ceci dépend d'une part de ce que la
personne a acquis avant l'épreuve, le vécu d'un sentiment de
sécurité par exemple développé avec la mère lors des pre-
miers mois de la vie, et d'autre part de la possibilité de béné-
ficier d'un point stable où s'appuyer pour redémarrer suite à
cette épreuve.
Le 28 mai 2018 au Breakfast in America 2, nous avons exploré
et discuté des mécanismes psychologiques et biologiques
de la résilience pour mieux savoir comment elle fonctionne.
Et voici le dossier de cette rencontre Café Sciences sur la résil-
ience !
Le magazine Psychologies
no
385 consacrait son dos-
sier du mois de mai 2018
à la résilience, voir en
annexe.
3
Risques, résilience, et rétablissements : les enseignements de
l'étude longitudinale de Kauai - Werner 1993
(Risk, resilience, and recovery: Perspectives from the Kauai Longitudinal Study [1])
Résumé
Les mécanismes de la résilience ont été mieux compris grâce à une étude réalisée par
Emmy Werner et ses collègues. Ces chercheurs ont suivi depuis leur naissance jusqu'à
l'âge de 32 ans1
toutes les personnes nées en 1955 sur l'île de Kauai dans l'archipel
d'Hawaii. Certains de ces enfants allaient subir des facteurs de stress dès la naissance,
d'autres la pauvreté, ou encore un
dysfonctionnement familial allant parfois
jusqu'à être considéré comme
pathologique. On pouvait donc faire
l'hypothèse que l'avenir ne réservait que
des perspectives de vie sombres pour un
bon nombre de ces enfants grandissant
dans des conditions défavorables et
stressantes. Or une grande proportion de
ceux-ci une fois devenus adultes ont eu
une vie réussie. Emmy Werner cherche à
savoir comment ces personnes nées et
élevées dans des conditions difficiles et donc à risque ont pu s'en sortir. Grâce à cette
étude, des facteurs et processus protégeant ont été identifiés. lls pourraient servir de
base pour la formulation de meilleures stratégies sociales, éducatives afin que des
enfants soumis à différents stress en sortent renforcés plutôt qu'endommagés
psychologiquement pour qu'une fois arrivés à l'âge adulte ils aient un bon contrôle de
leur vie.
Introduction
Les 698 personnes faisant partie de l'étude étaient américaines mais pratiquement
toutes faisant partie d'une minorité éthnique : phillipine, japonaise, hawaiienne, etc.
De plus les parents de tous ces enfants étaient du même niveau social, en général
agriculteur ouvrier, avec une maman au foyer ; dans la plupart des cas la maman
n'avait pas fini ses études secondaires.
Remarques :
• On se trouve donc dans un environnement humain bien en prise avec le réel. C'est
avantageux pour ce type d'étude sur la résilience ; dans un environnement
urbanisé et codifié à l'extrême en Amérique du Nord ou en Europe, on peut penser
1
C'est une étude longitudinale : elle inclut les mêmes personnes sur de nombreuses
années au cours desquelles on mesure des paramètres qualifiant et quantifiant leur vie.
4
que certains aspects de la résilience auraient pu être plus difficiles à mettre en
évidence.
• Par la manière dont ont été sélectionnés les participants à cette étude, on a évité
tout biais d'échantillonnage ; l'étude est initiée avec un ensemble de personnes
dans un lieu donné isolé d'influences extérieures directes et qui ont en commun le
même temporalité étant nées la même année.
A partir de ce groupe de 698 personnes, les chercheurs en ont trouvé 72 qui en dépit
d'avoir connu des conditions difficiles de développement dans leur enfance n'ont pas
eu une vie adulte chaotique dominée par des problèmes de vie non solutionnés. Ces
72 personnes sont des 'vulnérables', elles ont été exposées à des conditions de vie
difficiles, mais elles sont aussi 'invincibles' car dans les domaines personnel et
professionnel, elles ont connu la réussite à l'âge adulte. En résumé ces personnes ont
fait preuve de résilience durant leur enfance.
Points communs des personnes résilientes :
De la naissance jusqu'à l'âge de 18 ans, c'est la période de la vie en principe la plus
protégée avant qu'on commence à voler de ses propres ailes en tant que jeune adulte.
• Observation : étude des paramètres psychologiques et comportementaux des
personnes résilientes pendant leur développement depuis la très jeune enfance.
Dès 1 an on a remarqué qu'il était plus facile de s'occuper des résilients du point
de vue de l'attention et des efforts que leur famille devaient leur prodiguer. Les
enfants résilients étaient plutôt coulant, dormant bien et ayant de bonnes
habitudes alimentaires.
Vers 20 mois ces enfants montraient déjà des caractéristiques de vivacité, de
curiosité, et d'autonomie. Tout montrait qu'ils étaient déjà plus à même de se
débrouiller par eux-mêmes.
Tout au long de leur parcours scolaire jusqu'au bac, ces enfants étaient à la
fois capables de maîtriser positivement les situations de groupe et de s'occuper
d'eux-mêmes ; ils bénéficiaient d'une forme d'ancrage intérieur et ils étaient aussi
capables d'échanger positivement avec ceux qui les entouraient.
• Analyse : on s'était bien occupé de ces personnes pendant leur enfance, dans le
sens où quoi qu'il arrivât, en dépit des situations qui pouvaient être difficiles, ils
avaient un point d'ancrage positif auquel ils pouvaient se raccrocher. Ces enfants
ont interagi avec une personne qui incarnait pour eux un rôle de modèle de vie et
qui s'occupait d'eux de manière régulière. Ces personnes pendant leur enfance
avaient donc bénéficié d'une source d'affection positive solide à laquelle ils
pouvaient se référer. De cette manière on pourrait faire l'hypothèse qu'ils ont
construit par l'expérience la notion d'attachement. Ils en ont bénéficié au premier
chef pour eux-mêmes, puis par la suite, ils ont pu en faire bénéficier les autres
autour d'eux une fois qu'ils eurent atteint l'âge adulte et que c'était à leur tour de
prendre soin d'enfants. Ces personnes résilientes ont donc connu des situations
difficiles, sans qu'elles eussent été pour autant des situations sidérantes, mais
elles furent plutôt chroniques, comme d'avoir à s'occuper de jeunes frères ou
sœurs parce qu'on est l'aîné(e). Dès le plus jeune âge ces personnes avaient été
mises face à des responsabilités qu'elles prirent à bras le corps, ce qui les forgea
5
probablement au cours des années. Ces personnes avaient aussi le talent de
trouver des gens dans leur environnement social avec qui tisser des liens ; donc
très tôt ces personnes s'étaient mises à 'réseauter' avec des personnes hors de la
famille et instaurer avec elles des échanges bénéfiques réciproques. Ces
personnes ont très vite pris en main leur vie, par leurs actions elles donnèrent de
facto un sens à leur vie, elles décidaient là où elles voulaient aller plutôt que de
s'en remettre aux autres et de grandir avec la sensation d'être une bille dans un
flipper.
Le suivi à l'âge adulte
C'est à l'âge de 32 ans que s'est fait la dernière étape du suivi de ces personnes. La
trentaine est une période de la vie où beaucoup de choses se passent du point de vue
personnel (fonder une famille, élever des enfants) et professionnel.
Méthode :
• Examen subjectif : réponses des personnes à un questionnaire
• Examen objectif : analyse des informations judiciaires, civiles et médicales
relatives à ces personnes
Les enfants à risque devenus adultes
Enfants résilients ayant atteint l'âge de 30 ans :
• Ces personnes avaient développé des compétences et un sens aigu de la
détermination. Elles recevaient aussi un soutien d'un(e) époux(se) ou un(e) ami(e)
ou encore elles éprouvaient une forme de croyance.
• Ces résilients avaient construit leur environnement de vie adulte en plein contraste
avec ce qu'ils avaient vécu comme événements traumatiques pendant leur enfance.
Ils avaient développé un sens de l'intimité et du partage avec les autres, et donné à
leurs enfants les moyens de développer leur individualité et leur autonomie. Mais
cela s'accompagnait de certains comportements dont la caractéristique était une
volonté active de garder à distance ce qu'il avait vécu comme traumatismes
pendant leur enfance, rester éloigner de certaines relations familiales vécues
comme douloureuses et potentiellement dangereuses pour eux alors mêmes qu'ils
étaient devenus adultes. Ceci avait un coût : pour les hommes c'était des
difficultés à s'engager dans une relation au long terme, et pour les femmes c'était
la volonté de réussir dans tous les domaines que ce soit dans leur mariage, en tant
que maman, et en tant que personne avec un travail. Tout ceci pouvait se
répercuter sur la santé physique de ces personnes : maux de tête récurrents
(migraines), mal de dos, et leur manière parfois un peu désinvolte de s'occuper de
leur vie personnelle.
6
Les filles-mères à la trentaine :
La plupart ont eu une trajectoire sociale où leur situation s'est améliorée. Ces
personnes ont su utiliser leurs propres compétences et bénéficièrent d'un entourage
positif puis d'un mariage stable. On remarquera que ces fille-mères avaient dans leur
grande majorité un emploi, et que donc contrairement au stéréotype2
elles ne vivaient
pas des aides de la sécurité sociale.
Enfants délinquants avec ou sans casier judiciaire :
La plupart des enfants qui avaient commis un acte de délinquance avant 18 ans
s'étaient rangés à l'âge adulte. Les personnes ayant encore des problèmes avec la
justice à l'âge adulte avaient été considérées par leurs parents comme très turbulentes
à l'âge de 10 ans.
C'est un environnement familial à peu près intact qui a protégé les jeunes délinquants,
leur évitant de continuer dans cette voie à l'âge adulte. Un grand nombre de personnes
ayant gardé un comportement délinquant à l'âge adulte ont grandi dans une famille où
l'un de leur parent était absent pendant de longues périodes alors qu'ils étaient
adolescents. Ce qui a protégé les jeunes délinquants qui se sont repris à l'âge
adulte c'est l'implication active des parents ou de membres proches de la famille
dans un processus de réhabilitation. Les familles de placement pour les jeunes
délinquants récidivistes ne se sont pas avérées comme étant des environnements leur
permettant d'être de bons substituts de leurs parents. Une solution alternative
meilleure c'était le mariage stable ou s'engager dans l'armée.
Les enfants ayant eu des troubles mentaux - état des lieux à la trentaine :
Parmi les 70 personnes ayant eu des problèmes mentaux sérieux pendant leur
adolescence, seule une minorité avait encore besoin d'une aide médicale une fois
arrivée à la trentaine. La plupart de ces personnes ont trouvé une source de soutien
dans la famille ou par des amis proches.
Arrivées à l'âge adulte, les personnes qui ont connu une enfance difficile sont plus
à même de s'en sortir si leurs difficultés à l'époque de leur enfance se limitaient à
un seul domaine plutôt qu'à plusieurs.
Le lien entre les facteurs protégeant et une adaptation réussie à la vie d'adulte
chez les enfants et adolescents à hauts risques
Qu'est-ce qui a permis à ces enfants vulnérables, soumis à des conditions de vie
traumatiques, de trouver une voie de sortie qui leur donna accès à une vie adulte
positive ? :
• Les traits de caractères de ces enfants leur permettaient d'obtenir de tierces
personnes des réponses positives. Ces personnes alors enfants obtenaient ce
2
qui est ou était courant aux USA
7
soutien parce que la personne en face d'eux avait envie de le leur donner, parce
qu'une corde sensible avait été touchée.
• La cohérence entre les objectifs et les qualités personnelles de ces enfants leur
permettaient d'atteindre leur but ; la fin a besoin de moyens. On notera que ces
personnes avaient aussi le sens des responsabilités pour les soi-disant petites
choses de la vie (corvée domestiques, etc.).
• Une éducation qui permit à l'enfant de prendre conscience de ses compétences et
de favoriser le ressenti de l'estime de soi, soit qu'elle eut pour origine les parents
(père et/ou mère) ou des substituts familiaux ou amicaux.
• Ce sont aussi les moments de la vie où une transition majeure se fait qui
offre une chance de changer pour le meilleur à l'âge adulte : éducation
adulte, service national volontaire, ou bien activité religieuse ⇒ les 3 points
formateurs précédents ET ce point déclencheur d'une transition de vie
majeure sont essentiels pour la mise sur la voie du succès à l'âge adulte
d'enfants ayant grandi dans un environnement à risque.
Ce sont les propres traits de caractères de la personne dès la naissance qui forge sa
trajectoire de vie :
• Plus le bébé est facile à vivre plus il aura d'interactions positives avec différentes
personnes. Au contraire un bébé dont il est moins facile de s'occuper, avec de
moins bonnes habitudes alimentaires et de sommeil voit diminuer la diversité de
ses interactions avec son entourage. Dès le plus jeune âge, l'enfant qui donne des
signaux positifs aux personnes autour de lui reçoit en retour un soutien ; c'est
l'investissement qui produit des fruits. Et ce type de manne sociale continue à
l'école où ceux qui réussissent font l'objet de plus d'attention que ceux qui
réussissent moins bien. Le succès c'est sexy.
• L'éducation des parents joue aussi un grand rôle en tant que facteur protégeant
pour leur progéniture.
• Au final, le facteur le plus protégeant c'est la capacité d'initiative et de choisir son
avenir, donc plutôt des facteurs intrinsèques à la personne ; en gros les résilients
choisissent leur propre environnement où se développer.
Les qualités individuelles intrinsèques versus les sources de soutien extérieur :
Les qualités intrinsèques constituent un facteur de résilience plus important pour les
femmes que pour les hommes dans le groupe à risque. Au contraire c'est le soutien
extérieur qui se révèle plus important pour les hommes que pour les femmes dans le
groupe à risque. On observe donc que la résilience ou son absence n'a pas forcément
la même source pour les hommes et les femmes.
A la base de la résilience il y a des modèles positifs inspirants dans la famille et la
prise de responsabilité. L'enfance est l'occasion de faire l'expérience de schémas
sociaux dans des environnements encore protégés par rapport à l'âge adulte. Suite à ce
développement constructif pendant l'enfance, la réussite peut être plus probable à l'âge
adulte même si l'enfance s'est déroulée dans des conditions difficiles dans certains
8
domaines, probablement à la condition que l'enfant ait éprouvé des retours positifs de
son entourage élicités par son caractère propre et suivant la façon dont il gérait les
interactions interpersonnelles.
Enseignements de cette étude pour la théorie du développement
Pour les personnes à risques, un chemin vers la résilience c'est de trouver
l'environnement à l'âge adulte où leurs caractéristiques peuvent s'épanouir dans ce qui
devient un chez eux compatible avec une trajectoire adulte perçue par eux comme
réussie, parce que l’écosystème social qu’ils ont construit convient à toutes leurs
dimensions personnelles et professionnelles.
Enseignements de cette étude pour l'identification de méthodes pouvant donner à
l'action sociale des moyens de favoriser la résilience dès l'enfance :
• Un environnement familial structuré avec des règles qui protègent le jeune enfant
des influences négatives d'un environnement extérieur caractérisé par la
délinquance.
• Une présence adulte source de soutien pour des jeunes dont les parents souffrent
de psychopathologies chroniques
• Une personne pouvant jouer le rôle de substitut parental quand un ou deux des
parents est absent sur le long terme : alcoolisme, divorce, hospitalisations dues à
des crises de psychoses.
• La capacité à maîtriser la lecture dès le CM1 est une des clefs les plus
importantes pour que le jeune puisse utiliser ses compétences et avoir une
bonne estime de lui-même.
• Il n'y a pas que la réussite scolaire qui soit une clef de la résilience :
§ Les enfants qui avaient un violon d'Ingres étaient aussi mieux à même de
surmonter les épreuves stressantes qui leur arrivaient.
§ Ces enfants avaient aussi des activités extrascolaires avec d'autres personnes.
§ Construction d'un sens de la responsabilité quand l'enfant doit prendre quelque
chose en charge pour aider quelqu'un, que ce soit un membre de la famille ou
une personne de sa communauté : notion de 'required helpfulness'.
§ Développement de l'estime de soi et d'un sentiment d'auto-efficacité dans
l'enfance quand une personne accepte l'enfant/le jeune adolescent de manière
inconditionnelle ; cette personne plus âgée est en général membre de la
famille, mais ce n'est pas toujours le cas.
→ la clef de tout cela c'est l'amour inconditionnel qui ancre dans la personne
encore enfant la notion de pouvoir rester spéciale pour quelqu'un quoi qu'il
arrive.
• Les possibilités de résilience peuvent aussi survenir à l'âge adulte pour ceux qui
ont grandi dans un milieu à risque : grâce à l'éducation à l'âge adulte au sein du
9
service militaire ou non, par l'implication dans les activités religieuses d'une
communauté. Autre facteur qui peut avoir son influence : le changement de lieu.
L'armée US offre non seulement la possibilité de s'éduquer dans certains domaines,
mais c'est aussi un cadre structuré et un lieu où prendre des responsabilités. Tout
ceci peut favoriser un accroissement de l'estime de soi pour la personne. Les
activités dans une communauté religieuse furent aussi démontrées comme étant un
moyen possible de trouver un sentiment de sécurité et de participer à des activités
communautaires. Certains peuvent y trouver là un refuge par rapport à la majeure
partie du monde qui leur reste étranger. Mais la plupart des gens qui trouvaient un
réconfort dans la religion ne tombaient pas forcément dans la religiosité. Ce cadre
religieux leur permettait de repenser leurs souffrances passées et d'en tirer quelque
chose comme un enseignement constructif.
• La résilience des individus à risque et qui contribue à leur capacité à faire face une
fois arrivés à l'âge adulte provient de leur capacité à croire qu'ils peuvent
surmonter des événements alors que la probabilité de le faire est considérée a priori
comme étant faible. Cette conviction peut leur venir du fait que pendant leur
enfance ces personnes ont été en contact avec des adultes qui s'occupaient bien
d'eux. Cette résilience, la capacité d'aller à l'encontre de ce qui est le plus probable,
dépend de l'interaction avec des adultes pendant l'enfance mais pas seulement ;
cela peut aussi arriver à l'âge adulte par une rencontre au hasard avec quelqu'un qui
va jouer le rôle du mentor, de la personne qui donne du sens à la vie.
Attention : dans cette étude on a examiné la résilience individuelle pour des personnes
qui ont certes connu des difficultés mais s'en sont sorties un peu par eux-mêmes et
grâce aux interactions famille-proche ; on n'a pas fait ici l'étude de la résilience pour
des enfants qui ont grandi dans des services sociaux.
Implications de cette étude pour des programmes d'action sociale
• Avec cette étude on devrait donc pouvoir allouer des ressources sociales à des
enfants qui n'ont pas dans leur environnement les moyens de développer leur
résilience parce qu'ils leur manque un ou plusieurs éléments cruciaux pour le faire.
En observant les mécanismes par lesquels des enfants vulnérables s'en sont sortis
on peut alors penser à des méthodes pour donner ces moyens à des enfants à risque
qui n'en disposent pas originellement.
• Une société qui s'oriente vers un hyperindividualisme avec de moins en moins
d'interaction en personne c'est une société qui augmente le pourcentage de gens
qui seront moins résilients dans l'adversité.
• Pour un programme d'aide au développement à la résilience, on a donc besoin
d'identifier les facteurs de risques mais aussi les facteurs protégeant.
• La clef de la résilience c'est une relation humaine personnelle qui a du sens pour
l'enfant/l'adolescent en proie à la difficulté plutôt que le recours à une aide
bureaucratique formelle.
10
Les limites de cette étude
• Beaucoup d'études précédentes avaient été menées dans des environnements
occidentaux plus typiques mais aussi beaucoup plus rigides, plus impersonnels et
où on loue la compétitivité économique. Toute sorte de conditions qui peuvent
rendre difficile une étude sur la résilience, parce que les facteurs qui peuvent la
permettre sont minimisés par des conditions/normes sociales où ils sont étouffés
dans l'œuf, où ils n'arrivent simplement pas à avoir une influence suffisamment
grande pour pouvoir être observé de manière claire dans le cadre d’une étude
scientifique.
• Même si elle a été faite à Hawaii, cette étude s'est quand même réalisée dans un
système occidentalisé où ne naît qu'un enfant sur 6.
• Cette étude est un plaidoyer implicite pour l'immigration3
qui confère à nombre de
personnes un haut degré de résilience à cause des épreuves qu'elles ont traversées
avant d'arriver aux USA. C'est une des richesses de l'immigration, si on sait
écouter/interagir avec ceux qui en sont issus.
• Mais attention, une épreuve subie par quelqu'un pendant son enfance ne lui ait pas
nécessairement source de forces positives à l'âge adulte ; les effets d'une épreuve
sur la personne vont varier suivant l'environnement de valeurs et de normes
sociales dans lequel elle vit après coup.
En conclusion, les adultes de cette étude ayant fait preuve de résilience avaient gardé
espoir, évité la rancœur, fait partie du monde qui leur avaient fait du mal sans ce que
cela ait pu leur arracher leur sens de la compassion, de l'optimisme et de l'espoir. Etre
un participant actif de la vie du monde est la clef d'activation de l'utilisation de la
résilience qu'on a peut-être eu la chance d'acquérir pendant l'enfance.
Notes
• On notera que dans cette expérience observationnelle et donc sans intervention
psychologique, un tiers (201 personnes) des participants de l'étude (698
personnes) étaient considérés à risque à cause des conditions de vie qu'ils
allaient subir pendant leur développement jusqu'à l'âge adulte. Parmi ces
enfants à risque un tiers (72 personnes) se montrèrent résilients.
• L'article sur lequel est basé cet aperçu est disponible ici :
https://drive.google.com/open?id=1I4-
fHI7WVpLi0POqsbEGOAw6VZRJQNO6
Bibliographie
[1] Risk, resilience, and recovery- Perspectives from the Kauai Longitudinal
Study, Werner, (1993).
3
Cette étude a été réalisée sur le territoire américain. Mais ce commentaire à propos
de l'immigration me paraît tout aussi valable pour les pays européens.
11
Résilience : facteurs, développement, mise en œuvre –
Richardson 2002
(The metatheory of resilience and resiliency [1])
Résumé
La recherche sur la résilience est passée par 3 étapes :
• L'identification des facteurs qui sont source de résilience
• L'étude du développement des facteurs de résilience
• La mise au point de thérapies de résilience
Introduction
Avec les recherches sur la
résilience la psychologie
s'est engagée dans une
nouvelle voie. Plutôt que
de se focaliser sur des
problèmes à résoudre et de
réduire la personne à ce qui
ne va pas chez elle, de
nouveaux types
d'interventions
psychologiques et sociales
se basent sur les forces de
la personne, ce qui peut lui
permette de réémerger.
Une personne a des atouts
qui dans l'adversité
peuvent lui permettre de
faire face et de se remettre
sur pied ; c'est la
résilience.
L'évolution de la recherche sur la résilience est passée par trois étapes
D'abord les chercheurs ont voulu décrire précisément le phénomène de résilience.
Des études se sont concentrées sur les caractéristiques de personnes démontrant leur
capacité à être des survivants. Pour la plupart ces personnes avaient vécu et surmonté
des situations à risque pendant leur jeunesse. On cherchait donc à savoir quelles
qualités personnelles et quels facteurs dans leur environnement avaient permis à ces
jeunes personnes de surmonter des situations d'adversité par rapport à d'autres jeunes
qui ne se relevaient pas de leurs épreuves. Cette première phase aboutit donc à
12
déterminer des qualités personnelles et des situations environnementales assimilables
à des facteurs de résilience.
Exemples d'atouts associés à la résilience : estime de soi, capacité à agir
efficacement, facteurs de soutien dans l'environnement social de la personne, etc.
Les facteurs de résilience peuvent donc être des qualités propres aux personnes et
des conditions dans leur environnement qui leur ouvrent la voie du succès dans
leur vie personnelle et dans la société en général.
Ensuite la recherche s'est focalisée sur l'identification des processus permettant
d'acquérir ces qualités de résilience.
Les chercheurs ont voulu comprendre la dynamique par laquelle quelqu'un gère les
situations d'adversité, de changement ou d'opportunité et qui conduit à l'établissement
de ces qualités de résilience et de facteurs de protection.
Le processus de mise en place de la résilience est associé avec : la capacité à gérer
les stress, les situations d'adversité, les changements ou opportunités ; en résultat la
personne acquiert des facteurs protégeant.
La troisième vague de recherche sur la résilience cherche à savoir comment les
qualités de résilience peuvent être mises en œuvre.
Pour qu'une personne puisse s'engager dans un processus de remise sur pied suite à
une rupture, une force de motivation est nécessaire.
Une force intérieure à la personne lui permet d'activer et d'utiliser ses atouts de
résilience. L'enjeu est d'identifier cette force qui existe dans la personne et qui va
lui permettre d'être résiliente et donc de se remettre en piste après un événement
source de rupture de vie.
La découverte des qualités de résilience
Le démarrage de la recherche sur la résilience est arrivé lorsqu'on est passé du point
de vue de se préoccuper prioritairement des facteurs de risque relatifs au bien-être, à
la qualité de vie sociale d’une personne à une autre stratégie de recherche voulant
identifier les forces de cette personne lui permettant de surmonter l'adversité. Dans ce
nouveau paradigme de recherche, on n'essaie pas de déterminer la part purement
génétique et la part d'apprentissage dans les qualités de résilience d'une personne. Les
caractéristiques de résilience sont identifiées en tant que facteurs protégeant et atouts
liés à la phase de développement de la personne.
C'est une étude qui a duré 30 ans avec tous les enfants nés en 1955 à Kauai dans
l'archipel d'Hawaii qui fut fondatrice du domaine de la recherche sur la
résilience (voir pages précédentes pour plus de détail). La population étudiée était
pluriethnique et à haut risque à cause de quatre facteurs environnementaux très
prévalant : conditions de stress dès la naissance, la pauvreté, l'instabilité quotidienne,
et des problèmes par rapport au bien-être mental des parents. 200 des 700 enfants nés
à Kauai en 1955 furent identifiés comme étant à hauts risque de grandir sous
l'influence de ces quatre facteurs environnementaux. 72 enfants sur ces 200 ne furent
pas pénalisés dans leur vie d'adulte par ces conditions de stress de l'enfance. Les
chercheurs énoncèrent les qualités de résilience ayant permis à ces jeunes personnes
de faire face alors qu'ils vivaient dans des situations à haut risque. Il y avait des
13
qualités intrinsèques et/ou personnelles telles qu'être de sexe féminin, solide, impliqué
socialement, avoir une bonne capacité d'adaptation, être tolérant, avoir le goût
d'accomplir quelque chose, être un bon communicateur et avoir une bonne estime de
soi. De plus les chercheurs découvrirent l'importance d'un environnement positif à la
fois au sein de la famille et au dehors d'elle pour qu'un jeune puisse faire face à
l'adversité.
Un psychiatre britannique, Michael Rutter fit des recherches épidémiologiques
dans le centre de Londres et sur l'île de Wight ce qui l'amena à identifier des
facteurs de résilience. Il découvrit aussi qu'à peu près un quart des enfants soumis à
des facteurs de risque pouvaient faire preuve de résilience. Parmi les facteurs de
résilience les plus importants, Rutter cite ceux-ci : être doué d'un caractère facile, être
de sexe féminin, bénéficier d'un environnement scolaire positif, savoir planifier, avoir
une relation forte, proche et personnelle avec un adulte.
Le projet de recherche sur le risque fait dans l'état du Minnesota (USA) se
focalisa sur les dysfonctionnements des processus intentionnels et de traitement
de l'information d'enfants nés de parents schizophréniques entre 1971 et 1982.
Ce projet montra que la plupart de ces enfants ne devinrent pas des personnes
inadaptées à la vie adulte, mais au contraire des personnes faisant preuve de chaleur
humaine et membre à part entière de la société. Les critères personnels permettant à
ces personnes de s'en sortir étaient les suivants : réalisation de leurs objectifs
professionnels/ludiques/intimes, de hautes attentes d'eux-mêmes, une vision positive
sur les événements qui adviennent, l'estime de soi, un point d'ancrage intérieur,
l'autodiscipline, la capacité à résoudre les problèmes, un sens critique et de l'humour.
Ce projet catégorisa la résilience en trois domaines : les facteurs propres à la
personne, un environnement familial source de soutien et la disponibilité d'un système
extérieur qui donne le sentiment à la personne d'être épaulée.
Une étude de 1990 à 1995 sur 350 000 étudiants de niveau collège-lycée identifia
une quarantaine de paramètre acquis pendant leur développement et qui leur ouvraient
la voie pour un fonctionnement optimal dans la vie :
Facteurs externes à la personne : recevoir un soutien (famille, adulte, voisinage,
école), sentir sa valeur par la prise de responsabilité, être respectueux de la vie privée
des choix et des attentes des autres [de l'empathie en quelque sorte], et mettre à profit
de manière constructive le temps qui passe.
Facteurs propres à la personne : le degré d'implication et la motivation par rapport au
parcours scolaire (volonté de résultats), des traits de caractère positifs (faire preuve
d'attentions pour les autres, être clair et net, faire preuve de responsabilité, et être
intègre), l'aisance sociale, un sens de soi positif (estime de soi, sentir qu'on a un rôle à
jouer, avoir un point d'ancrage intérieur)
En 1997 une synthèse de Benard [2] sur la recherche dans le domaine de la
résilience indiquait que de 50 à 70% d'enfants nés dans des milieux à risque
devenaient des adultes ayant une vie qu'on pouvait considérer comme réussie. Ces
personnes avaient confiance en eux-mêmes, réalisaient des projets et soutenaient
d'autres personnes dans leur entourage.
Dans les années 2000 la recherche en psychologie positive a identifié des facteurs
de résilience :
14
• le bonheur, un sentiment de bien-être, l'optimisme, une croyance/conviction
intime, la force d'âme pour aller de l'avant, la sagesse, l'exigence par rapport
au résultat de ses activités, la créativité
• sens moral et contrôle de soi, la reconnaissance envers les autres, la capacité à
pardonner, avoir des projets ambitieux qui tiennent vraiment à cœur, garder
espoir, et savoir rester humble.
Cette première phase d'étude sur la résilience identifia les paramètres qui permettent
aux personnes de surmonter des épreuves. La recherche en psychologie avait donc
fondamentalement changé sa manière de faire en se focalisant moins sur les facteurs
de risques mais en identifiant les paramètres de vie qui renforcent une personne. Mais
l'identification de ses facteurs n'était pas suffisante en elle-même pour que ceux-ci
soient applicables comme ça pour les personnes qui en avaient besoin. Encore fallait-
il savoir comment ces qualités de résilience se mettent en place pour une personne.
Le processus d'acquisition des paramètres qui conduisent à la résilience
Modèle de la mise en place des capacités de résilience et de leur mise en œuvre :
Au départ toute personne peut être considérée comme se trouvant dans une routine de
vie stable que celle-ci soit perçue comme étant positive ou négative. Comme disent
les américains on est dans une zone de confort, une homéostasie, où on a peu d'effort
à faire pour que la situation se perpétue telle quelle. Le développement de qualités à
potentiel résilientiel ne peut donc provenir que d'un changement dans cette vie
routinière. Une rupture est donc nécessaire ; c'est-à-dire qu'un élément nouveau
s'invite dans la routine de vie de la personne et qu'il est la cause de sa rupture. Après
cet événement de rupture la vie reprend, ce qui peut se faire de plusieurs manières. On
peut possiblement retrouver une routine mais elle sera différente et d’un qualité
comparable par rapport à celle qu'on avait avant l'événement de rupture si on en tire
des leçons. La résilience c'est donc faire l'expérience d'un événement de rupture puis
d'en intégrer les enseignements de manière positive dans sa vie. On sort grandi de
l'épreuve. Le risque c'est d'ignorer l'épreuve, ou qu'elle devienne un nouveau point de
référence. C'est contreproductif si on n'en tire pas des enseignements et qu'on s'attache
simplement aux aspects négatifs de l'événement de rupture qui s'intègre à une
nouvelle routine.
Un problème significatif c'est qu'une personne vivant une routine bonne ou mauvaise
peut être presque immunisée par rapport à la perception d'événements qui devraient
être vus par elle comme une rupture. On peut donc avoir une situation de stress
chronique due à un événement de rupture qui ne conduit pas à un processus de
résilience. On peut ainsi se trouver dans une situation où des facteurs protégeant déjà
existants sont contreproductifs en cela qu'ils empêchent un événement de rupture de
renforcer la personne. Un vrai événement de rupture c'est quelque chose qui déborde
les éléments protégeant de la personne qui la maintiennent dans sa zone de confort. La
personne a alors à sa disposition un nouvel événement, planifié ou non, positif ou
négatif, de vécu qu'elle va devoir incorporer dans son schéma de vie. On fait
l'hypothèse que tout événement qui constitue une rupture dans la routine de vie peut
permettre à la personne de grandir et ce de manière positive.
Un événement de rupture conduit immédiatement à des pensées mues par des
émotions telles que les sentiments de blessure, de perte, de peur, d'incompréhension,
15
de confusion, d'étonnement, voire de sidération. Au tout début du processus d'une
possible mise en place d'une nouvelle qualité résilientielle, on ne ressent vraiment
qu'une chose qu'on pourrait formuler ainsi, "Pauvre de moi !". C'est un stade de doute
et d'anxiété sur sa capacité à se renouveler et donc à pouvoir survivre au changement.
Avec le temps on passe à un deuxième stade où on formule les choses ainsi, "Mais
qu'est-ce que je vais faire ??", ce qui est le début de l'intégration dans la vie de la
personne de l'expérience vécue de l'événement de rupture. C'est là que la vie reprend
en mieux, en moins bien ou sans changement apparent. Un événement de rupture peut
donc conduire à ce qu'une personne acquiert un nouveau facteur protégeant. Mais la
tendance naturelle peut être de vouloir revenir à sa zone de confort antérieure que cela
soit réaliste ou non ; on peut ainsi croire pouvoir revenir à une situation antérieure de
routine de fait abolie par un événement de rupture alors que ce n'est donc pas
possible, mais refuser de voir ceci. Reprendre sa vie dans une nouvelle forme de
routine implique une reformulation de ses motivations et de ses espoirs. La vie peut
reprendre et se ‘stabiliser’ en une routine aux effets très négatifs quand une personne
se tourne vers l'utilisation de substances toxiques et/ou a des comportements
destructifs qui offrent un sentiment apparent d'un retour à la 'normale'.
Le modèle de résilience présenté ici (voir plus haut) est très simplifié, on ajoutera
donc que :
• Plusieurs événements disruptifs peuvent arriver dans le même temps et les
processus relatifs à leur utilisation peuvent avoir à être gérés concurremment.
• Un processus de résilience peut prendre quelques secondes pour des
événements à impact mineur ou demander plusieurs années dans le cas
d'événements traumatiques.
• Si on n'a pas analysé un événement de rupture et intégré ses enseignement
dans sa vie, il est probable qu'il se répétera privant ainsi la personne de
périodes de stabilité.
• On peut appliquer le concept de résilience au niveau individuel ou à toute
sorte de communauté humaine.
• L'utilisation d'un événement de rupture pour la réorientation positive d'un
schéma de vie peut être repoussée à plus tard. Un événement de rupture vécu
pendant l'enfance peut ne pas être résolu jusqu'à l'âge adulte. A ce moment-là
on peut espérer qu'une thérapie peut réinitier l'atmosphère de l'événement de
rupture passé et donc remettre à l'ordre du jour une réflexion pour en tirer des
enseignements et que ceux-ci participent alors à remettre la personne dans une
routine de vie positive.
• Sans rupture on ne sort pas de sa routine, ce qui est problématique si elle est
négative. Et d'une certaine manière même si la routine est bonne, on peut
difficilement soutenir qu'une même routine peut s'appliquer à la vie entière
d'un individu.
16
• Une intervention/thérapie peut déjà faire passer le message à la personne que
face à une rupture de vie des choix s'offrent pour le meilleur ou pour le pire
suivant les actions qu'elle décidera d'entreprendre.
La résilience ce n'est pas simplement rebondir, mais aller plus loin dans la bonne
direction par la force de la réflexion, d'un effort de prise de conscience. Dans ce cas-ci
la vie progresse par un événement de rupture dont les leçons ont été tirées par la
personne qui a subit le stress. Lorsque l'événement arrive mais qu'on n'y prête pas
attention on peut ou bien continuer dans sa zone de confort comme si rien ne s'était
pas passé ou voir sa routine changée de manière négative lorsque l'événement
perturbe la vie de manière insurmontable. Faire preuve de résilience c'est un peu
savoir naviguer dans une direction choisie, même en cas de vents contraires.
Comment développe-t-on sa résilience ? En dehors de paramètres purement
biologiques1
qui entrent en jeu, d'autres paramètres plus subjectifs et qu'on rattache à
l'esprit humain sont autant de leviers possibles pour booster sa résilience :
• Choisir sa voie dans la vie
• Avoir un ancrage intérieur
• Croire en dieu ou dans un pouvoir supérieur
• Etre créatif
• Avoir de l'humour
• L'affect : la manière par laquelle on réagit spontanément avant d'avoir pu
amorcer une réflexion
La théorie de la résilience
Après avoir fait une description des qualités résilientielles, et avoir ensuite déterminé
comment elles se développent, la question restait de comprendre comment elles
pouvaient être mises en œuvre pour permettre à une personne qui connaît un stress de
trouver un équilibre nouveau qui la grandit par rapport à un équilibre de vie précédent
qui n'est plus atteignable. Pour mettre en route ce processus de résilience il faut une
force dont il peut être difficile de déterminer la nature tant elle pourra être différente
suivant les personnes. Cette force peut être spirituelle, ou intrinsèque à la personne
qui n'a alors pas besoin d'invoquer et de s'appuyer sur un type de concept qui l'inspire
à s'engager à reconstruire une nouvelle vie stable. Quoi qu'il en soit la résilience est
possible pour tout être humain, la difficulté principale étant pour elle/lui de trouver le
concept qui va pouvoir la mettre en mouvement. En effet tout ce que nous ont appris
les des deux premières vagues de recherche sur la résilience est très intéressant, mais
la force qui permet d'acter ce processus de mise en mouvement d'un mode de vie
nouveau à la fois stable, dynamique, positif et différent du précédent est certainement
1
On verra dans la suite de ce dossier l'état des connaissances à propos des paramètres
biologiques qui ont une influence sur la résilience
17
difficile à définir. Et cette force est bien le quelque chose qu'on aimerait comprendre,
une préoccupation qui ne date pas de l'époque moderne.
Postulat 1 : la force pour acter la résilience vient de notre propre écosystème de vie
Le point de vue de la recherche en physique
Ici j'ai quelques difficultés à cerner comment les théories de la physique moderne
développées par de grands scientifiques comme Einstein, Bohr, Heisenberg, Hawking
peuvent amener à mieux définir les caractéristiques de cette force qui met en
mouvement la résilience chez l'être humain. Laissons donc de côté les équations de la
physique et de la chimie moderne qui ont permis des prouesses technique et
d'ingénierie extraordinaires, pour constater que pour l'instant la physique n'est pas à
même d'expliquer comment la résilience pourrait s'expliquer en s’appuyant sur les
formalismes développés pour modéliser ce qui se passe au niveau des atomes. Pour
autant gardond en tête que de simples perceptions sensorielles et les pensées qui les
accompagnent peuvent nous sortir d'une ornière de vie et des problèmes de santé qui
peuvent en résulter sans qu'on puisse à l'heure actuelle définir les phénomènes de
biologie moléculaire qui sous-tendent la résilience.
Le point de vue de la médecine orientale
Lao-Tseu parle d'une cohérence de l'ensemble des choses qui existent du point de vue
de la voie d'une énergie universelle qu'elles pourraient toutes emprunter. C'est un peu
pour chacun la nécessité de trouver la manière de naviguer avec le courant et donc
d'en profiter plutôt que d'avoir à lutter contre lui. Mais cette vision des choses est
presque en contradiction avec la résilience qui implique des événements de rupture.
Ici je verrais plutôt un point de vue qui se focalise sur une forme d'acceptance de ce
qui arrive mais sans que la personne soit amenée à grandir par les événements de
rupture qui surviennent.
La croyance en un pouvoir divin
Les diverses réflexions du postulat #1 reviennent donc à dire que la force qui met le
processus de résilience en mouvement c'est le système de pensée de la personne par
lequel elle s'explique l'univers qui nous entoure que ce soit par l'entremise des
théories de la physique, d'une philosophie ou de la croyance en un dieu.
Postulat #2 : chaque personne peut trouver dans son être une capacité à mettre en
action sa résilience
Cette section parle de molécules telles que les neuropeptides, leurs récepteurs
cellulaires dont on ne perçoit pas consciemment les actions mais qui très
probablement participent à la résilience. Des événements de la vie de tous les jours
sont à l'origine ou sont influencés par les effets biologiques de ces molécules. C'est
une remarque purement qualitative car dans le détail on ne peut connaître le
fonctionnement de l'ensemble de ces molécules dans le détail de tout le corps et lier
ceci aux événements de vie d'une personne. Cela dit on sait que l'ocytocine, l'hormone
de l'amour, et les mécanismes biologiques qui lui sont associés sont liés à des
18
processus de développement d’attachements interpersonnels. L’ocytocine pourrait
contribuer à mener la personne sur le chemin de la résilience; en effet c'est peut-être
l'amour qui est la force qui nous permet d'agir quand des moments de rupture de
l’extra-ordinaire arrivent.
La psychoneuroimmunologie
L'état d'esprit d'une personne est corrélé avec le fonctionnement de son système
immunitaire. Il est toutefois très souvent difficile en biologie humaine de définir si tel
ou tel paramètre a valeur de cause ou de conséquence par rapport à la biologie ou à la
psychologie d’une personne. Il est ici important de discuter de la notion d'effet
placebo. Par exemple, on peut vouloir tester l'effet thérapeutique d'une molécule issue
de la recherche pharmacologique pour résoudre le problème de santé subi par une
personne. Mais une personne croyant recevoir cette molécule pendant un test
thérapeutique, alors que ce n'est pas le cas, a une chance de voir se résoudre son
problème de santé. Le simple fait de savoir qu'on va être soigné fait du bien et s'ajoute
à l'effet pharmacologique d'une molécule. Il est encore bien difficile de définir les
mécanismes biologiques de l'effet placebo. De là on ouvre la porte à un grand nombre
de médecines alternatives aux objectifs tout aussi louables que la médecine
occidentale moderne mais qui ne s'avèrent pas forcément plus efficaces qu'elle en
matière de soins.
En résumé on ne saurait vraiment bien définir la force qui permet à la résilience
d'être mise en œuvre. Mais on voit que quelque part elle vient du plus profond de
l'être. Si cette force est l'amour, elle peut agir lors d'un événement de rupture.
L'énergie rebelle qui a troublé la routine de la vie peut ainsi être détournée et faire
accéder la personne a eu un nouveau mode de vie positif.
Les applications pratiques
Avant de pouvoir accéder à la résilience un travail de dépoussiérage est souvent
nécessaire. Effectivement plutôt que de changer notre routine, la personne a tendance
à essayer de mettre l'événement de rupture sous couvert : par le raisonnement, par le
déni, par sa minimalisation, par la colère. C'est un peu comme si l'événement de
rupture savait comment acter sur une personne pour que lui-même devienne le centre
d'intérêt de la personne que cela lui soit bénéfique ou non. La personne qui subit
l'événement de rupture peut ne pas avoir la capacité de réagir seule contre cet
événement de rupture qui 'sait' intrinsèquement comment agir sur celle-ci mais
uniquement pour son bénéfice à lui.
Les thérapies d'apprentissage de la résilience
Certains éducateurs sont d'avis qu'il faut chercher en la personne quelle est la nature
de son amour de soi. Si celui-ci peut reprendre le devant de la scène, cela peut
permettre à la personne d'accéder à la résilience. Avec l'amour de soi on ouvre la
porte à ce qui donne envie de vivre, de se sentir en sécurité, de se sentir aimé(e), à
tout ce qui nous rend meilleur. Si un thérapeute professionnel peut faire prendre
conscience à une personne adulte ce qui la faisait bouger du temps où elle était enfant,
il peut alors établir une bonne connexion avec cette personne et travailler avec elle
pour mettre en mouvement son processus de résilience. Mais à charge du thérapeute
19
de trouver la sincérité vraie pour que ce retour à la surface des aspirations et émotions
du temps de l'enfance de la personne soit suffisamment durable ; sinon les
mécanismes de fonctionnement de l'adulte détournés par l'événement de rupture
reprendront le dessus sur la personne qui aura alors perdu son accès au chemin de la
résilience.
La plupart d'entre nous avons une certaine vision du monde et la manière dont il
devrait fonctionner. Si on est dans un style de vie en contradiction avec notre vision
du monde, on risque fort de ne pas se sentir bien et de là voir s'évaporer toute énergie
dont on aurait bien besoin pour mettre en mouvement un processus de résilience.
Peut-être la force qui peut mettre en route le processus de résilience c'est la sensation
qu'on a le contrôle de ce qu'on fait pour réaliser de manière effective des choses à
propos de soi ou de l'environnement dans lequel on vit. Cette sensation de contrôle
est en grande partie subjective, mais pour qu'elle ait un effet il est nécessaire d'en
voir objectivement certains résultats démontrant qu'elle a une réalité.
Pour éliciter sa résilience une personne doit probablement à la fois se sentir comme
un rouage indispensable au fonctionnement de la société et en même temps ne pas se
sentir asservie par elle. Chacun d'entre nous sommes uniques par nos
caractéristiques physiques, mentales, spirituelles, et expérientielles ce qui devrait
nous rendre parfait pour un type de fonctionnement que nul autre ne pourrait faire
mieux que nous au sein de la société.
La conclusion de l'auteur fait penser qu'une personne ne peut s'engager dans la voie
de la résilience que si elle a la possibilité de prendre du recul par rapport à
l'événement de rupture qui est subi. Sinon c'est l'événement de rupture qui devient la
vraie routine de la personne, le reste des activités de la personne n'ayant plus de
réalité que dans une zone d'ombre d'où elles ne peuvent émerger même si cela serait
positif pour la vie de la personne. Ce commentaire me paraissait utile à ajouter avant
de transcrire les points suivants de la conclusion qui autrement auraient pu
s'apparenter à du "y'a qu'à faut qu'on" :
1. La personne a le choix de trouver la voie pour évoluer de manière positive
suite à un événement de rupture.
2. Les premiers effets d'un événement de rupture sur la personne c'est les
sentiments de blessure, d'être perdue, de culpabilisation, de peur ; mais tout
ceci peut amener la personne à une prise de conscience personnelle de sa
situation et à partir de là voir comment arranger les choses.
3. Des événements de rupture planifiés peuvent solutionner des situations de
stagnation. C'est-à-dire qu'on est prêt à faire un saut dans l'inconnu dans
l'espoir de voir sa situation s'améliorer.
4. Pendant le travail de résilience il peut être utile que la personne voit ce qui
peut être considéré comme positif par rapport à un événement de rupture qui
apparaît d'abord comme ayant globalement des effets négatifs.
20
5. Si une personne comprend la valeur et le potentiel d'un événement de rupture
cela peut l'aider à voir tout l'intérêt qu'il y a à vivre de nouvelles expériences.
On peut observer le phénomène de résilience et comprendre les différents
paramètres qui le rendent possible, ainsi que le propre développement de ceux-ci. A
l'heure actuelle la difficulté réside dans notre capacité à faire en sorte que dans la
vraie vie tout le monde soit résilient. Ce n'est souvent qu'un tiers ou la moitié de
personnes subissant des événements de rupture qui les mettent à profit pour
grandir. En tout cas un événement de rupture est une source de problèmes bien
réels et ils ont le pouvoir d'orienter le futur de la personne qui en fait l'expérience
qu'elle décide d'agir ou non. On devient donc soi qu'on le veuille ou non. Et il
vaudrait mieux vouloir activement devenir soi, pour que l'inévitable expérience de
l'adversité qu'on rencontre soit la source d'une nouvelle réussite dans un futur non
pas subi mais choisi.
Bibliographie
[1] The metatheory of resilience and resiliency, G. E. Richardson, Journal of
Clinical Psychology, 58 (2002) 307-321.
[2] Turning It Around for All Youth- From Risk to Resilience, Benard, (1997).
21
La modélisation biologique du stress et de ses conséquences
– Baker 2007
Competing and Complementary Models of Combat and Operational Stress and Its
Management, chapitre 4 (p121-142), Combat Stress Injury Theory, Research, and
Management) [1]
Le cerveau est constitué de circuits nerveux dont l’architecture est immuable,
disposant malgré tout d'un certain niveau de plasticité dans leurs connexions.
Il vaut mieux qu'un organisme ait un jeu de réactions biologiques pour survivre dans
son environnement dès la naissance sinon c'est la mort assuré à très court terme avant
d'avoir pu engendrer la génération suivante. L'organisme peut donc fonctionner dans
son environnement grâce à certaines règles innées sans qu'il y ait pour lui une
nécessité d'apprentissage au début de son existence. "These are ancient nervous
system adaptations, evolved over millenia, which are too important to survival to
be left to the vagaries of individual experience". Mais pour vivre plus longtemps,
un organisme doit être capable de s'adapter aux changements de son environnement
qui même s'ils ne l'empêchent pas de survivre vont influer sur sa qualité de vie. On
peut faire l'hypothèse que si l'être humain a de si gros hémisphères cérébraux c'est
pour qu'il ait la possibilité d'avoir une réponse moins rigide, plus adaptative de
manière à faire face aux challenges de son environnement.
22
On peut réduire à un schéma tripartite les éléments du système nerveux
responsables de la réponse au stress.
Un neurone afférent amène une information sensorielle au système nerveux central
(SNC) : cerveau, moelle épinière. Le SNC émet alors un signal qui est transmis par un
neurone efférent vers un muscle ou un organe glandulaire ; c'est la réponse du cerveau
suite au signal apportée par l'information sensorielle. Par exemple, si on met la met
sur une surface brûlante, on a immédiatement le réflexe de l'enlever. Les récepteurs
thermiques de la main envoient l'information au cerveau, la température est trop
élevée, et le cerveau envoie une information en retour aux muscles du bras pour qu'ils
s'activent de façon à retirer la main de l'endroit où elle risque la brûlure si elle y reste
posée trop longtemps.
Le traitement de signal dans le SNC implique des substances chimiques appelées
neurotransmitteurs. Ceux-ci permettent à l'information d'être transmise d'un neurone
à un autre qui lui est connecté. Un neurone est activé lorsqu'un neurotransmitteur se
lie à un récepteur situé à sa surface.
Les neurotransmitteurs impliqués dans la réponse au stress
• Glutamate : c'est le principal neurotransmitteur excitatif, c'est-à-dire capable
de susciter l'activité électrique d'un neurone. Un type de récepteur, appelé
NMDA, est particulièrement important dans les processus de mémorisation et
de cognition du cerveau. Les récepteurs NMDA sont ainsi impliqués dans le
conditionnement à la sensation de peur ('classical fear conditionning').
• Gamma-aminobutyric acid (GABA) : c'est le principal neurotransmitteur de
l'inhibition de l'activité neuronale. Lorsque le GABA s'attache à un neurone il
inhibe son activité électrique. L'alcool et les benzodiazépines stimulent les
récepteurs GABA, réduisant la perception au stress et à l'anxiété, mais ceci
aux dépens de la vigilance de la personne.
• Norépinéphrine (= adrénaline) : modulation de l'activation de neurones dans
le cerveau notamment ceux du Système Nerveux Sympathique (SNS). La NE
promeut l'accélération du rythme cardiaque, l'augmentation de la pression
sanguine, la préparation du corps à rentrer en action, l'accroissement de la
vigilance, la focalisation de l'attention, et va à l'encontre du sommeil. La NE
stimule la mémoire à faibles doses et au contraire l'inhibe à hautes doses. Dès
qu'on se trouve en situation de stress l'activité NE est plus élevée dans les
neurones du cerveau, et un stress qui dure finit par épuiser les réserves en NE
du cerveau. Les personnes qui ont un diagnostic de TSPT subissent d'abord un
accroissement de l'activité NE dans le cerveau, et puis après l'activité NE dans
le cerveau se dérègle.
• Sérotonine : neurotransmitteur qui a tendance à avoir pour effet l'inhibition de
l'activité de neurones. La SE est produite par un circuit de neurones assez
restreint. Les chercheurs pensent pouvoir au moins affirmer avec un bon degré
de certitude que la SE inhibe les réflexes de peur conditionnés, par exemple,
sursauter quand on entend un certain son, les réflexes de combat et de fuite.
23
Chez les humains on a démontré une corrélation entre des taux faibles de SE
et l'impulsivité, l'agressivité et les tendances suicidaires.
• Dopamine : neurotransmitteur modulant positivement l'activité d'autres
neurones. La DA est produite dans des zones limitées du cerveau. La DA a
probablement ses effets principales dans la modulation de l'activation de
neurones du Nucleus Accumbens (NA) dont on suppose qu'il est très
important pour la motivation et les sensations de plaisirs (circuit de la
récompense). L'activité de la DA dans le cerveau au niveau du NA est
inversement proportionnelle au niveau de stress vécu.
Les hormones du stress produites dans le corps
Les hormones diffèrent des neurotransmitteurs en cela que leur champ d'action est
plus grand que celui de ceux-ci qui ne franchissent que la très courte distance
synaptique séparant deux neurones, tandis que celles-là diffusent dans les tissus des
organes ou sont distribuées dans le corps par la circulation sanguine.
• Cortisol : molécule qui régule la réponse au stress. Le CO est sécrété par la
zone corticale des glandes surrénales. Le taux de CO dans le sang est sous le
contrôle d'un système hormonal composé de l'hypothalamus, l'hypophyse et la
glande surrénale (axe HPA - 'Hypothalamic-pituitary adrenal'). Le
fonctionnement de l'axe HPA se fait en cascade. D'abord l'hypothalamus entre
en jeu ; c'est lui qui joue le rôle de lien entre la fonction de communication
électrique du cerveau et les signaux hormonaux du corps. En cas de stress
l'hypothalamus sécrète la corticolibérine (corticotrophin releasing factor -
CRF) qui agit sur l'hypophyse qui alors sécrète l'hormone corticotrope
(adrenocorticotropic factor - ACTH) dans le sang. Le taux de CO sécrété dans
le sang par les glandes surrénales est en relation directe avec le changement du
taux sanguin d'ACTH sécrétée par l'hypophyse. Le CO a des actions critiques
par rapport aux actions du corps en condition de stress. Ainsi en temps de
stress le CO accroît le taux du glucose dans le sang et donc sa distribution
pour le fonctionnement des tissus du corps. Le CO a aussi une fonction de
retour négatif ('negative feedback') sur l'hypophyse dont il inhibe la
production d'ACTH. Mais le CO a aussi des effets négatifs sur le cerveau et le
reste du corps :
o Inhibition du système immunitaire, ce qui explique que le stress peut
conduire au déclenchement de certaines maladies
o Si la sécrétion de CO devient chronique, elle favorise une
accumulation des graisses et l'athérosclérose.
o Le CO peut avoir des effets toxiques sur certains neurones, voir plus
loin dans le texte.
• CRF : comme on l'a vu plus haut le CRF est une hormone de l'axe HPA qui
contrôle la réponse au stress, c'est aussi un neurotransmetteur du cerveau. Les
stress aigus (ponctuels) et chroniques accroissent l'activité du CRF dans le
24
cerveau ce qui active ou inhibe des circuits cérébraux dont l'activité est
corrélée avec des comportements de stress. Le CRF facilite les émotions et les
comportements liés aux situations de stress. Ainsi il suffit d'injecter du CRF
dans le SNC d'animaux modèles pour qu'ils aient un comportement similaire à
celui qu'ils auraient en situation de stress ou d'anxiété. On observe que le CRF
accroît l'activité des neurones à NE ce qui conduit à l'accroissement des
comportements de vigilance stimulés par le cerveau et le SNS. Des taux élevés
de CRF dans le cerveau ont été corrélés avec la dépression, l'anxiété, la
dépendance aux drogues et le TSPT ; probablement lorsque les taux de CRF
sont chroniquement élevés.
• Neuropeptide Y (NPY) : à la fois hormone et neurotransmetteur il a des
propriétés anxiolytiques probablement par son activité qui s'oppose
directement à celle de CRF. En effet si on injecte NPY directement dans le
cerveau d'animaux, cela réduit leurs symptômes anxieux et l'activité NE dans
le cerveau. Des taux élevés de NYP ont été corrélés avec le niveau de
performance des soldats qui font l'expérience de situation de survie. Les
vétérans de l'armée qui ont les symptômes du TSPT ont des taux de NPY
moins élevés que des groupes de personnes témoins.
• Molécules de type opioïdes endogènes : ce sont des molécules qui se lient
aux mêmes récepteurs du cerveau que des narcotiques aux effets analgésiques
tels que la morphine et l'héroïne. Ces molécules sont les endorphines, elles
favorisent une analgésie lors d'un stress, ce qui explique l'absence de ressenti
de souffrance en situation de stress extrême. Ces opioïdes endogènes
accroissent l'activité de la DA dans le NA de la même manière que le font les
narcotiques capables d'induire une dépendance.
Les circuits cérébraux dont les activités sont corrélées avec la réponse au stress
et qui sont impliqués dans l'apprentissage
Il y a de multiples zones cérébrales qui jouent un rôle pour un type particulier de
mémoire. On a donc des circuits neuronaux opérant indépendamment les uns des
autres, et en parallèle. On distingue deux grands types de mémoire, celle explicite et
celle implicite. La mémoire explicite est dite déclarative car on peut se rappeler de
certaines choses et les communiquer volontairement. Par contre la mémoire implicite
c'est l'ensemble des types de mémoires qu'on ne peut invoquer volontairement. Elles
peuvent resurgir de manière involontaire lorsqu'un signal intérieur ou extérieur est
déclenché comme un signal émotionnel ou physique lié au réflexe de peur
conditionné. Les zones du cerveau associées aux mémoires explicites sont
l'hippocampe, le tronc cérébral, et les hémisphères cérébraux. La zone du cerveau
la plus associée à la mémoire et l'apprentissage implicite est l'amygdale et les circuits
nerveux qui lui sont associés. L'hippocampe et l'amygdale sont l'un près de l'autre de
chaque côté du cerveau. La manière dont ces deux zones du cerveau interagissent en
temps normal et en conditions de stress est essentielle dans l'établissement de modèles
des effets des stress traumatisants.
• L'hippocampe : s'il est endommagé, la mémoire déclarative au long terme est
préservée, mais les nouvelles informations reçues ne sont plus mémorisables
25
sur le long terme. On notera que l'hippocampe reçoit des connections
nerveuses de zones du cerveau qui traitent les informations sensorielles
(vision, ouïe, etc.). Des substances chimiques comme la kétamine et le PCP
sont cause d'amnésie et inhibent les fonctions associatives du cerveau, comme
ce qu'on observe en situation de stress à effets dissociatifs, il y a blocage des
récepteurs au glutamate de type NMDA. L'hippocampe est donc probablement
une zone du cerveau essentielle pour que s'associent pensées, sensations et
sentiments. L'hippocampe est aussi impliqué dans les réflexes de peur
conditionnés que certains signaux peuvent déclencher par la suite. Mais
l'hippocampe est aussi important pour désactiver la réponse au stress et
amenuiser les réflexes de peur conditionnés.
La fonction de mémoire de l'hippocampe est activée par des doses faibles de
NE et d'adrénaline (Ad) de telles manière que des expériences liées à un
accroissement de la vigilance d'un individu deviennent un atout sous forme
d'un souvenir. Mais lorsque les taux de NE ou Ad deviennent excessifs,
l'acquisition de nouvelles mémoires est inhibée comme ce qui arrive lorsque
les neurones GABA sont activés par les effets de l'alcool ou ceux des
benzodiazépines. Un des mécanismes par lequel l'hippocampe stocke de
nouvelles informations implique le développement de nouvelles cellules
(neurogénèse) et la réorganisation et/ou l'établissement de nouvelles
connexions entre les cellules de l'hippocampe. Les hormones et
neurotransmetteurs influençant ces phénomènes ont donc un impact très
significatif sur le fonctionnement de l'hippocampe en condition de stress. C'est
le cas de la SE dont l'activité est accrue par les antidépresseurs utilisés pour
combattre les troubles du stress et le TSPT. Le CO régule aussi la neurogénèse
dans l'hippocampe et les connections entre ses neurones.
• L'amygdale : c'est une zone du cerveau qui reçoit des informations
sensorielles par l'intermédiaire d'une autre région du cerveau, le thalamus. Par
comparaison avec l'hippocampe qui reçoit des informations sensorielles par le
biais des hémisphères cérébraux, l'amygdale reçoit des informations
sensorielles beaucoup plus vite que lui. C'est donc l'amygdale qui est la zone
cérébrale qui va avoir la plus rapide influence sur les réponses aux stress
aigus, par exemple, avec l'activation du système de vigilance dépendant de la
NE et l'activation de l'axe HPA, ce qui se traduit dans les deux cas par la
sécrétion de CO au niveau des glandes surrénales. L'amygdale apparaît
comme un détecteur d'événements menaçants pour y répondre de manière
instantanée sans qu'une réflexion puisse avoir un effet modulateur. L'amygdale
est une zone du cerveau essentielle pour la réponse aux signaux catégorisés
comme stressants. Avec des animaux modèles on a pu démontré qu'une
situation de stress même temporaire, par exemple, faire face à la présence d'un
prédateur, induit des changements durables dans les circuits neuronaux de
l'amygdale. La seule manière d'empêcher des réflexes de peur conditionnés
c'est d'endommager ou d'enlever l'amygdale. Des études utilisant la technique
d'imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRMf) ont mis en
évidence l'implication de l'activité de l'amygdale chez les êtres humains
soumis au conditionnement par la peur.
La NE, l'Ad, le CRF accroissent les réflexes conditionnés à la peur régulés
par l'amygdale, tandis que le GABA, la SE, et le NPY font l'inverse. De
26
même, le CO dans l'hippocampe décroît la formation de mémoire en condition
de stress et aussi accroît par sa présence dans l'amygdale la formation des
réflexes conditionnés par la peur.
Les modèles des effets biologiques du stress
Jusqu'à présent on a décrit la manière dont le corps répond normalement en situation
de stress, même lorsqu'il est intense. Ces réponses au stress ont un caractère
adaptatif et elles sont normalement réversibles une fois que la source de stress a
disparu. Mais cette réversibilité peut ne plus être de mise si un facteur de stress
franchi un certain seuil par son intensité ou fini par le faire suite à sa chronicité et ses
effets cumulatifs.
• L'allostasie est un concept à l'opposé de l'homéostasie qui elle implique un
penchant naturel du corps à revenir à un état fonctionnel de base dès que le
factor perturbant disparaît. Une fois que celui-ci n'agit plus la réponse
homéostatique a permis au corps de revenir à son niveau de fonctionnement de
routine. Un exemple d'homéostasie c'est celui du réflexe de frisson, la
contraction des muscles pour contrecarrer les effets du froid allant à l'encontre
des besoins en température constante du corps. Le réflexe de frisson cesse
lorsque la température redevient normale. Avec l'allostasie il y a modification
du point d'équilibre d'un phénomène physiologique. En réponse à un stress le
corps ne s'adapte pas temporairement en mettant en œuvre des systèmes pour
revenir à l'équilibre initial mais change le point de référence lui-même ; moins
de petits ajustements sont nécessaires pour une situation modifiée durablement
qui devient en quelque sorte la nouvelle règle à suivre. Par exemple, certaines
dépressions et symptômes anxieux chroniques pourraient être causées par
des phénomènes allostatiques concernant des récepteurs à neurotransmetteurs.
Pour contrebalancer une situation de stress le cerveau peut épuiser ses réserves
en NE, SE. Si le corps n'a pas le temps de regarnir ces stocks de
neurotransmetteurs, il peut augmenter durablement l'activité des gènes codant
pour les récepteurs de ces neurotransmetteurs dans le but de garder un
fonctionnement équilibré dans des conditions de stress perçues comme étant
devenues la règle. Avec une plus grande densité de récepteurs au niveau des
synapses, l'activité neuronale dont le corps a besoin en réaction au stress peut
être maintenue même avec moins de neurotransmetteurs disponibles.
Malheureusement une fois que la source de stress a disparu, le corps peut ne
pas réagir en diminuant la densité de ces récepteurs à NE et SE. Donc on
revient à des conditions originelles normales, mais le corps ne réagit pas, ou
ne peut pas réagir facilement sur les modifications du niveau d'expression de
certains gènes qu'il a été amenées à faire. On peut donc aboutir à un retour à
des taux normaux de disponibilité de sérotonine dans la synapse mais ayant un
effet excessif dans des conditions de vie normales, où il n'y a plus la nécessité
d'amoindrir les effets d'un facteur de stress. On se trouve dans un nouvel état
d'équilibre indésirable et qui peut se traduire par des symptômes persistants de
dépression et d'anxiété. Ce mécanisme allostatique peut par exemple expliquer
les symptômes de dépression et d'anxiété des soldats de retour de zones de
combat. Ce modèle explique aussi les effets thérapeutiques (et qui prennent du
temps à être effectifs) de certains agents pharmacologiques comme la
27
sertraline ou la paroxetine qui induisent une diminution de la synthèse des
récepteurs à la sérotonine.
• Le stress comme facteur endommageant l'hippocampe. L'hippocampe est
une zone du cerveau à la plasticité unique du point de vue des modifications
structurelles que peuvent subir les neurones qui en font partie et de leur
renouvellement (neurogénèse). A un niveau d'équilibre fonctionnel routinier
sans stress excessif, la structure cellulaire de l'hippocampe est stable avec des
réorganisations mineures (remplacement de cellules, changements de
connexions entre neurones). En cas de situations chroniques de stress on peut
aboutir à une atrophie de l'hippocampe ; ce processus est en grande partie dû
aux effets du CO. Sa présence est corrélée avec des taux moindres en BDNF
(Brain-derived neurotrophic facteur, neurotrophine produite par le cerveau),
hormone cérébrale locale importante pour que les neurones de l'hippocampe
puissent se remettre dans une phase de croissance. Le CO catalyse aussi la
mort de neurones de l'hippocampe par ses interactions avec les récepteurs
NMDA détectant le neurotransmetteur glutamate qui a des capacités
d'excitation de l'activité des neurones. Ces récepteurs sont indispensables pour
la facilitation d'un apprentissage rapide. Mais la suractivation de ces
récepteurs crée aussi une forme de toxicité pour les neurones qu'on appelle
l'excitotoxicité. Par un effet impliquant des récepteurs au calcium, les cellules
meurent. Elles explosent littéralement, on n'est pas dans le cas d'une mort
cellulaire programmée et contrôlée, et le glutamate ainsi libéré accroît encore
le niveau d'excitation des cellules de l'hippocampe. Pour l'instant on n'a des
preuves expérimentales claires par rapport aux effets du CO sur l'hippocampe
et du TSPT qu'avec des animaux modèles mais pas pour les êtres humains. Il
se pourrait aussi qu'une personne ayant un hippocampe plus petit que la
normale soit plus disposée à souffrir des conséquences du stress ou bien il est
aussi possible que le stress provoque une diminution du volume de
l'hippocampe.
Bibliographie
[1] Competing and Complementary Models of Combat and Operational Stress
and Its Management, Baker, (2007).
28
Sommeil et comportement : enfants de foyers affectés par
l’alcoolisme et enfant de familles témoins – Wong 2018
(Sleep & behavior : children alcoholics and controls[1])
Introduction
Souvent les enfants qui sont nés et ont grandi dans un milieu parental marqué
par l'alcoolisme en vivent des conséquences négatives : leurs résultats scolaires en
souffrent, et une fois qu'ils ont atteint l'âge adulte leur performance professionnelle et
la qualité de leurs interactions sociales en pâtissent. Mais certains enfants de milieux
alcooliques ne suivent pas cette voie de développement insatisfaisante et
s'épanouissent professionnellement et personnellement, ils sont résilients.
Il y a une corrélation forte entre les habitudes de sommeil des enfants et leurs
capacités à gouverner leurs comportements. En cas de privation de sommeil, les
conséquences sont négatives pour leur humeur, les tâches cognitives et leurs
comportements moteurs. Les enfants qui dorment plus ont de meilleures fonctions
exécutives de leurs comportements et du contrôle de ceux-ci.
Méthode
Etude sur le long terme d'enfants âgés de 3 à 5 ans jusqu'à ce qu'ils arrivent à l'état de
jeunes adultes (21-26 ans).
Résultat principal
Les bons rythmes de sommeil des enfants et leur résilience sont corrélés. Les enfants
issus d'un milieu marqué par l'alcoolisme mais qui ont de bonnes habitudes de
29
sommeil sont résilients par rapport aux enfants vivant dans le même type de milieu
mais dormant moins bien. Paramètres : heures de lever et de coucher qui sont
régulières, pas de problèmes de sommeil ou de symptômes de fatigue.
La résilience des enfants qui ont grandi dans un milieu marqué par l'alcoolisme peut
être due leur capacité à bien dormir. Un sommeil de meilleure qualité assure un
meilleur contrôle comportemental pour la personne ; le cortex préfrontal pourrait être
impliqué dans cette observation.
Conclusion-résumé
De bons rythmes de sommeil pendant l'enfance sont associés avec un bon contrôle du
comportement et une résilience à l'âge adulte exprimée par une faible sensibilité à la
dépression et par un sentiment de satisfaction dans les domaines professionnel et
personnel. Les chercheurs ont suivi des enfants depuis l'âge de 3 à 5 ans jusqu'à ce
qu'ils furent devenus de jeunes adultes (21-26 ans). Dans le groupe qui a été étudié la
faculté à bien dormir donne les mêmes capacités à être résilient à l'âge adulte que les
conditions familiales de l'enfance aient été marquées par l'alcoolisme ou non.
Bibliographie
[1] Sleep and behavioral control in earlier life predicted resilience in young
adulthood: A prospective study of children of alcoholics and controls, M. M.
Wong, L. I. Puttler, J. T. Nigg and R. A. Zucker, Addict Behav, 82 (2018) 65-71.
30
Résilience et mode alimentaire – Mattson 2018
Intermittent Metabolic Switching, Neuroplasticity and Brain Health [1]
Quand le cerveau et le reste du corps fonctionnent bien en étant à jeun, l'organisme est
capable d'obtenir sa nourriture ce qui augmente ses chances de survivre et de se
reproduire ; cet organisme a un avantage évolutif. Les réserves en glycogène du foie
fournissent à l'organisme son énergie. Mais lorsqu'elles sont épuisées, les corps
cétoniques sont alors une source alternative d'énergie produite à partir des acides gras
provenant de cellules adipeuses. Or cette alternance métabolique conduit aussi à des
adaptations dans le cerveau aux niveaux cellulaire et moléculaire. Grâce à ces
changements intermittents en source d'énergie, métabolisme des corps cétoniques en
situation de pénurie énergétique (absence de nourriture, exercice) du glycogène
pendant les périodes plus tranquilles (repas, repos, sommeil), les circuits neuronaux
optimisent leur fonctionnement et leur résistance au stress de toute nature.
Bibliographie
[1] Intermittent metabolic switching, neuroplasticity and brain health, M. P.
Mattson, K. Moehl, N. Ghena, M. Schmaedick and A. Cheng, Nat Rev Neurosci, 19
(2018) 63-80.
31
Résilience et enképhaline opioïdes endogènes – Henry 2018
(Delta opioid receptor - social defeat [1])
Résumé
Plusieurs zones cérébrales et neurotransmetteurs sont impliqués dans les phénomènes
de résilience suite à une situation de stress. La voie du signal moléculaire de
l'enképhaline opioïde endogène (EOE) jouerait un rôle dans les comportements
résilients. Les chercheurs ont modélisé avec des souris les effets des contrariétés
imprévisibles de la vie quotidienne qui induisent la résilience ou créent une
vulnérabilité au stress : c'est le modèle du stress habituel répété de l'échec social
(SHREC). Un test d'interaction sociale (IS) entre souris conditionnées avec le
paradigme SHREC a permis de distinguer lesquelles étaient devenues résilientes ou
vulnérables. Pour ces dernières la quantité d'EOE diminue dans l'amygdale
basolatérale ainsi que le nombre des récepteurs correspondants dans la partie
ventrale de l'hippocampe. La voie EOE peut être artificiellement stimulée par un
analogue chimique de l'EOE induisant un phénotype résilient chez la plupart des
souris devenues vulnérables à cause du conditionnement SHREC. L'analogue
chimique diminue aussi l'importance du stress oxydatif dans les cellules neuronales
de type pyramidale et les interneurones d'une zone, de l'hippocampe
ventral :observations de changements de l’ultrastructures des cellules de la zone
CA1, indiquant un possible mécanisme d'action biologique qui serait lié à la
réduction de la résilience chez des souris vulnérabilisées.
32
Introduction
TPST, stress psychologique chronique de l'enfance et d'autres troubles liés au stress :
lien avec un stress oxydatif élevé. A l'opposé, les souris soumises à un stress de
contrainte à l'immobilité démontrent moins d'anxiété, et produisent moins de
molécules oxydatives réactives, par exemple, les radicaux libres, lorsqu'on leur donne
des benzodiazépines. (voir : Berton 2006 [2], Krishnan 2007 [3]
https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(07)01206-8, Golden 2011 [4]
http://europepmc.org/backend/ptpmcrender.fcgi?accid=PMC3220278&blobtype=pdf)
A l'issue de leur conditionnement au SHREC, 33% des souris sont résilientes.
Méthodes
Des souris sont conditionnées par la méthode du Stress Habituel Répété de l'EcheC
social (SHREC) qui modélise les contrariétés imprévisibles de la vie quotidienne
induisant résilience ou vulnérabilité au stress chez l'être humain. Avec un test
d'interaction social (IS) entre souris SHREC on peut ensuite déterminer lesquelles
sont résilientes ou vulnérables.
Discussion
Les souris résilientes et celles vulnérables ont un taux en corticostérone dans le
plasma sanguin accru indiquant un fonctionnement de l'axe du stress hypothalamo-
hypophyso-surrénal activé chroniquement validant les effets opérés par le
conditionnement SHREC.
Pour les souris vulnérables au stress, non résilientes, on détecte moins d'EOE
cérébrale dans l'amygdale basolatérale ; de même pour le nombre de récepteurs
correspondants dans la partie ventrale de l'hippocampe.
Les retombées thérapeutiques possibles : la voie EOE stimulée par un analogue
chimique induit un phénotype résilient chez la plupart des souris SHREC vulnérables.
L'AcEOE diminue aussi le stress oxydatif des neurones pyramidaux et des
interneurones de l'hippocampe ventral indiquant un possible mécanisme d'action à
l'origine de la résilience des souris vulnérabilisées.
Notes:
Mesure du conditionnement effectif des souris soumis au SHREC : que ce soient
les souris résilientes ou celles vulnérables les taux de corticostérone dans le plasma
sanguin sont accrus indiquant une activation de l'axe du stress hypothalamo-
hypophyso-surrénal.
Des liens entre les troubles dus au stress psychologique, par exemple, le TPST et
un niveau élevé de stress oxydatif dans le corps ont été observés dans d'autres
situations expérimentales : l'anxiété et le stress oxydatif de souris ayant subi un
stress de contrainte à l'immobilité peut ainsi être résolus par l'administration de
benzodiazépines.
33
Bibliographie
[1] Delta Opioid Receptor Signaling Promotes Resilience to Stress Under the
Repeated Social Defeat Paradigm in Mice, M. S. Henry, K. Bisht, N. Vernoux, L.
Gendron, A. Torres-Berrio, G. Drolet and M. E. Tremblay, Front Mol Neurosci, 11
(2018) 100.
[2] Essential Role of BDNF in the Mesolimbic Dopamine Pathway in Social
Defeat Stress, O. Berton, (2006).
[3] Molecular adaptations underlying susceptibility and resistance to social
defeat in brain reward regions, V. Krishnan, M. H. Han, D. L. Graham, O. Berton,
W. Renthal, S. J. Russo, Q. Laplant, A. Graham, M. Lutter, D. C. Lagace, S. Ghose,
R. Reister, P. Tannous, T. A. Green, R. L. Neve, S. Chakravarty, A. Kumar, A. J.
Eisch, D. W. Self, F. S. Lee, C. A. Tamminga, D. C. Cooper, H. K. Gershenfeld and
E. J. Nestler, Cell, 131 (2007) 391-404.
[4] A standardized protocol for repeated social defeat stress in mice, S. A.
Golden, H. E. Covington, 3rd, O. Berton and S. J. Russo, Nat Protoc, 6 (2011) 1183-
91.
34
Un merveilleux malheur - Cyrulnik
notes
Un merveilleux malheur de Boris Cyrulnik (1999), éditions Odile Jacob
ISBN : 2-7381-0681-1
Citations, résumés des propos de l’auteur, commentaires : mes notes brutes de la
lecture d’un livre à lire absolument.
Introduction
p9 : la résilience ne se
mesure que sur le long terme.
D'abord il y a l'adversité,
souvent rencontrée dans
l'enfance, période la plus
impactante dans le
développement d'une
personne. Puis après coup, on
voit si la personne devenue
adulte à une vie plombée par
son passé marqué par le
stress ou bien si elle a un
parcours de vie plus originale
et plus épanouissant que la
normale.
p10 : la résilience viendrait-
elle de la coexistence de
sentiments de souffrance et
d'espoir lors de l'agression et
de l'espérance dans des jours
meilleurs où s'exercera sa 'vengeance'.
p11 : faire un récit, donner une cohérence aux faits bruts, c'est sortir de la pure
sensation et prendre le chemin d'une réflexion qui peut être féconde. "Transformer le
malheur en épreuve".
Résilience : 'La capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, de
manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d'une adversité qui
comportent normalement le risque grave d'une issue négative
→ définition initiale en sciences sociales citée par Boris Cyrulnik
35
'Les souffrances ne sont pas vaines, une victoire est toujours possible'.
p12 : (...) dans le fracas de l'existence, un enfant met en place des moyens de défense
interne, tels que le clivage, quand le moi se divise en partie socialement acceptée et
une autre plus secrète, qui s'exprime par des détours et des surprises. "Vous avez
raison, mais tout de même..." dit la personne clivée [c'est l'enmêmetempstisme
contemporain]. L'enmêmtemptisme c'est le déni qui sort de l'ombre.
'Le déni permet de ne pas voir une réalité dangereuse ou de banaliser un blessure
douloureuse’.
p13 : 'l'ambivalence des mécanismes de défense : ils nous protègent mais on les paie.'
p14 : 'Quand la douleur est trop forte, on est soumis à sa perception. On souffre. Mais
dès qu'on parvient à prendre un peu de recul, dès qu'on peut en faire une
représentation théâtrale, le malheur devient supportable, ou plutôt, la mémoire du
malheur est métamorphosée en rire ou en œuvre d'art.'
[Note : se voir en tant qu'acteur de cette pièce et non pas se revisualiser la scène
comme si on était en permanence en plein dedans. Se voir soi-même au travers d'une
autre personne qui a fait partie de l'événement et peut-être voir les choses de son
point de vue peut aider à prendre du recul, et pourquoi par prendre les choses avec
humour et rire du soi dont on voit comment il s'est planté dans cette occasion]
"Je ne suis plus celui qui a été torturé... Je deviens celui qui est capable de transformer
la mémoire de ma souffrance en une œuvre d'art acceptable."
p16 : (...) la résilience constitue un processus naturel (...) qu'un seul milieu défaille et
tout s'effondrera. Qu'un seul point d'appui soit offert et la construction
reprendra.
'On ne pourra parler de résilience que longtemps après [le traumatisme]’.
Citation des travaux de Werner avec les enfants d'Hawaii.
→ p17 : suivi de 11 enfants sur 50 ans. Vers l'âge de 45 ans huit d'entre eux
deviennent des adultes épanouis. Les trois qui ont échoué n'étaient pas ceux
qui avaient été le plus agressés, mais ceux qui, trop isolés, avaient été le
moins soutenus.
⇒ solution préconisée : des tuteurs de développement pour l'enfant
p18 : un processus de réparation où se mêle l'intellectualisation 'Pourquoi ai-je eu à
tant souffrir ?' et le rêve "Comment vais-je faire pour être heureux quand même ?"
La répétition [l'enfant qui voit sa vie prendre le même chemin psychosocial négatif de
ses parents] n'est pas obligatoire. [et seulement si la culture les abandonne à leur triste
sort travaillant ainsi à réaliser ce qu'elle avait prédit.]
p20 : la délinquance comme source de résilience, la personne enfreint la loi ['vendre
de la drogue'], mais par les l'argent qu'elle en obtient et redonne les moyens d'une
dignité à ses proches et passent de la position de dominés à reprendre le haut du pavé
sur ceux qui les ont battus. → scénario fréquent chez les gamins de rue de Bogota ou
36
São Paulo. Ces délinquants se construisent une vie respectable et offrent à leur
progéniture les meilleures conditions de vie possible, et celle-ci n'a pas recours à la
drogue.
p21 : 'La dépression les a contraints à la recherche du bonheur' [à propos des enfants
déportés à l'âge de 5 ans et survivants de l'Holocauste]
p22 : la partie de la personne qui a reçu le coup souffre et se nécrose, tandis qu'une
autre mieux protégée, encore saine mais plus secrète, rassemble avec l'énergie du
désespoir tout ce qui peut donner encore un peu de bonheur et de sens à vivre.
L'oxymoron [association de deux termes antinomiques] devient caractéristique d'une
personnalité blessée mais résistante, souffrante mais heureuse d'espérer quand même.
→ or l'éducation cherche à épurer l'ambivalence : on aime ou on déteste.
p23 : "Chaque instant te dévore un morceau de délice [...] Tu m'as donné ta boue et
j'en ai fait de l'or" (L'Horloge - Les Fleurs du Mal, Baudelaire )→ description de
l'alchimie de la douleur, la nécessaire rencontre qui provoque la métamorphose des
grands blessés de l'âme.
"Au moment où on est en train de flancher, une main qui vous reprend. C'est comme
cela qu'on survit." (Geneviève Anthonioz de Gaulle).
p24 : le fracas devient la valeur de référence tatouée dans la mémoire, et désormais
tous les événements s'y réfèrent inévitablement.
'Un malheur n'est jamais merveilleux. C'est une fange, une boue noire, une escarre de
douleur qui nous oblige à faire un choix : nous y soumettre ou la surmonter. La
résilience définit le ressort de ceux qui, ayant reçu le coup, ont pu le dépasser.
L'oxymoron décrit le monde intime de ces vainqueurs blessés'.
p25 : dans l'instant de la compréhension on éprouve moins de haine.
Les blessés de l'âme ne veulent ni haïr, ni se soumettre : ils veulent s'en sortir
Chapitre 1 - l'espoir inattendu
p30 : la mémoire est ainsi faite qu'un événement dépourvu de signification ne laissera
aucune trace dans la mémoire. Dans un monde d'enfant, s'étonner d'une glotte, laisse
une trace plus forte que la mort à venir. Le mot "mort" n'est pas encore adulte, alors
qu'une glotte qui monte et descend laisse une impression durable. C'est une forte
émotion pour un enfant.
Les adultes inventent le passé puisqu'ils ont des idées à la place des yeux.
p32 : c'est l'émotion éprouvée au moment du fait qui explique que certains
événements se transformeront en souvenirs, alors que d'autres ne laisseront aucune
trace.
37
p33 : la sérénité des nourrissons dans les abris pendant les bombardements de
Londres ; ils étaient dans l'abri totale des bras de la mère, si tant était que celle-ci
n'était pas crispée.
Plus tard quand le monde du petit sera métamorphosé par la parole, il baignera
toujours dans l'émotion des autres. Mais c'est le récit qui fixera les images et leur
donnera sens.
L'histoire de Human Bomb, et du talent de l'institutrice qui fait passer ce moment
terrible comme un jeu pour les enfants qui le vivent.
p34 : c'est la présence d'un spectateur qui offre à l'enfant la possibilité de se reprendre
[retravailler l'émotion sous la forme d'une mise en perspective par l'art quand il est
adressé à quelqu'un d'autre [ou quand on prend le recule et qu'on se met dans la peau
de l'autre/des autres pour se voir soi-même]].
p35 : pour lui l'internement fut une résurrection [un petit de 5 ans ayant vécu dans un
environnement qui le privait d'interactions sensorielles pendant 6 mois, mais qu'il
retrouva lors de son internement à Drancy].
Il avait été probablement plus altéré par l'isolement sensoriel provoqué par la famille
qui lui avait sauvé la vie que par l'internement qui le condamnait à mort.
p36-37 : l'histoire de Renate. Plaidoyer pour une justice des hommes qui considèrent
le contexte des autres personnes dont l'avenir au long terme dépend de lui ? Et aussi
démonstration que la résilience peut ne pas surgir, venir et partir et qu'on pourrait la
susciter par exemple grâce à des activités artistiques ?
p38 : Si nous étions des êtres logiques nous passerions notre temps à souffrir. En tant
qu'êtres psychologiques nous attribuons à chaque événement une signification privée
qui a été imprégnée en nous par notre milieu, au cours de notre développement et de
notre histoire.
p39 : l'agression du couple d'accueil avait libéré Albert de la dette qu'il aurait ressenti
envers cette famille et aurait travaillé pour eux jusqu'à se dépersonnaliser.
p40 : le pire stress c'est l'absence de stress, car le manque de vie avant la mort
provoque un sentiment désespérant de vide avant le vide.
La résilience, le ressort intime face aux coups de l'existence.
Parfois, le fait de surmonter l'épreuve témoigne d'une aptitude émotionnelle
inavouable : "Quand j'ai compris que ma mère allait mourir, mes angoisses ont
disparu", me disait ce jeune homme qui, auparavant, avait été terrorisé par la présence
écrasante de cette femme éclatante.
p41 : la poésie est désuète pour ceux qui sont gavés, mais quand le réel est
insupportable, elle prend la valeur d'une arme de survie.
p42 : c'est au moment du risque de sa perte que nous découvrons avec délices notre
attachement à l'objet qui, avivé par cette découverte, nous permet de serrer contre
nous, avec amour, la personne qui, une heure auparavant, nous laissait indifférents.
38
p43 : 'Il vaut mieux dire que la résilience est un processus diachronique et
synchronique : les forces biologiques développementales s'articulent avec le contexte
social, pour créer une représentation du soi qui permet l'historisation du sujet.
Notion d'itinéraire de personnalité résiliente : elle se faufile à travers les coups du
sort pour se tricoter quand même avec des appuis solides.
p44 : nous sommes tous contraints de nous tricoter avec nos rencontres dans nos
milieux affectifs et sociaux.
La métaphore de l'épingle à nourrice : la plaque tournante de l'interdit de l'inceste
nous oblige à quitter l'ordre donné par notre filiation pour tenter un nouvel ordre
inventé par nos alliances. Ainsi, la culture évite le danger de l'ordre qui pétrifie,
autant que celui du désordre qui pulvérise.
p45 : l'abus de mémoire, par exemple, par le biais d'une génétique imaginaire (une
filiation biologique improuvable) et organise un code comportemental aux effets
transgénérationnels.
p47 : Sans parents et sans soutien, elle n'avait pas d'autre option que renoncer à toute
forme d'amour.
Chaque soir [l'enfant de l'assistance publique] fréquente dans son imaginaire des
parents qui ne meurent jamais.
p48 : tous les enfants sans famille possèdent ce genre de trésors dérisoires ; il s'agit en
fait d'un talisman.
Si vraiment nous voulons soutenir ces enfants blessés, il faut les rendre actifs et non
pas les gaver. Ce n'est pas en donnant plus qu'on pourra les aider mais, bien au
contraire, en leur demandant plus qu'on les renforcera.
p49 : pratiquement toutes les enquêtes prouvent que tout migrant devient anxieux'
p50 : [A propos des enfants issus des boat-people vietnamiens ayant été accueillis en
Angleterre] Une petite cohorte d'enfants réfugiés, placés en foyer, a donné un très fort
pourcentage de troubles psychiatriques qui ont disparu dès qu'ils ont été adoptés.
p60 : Le scénario classique vient de se dérouler. On aime les victimes tant qu'elles
sont misérables parce que, en les aidant, on se sent tellement bon. Mais quand les
martyrs se transforment en héros, quand ils accèdent au pouvoir, ils deviennent
suspects, car il est contre nature qu'une proie se transforme en prédateur.
p61 : Il y a quelque chose de honteux à être heureux quand nos parents sont en train
de mourir. Or, c'est ce qui se passe pour les enfants résilients qui refusent de couler
avec ceux qu'ils aiment.
"Quand la mort d'un être cher libère la créativité, qui osera l'avouer ?"
39
Les effets cumulés de petites violences chroniques (haussements d'épaules, la
répétition quotidienne de petites incivilités) est plus à même d'avoir des
conséquences que beaucoup de traumatismes aigus. Les petits événements
chroniques ne sont pas historisables, incontrables ils façonnent plus certainement
la personnalité d'un enfant par les traces non conscientes qu'ils laissent, tandis que
le traumatisme aigu on peut le mettre en scène : (...) comment représenter un geste
dont on ne prend pas conscience ?
p70 : la transformation se fait sans peine dès qu'on peut la dessiner, la mettre en
scène, en faire un récit ou une revendication militante.
L'image prépare à la parole et [les] dessins [des enfants] donnent à lire la guerre.
Dès l'instant où l'on peut parler du traumatisme, le dessiner, le mettre en scène ou le
penser, on maîtrise l'émotion qui nous débordait ou nous glaçait, au moment du choc.
C'est dans la représentation de la tragédie qu'on remanie le sentiment provoqué par le
fracas.
p72 : Le bonheur côtoie l'angoisse quand aucun rituel n'a appris à le gouverner.
p73 : leur destin dépend du regard social.
p74 : Ces enfants carencés sont tellement avides d'identification qu'il n'y a pas grand-
chose à faire pour leur donner une "ligne de développement". Mais trop souvent, les
cultures sont prisonnières de leurs discours publics et ne leur montrent même pas une
seule étoile du berger.
→ rôle du personnage "initiateur"
Pour l'adulte, ce n'était rien, quelques minutes de vacances pour répondre à un enfant.
Pour le petit ce fut un événement énorme, fabuleux, car c'était la première fois de sa
vie qu'on lui parlait gentiment et qu'il avait l'occasion d'entendre de belles histoires de
fleurs.
p75 : Ce n'est que lorsque le développement de leur empathie leur permet de se mettre
à la place des autres et de se représenter leur [vécu des autres] que le geste prend la
signification d'un [ce qu'on a fait ou bien subi]. Alors, seulement, ils commencent à
[éprouver le sentiment opposé que celui vécu lorsque leurs actions s'accomplissaient].
L'apparition chez eux de [sentiments opposés que ceux vécus lorsque leurs actions
s'accomplissaient] devient une preuve de leur reprise évolutive vers la condition
humaine.
p77 : quand l'agression vient de ceux qu'on aime, le travail de métamorphose est bien
plus difficile.
p78 : Or, si à partir de la fin du XVIIIe siècle, on note une chute de la mortalité des
enfants, ce n'est probablement pas grâce à l'amélioration de l'hygiène ou de
l'alimentation qui restaient catastrophiques, mais à cause du changement culturel de la
manière de penser les bébés. Tant qu'on se dit que le fait de tuer un petit âgé de un an
n'est qu'un avortement retardé, la mortalité est effrayante. Tant qu'on pense que les
enfants, avant l'âge de raison, ne sont que des animaux pervers, les "accidents"
mortels restent très élevés.
40
La résilience - Café Sciences 28 mai 2018, dossier complet
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La résilience - Café Sciences 28 mai 2018, dossier complet

  • 1. La Résilience Lundi 28 mai, 19h00-22h00 Breakfast in America 2, 4 rue Malher, 75004 Paris Café Sciences Avec Laurent Coque Chercheur en neuroscience La resilience Tout public ! Dossier 1
  • 2. Sommaire Sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p2 Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p3 Risques, résilience, et rétablissements : les enseignements de l'étude longitudinale de Kauai . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p4 Résilience : facteurs, développements, mise en œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p12 La modélisation biologique du stress et de ses conséquences . . . . . . . . . . . . . p22 Sommeil et comportement : enfants de foyers affectés par l’alcoolisme et enfant de familles témoins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p29 Résilience et mode alimentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p31 Résilience et enképhalines opioïdes endogènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p32 Un merveilleux malheur – Boris Cyrulnik 1999, citations . . . . . . . . . . . . . p35 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p49 Les coulisses du Café Sciences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p51 Pour rester en contact avec le Café Science . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p52 2
  • 3. La résilience c'est rebondir suite à un événe- ment qui bouleverse la vie. Une épreuve terrible peut donc orienter l'après de la personne vers un nouvel état qui la grandit, lui est positif. Ceci dépend d'une part de ce que la personne a acquis avant l'épreuve, le vécu d'un sentiment de sécurité par exemple développé avec la mère lors des pre- miers mois de la vie, et d'autre part de la possibilité de béné- ficier d'un point stable où s'appuyer pour redémarrer suite à cette épreuve. Le 28 mai 2018 au Breakfast in America 2, nous avons exploré et discuté des mécanismes psychologiques et biologiques de la résilience pour mieux savoir comment elle fonctionne. Et voici le dossier de cette rencontre Café Sciences sur la résil- ience ! Le magazine Psychologies no 385 consacrait son dos- sier du mois de mai 2018 à la résilience, voir en annexe. 3
  • 4. Risques, résilience, et rétablissements : les enseignements de l'étude longitudinale de Kauai - Werner 1993 (Risk, resilience, and recovery: Perspectives from the Kauai Longitudinal Study [1]) Résumé Les mécanismes de la résilience ont été mieux compris grâce à une étude réalisée par Emmy Werner et ses collègues. Ces chercheurs ont suivi depuis leur naissance jusqu'à l'âge de 32 ans1 toutes les personnes nées en 1955 sur l'île de Kauai dans l'archipel d'Hawaii. Certains de ces enfants allaient subir des facteurs de stress dès la naissance, d'autres la pauvreté, ou encore un dysfonctionnement familial allant parfois jusqu'à être considéré comme pathologique. On pouvait donc faire l'hypothèse que l'avenir ne réservait que des perspectives de vie sombres pour un bon nombre de ces enfants grandissant dans des conditions défavorables et stressantes. Or une grande proportion de ceux-ci une fois devenus adultes ont eu une vie réussie. Emmy Werner cherche à savoir comment ces personnes nées et élevées dans des conditions difficiles et donc à risque ont pu s'en sortir. Grâce à cette étude, des facteurs et processus protégeant ont été identifiés. lls pourraient servir de base pour la formulation de meilleures stratégies sociales, éducatives afin que des enfants soumis à différents stress en sortent renforcés plutôt qu'endommagés psychologiquement pour qu'une fois arrivés à l'âge adulte ils aient un bon contrôle de leur vie. Introduction Les 698 personnes faisant partie de l'étude étaient américaines mais pratiquement toutes faisant partie d'une minorité éthnique : phillipine, japonaise, hawaiienne, etc. De plus les parents de tous ces enfants étaient du même niveau social, en général agriculteur ouvrier, avec une maman au foyer ; dans la plupart des cas la maman n'avait pas fini ses études secondaires. Remarques : • On se trouve donc dans un environnement humain bien en prise avec le réel. C'est avantageux pour ce type d'étude sur la résilience ; dans un environnement urbanisé et codifié à l'extrême en Amérique du Nord ou en Europe, on peut penser 1 C'est une étude longitudinale : elle inclut les mêmes personnes sur de nombreuses années au cours desquelles on mesure des paramètres qualifiant et quantifiant leur vie. 4
  • 5. que certains aspects de la résilience auraient pu être plus difficiles à mettre en évidence. • Par la manière dont ont été sélectionnés les participants à cette étude, on a évité tout biais d'échantillonnage ; l'étude est initiée avec un ensemble de personnes dans un lieu donné isolé d'influences extérieures directes et qui ont en commun le même temporalité étant nées la même année. A partir de ce groupe de 698 personnes, les chercheurs en ont trouvé 72 qui en dépit d'avoir connu des conditions difficiles de développement dans leur enfance n'ont pas eu une vie adulte chaotique dominée par des problèmes de vie non solutionnés. Ces 72 personnes sont des 'vulnérables', elles ont été exposées à des conditions de vie difficiles, mais elles sont aussi 'invincibles' car dans les domaines personnel et professionnel, elles ont connu la réussite à l'âge adulte. En résumé ces personnes ont fait preuve de résilience durant leur enfance. Points communs des personnes résilientes : De la naissance jusqu'à l'âge de 18 ans, c'est la période de la vie en principe la plus protégée avant qu'on commence à voler de ses propres ailes en tant que jeune adulte. • Observation : étude des paramètres psychologiques et comportementaux des personnes résilientes pendant leur développement depuis la très jeune enfance. Dès 1 an on a remarqué qu'il était plus facile de s'occuper des résilients du point de vue de l'attention et des efforts que leur famille devaient leur prodiguer. Les enfants résilients étaient plutôt coulant, dormant bien et ayant de bonnes habitudes alimentaires. Vers 20 mois ces enfants montraient déjà des caractéristiques de vivacité, de curiosité, et d'autonomie. Tout montrait qu'ils étaient déjà plus à même de se débrouiller par eux-mêmes. Tout au long de leur parcours scolaire jusqu'au bac, ces enfants étaient à la fois capables de maîtriser positivement les situations de groupe et de s'occuper d'eux-mêmes ; ils bénéficiaient d'une forme d'ancrage intérieur et ils étaient aussi capables d'échanger positivement avec ceux qui les entouraient. • Analyse : on s'était bien occupé de ces personnes pendant leur enfance, dans le sens où quoi qu'il arrivât, en dépit des situations qui pouvaient être difficiles, ils avaient un point d'ancrage positif auquel ils pouvaient se raccrocher. Ces enfants ont interagi avec une personne qui incarnait pour eux un rôle de modèle de vie et qui s'occupait d'eux de manière régulière. Ces personnes pendant leur enfance avaient donc bénéficié d'une source d'affection positive solide à laquelle ils pouvaient se référer. De cette manière on pourrait faire l'hypothèse qu'ils ont construit par l'expérience la notion d'attachement. Ils en ont bénéficié au premier chef pour eux-mêmes, puis par la suite, ils ont pu en faire bénéficier les autres autour d'eux une fois qu'ils eurent atteint l'âge adulte et que c'était à leur tour de prendre soin d'enfants. Ces personnes résilientes ont donc connu des situations difficiles, sans qu'elles eussent été pour autant des situations sidérantes, mais elles furent plutôt chroniques, comme d'avoir à s'occuper de jeunes frères ou sœurs parce qu'on est l'aîné(e). Dès le plus jeune âge ces personnes avaient été mises face à des responsabilités qu'elles prirent à bras le corps, ce qui les forgea 5
  • 6. probablement au cours des années. Ces personnes avaient aussi le talent de trouver des gens dans leur environnement social avec qui tisser des liens ; donc très tôt ces personnes s'étaient mises à 'réseauter' avec des personnes hors de la famille et instaurer avec elles des échanges bénéfiques réciproques. Ces personnes ont très vite pris en main leur vie, par leurs actions elles donnèrent de facto un sens à leur vie, elles décidaient là où elles voulaient aller plutôt que de s'en remettre aux autres et de grandir avec la sensation d'être une bille dans un flipper. Le suivi à l'âge adulte C'est à l'âge de 32 ans que s'est fait la dernière étape du suivi de ces personnes. La trentaine est une période de la vie où beaucoup de choses se passent du point de vue personnel (fonder une famille, élever des enfants) et professionnel. Méthode : • Examen subjectif : réponses des personnes à un questionnaire • Examen objectif : analyse des informations judiciaires, civiles et médicales relatives à ces personnes Les enfants à risque devenus adultes Enfants résilients ayant atteint l'âge de 30 ans : • Ces personnes avaient développé des compétences et un sens aigu de la détermination. Elles recevaient aussi un soutien d'un(e) époux(se) ou un(e) ami(e) ou encore elles éprouvaient une forme de croyance. • Ces résilients avaient construit leur environnement de vie adulte en plein contraste avec ce qu'ils avaient vécu comme événements traumatiques pendant leur enfance. Ils avaient développé un sens de l'intimité et du partage avec les autres, et donné à leurs enfants les moyens de développer leur individualité et leur autonomie. Mais cela s'accompagnait de certains comportements dont la caractéristique était une volonté active de garder à distance ce qu'il avait vécu comme traumatismes pendant leur enfance, rester éloigner de certaines relations familiales vécues comme douloureuses et potentiellement dangereuses pour eux alors mêmes qu'ils étaient devenus adultes. Ceci avait un coût : pour les hommes c'était des difficultés à s'engager dans une relation au long terme, et pour les femmes c'était la volonté de réussir dans tous les domaines que ce soit dans leur mariage, en tant que maman, et en tant que personne avec un travail. Tout ceci pouvait se répercuter sur la santé physique de ces personnes : maux de tête récurrents (migraines), mal de dos, et leur manière parfois un peu désinvolte de s'occuper de leur vie personnelle. 6
  • 7. Les filles-mères à la trentaine : La plupart ont eu une trajectoire sociale où leur situation s'est améliorée. Ces personnes ont su utiliser leurs propres compétences et bénéficièrent d'un entourage positif puis d'un mariage stable. On remarquera que ces fille-mères avaient dans leur grande majorité un emploi, et que donc contrairement au stéréotype2 elles ne vivaient pas des aides de la sécurité sociale. Enfants délinquants avec ou sans casier judiciaire : La plupart des enfants qui avaient commis un acte de délinquance avant 18 ans s'étaient rangés à l'âge adulte. Les personnes ayant encore des problèmes avec la justice à l'âge adulte avaient été considérées par leurs parents comme très turbulentes à l'âge de 10 ans. C'est un environnement familial à peu près intact qui a protégé les jeunes délinquants, leur évitant de continuer dans cette voie à l'âge adulte. Un grand nombre de personnes ayant gardé un comportement délinquant à l'âge adulte ont grandi dans une famille où l'un de leur parent était absent pendant de longues périodes alors qu'ils étaient adolescents. Ce qui a protégé les jeunes délinquants qui se sont repris à l'âge adulte c'est l'implication active des parents ou de membres proches de la famille dans un processus de réhabilitation. Les familles de placement pour les jeunes délinquants récidivistes ne se sont pas avérées comme étant des environnements leur permettant d'être de bons substituts de leurs parents. Une solution alternative meilleure c'était le mariage stable ou s'engager dans l'armée. Les enfants ayant eu des troubles mentaux - état des lieux à la trentaine : Parmi les 70 personnes ayant eu des problèmes mentaux sérieux pendant leur adolescence, seule une minorité avait encore besoin d'une aide médicale une fois arrivée à la trentaine. La plupart de ces personnes ont trouvé une source de soutien dans la famille ou par des amis proches. Arrivées à l'âge adulte, les personnes qui ont connu une enfance difficile sont plus à même de s'en sortir si leurs difficultés à l'époque de leur enfance se limitaient à un seul domaine plutôt qu'à plusieurs. Le lien entre les facteurs protégeant et une adaptation réussie à la vie d'adulte chez les enfants et adolescents à hauts risques Qu'est-ce qui a permis à ces enfants vulnérables, soumis à des conditions de vie traumatiques, de trouver une voie de sortie qui leur donna accès à une vie adulte positive ? : • Les traits de caractères de ces enfants leur permettaient d'obtenir de tierces personnes des réponses positives. Ces personnes alors enfants obtenaient ce 2 qui est ou était courant aux USA 7
  • 8. soutien parce que la personne en face d'eux avait envie de le leur donner, parce qu'une corde sensible avait été touchée. • La cohérence entre les objectifs et les qualités personnelles de ces enfants leur permettaient d'atteindre leur but ; la fin a besoin de moyens. On notera que ces personnes avaient aussi le sens des responsabilités pour les soi-disant petites choses de la vie (corvée domestiques, etc.). • Une éducation qui permit à l'enfant de prendre conscience de ses compétences et de favoriser le ressenti de l'estime de soi, soit qu'elle eut pour origine les parents (père et/ou mère) ou des substituts familiaux ou amicaux. • Ce sont aussi les moments de la vie où une transition majeure se fait qui offre une chance de changer pour le meilleur à l'âge adulte : éducation adulte, service national volontaire, ou bien activité religieuse ⇒ les 3 points formateurs précédents ET ce point déclencheur d'une transition de vie majeure sont essentiels pour la mise sur la voie du succès à l'âge adulte d'enfants ayant grandi dans un environnement à risque. Ce sont les propres traits de caractères de la personne dès la naissance qui forge sa trajectoire de vie : • Plus le bébé est facile à vivre plus il aura d'interactions positives avec différentes personnes. Au contraire un bébé dont il est moins facile de s'occuper, avec de moins bonnes habitudes alimentaires et de sommeil voit diminuer la diversité de ses interactions avec son entourage. Dès le plus jeune âge, l'enfant qui donne des signaux positifs aux personnes autour de lui reçoit en retour un soutien ; c'est l'investissement qui produit des fruits. Et ce type de manne sociale continue à l'école où ceux qui réussissent font l'objet de plus d'attention que ceux qui réussissent moins bien. Le succès c'est sexy. • L'éducation des parents joue aussi un grand rôle en tant que facteur protégeant pour leur progéniture. • Au final, le facteur le plus protégeant c'est la capacité d'initiative et de choisir son avenir, donc plutôt des facteurs intrinsèques à la personne ; en gros les résilients choisissent leur propre environnement où se développer. Les qualités individuelles intrinsèques versus les sources de soutien extérieur : Les qualités intrinsèques constituent un facteur de résilience plus important pour les femmes que pour les hommes dans le groupe à risque. Au contraire c'est le soutien extérieur qui se révèle plus important pour les hommes que pour les femmes dans le groupe à risque. On observe donc que la résilience ou son absence n'a pas forcément la même source pour les hommes et les femmes. A la base de la résilience il y a des modèles positifs inspirants dans la famille et la prise de responsabilité. L'enfance est l'occasion de faire l'expérience de schémas sociaux dans des environnements encore protégés par rapport à l'âge adulte. Suite à ce développement constructif pendant l'enfance, la réussite peut être plus probable à l'âge adulte même si l'enfance s'est déroulée dans des conditions difficiles dans certains 8
  • 9. domaines, probablement à la condition que l'enfant ait éprouvé des retours positifs de son entourage élicités par son caractère propre et suivant la façon dont il gérait les interactions interpersonnelles. Enseignements de cette étude pour la théorie du développement Pour les personnes à risques, un chemin vers la résilience c'est de trouver l'environnement à l'âge adulte où leurs caractéristiques peuvent s'épanouir dans ce qui devient un chez eux compatible avec une trajectoire adulte perçue par eux comme réussie, parce que l’écosystème social qu’ils ont construit convient à toutes leurs dimensions personnelles et professionnelles. Enseignements de cette étude pour l'identification de méthodes pouvant donner à l'action sociale des moyens de favoriser la résilience dès l'enfance : • Un environnement familial structuré avec des règles qui protègent le jeune enfant des influences négatives d'un environnement extérieur caractérisé par la délinquance. • Une présence adulte source de soutien pour des jeunes dont les parents souffrent de psychopathologies chroniques • Une personne pouvant jouer le rôle de substitut parental quand un ou deux des parents est absent sur le long terme : alcoolisme, divorce, hospitalisations dues à des crises de psychoses. • La capacité à maîtriser la lecture dès le CM1 est une des clefs les plus importantes pour que le jeune puisse utiliser ses compétences et avoir une bonne estime de lui-même. • Il n'y a pas que la réussite scolaire qui soit une clef de la résilience : § Les enfants qui avaient un violon d'Ingres étaient aussi mieux à même de surmonter les épreuves stressantes qui leur arrivaient. § Ces enfants avaient aussi des activités extrascolaires avec d'autres personnes. § Construction d'un sens de la responsabilité quand l'enfant doit prendre quelque chose en charge pour aider quelqu'un, que ce soit un membre de la famille ou une personne de sa communauté : notion de 'required helpfulness'. § Développement de l'estime de soi et d'un sentiment d'auto-efficacité dans l'enfance quand une personne accepte l'enfant/le jeune adolescent de manière inconditionnelle ; cette personne plus âgée est en général membre de la famille, mais ce n'est pas toujours le cas. → la clef de tout cela c'est l'amour inconditionnel qui ancre dans la personne encore enfant la notion de pouvoir rester spéciale pour quelqu'un quoi qu'il arrive. • Les possibilités de résilience peuvent aussi survenir à l'âge adulte pour ceux qui ont grandi dans un milieu à risque : grâce à l'éducation à l'âge adulte au sein du 9
  • 10. service militaire ou non, par l'implication dans les activités religieuses d'une communauté. Autre facteur qui peut avoir son influence : le changement de lieu. L'armée US offre non seulement la possibilité de s'éduquer dans certains domaines, mais c'est aussi un cadre structuré et un lieu où prendre des responsabilités. Tout ceci peut favoriser un accroissement de l'estime de soi pour la personne. Les activités dans une communauté religieuse furent aussi démontrées comme étant un moyen possible de trouver un sentiment de sécurité et de participer à des activités communautaires. Certains peuvent y trouver là un refuge par rapport à la majeure partie du monde qui leur reste étranger. Mais la plupart des gens qui trouvaient un réconfort dans la religion ne tombaient pas forcément dans la religiosité. Ce cadre religieux leur permettait de repenser leurs souffrances passées et d'en tirer quelque chose comme un enseignement constructif. • La résilience des individus à risque et qui contribue à leur capacité à faire face une fois arrivés à l'âge adulte provient de leur capacité à croire qu'ils peuvent surmonter des événements alors que la probabilité de le faire est considérée a priori comme étant faible. Cette conviction peut leur venir du fait que pendant leur enfance ces personnes ont été en contact avec des adultes qui s'occupaient bien d'eux. Cette résilience, la capacité d'aller à l'encontre de ce qui est le plus probable, dépend de l'interaction avec des adultes pendant l'enfance mais pas seulement ; cela peut aussi arriver à l'âge adulte par une rencontre au hasard avec quelqu'un qui va jouer le rôle du mentor, de la personne qui donne du sens à la vie. Attention : dans cette étude on a examiné la résilience individuelle pour des personnes qui ont certes connu des difficultés mais s'en sont sorties un peu par eux-mêmes et grâce aux interactions famille-proche ; on n'a pas fait ici l'étude de la résilience pour des enfants qui ont grandi dans des services sociaux. Implications de cette étude pour des programmes d'action sociale • Avec cette étude on devrait donc pouvoir allouer des ressources sociales à des enfants qui n'ont pas dans leur environnement les moyens de développer leur résilience parce qu'ils leur manque un ou plusieurs éléments cruciaux pour le faire. En observant les mécanismes par lesquels des enfants vulnérables s'en sont sortis on peut alors penser à des méthodes pour donner ces moyens à des enfants à risque qui n'en disposent pas originellement. • Une société qui s'oriente vers un hyperindividualisme avec de moins en moins d'interaction en personne c'est une société qui augmente le pourcentage de gens qui seront moins résilients dans l'adversité. • Pour un programme d'aide au développement à la résilience, on a donc besoin d'identifier les facteurs de risques mais aussi les facteurs protégeant. • La clef de la résilience c'est une relation humaine personnelle qui a du sens pour l'enfant/l'adolescent en proie à la difficulté plutôt que le recours à une aide bureaucratique formelle. 10
  • 11. Les limites de cette étude • Beaucoup d'études précédentes avaient été menées dans des environnements occidentaux plus typiques mais aussi beaucoup plus rigides, plus impersonnels et où on loue la compétitivité économique. Toute sorte de conditions qui peuvent rendre difficile une étude sur la résilience, parce que les facteurs qui peuvent la permettre sont minimisés par des conditions/normes sociales où ils sont étouffés dans l'œuf, où ils n'arrivent simplement pas à avoir une influence suffisamment grande pour pouvoir être observé de manière claire dans le cadre d’une étude scientifique. • Même si elle a été faite à Hawaii, cette étude s'est quand même réalisée dans un système occidentalisé où ne naît qu'un enfant sur 6. • Cette étude est un plaidoyer implicite pour l'immigration3 qui confère à nombre de personnes un haut degré de résilience à cause des épreuves qu'elles ont traversées avant d'arriver aux USA. C'est une des richesses de l'immigration, si on sait écouter/interagir avec ceux qui en sont issus. • Mais attention, une épreuve subie par quelqu'un pendant son enfance ne lui ait pas nécessairement source de forces positives à l'âge adulte ; les effets d'une épreuve sur la personne vont varier suivant l'environnement de valeurs et de normes sociales dans lequel elle vit après coup. En conclusion, les adultes de cette étude ayant fait preuve de résilience avaient gardé espoir, évité la rancœur, fait partie du monde qui leur avaient fait du mal sans ce que cela ait pu leur arracher leur sens de la compassion, de l'optimisme et de l'espoir. Etre un participant actif de la vie du monde est la clef d'activation de l'utilisation de la résilience qu'on a peut-être eu la chance d'acquérir pendant l'enfance. Notes • On notera que dans cette expérience observationnelle et donc sans intervention psychologique, un tiers (201 personnes) des participants de l'étude (698 personnes) étaient considérés à risque à cause des conditions de vie qu'ils allaient subir pendant leur développement jusqu'à l'âge adulte. Parmi ces enfants à risque un tiers (72 personnes) se montrèrent résilients. • L'article sur lequel est basé cet aperçu est disponible ici : https://drive.google.com/open?id=1I4- fHI7WVpLi0POqsbEGOAw6VZRJQNO6 Bibliographie [1] Risk, resilience, and recovery- Perspectives from the Kauai Longitudinal Study, Werner, (1993). 3 Cette étude a été réalisée sur le territoire américain. Mais ce commentaire à propos de l'immigration me paraît tout aussi valable pour les pays européens. 11
  • 12. Résilience : facteurs, développement, mise en œuvre – Richardson 2002 (The metatheory of resilience and resiliency [1]) Résumé La recherche sur la résilience est passée par 3 étapes : • L'identification des facteurs qui sont source de résilience • L'étude du développement des facteurs de résilience • La mise au point de thérapies de résilience Introduction Avec les recherches sur la résilience la psychologie s'est engagée dans une nouvelle voie. Plutôt que de se focaliser sur des problèmes à résoudre et de réduire la personne à ce qui ne va pas chez elle, de nouveaux types d'interventions psychologiques et sociales se basent sur les forces de la personne, ce qui peut lui permette de réémerger. Une personne a des atouts qui dans l'adversité peuvent lui permettre de faire face et de se remettre sur pied ; c'est la résilience. L'évolution de la recherche sur la résilience est passée par trois étapes D'abord les chercheurs ont voulu décrire précisément le phénomène de résilience. Des études se sont concentrées sur les caractéristiques de personnes démontrant leur capacité à être des survivants. Pour la plupart ces personnes avaient vécu et surmonté des situations à risque pendant leur jeunesse. On cherchait donc à savoir quelles qualités personnelles et quels facteurs dans leur environnement avaient permis à ces jeunes personnes de surmonter des situations d'adversité par rapport à d'autres jeunes qui ne se relevaient pas de leurs épreuves. Cette première phase aboutit donc à 12
  • 13. déterminer des qualités personnelles et des situations environnementales assimilables à des facteurs de résilience. Exemples d'atouts associés à la résilience : estime de soi, capacité à agir efficacement, facteurs de soutien dans l'environnement social de la personne, etc. Les facteurs de résilience peuvent donc être des qualités propres aux personnes et des conditions dans leur environnement qui leur ouvrent la voie du succès dans leur vie personnelle et dans la société en général. Ensuite la recherche s'est focalisée sur l'identification des processus permettant d'acquérir ces qualités de résilience. Les chercheurs ont voulu comprendre la dynamique par laquelle quelqu'un gère les situations d'adversité, de changement ou d'opportunité et qui conduit à l'établissement de ces qualités de résilience et de facteurs de protection. Le processus de mise en place de la résilience est associé avec : la capacité à gérer les stress, les situations d'adversité, les changements ou opportunités ; en résultat la personne acquiert des facteurs protégeant. La troisième vague de recherche sur la résilience cherche à savoir comment les qualités de résilience peuvent être mises en œuvre. Pour qu'une personne puisse s'engager dans un processus de remise sur pied suite à une rupture, une force de motivation est nécessaire. Une force intérieure à la personne lui permet d'activer et d'utiliser ses atouts de résilience. L'enjeu est d'identifier cette force qui existe dans la personne et qui va lui permettre d'être résiliente et donc de se remettre en piste après un événement source de rupture de vie. La découverte des qualités de résilience Le démarrage de la recherche sur la résilience est arrivé lorsqu'on est passé du point de vue de se préoccuper prioritairement des facteurs de risque relatifs au bien-être, à la qualité de vie sociale d’une personne à une autre stratégie de recherche voulant identifier les forces de cette personne lui permettant de surmonter l'adversité. Dans ce nouveau paradigme de recherche, on n'essaie pas de déterminer la part purement génétique et la part d'apprentissage dans les qualités de résilience d'une personne. Les caractéristiques de résilience sont identifiées en tant que facteurs protégeant et atouts liés à la phase de développement de la personne. C'est une étude qui a duré 30 ans avec tous les enfants nés en 1955 à Kauai dans l'archipel d'Hawaii qui fut fondatrice du domaine de la recherche sur la résilience (voir pages précédentes pour plus de détail). La population étudiée était pluriethnique et à haut risque à cause de quatre facteurs environnementaux très prévalant : conditions de stress dès la naissance, la pauvreté, l'instabilité quotidienne, et des problèmes par rapport au bien-être mental des parents. 200 des 700 enfants nés à Kauai en 1955 furent identifiés comme étant à hauts risque de grandir sous l'influence de ces quatre facteurs environnementaux. 72 enfants sur ces 200 ne furent pas pénalisés dans leur vie d'adulte par ces conditions de stress de l'enfance. Les chercheurs énoncèrent les qualités de résilience ayant permis à ces jeunes personnes de faire face alors qu'ils vivaient dans des situations à haut risque. Il y avait des 13
  • 14. qualités intrinsèques et/ou personnelles telles qu'être de sexe féminin, solide, impliqué socialement, avoir une bonne capacité d'adaptation, être tolérant, avoir le goût d'accomplir quelque chose, être un bon communicateur et avoir une bonne estime de soi. De plus les chercheurs découvrirent l'importance d'un environnement positif à la fois au sein de la famille et au dehors d'elle pour qu'un jeune puisse faire face à l'adversité. Un psychiatre britannique, Michael Rutter fit des recherches épidémiologiques dans le centre de Londres et sur l'île de Wight ce qui l'amena à identifier des facteurs de résilience. Il découvrit aussi qu'à peu près un quart des enfants soumis à des facteurs de risque pouvaient faire preuve de résilience. Parmi les facteurs de résilience les plus importants, Rutter cite ceux-ci : être doué d'un caractère facile, être de sexe féminin, bénéficier d'un environnement scolaire positif, savoir planifier, avoir une relation forte, proche et personnelle avec un adulte. Le projet de recherche sur le risque fait dans l'état du Minnesota (USA) se focalisa sur les dysfonctionnements des processus intentionnels et de traitement de l'information d'enfants nés de parents schizophréniques entre 1971 et 1982. Ce projet montra que la plupart de ces enfants ne devinrent pas des personnes inadaptées à la vie adulte, mais au contraire des personnes faisant preuve de chaleur humaine et membre à part entière de la société. Les critères personnels permettant à ces personnes de s'en sortir étaient les suivants : réalisation de leurs objectifs professionnels/ludiques/intimes, de hautes attentes d'eux-mêmes, une vision positive sur les événements qui adviennent, l'estime de soi, un point d'ancrage intérieur, l'autodiscipline, la capacité à résoudre les problèmes, un sens critique et de l'humour. Ce projet catégorisa la résilience en trois domaines : les facteurs propres à la personne, un environnement familial source de soutien et la disponibilité d'un système extérieur qui donne le sentiment à la personne d'être épaulée. Une étude de 1990 à 1995 sur 350 000 étudiants de niveau collège-lycée identifia une quarantaine de paramètre acquis pendant leur développement et qui leur ouvraient la voie pour un fonctionnement optimal dans la vie : Facteurs externes à la personne : recevoir un soutien (famille, adulte, voisinage, école), sentir sa valeur par la prise de responsabilité, être respectueux de la vie privée des choix et des attentes des autres [de l'empathie en quelque sorte], et mettre à profit de manière constructive le temps qui passe. Facteurs propres à la personne : le degré d'implication et la motivation par rapport au parcours scolaire (volonté de résultats), des traits de caractère positifs (faire preuve d'attentions pour les autres, être clair et net, faire preuve de responsabilité, et être intègre), l'aisance sociale, un sens de soi positif (estime de soi, sentir qu'on a un rôle à jouer, avoir un point d'ancrage intérieur) En 1997 une synthèse de Benard [2] sur la recherche dans le domaine de la résilience indiquait que de 50 à 70% d'enfants nés dans des milieux à risque devenaient des adultes ayant une vie qu'on pouvait considérer comme réussie. Ces personnes avaient confiance en eux-mêmes, réalisaient des projets et soutenaient d'autres personnes dans leur entourage. Dans les années 2000 la recherche en psychologie positive a identifié des facteurs de résilience : 14
  • 15. • le bonheur, un sentiment de bien-être, l'optimisme, une croyance/conviction intime, la force d'âme pour aller de l'avant, la sagesse, l'exigence par rapport au résultat de ses activités, la créativité • sens moral et contrôle de soi, la reconnaissance envers les autres, la capacité à pardonner, avoir des projets ambitieux qui tiennent vraiment à cœur, garder espoir, et savoir rester humble. Cette première phase d'étude sur la résilience identifia les paramètres qui permettent aux personnes de surmonter des épreuves. La recherche en psychologie avait donc fondamentalement changé sa manière de faire en se focalisant moins sur les facteurs de risques mais en identifiant les paramètres de vie qui renforcent une personne. Mais l'identification de ses facteurs n'était pas suffisante en elle-même pour que ceux-ci soient applicables comme ça pour les personnes qui en avaient besoin. Encore fallait- il savoir comment ces qualités de résilience se mettent en place pour une personne. Le processus d'acquisition des paramètres qui conduisent à la résilience Modèle de la mise en place des capacités de résilience et de leur mise en œuvre : Au départ toute personne peut être considérée comme se trouvant dans une routine de vie stable que celle-ci soit perçue comme étant positive ou négative. Comme disent les américains on est dans une zone de confort, une homéostasie, où on a peu d'effort à faire pour que la situation se perpétue telle quelle. Le développement de qualités à potentiel résilientiel ne peut donc provenir que d'un changement dans cette vie routinière. Une rupture est donc nécessaire ; c'est-à-dire qu'un élément nouveau s'invite dans la routine de vie de la personne et qu'il est la cause de sa rupture. Après cet événement de rupture la vie reprend, ce qui peut se faire de plusieurs manières. On peut possiblement retrouver une routine mais elle sera différente et d’un qualité comparable par rapport à celle qu'on avait avant l'événement de rupture si on en tire des leçons. La résilience c'est donc faire l'expérience d'un événement de rupture puis d'en intégrer les enseignements de manière positive dans sa vie. On sort grandi de l'épreuve. Le risque c'est d'ignorer l'épreuve, ou qu'elle devienne un nouveau point de référence. C'est contreproductif si on n'en tire pas des enseignements et qu'on s'attache simplement aux aspects négatifs de l'événement de rupture qui s'intègre à une nouvelle routine. Un problème significatif c'est qu'une personne vivant une routine bonne ou mauvaise peut être presque immunisée par rapport à la perception d'événements qui devraient être vus par elle comme une rupture. On peut donc avoir une situation de stress chronique due à un événement de rupture qui ne conduit pas à un processus de résilience. On peut ainsi se trouver dans une situation où des facteurs protégeant déjà existants sont contreproductifs en cela qu'ils empêchent un événement de rupture de renforcer la personne. Un vrai événement de rupture c'est quelque chose qui déborde les éléments protégeant de la personne qui la maintiennent dans sa zone de confort. La personne a alors à sa disposition un nouvel événement, planifié ou non, positif ou négatif, de vécu qu'elle va devoir incorporer dans son schéma de vie. On fait l'hypothèse que tout événement qui constitue une rupture dans la routine de vie peut permettre à la personne de grandir et ce de manière positive. Un événement de rupture conduit immédiatement à des pensées mues par des émotions telles que les sentiments de blessure, de perte, de peur, d'incompréhension, 15
  • 16. de confusion, d'étonnement, voire de sidération. Au tout début du processus d'une possible mise en place d'une nouvelle qualité résilientielle, on ne ressent vraiment qu'une chose qu'on pourrait formuler ainsi, "Pauvre de moi !". C'est un stade de doute et d'anxiété sur sa capacité à se renouveler et donc à pouvoir survivre au changement. Avec le temps on passe à un deuxième stade où on formule les choses ainsi, "Mais qu'est-ce que je vais faire ??", ce qui est le début de l'intégration dans la vie de la personne de l'expérience vécue de l'événement de rupture. C'est là que la vie reprend en mieux, en moins bien ou sans changement apparent. Un événement de rupture peut donc conduire à ce qu'une personne acquiert un nouveau facteur protégeant. Mais la tendance naturelle peut être de vouloir revenir à sa zone de confort antérieure que cela soit réaliste ou non ; on peut ainsi croire pouvoir revenir à une situation antérieure de routine de fait abolie par un événement de rupture alors que ce n'est donc pas possible, mais refuser de voir ceci. Reprendre sa vie dans une nouvelle forme de routine implique une reformulation de ses motivations et de ses espoirs. La vie peut reprendre et se ‘stabiliser’ en une routine aux effets très négatifs quand une personne se tourne vers l'utilisation de substances toxiques et/ou a des comportements destructifs qui offrent un sentiment apparent d'un retour à la 'normale'. Le modèle de résilience présenté ici (voir plus haut) est très simplifié, on ajoutera donc que : • Plusieurs événements disruptifs peuvent arriver dans le même temps et les processus relatifs à leur utilisation peuvent avoir à être gérés concurremment. • Un processus de résilience peut prendre quelques secondes pour des événements à impact mineur ou demander plusieurs années dans le cas d'événements traumatiques. • Si on n'a pas analysé un événement de rupture et intégré ses enseignement dans sa vie, il est probable qu'il se répétera privant ainsi la personne de périodes de stabilité. • On peut appliquer le concept de résilience au niveau individuel ou à toute sorte de communauté humaine. • L'utilisation d'un événement de rupture pour la réorientation positive d'un schéma de vie peut être repoussée à plus tard. Un événement de rupture vécu pendant l'enfance peut ne pas être résolu jusqu'à l'âge adulte. A ce moment-là on peut espérer qu'une thérapie peut réinitier l'atmosphère de l'événement de rupture passé et donc remettre à l'ordre du jour une réflexion pour en tirer des enseignements et que ceux-ci participent alors à remettre la personne dans une routine de vie positive. • Sans rupture on ne sort pas de sa routine, ce qui est problématique si elle est négative. Et d'une certaine manière même si la routine est bonne, on peut difficilement soutenir qu'une même routine peut s'appliquer à la vie entière d'un individu. 16
  • 17. • Une intervention/thérapie peut déjà faire passer le message à la personne que face à une rupture de vie des choix s'offrent pour le meilleur ou pour le pire suivant les actions qu'elle décidera d'entreprendre. La résilience ce n'est pas simplement rebondir, mais aller plus loin dans la bonne direction par la force de la réflexion, d'un effort de prise de conscience. Dans ce cas-ci la vie progresse par un événement de rupture dont les leçons ont été tirées par la personne qui a subit le stress. Lorsque l'événement arrive mais qu'on n'y prête pas attention on peut ou bien continuer dans sa zone de confort comme si rien ne s'était pas passé ou voir sa routine changée de manière négative lorsque l'événement perturbe la vie de manière insurmontable. Faire preuve de résilience c'est un peu savoir naviguer dans une direction choisie, même en cas de vents contraires. Comment développe-t-on sa résilience ? En dehors de paramètres purement biologiques1 qui entrent en jeu, d'autres paramètres plus subjectifs et qu'on rattache à l'esprit humain sont autant de leviers possibles pour booster sa résilience : • Choisir sa voie dans la vie • Avoir un ancrage intérieur • Croire en dieu ou dans un pouvoir supérieur • Etre créatif • Avoir de l'humour • L'affect : la manière par laquelle on réagit spontanément avant d'avoir pu amorcer une réflexion La théorie de la résilience Après avoir fait une description des qualités résilientielles, et avoir ensuite déterminé comment elles se développent, la question restait de comprendre comment elles pouvaient être mises en œuvre pour permettre à une personne qui connaît un stress de trouver un équilibre nouveau qui la grandit par rapport à un équilibre de vie précédent qui n'est plus atteignable. Pour mettre en route ce processus de résilience il faut une force dont il peut être difficile de déterminer la nature tant elle pourra être différente suivant les personnes. Cette force peut être spirituelle, ou intrinsèque à la personne qui n'a alors pas besoin d'invoquer et de s'appuyer sur un type de concept qui l'inspire à s'engager à reconstruire une nouvelle vie stable. Quoi qu'il en soit la résilience est possible pour tout être humain, la difficulté principale étant pour elle/lui de trouver le concept qui va pouvoir la mettre en mouvement. En effet tout ce que nous ont appris les des deux premières vagues de recherche sur la résilience est très intéressant, mais la force qui permet d'acter ce processus de mise en mouvement d'un mode de vie nouveau à la fois stable, dynamique, positif et différent du précédent est certainement 1 On verra dans la suite de ce dossier l'état des connaissances à propos des paramètres biologiques qui ont une influence sur la résilience 17
  • 18. difficile à définir. Et cette force est bien le quelque chose qu'on aimerait comprendre, une préoccupation qui ne date pas de l'époque moderne. Postulat 1 : la force pour acter la résilience vient de notre propre écosystème de vie Le point de vue de la recherche en physique Ici j'ai quelques difficultés à cerner comment les théories de la physique moderne développées par de grands scientifiques comme Einstein, Bohr, Heisenberg, Hawking peuvent amener à mieux définir les caractéristiques de cette force qui met en mouvement la résilience chez l'être humain. Laissons donc de côté les équations de la physique et de la chimie moderne qui ont permis des prouesses technique et d'ingénierie extraordinaires, pour constater que pour l'instant la physique n'est pas à même d'expliquer comment la résilience pourrait s'expliquer en s’appuyant sur les formalismes développés pour modéliser ce qui se passe au niveau des atomes. Pour autant gardond en tête que de simples perceptions sensorielles et les pensées qui les accompagnent peuvent nous sortir d'une ornière de vie et des problèmes de santé qui peuvent en résulter sans qu'on puisse à l'heure actuelle définir les phénomènes de biologie moléculaire qui sous-tendent la résilience. Le point de vue de la médecine orientale Lao-Tseu parle d'une cohérence de l'ensemble des choses qui existent du point de vue de la voie d'une énergie universelle qu'elles pourraient toutes emprunter. C'est un peu pour chacun la nécessité de trouver la manière de naviguer avec le courant et donc d'en profiter plutôt que d'avoir à lutter contre lui. Mais cette vision des choses est presque en contradiction avec la résilience qui implique des événements de rupture. Ici je verrais plutôt un point de vue qui se focalise sur une forme d'acceptance de ce qui arrive mais sans que la personne soit amenée à grandir par les événements de rupture qui surviennent. La croyance en un pouvoir divin Les diverses réflexions du postulat #1 reviennent donc à dire que la force qui met le processus de résilience en mouvement c'est le système de pensée de la personne par lequel elle s'explique l'univers qui nous entoure que ce soit par l'entremise des théories de la physique, d'une philosophie ou de la croyance en un dieu. Postulat #2 : chaque personne peut trouver dans son être une capacité à mettre en action sa résilience Cette section parle de molécules telles que les neuropeptides, leurs récepteurs cellulaires dont on ne perçoit pas consciemment les actions mais qui très probablement participent à la résilience. Des événements de la vie de tous les jours sont à l'origine ou sont influencés par les effets biologiques de ces molécules. C'est une remarque purement qualitative car dans le détail on ne peut connaître le fonctionnement de l'ensemble de ces molécules dans le détail de tout le corps et lier ceci aux événements de vie d'une personne. Cela dit on sait que l'ocytocine, l'hormone de l'amour, et les mécanismes biologiques qui lui sont associés sont liés à des 18
  • 19. processus de développement d’attachements interpersonnels. L’ocytocine pourrait contribuer à mener la personne sur le chemin de la résilience; en effet c'est peut-être l'amour qui est la force qui nous permet d'agir quand des moments de rupture de l’extra-ordinaire arrivent. La psychoneuroimmunologie L'état d'esprit d'une personne est corrélé avec le fonctionnement de son système immunitaire. Il est toutefois très souvent difficile en biologie humaine de définir si tel ou tel paramètre a valeur de cause ou de conséquence par rapport à la biologie ou à la psychologie d’une personne. Il est ici important de discuter de la notion d'effet placebo. Par exemple, on peut vouloir tester l'effet thérapeutique d'une molécule issue de la recherche pharmacologique pour résoudre le problème de santé subi par une personne. Mais une personne croyant recevoir cette molécule pendant un test thérapeutique, alors que ce n'est pas le cas, a une chance de voir se résoudre son problème de santé. Le simple fait de savoir qu'on va être soigné fait du bien et s'ajoute à l'effet pharmacologique d'une molécule. Il est encore bien difficile de définir les mécanismes biologiques de l'effet placebo. De là on ouvre la porte à un grand nombre de médecines alternatives aux objectifs tout aussi louables que la médecine occidentale moderne mais qui ne s'avèrent pas forcément plus efficaces qu'elle en matière de soins. En résumé on ne saurait vraiment bien définir la force qui permet à la résilience d'être mise en œuvre. Mais on voit que quelque part elle vient du plus profond de l'être. Si cette force est l'amour, elle peut agir lors d'un événement de rupture. L'énergie rebelle qui a troublé la routine de la vie peut ainsi être détournée et faire accéder la personne a eu un nouveau mode de vie positif. Les applications pratiques Avant de pouvoir accéder à la résilience un travail de dépoussiérage est souvent nécessaire. Effectivement plutôt que de changer notre routine, la personne a tendance à essayer de mettre l'événement de rupture sous couvert : par le raisonnement, par le déni, par sa minimalisation, par la colère. C'est un peu comme si l'événement de rupture savait comment acter sur une personne pour que lui-même devienne le centre d'intérêt de la personne que cela lui soit bénéfique ou non. La personne qui subit l'événement de rupture peut ne pas avoir la capacité de réagir seule contre cet événement de rupture qui 'sait' intrinsèquement comment agir sur celle-ci mais uniquement pour son bénéfice à lui. Les thérapies d'apprentissage de la résilience Certains éducateurs sont d'avis qu'il faut chercher en la personne quelle est la nature de son amour de soi. Si celui-ci peut reprendre le devant de la scène, cela peut permettre à la personne d'accéder à la résilience. Avec l'amour de soi on ouvre la porte à ce qui donne envie de vivre, de se sentir en sécurité, de se sentir aimé(e), à tout ce qui nous rend meilleur. Si un thérapeute professionnel peut faire prendre conscience à une personne adulte ce qui la faisait bouger du temps où elle était enfant, il peut alors établir une bonne connexion avec cette personne et travailler avec elle pour mettre en mouvement son processus de résilience. Mais à charge du thérapeute 19
  • 20. de trouver la sincérité vraie pour que ce retour à la surface des aspirations et émotions du temps de l'enfance de la personne soit suffisamment durable ; sinon les mécanismes de fonctionnement de l'adulte détournés par l'événement de rupture reprendront le dessus sur la personne qui aura alors perdu son accès au chemin de la résilience. La plupart d'entre nous avons une certaine vision du monde et la manière dont il devrait fonctionner. Si on est dans un style de vie en contradiction avec notre vision du monde, on risque fort de ne pas se sentir bien et de là voir s'évaporer toute énergie dont on aurait bien besoin pour mettre en mouvement un processus de résilience. Peut-être la force qui peut mettre en route le processus de résilience c'est la sensation qu'on a le contrôle de ce qu'on fait pour réaliser de manière effective des choses à propos de soi ou de l'environnement dans lequel on vit. Cette sensation de contrôle est en grande partie subjective, mais pour qu'elle ait un effet il est nécessaire d'en voir objectivement certains résultats démontrant qu'elle a une réalité. Pour éliciter sa résilience une personne doit probablement à la fois se sentir comme un rouage indispensable au fonctionnement de la société et en même temps ne pas se sentir asservie par elle. Chacun d'entre nous sommes uniques par nos caractéristiques physiques, mentales, spirituelles, et expérientielles ce qui devrait nous rendre parfait pour un type de fonctionnement que nul autre ne pourrait faire mieux que nous au sein de la société. La conclusion de l'auteur fait penser qu'une personne ne peut s'engager dans la voie de la résilience que si elle a la possibilité de prendre du recul par rapport à l'événement de rupture qui est subi. Sinon c'est l'événement de rupture qui devient la vraie routine de la personne, le reste des activités de la personne n'ayant plus de réalité que dans une zone d'ombre d'où elles ne peuvent émerger même si cela serait positif pour la vie de la personne. Ce commentaire me paraissait utile à ajouter avant de transcrire les points suivants de la conclusion qui autrement auraient pu s'apparenter à du "y'a qu'à faut qu'on" : 1. La personne a le choix de trouver la voie pour évoluer de manière positive suite à un événement de rupture. 2. Les premiers effets d'un événement de rupture sur la personne c'est les sentiments de blessure, d'être perdue, de culpabilisation, de peur ; mais tout ceci peut amener la personne à une prise de conscience personnelle de sa situation et à partir de là voir comment arranger les choses. 3. Des événements de rupture planifiés peuvent solutionner des situations de stagnation. C'est-à-dire qu'on est prêt à faire un saut dans l'inconnu dans l'espoir de voir sa situation s'améliorer. 4. Pendant le travail de résilience il peut être utile que la personne voit ce qui peut être considéré comme positif par rapport à un événement de rupture qui apparaît d'abord comme ayant globalement des effets négatifs. 20
  • 21. 5. Si une personne comprend la valeur et le potentiel d'un événement de rupture cela peut l'aider à voir tout l'intérêt qu'il y a à vivre de nouvelles expériences. On peut observer le phénomène de résilience et comprendre les différents paramètres qui le rendent possible, ainsi que le propre développement de ceux-ci. A l'heure actuelle la difficulté réside dans notre capacité à faire en sorte que dans la vraie vie tout le monde soit résilient. Ce n'est souvent qu'un tiers ou la moitié de personnes subissant des événements de rupture qui les mettent à profit pour grandir. En tout cas un événement de rupture est une source de problèmes bien réels et ils ont le pouvoir d'orienter le futur de la personne qui en fait l'expérience qu'elle décide d'agir ou non. On devient donc soi qu'on le veuille ou non. Et il vaudrait mieux vouloir activement devenir soi, pour que l'inévitable expérience de l'adversité qu'on rencontre soit la source d'une nouvelle réussite dans un futur non pas subi mais choisi. Bibliographie [1] The metatheory of resilience and resiliency, G. E. Richardson, Journal of Clinical Psychology, 58 (2002) 307-321. [2] Turning It Around for All Youth- From Risk to Resilience, Benard, (1997). 21
  • 22. La modélisation biologique du stress et de ses conséquences – Baker 2007 Competing and Complementary Models of Combat and Operational Stress and Its Management, chapitre 4 (p121-142), Combat Stress Injury Theory, Research, and Management) [1] Le cerveau est constitué de circuits nerveux dont l’architecture est immuable, disposant malgré tout d'un certain niveau de plasticité dans leurs connexions. Il vaut mieux qu'un organisme ait un jeu de réactions biologiques pour survivre dans son environnement dès la naissance sinon c'est la mort assuré à très court terme avant d'avoir pu engendrer la génération suivante. L'organisme peut donc fonctionner dans son environnement grâce à certaines règles innées sans qu'il y ait pour lui une nécessité d'apprentissage au début de son existence. "These are ancient nervous system adaptations, evolved over millenia, which are too important to survival to be left to the vagaries of individual experience". Mais pour vivre plus longtemps, un organisme doit être capable de s'adapter aux changements de son environnement qui même s'ils ne l'empêchent pas de survivre vont influer sur sa qualité de vie. On peut faire l'hypothèse que si l'être humain a de si gros hémisphères cérébraux c'est pour qu'il ait la possibilité d'avoir une réponse moins rigide, plus adaptative de manière à faire face aux challenges de son environnement. 22
  • 23. On peut réduire à un schéma tripartite les éléments du système nerveux responsables de la réponse au stress. Un neurone afférent amène une information sensorielle au système nerveux central (SNC) : cerveau, moelle épinière. Le SNC émet alors un signal qui est transmis par un neurone efférent vers un muscle ou un organe glandulaire ; c'est la réponse du cerveau suite au signal apportée par l'information sensorielle. Par exemple, si on met la met sur une surface brûlante, on a immédiatement le réflexe de l'enlever. Les récepteurs thermiques de la main envoient l'information au cerveau, la température est trop élevée, et le cerveau envoie une information en retour aux muscles du bras pour qu'ils s'activent de façon à retirer la main de l'endroit où elle risque la brûlure si elle y reste posée trop longtemps. Le traitement de signal dans le SNC implique des substances chimiques appelées neurotransmitteurs. Ceux-ci permettent à l'information d'être transmise d'un neurone à un autre qui lui est connecté. Un neurone est activé lorsqu'un neurotransmitteur se lie à un récepteur situé à sa surface. Les neurotransmitteurs impliqués dans la réponse au stress • Glutamate : c'est le principal neurotransmitteur excitatif, c'est-à-dire capable de susciter l'activité électrique d'un neurone. Un type de récepteur, appelé NMDA, est particulièrement important dans les processus de mémorisation et de cognition du cerveau. Les récepteurs NMDA sont ainsi impliqués dans le conditionnement à la sensation de peur ('classical fear conditionning'). • Gamma-aminobutyric acid (GABA) : c'est le principal neurotransmitteur de l'inhibition de l'activité neuronale. Lorsque le GABA s'attache à un neurone il inhibe son activité électrique. L'alcool et les benzodiazépines stimulent les récepteurs GABA, réduisant la perception au stress et à l'anxiété, mais ceci aux dépens de la vigilance de la personne. • Norépinéphrine (= adrénaline) : modulation de l'activation de neurones dans le cerveau notamment ceux du Système Nerveux Sympathique (SNS). La NE promeut l'accélération du rythme cardiaque, l'augmentation de la pression sanguine, la préparation du corps à rentrer en action, l'accroissement de la vigilance, la focalisation de l'attention, et va à l'encontre du sommeil. La NE stimule la mémoire à faibles doses et au contraire l'inhibe à hautes doses. Dès qu'on se trouve en situation de stress l'activité NE est plus élevée dans les neurones du cerveau, et un stress qui dure finit par épuiser les réserves en NE du cerveau. Les personnes qui ont un diagnostic de TSPT subissent d'abord un accroissement de l'activité NE dans le cerveau, et puis après l'activité NE dans le cerveau se dérègle. • Sérotonine : neurotransmitteur qui a tendance à avoir pour effet l'inhibition de l'activité de neurones. La SE est produite par un circuit de neurones assez restreint. Les chercheurs pensent pouvoir au moins affirmer avec un bon degré de certitude que la SE inhibe les réflexes de peur conditionnés, par exemple, sursauter quand on entend un certain son, les réflexes de combat et de fuite. 23
  • 24. Chez les humains on a démontré une corrélation entre des taux faibles de SE et l'impulsivité, l'agressivité et les tendances suicidaires. • Dopamine : neurotransmitteur modulant positivement l'activité d'autres neurones. La DA est produite dans des zones limitées du cerveau. La DA a probablement ses effets principales dans la modulation de l'activation de neurones du Nucleus Accumbens (NA) dont on suppose qu'il est très important pour la motivation et les sensations de plaisirs (circuit de la récompense). L'activité de la DA dans le cerveau au niveau du NA est inversement proportionnelle au niveau de stress vécu. Les hormones du stress produites dans le corps Les hormones diffèrent des neurotransmitteurs en cela que leur champ d'action est plus grand que celui de ceux-ci qui ne franchissent que la très courte distance synaptique séparant deux neurones, tandis que celles-là diffusent dans les tissus des organes ou sont distribuées dans le corps par la circulation sanguine. • Cortisol : molécule qui régule la réponse au stress. Le CO est sécrété par la zone corticale des glandes surrénales. Le taux de CO dans le sang est sous le contrôle d'un système hormonal composé de l'hypothalamus, l'hypophyse et la glande surrénale (axe HPA - 'Hypothalamic-pituitary adrenal'). Le fonctionnement de l'axe HPA se fait en cascade. D'abord l'hypothalamus entre en jeu ; c'est lui qui joue le rôle de lien entre la fonction de communication électrique du cerveau et les signaux hormonaux du corps. En cas de stress l'hypothalamus sécrète la corticolibérine (corticotrophin releasing factor - CRF) qui agit sur l'hypophyse qui alors sécrète l'hormone corticotrope (adrenocorticotropic factor - ACTH) dans le sang. Le taux de CO sécrété dans le sang par les glandes surrénales est en relation directe avec le changement du taux sanguin d'ACTH sécrétée par l'hypophyse. Le CO a des actions critiques par rapport aux actions du corps en condition de stress. Ainsi en temps de stress le CO accroît le taux du glucose dans le sang et donc sa distribution pour le fonctionnement des tissus du corps. Le CO a aussi une fonction de retour négatif ('negative feedback') sur l'hypophyse dont il inhibe la production d'ACTH. Mais le CO a aussi des effets négatifs sur le cerveau et le reste du corps : o Inhibition du système immunitaire, ce qui explique que le stress peut conduire au déclenchement de certaines maladies o Si la sécrétion de CO devient chronique, elle favorise une accumulation des graisses et l'athérosclérose. o Le CO peut avoir des effets toxiques sur certains neurones, voir plus loin dans le texte. • CRF : comme on l'a vu plus haut le CRF est une hormone de l'axe HPA qui contrôle la réponse au stress, c'est aussi un neurotransmetteur du cerveau. Les stress aigus (ponctuels) et chroniques accroissent l'activité du CRF dans le 24
  • 25. cerveau ce qui active ou inhibe des circuits cérébraux dont l'activité est corrélée avec des comportements de stress. Le CRF facilite les émotions et les comportements liés aux situations de stress. Ainsi il suffit d'injecter du CRF dans le SNC d'animaux modèles pour qu'ils aient un comportement similaire à celui qu'ils auraient en situation de stress ou d'anxiété. On observe que le CRF accroît l'activité des neurones à NE ce qui conduit à l'accroissement des comportements de vigilance stimulés par le cerveau et le SNS. Des taux élevés de CRF dans le cerveau ont été corrélés avec la dépression, l'anxiété, la dépendance aux drogues et le TSPT ; probablement lorsque les taux de CRF sont chroniquement élevés. • Neuropeptide Y (NPY) : à la fois hormone et neurotransmetteur il a des propriétés anxiolytiques probablement par son activité qui s'oppose directement à celle de CRF. En effet si on injecte NPY directement dans le cerveau d'animaux, cela réduit leurs symptômes anxieux et l'activité NE dans le cerveau. Des taux élevés de NYP ont été corrélés avec le niveau de performance des soldats qui font l'expérience de situation de survie. Les vétérans de l'armée qui ont les symptômes du TSPT ont des taux de NPY moins élevés que des groupes de personnes témoins. • Molécules de type opioïdes endogènes : ce sont des molécules qui se lient aux mêmes récepteurs du cerveau que des narcotiques aux effets analgésiques tels que la morphine et l'héroïne. Ces molécules sont les endorphines, elles favorisent une analgésie lors d'un stress, ce qui explique l'absence de ressenti de souffrance en situation de stress extrême. Ces opioïdes endogènes accroissent l'activité de la DA dans le NA de la même manière que le font les narcotiques capables d'induire une dépendance. Les circuits cérébraux dont les activités sont corrélées avec la réponse au stress et qui sont impliqués dans l'apprentissage Il y a de multiples zones cérébrales qui jouent un rôle pour un type particulier de mémoire. On a donc des circuits neuronaux opérant indépendamment les uns des autres, et en parallèle. On distingue deux grands types de mémoire, celle explicite et celle implicite. La mémoire explicite est dite déclarative car on peut se rappeler de certaines choses et les communiquer volontairement. Par contre la mémoire implicite c'est l'ensemble des types de mémoires qu'on ne peut invoquer volontairement. Elles peuvent resurgir de manière involontaire lorsqu'un signal intérieur ou extérieur est déclenché comme un signal émotionnel ou physique lié au réflexe de peur conditionné. Les zones du cerveau associées aux mémoires explicites sont l'hippocampe, le tronc cérébral, et les hémisphères cérébraux. La zone du cerveau la plus associée à la mémoire et l'apprentissage implicite est l'amygdale et les circuits nerveux qui lui sont associés. L'hippocampe et l'amygdale sont l'un près de l'autre de chaque côté du cerveau. La manière dont ces deux zones du cerveau interagissent en temps normal et en conditions de stress est essentielle dans l'établissement de modèles des effets des stress traumatisants. • L'hippocampe : s'il est endommagé, la mémoire déclarative au long terme est préservée, mais les nouvelles informations reçues ne sont plus mémorisables 25
  • 26. sur le long terme. On notera que l'hippocampe reçoit des connections nerveuses de zones du cerveau qui traitent les informations sensorielles (vision, ouïe, etc.). Des substances chimiques comme la kétamine et le PCP sont cause d'amnésie et inhibent les fonctions associatives du cerveau, comme ce qu'on observe en situation de stress à effets dissociatifs, il y a blocage des récepteurs au glutamate de type NMDA. L'hippocampe est donc probablement une zone du cerveau essentielle pour que s'associent pensées, sensations et sentiments. L'hippocampe est aussi impliqué dans les réflexes de peur conditionnés que certains signaux peuvent déclencher par la suite. Mais l'hippocampe est aussi important pour désactiver la réponse au stress et amenuiser les réflexes de peur conditionnés. La fonction de mémoire de l'hippocampe est activée par des doses faibles de NE et d'adrénaline (Ad) de telles manière que des expériences liées à un accroissement de la vigilance d'un individu deviennent un atout sous forme d'un souvenir. Mais lorsque les taux de NE ou Ad deviennent excessifs, l'acquisition de nouvelles mémoires est inhibée comme ce qui arrive lorsque les neurones GABA sont activés par les effets de l'alcool ou ceux des benzodiazépines. Un des mécanismes par lequel l'hippocampe stocke de nouvelles informations implique le développement de nouvelles cellules (neurogénèse) et la réorganisation et/ou l'établissement de nouvelles connexions entre les cellules de l'hippocampe. Les hormones et neurotransmetteurs influençant ces phénomènes ont donc un impact très significatif sur le fonctionnement de l'hippocampe en condition de stress. C'est le cas de la SE dont l'activité est accrue par les antidépresseurs utilisés pour combattre les troubles du stress et le TSPT. Le CO régule aussi la neurogénèse dans l'hippocampe et les connections entre ses neurones. • L'amygdale : c'est une zone du cerveau qui reçoit des informations sensorielles par l'intermédiaire d'une autre région du cerveau, le thalamus. Par comparaison avec l'hippocampe qui reçoit des informations sensorielles par le biais des hémisphères cérébraux, l'amygdale reçoit des informations sensorielles beaucoup plus vite que lui. C'est donc l'amygdale qui est la zone cérébrale qui va avoir la plus rapide influence sur les réponses aux stress aigus, par exemple, avec l'activation du système de vigilance dépendant de la NE et l'activation de l'axe HPA, ce qui se traduit dans les deux cas par la sécrétion de CO au niveau des glandes surrénales. L'amygdale apparaît comme un détecteur d'événements menaçants pour y répondre de manière instantanée sans qu'une réflexion puisse avoir un effet modulateur. L'amygdale est une zone du cerveau essentielle pour la réponse aux signaux catégorisés comme stressants. Avec des animaux modèles on a pu démontré qu'une situation de stress même temporaire, par exemple, faire face à la présence d'un prédateur, induit des changements durables dans les circuits neuronaux de l'amygdale. La seule manière d'empêcher des réflexes de peur conditionnés c'est d'endommager ou d'enlever l'amygdale. Des études utilisant la technique d'imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRMf) ont mis en évidence l'implication de l'activité de l'amygdale chez les êtres humains soumis au conditionnement par la peur. La NE, l'Ad, le CRF accroissent les réflexes conditionnés à la peur régulés par l'amygdale, tandis que le GABA, la SE, et le NPY font l'inverse. De 26
  • 27. même, le CO dans l'hippocampe décroît la formation de mémoire en condition de stress et aussi accroît par sa présence dans l'amygdale la formation des réflexes conditionnés par la peur. Les modèles des effets biologiques du stress Jusqu'à présent on a décrit la manière dont le corps répond normalement en situation de stress, même lorsqu'il est intense. Ces réponses au stress ont un caractère adaptatif et elles sont normalement réversibles une fois que la source de stress a disparu. Mais cette réversibilité peut ne plus être de mise si un facteur de stress franchi un certain seuil par son intensité ou fini par le faire suite à sa chronicité et ses effets cumulatifs. • L'allostasie est un concept à l'opposé de l'homéostasie qui elle implique un penchant naturel du corps à revenir à un état fonctionnel de base dès que le factor perturbant disparaît. Une fois que celui-ci n'agit plus la réponse homéostatique a permis au corps de revenir à son niveau de fonctionnement de routine. Un exemple d'homéostasie c'est celui du réflexe de frisson, la contraction des muscles pour contrecarrer les effets du froid allant à l'encontre des besoins en température constante du corps. Le réflexe de frisson cesse lorsque la température redevient normale. Avec l'allostasie il y a modification du point d'équilibre d'un phénomène physiologique. En réponse à un stress le corps ne s'adapte pas temporairement en mettant en œuvre des systèmes pour revenir à l'équilibre initial mais change le point de référence lui-même ; moins de petits ajustements sont nécessaires pour une situation modifiée durablement qui devient en quelque sorte la nouvelle règle à suivre. Par exemple, certaines dépressions et symptômes anxieux chroniques pourraient être causées par des phénomènes allostatiques concernant des récepteurs à neurotransmetteurs. Pour contrebalancer une situation de stress le cerveau peut épuiser ses réserves en NE, SE. Si le corps n'a pas le temps de regarnir ces stocks de neurotransmetteurs, il peut augmenter durablement l'activité des gènes codant pour les récepteurs de ces neurotransmetteurs dans le but de garder un fonctionnement équilibré dans des conditions de stress perçues comme étant devenues la règle. Avec une plus grande densité de récepteurs au niveau des synapses, l'activité neuronale dont le corps a besoin en réaction au stress peut être maintenue même avec moins de neurotransmetteurs disponibles. Malheureusement une fois que la source de stress a disparu, le corps peut ne pas réagir en diminuant la densité de ces récepteurs à NE et SE. Donc on revient à des conditions originelles normales, mais le corps ne réagit pas, ou ne peut pas réagir facilement sur les modifications du niveau d'expression de certains gènes qu'il a été amenées à faire. On peut donc aboutir à un retour à des taux normaux de disponibilité de sérotonine dans la synapse mais ayant un effet excessif dans des conditions de vie normales, où il n'y a plus la nécessité d'amoindrir les effets d'un facteur de stress. On se trouve dans un nouvel état d'équilibre indésirable et qui peut se traduire par des symptômes persistants de dépression et d'anxiété. Ce mécanisme allostatique peut par exemple expliquer les symptômes de dépression et d'anxiété des soldats de retour de zones de combat. Ce modèle explique aussi les effets thérapeutiques (et qui prennent du temps à être effectifs) de certains agents pharmacologiques comme la 27
  • 28. sertraline ou la paroxetine qui induisent une diminution de la synthèse des récepteurs à la sérotonine. • Le stress comme facteur endommageant l'hippocampe. L'hippocampe est une zone du cerveau à la plasticité unique du point de vue des modifications structurelles que peuvent subir les neurones qui en font partie et de leur renouvellement (neurogénèse). A un niveau d'équilibre fonctionnel routinier sans stress excessif, la structure cellulaire de l'hippocampe est stable avec des réorganisations mineures (remplacement de cellules, changements de connexions entre neurones). En cas de situations chroniques de stress on peut aboutir à une atrophie de l'hippocampe ; ce processus est en grande partie dû aux effets du CO. Sa présence est corrélée avec des taux moindres en BDNF (Brain-derived neurotrophic facteur, neurotrophine produite par le cerveau), hormone cérébrale locale importante pour que les neurones de l'hippocampe puissent se remettre dans une phase de croissance. Le CO catalyse aussi la mort de neurones de l'hippocampe par ses interactions avec les récepteurs NMDA détectant le neurotransmetteur glutamate qui a des capacités d'excitation de l'activité des neurones. Ces récepteurs sont indispensables pour la facilitation d'un apprentissage rapide. Mais la suractivation de ces récepteurs crée aussi une forme de toxicité pour les neurones qu'on appelle l'excitotoxicité. Par un effet impliquant des récepteurs au calcium, les cellules meurent. Elles explosent littéralement, on n'est pas dans le cas d'une mort cellulaire programmée et contrôlée, et le glutamate ainsi libéré accroît encore le niveau d'excitation des cellules de l'hippocampe. Pour l'instant on n'a des preuves expérimentales claires par rapport aux effets du CO sur l'hippocampe et du TSPT qu'avec des animaux modèles mais pas pour les êtres humains. Il se pourrait aussi qu'une personne ayant un hippocampe plus petit que la normale soit plus disposée à souffrir des conséquences du stress ou bien il est aussi possible que le stress provoque une diminution du volume de l'hippocampe. Bibliographie [1] Competing and Complementary Models of Combat and Operational Stress and Its Management, Baker, (2007). 28
  • 29. Sommeil et comportement : enfants de foyers affectés par l’alcoolisme et enfant de familles témoins – Wong 2018 (Sleep & behavior : children alcoholics and controls[1]) Introduction Souvent les enfants qui sont nés et ont grandi dans un milieu parental marqué par l'alcoolisme en vivent des conséquences négatives : leurs résultats scolaires en souffrent, et une fois qu'ils ont atteint l'âge adulte leur performance professionnelle et la qualité de leurs interactions sociales en pâtissent. Mais certains enfants de milieux alcooliques ne suivent pas cette voie de développement insatisfaisante et s'épanouissent professionnellement et personnellement, ils sont résilients. Il y a une corrélation forte entre les habitudes de sommeil des enfants et leurs capacités à gouverner leurs comportements. En cas de privation de sommeil, les conséquences sont négatives pour leur humeur, les tâches cognitives et leurs comportements moteurs. Les enfants qui dorment plus ont de meilleures fonctions exécutives de leurs comportements et du contrôle de ceux-ci. Méthode Etude sur le long terme d'enfants âgés de 3 à 5 ans jusqu'à ce qu'ils arrivent à l'état de jeunes adultes (21-26 ans). Résultat principal Les bons rythmes de sommeil des enfants et leur résilience sont corrélés. Les enfants issus d'un milieu marqué par l'alcoolisme mais qui ont de bonnes habitudes de 29
  • 30. sommeil sont résilients par rapport aux enfants vivant dans le même type de milieu mais dormant moins bien. Paramètres : heures de lever et de coucher qui sont régulières, pas de problèmes de sommeil ou de symptômes de fatigue. La résilience des enfants qui ont grandi dans un milieu marqué par l'alcoolisme peut être due leur capacité à bien dormir. Un sommeil de meilleure qualité assure un meilleur contrôle comportemental pour la personne ; le cortex préfrontal pourrait être impliqué dans cette observation. Conclusion-résumé De bons rythmes de sommeil pendant l'enfance sont associés avec un bon contrôle du comportement et une résilience à l'âge adulte exprimée par une faible sensibilité à la dépression et par un sentiment de satisfaction dans les domaines professionnel et personnel. Les chercheurs ont suivi des enfants depuis l'âge de 3 à 5 ans jusqu'à ce qu'ils furent devenus de jeunes adultes (21-26 ans). Dans le groupe qui a été étudié la faculté à bien dormir donne les mêmes capacités à être résilient à l'âge adulte que les conditions familiales de l'enfance aient été marquées par l'alcoolisme ou non. Bibliographie [1] Sleep and behavioral control in earlier life predicted resilience in young adulthood: A prospective study of children of alcoholics and controls, M. M. Wong, L. I. Puttler, J. T. Nigg and R. A. Zucker, Addict Behav, 82 (2018) 65-71. 30
  • 31. Résilience et mode alimentaire – Mattson 2018 Intermittent Metabolic Switching, Neuroplasticity and Brain Health [1] Quand le cerveau et le reste du corps fonctionnent bien en étant à jeun, l'organisme est capable d'obtenir sa nourriture ce qui augmente ses chances de survivre et de se reproduire ; cet organisme a un avantage évolutif. Les réserves en glycogène du foie fournissent à l'organisme son énergie. Mais lorsqu'elles sont épuisées, les corps cétoniques sont alors une source alternative d'énergie produite à partir des acides gras provenant de cellules adipeuses. Or cette alternance métabolique conduit aussi à des adaptations dans le cerveau aux niveaux cellulaire et moléculaire. Grâce à ces changements intermittents en source d'énergie, métabolisme des corps cétoniques en situation de pénurie énergétique (absence de nourriture, exercice) du glycogène pendant les périodes plus tranquilles (repas, repos, sommeil), les circuits neuronaux optimisent leur fonctionnement et leur résistance au stress de toute nature. Bibliographie [1] Intermittent metabolic switching, neuroplasticity and brain health, M. P. Mattson, K. Moehl, N. Ghena, M. Schmaedick and A. Cheng, Nat Rev Neurosci, 19 (2018) 63-80. 31
  • 32. Résilience et enképhaline opioïdes endogènes – Henry 2018 (Delta opioid receptor - social defeat [1]) Résumé Plusieurs zones cérébrales et neurotransmetteurs sont impliqués dans les phénomènes de résilience suite à une situation de stress. La voie du signal moléculaire de l'enképhaline opioïde endogène (EOE) jouerait un rôle dans les comportements résilients. Les chercheurs ont modélisé avec des souris les effets des contrariétés imprévisibles de la vie quotidienne qui induisent la résilience ou créent une vulnérabilité au stress : c'est le modèle du stress habituel répété de l'échec social (SHREC). Un test d'interaction sociale (IS) entre souris conditionnées avec le paradigme SHREC a permis de distinguer lesquelles étaient devenues résilientes ou vulnérables. Pour ces dernières la quantité d'EOE diminue dans l'amygdale basolatérale ainsi que le nombre des récepteurs correspondants dans la partie ventrale de l'hippocampe. La voie EOE peut être artificiellement stimulée par un analogue chimique de l'EOE induisant un phénotype résilient chez la plupart des souris devenues vulnérables à cause du conditionnement SHREC. L'analogue chimique diminue aussi l'importance du stress oxydatif dans les cellules neuronales de type pyramidale et les interneurones d'une zone, de l'hippocampe ventral :observations de changements de l’ultrastructures des cellules de la zone CA1, indiquant un possible mécanisme d'action biologique qui serait lié à la réduction de la résilience chez des souris vulnérabilisées. 32
  • 33. Introduction TPST, stress psychologique chronique de l'enfance et d'autres troubles liés au stress : lien avec un stress oxydatif élevé. A l'opposé, les souris soumises à un stress de contrainte à l'immobilité démontrent moins d'anxiété, et produisent moins de molécules oxydatives réactives, par exemple, les radicaux libres, lorsqu'on leur donne des benzodiazépines. (voir : Berton 2006 [2], Krishnan 2007 [3] https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(07)01206-8, Golden 2011 [4] http://europepmc.org/backend/ptpmcrender.fcgi?accid=PMC3220278&blobtype=pdf) A l'issue de leur conditionnement au SHREC, 33% des souris sont résilientes. Méthodes Des souris sont conditionnées par la méthode du Stress Habituel Répété de l'EcheC social (SHREC) qui modélise les contrariétés imprévisibles de la vie quotidienne induisant résilience ou vulnérabilité au stress chez l'être humain. Avec un test d'interaction social (IS) entre souris SHREC on peut ensuite déterminer lesquelles sont résilientes ou vulnérables. Discussion Les souris résilientes et celles vulnérables ont un taux en corticostérone dans le plasma sanguin accru indiquant un fonctionnement de l'axe du stress hypothalamo- hypophyso-surrénal activé chroniquement validant les effets opérés par le conditionnement SHREC. Pour les souris vulnérables au stress, non résilientes, on détecte moins d'EOE cérébrale dans l'amygdale basolatérale ; de même pour le nombre de récepteurs correspondants dans la partie ventrale de l'hippocampe. Les retombées thérapeutiques possibles : la voie EOE stimulée par un analogue chimique induit un phénotype résilient chez la plupart des souris SHREC vulnérables. L'AcEOE diminue aussi le stress oxydatif des neurones pyramidaux et des interneurones de l'hippocampe ventral indiquant un possible mécanisme d'action à l'origine de la résilience des souris vulnérabilisées. Notes: Mesure du conditionnement effectif des souris soumis au SHREC : que ce soient les souris résilientes ou celles vulnérables les taux de corticostérone dans le plasma sanguin sont accrus indiquant une activation de l'axe du stress hypothalamo- hypophyso-surrénal. Des liens entre les troubles dus au stress psychologique, par exemple, le TPST et un niveau élevé de stress oxydatif dans le corps ont été observés dans d'autres situations expérimentales : l'anxiété et le stress oxydatif de souris ayant subi un stress de contrainte à l'immobilité peut ainsi être résolus par l'administration de benzodiazépines. 33
  • 34. Bibliographie [1] Delta Opioid Receptor Signaling Promotes Resilience to Stress Under the Repeated Social Defeat Paradigm in Mice, M. S. Henry, K. Bisht, N. Vernoux, L. Gendron, A. Torres-Berrio, G. Drolet and M. E. Tremblay, Front Mol Neurosci, 11 (2018) 100. [2] Essential Role of BDNF in the Mesolimbic Dopamine Pathway in Social Defeat Stress, O. Berton, (2006). [3] Molecular adaptations underlying susceptibility and resistance to social defeat in brain reward regions, V. Krishnan, M. H. Han, D. L. Graham, O. Berton, W. Renthal, S. J. Russo, Q. Laplant, A. Graham, M. Lutter, D. C. Lagace, S. Ghose, R. Reister, P. Tannous, T. A. Green, R. L. Neve, S. Chakravarty, A. Kumar, A. J. Eisch, D. W. Self, F. S. Lee, C. A. Tamminga, D. C. Cooper, H. K. Gershenfeld and E. J. Nestler, Cell, 131 (2007) 391-404. [4] A standardized protocol for repeated social defeat stress in mice, S. A. Golden, H. E. Covington, 3rd, O. Berton and S. J. Russo, Nat Protoc, 6 (2011) 1183- 91. 34
  • 35. Un merveilleux malheur - Cyrulnik notes Un merveilleux malheur de Boris Cyrulnik (1999), éditions Odile Jacob ISBN : 2-7381-0681-1 Citations, résumés des propos de l’auteur, commentaires : mes notes brutes de la lecture d’un livre à lire absolument. Introduction p9 : la résilience ne se mesure que sur le long terme. D'abord il y a l'adversité, souvent rencontrée dans l'enfance, période la plus impactante dans le développement d'une personne. Puis après coup, on voit si la personne devenue adulte à une vie plombée par son passé marqué par le stress ou bien si elle a un parcours de vie plus originale et plus épanouissant que la normale. p10 : la résilience viendrait- elle de la coexistence de sentiments de souffrance et d'espoir lors de l'agression et de l'espérance dans des jours meilleurs où s'exercera sa 'vengeance'. p11 : faire un récit, donner une cohérence aux faits bruts, c'est sortir de la pure sensation et prendre le chemin d'une réflexion qui peut être féconde. "Transformer le malheur en épreuve". Résilience : 'La capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d'une adversité qui comportent normalement le risque grave d'une issue négative → définition initiale en sciences sociales citée par Boris Cyrulnik 35
  • 36. 'Les souffrances ne sont pas vaines, une victoire est toujours possible'. p12 : (...) dans le fracas de l'existence, un enfant met en place des moyens de défense interne, tels que le clivage, quand le moi se divise en partie socialement acceptée et une autre plus secrète, qui s'exprime par des détours et des surprises. "Vous avez raison, mais tout de même..." dit la personne clivée [c'est l'enmêmetempstisme contemporain]. L'enmêmtemptisme c'est le déni qui sort de l'ombre. 'Le déni permet de ne pas voir une réalité dangereuse ou de banaliser un blessure douloureuse’. p13 : 'l'ambivalence des mécanismes de défense : ils nous protègent mais on les paie.' p14 : 'Quand la douleur est trop forte, on est soumis à sa perception. On souffre. Mais dès qu'on parvient à prendre un peu de recul, dès qu'on peut en faire une représentation théâtrale, le malheur devient supportable, ou plutôt, la mémoire du malheur est métamorphosée en rire ou en œuvre d'art.' [Note : se voir en tant qu'acteur de cette pièce et non pas se revisualiser la scène comme si on était en permanence en plein dedans. Se voir soi-même au travers d'une autre personne qui a fait partie de l'événement et peut-être voir les choses de son point de vue peut aider à prendre du recul, et pourquoi par prendre les choses avec humour et rire du soi dont on voit comment il s'est planté dans cette occasion] "Je ne suis plus celui qui a été torturé... Je deviens celui qui est capable de transformer la mémoire de ma souffrance en une œuvre d'art acceptable." p16 : (...) la résilience constitue un processus naturel (...) qu'un seul milieu défaille et tout s'effondrera. Qu'un seul point d'appui soit offert et la construction reprendra. 'On ne pourra parler de résilience que longtemps après [le traumatisme]’. Citation des travaux de Werner avec les enfants d'Hawaii. → p17 : suivi de 11 enfants sur 50 ans. Vers l'âge de 45 ans huit d'entre eux deviennent des adultes épanouis. Les trois qui ont échoué n'étaient pas ceux qui avaient été le plus agressés, mais ceux qui, trop isolés, avaient été le moins soutenus. ⇒ solution préconisée : des tuteurs de développement pour l'enfant p18 : un processus de réparation où se mêle l'intellectualisation 'Pourquoi ai-je eu à tant souffrir ?' et le rêve "Comment vais-je faire pour être heureux quand même ?" La répétition [l'enfant qui voit sa vie prendre le même chemin psychosocial négatif de ses parents] n'est pas obligatoire. [et seulement si la culture les abandonne à leur triste sort travaillant ainsi à réaliser ce qu'elle avait prédit.] p20 : la délinquance comme source de résilience, la personne enfreint la loi ['vendre de la drogue'], mais par les l'argent qu'elle en obtient et redonne les moyens d'une dignité à ses proches et passent de la position de dominés à reprendre le haut du pavé sur ceux qui les ont battus. → scénario fréquent chez les gamins de rue de Bogota ou 36
  • 37. São Paulo. Ces délinquants se construisent une vie respectable et offrent à leur progéniture les meilleures conditions de vie possible, et celle-ci n'a pas recours à la drogue. p21 : 'La dépression les a contraints à la recherche du bonheur' [à propos des enfants déportés à l'âge de 5 ans et survivants de l'Holocauste] p22 : la partie de la personne qui a reçu le coup souffre et se nécrose, tandis qu'une autre mieux protégée, encore saine mais plus secrète, rassemble avec l'énergie du désespoir tout ce qui peut donner encore un peu de bonheur et de sens à vivre. L'oxymoron [association de deux termes antinomiques] devient caractéristique d'une personnalité blessée mais résistante, souffrante mais heureuse d'espérer quand même. → or l'éducation cherche à épurer l'ambivalence : on aime ou on déteste. p23 : "Chaque instant te dévore un morceau de délice [...] Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or" (L'Horloge - Les Fleurs du Mal, Baudelaire )→ description de l'alchimie de la douleur, la nécessaire rencontre qui provoque la métamorphose des grands blessés de l'âme. "Au moment où on est en train de flancher, une main qui vous reprend. C'est comme cela qu'on survit." (Geneviève Anthonioz de Gaulle). p24 : le fracas devient la valeur de référence tatouée dans la mémoire, et désormais tous les événements s'y réfèrent inévitablement. 'Un malheur n'est jamais merveilleux. C'est une fange, une boue noire, une escarre de douleur qui nous oblige à faire un choix : nous y soumettre ou la surmonter. La résilience définit le ressort de ceux qui, ayant reçu le coup, ont pu le dépasser. L'oxymoron décrit le monde intime de ces vainqueurs blessés'. p25 : dans l'instant de la compréhension on éprouve moins de haine. Les blessés de l'âme ne veulent ni haïr, ni se soumettre : ils veulent s'en sortir Chapitre 1 - l'espoir inattendu p30 : la mémoire est ainsi faite qu'un événement dépourvu de signification ne laissera aucune trace dans la mémoire. Dans un monde d'enfant, s'étonner d'une glotte, laisse une trace plus forte que la mort à venir. Le mot "mort" n'est pas encore adulte, alors qu'une glotte qui monte et descend laisse une impression durable. C'est une forte émotion pour un enfant. Les adultes inventent le passé puisqu'ils ont des idées à la place des yeux. p32 : c'est l'émotion éprouvée au moment du fait qui explique que certains événements se transformeront en souvenirs, alors que d'autres ne laisseront aucune trace. 37
  • 38. p33 : la sérénité des nourrissons dans les abris pendant les bombardements de Londres ; ils étaient dans l'abri totale des bras de la mère, si tant était que celle-ci n'était pas crispée. Plus tard quand le monde du petit sera métamorphosé par la parole, il baignera toujours dans l'émotion des autres. Mais c'est le récit qui fixera les images et leur donnera sens. L'histoire de Human Bomb, et du talent de l'institutrice qui fait passer ce moment terrible comme un jeu pour les enfants qui le vivent. p34 : c'est la présence d'un spectateur qui offre à l'enfant la possibilité de se reprendre [retravailler l'émotion sous la forme d'une mise en perspective par l'art quand il est adressé à quelqu'un d'autre [ou quand on prend le recule et qu'on se met dans la peau de l'autre/des autres pour se voir soi-même]]. p35 : pour lui l'internement fut une résurrection [un petit de 5 ans ayant vécu dans un environnement qui le privait d'interactions sensorielles pendant 6 mois, mais qu'il retrouva lors de son internement à Drancy]. Il avait été probablement plus altéré par l'isolement sensoriel provoqué par la famille qui lui avait sauvé la vie que par l'internement qui le condamnait à mort. p36-37 : l'histoire de Renate. Plaidoyer pour une justice des hommes qui considèrent le contexte des autres personnes dont l'avenir au long terme dépend de lui ? Et aussi démonstration que la résilience peut ne pas surgir, venir et partir et qu'on pourrait la susciter par exemple grâce à des activités artistiques ? p38 : Si nous étions des êtres logiques nous passerions notre temps à souffrir. En tant qu'êtres psychologiques nous attribuons à chaque événement une signification privée qui a été imprégnée en nous par notre milieu, au cours de notre développement et de notre histoire. p39 : l'agression du couple d'accueil avait libéré Albert de la dette qu'il aurait ressenti envers cette famille et aurait travaillé pour eux jusqu'à se dépersonnaliser. p40 : le pire stress c'est l'absence de stress, car le manque de vie avant la mort provoque un sentiment désespérant de vide avant le vide. La résilience, le ressort intime face aux coups de l'existence. Parfois, le fait de surmonter l'épreuve témoigne d'une aptitude émotionnelle inavouable : "Quand j'ai compris que ma mère allait mourir, mes angoisses ont disparu", me disait ce jeune homme qui, auparavant, avait été terrorisé par la présence écrasante de cette femme éclatante. p41 : la poésie est désuète pour ceux qui sont gavés, mais quand le réel est insupportable, elle prend la valeur d'une arme de survie. p42 : c'est au moment du risque de sa perte que nous découvrons avec délices notre attachement à l'objet qui, avivé par cette découverte, nous permet de serrer contre nous, avec amour, la personne qui, une heure auparavant, nous laissait indifférents. 38
  • 39. p43 : 'Il vaut mieux dire que la résilience est un processus diachronique et synchronique : les forces biologiques développementales s'articulent avec le contexte social, pour créer une représentation du soi qui permet l'historisation du sujet. Notion d'itinéraire de personnalité résiliente : elle se faufile à travers les coups du sort pour se tricoter quand même avec des appuis solides. p44 : nous sommes tous contraints de nous tricoter avec nos rencontres dans nos milieux affectifs et sociaux. La métaphore de l'épingle à nourrice : la plaque tournante de l'interdit de l'inceste nous oblige à quitter l'ordre donné par notre filiation pour tenter un nouvel ordre inventé par nos alliances. Ainsi, la culture évite le danger de l'ordre qui pétrifie, autant que celui du désordre qui pulvérise. p45 : l'abus de mémoire, par exemple, par le biais d'une génétique imaginaire (une filiation biologique improuvable) et organise un code comportemental aux effets transgénérationnels. p47 : Sans parents et sans soutien, elle n'avait pas d'autre option que renoncer à toute forme d'amour. Chaque soir [l'enfant de l'assistance publique] fréquente dans son imaginaire des parents qui ne meurent jamais. p48 : tous les enfants sans famille possèdent ce genre de trésors dérisoires ; il s'agit en fait d'un talisman. Si vraiment nous voulons soutenir ces enfants blessés, il faut les rendre actifs et non pas les gaver. Ce n'est pas en donnant plus qu'on pourra les aider mais, bien au contraire, en leur demandant plus qu'on les renforcera. p49 : pratiquement toutes les enquêtes prouvent que tout migrant devient anxieux' p50 : [A propos des enfants issus des boat-people vietnamiens ayant été accueillis en Angleterre] Une petite cohorte d'enfants réfugiés, placés en foyer, a donné un très fort pourcentage de troubles psychiatriques qui ont disparu dès qu'ils ont été adoptés. p60 : Le scénario classique vient de se dérouler. On aime les victimes tant qu'elles sont misérables parce que, en les aidant, on se sent tellement bon. Mais quand les martyrs se transforment en héros, quand ils accèdent au pouvoir, ils deviennent suspects, car il est contre nature qu'une proie se transforme en prédateur. p61 : Il y a quelque chose de honteux à être heureux quand nos parents sont en train de mourir. Or, c'est ce qui se passe pour les enfants résilients qui refusent de couler avec ceux qu'ils aiment. "Quand la mort d'un être cher libère la créativité, qui osera l'avouer ?" 39
  • 40. Les effets cumulés de petites violences chroniques (haussements d'épaules, la répétition quotidienne de petites incivilités) est plus à même d'avoir des conséquences que beaucoup de traumatismes aigus. Les petits événements chroniques ne sont pas historisables, incontrables ils façonnent plus certainement la personnalité d'un enfant par les traces non conscientes qu'ils laissent, tandis que le traumatisme aigu on peut le mettre en scène : (...) comment représenter un geste dont on ne prend pas conscience ? p70 : la transformation se fait sans peine dès qu'on peut la dessiner, la mettre en scène, en faire un récit ou une revendication militante. L'image prépare à la parole et [les] dessins [des enfants] donnent à lire la guerre. Dès l'instant où l'on peut parler du traumatisme, le dessiner, le mettre en scène ou le penser, on maîtrise l'émotion qui nous débordait ou nous glaçait, au moment du choc. C'est dans la représentation de la tragédie qu'on remanie le sentiment provoqué par le fracas. p72 : Le bonheur côtoie l'angoisse quand aucun rituel n'a appris à le gouverner. p73 : leur destin dépend du regard social. p74 : Ces enfants carencés sont tellement avides d'identification qu'il n'y a pas grand- chose à faire pour leur donner une "ligne de développement". Mais trop souvent, les cultures sont prisonnières de leurs discours publics et ne leur montrent même pas une seule étoile du berger. → rôle du personnage "initiateur" Pour l'adulte, ce n'était rien, quelques minutes de vacances pour répondre à un enfant. Pour le petit ce fut un événement énorme, fabuleux, car c'était la première fois de sa vie qu'on lui parlait gentiment et qu'il avait l'occasion d'entendre de belles histoires de fleurs. p75 : Ce n'est que lorsque le développement de leur empathie leur permet de se mettre à la place des autres et de se représenter leur [vécu des autres] que le geste prend la signification d'un [ce qu'on a fait ou bien subi]. Alors, seulement, ils commencent à [éprouver le sentiment opposé que celui vécu lorsque leurs actions s'accomplissaient]. L'apparition chez eux de [sentiments opposés que ceux vécus lorsque leurs actions s'accomplissaient] devient une preuve de leur reprise évolutive vers la condition humaine. p77 : quand l'agression vient de ceux qu'on aime, le travail de métamorphose est bien plus difficile. p78 : Or, si à partir de la fin du XVIIIe siècle, on note une chute de la mortalité des enfants, ce n'est probablement pas grâce à l'amélioration de l'hygiène ou de l'alimentation qui restaient catastrophiques, mais à cause du changement culturel de la manière de penser les bébés. Tant qu'on se dit que le fait de tuer un petit âgé de un an n'est qu'un avortement retardé, la mortalité est effrayante. Tant qu'on pense que les enfants, avant l'âge de raison, ne sont que des animaux pervers, les "accidents" mortels restent très élevés. 40