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Le Renvoi relatif à la sécession du Québec à la lumière des approches de
Hart et Dworkin
2014
Chirine Haddad
7/1/2014
1
Introduction
Comme signalé par Michel Troper, nous sommes comme individu sous l’autorité du
droit depuis la naissance; «il faut déclarer l’enfant, et le nom qu’il portera lui est attribué
conformément à certaines règles». D’autres lois exigeront qu’on lui assure une éduction
adéquate. L’usage quotidien des moyens de transports, l’achat des biens ne sont qu’une
«application d’un contrat». Le travail, le mariage, les soins médicaux sont tous régies par le
droit. Toutefois, «quoique conscient de cette omniprésence du droit et capables d’appliquer ou de
produire des règles, nous sommes souvent en peine de le définir».1
La philosophie de droit est une discipline qui examine et analyse des concepts et principes
fondamentaux du droit et des lois. « On parle de la philosophie du droit dans un sens très large
pour désigner une réflexion systématique sur la définition du droit, son rapport avec la justice, la
science du droit, la structure du système ou le raisonnement juridique »2
. De cela on peut inférer
que la philosophie du droit établit une analyse des questions fondamentales relative au droit,
parmi elle nous citons: qu’est-ce que le droit? Quel est le lien entre droit et justice? Quel est le
rapport entre droit et moral?
Mais pourquoi faut-il définir le droit?
Comme Troper l’a indiqué, « [l]a recherche d’une définition relève (…) d’une spéculation sur
la nature ou l’essence du droit. Mais elle aussi indispensable au travail même des juristes. (…)
1
Michel Troper, QUE SAIS-JE? La philosophie du droit, 1ère
éd, Paris, Presse Universitaire de France, 2003, à la p 3 [Troper].
2
Ibid à la p 7.
2
Cela tient avant tout à ce que l’on ne peut appliquer une règle avant de l’avoir identifiée comme
règle de droit.» 3
Mais qu’est-ce qui fait que le droit est le droit? Quelle sera la différence entre «l’ordre du
voleur et l’ordre du précepteur?» Tous les deux nous commandent de leur payer une somme
d’argent et, dans les deux scénarios, le refus d’obtempérer nous rend sujet à des résultats
abominables. Nous argumentons que nous sommes forcés de se conformer à l’ordre du voleur,
alors que nous avons un devoir de répondre à l’ordre du précepteur. En d’autres termes, nous
reconnaissons «l’obligation d’obéir au précepteur comme étant juridique, conformément à une
définition du droit. Cette définition n’a rien de philosophique. C’est le droit lui-même qui
détermine les critères de ce qui est juridique et ce qui, comme le commandement du voleur, n’est
qu’une violation du droit.»4
Par contre, cette information ne décrit pas la nature du droit. Les
raisons derrière ces critères adoptés demeurent inconnues, ni si ces règles sont effectivement
contraignables et si elles le sont, pourquoi elles le sont, est-ce parce qu’elles se conforment à la
justice, parce qu’elles sont édictées par une entité publique, ou parce qu’elles prévoient des
peines en cas de violation? Comment peut-on déterminer si les règles qui établissent «ce qui est
juridique sont en elles-mêmes juridiques», si elles constituent «du droit ou autres choses? Cette
question n’est pas elle-même juridique, mais philosophique »5
.
Sans être juridique, cette question peut avoir des conséquences pour le droit lui-même; selon le
politicien et le philosophe de droit allemand Gustav Radbruch,
3
Ibid à la p 3.
4
Ibid à la p 4.
5
Ibid.
3
« des parties entières du droit national-socialiste n’ont jamais obtenu le statut d’un droit
en vigueur. La qualité frappante de la personnalité d’Hitler, devenue par la suite le trait
caractéristique du «droit» national-socialiste tout entier, ce fut l’absence complète de
sens de la vérité et du droit; parce que tout sens de la vérité lui fit défaut, il sut, sans
honte ni scrupules, donner à ses discours un ton de vérité, augmentant ainsi son efficacité
d’orateur; parce que tout sens du droit lui fit défaut, il sut, sans hésiter, ériger en loi des
décisions arbitraires.»6
Pourquoi étudier la philosophie du droit?
À travers son ouvrage, Réflexion sur la philosophie du droit, l’auteur Bjarne Melkevik, souligne
que :
« les Cours suprêmes du Canada, des États-Unis et ailleurs se réfèrent de plus en plus aux
positions de la philosophie du droit, et aux écrits des philosophes du droit, et que ces
positions ne sont pas que le point de départ d’une réflexion de philosophie du droit. Nous
exacerberons l’esprit critique des étudiants si nous pouvons leur démontrer comment les
réflexions philosophiques du droit influencent les cours mentionnées plus haut et
comment ces réflexions interfèrent sur le résultat judiciaire. Les juges, en prenant
position sur l’avortement, sur le suicide assisté par un tiers, sur les droits inhérents des
peuples autochtones ou sur d’autres sujets, ne nous offrent pas autant une quelconque
«représentation ultime» »7
.
« Parmi les philosophe mis de l’avant par la Cour suprême » souligne Melkevlk, « il y a John
Stuart Mill, R. Dworkin et John Rawl, tous des auteurs issus de la tradition libérale »8
.
Ainsi le juge va arriver à trancher le litige qui lui est présenté selon sa conception de la nature
du droit. Il qualifie de droit toutes les règles qui émanent du pouvoir politique, ou celles qui ne
6
Gustave Radbruch, Introduction à « Injustice légale et droit supralégale», 13e
éd, trad par Michel Walz, Leipzig, 1980, à la p
314.
7
Bjarne Melkevik, Réflexions sur la philosophie du droit, Paris, L'Harmattan, & Ste Foy, Les Presses de l'Université Laval,
2000, à la p 13.
8
Ibid à la p 180.
4
portent pas atteinte à un idéal de justice. « Or la définition ne se trouve pas dans le droit en
vigueur, mais dépend de choix philosophiques »9
.
Le positivisme juridique constitue une des écoles de pensée en philosophie du droit qui a
dominé au cours du XXe
siècle faisant couler beaucoup d’encre. Les théoriciens du droit qui
adhèrent à cette école, parmi eux H.L. Hart, enseignent qu’ « il n’y a pas de relation nécessaire
entre le droit et la morale, ou entre le droit tel qu’il est et le droit tel qu’il devrait être10
».
Le positiviste anglais, John Austin, affirme que le droit est «une règle posée pour la gouverne
d’un être intelligent par un être intelligent qui a pouvoir sur lui »11
.
La Cour suprême dans l’affaire Bhadauria c Seneca College12
semble adopter ce courant de
pensée en refusant de reconnaitre un délit civil indépendant de discrimination, concluant que le
type de préjudice économique allégué par la demanderesse, victime d’une discrimination en
raison de son origine ethnique, n’est pas reconnu par la common law. Selon la Cour, le faite de
faire évoluer la common law « est rendue impossible par l’initiative du législateur qui, allant plus
loin que la common law, telle qu’elle existe en Ontario, a établi un régime qui, loin d’exclure les
cours, les intègre dans le mécanisme d’application prévu par le Code ». Et le juge conclu que :
« non seulement le Code empêche toute action civile fondée directement sur une
violation de ses dispositions, mais qu’il exclut aussi toute action qui découle de la
common law et est fondée sur l’invocation de la politique générale énoncée dans le Code.
Le Code lui-même établit les procédures destinées à la défense de cette politique
générale, procédure dont la demanderesse n’a pas cru bon se prévaloir. »
9
Troper, supra note 1 à la p 5.
10
Michel Troper, Pour une théorie juridique de l’État, 1ère
éd, Paris, Presse Universitaire de France, 1994, à la p 28.
11
Hart, «L’ordre du Bandit Est-il du droit? » dans Frédéric Rouvillois, Le Droit, Paris, Flammarion, 1999, à la p 148.
12
[1981] 2 RCS 181, 124 DLR (3e
) 193.
5
Ces discussions sur les rapports entre droit et morale entament deux voies distinctes.
« Elles portent d’une part sur les conditions de possibilité d’un positivisme
méthodologique qui, dans la ligne de Hart, s’entend d’une théorie du droit absolument
neutre et descriptive. Prétendant bouter les jugements de valeur hors du champ de la «
science » du droit, un tel projet continue de s’attirer les critiques de Dworkin et d’un
nombre croissant de théoriciens du droit. Le débat entre Hart et Dworkin ne se limite
toutefois pas à une discussion méthodologique ou épistémologique. Il porte également sur
des thèses substantielles relatives à la nature des liens qui unissent la morale à la validité
juridique6. Alors que les tenants du positivisme juridique contestent la nécessité d’un tel
lien, Dworkin – en cela rejoint par les théoriciens du droit naturel tels que Finnis –
soutient l’idée que le droit est consubstantiellement lié à la moralité de son contenu13
».
Cela dit, au cours des années 80, on aperçoit un virage de la Cour suprême du courant
positiviste, au courant antipositiviste représenté par Ronald Dworkin, illustrée dans le Renvoi
relatif à la sécession de Québec14
, et la question qui se pose à cet égard est: comment la Cour
suprême a adopté cette position Dowrkinienne au cours de son raisonnement?
Dans les passages qui suivent, nous allons procéder à l'analyse des 2 approches, positiviste
représentée par Hart et antipositiviste représentée par Dworkin tout en opérant une analyse brève
du Renvoi mentionné à la lumière de ces pensées philosophiques. Pour une meilleure
compréhension de ces deux auteurs il est primordial de procéder à survol sur les principes
fondamentaux du positivisme juridique.
1. Un bref survol sur le positivisme juridique
13
Bailleux Antoine, « « Hart vs. Dworkin » Actualité du « combat des chefs » dans la littérature anglo-saxonne » (2007) 59 : 2
RIEJ 173 [Bailleux].
14
[1998] 2 RCS 217, 161 DLR (4e
) 385 [Le Renvoi].
6
Suivant la définition classique établie par Simone Goyard-Fabre, le positivisme juridique est
établit comme une perception du droit qui veut qu' [il n'y a[it] de loi que posée par l'État et dans
le cadre de l'État; elle n'en appelle à aucune transcendance mais à la seule capacité
constructiviste de la raison humaine; et ce constructivisme est axiologiquement neutre."15
À
l’encontre de la métaphysique, le positivisme juridique se caractérise surtout par son
rationalisme, son neutralisme. Cette approche fonde une distinction entre le droit qui «est» du
celui qui «doit être» et, dans cette perspective, attribue aux juristes la tâche de se relier au
premier plutôt qu'au second16
. Il en résulte une théorie du droit, qui, notamment, figure le droit
comme un système clos et autonome et, au surplus, une idéologie qui dissocie le droit du juste ou
dissout ce dernier dans la loi. On repère surtout dans cette définition due à Michel Troper
l’évocation des trois axes du positivisme; celui-ci conçoit le positivisme « tantôt une conception
de la science du droit, tantôt une théorie du droit, tantôt une idéologie »17
Évidemment, cette
définition démontre combien les facettes du positivisme juridique sont plus exubérantes que
celles que nous maintenons ici.
Notons que selon les positivistes, le droit demeure un fait social objectif que l'on peut repérer
et exposer comme n'importe quel autre fait social empirique. Les positivistes peuvent le
reproduire en utilisant divers conceptions, tels que la conception de norme, de règle valide, de
source formelle (les actes des parlements, les décisions judiciaires, les pratiques sociales
coutumières, par exemple), la notion d'intention psychologique ou de test fondamental qui
15
Simone Goyard-Fabre, "La fondation des lois civiles" (1993) 49:1 Laval théologique et philosophique 105 à la p. 110.
16
Herbert Lionel Adolphis Hart, The Concept of Law, 2e
éd, Oxford, Clarendon Press, 1994 (Dans les pays de tradition civiliste,
le théoricien positiviste du droit le plus connu fut probablement Hans Kelsen, alors que dans les pays de common law, cette
influence revient sans doute à Herbert Hart).
17
Troper, supra note 1 à la p 19.
7
détermine de manière définitive la validité formelle des règles de droit et les conditions de
validité des propositions de droit (les commandements d'un souverain, les règles de
reconnaissance, la norme fondamentale, par exemple). Mais dans tous les cas, la théorie du droit
érigée est censée décrire ou indiquer correctement le droit tel qu'il est en fait.18
Cette dissociation du juste/dissolution dans la loi, entraîne du coup une renonciation à l'exercice
d'une décision normative sur les normes elles-mêmes, sur leur légitimité, ce qui pousse un auteur
à souligner que "[l]a thèse du positivisme juridique et politique au sens strict consiste dans le
blanc-seing ou consentement illimité à une entité juridique ou politique."19
Certes, rares sont les
juristes qui se tiennent à une approche aussi stricte, voire puriste, du positivisme20
. Mais cette
idée d’assujettissement illimité au pouvoir politique, nous conduit vers des critiques que
formulent certains juristes à l'encontre du positivisme juridique. Eux qui se révoltent contre les
injustices, légitimités par le droit auquel tant de groupes ont obéit au cours de l'histoire, ils
attaquent cette conception du droit qui entrave leur quête de justice en affermissant le dogme de
ce qui «est», avec tout ce que cela suppose en termes de soumission et de perpétuité de l'ordre
établi21
.
« Mais revenons-en à cette représentation archétypale et plus précisément à l'image que
18
Luc B. Tremblay, « Le positivisme juridique versus l’herméneutique juridique » (2012) 46 : 2 RJT 249.
19
Otfried Höffe, La justice politique. Fondement d'une philosophie critique du droit et de l'État, traduit par Jean Christophe
Merle, Paris, Presses Universitaires de France, 1991 à la p. 12.
20
Voir L. Fuller, The Morality of Law, éd. rév., New Haven, Yale University Press, 1969 (Par exemple, Lon Fuller s'érigea en
faux contre les théories accréditant cette façon de penser le droit. Il proposa ainsi que, pour qu'une norme puisse être qualifiée de
juridique, il fallait qu'elle réponde à des impératifs moraux internes).
21
Voir Michelle Villey, Leçons d'histoire de la philosophie du droit, 2e
éd, Paris, D France, 1962 à la p 79 (Pour montrer le
danger que causent la soumission et la passivité dont peut être porteuse une trop grande concession à la norme positive, Michel
Villey donnait l'exemple des règles iniques édictées par une « dictature brutale ». l’abandon de la réflexion sur la justice mènerait
en bout de ligne à une «[a]cceptation de la force qui créerait le droit »).
8
les juristes se sont forgés de leur fonction sociale dans la foulée de l'émergence
du positivisme juridique. Comme une peau de chagrin, leur mission s'est rétrécie au point
d'être confinée à l'exégèse des sources du droit étatique. Du même coup, ils ont renoncé
au rôle de "sages" qu'ils avaient joué pendant des siècles. Les considérations plus
philosophiques sur la qualité des normes posées, par exemple en termes d'adéquation à la
réalité sociale, ou sur leur justice intrinsèque furent à toutes fins pratiques oubliées. La
définition même de la normativité juridique a aussi été affectée par cette approche, l'idée
de droit ayant été subsumée sous celle de droit positif étatique. Cette acceptation par les
juristes d'un rôle de descripteurs-commentateurs du droit légiféré ou jurisprudentiel a
longtemps conditionné l'orientation de leurs travaux savants. Ainsi, ces travaux ont
généralement été entrepris dans une perspective strictement dogmatique, qui permet le
développement "(...) [d']un point de vue externe descriptif rendant compte du point de
vue interne des sujets de droit." Or, une approche exclusivement descriptive, qui évacue
d'emblée toute velléité d'évaluation externe du point de vue interne des acteurs du
système juridique, ne peut que mener à la création d'un cercle vicieux intellectuel. C'est
d'ailleurs ce que croient certains auteurs, qui estiment que l'épistémologie positiviste a
freiné, pour ne pas dire tué la créativité juridique. Si cela s'est vérifié tout
particulièrement dans les juridictions de droit romano-germanique, celles de droit anglo-
saxon n'ont pas non plus été épargnées. Là aussi, "[l]'orthodoxie a été valorisée aux
dépens de l'originalité" [notre traduction].
Ainsi figée dans ses confortables certitudes, l'épistémologie positiviste du droit fera de
l'étude de cette discipline un long fleuve tranquille. Pendant longtemps, toute tentative de
remise en question sera reléguée en périphérie de la pensée juridique. En exagérant à
peine, on pourrait même dire que, dans le royaume du droit, le questionnement
épistémologique a longtemps relevé de la sédition. Par le fait même, les études propres à
susciter un tel questionnement seront considérées avec suspicion. Les recherches
"externes", c'est-à-dire les recherches interdisciplinaires, empiriques ou non, subiront ce
sort. Ainsi, ne pourra vraiment être objective -- et juridique -- que l'étude dans le droit, et
non l'étude sur le droit, cette dernière pouvant corrompre la première en favorisant
l'immixtion de considérations non juridiques susceptibles de remettre en question
l'objectivité postulée du "vrai" droit. D'où, comme on l'a noté, l'"isolationnisme
intellectuel" du droit, dont l'objectivisme mène en bout de ligne au conformisme.»22
Cela dit, dans les pays de droit anglo-saxon, le théoricien positiviste le plus influent du XXe
siècle fut Herbert Hart. Et cela nous invite à une étude approfondie de sa propre approche du
22
Jean-François Gaudreault-DesBiens, «Identitarisation du droit et perspectivisme épistémologique. Quelques jalons pour une
saisie juridique complexe de l'identitaire» (2000) 13 Can JL & Jur 33.
9
positivisme juridique qui a acquis une grande importance en common law; Hart parait un des
plus important philosophes du droit contemporain.
2. Herbert Hart : le positivisme juridique contemporain
Né en Angleterre en 1907, Herbert Lionel Adolphis Hart fit ses études en littérature, l’histoire
ancienne, et la philosophie à Oxford et il pratiqua le droit pendant 8 ans. Durant la 2ème
guerre
mondiale, Hart rencontra 2 professeurs en philosophie nommés avec lui pour le service de
military intelligence : Gilbert Ryle et Stuart Hamsphire. Affecté par leur courant de pensée
rénovateur de la philosophie spéculative et métaphysique, et par la «philosophie du langage
ordinaire défendue par J.L Austin, Hart publie son ouvrage de The Concept of Law, considéré un
des plus grand ouvrage de l’histoire de la philosophie du droit.23
Dans son livre, Hart a développé ce que d’autres ont appelé la théorie des sources24
tout
en définissant le droit comme «l’union de deux types de règles sociales : primaires et
secondaires». Les règles primaires du droit, selon Hart, visent à interdire certains
comportements et à imposer d’autres. Tandis que les règles secondaires qui « jointes aux
règles primaires, servent de remèdes à l’incertitude, le statisme, et l’inefficacité d’un
système juridique jusque-là élémentaire et primitif » en d’autres termes, les règles
secondaires permettent de façonner, rectifier ou résilier les règles primaires. Les règles
primaires établissent des obligations tandis que les règles secondaires accordent des
pouvoirs.25
Mais comment peut-on identifier les règles qui comptent vraiment comme «
règles de droit »? Hart indique que ce processus se déroule par le biais d’une règle de
reconnaissance adoptée par les praticiens du droit, notamment les tribunaux, qui assigne
certains critères : en Angleterre par exemple, font partie du système juridique, les lois
23
François Blais, « La philosophie du droit de H.L. A. Hart » (1993) 8 : 2 RCDS 1.
24
Troper, supra note 1 aux pp 86-88 (« L’expression « sources du droit », née dans la doctrine allemande du XIXe siècle, désigne
aussi bien les divers modes de créations de règles que les classes de règles désignées par la manière dont elles ont été créées. (…)
La doctrine juridique classique reconnait deux sources du droit interne- en droit international, la question se pose dans des termes
différents - la loi et la coutume »).
25
Ibid à la p 9.
10
promulguées par le parlement ou les règles qui découlent d’un acte du parlement. La
règle de reconnaissance, comme l’indique Hart, n’est pas formulée expressément. Son
existence dépend de la pratique judiciaire et d’autre autorité officielle. Elle ne vise pas à
établir la validité des autres règles mais seulement leur simple existence et par la suite
leur appartenance au système. «C’est la constatation de la règle de reconnaissance qui
permet à la science du droit de déterminer les limites de son objet, puisque les règles qu’il
s’agit de décrire sont celles qui sont identifiées par les tribunaux ». Mais la règle de
reconnaissance ne peut être présumée : « elle est une pratique sociale constatée par la
science du droit ». 26
Selon Hart,
« [l]e droit comme système de régulation des comportements tient sa «normativité» de la
règle de reconnaissance. Cette règle est ultime en ce sens que sa force dépend de son
acceptation par une communauté particulière plutôt qu’à sa conformité avec d’autres
règles. Il ne peut exister aucune règle antérieure justifiant sa validité. Elle reste aux yeux
de plusieurs commentateurs la pièce maitresse du positivisme juridique hartien ».27
Mais l’un des problèmes les plus courants auquel la philosophie de droit fut confrontée depuis
longtemps, a été de déterminer le pouvoir exercé par les juges dans l’interprétation du contenu
des règles juridiques. Hart introduit pour la première fois dans son ouvrage, The Concept of Law,
la notion de texture ouverte. Le recours à cette notion a pour fin d’établir que « le principe que le
droit n’est pas et ne devrait pas être compris comme un système fermé et complètement clos ».
La notion de « texture ouverte », constitue une hypothèse selon laquelle les mots n'ont pas de
signification contextuelle fixe. Hart prévoit que les règles de droit ont des contours flous, et cela
revient au fait qu’une règle de droit ne prend pas en considération que les cas les plus fréquents,
et lorsque là-dessus survient un cas en dehors des termes généraux de la règle, on est alors en
droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas, de rétablir l’omission et de se faire l’interprète
pour déterminer l’application ou non de ces termes à la situation particulière. « Dans ces
26
Ibid à la p 53.
27
Blais, supra note 23 à la p 10.
11
situations embarrassantes, où il existe aussi bien des raisons d’accepter que de refuser
l’application d’un terme, on doit s’en remettre à une instance décisionnelle qui choisira sur les
bases entre autres d’une «appréciation» de la nature de la portée, et des motifs à l’origine de la
règle ».28
Dans son ouvrage, The Concept of Law, Hart écrit que
« [d]ans tout système juridique, un champs étendu et important est laissé ouvert à
l’exercice du pouvoir d’appréciation des tribunaux et autres autorités, qui consiste à
préciser des directives originellement vagues, à résoudre les indéterminations contenues
dans la loi, ou à étendre et à restreindre la portée des règles que les précédents
obligatoires ne font que transmettre grossièrement ».29
« La doctrine hartienne de la discrétion judiciaire - comme l’indique l’auteur Blais - est tributaire
de sa conception du langage juridique comme texture ouverte »30
.
S’appuyant sur la notion de « texture ouverte » de Hart, Antoine Jeammaud y a vu
« l’opportune dénonciation du ‘fétichisme de la solution unique’, la découverte qu’interpréter
consiste moins à découvrir le sens d’un énoncé qu’à donner un sens à celui-ci par une opération
qui est affaire de volonté autant que de connaissance »31
. Benoit Frydman, de son côté, a bien
résumé la conception hartienne de l’interprétation, en rappelant la distinction dont il part entre
des « cas simples » qui ne requièrent « aucune interprétation » et des « cas limites » dont la
solution « requiert un choix et donc une décision ». Il précise encore que « Hart ne fournit aucun
28
Ibid à la pp 20.
29
Herbert Lionel Adolphis Hart, Le Concept de Droit, traduit par Michel van de Kerchove, Bruxelles, Facultés universitaires
Saint-Louis, 1976, à la p 244.
30
Blais, supra note 23 à la p 23.
31
A. Jeammaud, « L’ordre, une exigence du droit? » dans P.Ancel et M. Cl Rivier, dir, Les divergences de jurisprudence,
Université de Saint-Etienne, 2003 à la p 20.
12
critère permettant de distinguer les bonnes décisions des mauvaises (no right answer)32
. Et pour
Hart si la réponse n’est pas dans les termes généraux des règles de droit, le juge peut utiliser sa
discrétion.
Cela dit, la conception hartienne a pour conséquence de confier aux tribunaux une fonction de
«créer des lois»33
, puisque dans les cas difficiles le juge n’est pas en train d’appliquer le droit, il
est en train de le créer.
Un cas difficile apparaît en droit quand, dans un litige, aucune règle juridique ne s’applique, ou
quand plusieurs règles paraissent valides sans qu’on puisse simplement opérer un choix entre
elles. Dans ce cas, puisque les règles sont imprécises, vagues ou silencieuses, le juge doit dire
plus que ce que les règles seules impliquent. C’est cette marge de manœuvre confiée au juge par
les règles que désigne la notion de pouvoir discrétionnaire: en absence de règle claire, le juge
peut agir à partir de son pouvoir normatif pour trancher le cas difficile qui lui est soumis. Selon
cette définition, largement reconnue dans le langage juridique courant, le juge n’intervient
personnellement que dans les cas limites, c’est-à-dire dans les cas qu’on appelle difficiles par
opposition aux cas ordinaires.
 Dans son ouvrage The Concept of Law Hart parait le représentant du positivisme
contemporain suivant les nombreuses idées qu’il a développées, parmi elles nous
mentionnons:
Une critique de la théorie de John Austin que la loi est le commandement du souverain
forcée par la menace de sanctions.
32
Benoit Frydman, Le sens des lois. Histoire de l’interprétation de la raison juridique, Bruxelles, Bruylant, 2005, à la p 567.
33
Blais, supra note 23 à la p 23.
13
 Une distinction entre les facteurs internes et externes de la loi et des règles, à proximité
de (et influencés par) la distinction de Max Weber entre le sociologique et les
perspectives morales de droit.
 Une distinction entre les règles sociales primaires et secondaires, tels qu'une règle
primaire régit la conduite, comme le droit pénal et une règles secondaires régissant les
méthodes de procédure par lequel les règles primaires sont appliquées, de poursuites et
ainsi de suite. Hart énumère spécifiquement trois règles secondaires; ils sont:
La règle de reconnaissance, la règle selon laquelle tout membre de la société peut
vérifier afin de découvrir ce que les règles primaires de la société sont. Dans une
simple société, Hart dit, la règle de reconnaissance peut être que ce qui est écrit
dans un livre sacré ou ce qui est édicté par un souverain. Hart annonce le concept
de règle de reconnaissance comme une évolution de la «norme fondamentale» de
Hans Kelsen.
La règle du changement, la règle selon laquelle les règles primaires existantes
pourraient être créés, modifiés ou supprimés.
La règle de décision, la règle selon laquelle la société peut établir le moment où
une règle a été violée et prescrire un remède.
Par ailleurs, une critique judicieuse a également été adressée à Hart par un autre théoricien
antipositiviste contemporain du droit qui a influencé amplement la Cour suprême canadienne dès
les années 80: Ronald Dworkin.
14
Dworkin est à la fois de nationalité américaine et un des partisans du constitutionnalisme, ce qui
marque doublement sa pensée : il examine le raisonnement du juge dans le contexte particulier
de la common law et prend spécifiquement pour objet le droit constitutionnel américain. La
pensée de Dworkin se marque dans un débat propre à la théorie du droit américaine, qui se
formule autour de la problématique des cas difficiles (hard cases) et du pouvoir discrétionnaire
du juge abordés par Hart.
Pour une meilleur compréhension de ce débat, nous exposons cette ligne de pensée
Dworkinienne, tout en exposant sa critique au courant positiviste représenté par Hart, et le rôle
qui doit être conféré aux tribunaux dans l’interprétation des règles de droit, surtout dans « les cas
difficiles ».
3. La pensée Dworkiniènne ou l’antipositivisme Dworkinnien
Selon Dworkin, le droit ne se compose pas uniquement de normes, il comprend aussi des
principes. Afin de distinguer entre norme et principe, Dworkin cite une décision de la Cour
d’appel de New York qui date depuis 1889 dans l’affaire Riggs c Palmer. Un homme avait tué
son grand-père pour qu’il puisse l’hériter. Après sa condamnation, celui-ci prétend qu’il a droit
dans le patrimoine de son grand-père puisqu’il est désigné comme héritier par ce dernier.
Comme l’indique Dworkin, la prétention de cet assassin est bien fondée suivant les règles en
vigueur puisque rien n’est mentionné sur l’état mental ou le casier judiciaire des héritiers. Une
stricte fidélité au droit testamentaire prescrirait que ce meurtrier touche l’héritage. Néanmoins, le
15
tribunal rejette sa prétention par application d’un principe non-écrit, sel lequel, nul ne peut tirer
profit du mal qu’il a fait. Dworkin tire de cette décision les conclusions suivantes34
:
« a/ à la différence des règles ou normes, qui sont proposées et qui expriment la volonté
d’une autorité, le principe n’est pas posé, mais découvert par le juge;
b/ alors qu’on obéit ou non à la norme en adoptant ou non la conduite prescrite,
l’obéissance au principe est susceptible de degrés;
c/ le principe est de nature morale;
d/ il n’est pas universel, car il y a bien des cas où l’on peut profiter du mal qu’on a fait [le
principe de la prescription acquisitive est un exemple fourni par Dworkin : si quelqu’un
passe illégalement sur un bien-fonds pour une période de temps assez longue, il finirait
par acquérir le droit de le traverser autant qu’il le plaira].
e/ le principe permet de suspendre l’application d’une règle valide ou de lui apporter des
exceptions ».
L’existence des principes juridiques qui se distinguent des normes entraine pour Dworkin une
remise en cause du positivisme.
Selon le positivisme, le droit est un ensemble de normes et les juges n’ont qu’à les appliquer
aux litiges qui leur sont présentés. Mais, comme dans les cas difficiles désignés par Hart, les
règles en vigueurs, ne contiennent pas la solution puisqu’elles renferment des termes généraux
qui s’appliquent de façon générale, sans prévoir certaines situations particulières. Cela mène les
juges à trancher le litige d’une façon discrétionnaire. À cela s’oppose Dworkin.
«La thèse de Dworkin conduit au contraire à admettre, que même dans les cas difficiles,
le juge peut toujours trouver la solution dans le droit en vigueur. Il lui suffit de
découvrir un principe applicable. Le plus souvent, il ne s’agira pas d’un principe posé.
Le juge le découvre par un effort d’abstraction à partir de l’ensemble du droit. En effet,
comme les principes constituent le fondement des règles, la connaissance des règles
peut conduire à la découverte des principes qui les fondent. Il y a ainsi, pour tout litige,
34
Troper, supra note 1 à la p 73; Ronald Dworkin, «le positivisme» (1985), 1 Dr et Soc 42 [Dowrkin-Positivisme].
16
une seule solution correcte, une seule « bonne réponse », et le juge ne dispose d’aucun
pouvoir discrétionnaire35
».
En d’autres termes, Dworkin souligne que lorsque les positivistes maintiennent que les juges
peuvent utiliser leur pouvoir discrétionnaire lorsqu'ils sont rapprochés par des cas difficiles, ils
sont contraints de faire appel à la théorie du pouvoir discrétionnaire dans son "sens fort", c'est-à-
dire que « sur un problème donné [le juge] n'est tout simplement pas lié par des standards établis
par l'autorité en question ». Cette façon d'envisager le pouvoir discrétionnaire signifie que les
juges devront utiliser d'autres standards que les règles afin de fonder leurs jugements ".36
Les positivistes, selon Dworkin, doivent nécessairement présenter de quelle façon les principes
qui dirigent le pouvoir discrétionnaire des juges, qui ne sont pas a priori formulés par une règle
de droit conformément au test de reconnaissance, peuvent s'établir malgré tout dans cet ordre
juridique. Cette exigence est d'autant plus cruciale que Dworkin retrace que dans plusieurs cas,
les juges changent ou modifient complètement une règle de droit existante en s'appuyant sur des
principes. L'incapacité des positivistes à exposer comment ces standards peuvent provenir
ultimement de la règle de reconnaissance abolit, selon lui, l'ensemble de leur théorie reposant sur
le test de pedigree. Ainsi faut-il conclure, croit Dworkin, que si l'on admet les principes comme
étant du droit, on doit contester le postulat positiviste selon lequel « le droit d'une communauté
se distingue des autres normes sociales à l'aide d'un test qui prend la forme d'une règle
fondamentale »37
.
35 Troper, Ibid à la p 74.
36
Dworkin -Positivisme, supra note 34 à la pp 51.
37
Ronald Dworkin,« Prendre les droits au sérieux », trad par Marie-Jeanne Rossignol et Frédéric Limare, Paris, Presses
Universitaire de France, 1995 .
17
À cela s’ajoute une autre critique du positivisme de la part de Dworkin qui opère une séparation
du droit de la morale, puisque « les principes qui font partie du droit, sont, selon lui de nature
morale38
».
«La thèse de la séparabilité du droit et de la morale – dénommée ci-après « thèse de la
séparabilité » – est au cœur du désaccord entre Hart et Dworkin. Le premier considère
que la légalité d’une règle n’est pas nécessairement liée à la moralité de son contenu.
(…) Très vite, Dworkin s’inscrit en faux contre cette tentative d’explication de la
normativité juridique. Dans le « modèles des règles », il conteste la valeur explicative de
la théorie de Hart. Il fait observer que dans de nombreuses situations, et tout
particulièrement dans les « cas difficiles », les juristes «(…) font appel à des normes qui
ne fonctionnent pas comme des règles mais opèrent différemment, comme des principes
(…) ». Ainsi en est-il par exemple du principe selon lequel « nul ne peut tirer profit du
mal qu’il a causé ». Contrairement aux « règles » identifiées dans Le Concept de Droit,
les « principes » expriment toujours des exigences morales, généralement inspirées par
des considérations de justice et d’équité. À l’inverse des règles, qui s’appliquent selon
une logique du « tout ou rien », les principes « (…) indique[nt] plutôt une raison d’aller
dans un sens, mais non pas de prendre nécessairement une décision particulière ». Les
principes se distinguent encore des règles en ce que leur normativité est graduelle,
dépendante de leur poids ou de leur importance. Deux principes contradictoires peuvent
donc parfaitement s’appliquer à une même affaire, conduisant le juge à opérer un délicat
arbitrage. Dworkin reproche à Hart de ne pas rendre compte de l’existence de ces
principes. En considérant qu’en dehors des règles, il n’y a rien hormis le pouvoir
discrétionnaire du juge, Hart ignore un pan essentiel de la pratique juridique. »39
Pour conclure, Dworkin considère que, là où il y a une incertitude et les règles de droit ne
s’appliquent pas, il faut creuser ou aller plus loin. S’il n’y a pas une règle qui s’applique à un cas
« difficile », on applique des principes qui sous-tendent les règles, et là où il n’y a pas une
réponse juridique on essaie de comprendre le système juridique pas seulement au niveau des
règles, mais au niveau des principes et on tente d’identifier ces principes comme la primauté de
droit ou comme la séparation du pouvoir ou comme «nul ne devrait bénéficier de sa propre
turpitude». On va utiliser ces principes pour trouver des réponses. Ça c’est la technique qu’on est
38
Troper, supra note 1 à la p 74.
39
Bailleux , supra note 13 à la pp 173-220.
18
en train d’apprendre, parce que Dworkin a dominé depuis les années 80. Et Dworkin a même dit
que même si les principes échouent de fournir la bonne réponse ou là où il y a 2 ou 3 principes
qui entrent en contradiction, on peut aller plus loin dans «background political morality», où le
juge peut trouver la réponse dans le libéralisme qui existe aux États-Unis par exemple. Donc
pour Dworkin il y a toujours une bonne réponse juridique, et une décision judiciaire, n’est ni un
acte de sujétion total à la lettre du texte et au désir de son auteur, ni un acte arbitraire par lequel
le juge exprimerait librement ses propres préférences.
Cela dit, le courant de pensée représenté par Dworkin a influencé une des grandes décisions
rendue par la Cour suprême canadienne en 1998, parmi elle, le Renvoi relatif à la sécession du
Québec dont nous présentons un résumé et une analyse en se fondant sur cette approche
Dworkinienne.
3. L’analyse du Renvoi relatif à la sécession du Québec à la lumière de
l’approche Dworkinienne
Selon la pensée de Dworkin, « le juge, certes tranche les conflits en faisant appel à des
principes, mais il trouve ces principes dans le droit même40
».
Dans le renvoi relatif à la sécession du Québec [Le Renvoi], la province de Québec veut se
séparer du Canada et donc demande à la Cour suprême de Canada s’il est possible en droit de
procéder à une sécession unilatérale. La principale question en litige soumise à la Cour par le
40
Ronald Dworkin, « Intégrité judiciaire, intégrité législative et simple cohérence », dans Gabrielle Radica, La Loi, Paris,
Flammarion, 2000, à la p 171.
19
Québec était comme suit : l’assemblée nationale peut-elle, en vertu de la constitution, procéder
unilatéralement à la sécession du Québec au Canada?
En répondant à cette question justiciable, la Cour a posé un précepte important; la Constitution
n'est pas simplement un texte écrit. Elle comprend tout un système de règles et principes qui
gouvernent l'exercice du pouvoir constitutionnel. Une lecture superficielle de certains articles
particuliers de la Constitution, sans plus, pourrait induire en erreur. Il faut procéder à un
examen plus approfondi des principes sous-jacents qui fondent l'ensemble de la Constitution
canadienne, dont le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit,
ainsi que le respect des minorités41
. Ces principes doivent orienter notre évaluation globale des
droits et obligations constitutionnels qui entreraient en jeu si une majorité claire de Québécois,
en réponse à une question claire, votaient pour la sécession.
Les principes énumérés par la Cour dans ce Renvoi, tirent leur origine du préambule de la Loi
constitutionnelle de 186742
, un acte considérée par la Cour comme étant :
« un acte d'édification d'une nation. Elle était la première étape de la transformation de
colonies dépendant chacune du Parlement impérial pour leur administration en un État
politique unifié et indépendant où des peuples différents pouvaient résoudre leurs
divergences et, animés par un intérêt mutuel, travailler ensemble à la réalisation
d'objectifs communs. Le fédéralisme était la structure politique qui permettait de
concilier unité et diversité »43
.
En exposant la nature de ces principes sous-jacents la Cour indique que
41
Le Renvoi, supra note 14 au para 32.
42
Loi Constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, ann II, n°5.
43
Le Renvoi, supra note 14 au para 43.
20
« [n]otre Constitution est principalement une Constitution écrite et le fruit de 131 années
d'évolution. Derrière l'écrit transparaissent des origines historiques très anciennes qui
aident à comprendre les principes constitutionnels sous-jacents. Ces principes inspirent
et nourrissent le texte de la Constitution: ils en sont les prémisses inexprimées. (…)Ces
principes déterminants fonctionnent en symbiose. Aucun de ces principes ne peut être
défini en faisant abstraction des autres, et aucun de ces principes ne peut empêcher ou
exclure l'application d'aucun autre44
».
« Bien que ces principes sous-jacents ne soient pas expressément inclus dans la
Constitution, en vertu d'une disposition écrite, sauf pour certains par une allusion
indirecte dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, il serait impossible de
concevoir notre structure constitutionnelle sans eux. Ces principes ont dicté des aspects
majeurs de l'architecture même de la Constitution et en sont la force vitale45
.»
« Ces principes guident l'interprétation du texte et la définition des sphères de
compétence, la portée des droits et obligations ainsi que le rôle de nos institutions
politiques. Fait tout aussi important, le respect de ces principes est indispensable au
processus permanent d'évolution et de développement de notre Constitution, cet
[TRADUCTION] «arbre vivant» selon la célèbre description de l'arrêt Edwards c.
Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124 (C.P.), à la p. 136. Notre Cour a indiqué
dans New-Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée
législative), [1993] 1 R.C.S. 319, que les Canadiens reconnaissent depuis longtemps
l'existence et l'importance des principes constitutionnels non écrits de notre système de
gouvernement »46
.
Cet extrait de la décision reflète clairement l’approche Dworkinienne vis-à-vis les principes
non-écrits qui considère qu’ « [u]ne fois qu’on a identifié les principes comme une espèce
distincte de standard, on prend tout à coup conscience qu’ils sont présents tout autour de nous47
».
La Cour poursuit son exposé de la nature de ces principes comme suit :
« Des principes constitutionnels sous-jacents peuvent, dans certaines circonstances,
donner lieu à des obligations juridiques substantielles (ils ont «plein effet juridique» selon
les termes du Renvoi relatif au rapatriement, précité, à la p. 845) qui posent des limites
substantielles à l'action gouvernementale. Ces principes peuvent donner naissance à des
44
Ibid au para 49.
45
Ibid au para 51.
46
Ibid au para 52.
47
Dowrkin-Positivisme, supra note 34 à la p 48.
21
obligations très abstraites et générales, ou à des obligations plus spécifiques et précises.
Les principes ne sont pas simplement descriptifs; ils sont aussi investis d'une force
normative puissante et lient à la fois les tribunaux et les gouvernements48
».
Cela nous rappelle de la perception de Dowrkin où
« [l]e droit, pour lui, constitue plus qu’un système de règles et qu’un corpus de textes.
C’est une entreprise politique en cours, qui comporte des normes qui ne sont pas toujours
explicites dans les textes. Par conséquent, le droit établi et les textes de loi n’épuisent pas
le droit dans son ensemble. De plus, les faits eux-mêmes ne peuvent être interprétés de
manière neutre. Ils font nécessairement l’objet d’une appréhension, d’une
«précompréhension» en termes herméneutiques, qui est elle-même déjà soumise à nos
postulats théoriques. En d’autres termes, nous n’avons jamais accès aux faits « purs »49
.»
La pensée dworkinienne est décrite par Paul Amselek, comme suit :
« [pour Dworkin], le droit en vigueur à chaque instant dans une société donnée est
complet, car il est possible, à partir des différentes règles qui le composent, de tirer des
principes implicites plus généraux permettant de résoudre tous les cas susceptibles de se
présenter. Aucune démarche véritablement inventive ne serait donc nécessaire de la part
des interprètes et praticiens du droit, et notamment de la part des juges : il suffirait de
savoir tirer l'implicite objectivement contenu dans l'explicite. Si nous n'y parvenons par
toujours en pratique, c'est seulement par suite d'une défaillance de nos capacités
intellectuelles ; mais un juge surdoué aux capacités appropriées [...] pourra le faire sans
difficulté »50
.
La théorie de Dworkin semble remplacer celle de Hart (déjà exposée) qui croit à la théorie du
pouvoir discrétionnaire des juges dans son "sens fort", c’est-à-dire que « sur un problème donné
[le juge] n'est tout simplement pas lié par des standards établis par l'autorité en question ». Dans
le présent Renvoi, La Cour suprême a creusé dans le texte de la Constitution afin de repérer une
justification pour la création de nouvelles règles : elle a conclu que le préambule de la Loi
48
Le Renvoi, supra note 14 au para 54.
49
Julie Allard, « Interprétation, narration et argumentation en droit : le modèle du roman à la chaîne chez Ronald Dworkin »,
dans Emmanuelle Danblon, Emmanuel de Jonge et Ekaterina Kissina, dir, Argumentation et narration, Bruxelles, Université de
Bruxelles, 2008, à la p 71.
50
P. Amselek, "À propos de la théorie kelsénienne de l'absence de lacunes dans le droit" dans La pensée politique de Hans
Kelsen, Cahiers de philosophie politique et juridique, no 17, Caen (Fr.), Centre de publication de l'Université de Caen, 1990 à la
p. 122.
22
constitutionnelle de 1867 invite les tribunaux à combler le vide dans le texte écrit. Donc la Cour
suprême a justifié sa décision sur la base d'une règle qui avait une source juridique, le préambule
de la Constitution.
Ce processus adopté par la Cour suprême se conforme avec le concept de pouvoir
discrétionnaire, tel que décrit par Dworken qui dit ceci :
« [l]e concept du pouvoir discrétionnaire ne convient vraiment que dans un type de contexte :
quand quelqu’un est chargé de prendre des décisions soumises à des standards émis par une
autorité particulière. (…) Le pouvoir discrétionnaire, comme le trou dans le gruyère, n’existe
pas, si ce n’est dans un espace laissé vide par les limites qui l’entourent51
.»
Ultérieurement, La Cour suprême a établi que ces « principes non écrits de la Constitution ont
bel et bien une force normative…puissante et lient à la fois les tribunaux et les
gouvernements52
».
Ainsi, la Cour suprême, pareillement à Dowrkin, considère les principes juridiques non-écrits
comme des règles juridiques, en indiquant que certains d’eux sont juridiquement obligatoires et
doivent être respectés par les juges et les praticiens du droit, qui ont le mandat de décider des
obligations juridiques. En suivant cette approche, la Cour considère que le « droit » comporte des
principes aussi bien que des règles.
51
Ronald –Positivisme, supra note 34 à la p 51.
52
Lalonde c Ontario (2001), 56 O.R. (3d) 577 para 116, 208 DLR. (4e
) 577.
23
Conclusion
Les conceptions positivistes et contemporaines du droit contribuent d'arrière-plan à la pensée
de Ronald Dworkin, qui veut d'emblée s'en démarquer. Il n'est pas facile de résumer sa réflexion
sur le droit : elle a un caractère tautologique, ayant été exprimée en plusieurs ouvrages et articles
sous une forme qui a évolué entre 1970 et aujourd'hui. En d'autres termes, Dworkin, à l'inverse
de Hart, n'est pas l'homme d'un seul livre. George Fletcher a écrit que l'axe Dworkin/Hart
ressemble aujourd'hui à ce que fut autrefois l'axe Blackstone/Bentham (à une génération de
distance, comme Hart et Dworkin) ou, plus loin encore, l'axe Coke/Hobbes (eux aussi à une
génération de distance). Dworkin symboliserait aujourd'hui le jurisprudence of rights.
Un tour d’horizon des différentes décisions de la Cour suprême mous révèle que tout de suite,
entre 1981 et 1997 la Cour a passé du positivisme à un antipositivisme qui est maintenant
accepté par celle-ci, et on va souvent plaider des principes. Nous pouvons remarquer que la Cour
suprême au Canada se réfère de plus en plus aux positions de la philosophie du droit, ou aux
écrits des philosophes du droit comme dans l’arrêt Oaks de 1986, où le juge en chef adopte une
conception morale du contrôle judiciaire, conception qui traduit la pensée antipositiviste
contemporaine incarnée par Dworkin, comme suit :
« [l]es tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une
société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité
inhérente de l'être humain, la promotion de la justice et de l'égalité sociales, l'acceptation
d'une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et
la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des
particuliers et des groupes dans la société. Les valeurs et les principes sous-jacents d'une
société libre et démocratique sont à l'origine des droits et libertés garantis par la Charte et
constituent la norme fondamentale en fonction de laquelle on doit établir qu'une
restriction d'un droit ou d'une liberté constitue, malgré son effet, une limite raisonnable
dont la justification peut se démontrer53
.»
53
R c Oakes, [1986] 1 RCS 103; 26 DLR (4e
) 200, au para 64.
24
L’hypothèse de la Cour suprême vis-à-vis les principes non-écrit et l’autorité qu’elle confie à
ceux-ci nous invite à abandonner, non pas le projet descriptif de ces principes, mais le postulat
selon lequel la théorie de droit doit se fonder sur le modèle des sciences empiriques et avoir pour
objet uniquement les règles de droits valides et observables empiriquement.
Cela dit, on peut soutenir l’idée que
« [d]errière les controverses relatives à la place des principes dans le droit ou à la liberté
du juge face à des« cas difficiles », c’est en réalité la question des rapports entre droit et
morale qui se trouve au cœur du « choc des titans ». À l’origine dissimulée derrière des
points d’accrocs plus concrets, cette problématique fondamentale s’est progressivement
dépouillée de tout artifice pour apparaître aujourd’hui à l’état brut dans les réflexions des
théoriciens du droit contemporains qui poursuivent le débat entre Hart et Dworkin »54
.
Mais déterminer si l’approche antipositiviste de la pratique juridique au Canada produirait des
résultats beaucoup plus satisfaisants qu'une approche empirique positiviste constitue une tâche
difficile, même impossible, et a fait l’objet d’innombrables commentaires. Néanmoins, dans la
mesure où le discours et la pratique juridiques, notamment le processus de décision
constitutionnelle, se caractérisent par le devoir de promouvoir les principes sous-jacents, on peut
postuler, au moins comme hypothèse de travail, que ces notions possèdent, pour les juges, un
sens que ne laissent pas nécessairement transmettre les faits empiriques qui constituent, selon
l'approche positiviste, les sources de droit. En effet, même lorsque les mots fédéralisme,
démocratie, protection des minorités, constitutionnalisme et primauté de droit ne sont pas
formellement employés, leurs concepts demeurent présents dans toutes les décisions judiciaires,
tous les raisonnements et tous les arguments juridiques. Ce sont des concepts dont la
signification, non seulement guide et structure la pratique et le discours juridiques, mais les
constitue. La compréhension du sens de ces principes en droit canadien doit donc passer par la
54
Bailleux, supra note 13 à la p 175.
25
compréhension de la signification interne du concept à la lumière de la pratique et du discours
juridiques. À cette fin, le praticien doit nécessairement tenir compte du «point de vue interne»,
c'est-à-dire du point de vue de ceux qui sont engagés dans la pratique juridique au Canada,
notamment de ceux dont les actions consistent à promouvoir fédéralisme, démocratie, protection
des minorités, constitutionnalisme et primauté de droit en droit canadien.
26
BIBLIOGRAPHIE
LÉGISLATION
Loi Constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, ann II, n°5.
JURISPRUDENCES
Bhadauria c Seneca College, [1981] 2 RCS 181, 124 DLR (3e
) 193.
14 Renvoi relatif à la sécession de Québec, [1998] 2 RCS 217, 161 DLR (4e
) 385.
Lalonde c Ontario (2001), 56 O.R. (3d) 577 para 116, 208 DLR. (4e
) 577.
R c Oakes, [1986] 1 RCS 103; 26 DLR (4e
) 200, au para 64.
DOCTRINE : MONOGRAPHIES
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éd, Paris, Presse Universitaire de
France, 2003.
Gustave Radbruch, Introduction à « Injustice légale et droit supralégale», 13e
éd, trad par
Michel Walz, Leipzig, 1980.
Bjarne Melkevik, Réflexions sur la philosophie du droit, Paris, L'Harmattan, & Ste Foy, Les
Presses de l'Université Laval, 2000.
Michel Troper, Pour une théorie juridique de l’État, 1ère
éd, Paris, Presse Universitaire de
France, 1994
Herbert Lionel Adolphis Hart, The Concept of Law, 2e
éd, Oxford, Clarendon Press, 1994.
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traduit par Jean Christophe Merle, Paris, Presses Universitaires de France, 1991.
Michelle Villey, Leçons d'histoire de la philosophie du droit, 2e
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Herbert Lionel Adolphis Hart, Le Concept de Droit, traduit par M. de Kerchove, Bruxelles,
Facultés universitaires Saint-Louis, 1976.
Benoit Frydman, Le sens des lois. Histoire de l’interprétation de la raison juridique, Bruxelles,
Bruylant, 2005.
Ronald Dworkin,« Prendre les droits au sérieux », trad par Marie-Jeanne Rossignol et Frédéric
Limare, Paris, Presses Universitaire de France, 1995.
Ronald Dworkin, « Intégrité judiciaire, intégrité législative et simple cohérence », dans Gabrielle
Radica, La Loi, Paris, Flammarion, 2000.
DOCTRINE : ARTICLES
Hart, «L’ordre du Bandit Est-il du droit? » dans Frédéric Rouvillois, Le Droit, Paris,
Flammarion, 1999.
Bailleux Antoine, « « Hart vs. Dworkin » Actualité du « combat des chefs » dans la littérature
anglo-saxonne » (2007) 59 : 2 RIEJ 173.
Simone Goyard-Fabre, "La fondation des lois civiles" (1993) 49:1 Laval théologique et
philosophique 105.
Luc B. Tremblay, « Le positivisme juridique versus l’herméneutique juridique » (2012) 46 : 2
RJT 249.
27
Jean-François Gaudreault-DesBiens, «Identitarisation du droit et perspectivisme
épistémologique. Quelques jalons pour une saisie juridique complexe de l'identitaire» (2000) 13
Can JL & Jur 33.
François Blais, « La philosophie du droit de H.L. A. Hart » (1993) 8 : 2 RCDS 1.
A. Jeammaud, « L’ordre, une exigence du droit? » dans P.Ancel et M. Cl Rivier, dir, Les
divergences de jurisprudence, Université de Saint-Etienne, 2003.
Ronald Dworkin, «le positivisme» (1985), 1 Dr et Soc 42.
Julie Allard, « Interprétation, narration et argumentation en droit : le modèle du roman à la
chaîne chez Ronald Dworkin », dans Emmanuelle Danblon, Emmanuel de Jonge et Ekaterina
Kissina, dir, Argumentation et narration, Bruxelles, Université de Bruxelles, 2008.
P. Amselek, "À propos de la théorie kelsénienne de l'absence de lacunes dans le droit" dans La
pensée politique de Hans Kelsen, Cahiers de philosophie politique et juridique, no 17, Caen (Fr.),
Centre de publication de l'Université de Caen.

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Le Renvoi relatif à la sécession du Québec à la lumière des approches de Hart et Dworkin

  • 1. Le Renvoi relatif à la sécession du Québec à la lumière des approches de Hart et Dworkin 2014 Chirine Haddad 7/1/2014
  • 2. 1 Introduction Comme signalé par Michel Troper, nous sommes comme individu sous l’autorité du droit depuis la naissance; «il faut déclarer l’enfant, et le nom qu’il portera lui est attribué conformément à certaines règles». D’autres lois exigeront qu’on lui assure une éduction adéquate. L’usage quotidien des moyens de transports, l’achat des biens ne sont qu’une «application d’un contrat». Le travail, le mariage, les soins médicaux sont tous régies par le droit. Toutefois, «quoique conscient de cette omniprésence du droit et capables d’appliquer ou de produire des règles, nous sommes souvent en peine de le définir».1 La philosophie de droit est une discipline qui examine et analyse des concepts et principes fondamentaux du droit et des lois. « On parle de la philosophie du droit dans un sens très large pour désigner une réflexion systématique sur la définition du droit, son rapport avec la justice, la science du droit, la structure du système ou le raisonnement juridique »2 . De cela on peut inférer que la philosophie du droit établit une analyse des questions fondamentales relative au droit, parmi elle nous citons: qu’est-ce que le droit? Quel est le lien entre droit et justice? Quel est le rapport entre droit et moral? Mais pourquoi faut-il définir le droit? Comme Troper l’a indiqué, « [l]a recherche d’une définition relève (…) d’une spéculation sur la nature ou l’essence du droit. Mais elle aussi indispensable au travail même des juristes. (…) 1 Michel Troper, QUE SAIS-JE? La philosophie du droit, 1ère éd, Paris, Presse Universitaire de France, 2003, à la p 3 [Troper]. 2 Ibid à la p 7.
  • 3. 2 Cela tient avant tout à ce que l’on ne peut appliquer une règle avant de l’avoir identifiée comme règle de droit.» 3 Mais qu’est-ce qui fait que le droit est le droit? Quelle sera la différence entre «l’ordre du voleur et l’ordre du précepteur?» Tous les deux nous commandent de leur payer une somme d’argent et, dans les deux scénarios, le refus d’obtempérer nous rend sujet à des résultats abominables. Nous argumentons que nous sommes forcés de se conformer à l’ordre du voleur, alors que nous avons un devoir de répondre à l’ordre du précepteur. En d’autres termes, nous reconnaissons «l’obligation d’obéir au précepteur comme étant juridique, conformément à une définition du droit. Cette définition n’a rien de philosophique. C’est le droit lui-même qui détermine les critères de ce qui est juridique et ce qui, comme le commandement du voleur, n’est qu’une violation du droit.»4 Par contre, cette information ne décrit pas la nature du droit. Les raisons derrière ces critères adoptés demeurent inconnues, ni si ces règles sont effectivement contraignables et si elles le sont, pourquoi elles le sont, est-ce parce qu’elles se conforment à la justice, parce qu’elles sont édictées par une entité publique, ou parce qu’elles prévoient des peines en cas de violation? Comment peut-on déterminer si les règles qui établissent «ce qui est juridique sont en elles-mêmes juridiques», si elles constituent «du droit ou autres choses? Cette question n’est pas elle-même juridique, mais philosophique »5 . Sans être juridique, cette question peut avoir des conséquences pour le droit lui-même; selon le politicien et le philosophe de droit allemand Gustav Radbruch, 3 Ibid à la p 3. 4 Ibid à la p 4. 5 Ibid.
  • 4. 3 « des parties entières du droit national-socialiste n’ont jamais obtenu le statut d’un droit en vigueur. La qualité frappante de la personnalité d’Hitler, devenue par la suite le trait caractéristique du «droit» national-socialiste tout entier, ce fut l’absence complète de sens de la vérité et du droit; parce que tout sens de la vérité lui fit défaut, il sut, sans honte ni scrupules, donner à ses discours un ton de vérité, augmentant ainsi son efficacité d’orateur; parce que tout sens du droit lui fit défaut, il sut, sans hésiter, ériger en loi des décisions arbitraires.»6 Pourquoi étudier la philosophie du droit? À travers son ouvrage, Réflexion sur la philosophie du droit, l’auteur Bjarne Melkevik, souligne que : « les Cours suprêmes du Canada, des États-Unis et ailleurs se réfèrent de plus en plus aux positions de la philosophie du droit, et aux écrits des philosophes du droit, et que ces positions ne sont pas que le point de départ d’une réflexion de philosophie du droit. Nous exacerberons l’esprit critique des étudiants si nous pouvons leur démontrer comment les réflexions philosophiques du droit influencent les cours mentionnées plus haut et comment ces réflexions interfèrent sur le résultat judiciaire. Les juges, en prenant position sur l’avortement, sur le suicide assisté par un tiers, sur les droits inhérents des peuples autochtones ou sur d’autres sujets, ne nous offrent pas autant une quelconque «représentation ultime» »7 . « Parmi les philosophe mis de l’avant par la Cour suprême » souligne Melkevlk, « il y a John Stuart Mill, R. Dworkin et John Rawl, tous des auteurs issus de la tradition libérale »8 . Ainsi le juge va arriver à trancher le litige qui lui est présenté selon sa conception de la nature du droit. Il qualifie de droit toutes les règles qui émanent du pouvoir politique, ou celles qui ne 6 Gustave Radbruch, Introduction à « Injustice légale et droit supralégale», 13e éd, trad par Michel Walz, Leipzig, 1980, à la p 314. 7 Bjarne Melkevik, Réflexions sur la philosophie du droit, Paris, L'Harmattan, & Ste Foy, Les Presses de l'Université Laval, 2000, à la p 13. 8 Ibid à la p 180.
  • 5. 4 portent pas atteinte à un idéal de justice. « Or la définition ne se trouve pas dans le droit en vigueur, mais dépend de choix philosophiques »9 . Le positivisme juridique constitue une des écoles de pensée en philosophie du droit qui a dominé au cours du XXe siècle faisant couler beaucoup d’encre. Les théoriciens du droit qui adhèrent à cette école, parmi eux H.L. Hart, enseignent qu’ « il n’y a pas de relation nécessaire entre le droit et la morale, ou entre le droit tel qu’il est et le droit tel qu’il devrait être10 ». Le positiviste anglais, John Austin, affirme que le droit est «une règle posée pour la gouverne d’un être intelligent par un être intelligent qui a pouvoir sur lui »11 . La Cour suprême dans l’affaire Bhadauria c Seneca College12 semble adopter ce courant de pensée en refusant de reconnaitre un délit civil indépendant de discrimination, concluant que le type de préjudice économique allégué par la demanderesse, victime d’une discrimination en raison de son origine ethnique, n’est pas reconnu par la common law. Selon la Cour, le faite de faire évoluer la common law « est rendue impossible par l’initiative du législateur qui, allant plus loin que la common law, telle qu’elle existe en Ontario, a établi un régime qui, loin d’exclure les cours, les intègre dans le mécanisme d’application prévu par le Code ». Et le juge conclu que : « non seulement le Code empêche toute action civile fondée directement sur une violation de ses dispositions, mais qu’il exclut aussi toute action qui découle de la common law et est fondée sur l’invocation de la politique générale énoncée dans le Code. Le Code lui-même établit les procédures destinées à la défense de cette politique générale, procédure dont la demanderesse n’a pas cru bon se prévaloir. » 9 Troper, supra note 1 à la p 5. 10 Michel Troper, Pour une théorie juridique de l’État, 1ère éd, Paris, Presse Universitaire de France, 1994, à la p 28. 11 Hart, «L’ordre du Bandit Est-il du droit? » dans Frédéric Rouvillois, Le Droit, Paris, Flammarion, 1999, à la p 148. 12 [1981] 2 RCS 181, 124 DLR (3e ) 193.
  • 6. 5 Ces discussions sur les rapports entre droit et morale entament deux voies distinctes. « Elles portent d’une part sur les conditions de possibilité d’un positivisme méthodologique qui, dans la ligne de Hart, s’entend d’une théorie du droit absolument neutre et descriptive. Prétendant bouter les jugements de valeur hors du champ de la « science » du droit, un tel projet continue de s’attirer les critiques de Dworkin et d’un nombre croissant de théoriciens du droit. Le débat entre Hart et Dworkin ne se limite toutefois pas à une discussion méthodologique ou épistémologique. Il porte également sur des thèses substantielles relatives à la nature des liens qui unissent la morale à la validité juridique6. Alors que les tenants du positivisme juridique contestent la nécessité d’un tel lien, Dworkin – en cela rejoint par les théoriciens du droit naturel tels que Finnis – soutient l’idée que le droit est consubstantiellement lié à la moralité de son contenu13 ». Cela dit, au cours des années 80, on aperçoit un virage de la Cour suprême du courant positiviste, au courant antipositiviste représenté par Ronald Dworkin, illustrée dans le Renvoi relatif à la sécession de Québec14 , et la question qui se pose à cet égard est: comment la Cour suprême a adopté cette position Dowrkinienne au cours de son raisonnement? Dans les passages qui suivent, nous allons procéder à l'analyse des 2 approches, positiviste représentée par Hart et antipositiviste représentée par Dworkin tout en opérant une analyse brève du Renvoi mentionné à la lumière de ces pensées philosophiques. Pour une meilleure compréhension de ces deux auteurs il est primordial de procéder à survol sur les principes fondamentaux du positivisme juridique. 1. Un bref survol sur le positivisme juridique 13 Bailleux Antoine, « « Hart vs. Dworkin » Actualité du « combat des chefs » dans la littérature anglo-saxonne » (2007) 59 : 2 RIEJ 173 [Bailleux]. 14 [1998] 2 RCS 217, 161 DLR (4e ) 385 [Le Renvoi].
  • 7. 6 Suivant la définition classique établie par Simone Goyard-Fabre, le positivisme juridique est établit comme une perception du droit qui veut qu' [il n'y a[it] de loi que posée par l'État et dans le cadre de l'État; elle n'en appelle à aucune transcendance mais à la seule capacité constructiviste de la raison humaine; et ce constructivisme est axiologiquement neutre."15 À l’encontre de la métaphysique, le positivisme juridique se caractérise surtout par son rationalisme, son neutralisme. Cette approche fonde une distinction entre le droit qui «est» du celui qui «doit être» et, dans cette perspective, attribue aux juristes la tâche de se relier au premier plutôt qu'au second16 . Il en résulte une théorie du droit, qui, notamment, figure le droit comme un système clos et autonome et, au surplus, une idéologie qui dissocie le droit du juste ou dissout ce dernier dans la loi. On repère surtout dans cette définition due à Michel Troper l’évocation des trois axes du positivisme; celui-ci conçoit le positivisme « tantôt une conception de la science du droit, tantôt une théorie du droit, tantôt une idéologie »17 Évidemment, cette définition démontre combien les facettes du positivisme juridique sont plus exubérantes que celles que nous maintenons ici. Notons que selon les positivistes, le droit demeure un fait social objectif que l'on peut repérer et exposer comme n'importe quel autre fait social empirique. Les positivistes peuvent le reproduire en utilisant divers conceptions, tels que la conception de norme, de règle valide, de source formelle (les actes des parlements, les décisions judiciaires, les pratiques sociales coutumières, par exemple), la notion d'intention psychologique ou de test fondamental qui 15 Simone Goyard-Fabre, "La fondation des lois civiles" (1993) 49:1 Laval théologique et philosophique 105 à la p. 110. 16 Herbert Lionel Adolphis Hart, The Concept of Law, 2e éd, Oxford, Clarendon Press, 1994 (Dans les pays de tradition civiliste, le théoricien positiviste du droit le plus connu fut probablement Hans Kelsen, alors que dans les pays de common law, cette influence revient sans doute à Herbert Hart). 17 Troper, supra note 1 à la p 19.
  • 8. 7 détermine de manière définitive la validité formelle des règles de droit et les conditions de validité des propositions de droit (les commandements d'un souverain, les règles de reconnaissance, la norme fondamentale, par exemple). Mais dans tous les cas, la théorie du droit érigée est censée décrire ou indiquer correctement le droit tel qu'il est en fait.18 Cette dissociation du juste/dissolution dans la loi, entraîne du coup une renonciation à l'exercice d'une décision normative sur les normes elles-mêmes, sur leur légitimité, ce qui pousse un auteur à souligner que "[l]a thèse du positivisme juridique et politique au sens strict consiste dans le blanc-seing ou consentement illimité à une entité juridique ou politique."19 Certes, rares sont les juristes qui se tiennent à une approche aussi stricte, voire puriste, du positivisme20 . Mais cette idée d’assujettissement illimité au pouvoir politique, nous conduit vers des critiques que formulent certains juristes à l'encontre du positivisme juridique. Eux qui se révoltent contre les injustices, légitimités par le droit auquel tant de groupes ont obéit au cours de l'histoire, ils attaquent cette conception du droit qui entrave leur quête de justice en affermissant le dogme de ce qui «est», avec tout ce que cela suppose en termes de soumission et de perpétuité de l'ordre établi21 . « Mais revenons-en à cette représentation archétypale et plus précisément à l'image que 18 Luc B. Tremblay, « Le positivisme juridique versus l’herméneutique juridique » (2012) 46 : 2 RJT 249. 19 Otfried Höffe, La justice politique. Fondement d'une philosophie critique du droit et de l'État, traduit par Jean Christophe Merle, Paris, Presses Universitaires de France, 1991 à la p. 12. 20 Voir L. Fuller, The Morality of Law, éd. rév., New Haven, Yale University Press, 1969 (Par exemple, Lon Fuller s'érigea en faux contre les théories accréditant cette façon de penser le droit. Il proposa ainsi que, pour qu'une norme puisse être qualifiée de juridique, il fallait qu'elle réponde à des impératifs moraux internes). 21 Voir Michelle Villey, Leçons d'histoire de la philosophie du droit, 2e éd, Paris, D France, 1962 à la p 79 (Pour montrer le danger que causent la soumission et la passivité dont peut être porteuse une trop grande concession à la norme positive, Michel Villey donnait l'exemple des règles iniques édictées par une « dictature brutale ». l’abandon de la réflexion sur la justice mènerait en bout de ligne à une «[a]cceptation de la force qui créerait le droit »).
  • 9. 8 les juristes se sont forgés de leur fonction sociale dans la foulée de l'émergence du positivisme juridique. Comme une peau de chagrin, leur mission s'est rétrécie au point d'être confinée à l'exégèse des sources du droit étatique. Du même coup, ils ont renoncé au rôle de "sages" qu'ils avaient joué pendant des siècles. Les considérations plus philosophiques sur la qualité des normes posées, par exemple en termes d'adéquation à la réalité sociale, ou sur leur justice intrinsèque furent à toutes fins pratiques oubliées. La définition même de la normativité juridique a aussi été affectée par cette approche, l'idée de droit ayant été subsumée sous celle de droit positif étatique. Cette acceptation par les juristes d'un rôle de descripteurs-commentateurs du droit légiféré ou jurisprudentiel a longtemps conditionné l'orientation de leurs travaux savants. Ainsi, ces travaux ont généralement été entrepris dans une perspective strictement dogmatique, qui permet le développement "(...) [d']un point de vue externe descriptif rendant compte du point de vue interne des sujets de droit." Or, une approche exclusivement descriptive, qui évacue d'emblée toute velléité d'évaluation externe du point de vue interne des acteurs du système juridique, ne peut que mener à la création d'un cercle vicieux intellectuel. C'est d'ailleurs ce que croient certains auteurs, qui estiment que l'épistémologie positiviste a freiné, pour ne pas dire tué la créativité juridique. Si cela s'est vérifié tout particulièrement dans les juridictions de droit romano-germanique, celles de droit anglo- saxon n'ont pas non plus été épargnées. Là aussi, "[l]'orthodoxie a été valorisée aux dépens de l'originalité" [notre traduction]. Ainsi figée dans ses confortables certitudes, l'épistémologie positiviste du droit fera de l'étude de cette discipline un long fleuve tranquille. Pendant longtemps, toute tentative de remise en question sera reléguée en périphérie de la pensée juridique. En exagérant à peine, on pourrait même dire que, dans le royaume du droit, le questionnement épistémologique a longtemps relevé de la sédition. Par le fait même, les études propres à susciter un tel questionnement seront considérées avec suspicion. Les recherches "externes", c'est-à-dire les recherches interdisciplinaires, empiriques ou non, subiront ce sort. Ainsi, ne pourra vraiment être objective -- et juridique -- que l'étude dans le droit, et non l'étude sur le droit, cette dernière pouvant corrompre la première en favorisant l'immixtion de considérations non juridiques susceptibles de remettre en question l'objectivité postulée du "vrai" droit. D'où, comme on l'a noté, l'"isolationnisme intellectuel" du droit, dont l'objectivisme mène en bout de ligne au conformisme.»22 Cela dit, dans les pays de droit anglo-saxon, le théoricien positiviste le plus influent du XXe siècle fut Herbert Hart. Et cela nous invite à une étude approfondie de sa propre approche du 22 Jean-François Gaudreault-DesBiens, «Identitarisation du droit et perspectivisme épistémologique. Quelques jalons pour une saisie juridique complexe de l'identitaire» (2000) 13 Can JL & Jur 33.
  • 10. 9 positivisme juridique qui a acquis une grande importance en common law; Hart parait un des plus important philosophes du droit contemporain. 2. Herbert Hart : le positivisme juridique contemporain Né en Angleterre en 1907, Herbert Lionel Adolphis Hart fit ses études en littérature, l’histoire ancienne, et la philosophie à Oxford et il pratiqua le droit pendant 8 ans. Durant la 2ème guerre mondiale, Hart rencontra 2 professeurs en philosophie nommés avec lui pour le service de military intelligence : Gilbert Ryle et Stuart Hamsphire. Affecté par leur courant de pensée rénovateur de la philosophie spéculative et métaphysique, et par la «philosophie du langage ordinaire défendue par J.L Austin, Hart publie son ouvrage de The Concept of Law, considéré un des plus grand ouvrage de l’histoire de la philosophie du droit.23 Dans son livre, Hart a développé ce que d’autres ont appelé la théorie des sources24 tout en définissant le droit comme «l’union de deux types de règles sociales : primaires et secondaires». Les règles primaires du droit, selon Hart, visent à interdire certains comportements et à imposer d’autres. Tandis que les règles secondaires qui « jointes aux règles primaires, servent de remèdes à l’incertitude, le statisme, et l’inefficacité d’un système juridique jusque-là élémentaire et primitif » en d’autres termes, les règles secondaires permettent de façonner, rectifier ou résilier les règles primaires. Les règles primaires établissent des obligations tandis que les règles secondaires accordent des pouvoirs.25 Mais comment peut-on identifier les règles qui comptent vraiment comme « règles de droit »? Hart indique que ce processus se déroule par le biais d’une règle de reconnaissance adoptée par les praticiens du droit, notamment les tribunaux, qui assigne certains critères : en Angleterre par exemple, font partie du système juridique, les lois 23 François Blais, « La philosophie du droit de H.L. A. Hart » (1993) 8 : 2 RCDS 1. 24 Troper, supra note 1 aux pp 86-88 (« L’expression « sources du droit », née dans la doctrine allemande du XIXe siècle, désigne aussi bien les divers modes de créations de règles que les classes de règles désignées par la manière dont elles ont été créées. (…) La doctrine juridique classique reconnait deux sources du droit interne- en droit international, la question se pose dans des termes différents - la loi et la coutume »). 25 Ibid à la p 9.
  • 11. 10 promulguées par le parlement ou les règles qui découlent d’un acte du parlement. La règle de reconnaissance, comme l’indique Hart, n’est pas formulée expressément. Son existence dépend de la pratique judiciaire et d’autre autorité officielle. Elle ne vise pas à établir la validité des autres règles mais seulement leur simple existence et par la suite leur appartenance au système. «C’est la constatation de la règle de reconnaissance qui permet à la science du droit de déterminer les limites de son objet, puisque les règles qu’il s’agit de décrire sont celles qui sont identifiées par les tribunaux ». Mais la règle de reconnaissance ne peut être présumée : « elle est une pratique sociale constatée par la science du droit ». 26 Selon Hart, « [l]e droit comme système de régulation des comportements tient sa «normativité» de la règle de reconnaissance. Cette règle est ultime en ce sens que sa force dépend de son acceptation par une communauté particulière plutôt qu’à sa conformité avec d’autres règles. Il ne peut exister aucune règle antérieure justifiant sa validité. Elle reste aux yeux de plusieurs commentateurs la pièce maitresse du positivisme juridique hartien ».27 Mais l’un des problèmes les plus courants auquel la philosophie de droit fut confrontée depuis longtemps, a été de déterminer le pouvoir exercé par les juges dans l’interprétation du contenu des règles juridiques. Hart introduit pour la première fois dans son ouvrage, The Concept of Law, la notion de texture ouverte. Le recours à cette notion a pour fin d’établir que « le principe que le droit n’est pas et ne devrait pas être compris comme un système fermé et complètement clos ». La notion de « texture ouverte », constitue une hypothèse selon laquelle les mots n'ont pas de signification contextuelle fixe. Hart prévoit que les règles de droit ont des contours flous, et cela revient au fait qu’une règle de droit ne prend pas en considération que les cas les plus fréquents, et lorsque là-dessus survient un cas en dehors des termes généraux de la règle, on est alors en droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas, de rétablir l’omission et de se faire l’interprète pour déterminer l’application ou non de ces termes à la situation particulière. « Dans ces 26 Ibid à la p 53. 27 Blais, supra note 23 à la p 10.
  • 12. 11 situations embarrassantes, où il existe aussi bien des raisons d’accepter que de refuser l’application d’un terme, on doit s’en remettre à une instance décisionnelle qui choisira sur les bases entre autres d’une «appréciation» de la nature de la portée, et des motifs à l’origine de la règle ».28 Dans son ouvrage, The Concept of Law, Hart écrit que « [d]ans tout système juridique, un champs étendu et important est laissé ouvert à l’exercice du pouvoir d’appréciation des tribunaux et autres autorités, qui consiste à préciser des directives originellement vagues, à résoudre les indéterminations contenues dans la loi, ou à étendre et à restreindre la portée des règles que les précédents obligatoires ne font que transmettre grossièrement ».29 « La doctrine hartienne de la discrétion judiciaire - comme l’indique l’auteur Blais - est tributaire de sa conception du langage juridique comme texture ouverte »30 . S’appuyant sur la notion de « texture ouverte » de Hart, Antoine Jeammaud y a vu « l’opportune dénonciation du ‘fétichisme de la solution unique’, la découverte qu’interpréter consiste moins à découvrir le sens d’un énoncé qu’à donner un sens à celui-ci par une opération qui est affaire de volonté autant que de connaissance »31 . Benoit Frydman, de son côté, a bien résumé la conception hartienne de l’interprétation, en rappelant la distinction dont il part entre des « cas simples » qui ne requièrent « aucune interprétation » et des « cas limites » dont la solution « requiert un choix et donc une décision ». Il précise encore que « Hart ne fournit aucun 28 Ibid à la pp 20. 29 Herbert Lionel Adolphis Hart, Le Concept de Droit, traduit par Michel van de Kerchove, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1976, à la p 244. 30 Blais, supra note 23 à la p 23. 31 A. Jeammaud, « L’ordre, une exigence du droit? » dans P.Ancel et M. Cl Rivier, dir, Les divergences de jurisprudence, Université de Saint-Etienne, 2003 à la p 20.
  • 13. 12 critère permettant de distinguer les bonnes décisions des mauvaises (no right answer)32 . Et pour Hart si la réponse n’est pas dans les termes généraux des règles de droit, le juge peut utiliser sa discrétion. Cela dit, la conception hartienne a pour conséquence de confier aux tribunaux une fonction de «créer des lois»33 , puisque dans les cas difficiles le juge n’est pas en train d’appliquer le droit, il est en train de le créer. Un cas difficile apparaît en droit quand, dans un litige, aucune règle juridique ne s’applique, ou quand plusieurs règles paraissent valides sans qu’on puisse simplement opérer un choix entre elles. Dans ce cas, puisque les règles sont imprécises, vagues ou silencieuses, le juge doit dire plus que ce que les règles seules impliquent. C’est cette marge de manœuvre confiée au juge par les règles que désigne la notion de pouvoir discrétionnaire: en absence de règle claire, le juge peut agir à partir de son pouvoir normatif pour trancher le cas difficile qui lui est soumis. Selon cette définition, largement reconnue dans le langage juridique courant, le juge n’intervient personnellement que dans les cas limites, c’est-à-dire dans les cas qu’on appelle difficiles par opposition aux cas ordinaires.  Dans son ouvrage The Concept of Law Hart parait le représentant du positivisme contemporain suivant les nombreuses idées qu’il a développées, parmi elles nous mentionnons: Une critique de la théorie de John Austin que la loi est le commandement du souverain forcée par la menace de sanctions. 32 Benoit Frydman, Le sens des lois. Histoire de l’interprétation de la raison juridique, Bruxelles, Bruylant, 2005, à la p 567. 33 Blais, supra note 23 à la p 23.
  • 14. 13  Une distinction entre les facteurs internes et externes de la loi et des règles, à proximité de (et influencés par) la distinction de Max Weber entre le sociologique et les perspectives morales de droit.  Une distinction entre les règles sociales primaires et secondaires, tels qu'une règle primaire régit la conduite, comme le droit pénal et une règles secondaires régissant les méthodes de procédure par lequel les règles primaires sont appliquées, de poursuites et ainsi de suite. Hart énumère spécifiquement trois règles secondaires; ils sont: La règle de reconnaissance, la règle selon laquelle tout membre de la société peut vérifier afin de découvrir ce que les règles primaires de la société sont. Dans une simple société, Hart dit, la règle de reconnaissance peut être que ce qui est écrit dans un livre sacré ou ce qui est édicté par un souverain. Hart annonce le concept de règle de reconnaissance comme une évolution de la «norme fondamentale» de Hans Kelsen. La règle du changement, la règle selon laquelle les règles primaires existantes pourraient être créés, modifiés ou supprimés. La règle de décision, la règle selon laquelle la société peut établir le moment où une règle a été violée et prescrire un remède. Par ailleurs, une critique judicieuse a également été adressée à Hart par un autre théoricien antipositiviste contemporain du droit qui a influencé amplement la Cour suprême canadienne dès les années 80: Ronald Dworkin.
  • 15. 14 Dworkin est à la fois de nationalité américaine et un des partisans du constitutionnalisme, ce qui marque doublement sa pensée : il examine le raisonnement du juge dans le contexte particulier de la common law et prend spécifiquement pour objet le droit constitutionnel américain. La pensée de Dworkin se marque dans un débat propre à la théorie du droit américaine, qui se formule autour de la problématique des cas difficiles (hard cases) et du pouvoir discrétionnaire du juge abordés par Hart. Pour une meilleur compréhension de ce débat, nous exposons cette ligne de pensée Dworkinienne, tout en exposant sa critique au courant positiviste représenté par Hart, et le rôle qui doit être conféré aux tribunaux dans l’interprétation des règles de droit, surtout dans « les cas difficiles ». 3. La pensée Dworkiniènne ou l’antipositivisme Dworkinnien Selon Dworkin, le droit ne se compose pas uniquement de normes, il comprend aussi des principes. Afin de distinguer entre norme et principe, Dworkin cite une décision de la Cour d’appel de New York qui date depuis 1889 dans l’affaire Riggs c Palmer. Un homme avait tué son grand-père pour qu’il puisse l’hériter. Après sa condamnation, celui-ci prétend qu’il a droit dans le patrimoine de son grand-père puisqu’il est désigné comme héritier par ce dernier. Comme l’indique Dworkin, la prétention de cet assassin est bien fondée suivant les règles en vigueur puisque rien n’est mentionné sur l’état mental ou le casier judiciaire des héritiers. Une stricte fidélité au droit testamentaire prescrirait que ce meurtrier touche l’héritage. Néanmoins, le
  • 16. 15 tribunal rejette sa prétention par application d’un principe non-écrit, sel lequel, nul ne peut tirer profit du mal qu’il a fait. Dworkin tire de cette décision les conclusions suivantes34 : « a/ à la différence des règles ou normes, qui sont proposées et qui expriment la volonté d’une autorité, le principe n’est pas posé, mais découvert par le juge; b/ alors qu’on obéit ou non à la norme en adoptant ou non la conduite prescrite, l’obéissance au principe est susceptible de degrés; c/ le principe est de nature morale; d/ il n’est pas universel, car il y a bien des cas où l’on peut profiter du mal qu’on a fait [le principe de la prescription acquisitive est un exemple fourni par Dworkin : si quelqu’un passe illégalement sur un bien-fonds pour une période de temps assez longue, il finirait par acquérir le droit de le traverser autant qu’il le plaira]. e/ le principe permet de suspendre l’application d’une règle valide ou de lui apporter des exceptions ». L’existence des principes juridiques qui se distinguent des normes entraine pour Dworkin une remise en cause du positivisme. Selon le positivisme, le droit est un ensemble de normes et les juges n’ont qu’à les appliquer aux litiges qui leur sont présentés. Mais, comme dans les cas difficiles désignés par Hart, les règles en vigueurs, ne contiennent pas la solution puisqu’elles renferment des termes généraux qui s’appliquent de façon générale, sans prévoir certaines situations particulières. Cela mène les juges à trancher le litige d’une façon discrétionnaire. À cela s’oppose Dworkin. «La thèse de Dworkin conduit au contraire à admettre, que même dans les cas difficiles, le juge peut toujours trouver la solution dans le droit en vigueur. Il lui suffit de découvrir un principe applicable. Le plus souvent, il ne s’agira pas d’un principe posé. Le juge le découvre par un effort d’abstraction à partir de l’ensemble du droit. En effet, comme les principes constituent le fondement des règles, la connaissance des règles peut conduire à la découverte des principes qui les fondent. Il y a ainsi, pour tout litige, 34 Troper, supra note 1 à la p 73; Ronald Dworkin, «le positivisme» (1985), 1 Dr et Soc 42 [Dowrkin-Positivisme].
  • 17. 16 une seule solution correcte, une seule « bonne réponse », et le juge ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire35 ». En d’autres termes, Dworkin souligne que lorsque les positivistes maintiennent que les juges peuvent utiliser leur pouvoir discrétionnaire lorsqu'ils sont rapprochés par des cas difficiles, ils sont contraints de faire appel à la théorie du pouvoir discrétionnaire dans son "sens fort", c'est-à- dire que « sur un problème donné [le juge] n'est tout simplement pas lié par des standards établis par l'autorité en question ». Cette façon d'envisager le pouvoir discrétionnaire signifie que les juges devront utiliser d'autres standards que les règles afin de fonder leurs jugements ".36 Les positivistes, selon Dworkin, doivent nécessairement présenter de quelle façon les principes qui dirigent le pouvoir discrétionnaire des juges, qui ne sont pas a priori formulés par une règle de droit conformément au test de reconnaissance, peuvent s'établir malgré tout dans cet ordre juridique. Cette exigence est d'autant plus cruciale que Dworkin retrace que dans plusieurs cas, les juges changent ou modifient complètement une règle de droit existante en s'appuyant sur des principes. L'incapacité des positivistes à exposer comment ces standards peuvent provenir ultimement de la règle de reconnaissance abolit, selon lui, l'ensemble de leur théorie reposant sur le test de pedigree. Ainsi faut-il conclure, croit Dworkin, que si l'on admet les principes comme étant du droit, on doit contester le postulat positiviste selon lequel « le droit d'une communauté se distingue des autres normes sociales à l'aide d'un test qui prend la forme d'une règle fondamentale »37 . 35 Troper, Ibid à la p 74. 36 Dworkin -Positivisme, supra note 34 à la pp 51. 37 Ronald Dworkin,« Prendre les droits au sérieux », trad par Marie-Jeanne Rossignol et Frédéric Limare, Paris, Presses Universitaire de France, 1995 .
  • 18. 17 À cela s’ajoute une autre critique du positivisme de la part de Dworkin qui opère une séparation du droit de la morale, puisque « les principes qui font partie du droit, sont, selon lui de nature morale38 ». «La thèse de la séparabilité du droit et de la morale – dénommée ci-après « thèse de la séparabilité » – est au cœur du désaccord entre Hart et Dworkin. Le premier considère que la légalité d’une règle n’est pas nécessairement liée à la moralité de son contenu. (…) Très vite, Dworkin s’inscrit en faux contre cette tentative d’explication de la normativité juridique. Dans le « modèles des règles », il conteste la valeur explicative de la théorie de Hart. Il fait observer que dans de nombreuses situations, et tout particulièrement dans les « cas difficiles », les juristes «(…) font appel à des normes qui ne fonctionnent pas comme des règles mais opèrent différemment, comme des principes (…) ». Ainsi en est-il par exemple du principe selon lequel « nul ne peut tirer profit du mal qu’il a causé ». Contrairement aux « règles » identifiées dans Le Concept de Droit, les « principes » expriment toujours des exigences morales, généralement inspirées par des considérations de justice et d’équité. À l’inverse des règles, qui s’appliquent selon une logique du « tout ou rien », les principes « (…) indique[nt] plutôt une raison d’aller dans un sens, mais non pas de prendre nécessairement une décision particulière ». Les principes se distinguent encore des règles en ce que leur normativité est graduelle, dépendante de leur poids ou de leur importance. Deux principes contradictoires peuvent donc parfaitement s’appliquer à une même affaire, conduisant le juge à opérer un délicat arbitrage. Dworkin reproche à Hart de ne pas rendre compte de l’existence de ces principes. En considérant qu’en dehors des règles, il n’y a rien hormis le pouvoir discrétionnaire du juge, Hart ignore un pan essentiel de la pratique juridique. »39 Pour conclure, Dworkin considère que, là où il y a une incertitude et les règles de droit ne s’appliquent pas, il faut creuser ou aller plus loin. S’il n’y a pas une règle qui s’applique à un cas « difficile », on applique des principes qui sous-tendent les règles, et là où il n’y a pas une réponse juridique on essaie de comprendre le système juridique pas seulement au niveau des règles, mais au niveau des principes et on tente d’identifier ces principes comme la primauté de droit ou comme la séparation du pouvoir ou comme «nul ne devrait bénéficier de sa propre turpitude». On va utiliser ces principes pour trouver des réponses. Ça c’est la technique qu’on est 38 Troper, supra note 1 à la p 74. 39 Bailleux , supra note 13 à la pp 173-220.
  • 19. 18 en train d’apprendre, parce que Dworkin a dominé depuis les années 80. Et Dworkin a même dit que même si les principes échouent de fournir la bonne réponse ou là où il y a 2 ou 3 principes qui entrent en contradiction, on peut aller plus loin dans «background political morality», où le juge peut trouver la réponse dans le libéralisme qui existe aux États-Unis par exemple. Donc pour Dworkin il y a toujours une bonne réponse juridique, et une décision judiciaire, n’est ni un acte de sujétion total à la lettre du texte et au désir de son auteur, ni un acte arbitraire par lequel le juge exprimerait librement ses propres préférences. Cela dit, le courant de pensée représenté par Dworkin a influencé une des grandes décisions rendue par la Cour suprême canadienne en 1998, parmi elle, le Renvoi relatif à la sécession du Québec dont nous présentons un résumé et une analyse en se fondant sur cette approche Dworkinienne. 3. L’analyse du Renvoi relatif à la sécession du Québec à la lumière de l’approche Dworkinienne Selon la pensée de Dworkin, « le juge, certes tranche les conflits en faisant appel à des principes, mais il trouve ces principes dans le droit même40 ». Dans le renvoi relatif à la sécession du Québec [Le Renvoi], la province de Québec veut se séparer du Canada et donc demande à la Cour suprême de Canada s’il est possible en droit de procéder à une sécession unilatérale. La principale question en litige soumise à la Cour par le 40 Ronald Dworkin, « Intégrité judiciaire, intégrité législative et simple cohérence », dans Gabrielle Radica, La Loi, Paris, Flammarion, 2000, à la p 171.
  • 20. 19 Québec était comme suit : l’assemblée nationale peut-elle, en vertu de la constitution, procéder unilatéralement à la sécession du Québec au Canada? En répondant à cette question justiciable, la Cour a posé un précepte important; la Constitution n'est pas simplement un texte écrit. Elle comprend tout un système de règles et principes qui gouvernent l'exercice du pouvoir constitutionnel. Une lecture superficielle de certains articles particuliers de la Constitution, sans plus, pourrait induire en erreur. Il faut procéder à un examen plus approfondi des principes sous-jacents qui fondent l'ensemble de la Constitution canadienne, dont le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, ainsi que le respect des minorités41 . Ces principes doivent orienter notre évaluation globale des droits et obligations constitutionnels qui entreraient en jeu si une majorité claire de Québécois, en réponse à une question claire, votaient pour la sécession. Les principes énumérés par la Cour dans ce Renvoi, tirent leur origine du préambule de la Loi constitutionnelle de 186742 , un acte considérée par la Cour comme étant : « un acte d'édification d'une nation. Elle était la première étape de la transformation de colonies dépendant chacune du Parlement impérial pour leur administration en un État politique unifié et indépendant où des peuples différents pouvaient résoudre leurs divergences et, animés par un intérêt mutuel, travailler ensemble à la réalisation d'objectifs communs. Le fédéralisme était la structure politique qui permettait de concilier unité et diversité »43 . En exposant la nature de ces principes sous-jacents la Cour indique que 41 Le Renvoi, supra note 14 au para 32. 42 Loi Constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, ann II, n°5. 43 Le Renvoi, supra note 14 au para 43.
  • 21. 20 « [n]otre Constitution est principalement une Constitution écrite et le fruit de 131 années d'évolution. Derrière l'écrit transparaissent des origines historiques très anciennes qui aident à comprendre les principes constitutionnels sous-jacents. Ces principes inspirent et nourrissent le texte de la Constitution: ils en sont les prémisses inexprimées. (…)Ces principes déterminants fonctionnent en symbiose. Aucun de ces principes ne peut être défini en faisant abstraction des autres, et aucun de ces principes ne peut empêcher ou exclure l'application d'aucun autre44 ». « Bien que ces principes sous-jacents ne soient pas expressément inclus dans la Constitution, en vertu d'une disposition écrite, sauf pour certains par une allusion indirecte dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, il serait impossible de concevoir notre structure constitutionnelle sans eux. Ces principes ont dicté des aspects majeurs de l'architecture même de la Constitution et en sont la force vitale45 .» « Ces principes guident l'interprétation du texte et la définition des sphères de compétence, la portée des droits et obligations ainsi que le rôle de nos institutions politiques. Fait tout aussi important, le respect de ces principes est indispensable au processus permanent d'évolution et de développement de notre Constitution, cet [TRADUCTION] «arbre vivant» selon la célèbre description de l'arrêt Edwards c. Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124 (C.P.), à la p. 136. Notre Cour a indiqué dans New-Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, que les Canadiens reconnaissent depuis longtemps l'existence et l'importance des principes constitutionnels non écrits de notre système de gouvernement »46 . Cet extrait de la décision reflète clairement l’approche Dworkinienne vis-à-vis les principes non-écrits qui considère qu’ « [u]ne fois qu’on a identifié les principes comme une espèce distincte de standard, on prend tout à coup conscience qu’ils sont présents tout autour de nous47 ». La Cour poursuit son exposé de la nature de ces principes comme suit : « Des principes constitutionnels sous-jacents peuvent, dans certaines circonstances, donner lieu à des obligations juridiques substantielles (ils ont «plein effet juridique» selon les termes du Renvoi relatif au rapatriement, précité, à la p. 845) qui posent des limites substantielles à l'action gouvernementale. Ces principes peuvent donner naissance à des 44 Ibid au para 49. 45 Ibid au para 51. 46 Ibid au para 52. 47 Dowrkin-Positivisme, supra note 34 à la p 48.
  • 22. 21 obligations très abstraites et générales, ou à des obligations plus spécifiques et précises. Les principes ne sont pas simplement descriptifs; ils sont aussi investis d'une force normative puissante et lient à la fois les tribunaux et les gouvernements48 ». Cela nous rappelle de la perception de Dowrkin où « [l]e droit, pour lui, constitue plus qu’un système de règles et qu’un corpus de textes. C’est une entreprise politique en cours, qui comporte des normes qui ne sont pas toujours explicites dans les textes. Par conséquent, le droit établi et les textes de loi n’épuisent pas le droit dans son ensemble. De plus, les faits eux-mêmes ne peuvent être interprétés de manière neutre. Ils font nécessairement l’objet d’une appréhension, d’une «précompréhension» en termes herméneutiques, qui est elle-même déjà soumise à nos postulats théoriques. En d’autres termes, nous n’avons jamais accès aux faits « purs »49 .» La pensée dworkinienne est décrite par Paul Amselek, comme suit : « [pour Dworkin], le droit en vigueur à chaque instant dans une société donnée est complet, car il est possible, à partir des différentes règles qui le composent, de tirer des principes implicites plus généraux permettant de résoudre tous les cas susceptibles de se présenter. Aucune démarche véritablement inventive ne serait donc nécessaire de la part des interprètes et praticiens du droit, et notamment de la part des juges : il suffirait de savoir tirer l'implicite objectivement contenu dans l'explicite. Si nous n'y parvenons par toujours en pratique, c'est seulement par suite d'une défaillance de nos capacités intellectuelles ; mais un juge surdoué aux capacités appropriées [...] pourra le faire sans difficulté »50 . La théorie de Dworkin semble remplacer celle de Hart (déjà exposée) qui croit à la théorie du pouvoir discrétionnaire des juges dans son "sens fort", c’est-à-dire que « sur un problème donné [le juge] n'est tout simplement pas lié par des standards établis par l'autorité en question ». Dans le présent Renvoi, La Cour suprême a creusé dans le texte de la Constitution afin de repérer une justification pour la création de nouvelles règles : elle a conclu que le préambule de la Loi 48 Le Renvoi, supra note 14 au para 54. 49 Julie Allard, « Interprétation, narration et argumentation en droit : le modèle du roman à la chaîne chez Ronald Dworkin », dans Emmanuelle Danblon, Emmanuel de Jonge et Ekaterina Kissina, dir, Argumentation et narration, Bruxelles, Université de Bruxelles, 2008, à la p 71. 50 P. Amselek, "À propos de la théorie kelsénienne de l'absence de lacunes dans le droit" dans La pensée politique de Hans Kelsen, Cahiers de philosophie politique et juridique, no 17, Caen (Fr.), Centre de publication de l'Université de Caen, 1990 à la p. 122.
  • 23. 22 constitutionnelle de 1867 invite les tribunaux à combler le vide dans le texte écrit. Donc la Cour suprême a justifié sa décision sur la base d'une règle qui avait une source juridique, le préambule de la Constitution. Ce processus adopté par la Cour suprême se conforme avec le concept de pouvoir discrétionnaire, tel que décrit par Dworken qui dit ceci : « [l]e concept du pouvoir discrétionnaire ne convient vraiment que dans un type de contexte : quand quelqu’un est chargé de prendre des décisions soumises à des standards émis par une autorité particulière. (…) Le pouvoir discrétionnaire, comme le trou dans le gruyère, n’existe pas, si ce n’est dans un espace laissé vide par les limites qui l’entourent51 .» Ultérieurement, La Cour suprême a établi que ces « principes non écrits de la Constitution ont bel et bien une force normative…puissante et lient à la fois les tribunaux et les gouvernements52 ». Ainsi, la Cour suprême, pareillement à Dowrkin, considère les principes juridiques non-écrits comme des règles juridiques, en indiquant que certains d’eux sont juridiquement obligatoires et doivent être respectés par les juges et les praticiens du droit, qui ont le mandat de décider des obligations juridiques. En suivant cette approche, la Cour considère que le « droit » comporte des principes aussi bien que des règles. 51 Ronald –Positivisme, supra note 34 à la p 51. 52 Lalonde c Ontario (2001), 56 O.R. (3d) 577 para 116, 208 DLR. (4e ) 577.
  • 24. 23 Conclusion Les conceptions positivistes et contemporaines du droit contribuent d'arrière-plan à la pensée de Ronald Dworkin, qui veut d'emblée s'en démarquer. Il n'est pas facile de résumer sa réflexion sur le droit : elle a un caractère tautologique, ayant été exprimée en plusieurs ouvrages et articles sous une forme qui a évolué entre 1970 et aujourd'hui. En d'autres termes, Dworkin, à l'inverse de Hart, n'est pas l'homme d'un seul livre. George Fletcher a écrit que l'axe Dworkin/Hart ressemble aujourd'hui à ce que fut autrefois l'axe Blackstone/Bentham (à une génération de distance, comme Hart et Dworkin) ou, plus loin encore, l'axe Coke/Hobbes (eux aussi à une génération de distance). Dworkin symboliserait aujourd'hui le jurisprudence of rights. Un tour d’horizon des différentes décisions de la Cour suprême mous révèle que tout de suite, entre 1981 et 1997 la Cour a passé du positivisme à un antipositivisme qui est maintenant accepté par celle-ci, et on va souvent plaider des principes. Nous pouvons remarquer que la Cour suprême au Canada se réfère de plus en plus aux positions de la philosophie du droit, ou aux écrits des philosophes du droit comme dans l’arrêt Oaks de 1986, où le juge en chef adopte une conception morale du contrôle judiciaire, conception qui traduit la pensée antipositiviste contemporaine incarnée par Dworkin, comme suit : « [l]es tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l'être humain, la promotion de la justice et de l'égalité sociales, l'acceptation d'une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société. Les valeurs et les principes sous-jacents d'une société libre et démocratique sont à l'origine des droits et libertés garantis par la Charte et constituent la norme fondamentale en fonction de laquelle on doit établir qu'une restriction d'un droit ou d'une liberté constitue, malgré son effet, une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer53 .» 53 R c Oakes, [1986] 1 RCS 103; 26 DLR (4e ) 200, au para 64.
  • 25. 24 L’hypothèse de la Cour suprême vis-à-vis les principes non-écrit et l’autorité qu’elle confie à ceux-ci nous invite à abandonner, non pas le projet descriptif de ces principes, mais le postulat selon lequel la théorie de droit doit se fonder sur le modèle des sciences empiriques et avoir pour objet uniquement les règles de droits valides et observables empiriquement. Cela dit, on peut soutenir l’idée que « [d]errière les controverses relatives à la place des principes dans le droit ou à la liberté du juge face à des« cas difficiles », c’est en réalité la question des rapports entre droit et morale qui se trouve au cœur du « choc des titans ». À l’origine dissimulée derrière des points d’accrocs plus concrets, cette problématique fondamentale s’est progressivement dépouillée de tout artifice pour apparaître aujourd’hui à l’état brut dans les réflexions des théoriciens du droit contemporains qui poursuivent le débat entre Hart et Dworkin »54 . Mais déterminer si l’approche antipositiviste de la pratique juridique au Canada produirait des résultats beaucoup plus satisfaisants qu'une approche empirique positiviste constitue une tâche difficile, même impossible, et a fait l’objet d’innombrables commentaires. Néanmoins, dans la mesure où le discours et la pratique juridiques, notamment le processus de décision constitutionnelle, se caractérisent par le devoir de promouvoir les principes sous-jacents, on peut postuler, au moins comme hypothèse de travail, que ces notions possèdent, pour les juges, un sens que ne laissent pas nécessairement transmettre les faits empiriques qui constituent, selon l'approche positiviste, les sources de droit. En effet, même lorsque les mots fédéralisme, démocratie, protection des minorités, constitutionnalisme et primauté de droit ne sont pas formellement employés, leurs concepts demeurent présents dans toutes les décisions judiciaires, tous les raisonnements et tous les arguments juridiques. Ce sont des concepts dont la signification, non seulement guide et structure la pratique et le discours juridiques, mais les constitue. La compréhension du sens de ces principes en droit canadien doit donc passer par la 54 Bailleux, supra note 13 à la p 175.
  • 26. 25 compréhension de la signification interne du concept à la lumière de la pratique et du discours juridiques. À cette fin, le praticien doit nécessairement tenir compte du «point de vue interne», c'est-à-dire du point de vue de ceux qui sont engagés dans la pratique juridique au Canada, notamment de ceux dont les actions consistent à promouvoir fédéralisme, démocratie, protection des minorités, constitutionnalisme et primauté de droit en droit canadien.
  • 27. 26 BIBLIOGRAPHIE LÉGISLATION Loi Constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, ann II, n°5. JURISPRUDENCES Bhadauria c Seneca College, [1981] 2 RCS 181, 124 DLR (3e ) 193. 14 Renvoi relatif à la sécession de Québec, [1998] 2 RCS 217, 161 DLR (4e ) 385. Lalonde c Ontario (2001), 56 O.R. (3d) 577 para 116, 208 DLR. (4e ) 577. R c Oakes, [1986] 1 RCS 103; 26 DLR (4e ) 200, au para 64. DOCTRINE : MONOGRAPHIES Michel Troper, QUE SAIS-JE? La philosophie du droit, 1ère éd, Paris, Presse Universitaire de France, 2003. Gustave Radbruch, Introduction à « Injustice légale et droit supralégale», 13e éd, trad par Michel Walz, Leipzig, 1980. Bjarne Melkevik, Réflexions sur la philosophie du droit, Paris, L'Harmattan, & Ste Foy, Les Presses de l'Université Laval, 2000. Michel Troper, Pour une théorie juridique de l’État, 1ère éd, Paris, Presse Universitaire de France, 1994 Herbert Lionel Adolphis Hart, The Concept of Law, 2e éd, Oxford, Clarendon Press, 1994. Otfried Höffe, La justice politique. Fondement d'une philosophie critique du droit et de l'État, traduit par Jean Christophe Merle, Paris, Presses Universitaires de France, 1991. Michelle Villey, Leçons d'histoire de la philosophie du droit, 2e éd, Paris, D France, 1962. Herbert Lionel Adolphis Hart, Le Concept de Droit, traduit par M. de Kerchove, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1976. Benoit Frydman, Le sens des lois. Histoire de l’interprétation de la raison juridique, Bruxelles, Bruylant, 2005. Ronald Dworkin,« Prendre les droits au sérieux », trad par Marie-Jeanne Rossignol et Frédéric Limare, Paris, Presses Universitaire de France, 1995. Ronald Dworkin, « Intégrité judiciaire, intégrité législative et simple cohérence », dans Gabrielle Radica, La Loi, Paris, Flammarion, 2000. DOCTRINE : ARTICLES Hart, «L’ordre du Bandit Est-il du droit? » dans Frédéric Rouvillois, Le Droit, Paris, Flammarion, 1999. Bailleux Antoine, « « Hart vs. Dworkin » Actualité du « combat des chefs » dans la littérature anglo-saxonne » (2007) 59 : 2 RIEJ 173. Simone Goyard-Fabre, "La fondation des lois civiles" (1993) 49:1 Laval théologique et philosophique 105. Luc B. Tremblay, « Le positivisme juridique versus l’herméneutique juridique » (2012) 46 : 2 RJT 249.
  • 28. 27 Jean-François Gaudreault-DesBiens, «Identitarisation du droit et perspectivisme épistémologique. Quelques jalons pour une saisie juridique complexe de l'identitaire» (2000) 13 Can JL & Jur 33. François Blais, « La philosophie du droit de H.L. A. Hart » (1993) 8 : 2 RCDS 1. A. Jeammaud, « L’ordre, une exigence du droit? » dans P.Ancel et M. Cl Rivier, dir, Les divergences de jurisprudence, Université de Saint-Etienne, 2003. Ronald Dworkin, «le positivisme» (1985), 1 Dr et Soc 42. Julie Allard, « Interprétation, narration et argumentation en droit : le modèle du roman à la chaîne chez Ronald Dworkin », dans Emmanuelle Danblon, Emmanuel de Jonge et Ekaterina Kissina, dir, Argumentation et narration, Bruxelles, Université de Bruxelles, 2008. P. Amselek, "À propos de la théorie kelsénienne de l'absence de lacunes dans le droit" dans La pensée politique de Hans Kelsen, Cahiers de philosophie politique et juridique, no 17, Caen (Fr.), Centre de publication de l'Université de Caen.