Patrice Trovoada, Premier Ministre de São Tomé & Principe, l'invité du 14 Bassano
1. L’invitédu14Bassano
Lafabriquede
8 l’Opinion mardi 26 avril 2016
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P
remier ministre de Sao Tomé
et Principe, Patrice Emery Tro-
voada est président de l’Action
démocratique indépendante
(ADI, parti de centre droit). Il
mène une politique libérale et
deréformeséconomiquespour
attirerlesinvestisseursétrangers.
Sao Tomé et Principe était un entrepôt
d’esclaves au XVIe
siècle, sous domination
portugaise, un Etat indépendant vivant de
l’aide internationale au XXe
siècle. Deviendra-
t-il le futur Koweït du Golfe de Guinée ?
La nature et la géologie ne sont générale-
ment pas ingrates. Tous nos voisins ont des
réserves de pétrole. En fait, nous avons été vic-
times de la bulle spéculative dans les années
2000. Les majors pétrolières comme Exxon
Mobil ou Total ont versé des bonus élevés pour
obtenir des permis d’exploration dans nos eaux
territoriales. Elles n’ont in fine pas valorisé
ces permis en raison de la baisse des cours du
baril, d’autant qu’une partie de nos ressources
se trouve en offshore, très profond. Des entre-
prises plus modestes disposent de permis, à
l’image de Kosmos, dirigée par d’ex-employés
de Triton, qui ont découvert du pétrole chez
notre voisin équato-guinéen et connaissent bien
notre géologie. Kosmos devrait commencer les
études sismiques en 2017. C’est un signe du re-
gain d’intérêt des opérateurs. Certaines de nos
réserves en hydrocarbures sont à cheval sur les
frontières maritimes de la Guinée équatoriale
et du Nigeria, avec lequel nous avons établi une
zone conjointe d’exploitation. Les sociétés pré-
sentes, pour l’instant, estiment que l’exploita-
tion n’est pas rentable. Cela changera d’ici deux
ou trois ans, quand les cours remonteront. Nous
travaillons actuellement à la mise en place d’un
cadre plus attractif pour les opérateurs pétro-
liers,notammentenallégeantlapressionfiscale.
Celanesertàriendetordrelecoudesacteursen
cette période de baisse des cours. Il vaut mieux
bâtir des recettes durables que de miser sur un
systèmerépulsif.
Vous étiez en février en Guinée équatoriale.
Pourriez-vous aussi établir une zone d’exploi-
tation commune avec ce pays ?
Nousn’ensommespaslà.Maisunedescom-
pagnies opérant sur ce territoire projette d’ex-
ploiter une nappe qui est à cheval sur nos deux
pays. Nous avons convenu avec le président
Obiang d’exploiter conjointement cette poche
d’hydrocarbures. Il y est très favorable mais il
semble que dans son entourage, certaines per-
sonnestraînentdespieds.
En attendant, vous souhaitez faire de votre
pays un hub logistique…
Notre pays recèle un vrai potentiel. Sa posi-
tionestgéostratégiqueàl’entréeduGolfedeGui-
née, à moins de deux heures de vol des pays mi-
niers de la région, d’un marché de 300 millions
de consommateurs avec des pays comme le
Nigeria,l’AngolaoulaRépubliquedémocratique
du Congo. Nous pouvons être un pôle d’attrac-
tion pour les investisseurs dans le domaine des
services, de la logistique, du tourisme, des nou-
velles technologies puisque nous sommes reliés
au câble de fibre optique sous-marin d’Alcatel.
Cela nous permettra de développer le transit
de data entre l’Europe et l’Afrique. Nous allons
aussi construire, avec le chinois CHEC, un grand
port de transbordement à Fernando Dias doté
d’un quai de 1 200 m et d’un tirant d’eau de 16 m.
Lesportsdelasous-région,commeDouala,sont
engorgés. Nous pourrions y associer les groupes
français comme CMA-CGM et Bolloré. Le Brésil,
pays lusophone comme nous, pourrait gagner
40 % de temps dans son trafic de conteneurs
entrel’AmériqueduSudetl’Afrique.Onpourrait
aussiyassocierdesunitésdestockagedepétrole
afin que les pays de la région puissent venir se
ravitailler.
participe aussi aux espaces communautaires
d’Afrique centrale, bien que nous déplorions le
manque de volonté politique en matière d’inté-
gration. Nous cherchons d’ailleurs à établir un
autre partenariat stratégique avec l’Afrique de
l’Ouest, où la libre circulation des biens et des
personnesestbeaucoupplusavancée.
Vous reconnaissez Taïwan mais vous attirez
des investissements chinois. Allez-vous lâcher
Taïpei ?
Nous avons des relations avec Taïwan de-
puis 20 ans. Toutefois, la Chine a récemment
ouvert un bureau de liaison à Sao Tomé et ses
compagnies ont prévu d’y in-
vestir. C’est une approche inté-
ressante, liée à l’évolution des
relations entre Pékin et Taïpei,
à la faveur du rapprochement
initié par Pékin. L’arrivée au
pouvoir d’un parti indépendan-
tiste à Taïwan pourrait avoir des
conséquences pour Sao Tomé
mais nous ne jetterons pas
d’huile sur le feu entre les deux
pays. La Chine a profondément
évolué depuis vingt ans. Elle
possède aujourd’hui une éco-
nomie ouverte, un gigantesque
marché de consommateurs,
exporte ses capitaux, a délivré
200 millionsdepasseportsàdes
citoyens qui aspirent à voyager et dispose tou-
joursdesonsiègepermanentauConseildesécu-
rité. Si la situation dégénère entre les deux voi-
sins,nousseronsobligésdenousprononcer…
Les pays qui vous entourent ont adopté le
franc CFA. Pourriez-vous, comme la Guinée
équatoriale, demander votre adhésion à la
zone franc ?
Non. La France a fermé son antenne diplo-
matique à Sao Tomé. Il ne reste plus qu’un em-
bryon d’Alliance française et l’Agence française
de développement (AFD) ne finance plus de
projets. La langue française reste la deuxième
langue enseignée dans notre pays, mais on
discute de plus en plus en anglais, notamment
dans le monde des affaires. Quelque 8 000 San-
toméens parlent le français mais 18 000 de mes
compatriotes sont aujourd’hui en Angleterre.
Et l’on diffuse des films en anglais sous-titrés
en portugais. Au-delà de la France métropo-
litaine, nous souhaitons attirer les entreprises
françaises, PME ou grands groupes, qui ont une
connaissancedel’AfriquecommeBolloréetCas-
tel, qui était autrefois présent. C’est le message
quejeviendraiporterprochainementauMedef.
Serez-vous candidat à la présidentielle du
24 juillet prochain ?
Non,maisnotrepartiprésenteraquelqu’un.
Le chef de l’Etat a surtout un rôle de représenta-
tionetdepromulgationdeslois.Ilneprésidepas
le Conseil des ministres. Les pouvoirs régaliens
(défense, sécurité intérieure, économie, poli-
tique étrangère…) sont entre les mains du Pre-
mier ministre choisi au sein du parti qui arrive
entêteauxlégislatives.
Sao Tomé fait figure d’incongruité dans le
paysage autocratique d’Afrique centrale. La
démocratie est réelle et vous avez dû démis-
sionner, par le passé, à l’issue d’une motion
de censure…
Notre démocratie est un atout important.
Elle est le fruit, il me semble, de notre système
scolaire. Environ 98 % de la population a passé
un minimum de six ans à l’école. 70 % des
Santoméens vivent en milieu urbain, presque
chaque citoyen a un téléphone mobile et un
accès à Internet ; la presse est libre, le multipar-
tisme réel et les médias étrangers comme RFI
et Voice of America présents.
Interview Pascal Airault
@P_Airault t
Quel est le potentiel touristique ?
Traversés par l’équateur, nous avons une
faune et une flore riche et variée, des plages de
sable blanc et des « resorts » de luxe. Nous met-
tons actuellement en valeur le tourisme écolo-
gique, l’activité de trekking et l’agrotourisme.
Nous visons une clientèle haut de gamme, qui
puisse dépenser environ 500 dollars par jour.
Nous avons supprimé en 2015 les visas pour les
Européens de l’espace Schengen, les Améri-
cains et les Canadiens. Nous sommes à 95 % de
taux d’occupation de nos hôtels. Les expatriés
et riches clients de la région peuvent venir pour
de courts séjours et les étrangers y passer une
semaine. A deux heures de vol, il y a de grandes
métropoles comme Luanda et Lagos. Il y a plus
de 20 000 millionnaires au Nigeria. Ce tourisme
nécessite plus d’investissements et l’essor des
liaisonsaériennes.
En agriculture, visez-vous les marchés de
niche ?
C’estnotrecible.Ontablesurlaqualité,l’ori-
gine certifiée et les dérivés, notamment dans le
cacao et le café, où nous avons respectivement
despartenariatsaveclechocolatierGodivaetles
cafésMalongo.Nousallonsproposeràdegrands
chefs de mettre dans leur menu des desserts
« madeinSaoTomé ».Onréfléchitaussiàlacréa-
tiondespasavecdestraitementsàbasedecacao.
Nous avons aussi développé la culture du poivre
blanc et nous lancerons bientôt dans la vanille.
Des firmes américaines font des recherches
sur les plantes médicinales, notamment dans
le traitement de la maladie d’Alzheimer. Nous
avons enfin lancé une étude avec le Nigeria pour
évaluer nos ressources halieutiques. But : pas-
ser d’une pêche artisanale à industrielle. Il y a
des espèces migratoires comme le thon et une
industriedetransformationàdévelopper.
Quels sont vos principaux partenaires étran-
gers ?
Notre principale politique de défense
est la diplomatie, notamment économique.
Nous sommes un petit pays d’un peu plus de
200 000 habitants. Nous cherchons notre voie
sans faire de l’ombre aux autres. Nous sommes
membresdelaCommunautédespaysdelangue
portugaise (CPLP), dont le secrétaire exécu-
tif sera issu de Sao Tomé à partir de juillet. On
Economiste
francophile
Fils de l’ancien président
Miguel Trovoada, Patrice
EmeryTrovoada, 54 ans,
est Premier ministre
depuis le 25 novembre
2014, une fonction qu’il a
déjà occupée par le passé.
Cet économiste est un pur
produit des universités
française et portugaise.
Parfait francophile après
avoir passé une partie de
son enfance au Gabon, il
est musulman, dans un
pays à très forte majorité
catholique.
« Notredémocratieestun
atoutimportant.Elleest
lefruitdenotresystème
scolaire.Environ98 %
delapopulationapassé
unminimumdesixans
àl’école »
« Enpériodedebaissedescours,tordrelecou
desmajorspétrolièresnesertàrien »
LePremierministredeSaoToméetPrincipe :«Nousmettons
envaleurletourismeécologique,l’activitédetrekking
etl’agrotourisme.Nousvisonsuneclientèlehautdegamme »
Identités
HakimElKaroui
Protectionnisme :
uneidée
neuveaux
Etats-Unis
sipa press
Alorsqu’EmmanuelMacron
continuesonoffensivepourcréer
lesconditionsd’unecandidature,les
débatsvenusdesprimairesaméricaines
pourraientl’inspirer,luiqui,comme
d’autrescandidats,dedroitecomme
degauche,cherchedesthèmespourla
présidentielle.Commentparlerauplus
grandnombredansuncontexteoùla
parolepolitiqueesttotalementdévalo-
risée ?Dequoileurparler ?D’identité,
histoirederassurerles« petitsblancs »
quisedisentquedécidémentpersonne
nes’occuped’eux ?De« social » ?L’Etat
estpauvreetlesimpôtsélevés :plus
personnenesemblecroirequel’Etat
socialpuisseêtreencoreétendu.Alors
àdroite,toutlemondeestdevenu
entre« très »et« extrêmement »libéral,
sansappliquerd’ailleursàceterme
l’ensembledesesusages :enmatièrede
société,lescandidatsdedroitenefont
mêmepassemblantd’êtrelibéraux,
àpartNathalieKosciusko-Morizetqui
l’estvraiment,elle.
Puisqu’ilsmanquentd’idées,allons
voirducôtédesEtats-Unis.Dequoiy
parlel--onlorsdesprimaires ?Surprise,
lesujetquipréoccupelepluslesAmé-
ricainsestceluidontonparlelemoins
enFrance :lesinégalités.Avec,entoile
defond,ledébatsurlamondialisation.
UnsujetquelesFrançaisonteffleuré
lorsdesprécédentescampagnes.Et
quin’estplusàlamodeaujourd’hui.
L’auteurdeceslignesobservecedébat
américainavecintérêt :ilabeaucoup
travailléilyadixanssurl’idéed’un
« protectionnismeeuropéen ».Les
insultesfusaientàl’époque,venant
souventd’économistes :« ringard »,
« étatiste »,« démagogue »voire« fas-
ciste ».
Quedisenteneffetleséconomistes
américainsaujourd’hui ?Pilierde
l’establishmentéconomiqueaméricain,
LarrySummersparledepuisdix-
huit moisdela« grandestagnation »
causéenotammentparlelibre-
échange.EtmêmeleFinancialTimes
reconnaît,souslaplumedePhilip
Stephens,que« lelibre-échangecom-
mercialatoujourscréédesperdants,
leproblèmeaujourd’huiestqu’ilssont
plusnombreuxquelesgagnants ».
Mépris.Lesclassesmoyennesamé-
ricainesfontenfinprendreconscience
àtousqueladoxaquialongtempseu
courssurlelibre-échangeétaitbelet
bienfausse.Non,lelibre-échangene
faitpasmonterleniveaudelarichesse
globale,profitantainsiàtous.Pour-
quoi ?Parcequel’Occidentatraitépar
leméprislespaysémergents,croyant
quelui,l’Occident,sespécialiserait
danslavaleurajoutéeetl’intelligence,
laissantauxautresle« lowvalue »…
etlabêtise.LesAsiatiques,maisaussi
lesTurcs,lesBrésiliensetdemainles
Africainsontprouvéquecetteidée
étaitabsurde.Entre-temps,lesclasses
moyennesindustriellesoccidentales
ontétélaminées.Certainsontretrouvé
unemploidanslesservicesmaisàdes
niveauxderesponsabilitéetdesalaire
beaucoupplusbasqueceuxdontils
disposaientavant.EtmêmesilaFrance
aétémoinstouchéequelesEtats-Unis,
ellen’apasétéépargnéepourautant.
Ajoutons,pourmettreàjourl’ana-
lyse,quelesravagesdel’automatisation
del’économieindustriellemaisaussi
desservicesnefontquecommencer
pourlescolsblancsmoyennementqua-
lifiés.Etoncomprendramieuxledésar-
roidesclassesmoyennesfrançaises.
Auxpartisdegouvernementd’inventer
trèsvitedesréponsesintelligentes.A
moinsqu’ilnesoitdéjàtroptard…