SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  24
Les personnages de la Tétralogie : une analyse
psychologique
Dans le cadre de la Tétralogie donnée au Festival de Bayreuth en
juillet/août de 2013, dans la nouvelle mise en scène de Frank Castorf,
à l’occasion du 200e
anniversaire de Richard Wagner, il est utile de se
consacrer d’une manière plus approfondie aux personnages qui
hantent l’ensemble de cette monumentale cosmogonie mise en paroles
et en musique par Richard Wagner.
Tout au long des descriptions des personnages, pour la plupart
fascinants, auxquels nous allons nous consacrer au cours de cette
analyse, nous parlerons indifféremment de la Tétralogie, du grec
« tetra » - quatre, ou du Ring, abréviation allemande du cycle : »Der
Ring des Nibelungen », ou L’Anneau du Nibelung, au singulier, le
Nibelung étant le surnom d’Alberich, le maître absolu des Nibelungen,
au pluriel, qui sont ses esclaves.
La Tétralogie, ou le Ring comporte donc quatre opéras : un Prologue,
l’Or du Rhin, la première journée, la Walkyrie, la deuxième journée,
Siegfried et la troisième journée, le Crépuscule des Dieux. Cette
numérotation des diverses journées de un à trois sera importante pour
notre propos par la suite, le Prologue de l’Or du Rhin ne représentant
donc pas la Première journée, qui est celle de la Walkyrie.
Notre fil d’Ariane se déroulera autour d’un certain nombre de grands
thèmes et de psychogrammes des principaux personnages. Nous
tenons à souligner que la structure logique choisie, a pour
conséquence de balayer l’ensemble du Ring, pour chaque thème choisi
et chaque psychogramme exposé. Ne vous étonnez donc pas de
découvrir des éléments extraits de l’Or du Rhin, de la Walkyrie, ou de
Siegfried dans l’introduction du Crépuscule par exemple, ou bien des
citations du Crépuscule dans l’Or du Rhin.
Cette approche synthétique et non historique des introductions
possède l’avantage de pouvoir cerner au maximum les traits de
caractère des personnages traités, ainsi que les faces cachées
contenues dans les grands thèmes, représentant une foule de messages
exégétiques que Richard Wagner met à disposition de ceux qui
désirent aller au-delà des simples développements de l’argument.
L’or du Rhin
1) Introduction générale
• La prise de conscience de l’existence d’une Nation allemande, dès
le début du 19e
siècle, dans le sillage de l’occupation
napoléonienne, au sein des intellectuels allemands, eut pour
conséquence la remémoration et la célébration du passé
germanique. Furent ainsi tirés de l’oubli : tout un cortège
d’antiques récits légendaires, les sagas, telle la saga des
Nibelungen, et historiques avec ses hauts-faits héroïques, comme la
bataille de la forêt du Teutobourg au cours de laquelle le chef des
Chérusques, Arminius, défit trois légions romaines, en l’an 9 de
notre ère.
• Le romantisme allemand redécouvrit toutes ces histoires, les
idéalisa, les enrichit, et les enroba de la nostalgie d’un passé qui fut
considéré comme ayant été glorieux, contrairement à la réalité
politique de l’Allemagne d’alors, ressentie comme une honte,
indigne d’une communauté linguistique et culturelle, chérissant
l’ambition de devenir une Nation.
• L’Allemagne d’alors était morcelée en une quarantaine de
principautés petites et grandes, qui, de plus, se regardaient en
chiens de faïence, s’ils ne se faisaient pas la guerre, et ne
possédaient pas la moindre vision d’une nation homogène cimentée
par une langue et une culture allemandes, communes.
• Suite aux « discours à la Nation allemande » de J. Gottlob Fichte en
1808, appelant les Allemands à s’unir politiquement, il fallut
attendre 63 ans jusqu’à ce que le deuxième Empire allemand fût
fondé en 1871 dans la Galerie des Glaces au Château de Versailles,
après le chavirement d’un premier essai d’unification lors de la
révolution de 1848.
• La mouvance du romantisme allemand donna naissance, entre
autres, à deux grandes épopées qui sont la Trilogie des Nibelungen
de Friedrich Hebbel, sous-titrée « une tragédie allemande »,
reflétant bien l’esprit de l’époque, et la Tétralogie de L’Anneau du
Nibelung, « der Ring des Nibelungen » de Richard Wagner.
• N’oublions pas que Wagner était monté sur les barricades de la
révolution de 1848 à Dresde, raison pour laquelle il dut s’exiler en
Suisse.
• Le Ring constitue une immense fresque sur le pouvoir, son
obtention par tous les moyens, son exercice sur le plan mondial,
son exploitation criminelle, et enfin sa perte dans un fracas
apocalyptique, incarné par un seul personnage, Wotan, le Dieu
suprême de l’Olympe germanique.
• Tout pouvoir suscite la convoitise de ceux qui ne le possèdent pas,
et qui utilisent les sortilèges sexuels afin de se l’accaparer. C’est sur
cette logique simple que se construit l’ensemble de l’action du
Ring. Alberich décrit parfaitement ce phénomène lors de sa
malédiction de l’Anneau : « que celui qui le possède, soit dévoré
par le souci, et que celui qui ne le possède pas, soit rongé par
l’envie ! »
•
• La convoitise constitue le fondement majeur qui sous-tend
l’entièreté du Ring. Wagner la rend opérante par l’omniprésence de
l’attirance sexuelle. Alberich maudit l’amour parce qu’il a peur de
l’érotisme, et forme l’Anneau. Fafner tue son frère Fasolt par
jalousie, les deux géants s’étant amourachés de la belle Freia,
déesse de la Jeunesse, et vole le Trésor avec l’Anneau.
• Karl Marx a parlé de l’ »évaluation monétaire de l’individu », et Il
est intéressant de soulever que le corps de Freia est estimé à son
pesant d’or !
• C’est par le viol que Wotan extorque à Erda ses prophéties sur
l’avenir du monde, enfantant ainsi Brünnhilde. Afin de préserver
son pouvoir, il devra sacrifier ses deux enfants, Siegmund et
Brünnhilde sur l’autel de ses ambitions.
•
•
• 2) Proto-Histoire de l’Anneau du Nibelung
•
• Le cycle épique qui s’est formé autour de Siegfried, de Brünnhlde
et des Nibelungen est le fruit de la longue élaboration des
différentes légendes des peuples germaniques, ou nordiques, dont
islandais. Le récit des Nibelungen a été considéré comme la plus
grande épopée nationale au 19e
siècle en Allemagne, où s’affirme,
et s’exalte l’intuition de la vie et du monde, propre au paganisme
germanique. Empêtré dans un destin inéluctable, qui pèse sur le
monde, le héros germanique apparaît à la fois coupable et innocent.
• Il exalte les plus hautes vertus de la race guerrière, dont l’aspiration
à l’hégémonie mondiale est sous-jacente à toute son action, et dont
l’ambition première consiste à s’approprier le Trésor, symbole de
puissance et de domination.
• Ainsi Siegfried, l’adolescent pubère, né dans la Forêt millénaire est
issu de la Mère originelle de toute chose. Il incarne ainsi le type
idéal du héros, qui croit aveuglément à sa force brutale, et qui ne
doit tout qu’à lui-même. Il est intéressant de soulever à ce stade
l’orientation fondamentalement matriarcale de la préhistoire
germanico-nordique.
• Fils de la Nature, les héros germaniques, avant de mourir, restituent
à la Mère Universelle, ce qu’ils ne peuvent léguer à leurs héritiers.
• Pour ces sociétés indo-européennes préhistoriques primitives,
l’histoire humaine constitue un éternel cycle du Devenir, auquel
sont soumis à la fois les Dieux et les hommes.
• Les anciens Dieux indo-européens ne sont donc ni éternels, ni
omniscients, ou omnipotents, mais sont imprégnés au contraire
d’une forte connotation humaine avec toutes les qualités, fautes et
ambitions qui animent les hommes depuis qu’ils vivent en groupe,
ou en société.
• Toute destinée trouve son aboutissement dans le « Ragnarök »,
provenant du proto-germanique « ragna » ceux qui règnent, càd les
dieux, et « rök » - fin, ce qui signifie « Crépuscule des Dieux ».
• Donc même les dieux sont soumis à cette fin de toute chose. Tel est
le cadre culturel préhistorique duquel est issu la saga des
Nibelungen, « saga » signifiant « récit » en langage nordique, dont
est dérivé le terme allemand de « Sage », la « légende ». Richard
Wagner a fusionné deux anciennes épopées dans sa Tétralogie : la
saga des Nibelungen et celle des Völsungen, et a utilisé
partiellement un troisième récit plus tardif : la chanson des
Nibelungen.
• 1) La saga des Nibelungen, constitue le plus ancien recueil de
chants scandinaves et islandais des 8e
et 9e
siècles, appelés
« Eddas», dont certains remontent jusqu’à l’époque de la fin des
grandes invasions barbares. Nous ne citerons ici que les chants,
dont les noms de personnages nous sont devenus familiers, parce
que Wagner les a inclus dans sa Tétralogie, comme les chants de
Fafnir, de Sigurd (Siegfried en nordique), ou celui du réveil de
Brynhild etc…
• 2) La saga des Völsungen comprenant les récits sur l’Anneau des
Nibelungen, forgé par Alberich, ou sur Siegmund, Sieglinde et
Hunding, provient du même giron, mais est d’origine plus tardive.
• 3) La chanson des Nibelungen contient deux sagas, à l’origine
indépendantes, écrites entre 1160 et 1170, puis fusionnées et
réécrites entre 1200 et 1210.
• - La première partie comprend les chants épiques consacrés à
Siegfried et Brünnhilde, dont Wagner a utilisé de larges extraits,
notamment les épisodes de la forge de l’épée de Siegfried, de son
combat avec le dragon et de son assassinat par Hagen.
• Richard Wagner a traduit d’une manière époustouflante la noirceur
maléfique de Hagen, qui se répand, comme des miasmes, dans
toute la Chanson des Nibelungen. Il n’y a de meilleure illustration
qui peut en être donnée, que ses appels au rassemblement
tonitruants à ses hommes-liges au deuxième acte du Crépuscule :
• - La deuxième partie, appelée la chanson de la fin des Nibelungen,
qui représentent en fait les Burgondes historiques, établis sur le
Rhin dans la région de Worms au 5e
siècle, traite exclusivement de
la vengeance de Krimhilde, suite à l’assassinat de son époux
Siegfried. Après un veuvage de treize ans, elle se remarie avec le
roi des Huns Attila, ou Etzel en allemand, uniquement pour se
venger de ses anciens compagnons de la cour burgonde, meurtriers
de Siegfried, en les invitant à la cour d’ Etzel, dans le but de les y
faire périr dans un horrible massacre.
• Toute cette partie de la Chanson des Nibelungen a été ignorée par
Wagner, très probablement parce que son caractère essentiellement
guerrier, ne présentait aucun intérêt pour lui dans la transmission de
ses messages culturels, esthétiques et politiques.
• Il ne s’en est d’ailleurs jamais expliqué lui-même.
• Toute cette atmosphère sombre de fin du monde qui hante ces
anciennes sagas, nous rapproche fortement de l’ambiance générale
de l’épopée wagnérienne du Ring, qui baigne, dès le
commencement dans un climat de fin des choses, de destinées
cruelles et irréversibles, ou de fatalités inévitables et impitoyables.
•
• 3) La Genèse du Ring
•
Le Ring complet, dont il a lui-même écrit le texte en vers, détaillé
toutes les indications scéniques, et composé a musique, a une durée
totale de 16 heures et fut crée en 1876 sous l'impulsion du
compositeur et sous la direction de Hans Richter, à l'occasion du
premier Festival de Bayreuth au Festspielhaus qu'il fit construire dans
cette même ville bavaroise.
Le concept du Ring permet à Richard Wagner de combiner ses propres
idées philosophiques sur le cours du Monde avec les anciens mythes
des légendes germano-nordiques et son imagerie particulière que nous
avons traités au chapitre précédent.
- Quand Wagner termine la dernière page de la composition en
novembre 1874, 26 ans ont passé depuis 1848, année de la rédaction
d’une étude préliminaire le « mythe des Nibelungen ».
Rappelons à ce stade, que la grande idée de Wagner de construire un
théâtre afin d’y organiser un grand festival scénique, date de cette
année 1848, et le hantera jusqu’à la pose de la première pierre du
Festspielhaus à Bayreuth en 1872.
- Ces ébauches amènent Wagner à rédiger le poème de la « mort de
Siegfried » en 1850. Lorsqu’il veut commencer à en composer la
musique, il reconnaît que la compréhension du drame exige l’exposé
de nombreux antécédents. C’est ainsi que Wagner entreprend le travail
titanesque de la rédaction de l’Anneau du Nibelung, en commençant
par la fin ! Soulignons cependant que lorsqu’il entreprendra la
composition du Ring, il procédera dans le bon ordre, càd en
commençant par l’Or du Rhin.
- En 1851, il rédige le livret du « Jeune Siegfried », le héros qui
s’accapara le Trésor et réveilla Brünnhilde.
- Toute l’année 1852 est investie dans la confection des deux livrets
de la Walkyrie et de l’Or du Rhin.
- Le 12 février 1853, soit exactement 30 ans avant sa mort le 13
février 1883, Wagner publie le livret complet de la Tétralogie.
- Il se met à la composition de l’Or du Rhin, dont il termine la
partition en janvier 1854. En décembre de la même année, il termine
la composition de la Walkyrie.
- 1855 : rédaction de la partition de la Walkyrie.
- 1856 : composition des deux premiers actes du « Jeune
Siegfried ».
C’est pendant cette année que Wagner se décide à donner le titre
définitif de « Siegfried » à la deuxième journée, et celui de
« Crépuscule des Dieux » à la troisième ( au lieu de la « Mort de
Siegfried »).
- Quand, en 1857, il entreprend l’orchestration du deuxième acte de
Siegfried, il interrompt le travail. Il écrit à Liszt : « J’ai conduit mon
jeune Siegfried dans la belle solitude des bois, et je l’ai laissé sous un
tilleul… ».
Cette interruption dura 7 ans, période durant laquelle Tristan et les
Maîtres-Chanteurs virent le jour.
- Fin 1864, il reprend la partition de Siegfried, mais uniquement
pour mettre au net les deux premiers actes ce qui dure jusqu’à fin
1865.
- Suivent de nouveau 4 ans de pause, avant que Wagner ne se mette à
la composition du 3e
acte de Siegfried en 1869. 11 ans se sont donc
passés, depuis qu’il laissa Siegfried sous son tilleul. Grâce à Tristan et
aux Maîtres, le langage musical de Wagner s’était densifié d’une
manière extraordinaire, ce qui se ressent dès le prélude au 3e
acte.
- En 1870 Wagner commence à mettre en musique le premier acte du
Crépuscule.
- 1871 vit la composition des 2e
et 3e
actes.
- 1872 : orchestration des actes 2 et 3.
- 1873 et 1874 : mise au net des partitions des 3 actes du
Crépuscule.
Quand Richard Wagner met le point final à la dernière page, il écrit en
bas de page : « Terminé à Wahnfried le 21 novembre 1874…Je ne dis
rien de plus ! »
- En août 1876 eut lieu la première représentation du cycle complet
du Ring dans le cadre du premier Festival de Bayreuth.
Le succès de cette œuvre gigantesque de 16 heures de musique mise
de bout en bout n’a jamais discontinué jusqu’à nos jours.
•
4) L’Or du Rhin - Introduction
Dans la stupéfiante mise en scène musicale de la Genèse du monde
selon Richard Wagner, la rumeur sourde de la création du monde,
d’abord indistincte, se précise lentement et se consolide dans l’accord
de mi bémol majeur, fondement colossal de l’ensemble de l’édifice
sonore à venir, qui, avec ses arpèges se prolonge tout au long de 136
mesures.
La description de l’élément originel de l’Eau, sous la forme d’une idée
sonore, symbolise le principe créateur de toute chose.
Pour Wagner, il ne s'agit pas de sauver l'Ancien Monde, mais d'en
créer un nouveau, un Monde dans lequel l'Homme libre puisse
s'épanouir en s'affranchissant du pouvoir délétère des anciens dieux.
Au cours de ses études philologiques des diverses sources que nous
venons de citer, Wagner a découvert une très ancienne manière de
versification basée sur l'Onomatopée, et appelée Stabreim, différente
de la versification en rimes, qu'il utilisa dans l'entièreté du poème du
Ring. Wagner utilise ainsi la sémantique pour exprimer des états
d'âme, des sentiments, ou des contradictions. Nous allons y revenir
dans le chapitre consacré à l’esthétique wagnérienne.
Afin de décrire psychologiquement, ce que les mots ne savent plus
exprimer, Wagner utilise dans son Ring, des thèmes musicaux
caractérisant des traits de caractère de personnages, des situations
ambiguës, des contradictions entre les apparences visibles et les
pensées cachées des personnages, des états d'âme...C'est la technique
du Leitmotiv, que l'on peut traduire par thème récurrent, ou, plus
correctement par thème-conducteur. Berlioz appela ce concept « idée
fixe » dans sa Symphonie fantastique.
Nous devons cependant faire attention à ne pas réduire toute la science
musicale de Richard Wagner à la seule technique du Leitmotiv, terme
que Wagner lui-même n’utilisa jamais, préférant parler de « motifs de
réminiscence ».
Ainsi, 120 thèmes-conducteurs peuvent être identifiés en tout dans le
Ring et forment une gigantesque toile superposée sur 16 heures de
discours musical.
Des rappels d'épisodes révolus, ainsi que les contextes de situations,
de sentiments, sont ainsi illustrés musicalement et servent de guide à
travers l'action qui s'étire sur plusieurs générations, voire plusieurs
âges terrestres, afin de mettre en lumière les liens entre eux, d'une
manière telle que les Leitmotifs peuvent remplacer les paroles.
Wagner commente le contenu de la Tétralogie à peu près comme suit:
"La malédiction de l'Amour par laquelle l'Or du Rhin a pu être
subtilisé par Alberich, crime contre la Nature, détermine l'entièreté de
la tragédie. Elle fait des victimes à la chaîne et détruit le monde entier,
empêtré dans la faute et le péché, jusqu'à ce que Brünnhilde, réussisse,
par son propre sacrifice par le feu, à briser le cercle vicieux, et à
réparer le crime originel contre la Nature, en rendant l'Or, élément
indifférencié et naturel aux représentantes de cette Nature: les Filles
du Rhin.“
Signalons que ces Dieux représentent des projections humaines,
animés de pulsions bassement terrestres. Il n’existe pas de divinité
unique omnisciente, omnipotente, et omniprésente, et nous aurons
souvent l’occasion de revenir sur ces particularités peu divines.
34 personnages animent la trame du Ring qui se décompose en
plusieurs niveaux et lieux. Au fur et à mesure de leur apparition dans
l'action, surgissent leurs thèmes musicaux individuels et
caractéristiques.
• L’Or du Rhin, qui n’est pas un drame, ni une comédie, comporte
néanmoins maints éléments comiques, tel que Loge, figure théâtrale
classique avec sa nature ambivalente de Méphisto maléfique,
pouvant se transformer en feu dévastateur, et de demi-dieu, pouvant
se mettre à la solde de ses collègues divins, tant qu’une telle
collaboration sert ses intérêts. Dans ce sens, il est intéressant de
noter que Wagner en fait un demi-dieu, ce qui lui permet de relever
d’autant mieux sa double nature bénéfique et maléfique, qui penche
tantôt vers le bien, tantôt vers le mal, alors que le dieu de la
mythologie germanique, Loki représente un dieu à part entière.
•
• 5) Premier grand thème : Psychogramme d’Alberich et le
phénomène de l’anxiété dans le Ring
•
• Il est proprement étonnant de devoir se rendre à l’évidence à quel
point le personnage d’Alberich, l’alter-ego, ou le négatif de Wotan
en quelque sorte, adepte de la magie noire en tant que Schwarz-
Albe, démon de la Nuit et esprit maléfique, est tenaillé par
l‘anxiété, qui est un état psychique d’angoisse permanente. Ivre de
pouvoir et de de domination, il est prêt à tout faire pour y accéder,
mais demeure pour autant un personnage inquiet.
• Les termes d’anxiété (Bangen), d’angoisse (Angst), de souci
(Sorge), d’inquiétude (Besorgnis), de peur (Schrecken) et
d’épouvante (Furcht), sont proches les uns des autres et sous-
tendent toute l’action du Ring, en sont le moteur puissant et
permanent, raison pour laquelle nous allons passer en revue un
certain nombre de définitions médicales des divers états de peur,
tirées de la grande Encyclopédie de la Médecine :
• - L’anxiété constitue un état d’angoisse, lié à la conviction
subjective de l’imminence d’un danger. Il s’agit d’un sentiment
véritable, mais vague qui diffère de l’angoisse, en ce que celle-ci
est due à une cause précise. L’anxiété est une peur sans objet,
généralement tournée vers l’avenir dans l’attente d’un danger
imprécis et imprévisible.
• Cette définition nous amène à qualifier Alberich d’anxieux, du fait
que son état ne provient pas d’une cause précise particulière, mais
constitue au contraire une manière d’être, ou un trait de caractère
fondamental d’Alberich. Nous allons maintenant suivre Alberich à
la trace, et nous allons découvrir son psychisme de grand anxieux
de manière éclatante :
• Dès la première scène de l’Or du Rhin Alberich apparaît en tant que
spectateur anxieux quand il demande aux Filles du Rhin « est-ce
que je gêne votre jeu, si je ne fais que demeurer auprès de vous,
immobile et contemplatif »
• Une telle attitude ne peut que provoquer taquineries et moqueries
de la part des trois ondines « coquines », ainsi que les qualifie
Fricka, qui n’ont d’autre but que de susciter les fantasmes du nain
hideux, ce qui amuse d’autant plus les trois entraîneuses, ainsi que
Chéreau les avait représentées dans son fameux Ring de 1976.
• Quand ses approches tant érotiques que maladroites à leur égard
échouent, l’une des trois filles, Flosshilde, la plus intelligente et la
plus entreprenante des trois, lui lance : »pourquoi te décourages-tu
si vite, au lieu de me demander de te consoler ! », ce à quoi
Alberich répond plus loin : »La peur gagne mon coeur devant tant
de gentillesse ».
• Les trois Belles lui font finalement des propositions non
équivoques en chantent en chœur : »pourquoi es-tu si anxieux, au
lieu de t’attacher celle d’entre nous que tu désires ? Prends-nous et
sois sans effroi ! »
• Les trois filles légères font clairement allusion à la frousse que
ressent Alberich vis-à-vis des femmes, de l’érotisme, de la sexualité
et de l’amour. Cette attitude de peur devant la Nature féminine est
confirmée par la suite quand les Filles du Rhin lâchent le morceau
que seul celui qui renonce à l’attrait que possède l’amour, et en
refuse les plaisirs, accédera au pouvoir magique de forcer l’or à se
constituer en anneau. Tout en projetant son anxiété sur les ondines -
quelle subtilité de Wagner dans le maniement du psychisme de ses
personnages –, Alberich répond : »Ne vous inquiétez-vous toujours
pas ? Alors continuez vos ébats dans l’obscurité créatures humides !
Je vous éteins votre éclairage et je m’empare de l’or en maudissant
l’amour ! »
•
•
• Ici se révèle à présent toute la tragédie de l’état psychique
d’Alberich, car les filles ne lui avaient pas demandé de maudire
l’amour, mais tout simplement d’y renoncer : Nuance !
• Or Alberich, de sa propre initiative, fulmine sa malédiction contre
l’amour, parce qu’il maudit et hait ce dont il souffre, c'est-à-dire, la
peur existentielle et viscérale que lui inspire l’amour, la sexualité, et
surtout l’Eternel Féminin. La frustration extrême que lui cause sa
timidité déclenche ses poussées d’agressivité contre l’objet qu’il
tient responsable de celle-ci.
• Jusqu’à la fin, Alberich demeurera un grand anxieux.
• Ainsi s’est-il fait tricoter un heaume de camouflage par son frère
Mime, qui doit le rendre invisible dans le but d’apaiser sa peur de
l’insécurité et de dormir tranquillement. Naïvement, il en fait la
démonstration à Wotan et à Loge : »Personne ne m’aperçoit quand
il me cherche, alors que suis partout, bien caché que je suis. Ainsi
suis-je sans crainte, même devant toi ! », se vante-t-il devant Loge.
•
• Après avoir été maîtrisé par Wotan et Loge dans son usine de
production souterraine, et ramené, ligoté à la surface de la terre,
Wotan s’adresse à lui : »Te voilà ligoté devant moi. Anxieux que tu
es, tu ne peux pas nier qu’il te faut payer à présent la rançon pour
recouvrer ta liberté ! » Sa renommée d’anxieux semble ainsi
fortement ancrée dans les consciences de ses compères. Ainsi,
Wotan, dans son grand monologue au deuxième acte de la
Walkyrie, l’appelle-t-il « le Nibelung inquiet ».
• Au moment de défendre son anneau qu’il ne veut pas céder à
Wotan, il se qualifie lui-même de « malheureux, qui, dévoré par la
peur a commis un acte terrible et maudit ». Ainsi regrette-t-il déjà
amèrement la malédiction de l’amour que personne ne lui avait
demandé de prononcer, mais auxquelles il s’est laissé aller sous
l’influence de sa frousse devant l’érotisme pétaradant de nos
cocottes aquatiques.
• Craignant que son anneau lui échappe, et miné par l’anxiété devant
l’extrême danger que représente pour lui l’accès à l’âge adulte de
Siegfried, que Mime, son frère, qu’il abhorre, aura certainement
mis au courant du fait qu’il y a un trésor à lever dans la forêt,
Alberich monte la faction devant l’antre de Fafner au deuxième
acte de Siegfried. Transi de froid et de peur, il murmure pour soi-
même : »jour d’angoisse, te lèves-tu déjà » ? Il exprime son anxiété
sans objet, mais réelle parce que tournée vers l’avenir, dans
l’attente diffuse d’un danger non défini, ainsi que la psychanalyse
moderne décrit le phénomène de l’anxiété.
• - Quand l’anxiété devient somatique, c'est-à-dire, quand un
désordre psychique se manifeste sous la forme d’un trouble
organique, elle déclenche par exemple une nervosité excessive. On
peut donc aussi envisager de véritables attaques d’anxiété, ou
paniques, qui déclenchent une peur intense de perdre la raison entre
autres.
• L’anxiété retentit alors sur la vie du sujet, dont l’humeur est
dominée par la tristesse, la tension, le dégoût, et peut évoluer vers
la dépression, qui peut se traduire par un état psychotique délirant
ou hallucinatoire, ou par une mélancolie anxieuse.
• Ces signes cliniques sont aisément décelables chez Mime, le frère
d’Alberich, Nibelung, et nain, comme lui, qui tremble de peur et
d’effroi devant son frère et Maître. C’est un état permanent chez
Mime, qui tremble aussi devant Wotan, le Voyageur, dont il sent la
supériorité intellectuelle hors de sa portée. Son excitation nerveuse
grandit, au fur et à mesure que Wotan lui pose ses trois questions
dans le cadre du pari du savoir, et deviendra paroxystique quand il
ne trouve pas la réponse à la troisième question, consistant à savoir
que celui qui reforgera les pièces de l’épée de Siegmund brisée par
la lance de Wotan, ne devra jamais avoir connu la peur. Mime perd
la boule : » les pièces …l’épée, malheur à moi, j’attrape le
vertige…que vais-je faire, quoi imaginer ? Acier maudit, pourquoi
t’ai-je volé ? »
• Les propos décousus de Mime contiennent un aveu terrible, tels que
les psychotiques terrassés par la terreur ont coutume de lâcher.
• Quand nous avons peur, nous sommes incapables de réfléchir
sereinement. Sous l’effet de la peur, nos capacités naturelles à nous
prendre en charge s’effondrent. La peur est profondément enfouie
dans nos esprits, dans une région qui est appelée amygdale
cérébrale.
• La version « officielle » de Mime vis-à-vis de Siegfried, consiste à
affirmer que les pièces éparses de l’épée lui avaient été remises par
Sieglinde, quand il l’a recueillie dans sa forge, suite au combat
malheureux de Siegmund contre Hunding, et que sa mère Sieglinde
mourut en couches. N’étant plus maître de lui, Mime avoue avoir
volé les pièces détachées de l’épée…Pourquoi volé ? Par crainte
excessive que Sieglinde fasse disparaître les vestiges de la mort
accidentelle de Siegmund, du fait que son épée s’est brisée… ?
Ainsi, Mime ne serait-il donc pas étranger à la mort de Sieglinde. II
aurait très bien pu hâter sa mort afin de s’accaparer, et mettre en
sécurité les pièces de l’épée, connaissant le caractère magique de
celle-ci …
• Malheureusement pour nous, Wagner ne donne nulle part ailleurs la
moindre confirmation de ce vol, ou explication sur celui-ci. Mais
comme toujours chez lui, il n’a pas lâché cet aveu, pourtant de
taille, de manière gratuite…
• - Wotan, le fier « Lichtalbe », esprit de la Lumière, ou adepte de la
magie blanche, et éternel adversaire d’Alberich, parce qu’il
représente la face illuminée de Janus, bien que chef des Dieux, est
habité tout au long du Ring par une anxiété grandissante.
• Ainsi se montre-t-il passablement commotionné par les prédictions
d’Erda sur sa fin et celle des Dieux. Il désire en savoir plus et veut
retenir Erda de force : »quels que soient mes soucis et mes
inquiétudes, je dois te retenir afin de tout apprendre! »
• A la fin de l’Or du Rhin, quand Fafner tue Fasolt afin de
s’approprier l’entièreté du trésor pour lui seul, Wotan se rend
subitement compte de la puissance de la malédiction de l’Anneau,
qu’Alberich a fulminée contre lui, ce qui lui inspire peur et
effroi : »L’angoisse m’étreint, tandis que l’inquiétude et
l’épouvante entravent mon esprit. Je dois me rendre auprès d’Erda
afin qu’elle m’apprenne à m’en débarrasser ».
• A ce stade du Ring, Wotan se trouve au zénith de son pouvoir
absolu et autocratique. L’anxiété, qui prend de plus en plus
possession de lui, représente la peur du tyran. Le tyran ne peut
régner que par contrainte, car son autorité n’est ni reconnue, ni
acceptée. Le tyran s’expose au doute, à l’inquiétude de voir son
ordre renversé, et à la peur d’être assassiné. Baudelaire décrit le
phénomène tyrannique comme suit: « Je suis la plaie et le couteau,
le soufflet et la joue, la victime et le bourreau… »
•
• Il va trouver Erda, comme si nous allions consulter un psychiatre,
afin de nous débarrasser de notre psychose ! Alors que nous nous
trouvons seulement tout au début de la Tétralogie, nous pouvons
néanmoins nous faire une idée, à quel point Wotan est déjà
psychiquement malade.
• - L’angoisse saisit les autres Dieux, quand ils doivent se rendre à
l’évidence que la prise d’otage de Freia les empêche de goûter aux
pommes de jouvence qui leur procurent l’éternelle jeunesse. Il
s’agit bien d’une cause précise qui les place dans cet état
d’angoisse.
• Jamais encore, les Dieux s’étaient sentis aussi vulnérables. Cette
finitude qu’ils éprouvent d’une manière douloureuse les plonge
dans une profonde angoisse, parce qu’ils font l’expérience de la
temporalité de leur monde, alors qu’ils se croyaient éternels.
Conscients que toute chose a un commencement et une fin, ils
savent désormais que leur crépuscule n’est plus tellement éloigné.
• En voyant Loge et Wotan descendre dans les entrailles de la terre,
afin de s’accaparer le trésor des Nibelungen, Fricka est saisie
d’angoisse.
• Sieglinde, à demi-comateuse, à la fin du deuxième acte de la
Walkyrie, est saisie d’une angoisse existentielle, à cause d’un
cauchemar dans lequel elle revit l’irruption des ennemis de sa
famille dans leur demeure familiale, l’assassinat de sa mère ainsi
que l’enlèvement de son frère.
• Dans le Crépuscule, Waltraute raconte à Brünnhilde, que depuis le
retour de Wotan au Walhall, suite à sa rencontre malheureuse avec
Siegfried qui lui a brisé sa lance, les Dieux sont pétrifiés de stupeur,
d’effroi et d’angoisse. Wotan n’est plus qu’une épave qui s’enfonce
de plus en plus dans une profonde prostration, que la médecine
qualifie d’état dépressif psychotique, caractérisé par une mélancolie
anxieuse, ainsi que nous l’avons appris précédemment.
•
• Nous n’allons pas nous attarder sur la peur des personnages
féminins qui éprouvent plutôt une peur compréhensible et normale
de la violence masculine. Leurs états d’âmes correspondent au
cliché du sexe dit faible, tel que le ressentait le 19e
siècle.
• Soulignons cependant que Brünnhilde éprouve une angoisse
existentielle à l’idée de perdre ses attributs divins, après avoir été
réveillé par Siegfried. Ses paroles sont poignantes ; »mes yeux se
voilent d’une obscurité triste, ma vue s’estompe, et la lumière
s’éteint. La nuit m’entoure, et des brumes s’élève un voile plein
d’angoisse. La terreur se propage et se dresse devant moi…Le
soleil éclaire le jour de ma honte. Siegfried, prends pitié de mon
angoisse ! »
•
• Nous pouvons donc conclure que la plupart des personnages du
Ring fonctionnent sur fond d’états d’âme d’anxiété ou d’angoisses,
et se laissent facilement posséder par la peur, à l’exception des
créatures de la Nature, comme les Filles du Rhin, Erda et ses filles,
les Nornes, les Walkyries et les géants.
• Il est intéressant de noter que les nains, Alberich et Mime autres
créatures de la Nature à l’image des géants, sont cependant sujets à
l’anxiété et à l’angoisse, du fait de leur statut de travailleurs qui les
rendent humains, alors que les géants sont brutaux, naïfs et simples
d’esprit.
Il existe finalement une dernière catégorie très spécifique de
personnages qui ne connaissent pas la peur, à savoir les héros de
descendance surnaturelle, comme Siegmund, fils de Wotan, Siegfried,
son petit-fils. La peur de Siegfried est d’une toute autre nature que
l’anxiété des Humains, parce que, dans sa qualité de bon sauvage et
d’homme de la Forêt, il n’a jamais connu de femme de sa vie. Ses
pulsions instinctives lui feront découvrir la sexualité d’homme, ce qui
le libérera de sa peur originelle de l’Eternel Féminin, représentant,
somme toute une évolution psychique tout à fait normale, que, par
contre, ne connaîtra pas Alberich, qui demeurera éternellement un
handicapé de l’âme.
6. Schopenhauer et Wagner
Pour une meilleure compréhension de la pensée qui sous-tend le Ring,
il est utile de parler quelques instants de la philosophie qui sert de toile
de fond à la Tétralogie.
Si Wagner était resté à son premier jet de la « Mort de Siegfried » de
1848, Brünnhilde se serait de nouveau reconvertie en Walkyrie après
avoir été tirée de son sommeil par le prince charmant Siegfried, qui
lui, aurait été reçu à Walhall en héros de légende au même titre que ses
« collègues » grecs, les demi-dieux Heraclès, Achille ou Oedipe …
Mais Arthur Schopenhauer passa par là, dont Wagner qualifia la
lecture de son ouvrage philosophique, intitulé, « Le monde en tant que
volonté et représentation », comme évènement capital de sa vie ».
Essayons de nous limiter à la quintessence de la pensée de
Schopenhauer, pour la partie qui a influencé Wagner d’une manière
aussi forte que définitive, au moyen de quelques citations tirées de son
ouvrage principal que Wagner avait lu pas moins de trois fois:
« Nous ressentons immédiatement et distinctement tout ce qui nous est
désagréable, ou douloureux, c'est-à-dire, tout ce qui ne va pas. Mais
nous ne remarquons pas la santé générale de notre corps, càd tout ce
qui va bien ! Nos pensées ne vont qu’à ce qui nous chagrine » Ce qui
suit maintenant est capital pour la compréhension de son influence sur
Wagner: « Le bien-être et le bonheur sont donc des valeurs négatives,
alors que seule la douleur représente une réalité positive. Le mal ne
peut être négatif parce qu’il se fait sentir immédiatement. Or tout bien
et tout bonheur sont à considérer en tant que dimensions négatives, car
ils ne font que supprimer les désirs et terminer les peines. La
consolation dans toute souffrance consiste à concentrer notre attention
vers ceux qui sont encore plus malheureux que nous. »
Schopenhauer continue : «L’histoire ne nous enseigne que des
guerres : les périodes de paix ne sont que de courts épisodes entre
deux conflits. Tourments et misères sont nécessaires, car sinon nous
mourrions d’ennui. Celui qui a survécu à trois générations revivra les
mêmes Farces répétées trois fois. Le monde est un enfer dans lequel
les hommes se départagent en âmes tourmentées, et en diables
tourmenteurs, raison pour laquelle nous devons éprouver de la
compassion pour les générations à venir… »
Nous pouvons clore à ce stade les citations de Schopenhauer sur sa
philosophie, car nous disposons à présent des principaux ingrédients
qui ont si profondément marqué Wagner. Le pessimisme radical de
Schopenhauer transformera radicalement les considérations
philosophiques de Wagner sur la vie, l’amour et la destinée du monde,
au point de faire sienne sa croyance dans la seule et unique valeur qui
soit, à savoir la pitié et la compassion, qui vont clairement influer sur
Parsifal.
Fort de ces idées, on ne peut plus pessimistes, Wagner se forgera sa
conviction que tout ce qui existe, court à sa perte, et trouvera sa perte,
les dieux inclus, considérations schopenhauériennes que Erda adresse
à Wotan dan l’Or du Rhin.
Wotan devra reconnaître son impuissance devant son Destin. Il
devient un Voyageur-Vagabond, parce qu’il a abandonné tout espoir
d’échapper à sa fin, qu’il désire du fond de son âme en s’adonnant à la
mélancolie, c'est-à-dire, à ses pensées noires, dont il fait part à
Brünnhilde dans leur long dialogue au premier acte de la Walkyrie, qui
constitue en fait un immense monologue d’apitoiement sur soi-même.
Les Adieux qu’il adresse à Brünnhilde à la fin de l’acte 3 de la
Walkyrie représentent en fait des adieux à sa moi-même, empreints de
compassion et de désespoir.
Retenons en guise de conclusion à ce chapitre que Wagner, empli
d’admiration pour Schopenhauer et son œuvre philosophique, lui
envoya le livret complet de la Tétralogie en le priant de lui faire ses
commentaires.
Le vieux philosophe, grincheux et acariâtre, comme sa pensée
d’ailleurs, ne lui répondit même pas. Le livret, retrouvé dans sa
bibliothèque, comportait des annotations haineuses et méprisantes.
7) L’esthétique de l’œuvre d’art totale (Gesamtkunstwerk)
En 1813, année de naissance de Richard Wagner, Jean-Paul Richter,
connu sous son nom de plume Jean-Paul, en hommage à Jean-Jacques
Rousseau, affectueusement appelé Jean-Jacques, écrivit à Bayreuth
ces lignes prophétiques dans un avant-propos à un recueil de nouvelles
de E.T.A. Hoffmann s’intitulant « Fantaisies à la manière de Calot » :
« Depuis toujours, la Divinité dispensa le don de la poésie de la main
droite, et le don de la musicalité de la main gauche à deux
personnages différents, tellement éloignés l’un de l’autre, que nous
attendons toujours celui qui mettrait en musique un véritable opéra,
dont il aurait également écrit le texte… ! »
Quelle prémonition faite à Bayreuth en 1813, l’année de naissance de
Wagner ! Né en 1763, Jean-Paul Richter vécut à Bayreuth et y mourut
en 1825, malheureusement trop tôt pour apprendre à connaître
l’unification du génie poétique, et du génie musical et dramatique en
une seule personne, Richard Wagner, qui n’avait que 12 ans alors.
Tous les compositeurs d’opéra ont mis en musique un livret plus ou
moins bien écrit par ce que l’on appelle un librettiste, auteur d’un texte
littéraire, normalement en vers, destiné à être mis en musique. Pour
cela le librettiste devait être versé dans l’art de la dramaturgie.
Ainsi, Lorenzo da Ponte, le librettiste le plus important du 18e
siècle,
confectionna-t-il les livrets des opéras les plus importants de Mozart.
Eugène Scribe écrivit des libretti pour Meyerbeer, Donizetti, Rossini
et Verdi. A la manière de Richard Wagner, Berlioz écrivit lui-même les
textes de ses opéras « Béatrice et Bénédicte », et surtout des
« Troyens ».
Hugo von Hofmannsthal, auteur dramatique, le librettiste « de cour »
de R. Strauss, écrivit tous ses textes d’opéras jusqu’à sa mort en 1929.
La coexistence des texteurs et des compositeurs d’opéras était due à
l’éternel dilemme esthétique pouvant être réduit à la formule « prima
la musica e dopo le parole », ou « prima le parole e dopo la musica »,
qui ne fut guère tranché jusqu’au 19e
siècle.
Afin de pouvoir garantir une compréhension du texte quasi-absolue,
Richard Wagner utilisa pour tous ses drames le procédé de
l’allitération (qu’on pourrait traduire littéralement par « à la lettre »,
du latin « ad litteram »).
Le vers tiré d’Andromaque de Racine : »Pour qui sont ces serpents qui
sifflent sur vos têtes », qui imite le sifflement du serpent, représente
un exemple parfait d’allitération. L’effet dramatique du texte gagne en
intensité dramatique, et permet d’en augmenter la compréhension pour
l’auditeur des paroles et de la musique. Voici encore un exemple afin
d’illustrer la figure de style de l’allitération dans l’allemand
volontairement archaïque de Wagner :
« krumm und grau krieche Kröte.“
La découverte de l‘effet dramatique du verbe amena Wagner à établir
le critère d’égalité entre la parole et la musique dans le drame musical,
immense exigence esthétique, qui devait forcément l’obliger à écrire
ses textes lui-même.
Au moment de concevoir son Ring, Wagner écrivit en 1849 : »Dans
l’art théâtral, tous les arts se réunissent …pour concourir à une
impression tellement immédiate sur le public, qu’aucun autre art ne
peut les concentrer sur lui seul… ! »
La notion de totalité, s’inscrivant dans les grands courants utopiques et
révolutionnaires de l’époque, a fasciné le 19e
siècle et surtout Richard
Wagner qui lui a conféré une réalité dans ses œuvres dramatiques. Il a
révolutionné le genre de l’opéra, en réaction contre les conventions
existantes, comme l’alternance entre récits et airs. Il lui était
insupportable qu’un personnage interrompe subitement le cours des
choses pour chanter un air, totalement sorti du flux de l’action. Il
insère ses personnages dans la continuité du temps, d’où sa manière
nouvelle de composer en continu (durchkomponieren).
Les trois arts majeurs, danse, musique, et poésie doivent être mis à
pied d’égalité, sans suprématie de l’un sur l’autre, ce qui aboutit à la
« ronde des Arts ». Signalons dans ce contexte, que Wagner appela la
7e
symphonie de Beethoven, l’ »apothéose de la danse », comme si,
selon son entendement, chacun de ces trois arts appelle tout
naturellement les deux autres à sa rescousse.
Ces considérations esthétiques, très idéales et abstraites, se heurtaient
cependant au décor, l’éclairage et la position de l’orchestre. Si Wagner
inventa la fosse d’orchestre à Bayreuth, afin de rendre l’orchestre
invisible, il ne put cependant trouver les solutions adéquates en
matière d’éclairage et de décor, ce qui explique son immense
déception exprimée à Cosima, suite à la première représentation du
Ring en 1876 à Bayreuth : »il nous faut tout recommencer ! » Ce
dilemme artistique ne put être résolu qu’avec la lumière électrique, et
les multimédias contemporains, tels que la vidéo, les images
électroniques ou la technique laser, capables de remplacer le désolant
décor peint.
Les frontières entre le binôme idéal de l’égalité entre la musique et la
poésie sont toujours restées assez fluctuantes, même avec Wagner !
Ainsi, Malwida von Meysemburg, écrivaine contemporaine de
Wagner, et vieille socialiste révolutionnaire de 1848, raconta à Romain
Rolland que, pendant qu’elle suivait une scène du Ring par la
lorgnette, deux mains s’appuyèrent doucement sur ses yeux, et elle
entendit Wagner lui dire : « ne regardez donc pas tant ! …
Ecoutez… ! »
La théorie de l’œuvre d’art totale éveilla forcément de nombreuses
controverses.
Ainsi, Tolstoï récusait-il l’exigence que la musique doit faire corps
avec la poésie, comme étant une idée fausse, car, pour lui, chacun des
arts possède son domaine bien défini. Son profond désaccord devient
une diatribe acerbe, quand il écrit en 1898 : « Le succès des œuvres de
Wagner s’explique par le fait qu’il s’est trouvé en état de réunir toutes
les méthodes inventées avant lui pour faire de la contrefaçon de l’Art,
dont il réussit à produire un modèle parfait, par le maniement
extrêmement habile de ces méthodes… ! »
Berthold Brecht, le plus grand auteur dramatique du 20e
siècle
considérait l‘idée de « totalité », comme de l’art pour l’art, déconnecté
de la société et de la vie, voire même une sorte de fascisme larvé.
De nos jours, nous assistons de plus en plus à la tendance de
privilégier de nouveau la musique par rapport au texte, et surtout à la
scène, mouvement auquel les metteurs en scène contemporains ne sont
pas étrangers.
Avant de terminer cet exposé, rappelons que, durant la soirée qui
précéda sa mort, Richard Wagner chanta les vers des Filles du Rhin
« intimité et fidélité n’existent que dans les profondeurs ».
Jean-Paul Bettendorff
29.4.2013

Contenu connexe

En vedette

Buyer's Remorse - Using analytics to mitigate M&A risk
Buyer's Remorse - Using analytics to mitigate M&A riskBuyer's Remorse - Using analytics to mitigate M&A risk
Buyer's Remorse - Using analytics to mitigate M&A riskKDDanalytics
 
El futuro de la manufactura en las economías ricas en recursos - Gunter Pauli
El futuro de la manufactura en las economías ricas en recursos - Gunter PauliEl futuro de la manufactura en las economías ricas en recursos - Gunter Pauli
El futuro de la manufactura en las economías ricas en recursos - Gunter PauliOscar Ayala
 
Pierre perret la femme grillagee .
Pierre  perret la femme grillagee .Pierre  perret la femme grillagee .
Pierre perret la femme grillagee .pepsie28
 
Casinonews Avril/mai/juin 2014
Casinonews Avril/mai/juin 2014 Casinonews Avril/mai/juin 2014
Casinonews Avril/mai/juin 2014 Aurélie Vaucher
 
Bienvenue croquis 2
Bienvenue croquis 2Bienvenue croquis 2
Bienvenue croquis 2Kclassroom
 
Минздрав утвердил порядок регулярных медицинских осмотров
Минздрав утвердил порядок регулярных медицинских осмотровМинздрав утвердил порядок регулярных медицинских осмотров
Минздрав утвердил порядок регулярных медицинских осмотровPiter Lokshin
 
Presentación Doen
Presentación DoenPresentación Doen
Presentación Doendoendiseno
 
En quoi internet change-t-il le travail collaboratif ?
En quoi internet change-t-il le travail collaboratif ? En quoi internet change-t-il le travail collaboratif ?
En quoi internet change-t-il le travail collaboratif ? Sylvia Fredriksson
 
MaestríA PsicologíA Del Aprendizaje 1 Texto Mediado
MaestríA PsicologíA Del Aprendizaje 1 Texto MediadoMaestríA PsicologíA Del Aprendizaje 1 Texto Mediado
MaestríA PsicologíA Del Aprendizaje 1 Texto MediadoAdalberto
 
2011 poa karla any 1 dic
2011  poa karla  any 1 dic2011  poa karla  any 1 dic
2011 poa karla any 1 dicAdalberto
 
Maestria Diversidad Didactica Sociedad Del Conocimiento
Maestria Diversidad Didactica Sociedad Del ConocimientoMaestria Diversidad Didactica Sociedad Del Conocimiento
Maestria Diversidad Didactica Sociedad Del ConocimientoAdalberto
 
Vers une meilleure participation de l'apprenant
Vers une meilleure participation de l'apprenantVers une meilleure participation de l'apprenant
Vers une meilleure participation de l'apprenantpracheepalsule
 
Architecture 2
Architecture 2Architecture 2
Architecture 2coursuniv
 
Polit Monitor RTL/Luxemburger Wort - Frühjahr 2014 - Teil 3
Polit Monitor RTL/Luxemburger Wort - Frühjahr 2014 - Teil 3Polit Monitor RTL/Luxemburger Wort - Frühjahr 2014 - Teil 3
Polit Monitor RTL/Luxemburger Wort - Frühjahr 2014 - Teil 3Luxemburger Wort
 

En vedette (20)

Buyer's Remorse - Using analytics to mitigate M&A risk
Buyer's Remorse - Using analytics to mitigate M&A riskBuyer's Remorse - Using analytics to mitigate M&A risk
Buyer's Remorse - Using analytics to mitigate M&A risk
 
lecturas letra F
lecturas letra Flecturas letra F
lecturas letra F
 
15 lectura -r
15 lectura -r15 lectura -r
15 lectura -r
 
El futuro de la manufactura en las economías ricas en recursos - Gunter Pauli
El futuro de la manufactura en las economías ricas en recursos - Gunter PauliEl futuro de la manufactura en las economías ricas en recursos - Gunter Pauli
El futuro de la manufactura en las economías ricas en recursos - Gunter Pauli
 
Pierre perret la femme grillagee .
Pierre  perret la femme grillagee .Pierre  perret la femme grillagee .
Pierre perret la femme grillagee .
 
Casinonews Avril/mai/juin 2014
Casinonews Avril/mai/juin 2014 Casinonews Avril/mai/juin 2014
Casinonews Avril/mai/juin 2014
 
Bienvenue croquis 2
Bienvenue croquis 2Bienvenue croquis 2
Bienvenue croquis 2
 
Le stress1
Le stress1Le stress1
Le stress1
 
Минздрав утвердил порядок регулярных медицинских осмотров
Минздрав утвердил порядок регулярных медицинских осмотровМинздрав утвердил порядок регулярных медицинских осмотров
Минздрав утвердил порядок регулярных медицинских осмотров
 
Promo 1f
Promo 1fPromo 1f
Promo 1f
 
Presentación Doen
Presentación DoenPresentación Doen
Presentación Doen
 
En quoi internet change-t-il le travail collaboratif ?
En quoi internet change-t-il le travail collaboratif ? En quoi internet change-t-il le travail collaboratif ?
En quoi internet change-t-il le travail collaboratif ?
 
MaestríA PsicologíA Del Aprendizaje 1 Texto Mediado
MaestríA PsicologíA Del Aprendizaje 1 Texto MediadoMaestríA PsicologíA Del Aprendizaje 1 Texto Mediado
MaestríA PsicologíA Del Aprendizaje 1 Texto Mediado
 
2011 poa karla any 1 dic
2011  poa karla  any 1 dic2011  poa karla  any 1 dic
2011 poa karla any 1 dic
 
Maestria Diversidad Didactica Sociedad Del Conocimiento
Maestria Diversidad Didactica Sociedad Del ConocimientoMaestria Diversidad Didactica Sociedad Del Conocimiento
Maestria Diversidad Didactica Sociedad Del Conocimiento
 
Vers une meilleure participation de l'apprenant
Vers une meilleure participation de l'apprenantVers une meilleure participation de l'apprenant
Vers une meilleure participation de l'apprenant
 
Architecture 2
Architecture 2Architecture 2
Architecture 2
 
Prendre conscience des évolutions numériques
Prendre conscience des évolutions numériquesPrendre conscience des évolutions numériques
Prendre conscience des évolutions numériques
 
Vladimir kush1
Vladimir kush1Vladimir kush1
Vladimir kush1
 
Polit Monitor RTL/Luxemburger Wort - Frühjahr 2014 - Teil 3
Polit Monitor RTL/Luxemburger Wort - Frühjahr 2014 - Teil 3Polit Monitor RTL/Luxemburger Wort - Frühjahr 2014 - Teil 3
Polit Monitor RTL/Luxemburger Wort - Frühjahr 2014 - Teil 3
 

Similaire à Wagner

Cartes géographiques dans la peinture.ppsx
Cartes géographiques dans la peinture.ppsxCartes géographiques dans la peinture.ppsx
Cartes géographiques dans la peinture.ppsxguimera
 
العصر الوسيط
العصر الوسيطالعصر الوسيط
العصر الوسيطmetlaoui2
 
Histoire Des Courants Littéraires
Histoire Des Courants LittérairesHistoire Des Courants Littéraires
Histoire Des Courants LittérairesSignlighter
 
4_6034916370754308085.pdf
4_6034916370754308085.pdf4_6034916370754308085.pdf
4_6034916370754308085.pdfMahiIdrissi
 
Les romans de chevalerie en Espagne. Origine, tradition, innovation.pdf
Les romans de chevalerie en Espagne. Origine, tradition, innovation.pdfLes romans de chevalerie en Espagne. Origine, tradition, innovation.pdf
Les romans de chevalerie en Espagne. Origine, tradition, innovation.pdfUniversidad Complutense de Madrid
 
Agrippina, from Cyrano to Handel and Jaroussky
Agrippina, from Cyrano to Handel and JarousskyAgrippina, from Cyrano to Handel and Jaroussky
Agrippina, from Cyrano to Handel and JarousskyEditions La Dondaine
 
Fren330f2015 1re semaine
Fren330f2015 1re semaineFren330f2015 1re semaine
Fren330f2015 1re semaineVCU
 
L'europe medievale de l'an mil à 1492 (bas moyen age)
L'europe medievale de l'an mil à 1492 (bas moyen age)L'europe medievale de l'an mil à 1492 (bas moyen age)
L'europe medievale de l'an mil à 1492 (bas moyen age)bloeme
 
Rückenfigur ... figure de dos dans la peinture.ppsx
Rückenfigur ... figure de dos dans la peinture.ppsxRückenfigur ... figure de dos dans la peinture.ppsx
Rückenfigur ... figure de dos dans la peinture.ppsxguimera
 
Le vagabond dans la peinture
Le vagabond dans la peintureLe vagabond dans la peinture
Le vagabond dans la peintureguimera
 
Fiche 5 H 003 2009
Fiche 5 H 003 2009Fiche 5 H 003 2009
Fiche 5 H 003 2009origene
 

Similaire à Wagner (20)

1.affiche gothique
1.affiche gothique1.affiche gothique
1.affiche gothique
 
Siegfried
SiegfriedSiegfried
Siegfried
 
ALSACE
ALSACEALSACE
ALSACE
 
1connais tu l'Alsace
1connais tu l'Alsace1connais tu l'Alsace
1connais tu l'Alsace
 
Voltaire, CANDIDE : chapitre 6 - L'auto da fé
Voltaire, CANDIDE  : chapitre 6 - L'auto da féVoltaire, CANDIDE  : chapitre 6 - L'auto da fé
Voltaire, CANDIDE : chapitre 6 - L'auto da fé
 
Cartes géographiques dans la peinture.ppsx
Cartes géographiques dans la peinture.ppsxCartes géographiques dans la peinture.ppsx
Cartes géographiques dans la peinture.ppsx
 
العصر الوسيط
العصر الوسيطالعصر الوسيط
العصر الوسيط
 
Histoire Des Courants Littéraires
Histoire Des Courants LittérairesHistoire Des Courants Littéraires
Histoire Des Courants Littéraires
 
4_6034916370754308085.pdf
4_6034916370754308085.pdf4_6034916370754308085.pdf
4_6034916370754308085.pdf
 
Fantasy etTolkien
Fantasy etTolkienFantasy etTolkien
Fantasy etTolkien
 
Les romans de chevalerie en Espagne. Origine, tradition, innovation.pdf
Les romans de chevalerie en Espagne. Origine, tradition, innovation.pdfLes romans de chevalerie en Espagne. Origine, tradition, innovation.pdf
Les romans de chevalerie en Espagne. Origine, tradition, innovation.pdf
 
L Alsace, FRANCE
L Alsace, FRANCEL Alsace, FRANCE
L Alsace, FRANCE
 
Agrippina, from Cyrano to Handel and Jaroussky
Agrippina, from Cyrano to Handel and JarousskyAgrippina, from Cyrano to Handel and Jaroussky
Agrippina, from Cyrano to Handel and Jaroussky
 
Musée virtuel
Musée virtuelMusée virtuel
Musée virtuel
 
Fren330f2015 1re semaine
Fren330f2015 1re semaineFren330f2015 1re semaine
Fren330f2015 1re semaine
 
La Chanson de Geste
La Chanson de GesteLa Chanson de Geste
La Chanson de Geste
 
L'europe medievale de l'an mil à 1492 (bas moyen age)
L'europe medievale de l'an mil à 1492 (bas moyen age)L'europe medievale de l'an mil à 1492 (bas moyen age)
L'europe medievale de l'an mil à 1492 (bas moyen age)
 
Rückenfigur ... figure de dos dans la peinture.ppsx
Rückenfigur ... figure de dos dans la peinture.ppsxRückenfigur ... figure de dos dans la peinture.ppsx
Rückenfigur ... figure de dos dans la peinture.ppsx
 
Le vagabond dans la peinture
Le vagabond dans la peintureLe vagabond dans la peinture
Le vagabond dans la peinture
 
Fiche 5 H 003 2009
Fiche 5 H 003 2009Fiche 5 H 003 2009
Fiche 5 H 003 2009
 

Plus de Luxemburger Wort

Convention collective de travail des salariés du secteur des assurances (2021...
Convention collective de travail des salariés du secteur des assurances (2021...Convention collective de travail des salariés du secteur des assurances (2021...
Convention collective de travail des salariés du secteur des assurances (2021...Luxemburger Wort
 
Convention collective de travail des salariés du secteur bancaire (2021-2023)
Convention collective de travail des salariés du secteur bancaire (2021-2023)Convention collective de travail des salariés du secteur bancaire (2021-2023)
Convention collective de travail des salariés du secteur bancaire (2021-2023)Luxemburger Wort
 
AccordDeCoalitionCSV-DP-2023.pdf
AccordDeCoalitionCSV-DP-2023.pdfAccordDeCoalitionCSV-DP-2023.pdf
AccordDeCoalitionCSV-DP-2023.pdfLuxemburger Wort
 
Alle Mitglieder der Arbeitsgruppen im Rahmen der Regierungsbildung
Alle Mitglieder der Arbeitsgruppen im Rahmen der RegierungsbildungAlle Mitglieder der Arbeitsgruppen im Rahmen der Regierungsbildung
Alle Mitglieder der Arbeitsgruppen im Rahmen der RegierungsbildungLuxemburger Wort
 
Rapport 2023 du GAFI sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financ...
Rapport 2023 du GAFI sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financ...Rapport 2023 du GAFI sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financ...
Rapport 2023 du GAFI sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financ...Luxemburger Wort
 
Programme de Fokus pour les élections législatives 2023
Programme de Fokus pour les élections législatives 2023Programme de Fokus pour les élections législatives 2023
Programme de Fokus pour les élections législatives 2023Luxemburger Wort
 
Paramètres sociaux valables au 1er septembre 2023
Paramètres sociaux valables au 1er septembre 2023Paramètres sociaux valables au 1er septembre 2023
Paramètres sociaux valables au 1er septembre 2023Luxemburger Wort
 
Programme électoral du CSV pour les législatives 2023
Programme électoral du CSV pour les législatives 2023Programme électoral du CSV pour les législatives 2023
Programme électoral du CSV pour les législatives 2023Luxemburger Wort
 
Programme électoral du parti déi Gréng pour les élections législatives de 2023
Programme électoral du parti déi Gréng pour les élections législatives de 2023Programme électoral du parti déi Gréng pour les élections législatives de 2023
Programme électoral du parti déi Gréng pour les élections législatives de 2023Luxemburger Wort
 
2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-2-sections-din-a3.pdf
2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-2-sections-din-a3.pdf2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-2-sections-din-a3.pdf
2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-2-sections-din-a3.pdfLuxemburger Wort
 
2023-049-modle-bulletin-de-vote-proportionalpdf-610x426-maquette.pdf
2023-049-modle-bulletin-de-vote-proportionalpdf-610x426-maquette.pdf2023-049-modle-bulletin-de-vote-proportionalpdf-610x426-maquette.pdf
2023-049-modle-bulletin-de-vote-proportionalpdf-610x426-maquette.pdfLuxemburger Wort
 
2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-simple-din-a4-maquette.pdf
2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-simple-din-a4-maquette.pdf2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-simple-din-a4-maquette.pdf
2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-simple-din-a4-maquette.pdfLuxemburger Wort
 
20230306_Accord_tripartite.docx
20230306_Accord_tripartite.docx20230306_Accord_tripartite.docx
20230306_Accord_tripartite.docxLuxemburger Wort
 
2022 09 26 Mediahuis Renouvellement CCT.pdf
2022 09 26 Mediahuis Renouvellement CCT.pdf2022 09 26 Mediahuis Renouvellement CCT.pdf
2022 09 26 Mediahuis Renouvellement CCT.pdfLuxemburger Wort
 
Leseprobe Irene Vallejo "Papyrus"
Leseprobe Irene Vallejo "Papyrus"Leseprobe Irene Vallejo "Papyrus"
Leseprobe Irene Vallejo "Papyrus"Luxemburger Wort
 
Prof. Dr. Anton Zeilinger im Interview mit dem Luxemburger Wort
Prof. Dr. Anton Zeilinger im Interview mit dem Luxemburger WortProf. Dr. Anton Zeilinger im Interview mit dem Luxemburger Wort
Prof. Dr. Anton Zeilinger im Interview mit dem Luxemburger WortLuxemburger Wort
 
Entwicklung der Niedrigwasserabflüsse
Entwicklung der NiedrigwasserabflüsseEntwicklung der Niedrigwasserabflüsse
Entwicklung der NiedrigwasserabflüsseLuxemburger Wort
 

Plus de Luxemburger Wort (20)

Convention collective de travail des salariés du secteur des assurances (2021...
Convention collective de travail des salariés du secteur des assurances (2021...Convention collective de travail des salariés du secteur des assurances (2021...
Convention collective de travail des salariés du secteur des assurances (2021...
 
Convention collective de travail des salariés du secteur bancaire (2021-2023)
Convention collective de travail des salariés du secteur bancaire (2021-2023)Convention collective de travail des salariés du secteur bancaire (2021-2023)
Convention collective de travail des salariés du secteur bancaire (2021-2023)
 
CharteChèquesCadeaux.pdf
CharteChèquesCadeaux.pdfCharteChèquesCadeaux.pdf
CharteChèquesCadeaux.pdf
 
AccordDeCoalitionCSV-DP-2023.pdf
AccordDeCoalitionCSV-DP-2023.pdfAccordDeCoalitionCSV-DP-2023.pdf
AccordDeCoalitionCSV-DP-2023.pdf
 
Alle Mitglieder der Arbeitsgruppen im Rahmen der Regierungsbildung
Alle Mitglieder der Arbeitsgruppen im Rahmen der RegierungsbildungAlle Mitglieder der Arbeitsgruppen im Rahmen der Regierungsbildung
Alle Mitglieder der Arbeitsgruppen im Rahmen der Regierungsbildung
 
Rapport 2023 du GAFI sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financ...
Rapport 2023 du GAFI sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financ...Rapport 2023 du GAFI sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financ...
Rapport 2023 du GAFI sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financ...
 
Programme de Fokus pour les élections législatives 2023
Programme de Fokus pour les élections législatives 2023Programme de Fokus pour les élections législatives 2023
Programme de Fokus pour les élections législatives 2023
 
Paramètres sociaux valables au 1er septembre 2023
Paramètres sociaux valables au 1er septembre 2023Paramètres sociaux valables au 1er septembre 2023
Paramètres sociaux valables au 1er septembre 2023
 
Programme électoral du CSV pour les législatives 2023
Programme électoral du CSV pour les législatives 2023Programme électoral du CSV pour les législatives 2023
Programme électoral du CSV pour les législatives 2023
 
Programme électoral du parti déi Gréng pour les élections législatives de 2023
Programme électoral du parti déi Gréng pour les élections législatives de 2023Programme électoral du parti déi Gréng pour les élections législatives de 2023
Programme électoral du parti déi Gréng pour les élections législatives de 2023
 
2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-2-sections-din-a3.pdf
2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-2-sections-din-a3.pdf2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-2-sections-din-a3.pdf
2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-2-sections-din-a3.pdf
 
2023-049-modle-bulletin-de-vote-proportionalpdf-610x426-maquette.pdf
2023-049-modle-bulletin-de-vote-proportionalpdf-610x426-maquette.pdf2023-049-modle-bulletin-de-vote-proportionalpdf-610x426-maquette.pdf
2023-049-modle-bulletin-de-vote-proportionalpdf-610x426-maquette.pdf
 
2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-simple-din-a4-maquette.pdf
2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-simple-din-a4-maquette.pdf2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-simple-din-a4-maquette.pdf
2023-049-modle-bulletin-de-vote-majoritaire-simple-din-a4-maquette.pdf
 
20230306_Accord_tripartite.docx
20230306_Accord_tripartite.docx20230306_Accord_tripartite.docx
20230306_Accord_tripartite.docx
 
2022 09 26 Mediahuis Renouvellement CCT.pdf
2022 09 26 Mediahuis Renouvellement CCT.pdf2022 09 26 Mediahuis Renouvellement CCT.pdf
2022 09 26 Mediahuis Renouvellement CCT.pdf
 
Leseprobe Irene Vallejo "Papyrus"
Leseprobe Irene Vallejo "Papyrus"Leseprobe Irene Vallejo "Papyrus"
Leseprobe Irene Vallejo "Papyrus"
 
Prof. Dr. Anton Zeilinger im Interview mit dem Luxemburger Wort
Prof. Dr. Anton Zeilinger im Interview mit dem Luxemburger WortProf. Dr. Anton Zeilinger im Interview mit dem Luxemburger Wort
Prof. Dr. Anton Zeilinger im Interview mit dem Luxemburger Wort
 
Tripartite-Abkommen
Tripartite-AbkommenTripartite-Abkommen
Tripartite-Abkommen
 
Entwicklung der Niedrigwasserabflüsse
Entwicklung der NiedrigwasserabflüsseEntwicklung der Niedrigwasserabflüsse
Entwicklung der Niedrigwasserabflüsse
 
Plan de déviation_V2.pdf
Plan de déviation_V2.pdfPlan de déviation_V2.pdf
Plan de déviation_V2.pdf
 

Wagner

  • 1. Les personnages de la Tétralogie : une analyse psychologique Dans le cadre de la Tétralogie donnée au Festival de Bayreuth en juillet/août de 2013, dans la nouvelle mise en scène de Frank Castorf, à l’occasion du 200e anniversaire de Richard Wagner, il est utile de se consacrer d’une manière plus approfondie aux personnages qui hantent l’ensemble de cette monumentale cosmogonie mise en paroles et en musique par Richard Wagner. Tout au long des descriptions des personnages, pour la plupart fascinants, auxquels nous allons nous consacrer au cours de cette analyse, nous parlerons indifféremment de la Tétralogie, du grec « tetra » - quatre, ou du Ring, abréviation allemande du cycle : »Der Ring des Nibelungen », ou L’Anneau du Nibelung, au singulier, le Nibelung étant le surnom d’Alberich, le maître absolu des Nibelungen, au pluriel, qui sont ses esclaves. La Tétralogie, ou le Ring comporte donc quatre opéras : un Prologue, l’Or du Rhin, la première journée, la Walkyrie, la deuxième journée, Siegfried et la troisième journée, le Crépuscule des Dieux. Cette numérotation des diverses journées de un à trois sera importante pour notre propos par la suite, le Prologue de l’Or du Rhin ne représentant donc pas la Première journée, qui est celle de la Walkyrie. Notre fil d’Ariane se déroulera autour d’un certain nombre de grands thèmes et de psychogrammes des principaux personnages. Nous tenons à souligner que la structure logique choisie, a pour conséquence de balayer l’ensemble du Ring, pour chaque thème choisi et chaque psychogramme exposé. Ne vous étonnez donc pas de découvrir des éléments extraits de l’Or du Rhin, de la Walkyrie, ou de Siegfried dans l’introduction du Crépuscule par exemple, ou bien des citations du Crépuscule dans l’Or du Rhin.
  • 2. Cette approche synthétique et non historique des introductions possède l’avantage de pouvoir cerner au maximum les traits de caractère des personnages traités, ainsi que les faces cachées contenues dans les grands thèmes, représentant une foule de messages exégétiques que Richard Wagner met à disposition de ceux qui désirent aller au-delà des simples développements de l’argument. L’or du Rhin 1) Introduction générale • La prise de conscience de l’existence d’une Nation allemande, dès le début du 19e siècle, dans le sillage de l’occupation napoléonienne, au sein des intellectuels allemands, eut pour conséquence la remémoration et la célébration du passé germanique. Furent ainsi tirés de l’oubli : tout un cortège d’antiques récits légendaires, les sagas, telle la saga des Nibelungen, et historiques avec ses hauts-faits héroïques, comme la bataille de la forêt du Teutobourg au cours de laquelle le chef des Chérusques, Arminius, défit trois légions romaines, en l’an 9 de notre ère. • Le romantisme allemand redécouvrit toutes ces histoires, les idéalisa, les enrichit, et les enroba de la nostalgie d’un passé qui fut considéré comme ayant été glorieux, contrairement à la réalité politique de l’Allemagne d’alors, ressentie comme une honte, indigne d’une communauté linguistique et culturelle, chérissant l’ambition de devenir une Nation. • L’Allemagne d’alors était morcelée en une quarantaine de principautés petites et grandes, qui, de plus, se regardaient en chiens de faïence, s’ils ne se faisaient pas la guerre, et ne possédaient pas la moindre vision d’une nation homogène cimentée par une langue et une culture allemandes, communes.
  • 3. • Suite aux « discours à la Nation allemande » de J. Gottlob Fichte en 1808, appelant les Allemands à s’unir politiquement, il fallut attendre 63 ans jusqu’à ce que le deuxième Empire allemand fût fondé en 1871 dans la Galerie des Glaces au Château de Versailles, après le chavirement d’un premier essai d’unification lors de la révolution de 1848. • La mouvance du romantisme allemand donna naissance, entre autres, à deux grandes épopées qui sont la Trilogie des Nibelungen de Friedrich Hebbel, sous-titrée « une tragédie allemande », reflétant bien l’esprit de l’époque, et la Tétralogie de L’Anneau du Nibelung, « der Ring des Nibelungen » de Richard Wagner. • N’oublions pas que Wagner était monté sur les barricades de la révolution de 1848 à Dresde, raison pour laquelle il dut s’exiler en Suisse. • Le Ring constitue une immense fresque sur le pouvoir, son obtention par tous les moyens, son exercice sur le plan mondial, son exploitation criminelle, et enfin sa perte dans un fracas apocalyptique, incarné par un seul personnage, Wotan, le Dieu suprême de l’Olympe germanique. • Tout pouvoir suscite la convoitise de ceux qui ne le possèdent pas, et qui utilisent les sortilèges sexuels afin de se l’accaparer. C’est sur cette logique simple que se construit l’ensemble de l’action du Ring. Alberich décrit parfaitement ce phénomène lors de sa malédiction de l’Anneau : « que celui qui le possède, soit dévoré par le souci, et que celui qui ne le possède pas, soit rongé par l’envie ! » • • La convoitise constitue le fondement majeur qui sous-tend l’entièreté du Ring. Wagner la rend opérante par l’omniprésence de l’attirance sexuelle. Alberich maudit l’amour parce qu’il a peur de l’érotisme, et forme l’Anneau. Fafner tue son frère Fasolt par
  • 4. jalousie, les deux géants s’étant amourachés de la belle Freia, déesse de la Jeunesse, et vole le Trésor avec l’Anneau. • Karl Marx a parlé de l’ »évaluation monétaire de l’individu », et Il est intéressant de soulever que le corps de Freia est estimé à son pesant d’or ! • C’est par le viol que Wotan extorque à Erda ses prophéties sur l’avenir du monde, enfantant ainsi Brünnhilde. Afin de préserver son pouvoir, il devra sacrifier ses deux enfants, Siegmund et Brünnhilde sur l’autel de ses ambitions. • • • 2) Proto-Histoire de l’Anneau du Nibelung • • Le cycle épique qui s’est formé autour de Siegfried, de Brünnhlde et des Nibelungen est le fruit de la longue élaboration des différentes légendes des peuples germaniques, ou nordiques, dont islandais. Le récit des Nibelungen a été considéré comme la plus grande épopée nationale au 19e siècle en Allemagne, où s’affirme, et s’exalte l’intuition de la vie et du monde, propre au paganisme germanique. Empêtré dans un destin inéluctable, qui pèse sur le monde, le héros germanique apparaît à la fois coupable et innocent. • Il exalte les plus hautes vertus de la race guerrière, dont l’aspiration à l’hégémonie mondiale est sous-jacente à toute son action, et dont l’ambition première consiste à s’approprier le Trésor, symbole de puissance et de domination. • Ainsi Siegfried, l’adolescent pubère, né dans la Forêt millénaire est issu de la Mère originelle de toute chose. Il incarne ainsi le type idéal du héros, qui croit aveuglément à sa force brutale, et qui ne doit tout qu’à lui-même. Il est intéressant de soulever à ce stade l’orientation fondamentalement matriarcale de la préhistoire germanico-nordique.
  • 5. • Fils de la Nature, les héros germaniques, avant de mourir, restituent à la Mère Universelle, ce qu’ils ne peuvent léguer à leurs héritiers. • Pour ces sociétés indo-européennes préhistoriques primitives, l’histoire humaine constitue un éternel cycle du Devenir, auquel sont soumis à la fois les Dieux et les hommes. • Les anciens Dieux indo-européens ne sont donc ni éternels, ni omniscients, ou omnipotents, mais sont imprégnés au contraire d’une forte connotation humaine avec toutes les qualités, fautes et ambitions qui animent les hommes depuis qu’ils vivent en groupe, ou en société. • Toute destinée trouve son aboutissement dans le « Ragnarök », provenant du proto-germanique « ragna » ceux qui règnent, càd les dieux, et « rök » - fin, ce qui signifie « Crépuscule des Dieux ». • Donc même les dieux sont soumis à cette fin de toute chose. Tel est le cadre culturel préhistorique duquel est issu la saga des Nibelungen, « saga » signifiant « récit » en langage nordique, dont est dérivé le terme allemand de « Sage », la « légende ». Richard Wagner a fusionné deux anciennes épopées dans sa Tétralogie : la saga des Nibelungen et celle des Völsungen, et a utilisé partiellement un troisième récit plus tardif : la chanson des Nibelungen. • 1) La saga des Nibelungen, constitue le plus ancien recueil de chants scandinaves et islandais des 8e et 9e siècles, appelés « Eddas», dont certains remontent jusqu’à l’époque de la fin des grandes invasions barbares. Nous ne citerons ici que les chants, dont les noms de personnages nous sont devenus familiers, parce que Wagner les a inclus dans sa Tétralogie, comme les chants de Fafnir, de Sigurd (Siegfried en nordique), ou celui du réveil de Brynhild etc… • 2) La saga des Völsungen comprenant les récits sur l’Anneau des Nibelungen, forgé par Alberich, ou sur Siegmund, Sieglinde et Hunding, provient du même giron, mais est d’origine plus tardive.
  • 6. • 3) La chanson des Nibelungen contient deux sagas, à l’origine indépendantes, écrites entre 1160 et 1170, puis fusionnées et réécrites entre 1200 et 1210. • - La première partie comprend les chants épiques consacrés à Siegfried et Brünnhilde, dont Wagner a utilisé de larges extraits, notamment les épisodes de la forge de l’épée de Siegfried, de son combat avec le dragon et de son assassinat par Hagen. • Richard Wagner a traduit d’une manière époustouflante la noirceur maléfique de Hagen, qui se répand, comme des miasmes, dans toute la Chanson des Nibelungen. Il n’y a de meilleure illustration qui peut en être donnée, que ses appels au rassemblement tonitruants à ses hommes-liges au deuxième acte du Crépuscule : • - La deuxième partie, appelée la chanson de la fin des Nibelungen, qui représentent en fait les Burgondes historiques, établis sur le Rhin dans la région de Worms au 5e siècle, traite exclusivement de la vengeance de Krimhilde, suite à l’assassinat de son époux Siegfried. Après un veuvage de treize ans, elle se remarie avec le roi des Huns Attila, ou Etzel en allemand, uniquement pour se venger de ses anciens compagnons de la cour burgonde, meurtriers de Siegfried, en les invitant à la cour d’ Etzel, dans le but de les y faire périr dans un horrible massacre. • Toute cette partie de la Chanson des Nibelungen a été ignorée par Wagner, très probablement parce que son caractère essentiellement guerrier, ne présentait aucun intérêt pour lui dans la transmission de ses messages culturels, esthétiques et politiques. • Il ne s’en est d’ailleurs jamais expliqué lui-même. • Toute cette atmosphère sombre de fin du monde qui hante ces anciennes sagas, nous rapproche fortement de l’ambiance générale de l’épopée wagnérienne du Ring, qui baigne, dès le commencement dans un climat de fin des choses, de destinées cruelles et irréversibles, ou de fatalités inévitables et impitoyables. •
  • 7. • 3) La Genèse du Ring • Le Ring complet, dont il a lui-même écrit le texte en vers, détaillé toutes les indications scéniques, et composé a musique, a une durée totale de 16 heures et fut crée en 1876 sous l'impulsion du compositeur et sous la direction de Hans Richter, à l'occasion du premier Festival de Bayreuth au Festspielhaus qu'il fit construire dans cette même ville bavaroise. Le concept du Ring permet à Richard Wagner de combiner ses propres idées philosophiques sur le cours du Monde avec les anciens mythes des légendes germano-nordiques et son imagerie particulière que nous avons traités au chapitre précédent. - Quand Wagner termine la dernière page de la composition en novembre 1874, 26 ans ont passé depuis 1848, année de la rédaction d’une étude préliminaire le « mythe des Nibelungen ». Rappelons à ce stade, que la grande idée de Wagner de construire un théâtre afin d’y organiser un grand festival scénique, date de cette année 1848, et le hantera jusqu’à la pose de la première pierre du Festspielhaus à Bayreuth en 1872. - Ces ébauches amènent Wagner à rédiger le poème de la « mort de Siegfried » en 1850. Lorsqu’il veut commencer à en composer la musique, il reconnaît que la compréhension du drame exige l’exposé de nombreux antécédents. C’est ainsi que Wagner entreprend le travail titanesque de la rédaction de l’Anneau du Nibelung, en commençant par la fin ! Soulignons cependant que lorsqu’il entreprendra la composition du Ring, il procédera dans le bon ordre, càd en commençant par l’Or du Rhin. - En 1851, il rédige le livret du « Jeune Siegfried », le héros qui s’accapara le Trésor et réveilla Brünnhilde. - Toute l’année 1852 est investie dans la confection des deux livrets de la Walkyrie et de l’Or du Rhin. - Le 12 février 1853, soit exactement 30 ans avant sa mort le 13 février 1883, Wagner publie le livret complet de la Tétralogie. - Il se met à la composition de l’Or du Rhin, dont il termine la partition en janvier 1854. En décembre de la même année, il termine la composition de la Walkyrie.
  • 8. - 1855 : rédaction de la partition de la Walkyrie. - 1856 : composition des deux premiers actes du « Jeune Siegfried ». C’est pendant cette année que Wagner se décide à donner le titre définitif de « Siegfried » à la deuxième journée, et celui de « Crépuscule des Dieux » à la troisième ( au lieu de la « Mort de Siegfried »). - Quand, en 1857, il entreprend l’orchestration du deuxième acte de Siegfried, il interrompt le travail. Il écrit à Liszt : « J’ai conduit mon jeune Siegfried dans la belle solitude des bois, et je l’ai laissé sous un tilleul… ». Cette interruption dura 7 ans, période durant laquelle Tristan et les Maîtres-Chanteurs virent le jour. - Fin 1864, il reprend la partition de Siegfried, mais uniquement pour mettre au net les deux premiers actes ce qui dure jusqu’à fin 1865. - Suivent de nouveau 4 ans de pause, avant que Wagner ne se mette à la composition du 3e acte de Siegfried en 1869. 11 ans se sont donc passés, depuis qu’il laissa Siegfried sous son tilleul. Grâce à Tristan et aux Maîtres, le langage musical de Wagner s’était densifié d’une manière extraordinaire, ce qui se ressent dès le prélude au 3e acte. - En 1870 Wagner commence à mettre en musique le premier acte du Crépuscule. - 1871 vit la composition des 2e et 3e actes. - 1872 : orchestration des actes 2 et 3. - 1873 et 1874 : mise au net des partitions des 3 actes du Crépuscule. Quand Richard Wagner met le point final à la dernière page, il écrit en bas de page : « Terminé à Wahnfried le 21 novembre 1874…Je ne dis rien de plus ! » - En août 1876 eut lieu la première représentation du cycle complet du Ring dans le cadre du premier Festival de Bayreuth. Le succès de cette œuvre gigantesque de 16 heures de musique mise de bout en bout n’a jamais discontinué jusqu’à nos jours. •
  • 9. 4) L’Or du Rhin - Introduction Dans la stupéfiante mise en scène musicale de la Genèse du monde selon Richard Wagner, la rumeur sourde de la création du monde, d’abord indistincte, se précise lentement et se consolide dans l’accord de mi bémol majeur, fondement colossal de l’ensemble de l’édifice sonore à venir, qui, avec ses arpèges se prolonge tout au long de 136 mesures. La description de l’élément originel de l’Eau, sous la forme d’une idée sonore, symbolise le principe créateur de toute chose. Pour Wagner, il ne s'agit pas de sauver l'Ancien Monde, mais d'en créer un nouveau, un Monde dans lequel l'Homme libre puisse s'épanouir en s'affranchissant du pouvoir délétère des anciens dieux. Au cours de ses études philologiques des diverses sources que nous venons de citer, Wagner a découvert une très ancienne manière de versification basée sur l'Onomatopée, et appelée Stabreim, différente de la versification en rimes, qu'il utilisa dans l'entièreté du poème du Ring. Wagner utilise ainsi la sémantique pour exprimer des états d'âme, des sentiments, ou des contradictions. Nous allons y revenir dans le chapitre consacré à l’esthétique wagnérienne. Afin de décrire psychologiquement, ce que les mots ne savent plus exprimer, Wagner utilise dans son Ring, des thèmes musicaux caractérisant des traits de caractère de personnages, des situations ambiguës, des contradictions entre les apparences visibles et les pensées cachées des personnages, des états d'âme...C'est la technique du Leitmotiv, que l'on peut traduire par thème récurrent, ou, plus correctement par thème-conducteur. Berlioz appela ce concept « idée fixe » dans sa Symphonie fantastique. Nous devons cependant faire attention à ne pas réduire toute la science musicale de Richard Wagner à la seule technique du Leitmotiv, terme que Wagner lui-même n’utilisa jamais, préférant parler de « motifs de réminiscence ». Ainsi, 120 thèmes-conducteurs peuvent être identifiés en tout dans le Ring et forment une gigantesque toile superposée sur 16 heures de discours musical.
  • 10. Des rappels d'épisodes révolus, ainsi que les contextes de situations, de sentiments, sont ainsi illustrés musicalement et servent de guide à travers l'action qui s'étire sur plusieurs générations, voire plusieurs âges terrestres, afin de mettre en lumière les liens entre eux, d'une manière telle que les Leitmotifs peuvent remplacer les paroles. Wagner commente le contenu de la Tétralogie à peu près comme suit: "La malédiction de l'Amour par laquelle l'Or du Rhin a pu être subtilisé par Alberich, crime contre la Nature, détermine l'entièreté de la tragédie. Elle fait des victimes à la chaîne et détruit le monde entier, empêtré dans la faute et le péché, jusqu'à ce que Brünnhilde, réussisse, par son propre sacrifice par le feu, à briser le cercle vicieux, et à réparer le crime originel contre la Nature, en rendant l'Or, élément indifférencié et naturel aux représentantes de cette Nature: les Filles du Rhin.“ Signalons que ces Dieux représentent des projections humaines, animés de pulsions bassement terrestres. Il n’existe pas de divinité unique omnisciente, omnipotente, et omniprésente, et nous aurons souvent l’occasion de revenir sur ces particularités peu divines. 34 personnages animent la trame du Ring qui se décompose en plusieurs niveaux et lieux. Au fur et à mesure de leur apparition dans l'action, surgissent leurs thèmes musicaux individuels et caractéristiques. • L’Or du Rhin, qui n’est pas un drame, ni une comédie, comporte néanmoins maints éléments comiques, tel que Loge, figure théâtrale classique avec sa nature ambivalente de Méphisto maléfique, pouvant se transformer en feu dévastateur, et de demi-dieu, pouvant se mettre à la solde de ses collègues divins, tant qu’une telle collaboration sert ses intérêts. Dans ce sens, il est intéressant de noter que Wagner en fait un demi-dieu, ce qui lui permet de relever d’autant mieux sa double nature bénéfique et maléfique, qui penche tantôt vers le bien, tantôt vers le mal, alors que le dieu de la mythologie germanique, Loki représente un dieu à part entière. •
  • 11. • 5) Premier grand thème : Psychogramme d’Alberich et le phénomène de l’anxiété dans le Ring • • Il est proprement étonnant de devoir se rendre à l’évidence à quel point le personnage d’Alberich, l’alter-ego, ou le négatif de Wotan en quelque sorte, adepte de la magie noire en tant que Schwarz- Albe, démon de la Nuit et esprit maléfique, est tenaillé par l‘anxiété, qui est un état psychique d’angoisse permanente. Ivre de pouvoir et de de domination, il est prêt à tout faire pour y accéder, mais demeure pour autant un personnage inquiet. • Les termes d’anxiété (Bangen), d’angoisse (Angst), de souci (Sorge), d’inquiétude (Besorgnis), de peur (Schrecken) et d’épouvante (Furcht), sont proches les uns des autres et sous- tendent toute l’action du Ring, en sont le moteur puissant et permanent, raison pour laquelle nous allons passer en revue un certain nombre de définitions médicales des divers états de peur, tirées de la grande Encyclopédie de la Médecine : • - L’anxiété constitue un état d’angoisse, lié à la conviction subjective de l’imminence d’un danger. Il s’agit d’un sentiment véritable, mais vague qui diffère de l’angoisse, en ce que celle-ci est due à une cause précise. L’anxiété est une peur sans objet, généralement tournée vers l’avenir dans l’attente d’un danger imprécis et imprévisible. • Cette définition nous amène à qualifier Alberich d’anxieux, du fait que son état ne provient pas d’une cause précise particulière, mais constitue au contraire une manière d’être, ou un trait de caractère fondamental d’Alberich. Nous allons maintenant suivre Alberich à la trace, et nous allons découvrir son psychisme de grand anxieux de manière éclatante : • Dès la première scène de l’Or du Rhin Alberich apparaît en tant que spectateur anxieux quand il demande aux Filles du Rhin « est-ce
  • 12. que je gêne votre jeu, si je ne fais que demeurer auprès de vous, immobile et contemplatif » • Une telle attitude ne peut que provoquer taquineries et moqueries de la part des trois ondines « coquines », ainsi que les qualifie Fricka, qui n’ont d’autre but que de susciter les fantasmes du nain hideux, ce qui amuse d’autant plus les trois entraîneuses, ainsi que Chéreau les avait représentées dans son fameux Ring de 1976. • Quand ses approches tant érotiques que maladroites à leur égard échouent, l’une des trois filles, Flosshilde, la plus intelligente et la plus entreprenante des trois, lui lance : »pourquoi te décourages-tu si vite, au lieu de me demander de te consoler ! », ce à quoi Alberich répond plus loin : »La peur gagne mon coeur devant tant de gentillesse ». • Les trois Belles lui font finalement des propositions non équivoques en chantent en chœur : »pourquoi es-tu si anxieux, au lieu de t’attacher celle d’entre nous que tu désires ? Prends-nous et sois sans effroi ! » • Les trois filles légères font clairement allusion à la frousse que ressent Alberich vis-à-vis des femmes, de l’érotisme, de la sexualité et de l’amour. Cette attitude de peur devant la Nature féminine est confirmée par la suite quand les Filles du Rhin lâchent le morceau que seul celui qui renonce à l’attrait que possède l’amour, et en refuse les plaisirs, accédera au pouvoir magique de forcer l’or à se constituer en anneau. Tout en projetant son anxiété sur les ondines - quelle subtilité de Wagner dans le maniement du psychisme de ses personnages –, Alberich répond : »Ne vous inquiétez-vous toujours pas ? Alors continuez vos ébats dans l’obscurité créatures humides ! Je vous éteins votre éclairage et je m’empare de l’or en maudissant l’amour ! » • •
  • 13. • Ici se révèle à présent toute la tragédie de l’état psychique d’Alberich, car les filles ne lui avaient pas demandé de maudire l’amour, mais tout simplement d’y renoncer : Nuance ! • Or Alberich, de sa propre initiative, fulmine sa malédiction contre l’amour, parce qu’il maudit et hait ce dont il souffre, c'est-à-dire, la peur existentielle et viscérale que lui inspire l’amour, la sexualité, et surtout l’Eternel Féminin. La frustration extrême que lui cause sa timidité déclenche ses poussées d’agressivité contre l’objet qu’il tient responsable de celle-ci. • Jusqu’à la fin, Alberich demeurera un grand anxieux. • Ainsi s’est-il fait tricoter un heaume de camouflage par son frère Mime, qui doit le rendre invisible dans le but d’apaiser sa peur de l’insécurité et de dormir tranquillement. Naïvement, il en fait la démonstration à Wotan et à Loge : »Personne ne m’aperçoit quand il me cherche, alors que suis partout, bien caché que je suis. Ainsi suis-je sans crainte, même devant toi ! », se vante-t-il devant Loge. • • Après avoir été maîtrisé par Wotan et Loge dans son usine de production souterraine, et ramené, ligoté à la surface de la terre, Wotan s’adresse à lui : »Te voilà ligoté devant moi. Anxieux que tu es, tu ne peux pas nier qu’il te faut payer à présent la rançon pour recouvrer ta liberté ! » Sa renommée d’anxieux semble ainsi fortement ancrée dans les consciences de ses compères. Ainsi, Wotan, dans son grand monologue au deuxième acte de la Walkyrie, l’appelle-t-il « le Nibelung inquiet ». • Au moment de défendre son anneau qu’il ne veut pas céder à Wotan, il se qualifie lui-même de « malheureux, qui, dévoré par la peur a commis un acte terrible et maudit ». Ainsi regrette-t-il déjà amèrement la malédiction de l’amour que personne ne lui avait demandé de prononcer, mais auxquelles il s’est laissé aller sous l’influence de sa frousse devant l’érotisme pétaradant de nos cocottes aquatiques.
  • 14. • Craignant que son anneau lui échappe, et miné par l’anxiété devant l’extrême danger que représente pour lui l’accès à l’âge adulte de Siegfried, que Mime, son frère, qu’il abhorre, aura certainement mis au courant du fait qu’il y a un trésor à lever dans la forêt, Alberich monte la faction devant l’antre de Fafner au deuxième acte de Siegfried. Transi de froid et de peur, il murmure pour soi- même : »jour d’angoisse, te lèves-tu déjà » ? Il exprime son anxiété sans objet, mais réelle parce que tournée vers l’avenir, dans l’attente diffuse d’un danger non défini, ainsi que la psychanalyse moderne décrit le phénomène de l’anxiété. • - Quand l’anxiété devient somatique, c'est-à-dire, quand un désordre psychique se manifeste sous la forme d’un trouble organique, elle déclenche par exemple une nervosité excessive. On peut donc aussi envisager de véritables attaques d’anxiété, ou paniques, qui déclenchent une peur intense de perdre la raison entre autres. • L’anxiété retentit alors sur la vie du sujet, dont l’humeur est dominée par la tristesse, la tension, le dégoût, et peut évoluer vers la dépression, qui peut se traduire par un état psychotique délirant ou hallucinatoire, ou par une mélancolie anxieuse. • Ces signes cliniques sont aisément décelables chez Mime, le frère d’Alberich, Nibelung, et nain, comme lui, qui tremble de peur et d’effroi devant son frère et Maître. C’est un état permanent chez Mime, qui tremble aussi devant Wotan, le Voyageur, dont il sent la supériorité intellectuelle hors de sa portée. Son excitation nerveuse grandit, au fur et à mesure que Wotan lui pose ses trois questions dans le cadre du pari du savoir, et deviendra paroxystique quand il ne trouve pas la réponse à la troisième question, consistant à savoir que celui qui reforgera les pièces de l’épée de Siegmund brisée par la lance de Wotan, ne devra jamais avoir connu la peur. Mime perd la boule : » les pièces …l’épée, malheur à moi, j’attrape le
  • 15. vertige…que vais-je faire, quoi imaginer ? Acier maudit, pourquoi t’ai-je volé ? » • Les propos décousus de Mime contiennent un aveu terrible, tels que les psychotiques terrassés par la terreur ont coutume de lâcher. • Quand nous avons peur, nous sommes incapables de réfléchir sereinement. Sous l’effet de la peur, nos capacités naturelles à nous prendre en charge s’effondrent. La peur est profondément enfouie dans nos esprits, dans une région qui est appelée amygdale cérébrale. • La version « officielle » de Mime vis-à-vis de Siegfried, consiste à affirmer que les pièces éparses de l’épée lui avaient été remises par Sieglinde, quand il l’a recueillie dans sa forge, suite au combat malheureux de Siegmund contre Hunding, et que sa mère Sieglinde mourut en couches. N’étant plus maître de lui, Mime avoue avoir volé les pièces détachées de l’épée…Pourquoi volé ? Par crainte excessive que Sieglinde fasse disparaître les vestiges de la mort accidentelle de Siegmund, du fait que son épée s’est brisée… ? Ainsi, Mime ne serait-il donc pas étranger à la mort de Sieglinde. II aurait très bien pu hâter sa mort afin de s’accaparer, et mettre en sécurité les pièces de l’épée, connaissant le caractère magique de celle-ci … • Malheureusement pour nous, Wagner ne donne nulle part ailleurs la moindre confirmation de ce vol, ou explication sur celui-ci. Mais comme toujours chez lui, il n’a pas lâché cet aveu, pourtant de taille, de manière gratuite… • - Wotan, le fier « Lichtalbe », esprit de la Lumière, ou adepte de la magie blanche, et éternel adversaire d’Alberich, parce qu’il représente la face illuminée de Janus, bien que chef des Dieux, est habité tout au long du Ring par une anxiété grandissante. • Ainsi se montre-t-il passablement commotionné par les prédictions d’Erda sur sa fin et celle des Dieux. Il désire en savoir plus et veut
  • 16. retenir Erda de force : »quels que soient mes soucis et mes inquiétudes, je dois te retenir afin de tout apprendre! » • A la fin de l’Or du Rhin, quand Fafner tue Fasolt afin de s’approprier l’entièreté du trésor pour lui seul, Wotan se rend subitement compte de la puissance de la malédiction de l’Anneau, qu’Alberich a fulminée contre lui, ce qui lui inspire peur et effroi : »L’angoisse m’étreint, tandis que l’inquiétude et l’épouvante entravent mon esprit. Je dois me rendre auprès d’Erda afin qu’elle m’apprenne à m’en débarrasser ». • A ce stade du Ring, Wotan se trouve au zénith de son pouvoir absolu et autocratique. L’anxiété, qui prend de plus en plus possession de lui, représente la peur du tyran. Le tyran ne peut régner que par contrainte, car son autorité n’est ni reconnue, ni acceptée. Le tyran s’expose au doute, à l’inquiétude de voir son ordre renversé, et à la peur d’être assassiné. Baudelaire décrit le phénomène tyrannique comme suit: « Je suis la plaie et le couteau, le soufflet et la joue, la victime et le bourreau… » • • Il va trouver Erda, comme si nous allions consulter un psychiatre, afin de nous débarrasser de notre psychose ! Alors que nous nous trouvons seulement tout au début de la Tétralogie, nous pouvons néanmoins nous faire une idée, à quel point Wotan est déjà psychiquement malade. • - L’angoisse saisit les autres Dieux, quand ils doivent se rendre à l’évidence que la prise d’otage de Freia les empêche de goûter aux pommes de jouvence qui leur procurent l’éternelle jeunesse. Il s’agit bien d’une cause précise qui les place dans cet état d’angoisse. • Jamais encore, les Dieux s’étaient sentis aussi vulnérables. Cette finitude qu’ils éprouvent d’une manière douloureuse les plonge dans une profonde angoisse, parce qu’ils font l’expérience de la temporalité de leur monde, alors qu’ils se croyaient éternels.
  • 17. Conscients que toute chose a un commencement et une fin, ils savent désormais que leur crépuscule n’est plus tellement éloigné. • En voyant Loge et Wotan descendre dans les entrailles de la terre, afin de s’accaparer le trésor des Nibelungen, Fricka est saisie d’angoisse. • Sieglinde, à demi-comateuse, à la fin du deuxième acte de la Walkyrie, est saisie d’une angoisse existentielle, à cause d’un cauchemar dans lequel elle revit l’irruption des ennemis de sa famille dans leur demeure familiale, l’assassinat de sa mère ainsi que l’enlèvement de son frère. • Dans le Crépuscule, Waltraute raconte à Brünnhilde, que depuis le retour de Wotan au Walhall, suite à sa rencontre malheureuse avec Siegfried qui lui a brisé sa lance, les Dieux sont pétrifiés de stupeur, d’effroi et d’angoisse. Wotan n’est plus qu’une épave qui s’enfonce de plus en plus dans une profonde prostration, que la médecine qualifie d’état dépressif psychotique, caractérisé par une mélancolie anxieuse, ainsi que nous l’avons appris précédemment. • • Nous n’allons pas nous attarder sur la peur des personnages féminins qui éprouvent plutôt une peur compréhensible et normale de la violence masculine. Leurs états d’âmes correspondent au cliché du sexe dit faible, tel que le ressentait le 19e siècle. • Soulignons cependant que Brünnhilde éprouve une angoisse existentielle à l’idée de perdre ses attributs divins, après avoir été réveillé par Siegfried. Ses paroles sont poignantes ; »mes yeux se voilent d’une obscurité triste, ma vue s’estompe, et la lumière s’éteint. La nuit m’entoure, et des brumes s’élève un voile plein d’angoisse. La terreur se propage et se dresse devant moi…Le soleil éclaire le jour de ma honte. Siegfried, prends pitié de mon angoisse ! » •
  • 18. • Nous pouvons donc conclure que la plupart des personnages du Ring fonctionnent sur fond d’états d’âme d’anxiété ou d’angoisses, et se laissent facilement posséder par la peur, à l’exception des créatures de la Nature, comme les Filles du Rhin, Erda et ses filles, les Nornes, les Walkyries et les géants. • Il est intéressant de noter que les nains, Alberich et Mime autres créatures de la Nature à l’image des géants, sont cependant sujets à l’anxiété et à l’angoisse, du fait de leur statut de travailleurs qui les rendent humains, alors que les géants sont brutaux, naïfs et simples d’esprit. Il existe finalement une dernière catégorie très spécifique de personnages qui ne connaissent pas la peur, à savoir les héros de descendance surnaturelle, comme Siegmund, fils de Wotan, Siegfried, son petit-fils. La peur de Siegfried est d’une toute autre nature que l’anxiété des Humains, parce que, dans sa qualité de bon sauvage et d’homme de la Forêt, il n’a jamais connu de femme de sa vie. Ses pulsions instinctives lui feront découvrir la sexualité d’homme, ce qui le libérera de sa peur originelle de l’Eternel Féminin, représentant, somme toute une évolution psychique tout à fait normale, que, par contre, ne connaîtra pas Alberich, qui demeurera éternellement un handicapé de l’âme. 6. Schopenhauer et Wagner Pour une meilleure compréhension de la pensée qui sous-tend le Ring, il est utile de parler quelques instants de la philosophie qui sert de toile de fond à la Tétralogie. Si Wagner était resté à son premier jet de la « Mort de Siegfried » de 1848, Brünnhilde se serait de nouveau reconvertie en Walkyrie après avoir été tirée de son sommeil par le prince charmant Siegfried, qui lui, aurait été reçu à Walhall en héros de légende au même titre que ses « collègues » grecs, les demi-dieux Heraclès, Achille ou Oedipe …
  • 19. Mais Arthur Schopenhauer passa par là, dont Wagner qualifia la lecture de son ouvrage philosophique, intitulé, « Le monde en tant que volonté et représentation », comme évènement capital de sa vie ». Essayons de nous limiter à la quintessence de la pensée de Schopenhauer, pour la partie qui a influencé Wagner d’une manière aussi forte que définitive, au moyen de quelques citations tirées de son ouvrage principal que Wagner avait lu pas moins de trois fois: « Nous ressentons immédiatement et distinctement tout ce qui nous est désagréable, ou douloureux, c'est-à-dire, tout ce qui ne va pas. Mais nous ne remarquons pas la santé générale de notre corps, càd tout ce qui va bien ! Nos pensées ne vont qu’à ce qui nous chagrine » Ce qui suit maintenant est capital pour la compréhension de son influence sur Wagner: « Le bien-être et le bonheur sont donc des valeurs négatives, alors que seule la douleur représente une réalité positive. Le mal ne peut être négatif parce qu’il se fait sentir immédiatement. Or tout bien et tout bonheur sont à considérer en tant que dimensions négatives, car ils ne font que supprimer les désirs et terminer les peines. La consolation dans toute souffrance consiste à concentrer notre attention vers ceux qui sont encore plus malheureux que nous. » Schopenhauer continue : «L’histoire ne nous enseigne que des guerres : les périodes de paix ne sont que de courts épisodes entre deux conflits. Tourments et misères sont nécessaires, car sinon nous mourrions d’ennui. Celui qui a survécu à trois générations revivra les mêmes Farces répétées trois fois. Le monde est un enfer dans lequel les hommes se départagent en âmes tourmentées, et en diables tourmenteurs, raison pour laquelle nous devons éprouver de la compassion pour les générations à venir… » Nous pouvons clore à ce stade les citations de Schopenhauer sur sa philosophie, car nous disposons à présent des principaux ingrédients qui ont si profondément marqué Wagner. Le pessimisme radical de
  • 20. Schopenhauer transformera radicalement les considérations philosophiques de Wagner sur la vie, l’amour et la destinée du monde, au point de faire sienne sa croyance dans la seule et unique valeur qui soit, à savoir la pitié et la compassion, qui vont clairement influer sur Parsifal. Fort de ces idées, on ne peut plus pessimistes, Wagner se forgera sa conviction que tout ce qui existe, court à sa perte, et trouvera sa perte, les dieux inclus, considérations schopenhauériennes que Erda adresse à Wotan dan l’Or du Rhin. Wotan devra reconnaître son impuissance devant son Destin. Il devient un Voyageur-Vagabond, parce qu’il a abandonné tout espoir d’échapper à sa fin, qu’il désire du fond de son âme en s’adonnant à la mélancolie, c'est-à-dire, à ses pensées noires, dont il fait part à Brünnhilde dans leur long dialogue au premier acte de la Walkyrie, qui constitue en fait un immense monologue d’apitoiement sur soi-même. Les Adieux qu’il adresse à Brünnhilde à la fin de l’acte 3 de la Walkyrie représentent en fait des adieux à sa moi-même, empreints de compassion et de désespoir. Retenons en guise de conclusion à ce chapitre que Wagner, empli d’admiration pour Schopenhauer et son œuvre philosophique, lui envoya le livret complet de la Tétralogie en le priant de lui faire ses commentaires. Le vieux philosophe, grincheux et acariâtre, comme sa pensée d’ailleurs, ne lui répondit même pas. Le livret, retrouvé dans sa bibliothèque, comportait des annotations haineuses et méprisantes. 7) L’esthétique de l’œuvre d’art totale (Gesamtkunstwerk)
  • 21. En 1813, année de naissance de Richard Wagner, Jean-Paul Richter, connu sous son nom de plume Jean-Paul, en hommage à Jean-Jacques Rousseau, affectueusement appelé Jean-Jacques, écrivit à Bayreuth ces lignes prophétiques dans un avant-propos à un recueil de nouvelles de E.T.A. Hoffmann s’intitulant « Fantaisies à la manière de Calot » : « Depuis toujours, la Divinité dispensa le don de la poésie de la main droite, et le don de la musicalité de la main gauche à deux personnages différents, tellement éloignés l’un de l’autre, que nous attendons toujours celui qui mettrait en musique un véritable opéra, dont il aurait également écrit le texte… ! » Quelle prémonition faite à Bayreuth en 1813, l’année de naissance de Wagner ! Né en 1763, Jean-Paul Richter vécut à Bayreuth et y mourut en 1825, malheureusement trop tôt pour apprendre à connaître l’unification du génie poétique, et du génie musical et dramatique en une seule personne, Richard Wagner, qui n’avait que 12 ans alors. Tous les compositeurs d’opéra ont mis en musique un livret plus ou moins bien écrit par ce que l’on appelle un librettiste, auteur d’un texte littéraire, normalement en vers, destiné à être mis en musique. Pour cela le librettiste devait être versé dans l’art de la dramaturgie. Ainsi, Lorenzo da Ponte, le librettiste le plus important du 18e siècle, confectionna-t-il les livrets des opéras les plus importants de Mozart. Eugène Scribe écrivit des libretti pour Meyerbeer, Donizetti, Rossini et Verdi. A la manière de Richard Wagner, Berlioz écrivit lui-même les textes de ses opéras « Béatrice et Bénédicte », et surtout des « Troyens ». Hugo von Hofmannsthal, auteur dramatique, le librettiste « de cour » de R. Strauss, écrivit tous ses textes d’opéras jusqu’à sa mort en 1929. La coexistence des texteurs et des compositeurs d’opéras était due à l’éternel dilemme esthétique pouvant être réduit à la formule « prima
  • 22. la musica e dopo le parole », ou « prima le parole e dopo la musica », qui ne fut guère tranché jusqu’au 19e siècle. Afin de pouvoir garantir une compréhension du texte quasi-absolue, Richard Wagner utilisa pour tous ses drames le procédé de l’allitération (qu’on pourrait traduire littéralement par « à la lettre », du latin « ad litteram »). Le vers tiré d’Andromaque de Racine : »Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes », qui imite le sifflement du serpent, représente un exemple parfait d’allitération. L’effet dramatique du texte gagne en intensité dramatique, et permet d’en augmenter la compréhension pour l’auditeur des paroles et de la musique. Voici encore un exemple afin d’illustrer la figure de style de l’allitération dans l’allemand volontairement archaïque de Wagner : « krumm und grau krieche Kröte.“ La découverte de l‘effet dramatique du verbe amena Wagner à établir le critère d’égalité entre la parole et la musique dans le drame musical, immense exigence esthétique, qui devait forcément l’obliger à écrire ses textes lui-même. Au moment de concevoir son Ring, Wagner écrivit en 1849 : »Dans l’art théâtral, tous les arts se réunissent …pour concourir à une impression tellement immédiate sur le public, qu’aucun autre art ne peut les concentrer sur lui seul… ! » La notion de totalité, s’inscrivant dans les grands courants utopiques et révolutionnaires de l’époque, a fasciné le 19e siècle et surtout Richard Wagner qui lui a conféré une réalité dans ses œuvres dramatiques. Il a révolutionné le genre de l’opéra, en réaction contre les conventions existantes, comme l’alternance entre récits et airs. Il lui était insupportable qu’un personnage interrompe subitement le cours des choses pour chanter un air, totalement sorti du flux de l’action. Il
  • 23. insère ses personnages dans la continuité du temps, d’où sa manière nouvelle de composer en continu (durchkomponieren). Les trois arts majeurs, danse, musique, et poésie doivent être mis à pied d’égalité, sans suprématie de l’un sur l’autre, ce qui aboutit à la « ronde des Arts ». Signalons dans ce contexte, que Wagner appela la 7e symphonie de Beethoven, l’ »apothéose de la danse », comme si, selon son entendement, chacun de ces trois arts appelle tout naturellement les deux autres à sa rescousse. Ces considérations esthétiques, très idéales et abstraites, se heurtaient cependant au décor, l’éclairage et la position de l’orchestre. Si Wagner inventa la fosse d’orchestre à Bayreuth, afin de rendre l’orchestre invisible, il ne put cependant trouver les solutions adéquates en matière d’éclairage et de décor, ce qui explique son immense déception exprimée à Cosima, suite à la première représentation du Ring en 1876 à Bayreuth : »il nous faut tout recommencer ! » Ce dilemme artistique ne put être résolu qu’avec la lumière électrique, et les multimédias contemporains, tels que la vidéo, les images électroniques ou la technique laser, capables de remplacer le désolant décor peint. Les frontières entre le binôme idéal de l’égalité entre la musique et la poésie sont toujours restées assez fluctuantes, même avec Wagner ! Ainsi, Malwida von Meysemburg, écrivaine contemporaine de Wagner, et vieille socialiste révolutionnaire de 1848, raconta à Romain Rolland que, pendant qu’elle suivait une scène du Ring par la lorgnette, deux mains s’appuyèrent doucement sur ses yeux, et elle entendit Wagner lui dire : « ne regardez donc pas tant ! … Ecoutez… ! » La théorie de l’œuvre d’art totale éveilla forcément de nombreuses controverses.
  • 24. Ainsi, Tolstoï récusait-il l’exigence que la musique doit faire corps avec la poésie, comme étant une idée fausse, car, pour lui, chacun des arts possède son domaine bien défini. Son profond désaccord devient une diatribe acerbe, quand il écrit en 1898 : « Le succès des œuvres de Wagner s’explique par le fait qu’il s’est trouvé en état de réunir toutes les méthodes inventées avant lui pour faire de la contrefaçon de l’Art, dont il réussit à produire un modèle parfait, par le maniement extrêmement habile de ces méthodes… ! » Berthold Brecht, le plus grand auteur dramatique du 20e siècle considérait l‘idée de « totalité », comme de l’art pour l’art, déconnecté de la société et de la vie, voire même une sorte de fascisme larvé. De nos jours, nous assistons de plus en plus à la tendance de privilégier de nouveau la musique par rapport au texte, et surtout à la scène, mouvement auquel les metteurs en scène contemporains ne sont pas étrangers. Avant de terminer cet exposé, rappelons que, durant la soirée qui précéda sa mort, Richard Wagner chanta les vers des Filles du Rhin « intimité et fidélité n’existent que dans les profondeurs ». Jean-Paul Bettendorff 29.4.2013