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Siegfried
1) Introduction à Siegfried
La deuxième journée de la Tétralogie intitulée « Siegfried », et
souvent appelée, le Scherzo Du Ring, constitue en effet une sorte de
havre de paix au milieu du Ring.
« Siegfried » est demeuré la partie du Ring la plus résolument fidèle
au puissant optimisme que Richard Wagner avait voulu initialement
insuffler à son adaptation du récit nordique ancien des Nibelungen.
La nébuleuse ombrageuse de la pensée de Schopenhauer n’avait
alors pas encore hanté son esprit. Siegfried apparaît en tant que
héros positif éclatant de jeunesse débordante et d’énergie juvénile,
plein de joie exubérante et d’humour et bon enfant : songez au tout
début de l’opéra quand Siegfried, rentrant de la forêt, ramène un
ours dans la forge de Mime pour lui faire peur.
Les tristes et sombres brumes de la mythologie nordique sont
absentes de cet opéra qui prend parfois résolument des allures de
comédie musicale, surtout au premier acte, rempli des facéties
enjouées et joyeuses du jeune héros qui forge son épée en causant
un tintamarre assourdissant qui provoque le désarroi et la frousse de
Mime.
L’orchestre est rutilant, et se trouve, comme dans la Walkyrie, en
équilibre parfait avec le chant. Les murmures de la forêt constituent
un véritable feu d’artifice impressionniste, célébrant la Nature, qui
força l’admiration de Debussy, pourtant anti-wagnérien de cœur et
d’esprit. Les modulations joyeuses de la forêt dénotent une forte
ressemblance avec le chant insouciant des Filles du Rhin, autres
créatures pures et positives, isues de la Mère-Nature, et en
communion symbiotique avec elle.
1
Le troisième acte jubile autour des thèmes les plus merveilleux que
Wagner ait pu imaginer, tels que l’Héritage du Monde, ample et
grandiose, et le thème de la Paix en mi majeur que l’on retrouve dans
le poème symphonique du Siegfried-Idyll. Cette page musicale pleine
de charme magique et de modulations douces et harmonieuses,
fut interprétée la première fois par un petit orchestre installé dans
l’escalier de la villa de Tribschen près de Lucerne en Suisse, le matin
du jour de Noël de 1870, anniversaire de Cosima. Wagner avait
imaginé cette petite surprise musicale à l’intention de son épouse,
afin de célébrer la naissance de leur fils Siegfried.
Romain Rolland, Prix Nobel de littérature en 1915, et critique
musical, écrivit en 1908 dans son ouvrage ‘Musiciens d’aujourd’hui’:
« Beethoven aurait adoré Siegfried, plein d’humour, de chants
d’oiseaux, de sentimentalisme et de pensées profondes, à l’ombre
des chênes gigantesques.»
Il estime en outre que Siegfried représente « l’opéra le plus sain de
tous les opéras wagnériens ». Cet opéra ne contient en effet ni
mysticisme fiévreux, ni sensiblerie romantique. Le troisième acte
constitue une immense fresque orchestrale dans laquelle s’insère
parfaitement le duo d’amour entre Siegfried et Brünnhilde, le plus
extraordinaire de toute l’Histoire de la Musique.
2) Psychogramme de Wotan: de la puissance au vagabondage
Wotan est présent physiquement dans les trois premières parties du
Ring, alors que, malgré son absence, son ombre plane sur toute
l’action du Crépuscule des Dieux. Dans le Prologue de l’Or du Rhin,
Wotan exerce le Pouvoir absolu et patriarcal en tant que Dieu
suprême. Les premières fissures apparaissent cependant à son
édifice, parce que l’ancienne détentrice du pouvoir matriarcal, Erda,
sa mère ne s’avoue pas vaincue, et prédit la fin de Wotan et de son
règne, condamné par la malédiction de l’Anneau par Alberich, et la
domestication de la Nature dont les richesses sont exploitées dans le
but de créer de la valeur ajoutée suscitant ainsi la convoitise et la
zizanie entre les hommes, ainsi que leur asservissement.
Richard Wagner écrit à August Röckel en janvier 1854 : «La tragédie
de Wotan réside dans le fait qu’il ne saisit pas que son intervention
dans la Nature est maléfique, que le malheur engendré par la
puissance constitue du poison pour l’amour, et se concentre dans l’or
soustrait à la nature, et profané dans l’Anneau du Nibelung. La
malédiction qui s’y attache n’est levée que s’il a été rendu à la Nature
et qu’il a de nouveau été immergé dans le Rhin. »
Or Wotan ne s’en rend pas compte quand Fafner tue Fasolt.
Et Wagner poursuit: «Il ne saisit que la puissance de la malédiction
fulminée par Alberich contre l’Anneau, mais il n’entrevoit pas encore
que celle-ci puisse se dissoudre en quelque sorte dans la Nature. Ce
n’est que lorsque l’Anneau va conduire aussi Siegfried à sa perte,
qu’il comprendra que seule la restitution de ce butin neutralisera le
malheur »
Wagner continue dans cette même lettre, un des documents les plus
importants dans l’exégèse du Ring à laquelle s’est livré son auteur lui-
même :
« La liberté, c’est l’authenticité de celui qui communie avec la Nature
de tout son être, et en complète harmonie avec elle. Aucune
contrainte extérieure ne réussit à terrasser l’homme, si elle ne réussit
pas à anéantir son authenticité.»
Dans la première journée, la Walkyrie, Wotan, empêtré dans les
contradictions provoquées par les lois qu’il a créées lui-même, est
obligé de sacrifier ses deux enfants, Siegmund et Brünnhilde, sur
l’autel de l’observance de sa propre Loi. Le cœur brisé après les
Adieux à sa fille bien-aimée qu’il enfouit dans un sommeil profond, il
3
parcourt le Monde en Voyageur-vagabond, miné par la montée des
forces nouvelles qu’il ne contrôle plus, comme l’Amour et l’esprit de
sacrifice qui finiront par animer sa descendance incarnée dans
Brünnhilde et Siegfried. Ces forces nouvelles représentent en fait les
anciennes valeurs du monde matriarcal, qui, nous l’avons vu, n’a
jamais été complètement vaincu, l’ancienne Déesse-Mère Erda
veillant au grain dans son sommeil, et empêchant ainsi sa disparition
complète. C’est donc en profond pessimiste quant à son avenir, que
Wotan, tenaillé par l’anxiété, nous l’avons vu, parcourt le monde
dans une agitation hypernerveuse, ne tenant plus en place dans sa
forteresse devenue prison.
Wagner écrit à August Röckel en janvier 1854: « Après avoir fait ses
adieux à Brünnhilde, Wotan n’est plus qu’un esprit solitaire. Il ne
peut que laisser faire, laisser aller les choses comme elles vont, mais
il ne peut plus intervenir. C’est pour cela qu’il est devenu un simple
voyageur. C’est à nous qu’il ressemble, parce qu’il représente la
somme de l’intelligence du présent, alors que Siegfried constitue
l’homme de l’avenir, tel que nous le souhaitons, qui ne peut
cependant pas être conçu par nous, mais qui doit se créer lui-même à
travers notre anéantissement.»
Nous allons tenter à présent de percer la psychologie du personnage,
en analysant son état de voyageur-vagabond, qui représente en
quelque sorte la phase finale de son existence.
Le voyageur errant représente une autre figure du romantisme
allemand, qui chemine en-dehors du monde, en marge des routes, le
long des cours d’eau, à l’image des pierres, qui, emportés par le
courant de la rivière, s’en vont au loin, sans but, ni plan précis,
comme dans le lied sur le « Voyage », faisant partie du cycle de la
Belle Meunière de Schubert.
Nous avions précédemment évoqué l‘étape du compagnonnage dans
le cadre du roman d’éducation allemand. Le «Wanderer»
romantique, mot intraduisible en français, peut être décrit au moyen
du mot composé de voyageur-vagabond. Les deux termes signifient
un voyage sans but précis, car l’atteinte d’un but marquerait un arrêt,
ou une fin, alors que pour le « Voyageur-vagabond », c’est le chemin
lui-même qui constitue le véritable but. Dans l’Allemagne du 19e
siècle, l’inquiétude devant l’Inconnu, la nostalgie d’un ordre divin
ainsi que la déception devant l’absence d’une Nation Allemande,
malgré le sursaut nationaliste suite à l’occupation napoléonienne, ont
donné naissance au courant philosophique du « Voyage » du
« Wandern ». Le désir de fuir devant l’exiguïté de l’existence souvent
misérable et l’aspiration à la plénitude de l’âme communiant avec la
Nature animent l’idéaliste à la recherche de l’indépendance dans
l’aventure, et le penseur nostalgique à l’atteinte de la plénitude
transcendentale de l’infini. « Le chemin mystérieux du voyage
conduit à l’intérieur de soi-même », affirme Novalis.
Wagner confère toutes les facettes de cette sensibilité au Voyageur-
Vagabond qu’est devenu Wotan consécutivement à son chavirement
dans la Walkyrie, abandonnant le pouvoir, et plongeant ainsi
Alberich, le négatif de lui-même, dans le désarroi devant l’antre de
Fafner, comme nous l’avons vu. Il n’aspire désormais qu’à
s’engouffrer pour toujours dans l’infini de la Nuit, dans laquelle il va
définitivement enfermer Erda, ainsi que l’ensemble de son savoir de
l’Ancien Monde.
Mû par un élan assez contradictoire, dans le but de défendre le reste
de la souveraineté qu’il possède encore, Wotan, ne recherchant, et
ne désirant que la fin, tente, dans un dernier effort suprême et
désespéré, de barrer la route à Siegfried en marche vers le rocher où
dort la Belle que lui a promise l’Oiseau. On ne peut se défaire de
l’impression que Wotan hâte la survenance de sa fin, en bloquant de
5
sa lance le passage à Siegfried, afin que celui-ci la lui brise sous les
coups de son épée magique, détruisant ainsi son pouvoir.
Cette scène du deuxième acte de Siegfried constitue un des sommets
du Ring, tant d’un point de vue dramatique que musical, et possède
une dimension véritablement dantesque.
Le langage musical de Wagner s’est transformé au cours des douze
ans, consacrés à la création de Tristan et des Maîtres-Chanteurs,
pendant lesquels il délaissa la Tétralogie, sauf les quelques retouches
qu’il y apporta. « Il plaque Siegfried pour se lancer à la recherche de
Tristan », dit André Tuboeuf. Il l’y laissera durant douze ans, de 1857
à 1869.
Il écrit à Liszt : « Après avoir conduit mon jeune Siegfried dans la
solitude de la forêt, dans laquelle je l’ai abandonné sous un tilleul, j’ai
pris congé de lui en pleurant des larmes sincères.»
Romain Rolland commente ce passage dans les termes suivants :
« Wagner avait raison de pleurer ! Il sentait bien qu’il ne retrouverait
jamais plus son jeune Siegfried, qu’il ne réveillerait que douze ans
plus tard. » Pendant ce laps de temps, le personnage Wagner aura
changé aussi : la liaison avec Mathilde Wesendonck, et la mort de
Minna, sa première épouse l’ont marqué et en ont fait un homme
mûr.
L’abondance juvénile des deux premiers actes a cédé à la grandeur
antique du réveil de Brünnhilde à la superbe troisième scène du
troisième acte.
Cette pause artistique, si l’on peut dire, mise à profit pour composer
deux chefs-d’œuvre absolus, a conféré à la musique de Wagner sa
complexité et sa densité extrêmement fouillées et touffues.
Le prélude au troisième acte en donne une illustration stupéfiante.
Afin de compléter l’image psychologique de Wotan, nous devons
légèrement empiéter maintenant sur le Crépuscule :
Wotan survit dans le Crépuscule des Dieux dans les récits et
évocations de ses personnages. Waltraute raconte à Brünnhilde la
suite de la confrontation entre Wotan, le Voyageur-vagabond et
Siegfried, après que celui-ci lui eût brisé sa lance. Wotan rentre à
Walhall, complètement bouleversé et entièrement résigné. Il est
tombé dans un mutisme total, raconte-t-elle, et ne s’exprime plus
que par des gestes : Ainsi signifie-t-il aux « héros », qui ont peuplé
Walhall, d’abattre le frêne du monde, de toute façon desséché,
depuis que Wotan en a arraché une branche pour se tailler sa lance,
et de les disposer autour de Walhall. Wotan s’adonne à ses rêves et
murmure à Waltraute que le monde et les dieux seraient sauvés, si
Brünnhilde rendait l’Anneau aux Filles du Rhin. Tout à la fin du
Crépuscule, Brünnhilde renvoie les deux corbeaux, messagers de
Wotan qui tournoient autour du bûcher qui la consumera, auprès de
Wotan, afin de lui annoncer que c’est la fin des dieux, et qu’il peut
enfin prendre du repos, lui aussi …
Nous pouvons nous rendre à l’évidence dès à présent, que Wotan,
tout en demeurant encore, pour la forme, la clef de voûte de l’ancien
monde, est devenu totalement impuissant de corps et d’esprit
depuis sa disparition de la scène au troisième acte de Siegfried.
Comment est-ce que le détenteur du pouvoir patriarcal, avec Erda,
l’ancienne Déesse-Mère du monde matriarcal, le personnage le plus
important du Ring, a pu en arriver là. Incontestablement souffre-t-il
d’une maladie neuro-dégénérative cérébrale, càd d’une forme de
démence du genre Alzheimer, au vu des symptômes qu’énumère
Waltraute dans son récit :
Rentré à Walhall, il convoque le Conseil des dieux, mais reste muet
sur son trône. Il semble encore capable de montrer des émotions, par
exemple sourire quand on lui apporte une bonne nouvelle. Pour la
plupart du temps, il demeure déprimé et triste, ne poussant plus que
7
des soupirs, ou ne murmurant que des phrases simples, comme
rendre l’Anneau aux Filles du Rhin.
Voici une partie du récit de Waltraute, qui, bien que contenu dans le
Crépuscule, illustre cependant notre analyse du psychisme de Wotan.
Ces signes cliniques sont typiques du stade avancé d’une maladie de
dégénérescence, au cours de laquelle les difficultés de langage
deviennent de plus en plus évidentes. Ces manifestations sont
accompagnées de changements comportementaux, comme une
certaine irritabilité ou labilité émotionnelle. Wotan nous livre une
démonstration stupéfiante lors de son altercation avec petit-fils au
troisième acte de Siegfried.
Nous avons vu que, déjà dans l’Or du Rhin, au moment de prendre
possession de sa nouvelle forteresse, symbole de son nouveau
pouvoir, Wotan, qui devrait se bercer dans la gloire de son succès, est
subitement saisi d’une étrange anxiété que ne partagent pas ses
dieux-compagnons : ce sont indéniablement les premières ombres
que projettent sa maladie…
Déjà à ce moment-là, tout comme dans la Walkyrie, Wotan lutte de
toute la force de son intelligence contre cette impuissance psychique
qui le paralysera progressivement. Est-ce pour cela que nous le
devrions qualifier d’anti-héros, comme son petit-fils Siegfried, ou de
héros absurde à l’image de Sisyphe qui est condamné à perpétuité à
recommencer le travail consistant à hisser péniblement son rocher
jusqu’au sommet de la montagne jusqu’à ce que la pierre lui
échappe, et dégringole à nouveau au fond de l’abîme. C’est ce
qu’Albert Camus interprète comme étant l’absurdité de l’existence,
parce que Sisyphe, conscient de la malédiction dont les dieux l’ont
frappée, sait qu’il ne va jamais y arriver. Or Wotan recommence la
lutte contre l’adversité qui le terrasse, quoique ses efforts ne soient
couronnés de succès, et non parce qu’il court d’échec en échec. A
l’encontre de l’automatisme du recommencement chez Sisyphe,
Wotan, jusqu’à sa fin, conserve ce fol espoir qu’un nouveau
stratagème le tirera du mauvais pas dans lequel il s’est à nouveau
embourbé. Ainsi pourrions-nous même affirmer que Wotan
représente un héros positif, parce qu’il conserve toujours l’espoir de
pouvoir finalement surmonter son destin, alors que Sisyphe ne voit
pas d’issue à son sort, devenant ainsi un héros négatif de l’absurde.
La scène du pari au premier acte illustre à merveille ce redressement
psychologique continuel de Wotan, qui, dans le cas clinique du
personnage, dénote malgré tout un fort dérangement psychique. Un
tel état d’âme correspond à une autre maladie psychique, qui frappe
Wotan, et que la psychiatrie moderne qualifie de maniaco-
dépressive, dans laquelle des phases d’abattement alternent avec
des épisodes d’euphorie. Ces derniers se caractérisent par un
enjouement insouciant et une confiance en soi exagérée, alors que la
phase dépressive est dominée par la tristesse, l’inactivité et des
sentiments de culpabilité. Le dialogue entre Wotan, le Voyageur-
vagabond et Mime représente un des sommets dramaturgiques de la
Tétralogie aussi bien par l’accompagnement musical, la thématique
du pari du savoir, ainsi que la caractérisation des deux personnages
qui réussit à mettre en lumière surtout la complexité de la
personnalité et du psychisme de Wotan.
C’est Wotan qui propose à Mime un pari du savoir en pariant sa tête
dans le jeu de questions-réponse avec lui. Chacun a le droit de poser
trois questions en pariant sa tête qu’il trouvera les trois bonnes
réponses. Sournois, Wotan offre à Mime d’ouvrir le tir, afin de garder
toute sa liberté pour le second tour. Mime pose trois questions sur
l’identité des détenteurs du pouvoir dans les enfers, sur terre et dans
les cieux. Il est étonnant que Wotan ne mentionne pas les hommes
en tant qu’habitants de la terre, mais les géants. C’est que les
9
réponses de Wotan couvrent surtout le domaine psychologique, le
monde souterrain représentant l’inconscient, tandis que la partie
consciente de l’homme est symbolisée par la sphère céleste.
La surface de la terre correspond à la zone intermédiaire entre les
deux domaines. Le fait que Fafner, par son intransigeance de dragon-
veilleur du trésor des Nibelungen, constitue un frein à la bonne
marche des affaires terrestres, dévoile l’existence d’une crise
psychologique entre les deux domaines du conscient et de
l’inconscient. Nous ne pouvons nous empêcher de nous poser la
question, pourquoi Wotan a initié ce pari du savoir avec un enjeu
aussi capital que constitue sa propre tête.
Nous savons que Wotan n’est pas un dieu omniscient ni omnipotent,
et qu’il est donc de ce fait, incapable de dominer ni Alberich, ni
Fafner, du fait de sa profonde anxiété, et de la barrière psychologique
de l’interdiction qu’il s’impose d’enfreindre sa propre loi. Nous allons
voir plus loin quelles sont les causes de ce blocage psychologique qui
l’empêchent d’agir souverainement.
Mais heureusement possède-t-il la ruse pour lui. Il sait arranger les
choses de manière telle que les évènements s’arrangent d’eux-
mêmes à son avantage, sans qu’il ait besoin de culbuter lui-même
l’ordre établi. Or, l’usage à bon escient de la ruse exige une
connaissance parfaite du psychisme de ses adversaires, afin de
connaître à l’avance leurs réactions aux initiatives qu’il estimera
devoir prendre pour les affronter.
Le pari du savoir, comme son nom l’indique, permet à Wotan
d’apprendre le plus que possible sur son petit monde qui l’entoure,
ce qui lui ouvre en même temps la connaissance sur lui-même. Cette
démarche intellectuelle lui procure un avantage notable, parce que
grâce aux deux premières questions qu’il pose à Mime, il lui donne
l’occasion de pouvoir briller avec ses réponses. L’esprit de petit
fonctionnaire-instituteur poussiéreux de Mime l’empêchera de
déjouer les filets tendus par son puissant adversaire.
Wotan enfile ensuite intelligemment et sournoisement l’intrigue qui
devra servir son plan: Il jette Mime d’abord dans un profond désarroi,
causé à la fois par son incapacité de répondre à sa troisième question
sur l’identité de celui qui reforgera l’épée magique Notung, et par le
fait qu’il épargne sa tête en la vouant à celui qui n’aura jamais connu
la peur. Il se moque de Mime et lui reproche son savoir qui ne sert à
rien : « Tu as investigué des aspects tellement éloignés de tes
préoccupations, et donc vains, mais il ne t’est pas venu à l’esprit que
ce qui pourrait t’être utile, se trouverait à ta portée ! »
En appliquant ce stratagème, Wotan, le Voyageur-vagabond sait
pertinemment que Mime fera tout, pour que Siegfried reforge son
épée, parce qu’il n’a jamais connu la peur. Ensuite, il titillera son
amour-propre, en lui faisant miroiter que son éducation ne sera
complète que s’il aura acquis la connaissance de la peur. Pour cela, il
conduit Siegfried devant l’antre de Fafner, afin qu’il apprenne à la
connaître la peur avant de tuer le dragon. Ainsi, Mime sauve une
seconde fois sa tête, vouée à celui qui n’a pas connu la peur. Il n’aura
donc plus rien à craindre de Siegfried, qu’il ne lui reste plus qu’à
empoisonner afin de s’accaparer du trésor.
L’accès brusque à la connaissance qu’opérera Siegfried, après avoir
goûté le sang du dragon changera bien évidemment le cours des
choses, canalisé de la sorte par la sagacité de Wotan.
Le pari du savoir représente ainsi le duel intellectuel entre
l’intelligence intuitive et visionnaire, et le savoir purement livresque
et stérile, tant qu’il n’est pas utilisé à bon escient, c'est-à-dire,
d’après des critères d’utilité, suivant les paroles de Wotan. Ce
combat intellectuellement inégal finit par anéantir psychiquement
11
Mime, surtout que la dimension du génie lui fait totalement défaut.
Wotan, le voyageur continuera son chemin à travers le monde,
abandonnant Mime à sa dépression nerveuse qui se dénoue dans
une véritable crise de folie que Wagner traduit par une musique
assourdissante, et qui culminera dans un tintamarre atonal d’une
force brutale inouïe.
Malgré cet épisode plaisant, au cours duquel Wotan démontre de
quoi il est intellectuellement capable, nous devons cependant nous
rendre à l’évidence que Wotan souffre de plus en plus de dépressions
sévères qui, de plus en plus souvent, paralysent sa volonté, de sorte
qu’il se sent impuissant de changer lui-même le cours des choses,
mais il est tout aussi incapable de mettre fin lui-même à son
existence. Toutes les actions qu’il entreprend dans l’espoir de réussir,
envers et contre tout, d’échapper à sa fin, ne fait que le rapprocher
de celle-ci. A partir du moment où il se résout à ne plus nager à
contre-courant, il s’éloigne de sa fin. Il est progressivement frappé de
ce que Théodule Ribot a appelé en 1909, la maladie de la volonté.
C’est sa fille Brünnhilde qui doit lancer la torche dans le bûcher qui
enflammera le Walhall , cataclysme que Wotan, paralysé sur son
trône, n’est pas en mesure de hâter par ses propres moyens. Ne
sachant se délivrer lui-même, c’est Brünnhilde qui doit le faire pour
lui, en l’aidant à mourir. Cette évolution psychique est tellement
étrange, que Wagner en éprouvera des difficultés pour trouver une
fin digne de son immense fresque du monde que représente la
Tétralogie.
La fin de Wotan est programmée dans l’Or du Rhin, parce qu’ « il n’y
a pas de fin pour la musique, parce que l’Anneau se termine là où il
commence d’une manière éternelle. », d’après la confession faite par
Wagner à Cosima en 1872.
L’impuissance de Wotan se traduit également sur le plan
physionomique, parce qu’il est borgne, du fait qu’il a échangé un de
ses yeux contre le savoir, càd le pouvoir, comme le chante la
première Norne dans le Prologue du Crépuscule : »autrefois je tissais
sous l’arbre du monde, …quand un dieu courageux but de la source
du savoir qui jaillissait au pied de l’arbre. Il en paya le prix en
sacrifiant un de ses yeux.
La Nature, dans son état originel, ne connaît ni ordre, ni loi, càd
aucune contrainte civilisatrice. Toute intervention dans la Nature
équivaut à un viol de celle-ci, que pratiquera Wotan également vis-à-
vis d’Erda, ainsi que nous l’avons vu.
La perte volontaire d’un œil constitue, elle aussi une intervention
contre sa propre nature, similaire à l’émasculation de Klingsor, ou à la
malédiction de l’amour par Alberich. Il renonce à l’Humanité et à
l’Amour pour le Savoir, ce qui ne veut pas dire que Wotan
renoncerait à séduire la gente féminine. Durant toute son existence
de Dieu, il demeurera un grand coureur, malgré les problèmes qu’il
rencontrera avec ses femmes :
- La première, Fricka, son épouse légitime le force à sacrifier son fils,
- la deuxième, Erda, sa mère et maîtresse, l’abandonne au moment
où il aurait tellement besoin de savoir que faire pour sauver son
monde …,
- la troisième Brünnhilde, sa fille, transformera sa résidence
officielle du Walhall en brasier cataclysmique.
A l’origine de ses échecs avec les femmes se trouve de nouveau son
anxiété paralysante et sa maladie de la volonté débilitante.
L’acquisition du savoir, et par là, l’accaparement du pouvoir (proverbe
allemand: Wissen ist Macht) par la violence, également envers soi-même, le
rend impotent.
Signalons enfin que ce n’est pas un recueil de lois que contient le bois
de la lance wotanienne, mais ses obligations contractuelles, dans
13
lesquelles il s’empêtrera de plus en plus, jusqu’à ce que qu’il soit
entièrement privé de toute liberté d’action, pour finalement devenir
impuissant.
Il est important de souligner que le recueil d’obligations
contractuelles gravées dans le bois de la lance de Wotan est
comparable au code du roi babylonien Hammourabi ayant régné au
18e
siècle avant JC. Ce code est constitué de tout un ensemble de
décisions de justice relatives aux aspects les plus divers de la société
babylonienne de l’époque, et qui furent gravées dans le granit d’une
stèle découverte en 1901. Dans les premières sociétés d’hommes
devenus sédentaires, se sont d’abord constitués des us et coutumes,
qui, au fur et à mesure de leur établissement, furent consignés dans
des codes spéciaux. Le contrat passé par Wotan avec les géants pour
la construction de Walhall, constitue un tel exemple de règlements
particuliers inscrits dans le bois de la lance de Wotan, qui formèrent
la première étape vers l’écriture de lois proprement dites, plus
générales et donc empreintes d’une plus grande abstraction
intellectuelle.
Il est intéressant de noter que le code de Hammourabi comporte des
passages sur l’interdiction de l’inceste, du vol de biens ( le vol de l’or
par Alberich), ou des dispositions sur des affaires d’argent et de
commerce (le contrat avec les géants), la conclusion de mariages, ou
de remboursement de dettes.
La force légale que représente la lance de Wotan est peut-être la
mieux traduite musicalement tout à la fin du troisième acte de la
Walkyrie, quand Wotan force Loge à se constituer prisonnier, en
quelque sorte, sous sa forme originelle du feu, sur le rocher de
Brünnhilde, afin de la protéger dans son sommeil, certes, mais aussi,
et c’est peut-être la raison la plus importante, afin de s’assurer que
Loge ne puisse étendre à sa guise son pouvoir néfaste à travers le
monde :
Il est d’une importance primordiale de souligner que Wotan, en tant
que dépositaire de la Loi fondamentale du Nouveau Monde, reculera,
tout au long de son intervention active dans le cours de la Tétralogie,
devant l’infraction de ses propres règles. Wotan n’agit donc pas de
manière machiavélique qui consisterait à enfreindre directement,
voire ouvertement ses propres règlements, quand bon lui semble. Il
adopte une approche plutôt sournoise et cynique, en faisant
accomplir les infractions par des créatures qui lui sont serviles, mais
qui agissent en tant qu’acteurs prétendument libres, dès la
survenance d’évènements qui risquent de mettre en péril l’ordre de
son monde à lui. Les résultats de cette politique se manifestent dans
la tolérance de l’inceste entre Siegmund et Sieglinde, pourvu que
Siegmund, en tant qu’homme nouveau, accomplisse sa mission
libératrice du monde, puis, plus tard, dans l’acceptation des
agissements de Siegfried, leur fils, pour les mêmes raisons.
Le comportement de Wotan, consistant à ne pouvoir agir
souverainement est pour le moins étrange, car ne possède tous les
attributs de la souveraineté que celui qui possède l’arme ultime, qui
est la proclamation de l’état d’exception, ou d’urgence, consistant à
suspendre le cadre législatif, si l’ordre des choses en général est
menacé.
Nous avons connu dans le passé récent de telles situations d’états
d’urgence exceptionnels, p.ex. au moment de la guerre de la
Yougoslavie au cours des années 1990, avec l’intervention de l’UE
dans la guerre civile, ou plus récemment avec le secours par l’OTAN
des insurgés contre le régime du dictateur sanguinaire Kadhafi,
menaçant la paix au niveau mondial.
L’ordre mondial prime sur les lois, car sans Ordre établi, il n’existe pas
de lois.
15
Wotan ne possède assurément pas cette souveraineté absolue, sinon
il agirait lui-même, au lieu de laisser faire la besogne par ses
créatures, qui, en incompréhension totale des rouages secrets du
monde, risquent de ne pas agir dans le sens voulu par lui, ainsi qu’il
doit cruellement en faire l’expérience avec Siegmund, Brünnhilde et
Siegfried.
Il y deux raisons à cela :
- La première raison est d’ordre théologique. Wotan ne
représentant pas un dieu monothéiste omniscient, omniprésent et
omnipotent, il chavire parce qu’il désire non seulement le savoir, càd
le pouvoir sur le moment, mais également la connaissance de
l’avenir, ce dont un « souverain normal » est incapable.
- La deuxième raison est d’ordre psychologique : Nous avons vu à
quel point Wotan est tenaillé par l’anxiété, qui, au moment des crises
aiguës, réussissent à paralyser complètement sa volonté. Il n’a tout
simplement pas la volonté, ni le courage de recourir aux procédés de
gestion sous la forme d’état d’urgence qu’il préfère laisser à ses
créatures brutes, inconscientes et ignorantes.
C’est son éternelle anxiété, à l’origine de son impuissance
psychologique, qui condamne Wotan à l’inactivité totale, qui
l’empêche même de mettre fin à ses jours, et qui constitue
l’immense tragédie du destin de ce « Dieu triste », ainsi que le
qualifie Peter Wapnewski, wagnérologue reconnu. Wotan l’affirme
lui-même à la fin de son long dialogue avec Brünnhilde au deuxième
acte de la Walkyrie : Je suis le plus triste de tous… »
3) Psychogramme de Siegfried, le héros du romantisme allemand
Si le monde masculin germanique est dominé par les héros, les
« Helden », Wagner les dépouille des attributs de l’héros antique,
appelé à se surpasser, en s’élevant au-dessus de la condition
humaine, ce qui le met en mesure d’éclairer l’Humanité en lui
apportant la Lumière de la Raison. C’est le mythe de Prométhée, ou
de la Connaissance. Avec ce que Richard Wagner fait accomplir à son
personnage de Siegfried, nous nous situons cependant loin du héros
prométhéen antique. Le Siegfried wagnérien possède un caractère
brut et élémentaire, proche de la Nature et un entendement fixé
exclusivement sur le présent, sans connaissance du passé, et sans
projet d’avenir. Il se fait ballotter au gré de ses pulsions intérieures,
et manipuler par les stimulations extérieures, en n’exécutant que le
programme génétique de créature docile que Wotan a enfoui au
fond de lui-même.
En style télégraphique, son pédigrée se résume à peu près à ceci : Il
se sauve dans la forêt, au lieu d’écouter Mime, son maître qui tente
de lui inculquer une éducation rudimentaire de forgeron, et préfère
suivre le chant de l’oiseau, càd l’appel de la Nature, symbolisé par la
femme endormie sur son rocher.
Il part à sa conquête, qui cependant ne représente guère plus qu’un
épisode sur son chemin. Il la quitte bientôt pour d’autres aventures,
et s’en va parcourir le monde sans posséder ni individualité, ni
identité, au gré des potions magiques que lui fait ingurgiter son
entourage malveillant, pour lui faire perdre la mémoire, sinon la
raison. Après avoir complètement oublié Brünnhilde, il retourne la re-
conquérir pour un compagnon trouvé sur sa route, et meurt
assassiné, ne sachant pas trop bien ce qui lui arrive.
Siegfried, dans l’incapacité d’offrir au monde autre chose que sa
coquille vide et creuse, représente une sorte d’anti-héros dangereux,
parce qu’il fait peur du fait de son comportement chaotique
déconcertant, ce qui donne ainsi tout son sens à la fameuse sentence
de Bertolt Brecht : « Heureux le pays qui n’a pas besoin de héros!»
17
Son père Siegmund fuyard, clochard, raté et asocial, constituait lui
aussi déjà un antihéros de la même trempe. Ne possédant pas
d’identité propre, et même pas de nom, il est toujours en fuite
devant ses ennemis, transportant sa femme sur son dos.
Les messages que Wagner a enfouis dans le Ring sont triples :
- Le monde court à sa perte, du fait de l’abus de pouvoir commis par
un personnage tout-puissant, Wotan.
- Les femmes, par leurs accès à la connaissance, se sentent investies
de la mission salvatrice de sauver l’Humanité.
- Les hommes, héros manqués en quelque sorte, se font manipuler
par les Puissants par leur manque d’identité, et chavirent sur leur
parcours.
Pour revenir à Siegfried, il n’est habité que par sa force physique
grossière et brutale. C’est un sauvage qui a grandi dans la forêt en
tant qu’enfant-loup qui se laisse aller au gré de ses pulsions. Il s’avère
être tellement malléable, manipulable et corvéable, qu’il ne fait que
ce qu’on lui demande de faire. Sa conscience n’est entachée d’aucun
doute ni de remords. Elle est pure, parce que chargée d’aucune
flétrissure. Du fait qu’il ne possède pas de volonté, et n’a jamais
goûté au pouvoir, sa conscience est demeurée au stade quasi-animal.
En mettant en scène la jeunesse de Siegfried avec tellement de
détails, Wagner fait habilement semblant de suivre la grande
tradition allemande du « Bildungsroman », ou roman d’éducation et
de formation, qui servait de guide d’apprentissage et d’instruction
aux jeunes hommes de la première moitié du 19e
siècle. Ce genre
littéraire est apparu en Allemagne à la fin du 18e
siècle avec
« Heinrich von Ofterdingen » de Novalis, et traite de la confrontation
d’un personnage, normalement un jeune homme, avec le monde qui
l’entoure.
La trame d’un tel ouvrage se consacre normalement aux expériences
effectuées sur une longue période, allant de la prime jeunesse à
l’adolescence, en y intégrant également une phase l’apprentissage
par le voyage, le fameux « Wandern », que l’on pourrait qualifier
d’années de compagnonnage, et qui devront finalement aboutir à la
maturité, ou à l’accès à la maîtrise. L’ouvrage de Goethe, « les années
d’apprentissage de Wilhelm Meister, représente le roman
d’éducation typique, ayant servi de modèle à bon nombre de
romanciers du genre.
L’éducation, d’après le roman d’éducation, consiste à former l’esprit,
du jeune sujet et à l’amener à confronter ses idéaux et sa naïveté
aux basses réalités du monde, ce qui aura pour effet de raboter les
rugosités trop saillantes de son caractère, lui permettant de trouver
sa place dans le monde, de s’y intégrer et de le dominer en tant
qu’adulte.
Or, Wagner, encore une fois, joue aux iconoclastes, en ne suivant
absolument pas le canevas du roman d’éducation généralement
admis à l’époque, pour faire exactement le contraire, en insufflant à
son jeunot Siegfried un esprit de rébellion contre son précepteur
Mime, représentant du système de l’instruction scolaire de l’époque,
ainsi qu’une aspiration à une liberté totale.
Siegfried se révolte contre toute tentative d’éducation ou de
formation de la part de Mime, désemparé et catastrophé par un
énergumène insupportable qui casse et qui brise tout.
Toutes les valeurs traditionnelles éducatives en matière
d’apprentissage, de science ou d’autorité sont malmenées sans
ménagement dans une fureur dévastatrice véritablement soixante-
huitarde. On ne peut s’empêcher de penser à la fameuse pièce de
théâtre de Roger Vitrac «Victor, ou les enfants au pouvoir ». Le
comportement de Siegfried est tellement agité et désordonné que
19
nous sommes en droit de douter de sa santé mentale. Il y a deux
raisons à cela :
- Les antécédents génétiques que Wagner lui a perfidement
conférés, en le faisant naître de la relation incestueuse entre
Siegmund et Sieglinde, les enfants jumeaux de Wotan, peuvent
parfaitement être à l’origine d’un certain dérèglement mental dû à la
consanguinité.
- La deuxième raison d’une potentielle aliénation mentale de
Siegfried, est à rechercher dans son entourage, qui n’est peuplé que
de vieux : un nain difforme, vilain, acariâtre, sournois, et piètre
éducateur pardessus le marché. Fafner, le dragon, frappé à mort par
Siegfried, se métamorphose en vieillard pleurnicheur qui lui fait la
leçon en le mettant en garde contre son insouciance juvénile, et
contre son précepteur Mime.
Quand Siegfried se lance à la poursuite de l’oiseau qui doit le guider
au rocher où dort la Belle au Bois dormant, un autre vieux lui barre la
route, en lui reprochant son ignorance du monde et de ses origines,
son grand-père Wotan.
En découvrant Brünnhilde sur son rocher, nous devons nous rendre à
l’évidence que ce n’est pas une jeune femme qu’il tire de son
sommeil, mais sa tante, fille de Wotan et demi-sœur de son père
Siegmund, certainement de vingt ans son aînée.
Siegfried n’a jamais connu de chaleur maternelle, ni d’autorité
paternelle, de maître sérieux, de frères et sœurs ou de compagnons
de jeu, autres que des ours ou d’autres animaux sauvages vivant dans
la forêt. Un tel foyer « familial » peuplé de gérontes n’est guère
propice à l’éducation et à un développement mental et humain
harmonieux d’un adolescent. Ignorant la peur et le doute, dénué de
tout acquis civilisateur, il n’est animé d’aucune ambition, ni volonté.
Il ressemble à un animal, plutôt qu’à un homme.
Siegfried n’est pas ce surhomme dont on voudrait l’affubler trop
souvent : « Il n’en représente que la moitié, et ce n’est qu’avec
Brünnhilde qu’il devient rédempteur », écrit Richard Wagner.
Seule une infime lueur humaine quelque part en lui, qui lui fait
pressentir que son affreux maître d’école ne peut être son père. Seul
sous son tilleul, il médite sur ses père et mère qu’il n’a jamais connus.
Nous allons à notre tour « laisser Siegfried un peu sous son tilleul »,
car c’est à ce stade que nous aimerions évoquer un étrange
personnage à l’origine d’un fait divers, qui occupa l’opinion publique
de l’Allemagne pendant toute la première moitié du 19e
siècle:
Kaspar Hauser. Il s’agissait d’un enfant trouvé âgé d’environ 16 ans
qui apparut subitement à Nuremberg 1828. Il ne parlait que par
bribes, et indiqua qu’il avait passé toute son existence dans une
chambre obscure avec du pain et de l’eau comme seule pitance. Il
portait une lettre sur lui dans laquelle son auteur anonyme, un
journalier, affirmait qu’il avait trouvé le nourrisson devant sa porte
en 1812, l’avait recueilli, et lui avait enseigné quelques rudiments.
Les médecins qui l’analysèrent, conclurent qu’il aurait pu être élevé
dans la forêt, probablement par des loups, d’où son état délabré et
sauvage.
Kaspar Hauser fut ensuite recueilli par un instituteur, dont il est
intéressant de noter que son caractère pédant et sévère ne fut pas
du goût de Kaspar, faisant penser à Siegfried en rébellion contre son
maître Mime.
Soulevons les similitudes frappantes entre l’enfance de Kaspar
Hauser, et l’histoire de Siegmund, errant avec son père en tant que
loups-garous à travers monts et vallées.
Voici donc une histoire étrange, véritablement hoffmannesque
pourrions-nous dire, que Wagner a certainement dû connaître, et
dont il s’est inspiré quand il a modelé son personnage, qui porte
21
indéniablement des traits de caractère de Kaspar Hauser. En
plongeant cette histoire dans le romantisme allemand à son apogée à
cette époque, Wagner réussit à nous insuffler une profonde pitié
pour Siegfried, ce bon sauvage qui, sans avoir été induit d’aucun
vernis civilisateur, ne trouve son bonheur qu’en symbiose avec la
Nature, au milieu de la Forêt germanique, à l’écoute des oiseaux,
dont il comprendra finalement le gazouillis, après avoir tué le dragon
Fafner et goûté de son sang qui lui brûlait les doigts. La connaissance
s’acquiert donc par le sang, le savoir s’arrache en éliminant l’autorité,
ou le père, ainsi qu’il le fera avec son père adoptif Mime, et avec son
grand-père Wotan, le Voyageur. Wagner pressent ici l’aspect
psychiatrique que Freud décrira une trentaine d’années plus tard
sous le complexe d’Œdipe. Inutile de soulever à quel point Wagner,
en tant que grand romantique, célèbre la Nature dans son opéra
Siegfried, avec laquelle son héros se trouve en communion totale, et
qui l’investit du pouvoir magique qu’il sent monter en soi au moment
de forger son épée merveilleuse que son grand-père Wotan lui a
légué en seconde génération.
Mais Siegfried demeure un personnage tragique, en ce sens que
durant toute son existence, jamais il ne comprendra goutte à ce qui
lui arrive. Ainsi, quand, tout à la fin du Crépuscule, Siegfried, badinant
avec les Filles du Rhin juste avant d’être assassiné par Hagen, se
déclare prêt, sans doute inconsciemment et sous le charme des trois
ondines, à leur rendre l’Anneau. Subitement celles-ci y renoncent, en
lui parlant de la malédiction dont il est entaché. C’est que les filles de
la Nature n’ont aucune emprise sur le cours des choses, parce que la
Nature ne connaît pas de destin. Siegfried interprète ces
avertissements comme des menaces, et, fidèle à son code d’honneur
personnel qui consiste à ne jamais avoir peur, il envoie balader les
beautés aquatiques.
Ce n’est qu’au moment précis de sa mort que Siegfried accédera à la
connaissance en posant les bonnes questions sur l’identité de celui
qui enfouit Brünnhilde dans son sommeil. Il a retrouvé Brünnhilde, et
renaît à une autre vie, au moment de mourir. Dans le mythe, la mort
signifie métamorphose.
Jean-Paul Bettendorff
29.4.2013
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Siegfried

  • 1. Siegfried 1) Introduction à Siegfried La deuxième journée de la Tétralogie intitulée « Siegfried », et souvent appelée, le Scherzo Du Ring, constitue en effet une sorte de havre de paix au milieu du Ring. « Siegfried » est demeuré la partie du Ring la plus résolument fidèle au puissant optimisme que Richard Wagner avait voulu initialement insuffler à son adaptation du récit nordique ancien des Nibelungen. La nébuleuse ombrageuse de la pensée de Schopenhauer n’avait alors pas encore hanté son esprit. Siegfried apparaît en tant que héros positif éclatant de jeunesse débordante et d’énergie juvénile, plein de joie exubérante et d’humour et bon enfant : songez au tout début de l’opéra quand Siegfried, rentrant de la forêt, ramène un ours dans la forge de Mime pour lui faire peur. Les tristes et sombres brumes de la mythologie nordique sont absentes de cet opéra qui prend parfois résolument des allures de comédie musicale, surtout au premier acte, rempli des facéties enjouées et joyeuses du jeune héros qui forge son épée en causant un tintamarre assourdissant qui provoque le désarroi et la frousse de Mime. L’orchestre est rutilant, et se trouve, comme dans la Walkyrie, en équilibre parfait avec le chant. Les murmures de la forêt constituent un véritable feu d’artifice impressionniste, célébrant la Nature, qui força l’admiration de Debussy, pourtant anti-wagnérien de cœur et d’esprit. Les modulations joyeuses de la forêt dénotent une forte ressemblance avec le chant insouciant des Filles du Rhin, autres créatures pures et positives, isues de la Mère-Nature, et en communion symbiotique avec elle. 1
  • 2. Le troisième acte jubile autour des thèmes les plus merveilleux que Wagner ait pu imaginer, tels que l’Héritage du Monde, ample et grandiose, et le thème de la Paix en mi majeur que l’on retrouve dans le poème symphonique du Siegfried-Idyll. Cette page musicale pleine de charme magique et de modulations douces et harmonieuses, fut interprétée la première fois par un petit orchestre installé dans l’escalier de la villa de Tribschen près de Lucerne en Suisse, le matin du jour de Noël de 1870, anniversaire de Cosima. Wagner avait imaginé cette petite surprise musicale à l’intention de son épouse, afin de célébrer la naissance de leur fils Siegfried. Romain Rolland, Prix Nobel de littérature en 1915, et critique musical, écrivit en 1908 dans son ouvrage ‘Musiciens d’aujourd’hui’: « Beethoven aurait adoré Siegfried, plein d’humour, de chants d’oiseaux, de sentimentalisme et de pensées profondes, à l’ombre des chênes gigantesques.» Il estime en outre que Siegfried représente « l’opéra le plus sain de tous les opéras wagnériens ». Cet opéra ne contient en effet ni mysticisme fiévreux, ni sensiblerie romantique. Le troisième acte constitue une immense fresque orchestrale dans laquelle s’insère parfaitement le duo d’amour entre Siegfried et Brünnhilde, le plus extraordinaire de toute l’Histoire de la Musique. 2) Psychogramme de Wotan: de la puissance au vagabondage Wotan est présent physiquement dans les trois premières parties du Ring, alors que, malgré son absence, son ombre plane sur toute l’action du Crépuscule des Dieux. Dans le Prologue de l’Or du Rhin, Wotan exerce le Pouvoir absolu et patriarcal en tant que Dieu suprême. Les premières fissures apparaissent cependant à son édifice, parce que l’ancienne détentrice du pouvoir matriarcal, Erda,
  • 3. sa mère ne s’avoue pas vaincue, et prédit la fin de Wotan et de son règne, condamné par la malédiction de l’Anneau par Alberich, et la domestication de la Nature dont les richesses sont exploitées dans le but de créer de la valeur ajoutée suscitant ainsi la convoitise et la zizanie entre les hommes, ainsi que leur asservissement. Richard Wagner écrit à August Röckel en janvier 1854 : «La tragédie de Wotan réside dans le fait qu’il ne saisit pas que son intervention dans la Nature est maléfique, que le malheur engendré par la puissance constitue du poison pour l’amour, et se concentre dans l’or soustrait à la nature, et profané dans l’Anneau du Nibelung. La malédiction qui s’y attache n’est levée que s’il a été rendu à la Nature et qu’il a de nouveau été immergé dans le Rhin. » Or Wotan ne s’en rend pas compte quand Fafner tue Fasolt. Et Wagner poursuit: «Il ne saisit que la puissance de la malédiction fulminée par Alberich contre l’Anneau, mais il n’entrevoit pas encore que celle-ci puisse se dissoudre en quelque sorte dans la Nature. Ce n’est que lorsque l’Anneau va conduire aussi Siegfried à sa perte, qu’il comprendra que seule la restitution de ce butin neutralisera le malheur » Wagner continue dans cette même lettre, un des documents les plus importants dans l’exégèse du Ring à laquelle s’est livré son auteur lui- même : « La liberté, c’est l’authenticité de celui qui communie avec la Nature de tout son être, et en complète harmonie avec elle. Aucune contrainte extérieure ne réussit à terrasser l’homme, si elle ne réussit pas à anéantir son authenticité.» Dans la première journée, la Walkyrie, Wotan, empêtré dans les contradictions provoquées par les lois qu’il a créées lui-même, est obligé de sacrifier ses deux enfants, Siegmund et Brünnhilde, sur l’autel de l’observance de sa propre Loi. Le cœur brisé après les Adieux à sa fille bien-aimée qu’il enfouit dans un sommeil profond, il 3
  • 4. parcourt le Monde en Voyageur-vagabond, miné par la montée des forces nouvelles qu’il ne contrôle plus, comme l’Amour et l’esprit de sacrifice qui finiront par animer sa descendance incarnée dans Brünnhilde et Siegfried. Ces forces nouvelles représentent en fait les anciennes valeurs du monde matriarcal, qui, nous l’avons vu, n’a jamais été complètement vaincu, l’ancienne Déesse-Mère Erda veillant au grain dans son sommeil, et empêchant ainsi sa disparition complète. C’est donc en profond pessimiste quant à son avenir, que Wotan, tenaillé par l’anxiété, nous l’avons vu, parcourt le monde dans une agitation hypernerveuse, ne tenant plus en place dans sa forteresse devenue prison. Wagner écrit à August Röckel en janvier 1854: « Après avoir fait ses adieux à Brünnhilde, Wotan n’est plus qu’un esprit solitaire. Il ne peut que laisser faire, laisser aller les choses comme elles vont, mais il ne peut plus intervenir. C’est pour cela qu’il est devenu un simple voyageur. C’est à nous qu’il ressemble, parce qu’il représente la somme de l’intelligence du présent, alors que Siegfried constitue l’homme de l’avenir, tel que nous le souhaitons, qui ne peut cependant pas être conçu par nous, mais qui doit se créer lui-même à travers notre anéantissement.» Nous allons tenter à présent de percer la psychologie du personnage, en analysant son état de voyageur-vagabond, qui représente en quelque sorte la phase finale de son existence. Le voyageur errant représente une autre figure du romantisme allemand, qui chemine en-dehors du monde, en marge des routes, le long des cours d’eau, à l’image des pierres, qui, emportés par le courant de la rivière, s’en vont au loin, sans but, ni plan précis, comme dans le lied sur le « Voyage », faisant partie du cycle de la Belle Meunière de Schubert.
  • 5. Nous avions précédemment évoqué l‘étape du compagnonnage dans le cadre du roman d’éducation allemand. Le «Wanderer» romantique, mot intraduisible en français, peut être décrit au moyen du mot composé de voyageur-vagabond. Les deux termes signifient un voyage sans but précis, car l’atteinte d’un but marquerait un arrêt, ou une fin, alors que pour le « Voyageur-vagabond », c’est le chemin lui-même qui constitue le véritable but. Dans l’Allemagne du 19e siècle, l’inquiétude devant l’Inconnu, la nostalgie d’un ordre divin ainsi que la déception devant l’absence d’une Nation Allemande, malgré le sursaut nationaliste suite à l’occupation napoléonienne, ont donné naissance au courant philosophique du « Voyage » du « Wandern ». Le désir de fuir devant l’exiguïté de l’existence souvent misérable et l’aspiration à la plénitude de l’âme communiant avec la Nature animent l’idéaliste à la recherche de l’indépendance dans l’aventure, et le penseur nostalgique à l’atteinte de la plénitude transcendentale de l’infini. « Le chemin mystérieux du voyage conduit à l’intérieur de soi-même », affirme Novalis. Wagner confère toutes les facettes de cette sensibilité au Voyageur- Vagabond qu’est devenu Wotan consécutivement à son chavirement dans la Walkyrie, abandonnant le pouvoir, et plongeant ainsi Alberich, le négatif de lui-même, dans le désarroi devant l’antre de Fafner, comme nous l’avons vu. Il n’aspire désormais qu’à s’engouffrer pour toujours dans l’infini de la Nuit, dans laquelle il va définitivement enfermer Erda, ainsi que l’ensemble de son savoir de l’Ancien Monde. Mû par un élan assez contradictoire, dans le but de défendre le reste de la souveraineté qu’il possède encore, Wotan, ne recherchant, et ne désirant que la fin, tente, dans un dernier effort suprême et désespéré, de barrer la route à Siegfried en marche vers le rocher où dort la Belle que lui a promise l’Oiseau. On ne peut se défaire de l’impression que Wotan hâte la survenance de sa fin, en bloquant de 5
  • 6. sa lance le passage à Siegfried, afin que celui-ci la lui brise sous les coups de son épée magique, détruisant ainsi son pouvoir. Cette scène du deuxième acte de Siegfried constitue un des sommets du Ring, tant d’un point de vue dramatique que musical, et possède une dimension véritablement dantesque. Le langage musical de Wagner s’est transformé au cours des douze ans, consacrés à la création de Tristan et des Maîtres-Chanteurs, pendant lesquels il délaissa la Tétralogie, sauf les quelques retouches qu’il y apporta. « Il plaque Siegfried pour se lancer à la recherche de Tristan », dit André Tuboeuf. Il l’y laissera durant douze ans, de 1857 à 1869. Il écrit à Liszt : « Après avoir conduit mon jeune Siegfried dans la solitude de la forêt, dans laquelle je l’ai abandonné sous un tilleul, j’ai pris congé de lui en pleurant des larmes sincères.» Romain Rolland commente ce passage dans les termes suivants : « Wagner avait raison de pleurer ! Il sentait bien qu’il ne retrouverait jamais plus son jeune Siegfried, qu’il ne réveillerait que douze ans plus tard. » Pendant ce laps de temps, le personnage Wagner aura changé aussi : la liaison avec Mathilde Wesendonck, et la mort de Minna, sa première épouse l’ont marqué et en ont fait un homme mûr. L’abondance juvénile des deux premiers actes a cédé à la grandeur antique du réveil de Brünnhilde à la superbe troisième scène du troisième acte. Cette pause artistique, si l’on peut dire, mise à profit pour composer deux chefs-d’œuvre absolus, a conféré à la musique de Wagner sa complexité et sa densité extrêmement fouillées et touffues. Le prélude au troisième acte en donne une illustration stupéfiante. Afin de compléter l’image psychologique de Wotan, nous devons légèrement empiéter maintenant sur le Crépuscule :
  • 7. Wotan survit dans le Crépuscule des Dieux dans les récits et évocations de ses personnages. Waltraute raconte à Brünnhilde la suite de la confrontation entre Wotan, le Voyageur-vagabond et Siegfried, après que celui-ci lui eût brisé sa lance. Wotan rentre à Walhall, complètement bouleversé et entièrement résigné. Il est tombé dans un mutisme total, raconte-t-elle, et ne s’exprime plus que par des gestes : Ainsi signifie-t-il aux « héros », qui ont peuplé Walhall, d’abattre le frêne du monde, de toute façon desséché, depuis que Wotan en a arraché une branche pour se tailler sa lance, et de les disposer autour de Walhall. Wotan s’adonne à ses rêves et murmure à Waltraute que le monde et les dieux seraient sauvés, si Brünnhilde rendait l’Anneau aux Filles du Rhin. Tout à la fin du Crépuscule, Brünnhilde renvoie les deux corbeaux, messagers de Wotan qui tournoient autour du bûcher qui la consumera, auprès de Wotan, afin de lui annoncer que c’est la fin des dieux, et qu’il peut enfin prendre du repos, lui aussi … Nous pouvons nous rendre à l’évidence dès à présent, que Wotan, tout en demeurant encore, pour la forme, la clef de voûte de l’ancien monde, est devenu totalement impuissant de corps et d’esprit depuis sa disparition de la scène au troisième acte de Siegfried. Comment est-ce que le détenteur du pouvoir patriarcal, avec Erda, l’ancienne Déesse-Mère du monde matriarcal, le personnage le plus important du Ring, a pu en arriver là. Incontestablement souffre-t-il d’une maladie neuro-dégénérative cérébrale, càd d’une forme de démence du genre Alzheimer, au vu des symptômes qu’énumère Waltraute dans son récit : Rentré à Walhall, il convoque le Conseil des dieux, mais reste muet sur son trône. Il semble encore capable de montrer des émotions, par exemple sourire quand on lui apporte une bonne nouvelle. Pour la plupart du temps, il demeure déprimé et triste, ne poussant plus que 7
  • 8. des soupirs, ou ne murmurant que des phrases simples, comme rendre l’Anneau aux Filles du Rhin. Voici une partie du récit de Waltraute, qui, bien que contenu dans le Crépuscule, illustre cependant notre analyse du psychisme de Wotan. Ces signes cliniques sont typiques du stade avancé d’une maladie de dégénérescence, au cours de laquelle les difficultés de langage deviennent de plus en plus évidentes. Ces manifestations sont accompagnées de changements comportementaux, comme une certaine irritabilité ou labilité émotionnelle. Wotan nous livre une démonstration stupéfiante lors de son altercation avec petit-fils au troisième acte de Siegfried. Nous avons vu que, déjà dans l’Or du Rhin, au moment de prendre possession de sa nouvelle forteresse, symbole de son nouveau pouvoir, Wotan, qui devrait se bercer dans la gloire de son succès, est subitement saisi d’une étrange anxiété que ne partagent pas ses dieux-compagnons : ce sont indéniablement les premières ombres que projettent sa maladie… Déjà à ce moment-là, tout comme dans la Walkyrie, Wotan lutte de toute la force de son intelligence contre cette impuissance psychique qui le paralysera progressivement. Est-ce pour cela que nous le devrions qualifier d’anti-héros, comme son petit-fils Siegfried, ou de héros absurde à l’image de Sisyphe qui est condamné à perpétuité à recommencer le travail consistant à hisser péniblement son rocher jusqu’au sommet de la montagne jusqu’à ce que la pierre lui échappe, et dégringole à nouveau au fond de l’abîme. C’est ce qu’Albert Camus interprète comme étant l’absurdité de l’existence, parce que Sisyphe, conscient de la malédiction dont les dieux l’ont frappée, sait qu’il ne va jamais y arriver. Or Wotan recommence la lutte contre l’adversité qui le terrasse, quoique ses efforts ne soient couronnés de succès, et non parce qu’il court d’échec en échec. A
  • 9. l’encontre de l’automatisme du recommencement chez Sisyphe, Wotan, jusqu’à sa fin, conserve ce fol espoir qu’un nouveau stratagème le tirera du mauvais pas dans lequel il s’est à nouveau embourbé. Ainsi pourrions-nous même affirmer que Wotan représente un héros positif, parce qu’il conserve toujours l’espoir de pouvoir finalement surmonter son destin, alors que Sisyphe ne voit pas d’issue à son sort, devenant ainsi un héros négatif de l’absurde. La scène du pari au premier acte illustre à merveille ce redressement psychologique continuel de Wotan, qui, dans le cas clinique du personnage, dénote malgré tout un fort dérangement psychique. Un tel état d’âme correspond à une autre maladie psychique, qui frappe Wotan, et que la psychiatrie moderne qualifie de maniaco- dépressive, dans laquelle des phases d’abattement alternent avec des épisodes d’euphorie. Ces derniers se caractérisent par un enjouement insouciant et une confiance en soi exagérée, alors que la phase dépressive est dominée par la tristesse, l’inactivité et des sentiments de culpabilité. Le dialogue entre Wotan, le Voyageur- vagabond et Mime représente un des sommets dramaturgiques de la Tétralogie aussi bien par l’accompagnement musical, la thématique du pari du savoir, ainsi que la caractérisation des deux personnages qui réussit à mettre en lumière surtout la complexité de la personnalité et du psychisme de Wotan. C’est Wotan qui propose à Mime un pari du savoir en pariant sa tête dans le jeu de questions-réponse avec lui. Chacun a le droit de poser trois questions en pariant sa tête qu’il trouvera les trois bonnes réponses. Sournois, Wotan offre à Mime d’ouvrir le tir, afin de garder toute sa liberté pour le second tour. Mime pose trois questions sur l’identité des détenteurs du pouvoir dans les enfers, sur terre et dans les cieux. Il est étonnant que Wotan ne mentionne pas les hommes en tant qu’habitants de la terre, mais les géants. C’est que les 9
  • 10. réponses de Wotan couvrent surtout le domaine psychologique, le monde souterrain représentant l’inconscient, tandis que la partie consciente de l’homme est symbolisée par la sphère céleste. La surface de la terre correspond à la zone intermédiaire entre les deux domaines. Le fait que Fafner, par son intransigeance de dragon- veilleur du trésor des Nibelungen, constitue un frein à la bonne marche des affaires terrestres, dévoile l’existence d’une crise psychologique entre les deux domaines du conscient et de l’inconscient. Nous ne pouvons nous empêcher de nous poser la question, pourquoi Wotan a initié ce pari du savoir avec un enjeu aussi capital que constitue sa propre tête. Nous savons que Wotan n’est pas un dieu omniscient ni omnipotent, et qu’il est donc de ce fait, incapable de dominer ni Alberich, ni Fafner, du fait de sa profonde anxiété, et de la barrière psychologique de l’interdiction qu’il s’impose d’enfreindre sa propre loi. Nous allons voir plus loin quelles sont les causes de ce blocage psychologique qui l’empêchent d’agir souverainement. Mais heureusement possède-t-il la ruse pour lui. Il sait arranger les choses de manière telle que les évènements s’arrangent d’eux- mêmes à son avantage, sans qu’il ait besoin de culbuter lui-même l’ordre établi. Or, l’usage à bon escient de la ruse exige une connaissance parfaite du psychisme de ses adversaires, afin de connaître à l’avance leurs réactions aux initiatives qu’il estimera devoir prendre pour les affronter. Le pari du savoir, comme son nom l’indique, permet à Wotan d’apprendre le plus que possible sur son petit monde qui l’entoure, ce qui lui ouvre en même temps la connaissance sur lui-même. Cette démarche intellectuelle lui procure un avantage notable, parce que grâce aux deux premières questions qu’il pose à Mime, il lui donne l’occasion de pouvoir briller avec ses réponses. L’esprit de petit
  • 11. fonctionnaire-instituteur poussiéreux de Mime l’empêchera de déjouer les filets tendus par son puissant adversaire. Wotan enfile ensuite intelligemment et sournoisement l’intrigue qui devra servir son plan: Il jette Mime d’abord dans un profond désarroi, causé à la fois par son incapacité de répondre à sa troisième question sur l’identité de celui qui reforgera l’épée magique Notung, et par le fait qu’il épargne sa tête en la vouant à celui qui n’aura jamais connu la peur. Il se moque de Mime et lui reproche son savoir qui ne sert à rien : « Tu as investigué des aspects tellement éloignés de tes préoccupations, et donc vains, mais il ne t’est pas venu à l’esprit que ce qui pourrait t’être utile, se trouverait à ta portée ! » En appliquant ce stratagème, Wotan, le Voyageur-vagabond sait pertinemment que Mime fera tout, pour que Siegfried reforge son épée, parce qu’il n’a jamais connu la peur. Ensuite, il titillera son amour-propre, en lui faisant miroiter que son éducation ne sera complète que s’il aura acquis la connaissance de la peur. Pour cela, il conduit Siegfried devant l’antre de Fafner, afin qu’il apprenne à la connaître la peur avant de tuer le dragon. Ainsi, Mime sauve une seconde fois sa tête, vouée à celui qui n’a pas connu la peur. Il n’aura donc plus rien à craindre de Siegfried, qu’il ne lui reste plus qu’à empoisonner afin de s’accaparer du trésor. L’accès brusque à la connaissance qu’opérera Siegfried, après avoir goûté le sang du dragon changera bien évidemment le cours des choses, canalisé de la sorte par la sagacité de Wotan. Le pari du savoir représente ainsi le duel intellectuel entre l’intelligence intuitive et visionnaire, et le savoir purement livresque et stérile, tant qu’il n’est pas utilisé à bon escient, c'est-à-dire, d’après des critères d’utilité, suivant les paroles de Wotan. Ce combat intellectuellement inégal finit par anéantir psychiquement 11
  • 12. Mime, surtout que la dimension du génie lui fait totalement défaut. Wotan, le voyageur continuera son chemin à travers le monde, abandonnant Mime à sa dépression nerveuse qui se dénoue dans une véritable crise de folie que Wagner traduit par une musique assourdissante, et qui culminera dans un tintamarre atonal d’une force brutale inouïe. Malgré cet épisode plaisant, au cours duquel Wotan démontre de quoi il est intellectuellement capable, nous devons cependant nous rendre à l’évidence que Wotan souffre de plus en plus de dépressions sévères qui, de plus en plus souvent, paralysent sa volonté, de sorte qu’il se sent impuissant de changer lui-même le cours des choses, mais il est tout aussi incapable de mettre fin lui-même à son existence. Toutes les actions qu’il entreprend dans l’espoir de réussir, envers et contre tout, d’échapper à sa fin, ne fait que le rapprocher de celle-ci. A partir du moment où il se résout à ne plus nager à contre-courant, il s’éloigne de sa fin. Il est progressivement frappé de ce que Théodule Ribot a appelé en 1909, la maladie de la volonté. C’est sa fille Brünnhilde qui doit lancer la torche dans le bûcher qui enflammera le Walhall , cataclysme que Wotan, paralysé sur son trône, n’est pas en mesure de hâter par ses propres moyens. Ne sachant se délivrer lui-même, c’est Brünnhilde qui doit le faire pour lui, en l’aidant à mourir. Cette évolution psychique est tellement étrange, que Wagner en éprouvera des difficultés pour trouver une fin digne de son immense fresque du monde que représente la Tétralogie. La fin de Wotan est programmée dans l’Or du Rhin, parce qu’ « il n’y a pas de fin pour la musique, parce que l’Anneau se termine là où il commence d’une manière éternelle. », d’après la confession faite par Wagner à Cosima en 1872.
  • 13. L’impuissance de Wotan se traduit également sur le plan physionomique, parce qu’il est borgne, du fait qu’il a échangé un de ses yeux contre le savoir, càd le pouvoir, comme le chante la première Norne dans le Prologue du Crépuscule : »autrefois je tissais sous l’arbre du monde, …quand un dieu courageux but de la source du savoir qui jaillissait au pied de l’arbre. Il en paya le prix en sacrifiant un de ses yeux. La Nature, dans son état originel, ne connaît ni ordre, ni loi, càd aucune contrainte civilisatrice. Toute intervention dans la Nature équivaut à un viol de celle-ci, que pratiquera Wotan également vis-à- vis d’Erda, ainsi que nous l’avons vu. La perte volontaire d’un œil constitue, elle aussi une intervention contre sa propre nature, similaire à l’émasculation de Klingsor, ou à la malédiction de l’amour par Alberich. Il renonce à l’Humanité et à l’Amour pour le Savoir, ce qui ne veut pas dire que Wotan renoncerait à séduire la gente féminine. Durant toute son existence de Dieu, il demeurera un grand coureur, malgré les problèmes qu’il rencontrera avec ses femmes : - La première, Fricka, son épouse légitime le force à sacrifier son fils, - la deuxième, Erda, sa mère et maîtresse, l’abandonne au moment où il aurait tellement besoin de savoir que faire pour sauver son monde …, - la troisième Brünnhilde, sa fille, transformera sa résidence officielle du Walhall en brasier cataclysmique. A l’origine de ses échecs avec les femmes se trouve de nouveau son anxiété paralysante et sa maladie de la volonté débilitante. L’acquisition du savoir, et par là, l’accaparement du pouvoir (proverbe allemand: Wissen ist Macht) par la violence, également envers soi-même, le rend impotent. Signalons enfin que ce n’est pas un recueil de lois que contient le bois de la lance wotanienne, mais ses obligations contractuelles, dans 13
  • 14. lesquelles il s’empêtrera de plus en plus, jusqu’à ce que qu’il soit entièrement privé de toute liberté d’action, pour finalement devenir impuissant. Il est important de souligner que le recueil d’obligations contractuelles gravées dans le bois de la lance de Wotan est comparable au code du roi babylonien Hammourabi ayant régné au 18e siècle avant JC. Ce code est constitué de tout un ensemble de décisions de justice relatives aux aspects les plus divers de la société babylonienne de l’époque, et qui furent gravées dans le granit d’une stèle découverte en 1901. Dans les premières sociétés d’hommes devenus sédentaires, se sont d’abord constitués des us et coutumes, qui, au fur et à mesure de leur établissement, furent consignés dans des codes spéciaux. Le contrat passé par Wotan avec les géants pour la construction de Walhall, constitue un tel exemple de règlements particuliers inscrits dans le bois de la lance de Wotan, qui formèrent la première étape vers l’écriture de lois proprement dites, plus générales et donc empreintes d’une plus grande abstraction intellectuelle. Il est intéressant de noter que le code de Hammourabi comporte des passages sur l’interdiction de l’inceste, du vol de biens ( le vol de l’or par Alberich), ou des dispositions sur des affaires d’argent et de commerce (le contrat avec les géants), la conclusion de mariages, ou de remboursement de dettes. La force légale que représente la lance de Wotan est peut-être la mieux traduite musicalement tout à la fin du troisième acte de la Walkyrie, quand Wotan force Loge à se constituer prisonnier, en quelque sorte, sous sa forme originelle du feu, sur le rocher de Brünnhilde, afin de la protéger dans son sommeil, certes, mais aussi, et c’est peut-être la raison la plus importante, afin de s’assurer que Loge ne puisse étendre à sa guise son pouvoir néfaste à travers le monde :
  • 15. Il est d’une importance primordiale de souligner que Wotan, en tant que dépositaire de la Loi fondamentale du Nouveau Monde, reculera, tout au long de son intervention active dans le cours de la Tétralogie, devant l’infraction de ses propres règles. Wotan n’agit donc pas de manière machiavélique qui consisterait à enfreindre directement, voire ouvertement ses propres règlements, quand bon lui semble. Il adopte une approche plutôt sournoise et cynique, en faisant accomplir les infractions par des créatures qui lui sont serviles, mais qui agissent en tant qu’acteurs prétendument libres, dès la survenance d’évènements qui risquent de mettre en péril l’ordre de son monde à lui. Les résultats de cette politique se manifestent dans la tolérance de l’inceste entre Siegmund et Sieglinde, pourvu que Siegmund, en tant qu’homme nouveau, accomplisse sa mission libératrice du monde, puis, plus tard, dans l’acceptation des agissements de Siegfried, leur fils, pour les mêmes raisons. Le comportement de Wotan, consistant à ne pouvoir agir souverainement est pour le moins étrange, car ne possède tous les attributs de la souveraineté que celui qui possède l’arme ultime, qui est la proclamation de l’état d’exception, ou d’urgence, consistant à suspendre le cadre législatif, si l’ordre des choses en général est menacé. Nous avons connu dans le passé récent de telles situations d’états d’urgence exceptionnels, p.ex. au moment de la guerre de la Yougoslavie au cours des années 1990, avec l’intervention de l’UE dans la guerre civile, ou plus récemment avec le secours par l’OTAN des insurgés contre le régime du dictateur sanguinaire Kadhafi, menaçant la paix au niveau mondial. L’ordre mondial prime sur les lois, car sans Ordre établi, il n’existe pas de lois. 15
  • 16. Wotan ne possède assurément pas cette souveraineté absolue, sinon il agirait lui-même, au lieu de laisser faire la besogne par ses créatures, qui, en incompréhension totale des rouages secrets du monde, risquent de ne pas agir dans le sens voulu par lui, ainsi qu’il doit cruellement en faire l’expérience avec Siegmund, Brünnhilde et Siegfried. Il y deux raisons à cela : - La première raison est d’ordre théologique. Wotan ne représentant pas un dieu monothéiste omniscient, omniprésent et omnipotent, il chavire parce qu’il désire non seulement le savoir, càd le pouvoir sur le moment, mais également la connaissance de l’avenir, ce dont un « souverain normal » est incapable. - La deuxième raison est d’ordre psychologique : Nous avons vu à quel point Wotan est tenaillé par l’anxiété, qui, au moment des crises aiguës, réussissent à paralyser complètement sa volonté. Il n’a tout simplement pas la volonté, ni le courage de recourir aux procédés de gestion sous la forme d’état d’urgence qu’il préfère laisser à ses créatures brutes, inconscientes et ignorantes. C’est son éternelle anxiété, à l’origine de son impuissance psychologique, qui condamne Wotan à l’inactivité totale, qui l’empêche même de mettre fin à ses jours, et qui constitue l’immense tragédie du destin de ce « Dieu triste », ainsi que le qualifie Peter Wapnewski, wagnérologue reconnu. Wotan l’affirme lui-même à la fin de son long dialogue avec Brünnhilde au deuxième acte de la Walkyrie : Je suis le plus triste de tous… » 3) Psychogramme de Siegfried, le héros du romantisme allemand Si le monde masculin germanique est dominé par les héros, les « Helden », Wagner les dépouille des attributs de l’héros antique, appelé à se surpasser, en s’élevant au-dessus de la condition
  • 17. humaine, ce qui le met en mesure d’éclairer l’Humanité en lui apportant la Lumière de la Raison. C’est le mythe de Prométhée, ou de la Connaissance. Avec ce que Richard Wagner fait accomplir à son personnage de Siegfried, nous nous situons cependant loin du héros prométhéen antique. Le Siegfried wagnérien possède un caractère brut et élémentaire, proche de la Nature et un entendement fixé exclusivement sur le présent, sans connaissance du passé, et sans projet d’avenir. Il se fait ballotter au gré de ses pulsions intérieures, et manipuler par les stimulations extérieures, en n’exécutant que le programme génétique de créature docile que Wotan a enfoui au fond de lui-même. En style télégraphique, son pédigrée se résume à peu près à ceci : Il se sauve dans la forêt, au lieu d’écouter Mime, son maître qui tente de lui inculquer une éducation rudimentaire de forgeron, et préfère suivre le chant de l’oiseau, càd l’appel de la Nature, symbolisé par la femme endormie sur son rocher. Il part à sa conquête, qui cependant ne représente guère plus qu’un épisode sur son chemin. Il la quitte bientôt pour d’autres aventures, et s’en va parcourir le monde sans posséder ni individualité, ni identité, au gré des potions magiques que lui fait ingurgiter son entourage malveillant, pour lui faire perdre la mémoire, sinon la raison. Après avoir complètement oublié Brünnhilde, il retourne la re- conquérir pour un compagnon trouvé sur sa route, et meurt assassiné, ne sachant pas trop bien ce qui lui arrive. Siegfried, dans l’incapacité d’offrir au monde autre chose que sa coquille vide et creuse, représente une sorte d’anti-héros dangereux, parce qu’il fait peur du fait de son comportement chaotique déconcertant, ce qui donne ainsi tout son sens à la fameuse sentence de Bertolt Brecht : « Heureux le pays qui n’a pas besoin de héros!» 17
  • 18. Son père Siegmund fuyard, clochard, raté et asocial, constituait lui aussi déjà un antihéros de la même trempe. Ne possédant pas d’identité propre, et même pas de nom, il est toujours en fuite devant ses ennemis, transportant sa femme sur son dos. Les messages que Wagner a enfouis dans le Ring sont triples : - Le monde court à sa perte, du fait de l’abus de pouvoir commis par un personnage tout-puissant, Wotan. - Les femmes, par leurs accès à la connaissance, se sentent investies de la mission salvatrice de sauver l’Humanité. - Les hommes, héros manqués en quelque sorte, se font manipuler par les Puissants par leur manque d’identité, et chavirent sur leur parcours. Pour revenir à Siegfried, il n’est habité que par sa force physique grossière et brutale. C’est un sauvage qui a grandi dans la forêt en tant qu’enfant-loup qui se laisse aller au gré de ses pulsions. Il s’avère être tellement malléable, manipulable et corvéable, qu’il ne fait que ce qu’on lui demande de faire. Sa conscience n’est entachée d’aucun doute ni de remords. Elle est pure, parce que chargée d’aucune flétrissure. Du fait qu’il ne possède pas de volonté, et n’a jamais goûté au pouvoir, sa conscience est demeurée au stade quasi-animal. En mettant en scène la jeunesse de Siegfried avec tellement de détails, Wagner fait habilement semblant de suivre la grande tradition allemande du « Bildungsroman », ou roman d’éducation et de formation, qui servait de guide d’apprentissage et d’instruction aux jeunes hommes de la première moitié du 19e siècle. Ce genre littéraire est apparu en Allemagne à la fin du 18e siècle avec « Heinrich von Ofterdingen » de Novalis, et traite de la confrontation d’un personnage, normalement un jeune homme, avec le monde qui l’entoure.
  • 19. La trame d’un tel ouvrage se consacre normalement aux expériences effectuées sur une longue période, allant de la prime jeunesse à l’adolescence, en y intégrant également une phase l’apprentissage par le voyage, le fameux « Wandern », que l’on pourrait qualifier d’années de compagnonnage, et qui devront finalement aboutir à la maturité, ou à l’accès à la maîtrise. L’ouvrage de Goethe, « les années d’apprentissage de Wilhelm Meister, représente le roman d’éducation typique, ayant servi de modèle à bon nombre de romanciers du genre. L’éducation, d’après le roman d’éducation, consiste à former l’esprit, du jeune sujet et à l’amener à confronter ses idéaux et sa naïveté aux basses réalités du monde, ce qui aura pour effet de raboter les rugosités trop saillantes de son caractère, lui permettant de trouver sa place dans le monde, de s’y intégrer et de le dominer en tant qu’adulte. Or, Wagner, encore une fois, joue aux iconoclastes, en ne suivant absolument pas le canevas du roman d’éducation généralement admis à l’époque, pour faire exactement le contraire, en insufflant à son jeunot Siegfried un esprit de rébellion contre son précepteur Mime, représentant du système de l’instruction scolaire de l’époque, ainsi qu’une aspiration à une liberté totale. Siegfried se révolte contre toute tentative d’éducation ou de formation de la part de Mime, désemparé et catastrophé par un énergumène insupportable qui casse et qui brise tout. Toutes les valeurs traditionnelles éducatives en matière d’apprentissage, de science ou d’autorité sont malmenées sans ménagement dans une fureur dévastatrice véritablement soixante- huitarde. On ne peut s’empêcher de penser à la fameuse pièce de théâtre de Roger Vitrac «Victor, ou les enfants au pouvoir ». Le comportement de Siegfried est tellement agité et désordonné que 19
  • 20. nous sommes en droit de douter de sa santé mentale. Il y a deux raisons à cela : - Les antécédents génétiques que Wagner lui a perfidement conférés, en le faisant naître de la relation incestueuse entre Siegmund et Sieglinde, les enfants jumeaux de Wotan, peuvent parfaitement être à l’origine d’un certain dérèglement mental dû à la consanguinité. - La deuxième raison d’une potentielle aliénation mentale de Siegfried, est à rechercher dans son entourage, qui n’est peuplé que de vieux : un nain difforme, vilain, acariâtre, sournois, et piètre éducateur pardessus le marché. Fafner, le dragon, frappé à mort par Siegfried, se métamorphose en vieillard pleurnicheur qui lui fait la leçon en le mettant en garde contre son insouciance juvénile, et contre son précepteur Mime. Quand Siegfried se lance à la poursuite de l’oiseau qui doit le guider au rocher où dort la Belle au Bois dormant, un autre vieux lui barre la route, en lui reprochant son ignorance du monde et de ses origines, son grand-père Wotan. En découvrant Brünnhilde sur son rocher, nous devons nous rendre à l’évidence que ce n’est pas une jeune femme qu’il tire de son sommeil, mais sa tante, fille de Wotan et demi-sœur de son père Siegmund, certainement de vingt ans son aînée. Siegfried n’a jamais connu de chaleur maternelle, ni d’autorité paternelle, de maître sérieux, de frères et sœurs ou de compagnons de jeu, autres que des ours ou d’autres animaux sauvages vivant dans la forêt. Un tel foyer « familial » peuplé de gérontes n’est guère propice à l’éducation et à un développement mental et humain harmonieux d’un adolescent. Ignorant la peur et le doute, dénué de tout acquis civilisateur, il n’est animé d’aucune ambition, ni volonté. Il ressemble à un animal, plutôt qu’à un homme.
  • 21. Siegfried n’est pas ce surhomme dont on voudrait l’affubler trop souvent : « Il n’en représente que la moitié, et ce n’est qu’avec Brünnhilde qu’il devient rédempteur », écrit Richard Wagner. Seule une infime lueur humaine quelque part en lui, qui lui fait pressentir que son affreux maître d’école ne peut être son père. Seul sous son tilleul, il médite sur ses père et mère qu’il n’a jamais connus. Nous allons à notre tour « laisser Siegfried un peu sous son tilleul », car c’est à ce stade que nous aimerions évoquer un étrange personnage à l’origine d’un fait divers, qui occupa l’opinion publique de l’Allemagne pendant toute la première moitié du 19e siècle: Kaspar Hauser. Il s’agissait d’un enfant trouvé âgé d’environ 16 ans qui apparut subitement à Nuremberg 1828. Il ne parlait que par bribes, et indiqua qu’il avait passé toute son existence dans une chambre obscure avec du pain et de l’eau comme seule pitance. Il portait une lettre sur lui dans laquelle son auteur anonyme, un journalier, affirmait qu’il avait trouvé le nourrisson devant sa porte en 1812, l’avait recueilli, et lui avait enseigné quelques rudiments. Les médecins qui l’analysèrent, conclurent qu’il aurait pu être élevé dans la forêt, probablement par des loups, d’où son état délabré et sauvage. Kaspar Hauser fut ensuite recueilli par un instituteur, dont il est intéressant de noter que son caractère pédant et sévère ne fut pas du goût de Kaspar, faisant penser à Siegfried en rébellion contre son maître Mime. Soulevons les similitudes frappantes entre l’enfance de Kaspar Hauser, et l’histoire de Siegmund, errant avec son père en tant que loups-garous à travers monts et vallées. Voici donc une histoire étrange, véritablement hoffmannesque pourrions-nous dire, que Wagner a certainement dû connaître, et dont il s’est inspiré quand il a modelé son personnage, qui porte 21
  • 22. indéniablement des traits de caractère de Kaspar Hauser. En plongeant cette histoire dans le romantisme allemand à son apogée à cette époque, Wagner réussit à nous insuffler une profonde pitié pour Siegfried, ce bon sauvage qui, sans avoir été induit d’aucun vernis civilisateur, ne trouve son bonheur qu’en symbiose avec la Nature, au milieu de la Forêt germanique, à l’écoute des oiseaux, dont il comprendra finalement le gazouillis, après avoir tué le dragon Fafner et goûté de son sang qui lui brûlait les doigts. La connaissance s’acquiert donc par le sang, le savoir s’arrache en éliminant l’autorité, ou le père, ainsi qu’il le fera avec son père adoptif Mime, et avec son grand-père Wotan, le Voyageur. Wagner pressent ici l’aspect psychiatrique que Freud décrira une trentaine d’années plus tard sous le complexe d’Œdipe. Inutile de soulever à quel point Wagner, en tant que grand romantique, célèbre la Nature dans son opéra Siegfried, avec laquelle son héros se trouve en communion totale, et qui l’investit du pouvoir magique qu’il sent monter en soi au moment de forger son épée merveilleuse que son grand-père Wotan lui a légué en seconde génération. Mais Siegfried demeure un personnage tragique, en ce sens que durant toute son existence, jamais il ne comprendra goutte à ce qui lui arrive. Ainsi, quand, tout à la fin du Crépuscule, Siegfried, badinant avec les Filles du Rhin juste avant d’être assassiné par Hagen, se déclare prêt, sans doute inconsciemment et sous le charme des trois ondines, à leur rendre l’Anneau. Subitement celles-ci y renoncent, en lui parlant de la malédiction dont il est entaché. C’est que les filles de la Nature n’ont aucune emprise sur le cours des choses, parce que la Nature ne connaît pas de destin. Siegfried interprète ces avertissements comme des menaces, et, fidèle à son code d’honneur personnel qui consiste à ne jamais avoir peur, il envoie balader les beautés aquatiques.
  • 23. Ce n’est qu’au moment précis de sa mort que Siegfried accédera à la connaissance en posant les bonnes questions sur l’identité de celui qui enfouit Brünnhilde dans son sommeil. Il a retrouvé Brünnhilde, et renaît à une autre vie, au moment de mourir. Dans le mythe, la mort signifie métamorphose. Jean-Paul Bettendorff 29.4.2013 23