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Conférence
Les litiges entre collectivités publiques
et leur résolution dans le cas français
par
Christophe GUETTIER
Professeur de droit à l’Université du Maine (Le Mans, France)
Introduction : Comment est organisé le système administratif français ?
Il repose sur une administration d’Etat qui comprend un appareil de conception au niveau
des ministères (établis à Paris), et tout un réseau de structures d’exécution situées dans les
territoires que sont les régions (il en existe désormais 13) et les départements (il en existe 101
actuellement). Cette organisation est pyramidale. Ainsi l’administration d’Etat en France
comprend un niveau central et un ensemble d’organes « déconcentrés » qui dépendent
étroitement du centre : c’est ainsi par exemple que le ministre commande aux préfets en
région et dans les départements, qui sont nommés et révoqués par le Gouvernement.
Parallèlement, il existe en France une administration dite « décentralisée », dans les
communes (au nombre de 36.000), les départements et les régions. Elle est animée par des
personnes élues par la population locale qui sont chargées d’exercer un certain nombre de
compétences propres que l’Etat central leur a transférées dans le cadre de lois successives.
Il résulte de cette évolution l’existence en France d’une administration publique
particulièrement présente sur l’ensemble du territoire national. Les deux systèmes – le
système d’Etat et le système des institutions locales décentralisées – ne s’ignore pas pour
autant l’un l’autre. Leurs activités sont certes distinctes mais leur mission est commune : la
satisfaction du Bien commun. Cet objectif les conduit à collaborer pour tendre vers une mise
en œuvre optimum des politiques publiques qui appellent fréquemment des financements
croisés. Ces coopérations sont multiples et s’établissent aussi bien entre l’Etat et les
collectivités territoriales, qu’entre les collectivités territoriales entre elles (tantôt entre
collectivités territoriales de même niveau – comme deux ou plusieurs régions ; tantôt entre
collectivités territoriales de niveau différent – comme entre une commune, un département et
une région). Ces collaborations prennent fréquemment forme dans le cadre de contrats entre
ces différentes personnes publiques.
C’est ainsi par exemple que l’Etat et les régions passent des contrats appelés « contrats de
plan Etat-région », qui sont liés à la politique d’aménagement du territoire.
2
Les contrats de plan État-région
Créés par la loi du 29 juillet 1982, portant réforme de la planification, les contrats de plan -
aujourd’hui dénommés contrats de plan État-région (CPER) – sont des engagements sur la
programmation et le financement pluriannuels de projets importants ; d’une durée de sept ans, il
y en a eu plusieurs générations, celle qui couvre la période 2014-2020 étant la 6e
: l’État s’est
engagé à contractualiser une enveloppe totale de 12,5 milliards d’euros durant la période ; cinq
orientations prioritaires ont été retenues pour cette nouvelle génération de CPER : 1)
l’enseignement supérieur et la recherche ; 2) l’innovation, les filières d’avenir et l’usine du
futur ; 3) la couverture du territoire en très haut débit et le développement des usages du
numérique ; 4) la transition écologique et énergétique ; 5) les mobilités multimodales.
Selon l’article 11 de la loi n° 82-653 du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification :
« L’État peut conclure avec les collectivités territoriales, les régions, les entreprises publiques
ou privées et éventuellement d’autres personnes morales, des contrats de plan comportant des
engagements réciproques des parties en vue de l’exécution du plan et de ses programmes
prioritaires. / Ces contrats portent sur les actions qui contribuent à la réalisation d’objectifs
compatibles avec ceux du plan de la nation. Ils définissent les conditions dans lesquelles l’État
participe à ces actions. / Le contrat de plan conclu entre l’État et la région définit les actions
que l’État et la région s’engagent à mener conjointement par voie contractuelle pendant la
durée du plan. (…) ». Puis l’article 12 de la loi du 29 juillet 1982 précitée précise : « Les
contrats de plan (…) sont réputés ne contenir que des clauses contractuelles. » Il s’agit donc
bien de véritables contrats au sens juridique du terme.
Dans d’autres cas, la collaboration entre collectivités territoriales se développe dans un cadre
non pas contractuel mais institutionnel : les collectivités intéressées se regroupent au sein
d’une nouvelle personne morale (un établissement public) qui les regroupe et exerce des
compétences qu’elles décident de lui transférer pour permettre la mutualisation des moyens.
C’est tout particulièrement le cas de communes en France, très nombreuses mais aussi de
taille souvent trop petite pour satisfaire les besoins de la population locale. Elles se fédèrent
alors en créant un « établissement public de coopération intercommunale » (EPCI). Ce
mouvement a connu en France de très importants développements depuis une vingtaine
d’années. Certaines formes de regroupement ont permis à plusieurs communes de devenir des
métropoles d’importance européenne (Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, par exemple).
La question posée par notre sujet est de savoir comment se résolvent les conflits qui peuvent
naître dans le cadre de ces différentes collaborations entre collectivités publiques. A cette
question il y a plusieurs réponses possibles en droit français. La formule la plus pratiquée
du moins à l’origine a été le recours au juge : en cas de conflit entre collectivités publiques,
l’intervention du juge administratif sera recherchée (PREMIERE PARTIE). Mais aujourd’hui,
la tendance est plutôt d’éviter le recours au contentieux juridictionnel. L’intervention du
juge est en effet souvent tardive et l’on ne sait pas à l’avance quelle sera sa position dans un
litige. Quelles autres solutions ? L’idée est d’abord de tout faire pour éviter que le litige
survienne. Pour cela, il convient de promouvoir les formules juridiques qui vont permettre
aux collectivités publiques de coopérer ensemble de façon suffisamment souple pour que
les risques de conflit soient les plus réduits possibles. Ensuite, si jamais le conflit n’a pu être
évité, il convient de promouvoir ce que l’on nomme des « modes alternatifs de règlement
des litiges », auxquels renvoient différentes techniques juridiques comme la conciliation et la
médiation. Nous présenterons ces différentes solutions dans notre seconde partie en évoquant
la prévention des litiges entre collectivités publiques et leur résolution dans le cadre de
solutions non juridictionnelles (DEUXIEME PARTIE).
3
La loi du 7 août 2015
portant nouvelle organisation territoriale de la République
Afin d’accroître l’efficacité de l’action publique, la réforme territoriale a réduit le
nombre de régions de 22 à 13.
Le 31 juillet 2015, le Premier ministre a présenté, en Conseil des ministres, la liste des
chefs-lieux provisoires des nouvelles régions ainsi que le dispositif de réaménagement
des administrations territoires qui dessine une nouvelle carte territoriale.
Les chefs-lieux définitifs seront fixés au plus tard le 1er
octobre 2016, après avis des
conseils régionaux issus des élections des 6 et 13 décembre 2015.
La loi renforce le rôle de la région en matière de développement économique.
Le département reste responsable des compétences de solidarité (aide et action sociale en
faveur des personnes âgées ; aide et action sociale en faveur des adultes handicapés ; aide
sociale à l’enfance ; lutte contre l’exclusion).
Par ailleurs, la loi vise à renforcer les intercommunalités. Les intercommunalités
passeront de 5 000 à 15 000 habitants.
4
Première Partie
La résolution des litiges entre collectivités publiques
dans le cadre du contentieux juridictionnel
Dans le cadre du contentieux juridictionnel porté devant le juge administratif, cette résolution
des litiges entre collectivités publiques peut être opérée par le jeu d’une procédure
contentieuse : le déféré préfectoral.
Mais elle peut également être réalisée grâce à la mise en œuvre de certaines règles propres
au contentieux contractuel : on donnera ici un exemple récent tiré d’une affaire dont a eu à
connaître le Conseil d’Etat : l’affaire Commune de Béziers (cette affaire a donné lieu à
plusieurs décisions importantes rendues par le Conseil d’Etat entre 2009 et 2015).
1) Une procédure contentieuse : le déféré préfectoral
Dans chaque région et dans chaque département en France il existe un représentant de
l’Etat que l’on appelle le préfet.
Selon la Constitution française, il est notamment chargé d’exercer le contrôle des actes des
collectivités territoriales. Ce contrôle dit de tutelle, exercé par le représentant de l’État,
constitue une des façons d’assurer la prééminence des intérêts nationaux sur les intérêts
locaux et de faire prévaloir l’unité de l’ordre juridique français.
Mais ce contrôle doit, par ailleurs, tenir compte du principe constitutionnel de libre
administration des collectivités territoriales et ne pas lui porter une atteinte excessive.
La conciliation a été réalisée par le législateur avec la loi de décentralisation du 2 mars
1982, qui a mis en place un nouveau mécanisme de contrôle des actes administratifs des
collectivités territoriales et de leurs établissements publics. Il s’agit d’un contrôle de
légalité exercé par les juridictions administratives mais déclenché à l’initiative du préfet : le
déféré préfectoral.
(Textes de référence : articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 du code général des
collectivités territoriales).
Pour faciliter la tâche du préfet, la loi a prévu que les collectivités territoriales doivent
obligatoirement transmettre un certain nombre de leurs actes à la préfecture. C’est le
cas, par exemple, pour : - les délibérations des assemblées locales ; - les décisions
réglementaires ou individuelles prises par le maire dans l’exercice de son pouvoir de police ; -
les permis de construire accordés par le maire ; - les conventions relatives aux marchés
publics et aux emprunts ; - les conventions de délégation des services publics locaux ; - les
décisions individuelles relatives à la nomination, à l’avancement, ou encore au licenciement
des agents de l’administration.
Si le préfet a un doute sur la légalité de ces actes, il en fait d’abord part aux élus locaux
pour essayer de les convaincre de les modifier. Si ce dialogue est infructueux, il
appartient alors au préfet de saisir la juridiction administrative pour demander au juge
d’annuler les actes en cause.
Le préfet dispose d’un délai de deux mois pour déférer au tribunal administratif les actes des
collectivités territoriales et de leurs établissements publics dont il estime qu’ils méconnaissent
le principe de légalité. On notera que ce délai de recours devant le juge administratif est
5
prorogé dans le cas où le préfet demande à la collectivité publique de lui transmettre des
documents complémentaires, s’il estime ces documents nécessaires à l’examen de la légalité
des actes transmis. Une telle demande, si elle est formulée avant l’expiration du délai de deux
mois, conserve alors le délai imparti au préfet pour déférer, pour autant que les documents
demandés soient effectivement indispensables à l’exercice du contrôle de légalité. Un
nouveau délai de deux mois court à compter de la réception par le préfet des documents
demandés ou du refus résultant du silence gardé pendant deux mois par l’autorité
locale. On le voit, il s’agit ainsi de favoriser le dialogue entre le représentant de l’Etat et les
collectivités territoriales avant l’éventuelle saisine du juge.
Le législateur en France a effectivement recherché à définir différents moyens pour éviter une
saisine du juge trop systématique en cas de conflit entre l’Etat et les collectivités territoriales.
C’est ainsi que plutôt que de saisir tout de suite le juge administratif, le préfet a également la
possibilité d’introduire un recours gracieux devant la collectivité publique pour lui
demander de reconsidérer sa décision. L’exercice de ce recours gracieux par le préfet
permet, comme dans le cas précédent, de conserver le délai du déféré préfectoral. Un
nouveau délai de deux mois court à compter du refus de l’autorité locale de revenir sur son
acte. Le préfet est donc incité à tenter d’entreprendre un dialogue avec la collectivité
territoriale puisque cet effort de sa part n’aura pas d’incidence négative sur le délai ensuite
pour saisir le juge administratif si jamais il n’arrive pas à convaincre les élus locaux.
La saisine du juge est donc conçue comme l’ultime remède en cas de résistance des élus
locaux.
Si le préfet a dû finalement se résoudre à saisir le juge administratif, il sait que l’acte
litigieux continuera de s’appliquer tant que le juge administratif ne l’aura pas
définitivement annulé (En France, le recours au juge n’est pas suspensif de l’application des
actes qui lui sont déférés, lesquels continuent donc de s’appliquer ; c’est ce que l’on appelle
en droit administratif français : le « privilège du préalable »). Or, le temps du procès peut
être long. Il importe donc que le préfet puisse très rapidement obtenir la suspension des
effets de l’acte en cause. Pour ce faire, il a à sa disposition une procédure : en effet, il
peut assortir son recours en annulation de conclusions à fin de suspension de l’acte de
l’autorité locale, qui seront accueillies s’il existe seulement un « doute sérieux » quant à la
légalité de la mesure contestée. La suspension est alors de droit dans un tel cas.
Bien plus, il existe au profit du représentant de l’État un mécanisme de suspension
automatique pour les actes pris par les communes intervenant en matière d’urbanisme et
de contrats publics, car on estime que pour ces actes il faut éviter de créer des situations
irréversibles (ce qui peut être le cas si l’annulation de ces actes intervient trop tardivement). Si
le préfet présente au juge administratif une demande de suspension de ces actes dans les
dix jours à compter du moment où il a reçu l’acte, cette demande entraîne
automatiquement leur suspension : ils ne peuvent plus recevoir d’application. Le juge
administratif a alors un mois pour statuer sur leur légalité. S’il ne respecte pas ce délai,
l’acte en cause redevient exécutoire. (Texte de référence : article L. 2131-6, alinéa 4, du
code général des collectivités territoriales).
Enfin, le législateur a voulu que lorsque l’acte d’une collectivité locale porte
spécifiquement atteinte à une liberté publique ou à une liberté individuelle, le préfet
puisse obtenir le plus rapidement possible de la part du juge une décision de suspension
de cet acte. Cette procédure est prévue à l’article L. 554-3 du code de justice administrative
qui renvoie sur ce point au code général des collectivités territoriales. Voici ce qui se passe
dans un tel cas de figure : « Lorsque l’acte attaqué est de nature à compromettre l’exercice
d’une liberté publique ou individuelle, le président du tribunal administratif (…) en
6
prononce la suspension dans les quarante-huit heures. La décision relative à la suspension
est susceptible d’appel devant le Conseil d’État dans la quinzaine de la notification. En ce
cas, le président de la section du contentieux du Conseil d’État (…) statue dans un délai de
quarante-huit heures. » On le voit, cette procédure devant la juridiction administrative, que
l’on appelle la procédure de « référé-liberté », peut être particulièrement efficace dès lors que
le temps du procès est très réduit.
Quelques données chiffrées concernant
le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales en France
En 2013, l’Etat en France a consacré un peu plus de 150 millions d’euros de son budget pour
organiser le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales dans ses préfectures.
Ce budget ne permet pas d’assurer un contrôle de tous les actes transmis par les collectivités
territoriales. Un tel contrôle serait d’ailleurs sans doute excessif. C’est la raison pour laquelle la
circulaire ministérielle du 25 janvier 2012 relative à la définition nationale des priorités en matière
de contrôle de légalité a défini un certain nombre de priorités. Au niveau national, trois secteurs
comportant des enjeux plus élevés pour l’État ont été arrêtés :
- les contrats publics,
- l’urbanisme
- et la fonction publique territoriale.
Par ailleurs, le préfet définit à son tour des priorités locales en fonction des observations qui
ont pu être relevées par ses services lors de contrôles antérieurs, de l’actualité locale ou de la
sensibilité de certains projets.
En conséquence, sur 5 242 948 actes transmis aux préfets par les collectivités territoriales en
2013, les actes prioritaires ayant fait l’objet d’un contrôle par les préfets n’ont représenté que
919 777 actes, soit 17,5% de l’ensemble.
Par ailleurs, en 2013, 28 466 recours gracieux ont été adressés aux exécutifs locaux par les
préfets.
À ces recours gracieux, il faut ajouter 38 645 autres interventions (lettres, mails, contacts
téléphoniques).
En conséquence, 53 % des actes ont pu être retirés ou modifiés à la suite de ces initiatives des
services préfectoraux.
Au final, en 2013, 696 déférés préfectoraux et 407 demandes de suspension ont été déposés, ce
qui est finalement peu important.
Enfin, en 2013, 71,8 % des décisions juridictionnelles ont été favorables à l’État.
On le voit, le déféré préfectoral n’a rien de systématique, la France ayant préféré les
procédures souples à des procédures trop rigides.
Source : France, Assemblée nationale, Rapport fait au nom de la commission des finances sur le
projet de loi de finances pour 2015 (n° 2234), octobre 2014.
7
2) De nouvelles procédures en matière contractuelle : l’affaire Commune
de Béziers
Cette affaire a donné lieu à plusieurs décisions importantes du Conseil d’Etat entre 2011
et 2015. Elle a été l’occasion pour notre juridiction administrative suprême d’ouvrir aux
collectivités publiques, lorsqu’elles sont parties en litige dans un contentieux contractuel, la
possibilité d’introduire devant le juge administratif un nouveau recours pour contester la
validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles.
Faits de l’espèce :
Les communes de Béziers et de Villeneuve-lès-Béziers (dans le Sud de la France) avaient
créé un syndicat intercommunal1
, ayant pour objet l’acquisition de terrains afin d’étendre une
zone industrielle située sur le territoire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers. Une
telle extension devant profiter principalement à cette dernière commune, puisqu’elle
bénéficierait de la taxe professionnelle versée par les entreprises s’installant dans la zone
industrielle, les deux communes conclurent, le 10 octobre 1986, pour compenser cet
avantage, une convention aux termes de laquelle Villeneuve-lès-Béziers s’engageait à
reverser à Béziers une fraction de la taxe professionnelle perçue sur les entreprises
installées dans la zone2
. Cette convention, qui était conclue pour une durée illimitée, fut
résiliée par la commune de Villeneuve-lès-Béziers à compter du 1er
septembre 1996,
conduisant la commune de Béziers à saisir le tribunal administratif de Montpellier d’une
demande tendant à la condamnation de la commune de Villeneuve-lès-Béziers à lui
verser une somme de quelque 3,8 millions de francs au titre de la non-exécution de la
convention.
Pour sa défense, la commune de Villeneuve-lès-Béziers avait invoqué la nullité de la
convention, en raison d’un vice qui aurait été commis lors de la signature du contrat. Mais le
Conseil d’Etat ne retint pas ce moyen de défense (CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune
de Béziers, n° 304802, dite affaire « Béziers I »).
Parallèlement, la commune de Béziers avait également demandé au tribunal administratif
l’annulation de la décision de résiliation de la convention par la commune de Villeneuve-
lès-Béziers. Or, selon la jurisprudence antérieure, il était interdit au juge du contrat, saisi
par l’une des parties, d’annuler une mesure d’exécution du contrat. En effet, selon une
jurisprudence constante, « le juge du contrat, saisi par une partie d’un litige relatif à une
mesure d’exécution d’un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure
est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité ». Autrement dit, en
cas de litige entre les parties à un contrat administratif, le juge administratif ne peut
traditionnellement qu’allouer des dommages et intérêts à la partie lésée et rien d’autre. Mais
cette jurisprudence, malgré son ancienneté, ne reposait, à la vérité, sur aucun fondement
théorique clairement identifié. Aussi, le Conseil d’Etat a-t-il décidé de l’abandonner dans
1
Il s’agit d’un établissement public créé par des communes qui est destiné à leur permettre de
coopérer sur des services d’intérêt commun ; il est doté d’une structure d’administration propre qui
est mise en place par les communes membres, ce qui lui confère une certaine autonomie juridique.
2
En vertu de l’article 11 de la loi du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe
locale dans sa version alors applicable, lorsqu’un groupement de communes créait ou gérait une zone
d’activités économiques et que la taxe professionnelle était perçue par une seule commune sur le
territoire de laquelle les entreprises étaient implantées, les communes membres du groupement
pouvaient passer une convention pour répartir entre elles tout ou partie de la part communale de cette
taxe.
8
l’affaire « Béziers II » en 2011 (CE, Sect., 21 mars 2011, n° 304806). Il a également profité
de l’occasion pour créer un nouveau recours, dit en reprise des relations contractuelles.
Ainsi, désormais, si le juge du contrat, saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure
d’exécution d’un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est
intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité, une partie à un contrat
administratif peut, toutefois, eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution, former
devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la
résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles.
Cette partie au contrat doit exercer ce recours dans un délai de deux mois à compter de la
date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation.
Il incombe alors au juge du contrat, saisi par une partie d’un recours contestant la validité
d’une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu’il
constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, de
déterminer s’il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n’est pas sans objet3
, à la
demande de reprise des relations contractuelles, à compter d’une date qu’il fixe, ou de
rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d’ouvrir, au
profit du requérant, un droit à indemnité.
Force est de constater que dans l’affaire Commune de Béziers cette procédure n’a pas
abouti, tout simplement parce que la commune de Béziers a en fait introduit beaucoup
trop tardivement sa demande devant la juridiction administrative4
. Cette demande a
donc été jugée irrecevable par le Conseil d’Etat5
.
3
La demande de reprise des relations contractuelles serait effectivement sans objet par exemple si le
contrat a déjà été exécuté en totalité au moment où le juge est saisi.
4
En effet, il a résulté de l’instruction de cette affaire que la demande de la commune de Béziers
dirigée contre la résiliation, par la commune de Villeneuve-lès-Béziers, de la convention du 10
octobre 1986, a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montpellier le 2 mars 2000 ; or,
la commune de Béziers avait eu connaissance de cette mesure au plus tard par la lettre du 22 mars
1996, reçue le 25 mars suivant, par laquelle le maire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers avait
informé le maire de Béziers de la résiliation de la convention à compter du 1er
septembre 1996. Aussi,
le Conseil d’Etat a jugé que dans ces conditions, la demande présentée par la commune de Béziers
devant le tribunal administratif de Montpellier était tardive et, par suite, irrecevable.
5
Dans une ultime décision rendue en 2015, appelée « Béziers III » (CE 27 février 2015, n° 357028),
le Conseil d’Etat a constaté que la commune de Villeneuve-lès-Béziers avait eu tort de résilier la
convention qui la liait à la commune de Béziers.
En effet, la seule circonstance, à la supposer établie, que la convention ne satisfaisait plus son intérêt
ne saurait être regardée comme un motif d’intérêt général de nature à en justifier la résiliation
unilatérale. De ce fait, la commune de Villeneuve-lès-Béziers a commis une faute en prononçant la
résiliation unilatérale de cette convention comme elle l’a fait. Plus précisément, le Conseil d’Etat a
relevé que le versement auquel s’était engagée la commune de Villeneuve-lès-Béziers avait pour
contrepartie la renonciation de la commune de Béziers à percevoir une taxe sur des entreprises qui,
du fait de l’implantation de la zone industrielle sur le territoire de la commune de Villeneuve-lès-
Béziers, n’étaient imposables que par celle-ci ; or, cette renonciation était demeurée inchangée à la
date de la résiliation litigieuse ; dans ces conditions, la contrepartie que la commune de Villeneuve-
lès-Béziers tirait de la convention n’était pas affectée, et la convention n’avait donc pas perdu sa
cause. Par ailleurs, comme la renonciation, par la commune de Béziers, à percevoir des recettes de
taxe professionnelle continuait de produire ses effets au moment de la résiliation, l’équilibre
économique de la convention litigieuse n’était nullement bouleversé par le fait que les équipements
avaient été amortis.
9
En l’espèce, le juge administratif n’a de ce fait pas procédé au rétablissement des
relations contractuelles entre les deux communes.
On peut se demander si ce nouveau recours en reprise des relations contractuelles est
véritablement efficace et susceptible d’aboutir en pratique. Il y a peu d’exemples pour
l’instant en jurisprudence du fait que ce nouveau recours est né récemment.
On donnera juste un exemple tiré d’une décision de 2012 rendue par le Conseil d’Etat qui
montre comment un tel recours pourrait éventuellement aboutir favorablement (CE, 11
octobre 2012, n° 351440).
Cette affaire est relative à un litige contractuel survenu entre un établissement public qui
est chargé du logement des étudiants à l’université (le centre régional des œuvres
universitaires et scolaires (CROUS) de l’académie de Lille) et une société privée de
téléphonie mobile (la société Orange France).
Par une convention conclue initialement en janvier 2000, le centre régional des œuvres
universitaires et scolaires (CROUS) de l’académie de Lille avait autorisé la société Orange
France à implanter des équipements techniques de radiotéléphonie sur le toit de la résidence
universitaire. Puis, par une délibération du 28 septembre 2009, le conseil d’administration du
CROUS avait décidé de prononcer unilatéralement la résiliation de la convention « au motif
de travaux d’urgence à entreprendre sur la terrasse ». Un litige est ainsi né entre les deux
cocontractants.
Le juge administratif a été saisi. Devant le tribunal administratif, la société Orange France a
obtenu satisfaction, le juge annulant la délibération du CROUS. Mais en appel, la cour
administrative d’appel a annulé ce jugement de première instance et a rejeté la demande de la
société Orange France. Celle-ci a alors saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation. En
l’espèce, le litige devait être analysé comme un recours contestant la validité de la
mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles entre cette
société et le CROUS.
La question posée était de savoir si le CROUS, personne morale de droit public, était en droit
de résilier la convention autorisant la société Orange France à implanter des équipements
techniques de radiotéléphonie sur le toit de la résidence universitaire. Comme nous l’avons
vu, la cour administrative d’appel avait répondu par l’affirmative. Or, selon le Conseil d’Etat
la cour a commis une erreur de droit car elle a négligé une clause contenue dans le
contrat entre le CROUS et la société Orange France, en vertu de laquelle le gestionnaire
du domaine (le CROUS) s’engageait, en cas de travaux nécessaires au bon entretien de
la dépendance domaniale occupée, à faire tout son possible pour trouver une solution de
substitution afin de permettre au preneur (la société Orange France) de continuer à
exploiter ses équipements.
Selon le Conseil d’Etat, cette résiliation par la commune de Villeneuve-lès-Béziers était donc illégale
et elle était de nature à engager sa responsabilité.
La commune de Béziers était alors en droit d’obtenir réparation du préjudice résultant de cette
résiliation fautive de la convention.
La commune de Villeneuve-lès-Béziers a ainsi vu sa responsabilité contractuelle engagée et elle a été
condamnée à réparer le dommage causé à la commune de Béziers (qui en l’espèce s’est élevé à la
somme de près de 600.000 euros augmentée des intérêts).
10
L’arrêt de la cour administrative d’appel a donc été annulé par le Conseil d’Etat et celui-ci a
décidé de lui renvoyer l’affaire pour qu’elle la juge en prenant en compte cet élément
contractuel.
Il appartiendra à la cour administrative d’appel de vérifier si dans les faits le CROUS a
bien fait tout son possible pour trouver une solution de substitution permettant à la
société Orange France de continuer son exploitation. On peut alors penser que si tel
n’est pas le cas, le juge obligera sans doute le CROUS et la société Orange France à
reprendre leurs relations contractuelles.
En raisonnant par extension, on voit donc à travers cet exemple qu’il n’est pas impossible
qu’en cas de litige cette fois-ci entre deux collectivités publiques le juge administratif puisse
obliger les parties en conflit à devoir reprendre leurs relations contractuelles. La jurisprudence
administrative donne en tout cas aujourd’hui au juge administratif les moyens pour qu’un tel
résultat soit atteint.
Il ressort toutefois des développements qui précèdent que le recours au juge administratif
n’est pas nécessairement la solution la mieux adaptée pour résoudre les litiges entre
collectivités publiques :
- le recours au juge prend du temps et la solution du litige peut tarder à intervenir ;
- de plus, comme on ne peut savoir à l’avance quelle sera la solution que retiendra
le juge administratif, il y a là un risque juridique que les parties en litige peuvent ne
pas vouloir courir.
C’est la raison pour laquelle des efforts ont été accomplis en France pour essayer de trouver
d’autres formes de règlement de ces litiges en évitant de faire appel au juge. Celles-ci
passent aujourd’hui par des voies diverses qui se situent à la fois en amont du risque de
litiges et en aval lorsque le risque s’est réalisé. Les formules juridiques correspondent à la
coopération entre collectivités publiques pour prévenir la survenance de litiges ; et si le
litige n’a pu être évité, sont alors activés ce que l’on appelle des « modes alternatifs de
règlement des litiges » au nombre desquels on compte en particulier la conciliation et la
médiation. Comment ces différentes procédures jouent-elles effectivement lorsque sont en
litige des collectivités publiques ? Ce sont ces différentes solutions juridiques que l’on se
propose de présenter dans notre seconde partie : La prévention des litiges entre collectivités
publiques et leur résolution dans le cadre de solutions non juridictionnelles.
11
Deuxième Partie
La prévention des litiges entre collectivités publiques et leur
résolution dans le cadre de solutions non juridictionnelles
En France, une importante réforme territoriale a été lancée ces dernières années.
Tout est parti d’un constat largement partagé : notre pays est « suradministré » avec cinq
voire six niveaux de décision : la commune, les groupements de communes (appelées
également « intercommunalités »), le département, la région, l’Etat, mais aussi les institutions
de l’Union européenne. N’est-ce pas trop ? Cette abondance d’administrations ne favorise-t-
elle pas certaines formes de dilution des responsabilités ? N’est-elle pas trop coûteuse pour
nos finances publiques déjà mal en point ? Manque d’efficacité et gaspillage financier sont
souvent cités parmi les critiques les plus vives à l’encontre de notre système administratif.
Les pouvoirs publics en France en sont conscients et tentent de réformer notre
organisation administrative, sans toutefois y parvenir car ils rencontrent de fortes
résistances de la part des différents intéressés. C’est ainsi que le Gouvernement a voulu
récemment supprimer un des échelons administratifs – le département en l’espèce – mais a dû
faire rapidement machine arrière face à la très vive hostilité des élus départementaux dont la
majorité constitue actuellement le soutien politique du Gouvernement au Parlement où
plusieurs de ces élus siègent grâce aux possibilités de cumul des mandats locaux et nationaux
qu’autorise le droit français. Ce contexte n’est à l’évidence pas propice aux réformes
d’envergure, ce qui explique certaines formes de blocages actuellement dans la société
française.
Cependant, si le système n’en fonctionne pas moins c’est parce que les règles qui
l’organisent ne sont pas rigides. Tout au contraire, ces règles ont été conçues de façon
souple dès l’origine. Cela explique que si le système administratif peut à juste raison
apparaître comme excessivement développé en France, cette situation n’engendre pas de
blocages insurmontables comme on pourrait le craindre. Tout l’art a effectivement consisté à
trouver de façon continue les techniques juridiques devant permettre au système de bénéficier
d’une grande élasticité. Celle-ci repose pour l’essentiel sur des solutions faisant une large
part au dialogue entre les autorités publiques. Cet aspect est essentiel pour permettre le
bon fonctionnement du système administratif français.
Il faut bien voir en effet que la multiplication des échelons administratifs fait courir le risque
en parallèle d’une multiplication des conflits de toutes sortes entre ces différents niveaux. A
cela s’ajoute le fait qu’en France les administrations décentralisées (communes, départements
et régions) sont entre les mains de personnes élues par les populations qu’elles sont chargées
d’administrer, à la différence des administrations de l’Etat qui sont dirigées par des
fonctionnaires nommés par le Gouvernement. Leur légitimité respective n’est pas de même
nature. Face à des administrateurs élus par les populations locales, les agents de l’Etat
nommés par le Gouvernement peuvent être enclins à compenser leur manque de légitimité
démocratique en faisant valoir le fait qu’en France c’est l’Etat qui est seul souverain et non
ses composantes territoriales. En cas de conflit, le risque est donc de faire apparaître une forte
rigidité dans les rapports de force. Or, on ne peut gouverner durablement sur un tel schéma
d’organisation. Il faut au contraire trouver les moyens pour pacifier ces relations entre
collectivités publiques.
12
Comment faire ? Plutôt que de rechercher l’épreuve de force ou l’intervention du juge, le
droit administratif français a mis en avant différentes solutions non juridictionnelles pour
favoriser le dialogue entre les collectivités publiques. La réflexion s’est organisée à plusieurs
niveaux : - pour éviter la survenance de conflits, deux mesures ont été préconisées, à savoir
recourir à la coopération entre collectivités publiques pour créer suffisamment de liens
entre elles, mais également favoriser le dialogue inter institutionnel grâce à l’intervention
du préfet ; - et si le conflit n’a finalement pas pu être évité entre les collectivités publiques,
chercher à le résoudre en recourant aux modes alternatifs de règlement des litiges.
1) Créer du lien entre collectivités publiques : le recours à la
coopération
Pour favoriser la concertation entre collectivités publiques, il existe en droit français des
formes de coopération particulièrement souples que l’on qualifie aussi d’« associatives »,
pour les distinguer de formules visant une intégration plus poussée entre collectivités
publiques et que l’on qualifie alors de « fédératives ». Ces dernières formules permettent la
conduite collective de véritables projets de développement local. Mais si les collectivités
publiques ne souhaitent pas aller aussi loin, elles peuvent dans ce cas recourir à des formules
plus légères leur permettant de mettre en commun des moyens pour mieux gérer ensemble
une activité particulière.
Cette coopération souple entre collectivités publiques est rendue possible grâce à
l’institutionnalisation de formules telles que les « ententes », « conventions » et autres
« conférences ».
Le code général des collectivités territoriales en prévoit ainsi à tous les niveaux de
l’administration décentralisée.
- Les « ententes, conventions et conférences intercommunales » (Articles L. 5221-1
et L. 5221-2 du code général des collectivités territoriales - CGCT) :
Les ententes et conférences entre communes ont constitué les premières formes de
coopération intercommunale (Leur régime juridique a été défini initialement par la loi
municipale du 5 avril 1884). L’entente ne peut pas être imposée. Aucune création
d’office n’est prévue et seule l’unanimité permet de s’engager dans une entente.
L’objet de l’entente doit entrer dans les attributions des personnes morales qui
participent à une entente. Sous cette seule réserve, l’objet de l’entente peut être
large. L’entente peut consister à faire assurer par un des membres des prestations de
services. L’entente n’a pas la personnalité morale. Elle n’est pas dotée de pouvoirs
autonomes même par délégation des collectivités membres. Toutes les décisions
prises doivent, pour être exécutoires, être ratifiées par l’ensemble des organes
délibérants intéressés. Les membres d’une entente peuvent passer entre eux des
conventions à l’effet d’entreprendre ou de conserver à frais communs des ouvrages ou
des institutions d’utilité commune : ces institutions d’utilité commune étaient en 1884
des établissements d’enseignement ou de bienfaisance ; aujourd’hui, les ouvrages ou
institutions d’utilité commune répondent aux besoins entrant dans le champ des
compétences des collectivités locales.
Exemple : Une convention peut être conclue en vue de constituer un groupement de
commandes pour la désignation d’un opérateur commun pour la passation d’un
marché portant sur la collecte et le traitement des ordures ménagères. En se
groupant ainsi, les communes peuvent obtenir des prix plus intéressants.
13
Exemple : Une commune signe avec un établissement public de coopération
intercommunale (EPCI), dont elle n’est pas membre, une convention ayant pour objet
d’instaurer une entente entre eux, visant à confier à l’établissement public de
coopération intercommunale l’exploitation du service public de distribution d’eau
potable sur le territoire de la commune. Cette convention a pour objet de faire prendre
en charge par l’EPCI le service public de distribution d’eau de la commune,
jusqu’alors exploité dans le cadre d’une convention avec une entreprise du secteur
privé. L’EPCI exerçant cette compétence de la distribution d’eau sur son propre
territoire, l’entente tend à l’exploitation d’un même service public, en continuité
géographique, sur l’ensemble du territoire couvert par ces deux personnes publiques,
sous la responsabilité opérationnelle de l’EPCI.
Exemple : De telles conventions peuvent également porter sur des opérations
d’investissement (création d’ouvrages) ou d’entretien d’ouvrages (conservation).
Article L. 5221-1 CGCT
Deux ou plusieurs conseils municipaux, organes délibérants d’établissements publics de
coopération intercommunale ou de syndicats mixtes peuvent provoquer entre eux, par
l’entremise de leurs maires ou présidents, une entente sur les objets d’utilité communale ou
intercommunale compris dans leurs attributions et qui intéressent à la fois leurs communes,
leurs établissements publics de coopération intercommunale ou leurs syndicats mixtes
respectifs.
Ils peuvent passer entre eux des conventions à l’effet d’entreprendre ou de conserver à frais
communs des ouvrages ou des institutions d’utilité commune.
Article L. 5221-2 CGCT
Les questions d’intérêt commun sont débattues dans des conférences où chaque conseil
municipal et organe délibérant des établissements publics de coopération intercommunale ou
des syndicats mixtes est représenté par une commission spéciale nommée à cet effet et composée
de trois membres désignés au scrutin secret.
Le représentant de l’Etat dans le ou les départements concernés peut assister à ces conférences
si les communes, les établissements publics de coopération intercommunale ou les syndicats
mixtes intéressés le demandent.
Les décisions qui y sont prises ne sont exécutoires qu’après avoir été ratifiées par tous les
conseils municipaux, organes délibérants des établissements publics de coopération
intercommunale ou des syndicats mixtes intéressés (…).
- Les « ententes, conventions et conférences interdépartementales » (Articles L.
5411-1 et 2 CGCT) – qui débattent de questions d’intérêt interdépartemental mais
sans pouvoir prendre de décisions exécutoires – et les « institutions ou organismes
interdépartementaux » (Articles L. 5421-1 à 6 CGCT) – qui sont des établissements
publics, investis de la personnalité civile et de l’autonomie financière.
Cette forme de coopération interdépartementale est ancienne en France puisqu’elle a
été instaurée par une loi du 10 août 1871. Deux ou plusieurs conseils départementaux
peuvent provoquer entre eux, par l’entremise de leurs présidents, une « entente » sur
les objets d’utilité départementale compris dans leurs attributions et qui intéressent à la
fois leurs départements respectifs. L’entente peut débattre de questions d’intérêt
commun dans le cadre de « conférences ». La création d’une entente
interdépartementale n’a pas à être autorisée par le préfet. L’entente n’a pas la
personnalité morale. Elle n’est pas dotée de pouvoirs autonomes même par
14
délégation des assemblées départementales. Toutes les décisions prises doivent, pour
être exécutoires, être ratifiées par l’ensemble des conseils départementaux intéressés.
Les conseils départementaux peuvent aussi passer entre eux des « conventions », à
l’effet d’entreprendre ou de conserver à frais communs des ouvrages ou des
institutions d’utilité commun.
Quant aux « institutions ou organismes interdépartementaux », ils relèvent d’une
conception différente de celle de l’entente. Ils sont dotés de la personnalité civile et
disposent de l’autonomie financière. Ils bénéficient donc de ressources propres. Ils
sont administrés par des conseillers départementaux élus à cet effet. Leurs règles
de fonctionnement et de gestion sont identiques à celles des conseils départementaux.
Exemple : L’entente interdépartementale, qui vise à réunir deux ou plusieurs
départements sur les « objets d’utilité départementale » entrant dans le cadre de leurs
compétences et leurs intérêts, a été la formule utilisée à une époque pour permettre en
France la démoustication sur le littoral méditerranéen. On retrouve aujourd’hui
cette formule par exemple dans la région Rhône-Alpes où une telle entente a été
créée entre quatre départements (départements de l’Ain, l’Isère, le Rhône et la Savoie)
sur une zone d’action s’étendant sur plus de deux cents communes. Pour lutter contre
la prolifération des moustiques, l’entente interdépartementale est notamment
chargée de faire une expertise pour identifier les lieux de développement et mettre
ensuite en place les méthodes nécessaires à la destruction des insectes nuisibles dans
l’intérêt des populations locales et des touristes.
Exemple : Pour réaliser un plan de développement de la vallée du Lot (rivière
française du sud du Massif central), une convention a été signée entre l’Etat, cinq
départements et quatre régions concernés, les objectifs poursuivis dans ce cadre étant
au nombre de trois : réaliser plusieurs bassins navigables ; accompagner les activités
économiques et touristiques liées à l’eau ; protéger et valoriser l’environnement.
L’organisme gestionnaire est ici une entente interdépartementale.
Article L. 5411-1 CGCT
Deux ou plusieurs conseils départementaux peuvent provoquer entre eux, par l’entremise de
leurs présidents, une entente sur les objets d’utilité départementale compris dans leurs
attributions et qui intéressent à la fois leurs départements respectifs.
Ils peuvent passer entre eux des conventions, à l’effet d’entreprendre ou de conserver à frais
communs des ouvrages ou des institutions d’utilité commune.
Article L. 5411-2 CGCT
Les questions d’intérêt commun sont débattues dans des conférences où chaque conseil
départemental est représenté.
Les décisions qui y sont prises ne sont exécutoires qu’après avoir été ratifiées par tous les
conseils départementaux intéressés.
Article L. 5421-1 CGCT
Les institutions ou organismes interdépartementaux sont librement constitués par deux ou
plusieurs conseils départementaux de départements même non limitrophes ; ils peuvent
également associer des conseils régionaux ou des conseils municipaux.
Les institutions ou organismes interdépartementaux sont des établissements publics, investis de
la personnalité civile et de l’autonomie financière.
Ils sont administrés conformément aux règles édictées pour la gestion départementale.
15
Leur administration est assurée par les conseillers départementaux élus à cet effet.
Lorsqu’ils associent des conseils régionaux ou des conseils municipaux, (…) leur conseil
d’administration comprend des représentants de tous les conseils ainsi associés.
- Cette coopération existe également entre régions sous la forme de « conventions ou
institutions d’utilité communes interrégionales » (Article L. 5611-1 CGCT) et
d’« ententes interrégionales » (Articles L. 5621-1 à 9 CGCT) – établissements
publics constitués à la demande de plusieurs régions limitrophes et disposant de
compétences attribuées par les régions.
L’entente interrégionale est un établissement public qui associe plusieurs régions
ayant un territoire continu. L’entente interrégionale est créée par décret en Conseil
d’État sur délibérations concordantes des conseils régionaux, et après avis des
conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux. La décision
institutive détermine le siège de l’entente. Une région peut adhérer à plusieurs
ententes. Dans ce cas, elle définit par convention avec chacune de ces ententes les
compétences que celles-ci exercent sur tout ou partie de ce territoire, sous réserve
qu’une même compétence, sur une partie de ce territoire, ne soit déléguée qu’à une
seule entente. L’entente interrégionale est administrée par un conseil composé de
délégués des conseils régionaux. Le conseil règle par ses délibérations les affaires
relevant de la compétence de l’entente interrégionale. D’une façon générale, les règles
relatives au fonctionnement du conseil ainsi que celles relatives à l’exécution de
leurs délibérations sont celles fixées pour les régions. L’entente interrégionale
exerce les compétences énumérées dans la décision institutive en lieu et place des
régions membres. Elle assure la cohérence des programmes des régions membres. A
ce titre, elle peut conclure avec l’État des contrats de plan au lieu et place des
régions qui la composent, dans la limite des compétences qui lui ont été transférées.
Toute modification de la décision instituant l’entente interrégionale est prononcée par
décret en Conseil d’État sur proposition du conseil de l’entente et après délibérations
concordantes des conseils régionaux des régions membres. Une région membre peut
se retirer après décision prise à l’unanimité par le conseil de l’entente. L’entente peut
être dissoute, à la demande du conseil régional d’une région membre, dans les
conditions prévues par décret en Conseil d’Etat.
Exemple : Une convention a été signée en 1977, entre, d’une part, les régions de
Languedoc-Roussillon, de Midi-Pyrénées et d’Aquitaine et, d’autre part, l’État, en vue
de la modernisation du canal du Midi qui traverse ces différentes régions du Sud-
Ouest de la France.
Article L. 5611-1 CGCT
Deux ou plusieurs régions peuvent, pour l’exercice de leurs compétences, conclure entre elles
des conventions ou créer des institutions d’utilité commune.
Article L. 5621-1 CGCT
L’entente interrégionale est un établissement public qui associe plusieurs régions ayant un
territoire continu. (…).
L’entente interrégionale est créée par décret en Conseil d’Etat sur délibérations concordantes
des conseils régionaux (…), et après avis des conseils économiques, sociaux et
environnementaux régionaux. La décision institutive détermine le siège de l’entente.
Une région peut adhérer à plusieurs ententes. Dans ce cas, elle définit par convention avec
chacune de ces ententes les compétences que celles-ci exercent sur tout ou partie de son
16
territoire sous réserve qu’une même compétence, sur une même partie de ce territoire, ne soit
déléguée qu’à une seule entente. Ces conventions sont approuvées par chacune des ententes
auxquelles la région concernée adhère. Elles sont transmises au représentant de l’Etat du siège
de chacune de ces ententes et à celui de la région concernée.
- Mais une des formules les plus utilisées, car elle permet de rapprocher plusieurs
collectivités de niveaux différents, est celle des « syndicats mixtes, association des
collectivités territoriales, des groupements de collectivités territoriales et d’autres
personnes morales de droit public » (Articles L. 5721-1 à L. 5721-9 du code général
des collectivités territoriales). Le syndicat mixte est ici un établissement public.
Au 1er
janvier 2014, on comptait en France 3 187 syndicats mixtes.
Exemples : On trouve en France des syndicats mixtes dans de nombreux secteurs
d’activité comme les transports publics, l’eau et l’assainissement, la gestion des
déchets, la distribution d’électricité et de gaz, etc. – ce que l’on appelle les
« services de proximité » car proches des besoins des administrés.
Article L. 5721-2 CGCT
Un syndicat mixte peut être constitué par accord entre des institutions d’utilité commune
interrégionales, des régions, des ententes ou des institutions interdépartementales, des
départements, la métropole de Lyon, des établissements publics de coopération
intercommunale, des communes, (…), des chambres de commerce et d’industrie territoriales,
d’agriculture, de métiers et d’autres établissements publics, en vue d’œuvres ou de services
présentant une utilité pour chacune de ces personnes morales.
Le syndicat mixte doit comprendre au moins une collectivité territoriale ou un groupement de
ces collectivités.
(…)
2) Favoriser le dialogue inter institutionnel : le rôle du préfet
Comme nous venons de le voir, il existe en France différentes solutions pour créer des liens
d’intérêt entre collectivités publiques, qui empruntent tantôt des voies institutionnelles
tantôt conventionnelles. Mais, elles ne peuvent à elles seules suffire pour empêcher la
survenance de conflits entre ces collectivités partenaires. Il est donc nécessaire de
compléter le dispositif en ajoutant une pièce supplémentaire chargée d’arbitrer les éventuels
litiges, sans qu’il s’agisse d’un juge. Dans la tradition administrative française, favoriser le
dialogue inter institutionnel est l’un des rôles éminents qui incombe au préfet dans les
régions et les départements.
En France, l’institution du préfet est ancienne : elle remonte au tout début du XIXème
siècle,
à l’initiative de Napoléon Bonaparte.
La nomination en qualité de préfet est effectuée par décret du Président de la République en
conseil des ministres, sur proposition du Premier ministre et du ministre de l’intérieur.
Aujourd’hui, le corps préfectoral s’est professionnalisé avec la création en 1945 de l’Ecole
nationale d’administration (ENA), dont sont issus la plupart des préfets en exercice.
Ce sont de hauts fonctionnaires qui représentent l’Etat et le Gouvernement dans les
régions et les départements.
17
Article 72 de la Constitution française du 4 octobre 1958 :
« Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l’État, représentant de
chacun des membres du Gouvernement, à la charge des intérêts nationaux, du contrôle
administratif et du respect des lois. »
Parmi les nombreuses et importantes fonctions que le préfet assume, il en est une qui
concerne plus particulièrement notre sujet.
Nous avons vu dans notre première partie que le préfet est chargé du contrôle de légalité des
actes des collectivités territoriales et qu’il peut saisir le juge administratif, dans le cadre d’une
procédure spécifique : le déféré préfectoral, en cas de litige persistant entre lui et les élus
locaux. Ce contrôle des normes juridiques est un aspect de la fonction de régulation exercée
par le préfet, qui revêt aujourd’hui une importance d’autant plus grande qu’il s’agit d’une des
attributions essentielles autour de laquelle l’État se recentre dans le système d’Etat de droit
mis en place en France.
Mais le préfet est également représentant du Gouvernement A ce titre, il est chargé de
mettre en œuvre dans les territoires les différentes politiques voulues par la nation, en fonction
des choix du Gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation » (selon
l’article 20 de la Constitution française). L’action du préfet se développe ici à plusieurs
niveaux :
Ainsi, par exemple, en matière d’aménagement du territoire, l’action du préfet a pour
objectif d’harmoniser et d’encourager le développement et la répartition des
équipements et des activités sur l’ensemble du territoire, en valorisant les atouts et en
réduisant les handicaps. Ces équilibres ne peuvent être atteints qu’avec la participation des
différents partenaires. Aussi, le préfet de région se doit d’engager un dialogue avec le
président du conseil régional afin d’aboutir au croisement des ambitions, des priorités et des
moyens, dans la démarche concertée du contrat de plan État-Région. De même, le préfet de
département doit chercher à élaborer avec le président du conseil départemental des
politiques qui mobilisent tous les décideurs sur un projet d’ensemble (logement, action
sociale, etc.).
Par ailleurs, s’agissant des politiques de développement économique, l’action du préfet doit
là aussi privilégier le dialogue avec tous les partenaires qui se trouvent sur place pour
encourager la modernisation des entreprises, l’exportation, l’innovation technologique,
mais aussi les politiques de solidarité. Responsable de l’efficacité des actions publiques sur
le terrain, chaque préfet doit savoir mobiliser tous les moyens à sa disposition pour faire que
l’offre s’accorde effectivement avec la demande. Le relais des élus locaux peut en l’espèce
être tout à fait essentiel pour parvenir au résultat. Ce n’est pas la règle de droit qui a elle seule
permettra de l’atteindre. Le préfet devra également faire preuve d’une particulière aptitude à
l’action par le dialogue inter institutionnel.
On le voit, l’une des qualités que les préfets doivent savoir développer c’est d’être
continuellement en mesure d’animer un courant permanent d’échanges d’informations à la
fois pour transmettre vers le Gouvernement les préoccupations et réactions des élus et des
populations et également pour diffuser, expliquer et faire partager les politiques ministérielles
auprès des publics locaux qui sont concernés. C’est une véritable courroie de transmission
qui doit fonctionner dans un sens ascendant (vers le pouvoir central) et descendant (vers le
terrain).
18
Bien entendu, le préfet n’est pas seul face à l’immensité de la tâche qu’il doit mener à bien. Il
dispose de collaborateurs à ses côtés :
- C’est ainsi, par exemple, que l’on trouve dans les préfectures des départements une
direction des relations avec les collectivités locales placée auprès du préfet, qui est
chargée notamment du conseil juridique auprès des élus locaux.
- De même, au niveau de la préfecture de région on trouve le secrétariat général
pour les affaires régionales (SGAR), dont l’un des pôles est chargé de l’animation
régionale des politiques publiques. Il lui appartient en particulier : - d’animer le
dialogue inter institutionnel avec les collectivités territoriales, - d’assurer le pilotage
du contrat de plan entre l’Etat et la région (élaboration, modification, suivi et
évaluation), - de veiller à l’équilibre entre les territoires au sein de la région
(notamment pour l’attribution des crédits d’intervention) et à l’articulation avec et
entre les départements qui composent la région (une circulaire du Premier ministre en
date du 29 septembre 20156
est venue redéfinir en ce sens le rôle du secrétariat général
pour les affaires régionales - SGAR).
On le voit, le système administratif français a prévu la mise en place de différents services
destinés à permettre le dialogue inter institutionnel, avec au centre de ce dispositif le préfet
qui est représentant de l’Etat et du Gouvernement dans les régions et les départements.
Que se passe-t-il lorsque le conflit n’a pas pu être évité entre collectivités publiques ? On
va le voir, il est alors possible de ne pas saisir immédiatement le juge, mais de préférer le
recours à des procédures non juridictionnelles que l’on appelle des « modes alternatifs de
règlement des litiges ».
3) Résoudre les conflits entre collectivités publiques : le recours aux
modes alternatifs de règlement des litiges
Le système administratif français présente certaines lourdeurs qui sont dues notamment à la
multiplication d’instances qui sont souvent le fruit de l’Histoire et que l’on n’a pas toujours eu
la volonté politique de faire disparaître. Aussi parle-t-on en France du « millefeuille
administratif » - ce qui fait référence à une pâtisserie française assez épaisse avec plusieurs
couches de crème. C’est très nourrissant et, avouons-le, plutôt lourd à digérer ! Mais cette
image traduit bien le problème français.
Toutefois, le système administratif français parvient à fonctionner car malgré ces lourdeurs
institutionnelles, dont on ne peut nier la réalité, il ne se coule pas dans un moule juridique
rigide. Les acteurs disposent de beaucoup de liberté pour agir et ils savent s’en servir pour
régler les éventuels litiges qui peuvent survenir dans leurs relations.
C’est ainsi que si les collectivités publiques viennent à rencontrer des difficultés pour
s’entendre et poursuivre ensemble une action qu’elles ont décidé d’entreprendre, il leur est
possible de ne pas confier immédiatement au juge administratif le soin de les départager. Il est
vrai que la saisine du juge administratif ne résout pas à elle seule tous les problèmes. Comme
nous l’avons dit, le procès dure parfois longtemps, ce qui n’est peut-être pas de l’intérêt des
6
Circulaire du Premier ministre, du 29 septembre 2015, adressée aux préfets de région, portant sur la
réforme territoriale de l’Etat, n° 5812/SG.
19
collectivités publiques en conflit. De plus, l’issue d’un procès est toujours plus ou moins
aléatoire et il n’est pas sûr que celui qui se croit dans son bon droit gagne son procès.
C’est la raison pour laquelle, il a fallu imaginer des solutions non juridictionnelles à la
résolution des litiges. Celles-ci sont en plein développement dans le droit français. Elles
concernent à la fois les personnes privées mais aussi les personnes publiques. Ce sont ce que
l’on appelle les « modes alternatifs de règlement des litiges ».
Il faut tout de suite dire que ces « modes alternatifs de règlement des litiges » sont encore peu
développés en France en cas de litige entre les personnes publiques. Il y a une raison à cela :
en droit administratif français il existe beaucoup de règles dites d’ordre public auxquelles il
est interdit de déroger. Or, le risque existe de leur porter atteinte lors de la mise en œuvre de
procédures alternatives de règlement des litiges. Cela freine les ardeurs. Il y a donc là un
obstacle pour les personnes publiques qui hésiteront à recourir à ces procédures, de crainte
qu’en cas de saisine ultérieure du juge administratif, par exemple par un administré
mécontent, elles soient condamnées et que la solution à laquelle elles seront parvenues soit
invalidée.
Toutefois, le droit administratif français évolue progressivement. Dans une société de plus en
plus complexe il est devenu de moins en moins pertinent de multiplier des règles de droit trop
rigides. La complexité de nos sociétés exige de plus en plus souvent le recours à des règles de
droit souples. Les acteurs de la société doivent bénéficier d’une certaine marge de manœuvre
dans leurs relations juridiques. Certes la règle de droit doit être la même pour tous, mais il faut
prévoir des possibilités d’ajustements pour éviter toute forme de blocage. C’est ce qui
caractérise aujourd’hui de plus en plus fréquemment la fabrication du droit administratif en
France.
Dans ces conditions, le recours au juge en cas de litige peut devenir moins systématique. Les
parties en litige sont invitées en effet à préférer les solutions amiables puisqu’elles sont
incitées par la règle de droit elle-même à trouver un compromis entre elles.
Deux techniques permettent de parvenir à ce résultat : la conciliation7
et la médiation. Il
s’agit de deux procédures proches l’une de l’autre8
qui ont fini par se frayer un chemin au sein
des différentes administrations, où l’on trouve de plus en plus de médiateurs chargés de
trouver une issue à un conflit opposant tout particulièrement une administration avec des
particuliers ou des entreprises privées. L’intérêt de recourir à ces deux procédés réside
essentiellement dans le gain de temps pour résoudre le litige et dans le fait que l’on évite de
porter sur la place publique un différend. Gain de temps et avantage réputationnel sont
effectivement les aspects les plus positifs qui s’attachent à ces précédés. Il n’y a donc pas de
raison qu’ils ne soient pas également utilisés en cas de litige opposant cette fois-ci deux ou
plusieurs collectivités publiques entre elles. On peut même dire qu’elles y recourent de longue
date en France, même si c’est sous des aspects peu formalisés. En effet, si le recours au juge
7
Le législateur a même prévu la possibilité pour le juge administratif d’organiser une mission de
conciliation à la demande des parties en procès devant lui. Voir l’article L. 211-4 du code de justice
administrative : « Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, les chefs de
juridiction peuvent, si les parties en sont d'accord, organiser une mission de conciliation et désigner à
cet effet la ou les personnes qui en seront chargées. »
8
Il s’agit de processus structurés, par lesquels deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un
accord, en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers.
20
se comprend lorsque le rapport de force entre les parties en litige est inégal, l’intervention du
juge étant alors une garantie pour la partie faible, il n’en va pas nécessairement exactement de
même lorsque le litige survient entre personnes publiques, celles-ci opérant davantage dans un
cadre où s’affrontent non pas un intérêt privé face à un intérêt public mais deux intérêts
publics de même nature. On comprend que dans ces conditions la saisine du juge ne soit
conçue que comme un ultime recours si jamais les personnes publiques n’ont pas réussi à
trouver un compromis entre « gens du même monde ».
Le recours à la conciliation ou à la médiation, plutôt qu’au juge, est donc assez naturel dans
les relations entre personnes publiques.
On a d’ailleurs pu constater dans les passages précédents que les préfets étaient en particulier
chargés de jouer ce rôle d’intermédiaires à l’intérieur du cercle des personnes publiques.
Faut-il aller plus loin et formaliser davantage de tels procédés « alternatifs » de règlement des
litiges entre personnes publiques ? Il ne semble pas urgent de les concevoir sous des formes
qui devraient les rapprocher des procédés de conciliation et de médiation qui existent en droit
privé où ils sont davantage formalisés.
Pour l’heure, le sujet le plus important n’est donc pas celui de la création de nouvelles
procédures amiables pour régler les litiges entre personnes publiques. Il réside plutôt dans la
question de savoir comment faire en sorte que la sécurité juridique des accords
éventuellement conclus au terme d’une procédure amiable soit effectivement préservée. En
effet, lorsque des personnes publiques sont en litige, elles peuvent s’entendre en empruntant
une voie purement politique. Elles peuvent également chercher à trouver un compromis qui
prendra la forme d’un contrat en bonne et due forme. Ce contrat existe en droit français : il
s’agit du contrat de transaction.
On constate que depuis une quinzaine d’années le contrat de transaction a fait l’objet en
France d’une série de décisions jurisprudentielles qui sont venues en affermir les contours.
La transaction est un contrat écrit, permettant de terminer une contestation née ou de
prévenir une contestation à naître9
. Elle permet de clore une conciliation ou une médiation, en
cas de succès10
.
La faculté de transiger est une possibilité offerte à l’Etat de longue date11
. Quant aux
collectivités territoriales et établissements publics locaux, ils peuvent transiger librement
depuis la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et
des régions12
.
L’objet de la transaction doit être licite. L’article 6 du code civil dispose que l’on ne peut
déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public. Cette règle,
9
Conformément à l’article 2044 du code civil.
10
Toutefois, à l’issue d’une conciliation ou d’une médiation réussie, l’accord des parties peut prendre
toute forme qu’elles souhaitent.
11
Elle a été reconnue à l’Etat par le juge administratif à la fin du XIXème
siècle (CE, 23 décembre
1887, de Dreux-Brézé, évêque de Moulins, Rec. p. 842 ; CE, 17 mars 1893, Compagnie du Nord, de
l’Est et autres, Rec., p. 245).
12
CE, Section des travaux publics, avis n° 359996, 21 janvier 1997.
21
applicable à tous les contrats et donc aux transactions, revêt une importance particulière
lorsqu’elle s’applique aux personnes publiques. L’administration ne peut pas, par voie
transactionnelle, renoncer à une compétence. Elle ne peut davantage faire, par voie de
transaction, des actions qui lui sont interdites par la loi, comme par exemple vendre une
parcelle du domaine public. Plus généralement, les questions de légalité sont hors du champ
de la transaction. Ainsi l’administration ne peut pas transiger, en accordant une compensation
financière pour permettre le maintien d’une décision illégale.
Des concessions réciproques doivent être consenties. Le juge administratif pourra vérifier,
s’il est saisi, la réciprocité et l’équilibre des concessions13
et il sanctionnera les transactions ne
comportant manifestement pas d’équilibre dans les concessions réciproques des parties14
. Il
donne, cependant, aux parties une marge de manœuvre importante dans l’élaboration d’un
compromis. Les engagements ne doivent pas nécessairement être équivalents et peuvent ne
pas être de même nature15
.
La personne publique ne doit pas se livrer à une libéralité16
. En effet, selon la
jurisprudence administrative, une personne publique ne peut pas être condamnée à payer une
somme qu’elle ne doit pas17
. Cette règle est d’ordre public. Aussi, lorsqu’il est saisi soit d’une
demande d’homologation d’une transaction, soit d’un litige portant sur l’exécution de celle-ci,
le juge administratif vérifie-t-il que les prétentions contre l’administration, qui ont servi de
base à la négociation, étaient fondées. S’il estime que tel n’était pas le cas, il soulève d’office
ce moyen, pour écarter l’application de l’accord intervenu. La jurisprudence administrative
fait toutefois une application souple de cette règle. Par exemple, dans un contentieux de la
responsabilité, « Ce qui est d’ordre public, ce n’est pas une éventuelle exagération de
l’indemnité [...] supérieure au préjudice subi, à moins que la disproportion ne soit telle que la
prétendue transaction ne devienne une libéralité [...] »18
. La jurisprudence interdit ainsi les
libéralités mais elle ne prive pas les parties de la marge d’appréciation qui peut s’avérer
nécessaire pour conclure la transaction.
Effet extinctif de la transaction. Lorsqu’une transaction a été régulièrement conclue et que
les parties ont exécuté les obligations qu’elle comporte, elle fait obstacle à tout recours
juridictionnel ultérieur concernant le même litige. Un tel recours est irrecevable.
Effet relatif de la transaction. Comme tout contrat, la transaction n’a d’effet qu’entre les
parties. Une transaction à laquelle une personne publique n’est pas partie ne lui est, en aucun
cas, opposable.
L’homologation de la transaction par le juge. Il peut arriver que les parties souhaitent
obtenir une validation juridictionnelle de la transaction conclue par la voie de l’homologation.
13
CE, 29 décembre 2000, M. Comparat, Rec. p. 658.
14
CE, Section, 19 mars 1971, sieur Mergui, Rec., p. 235.
15
CE, Assemblée, 11 juillet 2008, société Krupp Hazemag, n° 287354 ; Rec., p. 273.
16
Il s’agit d’un acte par lequel quelqu'un procure à autrui un avantage sans contrepartie.
17
CE, Section, 19 mars 1971, sieur Mergui, Rec. p. 235.
18
Conclusions de M. Rougevin-Baville sur la décision Mergui (CE, Section, 19 mars 1971, sieur
Mergui, précité).
22
Elle n’est toutefois pas nécessaire19
et ne peut être demandée au juge administratif que lorsque
son exécution rencontre une difficulté particulière. Si aucun texte ne prévoit une procédure
d’homologation devant le juge administratif, le Conseil d’Etat a cependant ouvert une voie de
droit prétorienne, en admettant la recevabilité d’une demande d’homologation présentée au
juge administratif, en dehors de toute instance juridictionnelle « dans l’intérêt général,
lorsque la conclusion d’une transaction vise à remédier à une situation telle que celle créée
par une annulation ou la constatation d’une illégalité qui ne peuvent donner lieu à
régularisation ou lorsque son exécution se heurte à des difficultés particulières »20
. Saisi
d’une demande d’homologation, le juge administratif se livre alors à une vérification qui
porte, en particulier, sur la licéité de l’objet, l’absence de libéralité et la conformité à l’ordre
public. En cas de refus d’homologation pour illégalité, celui-ci rend la transaction nulle et de
nul effet21
.
On le voit, le Conseil d’Etat a admis l’existence d’un recours en homologation de la
transaction devant le juge administratif. Ce faisant, il a contribué à rendre un peu moins
« alternatif » ce mode de règlement du litige.
En France, il est sans doute difficile de faire totalement abstraction du juge.
Nous avons organisé notre exposé en distinguant les solutions juridictionnelles et les solutions
non juridictionnelles pour la résolution des litiges entre personnes publiques. On voit bien là
combien ce choix était surtout guidé par la volonté d’un universitaire d’essayer de faire une
présentation aussi claire que possible des solutions françaises. Mais, tout en remerciant le
public qui a eu la patience de m’écouter, je dois humblement vous avouer qu’en pratique le
droit français en général et le droit administratif en particulier n’ont pas le bel
ordonnancement des jardins dits « à la française » que l’on trouve dans nos châteaux sur les
bords de la Loire. Cela en fait toute la difficulté, mais aussi peut-être tout le charme…
19
La transaction constitue, en elle-même, un titre exécutoire ; aussi, le recours à l’homologation par
le juge administratif doit-il rester exceptionnel.
20
Avis du Conseil d’Etat rendu en Assemblée le 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des
établissements du second degré du district de L’Hay-les-Roses, n° 249153 ; Rec. p. 433.
21
Pour un exemple : CAA Lyon, 7 janvier 2010, société Brace ingénierie, n° 08LY00326.

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Conf n° 2 les litiges entre collectivités publiques et leur résolution (2) (1)

  • 1. Conférence Les litiges entre collectivités publiques et leur résolution dans le cas français par Christophe GUETTIER Professeur de droit à l’Université du Maine (Le Mans, France) Introduction : Comment est organisé le système administratif français ? Il repose sur une administration d’Etat qui comprend un appareil de conception au niveau des ministères (établis à Paris), et tout un réseau de structures d’exécution situées dans les territoires que sont les régions (il en existe désormais 13) et les départements (il en existe 101 actuellement). Cette organisation est pyramidale. Ainsi l’administration d’Etat en France comprend un niveau central et un ensemble d’organes « déconcentrés » qui dépendent étroitement du centre : c’est ainsi par exemple que le ministre commande aux préfets en région et dans les départements, qui sont nommés et révoqués par le Gouvernement. Parallèlement, il existe en France une administration dite « décentralisée », dans les communes (au nombre de 36.000), les départements et les régions. Elle est animée par des personnes élues par la population locale qui sont chargées d’exercer un certain nombre de compétences propres que l’Etat central leur a transférées dans le cadre de lois successives. Il résulte de cette évolution l’existence en France d’une administration publique particulièrement présente sur l’ensemble du territoire national. Les deux systèmes – le système d’Etat et le système des institutions locales décentralisées – ne s’ignore pas pour autant l’un l’autre. Leurs activités sont certes distinctes mais leur mission est commune : la satisfaction du Bien commun. Cet objectif les conduit à collaborer pour tendre vers une mise en œuvre optimum des politiques publiques qui appellent fréquemment des financements croisés. Ces coopérations sont multiples et s’établissent aussi bien entre l’Etat et les collectivités territoriales, qu’entre les collectivités territoriales entre elles (tantôt entre collectivités territoriales de même niveau – comme deux ou plusieurs régions ; tantôt entre collectivités territoriales de niveau différent – comme entre une commune, un département et une région). Ces collaborations prennent fréquemment forme dans le cadre de contrats entre ces différentes personnes publiques. C’est ainsi par exemple que l’Etat et les régions passent des contrats appelés « contrats de plan Etat-région », qui sont liés à la politique d’aménagement du territoire.
  • 2. 2 Les contrats de plan État-région Créés par la loi du 29 juillet 1982, portant réforme de la planification, les contrats de plan - aujourd’hui dénommés contrats de plan État-région (CPER) – sont des engagements sur la programmation et le financement pluriannuels de projets importants ; d’une durée de sept ans, il y en a eu plusieurs générations, celle qui couvre la période 2014-2020 étant la 6e : l’État s’est engagé à contractualiser une enveloppe totale de 12,5 milliards d’euros durant la période ; cinq orientations prioritaires ont été retenues pour cette nouvelle génération de CPER : 1) l’enseignement supérieur et la recherche ; 2) l’innovation, les filières d’avenir et l’usine du futur ; 3) la couverture du territoire en très haut débit et le développement des usages du numérique ; 4) la transition écologique et énergétique ; 5) les mobilités multimodales. Selon l’article 11 de la loi n° 82-653 du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification : « L’État peut conclure avec les collectivités territoriales, les régions, les entreprises publiques ou privées et éventuellement d’autres personnes morales, des contrats de plan comportant des engagements réciproques des parties en vue de l’exécution du plan et de ses programmes prioritaires. / Ces contrats portent sur les actions qui contribuent à la réalisation d’objectifs compatibles avec ceux du plan de la nation. Ils définissent les conditions dans lesquelles l’État participe à ces actions. / Le contrat de plan conclu entre l’État et la région définit les actions que l’État et la région s’engagent à mener conjointement par voie contractuelle pendant la durée du plan. (…) ». Puis l’article 12 de la loi du 29 juillet 1982 précitée précise : « Les contrats de plan (…) sont réputés ne contenir que des clauses contractuelles. » Il s’agit donc bien de véritables contrats au sens juridique du terme. Dans d’autres cas, la collaboration entre collectivités territoriales se développe dans un cadre non pas contractuel mais institutionnel : les collectivités intéressées se regroupent au sein d’une nouvelle personne morale (un établissement public) qui les regroupe et exerce des compétences qu’elles décident de lui transférer pour permettre la mutualisation des moyens. C’est tout particulièrement le cas de communes en France, très nombreuses mais aussi de taille souvent trop petite pour satisfaire les besoins de la population locale. Elles se fédèrent alors en créant un « établissement public de coopération intercommunale » (EPCI). Ce mouvement a connu en France de très importants développements depuis une vingtaine d’années. Certaines formes de regroupement ont permis à plusieurs communes de devenir des métropoles d’importance européenne (Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, par exemple). La question posée par notre sujet est de savoir comment se résolvent les conflits qui peuvent naître dans le cadre de ces différentes collaborations entre collectivités publiques. A cette question il y a plusieurs réponses possibles en droit français. La formule la plus pratiquée du moins à l’origine a été le recours au juge : en cas de conflit entre collectivités publiques, l’intervention du juge administratif sera recherchée (PREMIERE PARTIE). Mais aujourd’hui, la tendance est plutôt d’éviter le recours au contentieux juridictionnel. L’intervention du juge est en effet souvent tardive et l’on ne sait pas à l’avance quelle sera sa position dans un litige. Quelles autres solutions ? L’idée est d’abord de tout faire pour éviter que le litige survienne. Pour cela, il convient de promouvoir les formules juridiques qui vont permettre aux collectivités publiques de coopérer ensemble de façon suffisamment souple pour que les risques de conflit soient les plus réduits possibles. Ensuite, si jamais le conflit n’a pu être évité, il convient de promouvoir ce que l’on nomme des « modes alternatifs de règlement des litiges », auxquels renvoient différentes techniques juridiques comme la conciliation et la médiation. Nous présenterons ces différentes solutions dans notre seconde partie en évoquant la prévention des litiges entre collectivités publiques et leur résolution dans le cadre de solutions non juridictionnelles (DEUXIEME PARTIE).
  • 3. 3 La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République Afin d’accroître l’efficacité de l’action publique, la réforme territoriale a réduit le nombre de régions de 22 à 13. Le 31 juillet 2015, le Premier ministre a présenté, en Conseil des ministres, la liste des chefs-lieux provisoires des nouvelles régions ainsi que le dispositif de réaménagement des administrations territoires qui dessine une nouvelle carte territoriale. Les chefs-lieux définitifs seront fixés au plus tard le 1er octobre 2016, après avis des conseils régionaux issus des élections des 6 et 13 décembre 2015. La loi renforce le rôle de la région en matière de développement économique. Le département reste responsable des compétences de solidarité (aide et action sociale en faveur des personnes âgées ; aide et action sociale en faveur des adultes handicapés ; aide sociale à l’enfance ; lutte contre l’exclusion). Par ailleurs, la loi vise à renforcer les intercommunalités. Les intercommunalités passeront de 5 000 à 15 000 habitants.
  • 4. 4 Première Partie La résolution des litiges entre collectivités publiques dans le cadre du contentieux juridictionnel Dans le cadre du contentieux juridictionnel porté devant le juge administratif, cette résolution des litiges entre collectivités publiques peut être opérée par le jeu d’une procédure contentieuse : le déféré préfectoral. Mais elle peut également être réalisée grâce à la mise en œuvre de certaines règles propres au contentieux contractuel : on donnera ici un exemple récent tiré d’une affaire dont a eu à connaître le Conseil d’Etat : l’affaire Commune de Béziers (cette affaire a donné lieu à plusieurs décisions importantes rendues par le Conseil d’Etat entre 2009 et 2015). 1) Une procédure contentieuse : le déféré préfectoral Dans chaque région et dans chaque département en France il existe un représentant de l’Etat que l’on appelle le préfet. Selon la Constitution française, il est notamment chargé d’exercer le contrôle des actes des collectivités territoriales. Ce contrôle dit de tutelle, exercé par le représentant de l’État, constitue une des façons d’assurer la prééminence des intérêts nationaux sur les intérêts locaux et de faire prévaloir l’unité de l’ordre juridique français. Mais ce contrôle doit, par ailleurs, tenir compte du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et ne pas lui porter une atteinte excessive. La conciliation a été réalisée par le législateur avec la loi de décentralisation du 2 mars 1982, qui a mis en place un nouveau mécanisme de contrôle des actes administratifs des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. Il s’agit d’un contrôle de légalité exercé par les juridictions administratives mais déclenché à l’initiative du préfet : le déféré préfectoral. (Textes de référence : articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 du code général des collectivités territoriales). Pour faciliter la tâche du préfet, la loi a prévu que les collectivités territoriales doivent obligatoirement transmettre un certain nombre de leurs actes à la préfecture. C’est le cas, par exemple, pour : - les délibérations des assemblées locales ; - les décisions réglementaires ou individuelles prises par le maire dans l’exercice de son pouvoir de police ; - les permis de construire accordés par le maire ; - les conventions relatives aux marchés publics et aux emprunts ; - les conventions de délégation des services publics locaux ; - les décisions individuelles relatives à la nomination, à l’avancement, ou encore au licenciement des agents de l’administration. Si le préfet a un doute sur la légalité de ces actes, il en fait d’abord part aux élus locaux pour essayer de les convaincre de les modifier. Si ce dialogue est infructueux, il appartient alors au préfet de saisir la juridiction administrative pour demander au juge d’annuler les actes en cause. Le préfet dispose d’un délai de deux mois pour déférer au tribunal administratif les actes des collectivités territoriales et de leurs établissements publics dont il estime qu’ils méconnaissent le principe de légalité. On notera que ce délai de recours devant le juge administratif est
  • 5. 5 prorogé dans le cas où le préfet demande à la collectivité publique de lui transmettre des documents complémentaires, s’il estime ces documents nécessaires à l’examen de la légalité des actes transmis. Une telle demande, si elle est formulée avant l’expiration du délai de deux mois, conserve alors le délai imparti au préfet pour déférer, pour autant que les documents demandés soient effectivement indispensables à l’exercice du contrôle de légalité. Un nouveau délai de deux mois court à compter de la réception par le préfet des documents demandés ou du refus résultant du silence gardé pendant deux mois par l’autorité locale. On le voit, il s’agit ainsi de favoriser le dialogue entre le représentant de l’Etat et les collectivités territoriales avant l’éventuelle saisine du juge. Le législateur en France a effectivement recherché à définir différents moyens pour éviter une saisine du juge trop systématique en cas de conflit entre l’Etat et les collectivités territoriales. C’est ainsi que plutôt que de saisir tout de suite le juge administratif, le préfet a également la possibilité d’introduire un recours gracieux devant la collectivité publique pour lui demander de reconsidérer sa décision. L’exercice de ce recours gracieux par le préfet permet, comme dans le cas précédent, de conserver le délai du déféré préfectoral. Un nouveau délai de deux mois court à compter du refus de l’autorité locale de revenir sur son acte. Le préfet est donc incité à tenter d’entreprendre un dialogue avec la collectivité territoriale puisque cet effort de sa part n’aura pas d’incidence négative sur le délai ensuite pour saisir le juge administratif si jamais il n’arrive pas à convaincre les élus locaux. La saisine du juge est donc conçue comme l’ultime remède en cas de résistance des élus locaux. Si le préfet a dû finalement se résoudre à saisir le juge administratif, il sait que l’acte litigieux continuera de s’appliquer tant que le juge administratif ne l’aura pas définitivement annulé (En France, le recours au juge n’est pas suspensif de l’application des actes qui lui sont déférés, lesquels continuent donc de s’appliquer ; c’est ce que l’on appelle en droit administratif français : le « privilège du préalable »). Or, le temps du procès peut être long. Il importe donc que le préfet puisse très rapidement obtenir la suspension des effets de l’acte en cause. Pour ce faire, il a à sa disposition une procédure : en effet, il peut assortir son recours en annulation de conclusions à fin de suspension de l’acte de l’autorité locale, qui seront accueillies s’il existe seulement un « doute sérieux » quant à la légalité de la mesure contestée. La suspension est alors de droit dans un tel cas. Bien plus, il existe au profit du représentant de l’État un mécanisme de suspension automatique pour les actes pris par les communes intervenant en matière d’urbanisme et de contrats publics, car on estime que pour ces actes il faut éviter de créer des situations irréversibles (ce qui peut être le cas si l’annulation de ces actes intervient trop tardivement). Si le préfet présente au juge administratif une demande de suspension de ces actes dans les dix jours à compter du moment où il a reçu l’acte, cette demande entraîne automatiquement leur suspension : ils ne peuvent plus recevoir d’application. Le juge administratif a alors un mois pour statuer sur leur légalité. S’il ne respecte pas ce délai, l’acte en cause redevient exécutoire. (Texte de référence : article L. 2131-6, alinéa 4, du code général des collectivités territoriales). Enfin, le législateur a voulu que lorsque l’acte d’une collectivité locale porte spécifiquement atteinte à une liberté publique ou à une liberté individuelle, le préfet puisse obtenir le plus rapidement possible de la part du juge une décision de suspension de cet acte. Cette procédure est prévue à l’article L. 554-3 du code de justice administrative qui renvoie sur ce point au code général des collectivités territoriales. Voici ce qui se passe dans un tel cas de figure : « Lorsque l’acte attaqué est de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle, le président du tribunal administratif (…) en
  • 6. 6 prononce la suspension dans les quarante-huit heures. La décision relative à la suspension est susceptible d’appel devant le Conseil d’État dans la quinzaine de la notification. En ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d’État (…) statue dans un délai de quarante-huit heures. » On le voit, cette procédure devant la juridiction administrative, que l’on appelle la procédure de « référé-liberté », peut être particulièrement efficace dès lors que le temps du procès est très réduit. Quelques données chiffrées concernant le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales en France En 2013, l’Etat en France a consacré un peu plus de 150 millions d’euros de son budget pour organiser le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales dans ses préfectures. Ce budget ne permet pas d’assurer un contrôle de tous les actes transmis par les collectivités territoriales. Un tel contrôle serait d’ailleurs sans doute excessif. C’est la raison pour laquelle la circulaire ministérielle du 25 janvier 2012 relative à la définition nationale des priorités en matière de contrôle de légalité a défini un certain nombre de priorités. Au niveau national, trois secteurs comportant des enjeux plus élevés pour l’État ont été arrêtés : - les contrats publics, - l’urbanisme - et la fonction publique territoriale. Par ailleurs, le préfet définit à son tour des priorités locales en fonction des observations qui ont pu être relevées par ses services lors de contrôles antérieurs, de l’actualité locale ou de la sensibilité de certains projets. En conséquence, sur 5 242 948 actes transmis aux préfets par les collectivités territoriales en 2013, les actes prioritaires ayant fait l’objet d’un contrôle par les préfets n’ont représenté que 919 777 actes, soit 17,5% de l’ensemble. Par ailleurs, en 2013, 28 466 recours gracieux ont été adressés aux exécutifs locaux par les préfets. À ces recours gracieux, il faut ajouter 38 645 autres interventions (lettres, mails, contacts téléphoniques). En conséquence, 53 % des actes ont pu être retirés ou modifiés à la suite de ces initiatives des services préfectoraux. Au final, en 2013, 696 déférés préfectoraux et 407 demandes de suspension ont été déposés, ce qui est finalement peu important. Enfin, en 2013, 71,8 % des décisions juridictionnelles ont été favorables à l’État. On le voit, le déféré préfectoral n’a rien de systématique, la France ayant préféré les procédures souples à des procédures trop rigides. Source : France, Assemblée nationale, Rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2015 (n° 2234), octobre 2014.
  • 7. 7 2) De nouvelles procédures en matière contractuelle : l’affaire Commune de Béziers Cette affaire a donné lieu à plusieurs décisions importantes du Conseil d’Etat entre 2011 et 2015. Elle a été l’occasion pour notre juridiction administrative suprême d’ouvrir aux collectivités publiques, lorsqu’elles sont parties en litige dans un contentieux contractuel, la possibilité d’introduire devant le juge administratif un nouveau recours pour contester la validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Faits de l’espèce : Les communes de Béziers et de Villeneuve-lès-Béziers (dans le Sud de la France) avaient créé un syndicat intercommunal1 , ayant pour objet l’acquisition de terrains afin d’étendre une zone industrielle située sur le territoire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers. Une telle extension devant profiter principalement à cette dernière commune, puisqu’elle bénéficierait de la taxe professionnelle versée par les entreprises s’installant dans la zone industrielle, les deux communes conclurent, le 10 octobre 1986, pour compenser cet avantage, une convention aux termes de laquelle Villeneuve-lès-Béziers s’engageait à reverser à Béziers une fraction de la taxe professionnelle perçue sur les entreprises installées dans la zone2 . Cette convention, qui était conclue pour une durée illimitée, fut résiliée par la commune de Villeneuve-lès-Béziers à compter du 1er septembre 1996, conduisant la commune de Béziers à saisir le tribunal administratif de Montpellier d’une demande tendant à la condamnation de la commune de Villeneuve-lès-Béziers à lui verser une somme de quelque 3,8 millions de francs au titre de la non-exécution de la convention. Pour sa défense, la commune de Villeneuve-lès-Béziers avait invoqué la nullité de la convention, en raison d’un vice qui aurait été commis lors de la signature du contrat. Mais le Conseil d’Etat ne retint pas ce moyen de défense (CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802, dite affaire « Béziers I »). Parallèlement, la commune de Béziers avait également demandé au tribunal administratif l’annulation de la décision de résiliation de la convention par la commune de Villeneuve- lès-Béziers. Or, selon la jurisprudence antérieure, il était interdit au juge du contrat, saisi par l’une des parties, d’annuler une mesure d’exécution du contrat. En effet, selon une jurisprudence constante, « le juge du contrat, saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure d’exécution d’un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité ». Autrement dit, en cas de litige entre les parties à un contrat administratif, le juge administratif ne peut traditionnellement qu’allouer des dommages et intérêts à la partie lésée et rien d’autre. Mais cette jurisprudence, malgré son ancienneté, ne reposait, à la vérité, sur aucun fondement théorique clairement identifié. Aussi, le Conseil d’Etat a-t-il décidé de l’abandonner dans 1 Il s’agit d’un établissement public créé par des communes qui est destiné à leur permettre de coopérer sur des services d’intérêt commun ; il est doté d’une structure d’administration propre qui est mise en place par les communes membres, ce qui lui confère une certaine autonomie juridique. 2 En vertu de l’article 11 de la loi du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale dans sa version alors applicable, lorsqu’un groupement de communes créait ou gérait une zone d’activités économiques et que la taxe professionnelle était perçue par une seule commune sur le territoire de laquelle les entreprises étaient implantées, les communes membres du groupement pouvaient passer une convention pour répartir entre elles tout ou partie de la part communale de cette taxe.
  • 8. 8 l’affaire « Béziers II » en 2011 (CE, Sect., 21 mars 2011, n° 304806). Il a également profité de l’occasion pour créer un nouveau recours, dit en reprise des relations contractuelles. Ainsi, désormais, si le juge du contrat, saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure d’exécution d’un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité, une partie à un contrat administratif peut, toutefois, eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Cette partie au contrat doit exercer ce recours dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation. Il incombe alors au juge du contrat, saisi par une partie d’un recours contestant la validité d’une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu’il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, de déterminer s’il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n’est pas sans objet3 , à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d’une date qu’il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d’ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité. Force est de constater que dans l’affaire Commune de Béziers cette procédure n’a pas abouti, tout simplement parce que la commune de Béziers a en fait introduit beaucoup trop tardivement sa demande devant la juridiction administrative4 . Cette demande a donc été jugée irrecevable par le Conseil d’Etat5 . 3 La demande de reprise des relations contractuelles serait effectivement sans objet par exemple si le contrat a déjà été exécuté en totalité au moment où le juge est saisi. 4 En effet, il a résulté de l’instruction de cette affaire que la demande de la commune de Béziers dirigée contre la résiliation, par la commune de Villeneuve-lès-Béziers, de la convention du 10 octobre 1986, a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montpellier le 2 mars 2000 ; or, la commune de Béziers avait eu connaissance de cette mesure au plus tard par la lettre du 22 mars 1996, reçue le 25 mars suivant, par laquelle le maire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers avait informé le maire de Béziers de la résiliation de la convention à compter du 1er septembre 1996. Aussi, le Conseil d’Etat a jugé que dans ces conditions, la demande présentée par la commune de Béziers devant le tribunal administratif de Montpellier était tardive et, par suite, irrecevable. 5 Dans une ultime décision rendue en 2015, appelée « Béziers III » (CE 27 février 2015, n° 357028), le Conseil d’Etat a constaté que la commune de Villeneuve-lès-Béziers avait eu tort de résilier la convention qui la liait à la commune de Béziers. En effet, la seule circonstance, à la supposer établie, que la convention ne satisfaisait plus son intérêt ne saurait être regardée comme un motif d’intérêt général de nature à en justifier la résiliation unilatérale. De ce fait, la commune de Villeneuve-lès-Béziers a commis une faute en prononçant la résiliation unilatérale de cette convention comme elle l’a fait. Plus précisément, le Conseil d’Etat a relevé que le versement auquel s’était engagée la commune de Villeneuve-lès-Béziers avait pour contrepartie la renonciation de la commune de Béziers à percevoir une taxe sur des entreprises qui, du fait de l’implantation de la zone industrielle sur le territoire de la commune de Villeneuve-lès- Béziers, n’étaient imposables que par celle-ci ; or, cette renonciation était demeurée inchangée à la date de la résiliation litigieuse ; dans ces conditions, la contrepartie que la commune de Villeneuve- lès-Béziers tirait de la convention n’était pas affectée, et la convention n’avait donc pas perdu sa cause. Par ailleurs, comme la renonciation, par la commune de Béziers, à percevoir des recettes de taxe professionnelle continuait de produire ses effets au moment de la résiliation, l’équilibre économique de la convention litigieuse n’était nullement bouleversé par le fait que les équipements avaient été amortis.
  • 9. 9 En l’espèce, le juge administratif n’a de ce fait pas procédé au rétablissement des relations contractuelles entre les deux communes. On peut se demander si ce nouveau recours en reprise des relations contractuelles est véritablement efficace et susceptible d’aboutir en pratique. Il y a peu d’exemples pour l’instant en jurisprudence du fait que ce nouveau recours est né récemment. On donnera juste un exemple tiré d’une décision de 2012 rendue par le Conseil d’Etat qui montre comment un tel recours pourrait éventuellement aboutir favorablement (CE, 11 octobre 2012, n° 351440). Cette affaire est relative à un litige contractuel survenu entre un établissement public qui est chargé du logement des étudiants à l’université (le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) de l’académie de Lille) et une société privée de téléphonie mobile (la société Orange France). Par une convention conclue initialement en janvier 2000, le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) de l’académie de Lille avait autorisé la société Orange France à implanter des équipements techniques de radiotéléphonie sur le toit de la résidence universitaire. Puis, par une délibération du 28 septembre 2009, le conseil d’administration du CROUS avait décidé de prononcer unilatéralement la résiliation de la convention « au motif de travaux d’urgence à entreprendre sur la terrasse ». Un litige est ainsi né entre les deux cocontractants. Le juge administratif a été saisi. Devant le tribunal administratif, la société Orange France a obtenu satisfaction, le juge annulant la délibération du CROUS. Mais en appel, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement de première instance et a rejeté la demande de la société Orange France. Celle-ci a alors saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation. En l’espèce, le litige devait être analysé comme un recours contestant la validité de la mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles entre cette société et le CROUS. La question posée était de savoir si le CROUS, personne morale de droit public, était en droit de résilier la convention autorisant la société Orange France à implanter des équipements techniques de radiotéléphonie sur le toit de la résidence universitaire. Comme nous l’avons vu, la cour administrative d’appel avait répondu par l’affirmative. Or, selon le Conseil d’Etat la cour a commis une erreur de droit car elle a négligé une clause contenue dans le contrat entre le CROUS et la société Orange France, en vertu de laquelle le gestionnaire du domaine (le CROUS) s’engageait, en cas de travaux nécessaires au bon entretien de la dépendance domaniale occupée, à faire tout son possible pour trouver une solution de substitution afin de permettre au preneur (la société Orange France) de continuer à exploiter ses équipements. Selon le Conseil d’Etat, cette résiliation par la commune de Villeneuve-lès-Béziers était donc illégale et elle était de nature à engager sa responsabilité. La commune de Béziers était alors en droit d’obtenir réparation du préjudice résultant de cette résiliation fautive de la convention. La commune de Villeneuve-lès-Béziers a ainsi vu sa responsabilité contractuelle engagée et elle a été condamnée à réparer le dommage causé à la commune de Béziers (qui en l’espèce s’est élevé à la somme de près de 600.000 euros augmentée des intérêts).
  • 10. 10 L’arrêt de la cour administrative d’appel a donc été annulé par le Conseil d’Etat et celui-ci a décidé de lui renvoyer l’affaire pour qu’elle la juge en prenant en compte cet élément contractuel. Il appartiendra à la cour administrative d’appel de vérifier si dans les faits le CROUS a bien fait tout son possible pour trouver une solution de substitution permettant à la société Orange France de continuer son exploitation. On peut alors penser que si tel n’est pas le cas, le juge obligera sans doute le CROUS et la société Orange France à reprendre leurs relations contractuelles. En raisonnant par extension, on voit donc à travers cet exemple qu’il n’est pas impossible qu’en cas de litige cette fois-ci entre deux collectivités publiques le juge administratif puisse obliger les parties en conflit à devoir reprendre leurs relations contractuelles. La jurisprudence administrative donne en tout cas aujourd’hui au juge administratif les moyens pour qu’un tel résultat soit atteint. Il ressort toutefois des développements qui précèdent que le recours au juge administratif n’est pas nécessairement la solution la mieux adaptée pour résoudre les litiges entre collectivités publiques : - le recours au juge prend du temps et la solution du litige peut tarder à intervenir ; - de plus, comme on ne peut savoir à l’avance quelle sera la solution que retiendra le juge administratif, il y a là un risque juridique que les parties en litige peuvent ne pas vouloir courir. C’est la raison pour laquelle des efforts ont été accomplis en France pour essayer de trouver d’autres formes de règlement de ces litiges en évitant de faire appel au juge. Celles-ci passent aujourd’hui par des voies diverses qui se situent à la fois en amont du risque de litiges et en aval lorsque le risque s’est réalisé. Les formules juridiques correspondent à la coopération entre collectivités publiques pour prévenir la survenance de litiges ; et si le litige n’a pu être évité, sont alors activés ce que l’on appelle des « modes alternatifs de règlement des litiges » au nombre desquels on compte en particulier la conciliation et la médiation. Comment ces différentes procédures jouent-elles effectivement lorsque sont en litige des collectivités publiques ? Ce sont ces différentes solutions juridiques que l’on se propose de présenter dans notre seconde partie : La prévention des litiges entre collectivités publiques et leur résolution dans le cadre de solutions non juridictionnelles.
  • 11. 11 Deuxième Partie La prévention des litiges entre collectivités publiques et leur résolution dans le cadre de solutions non juridictionnelles En France, une importante réforme territoriale a été lancée ces dernières années. Tout est parti d’un constat largement partagé : notre pays est « suradministré » avec cinq voire six niveaux de décision : la commune, les groupements de communes (appelées également « intercommunalités »), le département, la région, l’Etat, mais aussi les institutions de l’Union européenne. N’est-ce pas trop ? Cette abondance d’administrations ne favorise-t- elle pas certaines formes de dilution des responsabilités ? N’est-elle pas trop coûteuse pour nos finances publiques déjà mal en point ? Manque d’efficacité et gaspillage financier sont souvent cités parmi les critiques les plus vives à l’encontre de notre système administratif. Les pouvoirs publics en France en sont conscients et tentent de réformer notre organisation administrative, sans toutefois y parvenir car ils rencontrent de fortes résistances de la part des différents intéressés. C’est ainsi que le Gouvernement a voulu récemment supprimer un des échelons administratifs – le département en l’espèce – mais a dû faire rapidement machine arrière face à la très vive hostilité des élus départementaux dont la majorité constitue actuellement le soutien politique du Gouvernement au Parlement où plusieurs de ces élus siègent grâce aux possibilités de cumul des mandats locaux et nationaux qu’autorise le droit français. Ce contexte n’est à l’évidence pas propice aux réformes d’envergure, ce qui explique certaines formes de blocages actuellement dans la société française. Cependant, si le système n’en fonctionne pas moins c’est parce que les règles qui l’organisent ne sont pas rigides. Tout au contraire, ces règles ont été conçues de façon souple dès l’origine. Cela explique que si le système administratif peut à juste raison apparaître comme excessivement développé en France, cette situation n’engendre pas de blocages insurmontables comme on pourrait le craindre. Tout l’art a effectivement consisté à trouver de façon continue les techniques juridiques devant permettre au système de bénéficier d’une grande élasticité. Celle-ci repose pour l’essentiel sur des solutions faisant une large part au dialogue entre les autorités publiques. Cet aspect est essentiel pour permettre le bon fonctionnement du système administratif français. Il faut bien voir en effet que la multiplication des échelons administratifs fait courir le risque en parallèle d’une multiplication des conflits de toutes sortes entre ces différents niveaux. A cela s’ajoute le fait qu’en France les administrations décentralisées (communes, départements et régions) sont entre les mains de personnes élues par les populations qu’elles sont chargées d’administrer, à la différence des administrations de l’Etat qui sont dirigées par des fonctionnaires nommés par le Gouvernement. Leur légitimité respective n’est pas de même nature. Face à des administrateurs élus par les populations locales, les agents de l’Etat nommés par le Gouvernement peuvent être enclins à compenser leur manque de légitimité démocratique en faisant valoir le fait qu’en France c’est l’Etat qui est seul souverain et non ses composantes territoriales. En cas de conflit, le risque est donc de faire apparaître une forte rigidité dans les rapports de force. Or, on ne peut gouverner durablement sur un tel schéma d’organisation. Il faut au contraire trouver les moyens pour pacifier ces relations entre collectivités publiques.
  • 12. 12 Comment faire ? Plutôt que de rechercher l’épreuve de force ou l’intervention du juge, le droit administratif français a mis en avant différentes solutions non juridictionnelles pour favoriser le dialogue entre les collectivités publiques. La réflexion s’est organisée à plusieurs niveaux : - pour éviter la survenance de conflits, deux mesures ont été préconisées, à savoir recourir à la coopération entre collectivités publiques pour créer suffisamment de liens entre elles, mais également favoriser le dialogue inter institutionnel grâce à l’intervention du préfet ; - et si le conflit n’a finalement pas pu être évité entre les collectivités publiques, chercher à le résoudre en recourant aux modes alternatifs de règlement des litiges. 1) Créer du lien entre collectivités publiques : le recours à la coopération Pour favoriser la concertation entre collectivités publiques, il existe en droit français des formes de coopération particulièrement souples que l’on qualifie aussi d’« associatives », pour les distinguer de formules visant une intégration plus poussée entre collectivités publiques et que l’on qualifie alors de « fédératives ». Ces dernières formules permettent la conduite collective de véritables projets de développement local. Mais si les collectivités publiques ne souhaitent pas aller aussi loin, elles peuvent dans ce cas recourir à des formules plus légères leur permettant de mettre en commun des moyens pour mieux gérer ensemble une activité particulière. Cette coopération souple entre collectivités publiques est rendue possible grâce à l’institutionnalisation de formules telles que les « ententes », « conventions » et autres « conférences ». Le code général des collectivités territoriales en prévoit ainsi à tous les niveaux de l’administration décentralisée. - Les « ententes, conventions et conférences intercommunales » (Articles L. 5221-1 et L. 5221-2 du code général des collectivités territoriales - CGCT) : Les ententes et conférences entre communes ont constitué les premières formes de coopération intercommunale (Leur régime juridique a été défini initialement par la loi municipale du 5 avril 1884). L’entente ne peut pas être imposée. Aucune création d’office n’est prévue et seule l’unanimité permet de s’engager dans une entente. L’objet de l’entente doit entrer dans les attributions des personnes morales qui participent à une entente. Sous cette seule réserve, l’objet de l’entente peut être large. L’entente peut consister à faire assurer par un des membres des prestations de services. L’entente n’a pas la personnalité morale. Elle n’est pas dotée de pouvoirs autonomes même par délégation des collectivités membres. Toutes les décisions prises doivent, pour être exécutoires, être ratifiées par l’ensemble des organes délibérants intéressés. Les membres d’une entente peuvent passer entre eux des conventions à l’effet d’entreprendre ou de conserver à frais communs des ouvrages ou des institutions d’utilité commune : ces institutions d’utilité commune étaient en 1884 des établissements d’enseignement ou de bienfaisance ; aujourd’hui, les ouvrages ou institutions d’utilité commune répondent aux besoins entrant dans le champ des compétences des collectivités locales. Exemple : Une convention peut être conclue en vue de constituer un groupement de commandes pour la désignation d’un opérateur commun pour la passation d’un marché portant sur la collecte et le traitement des ordures ménagères. En se groupant ainsi, les communes peuvent obtenir des prix plus intéressants.
  • 13. 13 Exemple : Une commune signe avec un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), dont elle n’est pas membre, une convention ayant pour objet d’instaurer une entente entre eux, visant à confier à l’établissement public de coopération intercommunale l’exploitation du service public de distribution d’eau potable sur le territoire de la commune. Cette convention a pour objet de faire prendre en charge par l’EPCI le service public de distribution d’eau de la commune, jusqu’alors exploité dans le cadre d’une convention avec une entreprise du secteur privé. L’EPCI exerçant cette compétence de la distribution d’eau sur son propre territoire, l’entente tend à l’exploitation d’un même service public, en continuité géographique, sur l’ensemble du territoire couvert par ces deux personnes publiques, sous la responsabilité opérationnelle de l’EPCI. Exemple : De telles conventions peuvent également porter sur des opérations d’investissement (création d’ouvrages) ou d’entretien d’ouvrages (conservation). Article L. 5221-1 CGCT Deux ou plusieurs conseils municipaux, organes délibérants d’établissements publics de coopération intercommunale ou de syndicats mixtes peuvent provoquer entre eux, par l’entremise de leurs maires ou présidents, une entente sur les objets d’utilité communale ou intercommunale compris dans leurs attributions et qui intéressent à la fois leurs communes, leurs établissements publics de coopération intercommunale ou leurs syndicats mixtes respectifs. Ils peuvent passer entre eux des conventions à l’effet d’entreprendre ou de conserver à frais communs des ouvrages ou des institutions d’utilité commune. Article L. 5221-2 CGCT Les questions d’intérêt commun sont débattues dans des conférences où chaque conseil municipal et organe délibérant des établissements publics de coopération intercommunale ou des syndicats mixtes est représenté par une commission spéciale nommée à cet effet et composée de trois membres désignés au scrutin secret. Le représentant de l’Etat dans le ou les départements concernés peut assister à ces conférences si les communes, les établissements publics de coopération intercommunale ou les syndicats mixtes intéressés le demandent. Les décisions qui y sont prises ne sont exécutoires qu’après avoir été ratifiées par tous les conseils municipaux, organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale ou des syndicats mixtes intéressés (…). - Les « ententes, conventions et conférences interdépartementales » (Articles L. 5411-1 et 2 CGCT) – qui débattent de questions d’intérêt interdépartemental mais sans pouvoir prendre de décisions exécutoires – et les « institutions ou organismes interdépartementaux » (Articles L. 5421-1 à 6 CGCT) – qui sont des établissements publics, investis de la personnalité civile et de l’autonomie financière. Cette forme de coopération interdépartementale est ancienne en France puisqu’elle a été instaurée par une loi du 10 août 1871. Deux ou plusieurs conseils départementaux peuvent provoquer entre eux, par l’entremise de leurs présidents, une « entente » sur les objets d’utilité départementale compris dans leurs attributions et qui intéressent à la fois leurs départements respectifs. L’entente peut débattre de questions d’intérêt commun dans le cadre de « conférences ». La création d’une entente interdépartementale n’a pas à être autorisée par le préfet. L’entente n’a pas la personnalité morale. Elle n’est pas dotée de pouvoirs autonomes même par
  • 14. 14 délégation des assemblées départementales. Toutes les décisions prises doivent, pour être exécutoires, être ratifiées par l’ensemble des conseils départementaux intéressés. Les conseils départementaux peuvent aussi passer entre eux des « conventions », à l’effet d’entreprendre ou de conserver à frais communs des ouvrages ou des institutions d’utilité commun. Quant aux « institutions ou organismes interdépartementaux », ils relèvent d’une conception différente de celle de l’entente. Ils sont dotés de la personnalité civile et disposent de l’autonomie financière. Ils bénéficient donc de ressources propres. Ils sont administrés par des conseillers départementaux élus à cet effet. Leurs règles de fonctionnement et de gestion sont identiques à celles des conseils départementaux. Exemple : L’entente interdépartementale, qui vise à réunir deux ou plusieurs départements sur les « objets d’utilité départementale » entrant dans le cadre de leurs compétences et leurs intérêts, a été la formule utilisée à une époque pour permettre en France la démoustication sur le littoral méditerranéen. On retrouve aujourd’hui cette formule par exemple dans la région Rhône-Alpes où une telle entente a été créée entre quatre départements (départements de l’Ain, l’Isère, le Rhône et la Savoie) sur une zone d’action s’étendant sur plus de deux cents communes. Pour lutter contre la prolifération des moustiques, l’entente interdépartementale est notamment chargée de faire une expertise pour identifier les lieux de développement et mettre ensuite en place les méthodes nécessaires à la destruction des insectes nuisibles dans l’intérêt des populations locales et des touristes. Exemple : Pour réaliser un plan de développement de la vallée du Lot (rivière française du sud du Massif central), une convention a été signée entre l’Etat, cinq départements et quatre régions concernés, les objectifs poursuivis dans ce cadre étant au nombre de trois : réaliser plusieurs bassins navigables ; accompagner les activités économiques et touristiques liées à l’eau ; protéger et valoriser l’environnement. L’organisme gestionnaire est ici une entente interdépartementale. Article L. 5411-1 CGCT Deux ou plusieurs conseils départementaux peuvent provoquer entre eux, par l’entremise de leurs présidents, une entente sur les objets d’utilité départementale compris dans leurs attributions et qui intéressent à la fois leurs départements respectifs. Ils peuvent passer entre eux des conventions, à l’effet d’entreprendre ou de conserver à frais communs des ouvrages ou des institutions d’utilité commune. Article L. 5411-2 CGCT Les questions d’intérêt commun sont débattues dans des conférences où chaque conseil départemental est représenté. Les décisions qui y sont prises ne sont exécutoires qu’après avoir été ratifiées par tous les conseils départementaux intéressés. Article L. 5421-1 CGCT Les institutions ou organismes interdépartementaux sont librement constitués par deux ou plusieurs conseils départementaux de départements même non limitrophes ; ils peuvent également associer des conseils régionaux ou des conseils municipaux. Les institutions ou organismes interdépartementaux sont des établissements publics, investis de la personnalité civile et de l’autonomie financière. Ils sont administrés conformément aux règles édictées pour la gestion départementale.
  • 15. 15 Leur administration est assurée par les conseillers départementaux élus à cet effet. Lorsqu’ils associent des conseils régionaux ou des conseils municipaux, (…) leur conseil d’administration comprend des représentants de tous les conseils ainsi associés. - Cette coopération existe également entre régions sous la forme de « conventions ou institutions d’utilité communes interrégionales » (Article L. 5611-1 CGCT) et d’« ententes interrégionales » (Articles L. 5621-1 à 9 CGCT) – établissements publics constitués à la demande de plusieurs régions limitrophes et disposant de compétences attribuées par les régions. L’entente interrégionale est un établissement public qui associe plusieurs régions ayant un territoire continu. L’entente interrégionale est créée par décret en Conseil d’État sur délibérations concordantes des conseils régionaux, et après avis des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux. La décision institutive détermine le siège de l’entente. Une région peut adhérer à plusieurs ententes. Dans ce cas, elle définit par convention avec chacune de ces ententes les compétences que celles-ci exercent sur tout ou partie de ce territoire, sous réserve qu’une même compétence, sur une partie de ce territoire, ne soit déléguée qu’à une seule entente. L’entente interrégionale est administrée par un conseil composé de délégués des conseils régionaux. Le conseil règle par ses délibérations les affaires relevant de la compétence de l’entente interrégionale. D’une façon générale, les règles relatives au fonctionnement du conseil ainsi que celles relatives à l’exécution de leurs délibérations sont celles fixées pour les régions. L’entente interrégionale exerce les compétences énumérées dans la décision institutive en lieu et place des régions membres. Elle assure la cohérence des programmes des régions membres. A ce titre, elle peut conclure avec l’État des contrats de plan au lieu et place des régions qui la composent, dans la limite des compétences qui lui ont été transférées. Toute modification de la décision instituant l’entente interrégionale est prononcée par décret en Conseil d’État sur proposition du conseil de l’entente et après délibérations concordantes des conseils régionaux des régions membres. Une région membre peut se retirer après décision prise à l’unanimité par le conseil de l’entente. L’entente peut être dissoute, à la demande du conseil régional d’une région membre, dans les conditions prévues par décret en Conseil d’Etat. Exemple : Une convention a été signée en 1977, entre, d’une part, les régions de Languedoc-Roussillon, de Midi-Pyrénées et d’Aquitaine et, d’autre part, l’État, en vue de la modernisation du canal du Midi qui traverse ces différentes régions du Sud- Ouest de la France. Article L. 5611-1 CGCT Deux ou plusieurs régions peuvent, pour l’exercice de leurs compétences, conclure entre elles des conventions ou créer des institutions d’utilité commune. Article L. 5621-1 CGCT L’entente interrégionale est un établissement public qui associe plusieurs régions ayant un territoire continu. (…). L’entente interrégionale est créée par décret en Conseil d’Etat sur délibérations concordantes des conseils régionaux (…), et après avis des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux. La décision institutive détermine le siège de l’entente. Une région peut adhérer à plusieurs ententes. Dans ce cas, elle définit par convention avec chacune de ces ententes les compétences que celles-ci exercent sur tout ou partie de son
  • 16. 16 territoire sous réserve qu’une même compétence, sur une même partie de ce territoire, ne soit déléguée qu’à une seule entente. Ces conventions sont approuvées par chacune des ententes auxquelles la région concernée adhère. Elles sont transmises au représentant de l’Etat du siège de chacune de ces ententes et à celui de la région concernée. - Mais une des formules les plus utilisées, car elle permet de rapprocher plusieurs collectivités de niveaux différents, est celle des « syndicats mixtes, association des collectivités territoriales, des groupements de collectivités territoriales et d’autres personnes morales de droit public » (Articles L. 5721-1 à L. 5721-9 du code général des collectivités territoriales). Le syndicat mixte est ici un établissement public. Au 1er janvier 2014, on comptait en France 3 187 syndicats mixtes. Exemples : On trouve en France des syndicats mixtes dans de nombreux secteurs d’activité comme les transports publics, l’eau et l’assainissement, la gestion des déchets, la distribution d’électricité et de gaz, etc. – ce que l’on appelle les « services de proximité » car proches des besoins des administrés. Article L. 5721-2 CGCT Un syndicat mixte peut être constitué par accord entre des institutions d’utilité commune interrégionales, des régions, des ententes ou des institutions interdépartementales, des départements, la métropole de Lyon, des établissements publics de coopération intercommunale, des communes, (…), des chambres de commerce et d’industrie territoriales, d’agriculture, de métiers et d’autres établissements publics, en vue d’œuvres ou de services présentant une utilité pour chacune de ces personnes morales. Le syndicat mixte doit comprendre au moins une collectivité territoriale ou un groupement de ces collectivités. (…) 2) Favoriser le dialogue inter institutionnel : le rôle du préfet Comme nous venons de le voir, il existe en France différentes solutions pour créer des liens d’intérêt entre collectivités publiques, qui empruntent tantôt des voies institutionnelles tantôt conventionnelles. Mais, elles ne peuvent à elles seules suffire pour empêcher la survenance de conflits entre ces collectivités partenaires. Il est donc nécessaire de compléter le dispositif en ajoutant une pièce supplémentaire chargée d’arbitrer les éventuels litiges, sans qu’il s’agisse d’un juge. Dans la tradition administrative française, favoriser le dialogue inter institutionnel est l’un des rôles éminents qui incombe au préfet dans les régions et les départements. En France, l’institution du préfet est ancienne : elle remonte au tout début du XIXème siècle, à l’initiative de Napoléon Bonaparte. La nomination en qualité de préfet est effectuée par décret du Président de la République en conseil des ministres, sur proposition du Premier ministre et du ministre de l’intérieur. Aujourd’hui, le corps préfectoral s’est professionnalisé avec la création en 1945 de l’Ecole nationale d’administration (ENA), dont sont issus la plupart des préfets en exercice. Ce sont de hauts fonctionnaires qui représentent l’Etat et le Gouvernement dans les régions et les départements.
  • 17. 17 Article 72 de la Constitution française du 4 octobre 1958 : « Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l’État, représentant de chacun des membres du Gouvernement, à la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. » Parmi les nombreuses et importantes fonctions que le préfet assume, il en est une qui concerne plus particulièrement notre sujet. Nous avons vu dans notre première partie que le préfet est chargé du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales et qu’il peut saisir le juge administratif, dans le cadre d’une procédure spécifique : le déféré préfectoral, en cas de litige persistant entre lui et les élus locaux. Ce contrôle des normes juridiques est un aspect de la fonction de régulation exercée par le préfet, qui revêt aujourd’hui une importance d’autant plus grande qu’il s’agit d’une des attributions essentielles autour de laquelle l’État se recentre dans le système d’Etat de droit mis en place en France. Mais le préfet est également représentant du Gouvernement A ce titre, il est chargé de mettre en œuvre dans les territoires les différentes politiques voulues par la nation, en fonction des choix du Gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation » (selon l’article 20 de la Constitution française). L’action du préfet se développe ici à plusieurs niveaux : Ainsi, par exemple, en matière d’aménagement du territoire, l’action du préfet a pour objectif d’harmoniser et d’encourager le développement et la répartition des équipements et des activités sur l’ensemble du territoire, en valorisant les atouts et en réduisant les handicaps. Ces équilibres ne peuvent être atteints qu’avec la participation des différents partenaires. Aussi, le préfet de région se doit d’engager un dialogue avec le président du conseil régional afin d’aboutir au croisement des ambitions, des priorités et des moyens, dans la démarche concertée du contrat de plan État-Région. De même, le préfet de département doit chercher à élaborer avec le président du conseil départemental des politiques qui mobilisent tous les décideurs sur un projet d’ensemble (logement, action sociale, etc.). Par ailleurs, s’agissant des politiques de développement économique, l’action du préfet doit là aussi privilégier le dialogue avec tous les partenaires qui se trouvent sur place pour encourager la modernisation des entreprises, l’exportation, l’innovation technologique, mais aussi les politiques de solidarité. Responsable de l’efficacité des actions publiques sur le terrain, chaque préfet doit savoir mobiliser tous les moyens à sa disposition pour faire que l’offre s’accorde effectivement avec la demande. Le relais des élus locaux peut en l’espèce être tout à fait essentiel pour parvenir au résultat. Ce n’est pas la règle de droit qui a elle seule permettra de l’atteindre. Le préfet devra également faire preuve d’une particulière aptitude à l’action par le dialogue inter institutionnel. On le voit, l’une des qualités que les préfets doivent savoir développer c’est d’être continuellement en mesure d’animer un courant permanent d’échanges d’informations à la fois pour transmettre vers le Gouvernement les préoccupations et réactions des élus et des populations et également pour diffuser, expliquer et faire partager les politiques ministérielles auprès des publics locaux qui sont concernés. C’est une véritable courroie de transmission qui doit fonctionner dans un sens ascendant (vers le pouvoir central) et descendant (vers le terrain).
  • 18. 18 Bien entendu, le préfet n’est pas seul face à l’immensité de la tâche qu’il doit mener à bien. Il dispose de collaborateurs à ses côtés : - C’est ainsi, par exemple, que l’on trouve dans les préfectures des départements une direction des relations avec les collectivités locales placée auprès du préfet, qui est chargée notamment du conseil juridique auprès des élus locaux. - De même, au niveau de la préfecture de région on trouve le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR), dont l’un des pôles est chargé de l’animation régionale des politiques publiques. Il lui appartient en particulier : - d’animer le dialogue inter institutionnel avec les collectivités territoriales, - d’assurer le pilotage du contrat de plan entre l’Etat et la région (élaboration, modification, suivi et évaluation), - de veiller à l’équilibre entre les territoires au sein de la région (notamment pour l’attribution des crédits d’intervention) et à l’articulation avec et entre les départements qui composent la région (une circulaire du Premier ministre en date du 29 septembre 20156 est venue redéfinir en ce sens le rôle du secrétariat général pour les affaires régionales - SGAR). On le voit, le système administratif français a prévu la mise en place de différents services destinés à permettre le dialogue inter institutionnel, avec au centre de ce dispositif le préfet qui est représentant de l’Etat et du Gouvernement dans les régions et les départements. Que se passe-t-il lorsque le conflit n’a pas pu être évité entre collectivités publiques ? On va le voir, il est alors possible de ne pas saisir immédiatement le juge, mais de préférer le recours à des procédures non juridictionnelles que l’on appelle des « modes alternatifs de règlement des litiges ». 3) Résoudre les conflits entre collectivités publiques : le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges Le système administratif français présente certaines lourdeurs qui sont dues notamment à la multiplication d’instances qui sont souvent le fruit de l’Histoire et que l’on n’a pas toujours eu la volonté politique de faire disparaître. Aussi parle-t-on en France du « millefeuille administratif » - ce qui fait référence à une pâtisserie française assez épaisse avec plusieurs couches de crème. C’est très nourrissant et, avouons-le, plutôt lourd à digérer ! Mais cette image traduit bien le problème français. Toutefois, le système administratif français parvient à fonctionner car malgré ces lourdeurs institutionnelles, dont on ne peut nier la réalité, il ne se coule pas dans un moule juridique rigide. Les acteurs disposent de beaucoup de liberté pour agir et ils savent s’en servir pour régler les éventuels litiges qui peuvent survenir dans leurs relations. C’est ainsi que si les collectivités publiques viennent à rencontrer des difficultés pour s’entendre et poursuivre ensemble une action qu’elles ont décidé d’entreprendre, il leur est possible de ne pas confier immédiatement au juge administratif le soin de les départager. Il est vrai que la saisine du juge administratif ne résout pas à elle seule tous les problèmes. Comme nous l’avons dit, le procès dure parfois longtemps, ce qui n’est peut-être pas de l’intérêt des 6 Circulaire du Premier ministre, du 29 septembre 2015, adressée aux préfets de région, portant sur la réforme territoriale de l’Etat, n° 5812/SG.
  • 19. 19 collectivités publiques en conflit. De plus, l’issue d’un procès est toujours plus ou moins aléatoire et il n’est pas sûr que celui qui se croit dans son bon droit gagne son procès. C’est la raison pour laquelle, il a fallu imaginer des solutions non juridictionnelles à la résolution des litiges. Celles-ci sont en plein développement dans le droit français. Elles concernent à la fois les personnes privées mais aussi les personnes publiques. Ce sont ce que l’on appelle les « modes alternatifs de règlement des litiges ». Il faut tout de suite dire que ces « modes alternatifs de règlement des litiges » sont encore peu développés en France en cas de litige entre les personnes publiques. Il y a une raison à cela : en droit administratif français il existe beaucoup de règles dites d’ordre public auxquelles il est interdit de déroger. Or, le risque existe de leur porter atteinte lors de la mise en œuvre de procédures alternatives de règlement des litiges. Cela freine les ardeurs. Il y a donc là un obstacle pour les personnes publiques qui hésiteront à recourir à ces procédures, de crainte qu’en cas de saisine ultérieure du juge administratif, par exemple par un administré mécontent, elles soient condamnées et que la solution à laquelle elles seront parvenues soit invalidée. Toutefois, le droit administratif français évolue progressivement. Dans une société de plus en plus complexe il est devenu de moins en moins pertinent de multiplier des règles de droit trop rigides. La complexité de nos sociétés exige de plus en plus souvent le recours à des règles de droit souples. Les acteurs de la société doivent bénéficier d’une certaine marge de manœuvre dans leurs relations juridiques. Certes la règle de droit doit être la même pour tous, mais il faut prévoir des possibilités d’ajustements pour éviter toute forme de blocage. C’est ce qui caractérise aujourd’hui de plus en plus fréquemment la fabrication du droit administratif en France. Dans ces conditions, le recours au juge en cas de litige peut devenir moins systématique. Les parties en litige sont invitées en effet à préférer les solutions amiables puisqu’elles sont incitées par la règle de droit elle-même à trouver un compromis entre elles. Deux techniques permettent de parvenir à ce résultat : la conciliation7 et la médiation. Il s’agit de deux procédures proches l’une de l’autre8 qui ont fini par se frayer un chemin au sein des différentes administrations, où l’on trouve de plus en plus de médiateurs chargés de trouver une issue à un conflit opposant tout particulièrement une administration avec des particuliers ou des entreprises privées. L’intérêt de recourir à ces deux procédés réside essentiellement dans le gain de temps pour résoudre le litige et dans le fait que l’on évite de porter sur la place publique un différend. Gain de temps et avantage réputationnel sont effectivement les aspects les plus positifs qui s’attachent à ces précédés. Il n’y a donc pas de raison qu’ils ne soient pas également utilisés en cas de litige opposant cette fois-ci deux ou plusieurs collectivités publiques entre elles. On peut même dire qu’elles y recourent de longue date en France, même si c’est sous des aspects peu formalisés. En effet, si le recours au juge 7 Le législateur a même prévu la possibilité pour le juge administratif d’organiser une mission de conciliation à la demande des parties en procès devant lui. Voir l’article L. 211-4 du code de justice administrative : « Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, les chefs de juridiction peuvent, si les parties en sont d'accord, organiser une mission de conciliation et désigner à cet effet la ou les personnes qui en seront chargées. » 8 Il s’agit de processus structurés, par lesquels deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers.
  • 20. 20 se comprend lorsque le rapport de force entre les parties en litige est inégal, l’intervention du juge étant alors une garantie pour la partie faible, il n’en va pas nécessairement exactement de même lorsque le litige survient entre personnes publiques, celles-ci opérant davantage dans un cadre où s’affrontent non pas un intérêt privé face à un intérêt public mais deux intérêts publics de même nature. On comprend que dans ces conditions la saisine du juge ne soit conçue que comme un ultime recours si jamais les personnes publiques n’ont pas réussi à trouver un compromis entre « gens du même monde ». Le recours à la conciliation ou à la médiation, plutôt qu’au juge, est donc assez naturel dans les relations entre personnes publiques. On a d’ailleurs pu constater dans les passages précédents que les préfets étaient en particulier chargés de jouer ce rôle d’intermédiaires à l’intérieur du cercle des personnes publiques. Faut-il aller plus loin et formaliser davantage de tels procédés « alternatifs » de règlement des litiges entre personnes publiques ? Il ne semble pas urgent de les concevoir sous des formes qui devraient les rapprocher des procédés de conciliation et de médiation qui existent en droit privé où ils sont davantage formalisés. Pour l’heure, le sujet le plus important n’est donc pas celui de la création de nouvelles procédures amiables pour régler les litiges entre personnes publiques. Il réside plutôt dans la question de savoir comment faire en sorte que la sécurité juridique des accords éventuellement conclus au terme d’une procédure amiable soit effectivement préservée. En effet, lorsque des personnes publiques sont en litige, elles peuvent s’entendre en empruntant une voie purement politique. Elles peuvent également chercher à trouver un compromis qui prendra la forme d’un contrat en bonne et due forme. Ce contrat existe en droit français : il s’agit du contrat de transaction. On constate que depuis une quinzaine d’années le contrat de transaction a fait l’objet en France d’une série de décisions jurisprudentielles qui sont venues en affermir les contours. La transaction est un contrat écrit, permettant de terminer une contestation née ou de prévenir une contestation à naître9 . Elle permet de clore une conciliation ou une médiation, en cas de succès10 . La faculté de transiger est une possibilité offerte à l’Etat de longue date11 . Quant aux collectivités territoriales et établissements publics locaux, ils peuvent transiger librement depuis la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions12 . L’objet de la transaction doit être licite. L’article 6 du code civil dispose que l’on ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public. Cette règle, 9 Conformément à l’article 2044 du code civil. 10 Toutefois, à l’issue d’une conciliation ou d’une médiation réussie, l’accord des parties peut prendre toute forme qu’elles souhaitent. 11 Elle a été reconnue à l’Etat par le juge administratif à la fin du XIXème siècle (CE, 23 décembre 1887, de Dreux-Brézé, évêque de Moulins, Rec. p. 842 ; CE, 17 mars 1893, Compagnie du Nord, de l’Est et autres, Rec., p. 245). 12 CE, Section des travaux publics, avis n° 359996, 21 janvier 1997.
  • 21. 21 applicable à tous les contrats et donc aux transactions, revêt une importance particulière lorsqu’elle s’applique aux personnes publiques. L’administration ne peut pas, par voie transactionnelle, renoncer à une compétence. Elle ne peut davantage faire, par voie de transaction, des actions qui lui sont interdites par la loi, comme par exemple vendre une parcelle du domaine public. Plus généralement, les questions de légalité sont hors du champ de la transaction. Ainsi l’administration ne peut pas transiger, en accordant une compensation financière pour permettre le maintien d’une décision illégale. Des concessions réciproques doivent être consenties. Le juge administratif pourra vérifier, s’il est saisi, la réciprocité et l’équilibre des concessions13 et il sanctionnera les transactions ne comportant manifestement pas d’équilibre dans les concessions réciproques des parties14 . Il donne, cependant, aux parties une marge de manœuvre importante dans l’élaboration d’un compromis. Les engagements ne doivent pas nécessairement être équivalents et peuvent ne pas être de même nature15 . La personne publique ne doit pas se livrer à une libéralité16 . En effet, selon la jurisprudence administrative, une personne publique ne peut pas être condamnée à payer une somme qu’elle ne doit pas17 . Cette règle est d’ordre public. Aussi, lorsqu’il est saisi soit d’une demande d’homologation d’une transaction, soit d’un litige portant sur l’exécution de celle-ci, le juge administratif vérifie-t-il que les prétentions contre l’administration, qui ont servi de base à la négociation, étaient fondées. S’il estime que tel n’était pas le cas, il soulève d’office ce moyen, pour écarter l’application de l’accord intervenu. La jurisprudence administrative fait toutefois une application souple de cette règle. Par exemple, dans un contentieux de la responsabilité, « Ce qui est d’ordre public, ce n’est pas une éventuelle exagération de l’indemnité [...] supérieure au préjudice subi, à moins que la disproportion ne soit telle que la prétendue transaction ne devienne une libéralité [...] »18 . La jurisprudence interdit ainsi les libéralités mais elle ne prive pas les parties de la marge d’appréciation qui peut s’avérer nécessaire pour conclure la transaction. Effet extinctif de la transaction. Lorsqu’une transaction a été régulièrement conclue et que les parties ont exécuté les obligations qu’elle comporte, elle fait obstacle à tout recours juridictionnel ultérieur concernant le même litige. Un tel recours est irrecevable. Effet relatif de la transaction. Comme tout contrat, la transaction n’a d’effet qu’entre les parties. Une transaction à laquelle une personne publique n’est pas partie ne lui est, en aucun cas, opposable. L’homologation de la transaction par le juge. Il peut arriver que les parties souhaitent obtenir une validation juridictionnelle de la transaction conclue par la voie de l’homologation. 13 CE, 29 décembre 2000, M. Comparat, Rec. p. 658. 14 CE, Section, 19 mars 1971, sieur Mergui, Rec., p. 235. 15 CE, Assemblée, 11 juillet 2008, société Krupp Hazemag, n° 287354 ; Rec., p. 273. 16 Il s’agit d’un acte par lequel quelqu'un procure à autrui un avantage sans contrepartie. 17 CE, Section, 19 mars 1971, sieur Mergui, Rec. p. 235. 18 Conclusions de M. Rougevin-Baville sur la décision Mergui (CE, Section, 19 mars 1971, sieur Mergui, précité).
  • 22. 22 Elle n’est toutefois pas nécessaire19 et ne peut être demandée au juge administratif que lorsque son exécution rencontre une difficulté particulière. Si aucun texte ne prévoit une procédure d’homologation devant le juge administratif, le Conseil d’Etat a cependant ouvert une voie de droit prétorienne, en admettant la recevabilité d’une demande d’homologation présentée au juge administratif, en dehors de toute instance juridictionnelle « dans l’intérêt général, lorsque la conclusion d’une transaction vise à remédier à une situation telle que celle créée par une annulation ou la constatation d’une illégalité qui ne peuvent donner lieu à régularisation ou lorsque son exécution se heurte à des difficultés particulières »20 . Saisi d’une demande d’homologation, le juge administratif se livre alors à une vérification qui porte, en particulier, sur la licéité de l’objet, l’absence de libéralité et la conformité à l’ordre public. En cas de refus d’homologation pour illégalité, celui-ci rend la transaction nulle et de nul effet21 . On le voit, le Conseil d’Etat a admis l’existence d’un recours en homologation de la transaction devant le juge administratif. Ce faisant, il a contribué à rendre un peu moins « alternatif » ce mode de règlement du litige. En France, il est sans doute difficile de faire totalement abstraction du juge. Nous avons organisé notre exposé en distinguant les solutions juridictionnelles et les solutions non juridictionnelles pour la résolution des litiges entre personnes publiques. On voit bien là combien ce choix était surtout guidé par la volonté d’un universitaire d’essayer de faire une présentation aussi claire que possible des solutions françaises. Mais, tout en remerciant le public qui a eu la patience de m’écouter, je dois humblement vous avouer qu’en pratique le droit français en général et le droit administratif en particulier n’ont pas le bel ordonnancement des jardins dits « à la française » que l’on trouve dans nos châteaux sur les bords de la Loire. Cela en fait toute la difficulté, mais aussi peut-être tout le charme… 19 La transaction constitue, en elle-même, un titre exécutoire ; aussi, le recours à l’homologation par le juge administratif doit-il rester exceptionnel. 20 Avis du Conseil d’Etat rendu en Assemblée le 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second degré du district de L’Hay-les-Roses, n° 249153 ; Rec. p. 433. 21 Pour un exemple : CAA Lyon, 7 janvier 2010, société Brace ingénierie, n° 08LY00326.