Nathalie Coulon et Geneviève Cresson (dir.) La petite enfance Entre familles et crèches, entre sexe et genre (Dir)
1. Malgré la juxtaposition de chapitres sur des lesquels posent de nombreuses questions sur les
enquêtes dont les terrains sont très divers, et dont rapports patientes-médecins : choix des méthodes
on peine à trouver un fil conducteur, cet ouvrage pour accoucher, accès aux préparations à l’accou-
est riche en travaux exploratoires. Il ouvre, en chement, recours à la péridurale, épisiotomie,
effet, sur une série de recherches qui seraient à césarienne, etc.
mener, notamment dans une perspective compa-
rative avec les pratiques dans d’autres pays.
Sandrine Dauphin
Pourraient être ainsi comparés le suivi de la CNAF – Rédactrice en chef
grossesse et les conditions d’accouchement, de Politiques sociales et familiales
Nathalie Coulon et Geneviève Cresson (dir.)
La petite enfance
Entre familles et crèches, entre sexe et genre
2007, Paris, L’Harmattan, collection Logiques sociales, 234 pages.
Cet ouvrage est issu d’une journée d’étude « Petite observé la vie quotidienne dans les crèches. Le
enfance et rapports sociaux de sexe » qui s’est bilan qu’elle en tire montre que la question du
tenue en 2005 avec le soutien de l’association genre, pour les professionnelles, ne semble pas se
Colline, qui anime un réseau d’accueil des jeunes poser ; leurs pratiques ne sont pas spontanément
enfants. Le propos vise à mettre en lumière les interrogées car elles sont perçues comme neutres.
modes de construction du genre dès la prime Les distinctions réalisées seraient justifiées par le
enfance. Deux vecteurs de socialisation sont ici caractère individuel des enfants ou par leur âge.
étudiés : les structures collectives d’accueil des Une anecdote souligne l’écart entre cette idée et
jeunes enfants et les parents. Dans l’introduction, la réalité : derrière la directrice, qui énonce à
après avoir rappelé leur cadre de référence, notam- l’enquêtrice le principe d’indifférence, se situent les
ment composé des « pionnières » Simone de dossiers des enfants, roses pour les filles et bleus
Beauvoir (1) et Elena Gianini Belotti (2), les auteu- pour les garçons. Le monde est donc bien, dans les
res convoquent trois sciences : la psychologie, qui crèches comme ailleurs, divisé en deux. La beauté
envisage la construction de l’identifiée (notamment est valorisée chez la fille, la motricité chez le garçon.
sexuée), la sociologie, qui réfléchit en terme Sous couvert de besoins individuels différents, sont
d’organisation du pouvoir, l’économie qui pense la proposés aux filles et aux garçons des jeux différents ;
répartition des ressources. L’ouvrage s’articule pour les mêmes jeux, les garçons sont davantage
autour de trois grandes parties : les enfants à la encouragés dans leurs efforts. La gestion des conflits
crèche, les professionnel-le-s, la place des pères. montre également une naturalisation des comporte-
Le premier chapitre, « Le quot;jeu librequot; en crèche, une ments : les professionnelles sont plus tolérantes à
expression des rapports sociaux de sexe ? », rédigé par l’égard de l’agressivité des garçons qu’à celle des
Dominique Golay, étudie les « jeux libres », censés filles. Le genre s’avère donc une grille de lecture
permettre le développement de la personnalité et implicite utilisée par les professionnelles.
l’épanouissement des enfants. L’auteure note que Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Nadine
les règles, symboles et normes véhiculés dans ces Plateau relate une expérience de formation sur le
jeux reproduisent des stéréotypes sexués ; ainsi, en genre dispensée à des enseignants. À la fois théo-
l’absence d’intervention des adultes, les enfants riques ou basés sur l’expérience d’étudiants, ces
reproduisent des rapports de domination. L’inter- modules devaient éveiller les participants aux iné-
vention des adultes ne résout d’ailleurs pas forcé- galités entre les sexes, dans les sphères domestiques,
ment la question. En effet, Geneviève Cresson a professionnelles et scolaires. Les intervenantes ont
(1) Le deuxième sexe, Gallimard, 1949.
(2) Du côté des petites filles, Éditions des femmes, 1976 (traduction française).
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2. noté une culture relativement faible de ce sujet homme éligible sur cent contre une femme sur trois
parmi les étudiants ; si ces derniers ont des expériences a recours à ce dispositif. Sur la base d’une enquête
d’inégalité, ils n’en ont aucune grille de lecture, et auprès des rares pères bénéficiaires (dont les trois
expliquent donc des différences par des choix quarts bénéficient du dispositif à taux plein), un
(temps partiel) ou des capacités physiques (sport). premier constat posé est que ces hommes ont,
Par ailleurs, les étudiants éprouvent une certaine plus que d’autres, des métiers pénibles (ouvriers,
difficulté à surmonter leurs propres préjugés, par employés, métiers du commerce) et/ou très fémi-
exemple sur les garçons jouant à la poupée. Ces nisés (métiers de l’éducation, de la santé, de l’action
premières constatations amènent les auteures à sociale). En comparaison, les situations profession-
appeler de leurs vœux des modules, plus forma- nelles des femmes conjointes d’hommes en APE
lisés, de sensibilisation à la question du genre dans semblent plus favorables. Le choix du couple peut
l’éducation. alors s’interpréter soit par un différentiel entre
L’analyse menée par Sandie Delforge du contenu deux situations (il est plus « rationnel » financière-
de deux années de publication de revues profes- ment et vis-à-vis de l’intérêt du travail que
sionnelles sur la petite enfance souligne la persis- l’homme s’arrête), soit par une trajectoire profes-
tance de la division entre un monde intérieur et sionnelle et personnelle de l’homme proche des
domestique féminin, et le monde public, extérieur, trajectoires classiquement féminines. Dans ces
qui resterait masculin. Même si on voit apparaître couples, on assiste à une meilleure répartition des
la figure du « nouveau père », la paternité reste tâches domestiques et parentales que dans l’en-
associée à la protection, la stimulation, la seconde semble des couples ; les tâches parentales sont
figure d’attachement, la séparation, la sexuation, partagées et les tâches domestiques sont majoritai-
l’autorité…, alors que la maternité est plus fréquem- rement à la charge de l’homme… à l’exception
ment attachée à la sécurité affective, à l’attache- notable du linge – dernier bastion féminin ? (4).
ment principal, à un « lien naturel » avec l’enfant, Ainsi, si les rôles sont mieux répartis, ils ne sont pas
à la désignation du père, à la culpabilité. Le père pour autant inversés : les femmes ne se désinvestis-
conserve ainsi une fonction plus symbolique que sent pas complètement de la sphère domestique au
la mère, réduite à une fonction de maternage. Les profit des hommes au foyer.
articles parlant des mères sont d’ailleurs plus Le dernier chapitre, rédigé par les deux coordina-
nombreux, comme si elles étaient plus centrales trices de l’ouvrage, a pour ambition de reprendre
pour l’enfant dans sa prime enfance. les grands enseignements des sciences humaines
Le chapitre 6, qui débute la troisième partie sur le sur la place des hommes et des femmes dans la
rôle des pères, évoque les facteurs de l’impli- parentalité ; il est centré sur la place du père.
cation du père dans la garde des jeunes enfants. Nathalie Coulon et Geneviève Cresson proposent
L’exploitation de l’enquête Modes de garde de la de distinguer trois moments dans la vie d’un couple.
Direction de la recherche, des études, de l’évaluation La mise en couple est celui de la définition des
et des statistiques (ministère du Travail, des rôles sur le mode égalitaire, même s’il subsiste
Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité) toujours, dans la réalité, des inégalités (variables
montre que le temps parental est mieux partagé en fonction du niveau socioprofessionnel). La
entre les hommes et les femmes par rapport au naissance d’un enfant accroît les inégalités.
temps domestique. Anne Bustreel constate égale- L’éventuelle rupture conjugale amène une reconfi-
ment que le temps passé par un enfant seul avec guration des équilibres. Cette reconfiguration n’est
son père est de quatre heures vingt-deux par pas toujours synonyme d’implication paternelle
semaine, alors qu’il est de plus de vingt-neuf heures car les mères conservent le plus souvent la garde,
pour la mère. Les facteurs qui influent sur la pré- et c’est alors un père sur trois qui ne voit plus son
sence paternelle sont l’âge et le diplôme du père, enfant. Le développement récent de la garde alternée
et l’écart d’âge et de diplôme entre les conjoints, la pourrait amener une plus grande égalité. Finale-
taille de la famille mais aussi, et surtout, le rythme ment, les auteures décrivent un paradoxe : aucune
de travail de la mère, qui est le facteur le plus des tâches parentales n’est inaccessible à l’homme.
explicatif de l’implication paternelle, sans que l’on La participation des hommes est considérée comme
sache distinguer le facteur causal de la consé- bénéfique pour le développement des enfants mais,
quence. Qu’en est-il pour les pères qui s’investis- dans les pratiques, l’égalité n’est pas atteinte. Ce
sent à plein temps auprès de leurs enfants ? Dès lors, paradoxe peut s’expliquer par des références à
le congé parental peut-il promouvoir l’égalité entre plusieurs notions de « justice » : l’interchangeabilité
les hommes et les femmes ? Danielle Boyer analyse (chaque tâche peut être accomplie par les deux
les recours et les pratiques des pères bénéficiaires parents), l’équivalence (les parents font des tâches
de l’allocation parentale d’éducation (APE) (3) : un de valeur équivalente), le partage (qui peut être
(3) Cette prestation finançait, avant son remplacement par la prestation d’accueil du jeune enfant, un arrêt d’activité, total
ou partiel, d’un des deux parents à la naissance d’un enfant.
(4) Kaufmann J.-C., 1992, La trame conjugale. Analyse du couple par son linge, Paris, Nathan.
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3. plus ou moins égalitaire), la complémentarité (qui petite enfance. On regrettera peut-être que la
signifie que les tâches sont faites par l’un ou journée d’étude n’ait envisagé que les structures
l’autre, ce qui implique une spécialisation), collectives – qui n’accueillent que 11 % des
l’équité (qui renvoie à une notion de « justice » enfants âgés de moins de 3 ans – et les parents,
dans le partage global). Si N. Coulon et G. Cresson alors que les assistantes maternelles participent
défendent la notion d’« égalité », les acteurs également à la socialisation enfantine. Pour l’action
sociaux acceptent souvent une certaine inégalité publique, on retiendra que pour aboutir à une
au nom de l’harmonie conjugale ou en se référant égalité effective, la vie professionnelle et la vie
à notion d’« équivalence » ou d’« équité ». Elles familiale semblent liées ; est-ce donc à penser
soulignent l’intérêt pour tous d’un plus grand qu’agir sur un facteur permet de résoudre plusieurs
investissement paternel dans la durée auprès des pans ou que, au contraire, il faut agir simultané-
enfants ; à cette fin, l’ensemble de l’environne- ment sur plusieurs pans pour résoudre une seule
ment (professionnel, politique) et des normes des inégalités ?
sociales doit être remis en cause.
Si les constats ne sont pas d’une grande nouveauté,
Delphine Chauffaut
l’ouvrage se présente comme un bon complément CNAF – Responsable du Département de l’animation
à des analyses sur la construction du genre dès la de la recherche et du réseau des chargés d’études.
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