Au moment où le « métier rie parent a semble plus difficile que jamais, les découvertes sur le cerveau ouvrent de nouvelles pistes. Avec les bébés c«mme avec les ados, elles montrent que, sans renoncer à l'autorité, une éducation bienveillante favorise une relation de confiance. Une mode de plus? Non, l'espoir de pouvoir enfin s'inventer une pédagogie sur mesure.
1. Date : 06/12 MAI 15
Pays : France
Périodicité : Hebdomadaire Paris
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Journaliste : Estelle Saget /
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Comment rendre
nds enfants
heureuxAu moment où le « métier rie parent a semble plus difficile que
jamais, les découvertes sur le cerveau ouvrent de nouvelles
pistes. Avec les bébés c«mme avec les ados, elles montrent que,
sans renoncer à l'autorité, une éducation bienveillante favorise
une relation de confiance. Une mode de plus? Non, l'espoir de
pouvoir enfin s'inventer une pédagogie sur mesure. -—— -—-
I//
•m-.
2. Date : 06/12 MAI 15
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TENDRESSE
Certains gestes
activent
laproduction
del'hormone
du bien-être
chez l'enfant.
AILLEURS,
UNEAUTREÉDUCATION
onjour,vousêtesbienlamère de
Chloé P.? » Téléphone à l'oreille, Frédérique
confirme. « Je suis la responsable du Monoprix,
poursuit la voix,froide et mécanique.Votre fille
avolédestubesderougeàlèvres,jen'aipas appelé
la police, mais il va falloir venir la chercher et
réglerlamarchandise.»Frédériquesefige.Depuis
son entrée au lycée, sa fille lui en fait voir de toutes
les couleurs.Elle s'enferme dans sa chambre avec
son copain à l'heure du dîner ; le week-end, elle
sort jusqu'à 3 heures du matin. Plus la mère
menace, plus la fille rentre tard. « Chloé défie
mon autorité, et maintenant voilà qu'elle vole
dans les magasins ! » rumine Frédérique, se
promettant « de la sermonner ».Elle fait les cent
pas, remâchant ses griefs : « II serait temps que
Chloé mesure les conséquences de ses actes. »
Quand elle raccroche, sa tirade est prête : « Si tu
recommences, tu vas te retrouver chez les flics.
C'est ça que tu cherches ? »
Frédérique roule en direction du centre-
ville et,peu à peu,l'exaspération retombe.
Elle réalise soudain qu'elle a peur pour
sa gamine. Elle se figure la scène, une
heure plus tôt au rayon maquillage. Le
vigile qui pousse Chloé dans l'arrière-
boutique,les mains sur ses épaules pour ^ *^«t| Bannir menaces et humiliations
la forcer à s'asseoir sur la chaise. Son ton *^L ^ ~ ^ En France,les principes de la parentalité
sarcastique,tandis qu'il la toise : « Tu fais —5^** . « positive sont popularisés par des pé-
moins la maligne,maintenant... «Alors. , diatres, comme Catherine Gueguen
quand Frédérique retrouve sa fille, elle ^" POLYNESIE, les enfants s'amusent (voir l'interview page 46), ou des psy-
ne la sermonne pas. Elle lui prend les sans
Parentsdansles
P,ara
9es
- chothérapeutes, telle Isabelle Filliozat.
mains et lui dit, encore remuée : « Pro- Les plus
.petlts
?ontco
"|iesaux plus
Que disent ces professionnels ? D'abord
mets-moi de ne plus jamais te mettre dans i ' 'ii ' ri't ils insistentsur la nécessité,pourles parents,
une situation pareille, Chloé. Je ne voudrais ' ' d'identifier correctement les émotions de
pas qu'un jour tu te retrouves à la merci de leurs enfants, mais aussi les leurs. A l'image
quelqu'un de brutal. » de Frédérique,lors de l'épisode du Mono-
Frédérique termine son récit, s'excuse ^^^^^^^^^T^l^l prix. Ensuite, les spécialistes invitent
d'avoirétésilongue.A40anspassés,elle B^^^Bf* *" 331 ces
mêmes parents à bannir de leur ar-
vient de découvrirlepouvoirde labien- H^flW* .ZHI senal les menaces, les humiliations et
veillance,àlafaveurdelacrised'adoles- f^^ ^ï^^U^J^^M la fameuse fessée, pour laquelle la
cence de son aînée. Pour cette femme * •Li^^Bi^^^B France vient d'être tancée par le Conseil
« trop rigide », de son propre aveu, la tfÉ.<tfâJ^^E^^^I^ de l'Europe. Le 15 avril, cette instance
remiseenquestionaétéduremais«salu- ^BPÉ^^S^I^I ^ a
adopté une résolution enjoignant à
taire ».Elle aretrouvé lacomplicité avec ^^B^^^^^^^^H ^ notrepaysd'interdirelespunitionscor-
sa fille et leurs conflits, désormais,ne tour- EN ARGENTINE, l'été, les enfants porelles. Ces procédés, dommageables
nent plus au drame. Comme beaucoup sortent le soir avec leurs parents pour le cerveau de l'enfant, compro-
de mères ou de pères,Frédérique se tourne et peuvent se coucher très tard. mettent aussi bien ses apprentissages
vers la parentalité positive,ce courant d'édu- Une habitude héritée de leurs ancêtres que sa sociabilité. Il ne s'agit pas, bien sûr,
cation issu des nouvelles connaissances sur venus d'Espagne ou d'Italie. de renoncer à l'autorité, mais de l'exercer
le cerveau.En seulementdix ans,les scientifiques
sont parvenus à expliquer de quelle manière les
neurones se développent et se connectent entre
euxdurantl'enfance,en fonction de la qualité des
relationsentretenuesavecl'entourage.Destravaux
menés dans le monde entier, aussi bien au labo-
ratoire de neurosciences sociales et affectives de
l'Université de Californie,à LosAngeles (Etats-
Unis), que dans des centres de recherche
auJaponou auxPays-Bas.Médecins,psy-
chologues et pédagogues s'en emparent,
pour donner de nouvelles clefs aux pa-
rents et rendre les enfants plus heureux.
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avec empathie, en tenant compte des besoins et
deslimitesdel'enfant,clairementidentifiésselon
l'âge grâce aux études sur le cerveau.
Plus facile à dire qu'à faire. Dans la tête dcspa-
rents,ces avancées scientifiques font mauvais mé-
nage avec un héritage culturel dans lequel une
claque ou une fessée « n'ontjamais fait dè mal à
personne ».4Français sur5 affirmenty avoireu
recoursaumoinsunefois,selonunsondageréalisé
pourl'Uniondesfamillesen Europe. Malgré tout,
la génération actuelle s'approprie les méthodes
de parentalité positive, considérées comme un
juste milieu entre l'autoritarisme à l'ancienne et
la permissivité de la période Dolto.Elles offrent
des pistes àdes familles qui sontplus quejamais
demandeuses,tant le monde change, et avec lui
le « métier » de parent. Nouvelles technologies,
DILEMME
Préparersonado
à lavied'adulte
ou le laisser
profiter encore
un peu de son
enfance? Souvent,
les parents
hésitent.
mondialisation des idées et des pratiques, dur-
cissement du marché de l'emploi : impossible de
se contenter de reproduire ce que l'on a connu
gamin.Aujourd'hui,lesbébésnesontplusgardes
par le grand frère ou la tante, mais par des pro-
fessionnelsdelapetiteenfance,sibienqu'àl'âge
de devenir parent on a rarement eu l'occasion
de changer une couche. De plus, notre société,
sophistiquée,produit d'innombrables question-
nements d'ordre existentiel, comme le souligne
la journaliste Guillemette Faure dans son livre
Le Meilleur pour mon enfant (Les Arènes) :
« Faut-ilfaire des projetsd'avenirpourson enfant
ou le laisser libre ? Faut-il le préparer à la vie
d'adulte ou lui laisser sa vie d'enfant ? »
Lesparentsmodernes,désemparés,sontavides
de savoirs.Ilsexhumentdesfiguresoubliées,
QUELLEPARADEÀLAFESSÉE?
Isabelle Filliozat,psychologue,auteur
de best-sellers sur la parentalité positive.
« Quand le parent, excédé, finit par donner une
. claque à son gamin, c'est parce qu'il n'a pas
trouvé d'autre façon de se faire obéir. Pour pouvoir
imaginer d'autres stratégies, il faut d'abord savoir
ce qu'il se passe vraiment dans la tête de l'enfant.
Prenons une situation banale : le petit regarde son dessin animé
préféré, sonpèreluidemanded'éteindrela télévisionpour venirà
table. Lenfant ne bouge pas. Alors le père coupe ls télé, provoquant
des hurlements. C'est une réaction normale, liée au fonctionnement
du cerveau de l'enfant Face à l'écran, il se retrouve dans un état
semblable à l'hypnose, raison pour laquelle il ne répond pas à
l'injonction de l'adulte. Pour qu'il se lève, il faut l'aider à sortir de
cet état Parexemple, lepèrepeuts'approcher deluiet engagerla
conversation au sujet du dessin animé, l'inciter à parler du héros
de la série. On peut aussi attirer son attention sur le repas : "Dis
donc, c'est l'heure de quoi à ton avis ? Tu n'aurais pas un peu faim ?"
A chaque parent d'inventer sa propre recette en tenant compte des
capacités de son enfant, qui varient selon l'âge. »
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BOUDERIE
En manifestant
leur empathie,
les parents évitent
d'entrer dans un
rapport de force
avec leur enfant.
dévorant par exemple les ouvrages de
JanuszKorczak,unpédiatrepolonaismort
dans les camps nazis.Au début du siècle
dernier, ce médecin préconisait déjà le
respect de l'enfant, prônant une péda-
gogie proche de celles, plus connues,
des écoles Montessori et Freinet. Ils
découvrent John Bowlby, psychiatre
britannique dont la pensée originale
s'est développée dans les années 1970,
anticipant les découvertes des neuro-
sciences. Sa théorie de l'attachement
s'est imposée, dans l'éducation, avec
une force comparable àla théorie de révo-
lution de Darwin pour la biologie. Méconnu
AILLEURS,
Visionnaire, John Bowlby a, le premier, rangé
la sécurité affective parmi les besoins primaires
dupetit d'homme,aussi essentiels à sa survie que
lachaleuretlanourriture.Sathéorieclôtd'ailleurs
un vieux débat : si je prends mon bébé dans les
bras chaque fois qu'il le réclame, va-t-il devenir
capricieux ? En réalité, cette attitude produit
exactement... l'effet inverse. Rassuré par la
relation de confiance nouée avecune ou plusieurs
« figures d'attachement » qui peuvent être la
mère, le père ou encore la nounou, le bébé ose
peu à peu s'en éloigner pour explorer son envi-
ronnement. Un processus que les scientifiques
savent désormais décrire à l'échelle des neurones.
Les gestes de tendresse déclenchent en effet chez
l'enfant la production d'ocytocine,l'hormone du
bien-être, qui permet un développement optimal
des fonctions cérébrales.
UNEAUTREÉDUCATION
CHEZ LES PYGMÉES AKA, les pères
gardent les bébés pendant
que les mères partent à la chasse.
Les tâches sont interchangeables
entre hommes et femmes.
en France, son modèle est aujourd'hui enseigne
dans les universités du monde entier et inspire
nombre de politiques de protection de l'enfance,
des Etats-Unis à la Suède.
Partager les connaissances
Des données scientifiques, des péda-
gogues inspirés, des exemples étran-
gers (I) et de l'expérience tirée de la
vraie vie de vrais parents : voilà ce que
réclame la génération actuelle, à la fois
anxieuse de mal s'y prendre et décidée
à tracer son propre chemin. En 2011, la
lyonnaise Béatrice Kammerer a créé le
site participatif les Vendredis intellos.
Vendredis, en référence au jour retenu
pour que les pères et (surtout) les mères
postent leurs contributions. Et intellos par
«provocation»,expliqueBéatrice,«pourcontrer
l'idée que la connaissance en matière d'éducation
serait réservée aux universitaires, aux psycho-
logues et aux médecins ». En ce lieu
FAUT-IL LES PRIVER DE TABLETTES?
Daniel Marcelli, pédopsychiatre,
chef de service du centre hospitalier de Poitiers.
« Je vois des parents qui mettent l'iPad sous
clef, ajoutent un code d'accès à l'ordinateur, cou-
pent le WiFi avant de partir au travail. Ces mesures
ont un intérêt : elles posent des limites Maîs
ellespoussentà la surenchère, les enfants trou
vant toujours moyen, en grandissant, de contourner les interdits.
Dès 12 ans, ils vont emprunter l'appareil d'un copain, ou bien ils
deviendront, à force, d'excellents hackeurs! Il vaut mieux leur
apprendre à se détourner des écrans d'eux-mêmes, et, pour com-
mencer,donnerl'exemple Lesadultesquis'abstiennentderépondre
à leurs textes pendant le repas sont plus crédibles quand ils
demandent à leurs préados d'en faire autant. Concrètement, pour
l'ordinateur notamment, il faut fixer un temps maximal d'utilisation.
Et, les premiers temps, avertir l'enfant un quart d'heure avant la
coupure On peut poser à côté de lui un minuteur cfe cuisine - la
sonnerie d'une tomate en plastique est mieux vécue que l'irruption
du parent dans la pièce La première fois, l'enfant va dépasser le
temps imparti et l'adulte se contentera de dire, sur un ton neutre :
"J'aurais préféré que tu t'arrêtes spontanément." La deuxième
ou troisième fois, le pli sera pris. Vers 16 ans, il saura gérer son
temps d'écran de lui-même. »
5. Date : 06/12 MAI 15
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DIALOGUE
Pour un parent,
seremettre
en question lors
d'une dispute
peut être difficile
mais salutaire.
d'échangestrèsvifs,pasdedogme.«Chacun
tente d'inventer la solution unique qui
conviendra à sa famille unique », affirme
Béatrice. Sous le pseudo Mauvais Père,
un internaute donne le ton : « Mes en-
fantsmebouffenttoutcru.Etsij'appe-
lais lapolice? »
Ces parents émancipés frappent à
toutes les portes. Celles des mairies ou
des médiathèques qui, depuis une di-
zaine d'années, organisent le soir des
groupes de parole autour de la vie de
famille, partout en France. On s'inter-
roge :« Quandlesenfantssont-ilsprêts
à enlever la couche ? » (Maison d'éduca-
teurs de jeunes enfants de Perpignan). On
AILLEURS,
UNE AUTRE EDUCATION
•k
réfléchit : « Parents, ados, comment garder le
dialogue? » (espace culturel d'Herblay, dans le
Val-d'Oise). Des parents montent même leur
AU MEXIQUE, les Mayas confient
à leurs enfants destâches domestiques,
comme nourrir les poules ou participer
à la lessive. Lesquelsentirent
delafierté,aulieuderechigner.
propre cercle, comme cette mère de trois enfants
qui a créé l'an dernier, à Carnac, Parents ensem-
ble 56 (le département du Morbihan). Les plus
motivés vont jusqu'à payer de leur poche des
coachs en éducation (entre 50 et 100 eurosl'heure)
ou s'engagent dans des formations sur plusieurs
mois (voirlereportagepage42).«Attentionàne
pas laisser croire aux parents qu'il existe des
solutions toutes faites, avertit toutefois la psy-
chanalyste Elisabeth Roudinesco. On élève
d'abord les enfants avec ce qu'on est. »
« Cettegénérationfaitpreuved'initiative etd'un
culot certain », relève le Dr Xavier Pommereau.
La notoriété - et la page Facebook - de ce spé-
cialiste des conduites suicidaires à l'adolescence
lui valent de nombreux e-mails de parents qui
lui posent des questions aussi banales que...
l'heure à laquelle un garçon de 15 ans doit
rentrerd'une fête d'anniversaire. «Je ré-
ponds, assure le psychiatre. J'anime
même,depuis2010,ungroupe de parole
pour aborder ces problèmes du quoti-
dien. » Les réunions attirent des pères
et des mères sans histoires, alors qu'elles
se tiennent au CHU de Bordeaux, dans
l'unité même où sont hospitalisés les
jeunesanorexiques... Preuve,s'ilenfal-
lait,que lesparents d'aujourd'huipren-
nent au sérieux la plus petite difficulté
rencontrée avec leur progéniture. Un peu
trop, parfois? A vouloir si bien faire, on en
oublieparfois dese fierà soninstinct. • E. S.
(I) A lire, a ce su]et, Comment les Eskimos gardent les bebes
ait chaud, de Mel Ling Hopgood (Lattes)
COMMENT LEUR APPRENDRE À SE DÉFENDRE?
Emmanuelle Piquet,psychologue,
auteurde Te laisse pas faire ! (Payot)
« ll n'estjamais trop tardpour apprendre à nos
enfants a avoir de la repartie. Et toutes les occa-
sions sont bonnes pour déjà /es y entraîner en
famille. L'autrejour, une de mes filles est rentrée
a la maison dépitée. Ses copines avaient dit que
sajupe était moche La solution de facilité aurait été de ranger la
jupe dans le placard, avec le risque qu'une autre tenue, le lendemain,
suscite les mêmes critiques. J'ai posé le problème autrement : que
pourrais-tu leur répondre la prochaine fois 7
Et nous avons cherché
des répliques ensemble. Je recommande de faire participer aussi
les frères et soeurs, qui ont souvent beaucoup d'imagination '
Si notre enfant, à un moment, se retrouve harcelé par des camarades
d'école, nouspouvons l'aideren appliquantle mêmeprincipe:lui
fournir des armes pour qu'il se défende seul L'autodérision, par
exemple,fonctionnetrèsbien.J'aireçuenconsultationunejeune
fille de 15 ans qui s'était vue affublée du surnom de Z/atan, allusion
à son prétendu grand nez. Je lui ai proposé de changer sa photo
de profil sur Facebook pour mettre celle du joueur de foot. Ça a
coupé l'herbe sous le pied des ricaneurs, qui ont lâché l'affaire.
L'autre option, c'estce quej'appelle lejudo verbal. A un collégien
qui se faisait traiter de "pédale" et de "tafiole"par un grand balèze,
j'ai suggéré de rentrer dans son jeu Dans la cour, devant ses copains,
il lui a lancé bien fort : "Ça va, chéri7
" Lautre n'est plus revenu. »
6. Date : 06/12 MAI 15
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EXPÉRIMENTATION Afind'aiderlesmèresàadopter J
un autre point de vue, desjeux de rôles sont organisés.
Ils leur permettent de se glisserdans la peau de leurs rejetons.
Quand l'adulteapprend à écouter
LaméthodeGordonfaitdesémuleschezlesparentsquisouhaitent
rétablirledialogueavecleursenfants.TravauxpratiquesàRumegies(Nord),
oùdesmèresdefamilles'entraînentàla«résolutiondesconflits».
Par Delphine Saubaber - Reportage photo : Aimée Thirion/Diverqence pour L'Express
Quand, le vendredi soir, Géraldine
rentre de son atelier de parentalité à
Rumegies (Nord), à quarante-cinq
minutes de voiture de chez elle, ses six
enfants, de 2 à 16 ans, ne cachent pas
leursoulagement.«Ilsaimentvraiment
bien le week-end qui suit mon cours
Gordon », relate, avec un immense
sourire,cettejolie rousse de 38 ans. Il y
aencoresixmois,personnedanslafratrie
n'avaitjamaisentenduparlerdeThomas
Gordon, un psychologue américain.
Depuis,àlamaison,Géraldine aappris
à choisir ses batailles, cessé de courir
après unparadisperdu,celui de la mère
idéale, et les décibels grimpent nette-
ment moins dans les étages. L'« écoute
active », fondée sur l'empathie, et la
«relationwin-win»(gagnant-gagnant)
dispenseraient-elles leurs bienfaits ?
Prendreencomptel'enfant
danssaglobalité
A première vue, la terminologie
gordonnienne puise beaucoup dans le
management « fondé surlacollabora-
tion ». Exit le modèle pyramidal, les
rapports traditionnels dè domination
où l'on manie récompenses et puni-
tions comme autant d'instruments de
contrôle du comportement. Son expé-
rience de consultant et sa pratique de
psychologue ont permis à Thomas
Gordon d'établir des liens entre les
relations managers-collaborateurs et
parents-enfants. Dès 1962, cet ancien
élève du psychologue Carl Rogers a
ainsi l'idée de développer un pro-
gramme de formation à l'attention des
parents, histoire de leur transmettre
les « compétences » requises pour une
meilleure communication en famille.
A partir de là, il publie, en 1970, un
manifeste, Parents efficaces. Tout un
programme.
7. Date : 06/12 MAI 15
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C'est après avoir lu cet ouvrage que
Sandra, jeune mère de trois bambins
tout emmitouflée de timidité, a décidé
devenircevendredisoir,commeGéral-
dine,à Rumegies.La nuitenveloppela
maison dAmandine Duffée,la forma-
trice, qui accueille dans son salon une
petite dizaine de mamans. Chips et
apéro autour de la table basse,tableau
paperboard au coin de lacheminée. On
vient ici quand on ne sait plus que dire
à sa pétroleuse de 17 ans qui confond
le salon avec un souk et qui vit greffée
à son smartphone. Ou lorsque Maia,
3 ans, rechigne chaque soir à aller au
lit. Entre autoritarisme et
laxisme, il y a bien une troi-
sièmevoie,oui,maislaquelle?
Un temps, Amandine Duf-
fée a elle-même été désarmée
face au « burn-out » scolaire
de sa grande. Cette ancienne
enseignante a fui les mé-
thodes formatées de l'Edu-
cationnationale,« oùlespro-
fesseurs sont là avant tout
pourévalueretsanctionner »,
pour aborder les rivages de
Montessori et de Gordon,
« quiprennentbeaucoup plus
en compte l'enfant dans sa
globalité ». Aux mères (on
cherche les pères) qui viennent poser
leurdésarroi ou simplement leurs ques-
tions suruncoin de table,elle nepromet
pas de « clefs en main » ni de thérapie
collective,mais simplement la possibi-
lité, avec le temps, d'instaurer une
relation différente avec leurs enfants.
Et de déplacer certains angles de vue.
« Je me suis appliqué à moi-même la
méthode Gordon, dit-elle. J'ai décou-
vert que, quand ma fille pleurait, je
voulaisjuste qu'elle arrête.J'aicompris
ensuite seulement ce qui se cachait
derrière cela. Une fois qu'on a décelé
le besoin et le problème réel,il estplus
facile de mettre en place des solutions
pour y répondre. »
En dix « ateliers parents » de deux
heures et demie à Rumegies (ou deux
week-ends pleins), tout peut changer.
Grâce à des principes simples (en
apparence), qui reprennent, notam-
ment,ceuxdAbrahamMaslow,lepère
de l'approche humaniste sur la satis-
faction des besoins, et qui ouvrent sur
une«résolutiondesconflits».L'enfant
aunproblème ? L'«écoute active » per-
mettradel'entendre avec attention,en
accueillant non seulement ce qu'il dit,
mais aussi ce qu'ilressentet sesbesoins.
Et cela sans chercher immédiatement
à lui imposer une solution. « Le parent
reformule ce qu'il entend, ou ce que
l'enfant pense, sa réponse est simple-
ment un reflet du message transmis »,
expliqueAmandineDuffée.Exemple :
un gamin refuse d'aller à l'école. « On
s'imagine que le problème se joue sur
le terrain scolaire. Mais cela peut aussi
vouloir dire, si l'on pratique l'écoute
active, en épluchant les réponses
COMPRÉHENSION La formatrice
Amandine Duffée, s'est autoappliqué
la méthode Gordon.
successives,un peu comme un oignon,
que le cœurdu souciréside dans le fait
que l'enfant, sachant que sa mère ne
vapasbien,neveutpaslalaisserseule. »
Expliquer la situation telle qu'on
laressent,sansblâmernijuqer
L'atelier Gordon aide l'adulte à s'af-
firmer, à substituer au « message-tu »
- prescriptif, qui agresse et consiste
avanttoutàvidersonsac (« Tudevrais
fairececi oucela ») -le « message-je » ;
on décrit les faits puis on explique à
l'enfant ce que l'on ressent, mais sans
leblâmernilejuger.Celapermetd'af-
firmer ses besoins de parent tout en
responsabilisant sa progéniture. Et de
poser des règles, si nécessaire.
Voici justement l'heure des jeux de
rôle,danslesalondAmandine.Vautrée
sur le canapé, Géraldine imite son ado
affalé au retour du lycée, tandis que
Sylvie, elle, mime la mère. L'idée est
d'apprendre, pour l'une, à quitter le
champ de l'émotionnel et à « envoyer
un message-je en tant que parent », et
pour l'autre, à se glisser, une fois n'est
pas coutume,dans la peau de son reje-
ton. Grandmomentdejouissance pour
Géraldine,qui envoie allègrementpaî-
tresamère de substitution.Puis serend
peu à peu à ses arguments, quand les
cristombent :« D'uncôté,jenemeren-
dais pas compte que mon fils pouvait
se comporter ainsi parce qu'il estjuste
fatigué,enpoussée de croissance,et de
l'autre,j'ai moi aussi appris à poser des
limites, tout en formulant les choses
différemment afin qu'il ne soit pas ac-
culé aune attitude d'opposition,confie-
t-elle, en aparté. C'est autrement plus
compliqué de chercher à en-
tendre le message de l'autre
et son besoin, plutôt que de
partir en vrille. » Bilan : Gé-
raldine va relever son « seuil
de tolérance », qui commen-
çait à friser dangereusement
le plancher. Claire, quant à
elle, raconte qu'au retour des
ateliers elle dort mal, après ce
remue-méninges qui remet
en question toute sa commu-
nication, y compris avec les
adultes. Son mari, lui, s'en
félicite : « Quand on se dis-
pute, on voit que tu as appris
deGordon. »
En attendant, la pièce s'est transfor-
mée en gueuloir. Amandine Duffée
circule, pointe les contradictions, les
discourstroppermissifs,lèvedeslièvres.
Et, quand les problèmes persistent
(Claire,jouantsonfils:«OK,j'aiécouté
mamèremaisjen'aitoujourspas envie
de ranger ma chambre... »), on en
arrive à un autre principe : « la résolu-
tion des conflits sans perdants ». Une
théorie plus complexe qu'il n'y paraît,
comme le reste dè la méthode, d'ail-
leurs.L'adultene « cède »pasetobtient
au final ce qu'il voulait, mais fait en
sorte que l'enfant aussi s'y retrouve.
Comment apprendre à un bambin à
manger des légumes qu'il crache à
chaque repas ? Comment négocier une
sortie de crise permanente avec son
ado qui veut aller en soirée jusqu'au
petitmatin ? Explications au prochain
atelier. Gordon n'est pas gratuit.Tarif
pour un atelier de niveau I : de 300 à
410 euros par personne pour un stage
de quatrejours. Devenir parent n'a pas
de prix. •
8. Date : 06/12 MAI 15
Pays : France
Périodicité : Hebdomadaire Paris
OJD : 405431
Page de l'article : p.34,36,38,...,48
Journaliste : Estelle Saget /
Delphine Saubaber / Sandrine
Chesnel
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NUTRIVITALITE 1734983400524Tous droits réservés à l'éditeur
John Bowlby
ou l'art d'être parent
ParYvane Wiart
La chercheuse en psychologie (1), thérapeute, rappelle l'apport
du psychiatre britannique, père de la « théorie de l'attachement ».
Rien ne prédisposait John Bowlby à
devenir pionnier dans l'art d'être pa-
rent, avec sa découverte de l'instinct
d'attachement,aussifondamentalpour
la survie que de se nourrir. Né en 1907
dans la haute bourgeoisie london-
nienne d'un père médecin des armées,
chirurgien privé du roi George V, il
bifurque versla médecine,après avoir
étudié la psychologie et enseigne dans
des écoles pour enfants en difficulté.
Il y remarque des pensionnaires im-
perméables aux louanges comme aux
critiquesetauxpunitions,enapparence
indifférents aux liens avec autrui.
Convaincuqu'une telle attitude serap-
porte à un manque affectiffamilial, il
décide de s'intéresser à l'abandon,tant
psychique que physique,et auxconsé-
quences de la violence
psychologique envers
l'enfant.
Sesrecherches,quicom-
mencent par une enquête
pour l'Organisation mon-
diale de la santé sur les
jeunes privés de foyer
dans l'Europe et les Etats-
unisdel'après-guerre,
l'amènent à concevoir
qu'un besoin d'attache-
mentnonsatisfaitconduit
à des problèmes relation-
nels, dè comportement et de personna-
lité, chez les enfants comme chez les
adultes. Ce besoin correspond à celui
d'être écouté, entendu, compris et
soutenu. Il se manifeste tout au long
de la vie, du « berceau à la tombe »,
comme le disaitBowlby.
Cette conception contraste avec l'idée,
courante à l'époque, qu'un enfant ne
s'attache à sa mère que parce qu'elle le
nourrit. Bowlby récuse aussi la notion
d'une agressivité innée etpréfère inter-
roger ses patients, petits et grands, sur
leurvécuplutôtquesurleursfantasmes.
VITAL Pour l'être humain,
être compris et soutenu est aussi
essentielquedesenourrir.
NIE Un pionnier
auxconceptions
validées par la science.
Il s'oppose ainsi à ses col-
lègues psychanalystes,
qui ne lui pardonnent
pas davantage devouloir
faire la preuve scienti-
fique de son approche du
développement du psy-
chisme humain, quitte à
s'inspirer de l'éthologie,
qui étudie le comporte-
ment animal.
Autant chercheur que
clinicien,Bowlbysouhaite
aiderlesgensàallermieux
ens'appuyantsurdeséléments démon-
trés, comme en médecine organique. Il
s'empare ainsi des premiers travaux
sur la mémoire (1972) pour expliquer
commentdesexpériencesaffectivesnon
reconnuesparlesprochesdansl'enfance
restent bloquées dans une partie du
cerveau, pour resurgir des années plus
tard.Et deviennentcauses de malaise y
comprissurleplanphysique.Ilexplique
encorecommentlesrelationsdesparents
à l'enfant construisent chez lui des
représentations de soi, d'autrui et du
mondequifiltrentensuitesaperception
de la réalité et conditionnent ses émo-
tions.Ilapporteenfin,surcesbases,une
approchethérapeutiqueefficace.
Tout ceci a été validé depuis par des
milliers de recherches dans le monde,
et les nouvelles techniques comme
l'imagerie qui ont permis l'essor de la
neurobiologie développementale ou
des neurosciences affectives, donnent
raison àceclinicien de génie.Bowlbya
consacré sa vie à diffuser des informa-
tions sur la meilleure manière d'élever
les enfants etsurletyped'amouràleur
apporter pour qu'ils deviennent des
adultes bien dans leur peau ; équilibre
qu'ils transmettrontensuite àleurs des-
cendants. Il s'est exprimé pour les spé-
cialistes et pour le grand public, à la
radio. On retrouve aujourd'hui dans
deux recueils (2) ses conférences pas-
sionnantes,qui détaillent son approche
révolutionnaire des rapportshumains. •
(1)Al'universitéPans-Descartes
Auteur de LAttachement, un instinct oublie
(Albin Michel),et traductrice de John Bowlby
(2) Amour et Rupture Les destins du lien affectif
(AlbinMichel)EtLeLien,lapsychanalyse
eli art d'êtreparent (Albin Michel)
9. Date : 06/12 MAI 15
Pays : France
Périodicité : Hebdomadaire Paris
OJD : 405431
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ccLesparoleshumiliantes
détruisent des neurones »
LapédiatreCatherineGueguen(1)expliquecequelascience
adécouvertsurlecerveaudesenfants.Etenquoicestravauxvalident
les principes de l'éducation bienveillante, proposreclamsPar Estelle saget
Pourquoi les nouvelles
connaissances sur le cerveau
devraient-elles changer
la manière d'éduquer
notre progéniture?
h—> Les chercheurs du xxie
siècle nous
disent ce qui favorise le bon dévelop-
pement de l'enfant : une relation bien-
veillante,empathique,soutenante.Car
cetteattitudepermetàsoncerveau,très
fragile, d'évoluer de façon optimale.
Les liens affectifs influencent à la fois
les capacités de mémoire, d'apprentis-
sage,deréflexion,maisaussilescapaci-
tésrelationnelles,lesémotions,les sen-
timents. Ils modifient la sécrétion de
moléculescérébrales,ledéveloppement
desneurones.Ilsmodifientégalement
larégulationdustress,etmêmelafaculté
d'agirde certainsgènes.Lepsychiatre
JohnBowlby,décédéen1990,postulait
déjà que le besoin d'attachement était
vital pour l'enfant ; les neurosciences
l'ontconfirmécesdixdernièresannées.
En quoi est-ce une révolution?
h—> Lagrande majorité desparents ont
été élevés avec des menaces, sommés
d'obéirsouslapressiondufameux«Je
comptejusqu'àtrois:un,deux... »Alors
ils banalisent cette forme de violence,
sans imaginer qu'elle a des consé-
quences psychologiques mais aussi
physiologiques. « Qu'est-ce que tu es
maladroit! », « Tu es infernal! » : ces
paroleshumiliantes,répétées,peuvent
détruire des neurones dans des struc-
tures essentielles du cerveau.
Pourtant, ces parents ont grandi
à l'époque Dolto...
I—> Françoise Dolto a eu le mérite de
demander aux adultes de considérer
les enfants comme des personnes. Ce
qu'ellenepouvaitpassavoir,àl'époque,
c'est à quel point le cerveau d'un petit
estimmature.Sonintellectestincapable
detraiterleslongsdiscoursdesadultes.
Dolto a recommandé aux parents de
s'expliquer sur leur attitude. Or leurs
raisonnements ne sont pas à la portée
desenfants.Cesparoleslesangoissent
au lieu de les rassurer.
question est tout autre. Il s'agit de se
tenir aux côtés de l'enfant pour mettre
des mots sur ce qu'il ressent, le sécu-
riser, le consoler. Sans pour autant
céder à ses désirs quand ceux-ci ne
sontpasjustifiés.
Qu'a-t-on appris, encore,
en observant la manière
dont fonctionne le cerveau
desenfants?
h-» La science nous montre qu'il
faut cesser de voir un comportement
intentionnel dans les colères des tout-
petits. Les « caprices », ça n'existe
pas ! On qualifie ces enfants de « ty-
rans »,alors qu'ilsne sont simplement
pas capables de gérer leurs émotions
avant 5 ou 7 ans. L'une des grandes
découvertes des neurosciences, c'est
que le tout-petit ne peut pas s'apaiser
seul. Quand un bambin de 18 mois se
roule par terre, ce n'est pas pour ma-
nipuler ses parents, arriver à ses fins.
Il vit une tempête émotionnelle qui
le dépasse. Son père ou sa mère se di-
sent « II faut rester ferme ! » comme
s'ils étaient dans un rapport de force
où il faudrait avoir le dessus. Or la
RECHERCHE Létudedel'activiténeuronale
du bébé a confirmé l'importance de la qualité
des liens affectifs pour son développement.
Où les parents peuvent-ils puiser
leur bienveillance, quand
le monde se fait si rude?
I—» Ils doivent s'entourer d'un cercle
amical et familial lui-même bienveil-
lant. Il faut s'éloigner des personnes
toxiques,àcommencerparleconjoint,
s'il est maltraitant. Ne pas « rester en-
semble pour les enfants », comme on
l'entendait à la génération précédente.
Je recommande aussi aux parents de
se former par des stages ou des livres
à la communication non violente
[NDLR : voir le site Nvc-europe.org],
une méthode qui permet de nouer des
relationsplusharmonieuses.Etsurtout,
je conseilledenepass'oublier.Surmes
ordonnances,je prescris des dîners en
tête à tête. •
(I) Medecin a I Institut hospitalier
franco britannique de Levallois Perret Auteur de
Pour une enfance heureuse (Robert Laffont)
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ÉQUILIBREEntreefforts,confiance
et bons moments, lascolarité
n'impliquepasquedesdevoirs.
Ecole : savoir doser la pressionDans une société où le système scolaire nejure que par les notes, comment aider
sonenfant à réussirsesétudes sans nuireà sonépanouissement?
Expériencesdeparentset réponsesdespécialistes. Par Sandrine Chesnel
Apprendreà lâcherprise
C'est dans un village côtier, près de
La Rochelle, que Laurence et Yann
Juin,tousdeuxenseignanIs,ontchoisi
d'élever leurs quatre enfants, âgés de
9 à 15 ans Deuxgarçons,deuxfilles,et
un principe : pas de parcours d'orien-
tation tout tracé vers les grandes écoles,
comme il s'en trouve souvent chez les
enfants d'enseignants
Laurence,professeur dclettres ct d'his-
toire-géographie en lycée professionnel,
regrette que trop dc parents ne jurent
que par la filière générale C'est pour-
quoi elle et son mari ont accepté sans
difficultélechoixdeleurfils aîné,«pas
très scolaire », d'intégrer, après la troi-
sième, un lycée hôtelier. En revanche,
elle a eu plus de mal à acceptei l'idée
qu'Erwann quitte la maison pour de-
venirinterne dansce mêmelycée • «J'ai
passé toutes ses années de collège der-
rière lui. pour qu'il fasse ses devoirs et
apprenne ses leçons, souligne Laurence.
Ce n'était pas évident de fléchir, maîs
on a décidé de lui faireconfiance C'est
sa vie qu'il construit, pas la nôtre. »
Lavis du docteur Patrice Huerre,
psychiatre spécialistedesadolescents*:
I—> « Certains parents hypermvestis dans la scolarité de leur enfant finissent par
en attendre un retour sur investissement gratifiant, c'est-a dire de bonnes notes
et un diplôme prestigieux. C'est souvent sur les choix d'orientation ou d'établissement
que ces projections parentales se cristallisent Maîs les parents gui souhaitent gué
leur enfant soit heureux doivent prendre conscience qu'il n'est pas la pour combler
leurs ambitions Pour aider un adolescente choisir ses etudes et un métier, il faut
lâcher prise et lui permettre de discuter avec d'autres adultes de modes de vie
différents de ceux de ses parents. Oublier l'enfant idéal et ouvrir son ado au monde,
pour qu'il fasse ses choix de vie en ayant conscience de tous les possibles »
Auteur de Faut tlplaindre les bons élevés ? Lepn de I excellence (Hachette)
et de Place aujeu 'Jouerpour apprendre a vivre (Nathan)
11. Date : 06/12 MAI 15
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Miser sur l'autonomie
La pédagogie,Yannig Raffenel s'y est
frotté très tôt,lorsqu'il était élève d'une
école Freinet. Responsable (pédago-
gique) de cours enligne,cepère divorce
prend grand soin de responsabiliser sa
fille,Aziliz, 14 ans, en troisième dans
un collège publicde Rennes : « Récem-
ment, je lui ai proposé de suivre deux
séances avec un coach, pour identifier
quelle était la méthode d'apprentissage
qui lui conviendrait le mieux. Elle a
adoré ! » Pour le Breton, son rôle de
père consiste à doter sa fille d'outils
lui permettant d'étudier en toute auto-
nomie. C'est pourquoi il ne contrôle
plus ses devoirs depuis quèlquesannées
déjà, et ne va jamais voir ses notes sur
Internet sans elle.
Une organisation qui convient bien
à la demoiselle, même si son père
note qu'elle est parfois un peu trop
perfectionniste. Côté autonomie,Aziliz
n'a plus rien à prouver : elle vient de
décider de partir étudier seule trois
mois dans un lycée de Vancouver.
Quand l'élève dépasse le maître...
L'avisd'AurélieCrétin,psychologueetpsychothérapeute*:
h-> « L'image qu'un enfant a de lui-même se construit directement a partir
des remarques de ses parents. Pour être confiant, un enfant doit entendre
que ses parents croient en lui Parfois, quand les résultats scolaires ne sontpas
bons, les parents sont tentés d'imposer leurs propres méthodes de travail
C'est une erreur : mieux vaut réfléchir ensemble aux solutions qui pourraient
être efficaces. De même, dès la fm du primaire, on peutproposerà son enfant de
commencerà faireses devoirsseul, s'il en est d'accord, bien évidemment. C'est
ainsi, que, petit à petit, se construisent l'autonomie et la confiance réciproque. »
* Auteur de Vivre mieux avec les emotions deson enfant (Odile Jacob)
Faire preuve de bienveillance
GillesetSylvieMeyerviventavecleurs
troisenfants-Romain,17 ans,Clément,
15 ans, et Louise, 10 ans - dans le très
bourgeoisVIe
arrondissement de Lyon.
Un détail qui,pour Gilles, a son impor-
tance : « Ici, à la pression scolaire,déjà
très répandue ailleurs, s'ajoute une
forme de pression sociale. Les habitants
comparent en permanence les notes et
les études de leurs enfants,surtoutceux
qui les scolarisent dans le privé. C'est
assezpénible. »Maisilenfautpluspour
ébranler ce chefd'entreprise, adepte du
développement personnel : « En tra-
vaillant sur moi,j'ai appris à mieux me
connaître, explique-t-il. Et mieux se
connaître permetd'êtreplus serein,face
à l'avenir et face à celui de ses enfants.
Du coup,je leur mets moins la pression
qu'avant sur les notes et les résultats
scolaires. » CQFD ? Pas si simple, car
Sylvie,lamaman,estplutôtd'unenature
stressée... « Ma femme se montre plus
ferme que moi, plus exigeante sur les
efforts à fournir, explique Gilles. Moi,
je suis plus "coulant''du genre à dire
qu'il faut prendre du recul par rapport
aux notes... Mais à nous deux,je crois
que nous avons réussi à trouver uncer-
tainéquilibre,quicombine une approche
bienveillante, une pression saine, avec
juste pour objectifdè révéler la person-
nalité et les capacités de nos enfants. »
L'avis d'Aurélie Crétin:
I—> « Parent bienveillant, c'est une question de posture : il faut essayer de voir
les choses dupointde vue deson enfant, l'accompagner, maîs nesurtout
pas tout faireà saplace. Même dans une fratrie, il estnécessaire de s'adapter
à chaque individualité. Et quand un enfant se trouve dans un établissement
très exigeant, on ne doit pas hésiter à "faire tampon" entre les professeurs
et lui Sans remettre en cause l'autorité des enseignants, bien sûr, il convient
de dédramatiser les mauvaises notes et de se focaliserplutôt sur les réussites »
Cultiver le plaisir d'être ensemble
Lorsque l'on demande à Hélène Gou-
rio ce que son mari et elle souhaitent
transmettre à leurs deux garçons de
ll et 9 ans, la jeune femme répond
sans hésiter : « Le goût de l'effort. »
De fait, la vie de cette famille pa-
risienne semble réglée comme du
papier à musique : tous les jours, Igor
et Dimitri, scolarisés dans une école
privée du XVe
arrondissement, ren-
trent seuls à la maison, en bus. Ensuite,
ils prennent leur goûter puis se mettent
à leurs devoirs. En toute autonomie.
Un régime à la dure ? Hélène et son
mari s'en défendent. S'ils se montrent
exigeants avec Igor et Dimitri, ils sont
tout aussi intransigeants sur le temps
consacré à la détente et à la vie de
famille, loin des préoccupations
scolaires. « Nos week-ends sont remplis
de parties de jeux de société, car mon
mari adore ces moments avec les
enfants, raconte Hélène. Nous jouons
au tennis ensemble, et puis il y a aussi
les sorties, le cinéma, les petits "apéros"
entre nous... » Hélène et son mari en
sont persuadés : ces bons moments et
ces fous rires partagés sont plus im-
portants que le temps passé sur les
devoirs. « Des liens pour la vie »,
résume-t-elle Hélène.
L'avis de Patrice Huerre :
h-> « Les parents doivent absolument veiller à ce que la scolarité ne prenne pas
toute la place dans la vie de leurs enfants Le temps passé ensemble ne doit
pas se résumerà une relation parent-élève. Faute de quoi, l'enfant se construit
avec l'idée qu'il n'est qu'un élève, et que la scolarité est une fm en soi Au contraire,
il fautpartageravec lui ses passions, s'intéresseraux siennes. Jouer, enfin,
car développer ce type de capacité, c'est lui donner plus de force pour affronter
un monde en constant mouvement, plein de surprises Le plus beau cadeau
à faire à son enfant, c'est departageravec lui ses bons moments. »