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François Pidou de Saint-Olon
Un ambassadeur
de Louis XIV
a la cour de Moulay Ismaiïl
- Bibliothèque Arabo-Berbère
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L CESSE D air mat nosalareré
NET VONT NMISNS
Note de l’éditeur
BAB, après 15 ans change de directeur éditorial et c’est
François Larbre, docteur en philosophie ayant un long par-
cours avec le livre, qui reprend le flambeau.
À cette occasion, l'éditeur décide de donner un nouveau
visage à cette collection qui continuera à faire découvrir à
nos lecteurs des textes d’archives inédits et passionants.
ABDELKADER RETNANI
Publié à Paris en 1695
© La Croisée des Chemins, Casablanca, 2014
Immeuble Oued-Dahab - 1, rue Essanaâni,
Bourgogne - 20050 Casablanca - Maroc
ISBN : 978-9954-1-0458-3
Dépôt légal : 2013M03979
Courriel : editionslacroiseedeschemins(@gmail.com
www.lacroiseedeschemins.ma
François Pidou de Saint-Olon
Un ambassadeur
de Louis XIV
a la cour de Moulay Ismaïl
Texte établi et présenté par
François Larbre
PRÉFACE
Le contexte historique
En janvier 1693 François Pidou de Saint-Olon est
désigné par le roi de France Louis XIV comme am-
bassadeur auprès du sultan du Maroc Moulay Ismaïl.
L'objet de cette ambassade, pour la France, était
d'établir un accord pour le rachat des captifs chrétiens
du royaume chérifien tandis que celui-ci aurait préféré
procéder à un échange de prisonniers, comme ilvenait
d'en conclure un avec l'Espagne, sur la base de quatre
Maures pour un Espagnol. Une telle solution ne pouvait
convenir au roi de France qui n’entendait pas dégarnir
les bancs des galères françaises des nombreux ptison-
niers marocains qui y ramaient.
Mais au-delà de la question des captifs le véritable
enjeu pour Moulay Ismaïl était d'obtenir l'alliance du
roi de France pour la poursuite de la reprise des places
fortes espagnoles au Maroc: il avait déjà reconquis
Mehdia en 1681, Tanger en 1684, et Larache en 1689.
Le roi de France, qui allait bientôt installer son petit-
fils, Philippe V, sur le trône d’Espagne, ne se souciait
pas de s’aliéner les Espagnols pour une alliance avec le
Maroc musulman qui paraissait bien hasardeuse.
In ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismaïl
Dans un tel contexte l’entreprise de Pidou de Saint-
Olon, mandaté exclusivement pour racheter des captifs
que le sultan n’entendait pas vendre, était nécessaire-
ment vouée à l'échec, et les attentes politiques de Moulay
Ismaïl n’avaient aucune chance d’être satisfaites.
L’'ambassadeur
François Pidou de Saint-Olon (1640-1720) est un
diplomate qui a déjà représenté Louis XIV auprès du
Royaume d’Espagne (1673) et de la République de
Gênes (1684) et s’est acquitté de missions délicates
avec les ambassadeurs du roi de Siam ou des représen-
tants du pape. L'Etat présent de l'empire du Maroc est la
seule œuvre originale qu’il ait laissée éditer à la demande
du roi qui souhaitait que soient rendues publiques ses
observations sur le Maroc. Bien qu’il ait occupé des
fonctions importantes pendant une très longue carrière
au service du roi de France qui lui a toujours manifesté
une grande confiance, Pidou de Saint-Olon n’a pas
laissé d’autre œuvre ni une place remarquée dans l’his-
toire du règne de Louis XIV.
Le livre
Le titre original du livre d’où provient le récit de
cette ambassade est très exactement : Relztion de l'Empire
de Maroc où l'on voit la situation du pays, ls mœurs, coufumes,
gouvernement, religion etpolitique des habitants par Monsieur de
Saint-Olon Ambassadeur du Roi à la Cour du Maroc. Ce livre,
publié à Paris en 1695, n’était pas destiné, à l’origine,
à être rendu public puisqu'il s’agit du rapport fait au
roi de France Louis XIV par l'ambassadeur qu’il avait
envoyé, en 1693, à la cour du sultan du Maroc, Moulay
Ismaïl, à la demande de ce dernier.
Ce rapport intitulé « Exat présent de ‘empire du Maroc »
constitue à peu près les deux tiers de l’ouvrage, et c’est
cette partie qui contient toutes les observations de
l’auteur sur le Maroc de la fin du 17° siècle. Il est précédé
d’une épiître au roi, exercice de courtisanerie obligé où
l'ambassadeur résume les résultats de sa mission en
même temps qu’il exprime toute la déférence qu’il doit
au monarque ;cette épître est suivie d’un avertissement
au lecteur dont la bienveillance est requise.
Au mémoire sur l’état du Maroc s’ajoutent des docu-
ments qui ont trait plus directement à la mission confiée
à l’auteur : on y trouve la relation des audiences données
par Moulay Ismaïl à l'ambassadeur, et des échanges de
lettres entre le roi du Maroc et le roi de France, entre
l’ambassadeur et Moulay Ismaïl, entre les ministres de
celui-ci et ceux de Louis XIV. Dans cette dernière partie
Pidou de Saint-Olon s’emploie à justifier l'échec de sa
mission.
Le texte intégral publié dans la présente édition est
celui de édition originale. Il a été, dans certains passages,
très légèrement modernisé pour être facilement lisible
pat un lecteur contemporain peu familier du français
du 17° siècle. Les noms de lieux et de personnes soit
ont été transcrits directement dans l’orthographe en
usage aujourd’hui, soit sont renseignés par des notes
de bas de page.
Préface
Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismail
Un regard européen sur le Maroc
de Moulay Ismaïl
Le premier intérêt du texte de Pidou est de nous
offrir un témoignage direct sur l’état du Maroc sous le
règne de Moulay Ismaïl. « L’Estat présent du Royaume de
Maroc » est un des tous premiers textes, avec le récit du
Sieur Mouette! publié en 1683, à décrire l’intérieur de
ce pays et les mœurs des Marocains, quand les relations
de voyage des navigateurs ne traitaient que des côtes et
des ports.
La description des modes de vie des musulmans
était une chose neuve en Occident où, depuis Pexpul-
sion des Morisques d’Espagne, ne vivait plus aucune
population islamisée. Sur les cartes de la Méditerranée,
les portulans, le Maghreb était désigné par le terme de
« Barbarie » synonyme de « Berbérie », et on y trouvait
représentés des lions et des chameaux. Les musulmans,
le plus souvent assimilés aux Turcs, étaient «les infi-
dèles » qui réduisaient en esclavage les chrétiens que
capturaient les corsaires de Salé, Alger, ou Tunis...
De ce fait un ouvrage qui entrait dans les détails de
l’organisation politique, administrative, économique,
commerciale et sociale du Maroc devait assurément re-
présenter une somme de nouveautés pour ses lecteurs
et d’abord pour la cour de Louis XIV. Mais, au-delà de
la commande politique qui lui avait été adressée, Pidou a
dressé un tableau très complet de la société marocaine :
il s'intéresse aux différentes ethnies, à leurs pratiques
1 Relation de la captivité du Sr Moüette dans les royaumes de Fez et de Maroc /
Germain Mouette, Paris, 1683.
particulières, à leur art d’adapter leurs modes de vie à
des conditions géographiques et climatiques très diffé-
rentes de celles de l’Europe. Il parle beaucoup du sort
des captifs chrétiens, c’était là le premier objet de sa
mission, mais il traite aussi des pratiques religieuses, de
l’habillement, de l’alimentation.…
Son regard extérieur sur le Maroc l’amène à s’inté-
resser à tout ce qui le surprend, à tout ce qui diffère de
ses habitudes, et dont n’aurait pas parlé un Marocain
de son temps pour qui tout cela était naturel. C’est ainsi
que le regard de l'étranger nous permet d’apprendre
beaucoup sur nous-mêmes, c’est même un procédé
littéraire qui sera largement utilisé au 18° siècle; Les
Lettres persanes de Montesquieu en constituent l’exemple
le plus connu!
Cependant la qualité du témoignage de Pidou de
Saint-Olon est à considérer avec trois réserves.
La première concerne le temps relativement bref du
séjour de l’auteur au Maroc : moins de trois mois entre
juin et août 1693; et, pendant ces quelques semaines,
il ne visite que Tanger et Meknès, ce qui ne peut lui
permettre d’acquérir une connaissance personnelle de
l'ensemble du pays.
La seconde réside dans les nombreux emprunts de
Pidou aux écrits antérieurs sur le Maroc : tout ce qu’il
rapporte ne relève pas d'observations directes n1 d’in-
formations de première main. À la fin du 17° siècle il
existait très peu de textes pertinents sur le Maghreb
en Europe et notre auteur avoue spontanément avoir
eu recours à la Description de l’Affrique du géographe
Préface
Un ambassadeur de Louis XTV/ à la cour de Moulay Ismaïl
10
hollandais Olfert Dapper qui avait été traduite en fran-
çais en 1686. Pidou ne prétend pas être allé partout
au Maroc, mais, quand on sait que Dapper a réalisé
ses travaux de géographie sans jamais avoir quitté les
Pays-Bas, on peut légitimement penser que les faits et
données rapportés par Pidou méritent d’être considérés
avec prudence.
Les emprunts de Pidou sont parfois moins explicites.
Ainsi quand il décrit « le repas des africains » ses mots
et ses phrases ressemblent trop à ceux de Germain
Moüette traitant le même sujet; Pidou a évidemment
assisté à des repas chez ses hôtes marocains mais il
semble que les mots de Moüette lui ont paru si bien
les décrire qu’il les reprend sans même en changer
lordonnancement!
Ces deux indices nous invitent à considérer avec
prudence les informations sur le Maroc qui sont rap-
portées par un auteur que la réutilisation, voire le re-
copiage, du travail des autres ne gênent manifestement
pas. Le témoin n’est pas l’historien.
La troisième réserve est plus méthodologique et
porte sur des présupposés et préjugés idéologiques.
Pidou de Saint-Olon n’est pas un ethnologue, ni
un anthropologue, sa démarche ne peut prétendre à
aucune scientificité. Au contraire, elle s’enracine dans
la vision, alors commune en Occident, d’un monde
musulman radicalement étranger et peuplé d’infidèles
avec lesquels aucun rapport de confiance ne peut être
établi. Partant de ces préjugés tout ce que Pidou observe
ne peut que constituer des preuves du bien fondé d’une
telle vision. Nous sommes là tout près de la racine de
la profonde discorde entre l'Orient et POccident, là où
la géopolitique s’entremêle avec le social et le religieux
pour créer des antagonismes séculaires, là où la force
va tenir lieu de droit.
Cet ambassadeur n’est certes pas le premier à poser
les termes de l’affrontement séculaire entre musulmans
et chrétiens, mais il est tellement imprégné de celui-ci
qu’il n’en cherche que des justifications dans tout ce
qu’il voit.
On voit bien ainsi que l’intérêt de ce texte, outre ce
qu’il nous apprend sur le quotidien des Marocains du
17° siècle, est d’être lu avec le discernement nécessaire
pour comprendre, d’une part, ce qui troublait l’obser-
vateur étranger et, d'autre part, avec quels préjugés
celui-ci regardait le Maroc. C’est un bon exercice de
comparatisme culturel.
XXX
Préface
11
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EPÎTRE AU Roy
Sire,
Quoique je ne doute pas que Votre Majesté n’ait
eu de temps en temps de fidèles informations de ce
qui regarde l’état, les forces, les coutumes et la religion
des Maures, et bien que ce que j’en ai vu dans quelques
relations publiques se soit trouvé assez conforme à
l’examen que j’en ai fait sur les lieux mêmes, toutefois,
Sire, lobéissance et l'attention que je dois à l'exécution
des ordres de Votre Majesté, et à ce qu’elle m’a fait
prescrire dans mes instructions, m’ayant engagé pendant
mon séjour dans les Etats de l'Empereur du Maroc à
des remarques plus nouvelles et moins connues, j’ose
espérer qu’Elle aura la bonté d’agréer, que sans affecter
la grosseur du mémoire que jai l'honneur de lui pré-
senter par des répétitions superflues de ce quelques
auteurs en ont écrit, je me contente d’y joindre, comme
par manière de supplément, les observations dont il
m'a paru qu’ils n’ont point fait mention, tant pour ce
qui concerne le détail et la qualité du commerce de cet
Empire, que le caractère, les mœurs et le génie de ceux
qui ont le plus de part à son gouvernement, et ce que
Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismaïl
14
les conquêtes du Roy qui le possède aujourd’hui peu-
vent avoir contribué à l'agrandissement de ses états, à
l'augmentation de ses forces, et à l'élévation de cette
vanité qui ne règne pas moins fort en lui, que les autres
qualités qui le distinguent si fort.
Quand Votre Majesté s’est résolue de m’honorer de
son choix pour aller conclure en son nom avec cet em-
pereur le traité de paix qu’il avait si fort témoigné dési-
rer depuis quelques années, qu’il semblait même avoir
voulu par avance en aplanir toutes les difficultés dans
la lettre qu’il avait écrite et envoyée à Votre majesté par
le Consul de Salé, Votre Majesté était déjà si justement
prévenue par les fréquentes épreuves qu’elle en avait
faites, du peu de fondement qu’on doit assoir sur ses
propositions et ses promesses, que l’attention que je
devais avoir à ne m’en pas laisser surprendre était l’un
des articles plus essentiels et plus recommandés dans
mon instruction ; aussi est-ce à quoi je me suis attaché
par toutes les voies et tempéraments qui m'ont paru
plus propres à concilier l’artifice de son Conseil et de
ses ministres, avec l’ardeur et la fidélité de mon zèle
pour le service et pour la gloire de Votre Majesté.
Ce que je dis même à ce Prince en ma première
audience, et que je répéterai encore à la fin de ce petit
ouvrage, aura pu faire connaître à Votre Majesté que je
n'ai point non plus ménagé les éloges ni les insinuations
que j'ai jugé les plus capables de flatter son ambition, et
de le rendre favorable au succès de vos pieux et solides
Projets pour la liberté de vos Sujets esclaves, et pour la
sureté de vos négociants.
Cependant, Sire, si Votre Majesté n’a pas eu le temps
et la curiosité de lire le mémoire ou journal que je lui ai
Epêtre an Roy
envoyé de mon séjour et de ma négociation dans les
états de ce prince et dans sa Cour, Elle aura vu que non
seulement elle n’en avait point prise de fausses idées,
mais que bien loin que mes tentatives pour renverser
cette foi punique qui s’y professe aujourd’hui si géné-
ralement, et pour en arracher les rejetons devenus plus
forts que leur ancienne tige, bien loin dis-je que mes
soins et mes efforts aient pu suffire à les déraciner, ils
n’ont pas seulement été capables de les ébranler.
J'aurais lieu, Sire, à ce propos, de reprendre et rap-
porter ici la substance ou l'extrait de bien des choses que
j'ai déduites assez au long dans ce journal, si la crainte
de me trop éloigner de mon entreprise, qui suivant les
ordres de Votre Majesté, ne doit regarder que l'étendue,
le gouvernement, les forces et le commerce de l'Empire
du Maroc, ne m’obligeait à supprimer tout ce qui n’a
point de relation directe à leur exécution.
Ce que néanmoins jene crois pas devoir commencer
sans faire auparavant à Votre Majesté cette remarque
aussi nécessaire que véritable, que tout ce que le manège
et les discours des ministres du Roi du Maroc m’ont fait
entrevoir de ses desseins et de ses résolutions au sujet
des tentatives qu’il fait de temps en temps auprès de
Votre Majesté, ne seront et n’ont jamais été autres, quel-
les qu’en soient les démonstrations, que de s’attirer des
présents, des honneurs et des secours pour la conquête de
ce que les Espagnols tiennent encore dans son pays.
Comme ce Prince et ses Ministres connaissent par-
faitement que vos bontés et votre compassion pour
vos pauvres sujets esclaves sont les seuls motifs qui
1 L’auteur assimile l’Islam à la religion des anciens Carthaginois.
15
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl
16
vous portent à les écouter, il faut compter qu’ils ne se
déferont point de ces esclaves, tant qu’ils se verront
dans l’espoir et le besoin d’en tirer les avantages que je
viens de remarquer; qu’ils ne traiteront jamais qu’à des
conditions de cette nature, et qu’ils tâcheront toujours
d’exiger ou de procurer par quelque voie ce soit, que
l'effet qu'ils croiront en devoir attendre précède lexé-
cution de ce qu’ils en auront promis.
Il ne me reste plus, Sire, après cela, qu’à représenter
à Votre Majesté, que je me suis attaché si particuliè-
rement à l'examen de tout ce qui fait le sujet de ce
Mémoire, que je puis bien l’assurer qu’il ne contient
rien qui ne soit très conforme à l'effet et à la vérité;
j'ose aussi espérer des bontés de Votre Majesté, qu’elle
en excusera d’autant plus facilement les omissions et
les défauts, que par le compte que j’ai eu honneur de
lui rendre de mon séjour et de ma négociation en ce
Royaume, où j'ai presque toujours été retenu et observé
très exactement, et où l’on ne souffre pas très volon-
tiers que l’on s’informe des affaires du pays. Elle aura
connu le peu de commerce et de relation que j'ai pu
avoir avec ce qui m'en aurait facilité une connaissance
plus parfaite et plus capable de confirmer à Votre majesté
la fidélité du zèle ardent et respectueux avec lequel je
suis inviolablement,
Sites
De Votre Majesté, le très humble, très obéissant et très
fidèle sujet et serviteur
Pidou de Saint-Olon.
AU LECTEUR
L'Epitre que vous venez de voir vous fait assez
connaître que cet ouvrage n’avait point été fait pour
être public, et que ce que vous verrez dans la suite
vous persuadera encore mieux que je ne suis pas doué
des talents nécessaires pour m'ériger en auteur. Ainsi
ne vous attendez pas d’y trouver ni l’arrangement, ni
les arrangements, ni l’éloquence de ceux de cette pro-
fession, et lisez-le s’il vous plaît, avec toute la prévention
d’indulgence que vous ne sauriez équitablement refuser
à la prière et à l’aveu que je vous en fais.
Ce n’est ici qu’un mémoire, tout simple et tout naturel,
de ce que j’ai remarqué dans mon voyage de plus pro-
pre à remplir obligation ordinaire de ceux que le Roi
honore de ses ordres chez les princes étrangers: j'ai
tâché de le rendre le plus véritable et le plus court qu’il
m'a été possible, et d’y éviter également l’exagération
et la répétition des différents auteurs qui font mention
de ce pays-là.
Je ne me suis déterminé aussi à vous le présenter
que sur les pressantes instances qui m’en ont été faites
pat un grand nombre de personnes, dont le rang et le
mérite ou l’amitié ne m'ont pas laissé la liberté de m’en
17
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismail
excuser :ainsi, pourvu que vous ayez la même bonté
qu'eux pour l’auteur, nous serons également contents,
vous de le lire, et moi de vous l’avoir donné.
18
ÉTAT PRÉSENT DE L’EMPIRE
DE MAROC
Dessein de l’auteur
Mon dessein n'étant pas de suivre ici l’histoire et
de chercher l’origine de tout ce qui compose à présent
l'Empire du Maroc, mais de donner, comme je l’ai dit,
une relation exacte et précise de son étendue, de ses
limites, de ses forces, de son commerce et de son gou-
vernement. Je crois qu’il suffira d’en préparer l’idée par
un extrait le plus abrégé qu’il sera possible de la ma-
nière que le fameux Moulay Rachid, Roi du Tafilalet,
et Moulay Ismaïl son frère et son successeur immédiat,
ont réuni les Royaumes de Marrakech, Fez, Tafilalet,
et Souss, et la vaste province du Draa sous une même
puissance, et en ont formé ce grand état où nous voyons
aujourd’hui ce dernier régner si souverainement.
Histoire du Roi de Tafilalet
Moulay Cherif, Roi du Tafilalet et père de Moulay
Rachid, qui remontent leur généalogie jusqu’à Mahomet
duquel ils se font descendre par sa fille Fatima, eut
en mourant pour successeur de son royaume Moulay
19
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl
20
Ahmed ainé des quatre-vingts quatre enfants mâles et
cent vingt-quatre filles qui lui survécurent; mais Moulay
Rachid, l’un de ses frères, dont le cœur fier et ambitieux
ne pouvait se résoudre à obéir, ne l'en laissa pas jouir
longtemps avec tranquillité, et soutenu par quelques-
uns des principaux caïds qu’il engagea dans ses intérêts,
il forma des desseins dont les commencements néan-
moins ne répondirent pas aux projets de son ambition,
car le Roi les ayant prévenus, fit prendre et mourir les
caïds, et le fit enfermer dans une prison.
Cependant ayant trouvé le moyen de s’en sauver, et
plutôt aigri qu’attiré par la douceur de ce traitement,
assembla des troupes, et tenta de nouvelles entreprises;
mais le succès n’en fut encore que de se laisser prendre
et enfermer une seconde fois.
Cette prison, quoique plus longue et plus resserrée
que la première, ne produisit pas un meilleur effet:
car le Noir à qui le Roi en avait confié la garde, et qu'il
avait choisi parmi les siens comme le plus fidèle, ne le
fut pas assez pour résister aux caresses et aux grandes
espérances dont Moulay Rachid le flatta pour en obtenir
la liberté; ils en concertèrent ensemble les moyens et
les exécutèrent. Mais persuadé qu’il n’était pas sûr de
se fier à celui qu’il voyait capable de trahir ainsi son
maître, et craignant pour soi un semblable retour, il ne
le paya d’un service si important que par la mort qu’il
lui donna d’un coup de sabre en se sauvant.
Il se retira à Zaouias” où commandait le Morabite
Ben Boucar” que les habitants de cette province avaient
élu pour leur prince à cause de sa vertu.
2 Il s’agit de la Zaouïa de Dila, dans la région de Khenifra, qui dominait alors
tout le Nord du Maroc saadien.
3 Il doit s’agir de Mohammed ben Abu Bakr.
Etat présent de l'Empire de Maroc
Ceux qu’on appelle Morabites en Afrique sont
comme nos ermites. Ils font profession de science et
de sainteté, et ils se retirent dans les déserts, où le peuple
qui les à en très grande vénération va quelquefois les
chercher au fond de la solitude pour leur mettre la
couronne sur la tête ainsi qu’il l’avait fait pour Ben
Boucar.
Moulay Rachid cachant ce qu’il était, alla lui offrir
son service en qualité de simple soldat. Ce bon vieillard
le reçut favorablement, et l'ayant connu comme homme
de mérite, il lui donna dans la suite divers emplois,
dont il s’acquitta si bien, qu’il acquit en peu de temps
son estime et son amitié.
Cependant ayant été reconnu par quelques arabes du
Tafilalet qui avaient apporté des dattes à vendre et qui
furent aussitôt le saluer comme frère de leur Roi, les
fils de Ben Boucar le soupçonnèrent de n’être pas venu
ainsi déguisé dans leurs états sans quelque dessein, et
résolurent de le faire mourir.
Ils lui dressèrent à cet effet une embuscade dont il
s’échappa et se sauva à Quiviane‘, où ayant aussi offert
ses services à celui qui en était le maître de la même
manière qu’il avait fait à Ben Boucar, il s’y fit encore si
bien valoir qu’il en devint en peu de temps le Premier
Ministre et le favori.
Mais l’autorité de son poste, la confiance et l’amitié
de son maître et celle qu’il avait eue l’adresse de s’ac-
quérir parmi ses peuples, ne servirent que de nouveaux
aiguillons à son ambition. Il se persuada que la conquête
de cet état, où il était déjà si absolu, ne lui serait pas
moins facile que lui avait été l'élévation où il se voyait;
4 Aujourd’hui Mlilya ou Melilla.
21
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaël
22
il se servit des trésors mêmes de son bienfaiteur pour
s’attirer ceux dont il ne se croyait pas assez assuré : et
y ayant réussi selon ses souhaits, il s’empara en peu
de temps et sans peine du Prince de Quiviane, de ses
biens, et de tout son pays; et jugeant que la mort était
le plus sûr moyen de s’en affermir la possession, il s’en
défit, et ensuite il leva des troupes avec lesquelles 1l se
mit en état d’aller exercer contre son frère son ressen-
timent et ses premiers desseins.
Moulay Ahmed qui en eut avis travailla de son côté à
le prévenir :et s’étant mis en campagne pour cet effet, ils
se donnèrent l’un à l’autre divers combats dans lesquels,
Moulay Rachid ayant presque toujours eu l’avantage, il
réduisit son frère à se renfermer dans le Tafilalet, où le
chagrin de ses disgrâces, et la crainte de l’inhumanité de
son vainqueur le firent mourir. Ainsi cette mort l’ayant
délivré de son principal compétiteur, et mis en chemin
de suivre ses conquêtes, il les poussa avec tant de cou-
rage, de conduite et de bonheur, qu’il se fournit encore
en assez peu de temps Salé, qui était une ville libre, et
les royaumes de Fès, du Maroc” et du Souss, dont les
uns se rendirent à la force de ses armes, et les autres à
la terreur qu’elles y répandaient.
Il n’en jouit pas cependant aussi longtemps que
son âge et sa fortune semblaient le lui promettre, et
il ne put éviter dans son propre palais, et à quarante
ans, la mort qu’il avait tant de fois affrontée dans les
combats. Ce fut dans une fête, où ayant assemblé sa
noblesse et fait excès de vin avec ses plus particuliers
amis, ce qui lui arrivait assez fréquemment, il s’avisa
en cet état de vouloir caracoler dans ses jardins, où en
5 De Marrakech.
Eat présent de l'Empire de Maroc
passant sous une allée d’orangers son cheval l’'emporta
si violemment, qu’une grosse branche d’un des orangers
lui fracassa le crâne, et le mit en trois jours dans le
tombeau.
L'ordre et la paix que ce conquérant commençait à
établir dans ses états furent bientôt troublés par l’ac-
cident imprévu de cette mort, arrivée en l’année 1672.
Car ceux de sa famille auxquels il avait confié le gouver-
nement de ses Royaumes, voulurent se rendre maître
du pays où chacun d’eux commandait, mais Moulay
Ismaïl, qui se trouva le plus brave, le plus entreprenant,
et le plus estimé, fut aussi celui qui sut le mieux en
profiter.
I se fit d’abord reconnaître Roi du Tafilalet, il s’em-
para des trésors de son frère, il se mit en campagne avec
le plus de troupes qu’il put ramasser, et après en avoir
gagné quelques-uns par promesses ou par présents, il
vainquit les autres par les armes, et se rendit maître de
tout.
Celui d’entre ses concurrents qui lui fit le plus de
peine fut Moulay Ahmed son neveu, lequel s'était
aussi fait reconnaître Roi de Fès et du Souss, et s'étant
opposé à lui avec des forces considérables, l’a obligé
pendant deux ou trois ans à divers sièges ou combats,
dont les désavantages qu’il a souffert, l’ont enfin réduit
à se soumettre comme les autres, et n’ont servi à rien
d’autre qu’à faire d’autant mieux éclater la conduite et
la valeur intrépide de ce prince, qui ne doit qu’à ces
deux qualités la libre et souveraine possession où il se
trouve aujourd’hui de tout cet empire, dont l’étendue
n'est pas moins considérable que sa situation.
23
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl
24
Etendue de l'Empire du Maroc
Il y a bien deux cent cinquante lieues° de distance
du Nord au Sud, et cent quarante de l’Est à l'Ouest;
ses limites sont du côté d’Orient le Royaume d’Alger
qui le confine à Tlemcen, l'Océan Atlantique à POc-
cident, le fleuve Draa au Midi, et la Mer Méditerranée
au Septentrion, à l'exception néanmoins de trois places
que les Princes Chrétiens tiennent encore sur ses côtes, à
savoir Mazagan’, occupé par les Portugais sur POcéan,
et Ceuta et Melilla par les Espagnols du côté de la Médi-
terranée, l’une à l'embouchure et l’autre plus en deçà.
Il n’y à que peu de temps que ces derniers avaient
aussi deux très bonnes places sur l'Océan, qui sont
Larache et La Mamorre”, qu’ils se sont laissé enlever
par Moulay Ismaïl, la première en l’an 1681 et l’autre
en 1689. Les Anglais y étaient aussi maîtres de Tanger
dans le détroit, mais ils l’ont abandonnée depuis quel-
ques années en ruinant son port et ses fortifications.
De sorte que l'Empereur du Maroc à présentement
pour places considérables, sur les côtes de Océan,
Sainte Croix”, Safi, Salé, La Mamorre, Larache, Asilah
et Tanger; et sur la méditerranée Zaffarine"” et Tétouan,
encore cette dernière est-elle située dans les terres à
deux lieues de la marine, et sans aucune fortification,
aussi n’est-elle que comme un bourg assez bien bâti et
fort peuplé.
6 Une lieue mesurait à peu près 4 kilomètres.
7 Aujourd’hui El Jadida
8 Aujourd’hui Méhdia
9 Agadir
10 Les îles Zaffarines
Eat présent de l'Empire de Maroc
Tétouan
Les habitants de Tétouan, qu’on fait monter à plus
de quinze mille, se disent andalous, et parlent presque
tous espagnol, car tout le monde sait que les Maures
ont été les maîtres de l'Espagne pendant six ou sept
cents ans, et qu'après bien des efforts que les originaires
du pays avaient fait inutilement pour les en chasser,
Ferdinand, plus heureux, les soumit entièrement à son
empire, et les obligea à embrasser extérieurement la
religion romaine pendant qu’ils travaillaient secrètement
à la ruine de l’état. Mais Philippe IIT ayant découvert
leurs menées les en chassa en 1610. Ils en sortirent au
nombre de plus de cent mille de tout sexe et de tout âge,
et la plus grande partie se retira en Afrique, et s’établit à
Salé et à Tétouan.
Ils sont blancs, assez polis et fort affables aux chré-
tiens. Le Consul français et tous les marchands qui y
sont établis, quoique de nation et de religion différentes,
y entretiennent à frais commun, outre le droit de trois
écus qui se lève pour ce sujet sur chaque vaisseau, tar-
tane ou barque qui y abordent, un petit hôpital avec
deux récollets espagnols pour le service de la religion,
et pour la consolation des esclaves : 1l y en a autant à
Salé, et de la même manière.
Il n’y à aucun bon port en aucune de ces places,
les meilleurs seraient Tanger, La Mamorre et Salé,
mais on n’y peut entrer que par une barre qui en rend
l’abord impraticable à toute forme de gros bâtiments,
ce qui fait aussi que le Roi ni ses corsaires ne sauraient
y armer que brigantins ou frégates légères qui vont en
course pour pirater.
25
Un ambassadeur de Louis XIV/ à la cour de M oulay Ismail
26
Vaisseaux et forces de mer du Roi du Maroc
Le nombre de ces bâtiments n’est jamais fixé, il se
règle suivant ce qu’il s’en perd ou qu’il s’en construit :
il y en a présentement douze ou treize dont six sont au
Roi, et le reste à des particuliers;ils sont de dix-huit à
vingt pièces de canon, les plus forts n’en passent pas
vingt-quatre, mais ils ont jusqu’à deux cents hommes
d'équipage, et sont pour la plupart fort mal en ordre à
cause de la disette du pays pour les munitions, voiles,
cordes et autres agrès, en sorte que si les Maures n’en
tiraient comme ils font de temps en temps des Anglais
et des Hollandais, ce nombre se réduirait bientôt et bien
facilement à un plus petit.
L'entretien des vaisseaux du Roi du Maroc ne lui
coûte rien; c’est le caïd ou gouverneur du lieu où ils
sont qui en paie les officiers et l'équipage; s’ils font des
prises le Roi en a la moitié, et l’autre se partage entre le
caïd et les officiers, qui en donnent quelques portions
à l’équipage; mais pour les esclaves le Roi les prend
tous, en payant cinquante écus pour chacun de ceux qui
ne sont pas compris dans sa moitié.
Les vaisseaux des particuliers sont aux frais des at-
mateurs, dont ils se remboursent sur le produit des
prises, sur lesquelles le Roi prend le cinquième avec
tous les esclaves moyennant aussi cinquante écus pour
chacun.
Des quatre royaumes spécifiés ci-dessus, Marrakech
et Fès sont les plus grands et les plus considérables,
leurs capitales portent leurs mêmes noms. Celle de
Marrakech était autrefois très peuplée et fort renommée
pour sa beauté et sa richesse, mais elle est à présent
Eat présent de l'Empire de Maroc
beaucoup déchue, et ne contient pas plus de vingt-
cinq mille habitants; ses rues paraissent presque déser-
tes, et personne ne prend soin de réparer les ruines
qui s’y accumulent tous les jours et qui la défigurent
entièrement; son palais et cette mosquée si fameuse
par sa grandeur et ses ornements, aussi bien que par
les portes de bronze et les trois pommes d’or, qu’on
disait enchantées ne sont plus rien, Moulay Ismaïl n’a
point appréhendé les vains pronostics de malédiction
contre ceux qui les Ôteraient, son avidité pour l’argent
plus forte en cette occasion que la superstition assez
ordinaire aux Maures, l’a déterminé à les faire enlever
et enfouir dans son invisible et inutile trésor; j’expli-
querai par la suite ce qui me fait le qualifier ainsi.
On prétend que ces pommes d’or dont je viens de
parler ont été mises sur cette mosquée par la femme
de ce grand Al Mansour si célèbre et si connu dans
l’histoire par la conquête de l'Espagne. On dit donc
que cette reine voulant laisser à la postérité un monu-
ment à sa grandeur, employa à sa construction la plus
grande partie de ses joyaux et de sa dot : que ces pommes
avaient été posées sous une telle constellation du ciel
qu'on ne pouvait les en Ôter, et que l’architecte avait
obligé certains esprits par des conjurations à en être
les gardiens. On assure même que plusieurs rois qui
les ont voulu prendre en ont toujours été retenus par
quelque accident: et les Maures, très crédules sur la
magie, s'étaient imaginés jusqu’à présent qu’en vertu
de cette conjuration le Diable romprait le cou à celui
qui entreprendrait de les enlever;mais ce roi-ci moins
crédule et moins scrupuleux les en a détrompés.
27
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl
28
Safi et Mazagan situées sur les côtes de l'Océan, et
dont la dernière est une grande et belle ville possédée
pat les Portugais qui y tiennent une bonne garnison,
sont après cette capitale les seules villes du pays qui
méritent qu’on en fasse mention; car bien que son
étendue qui se divise en sept provinces, soit assez
grande, il n’est pas néanmoins fort peuplé, à cause que
son territoire sablonneux, sec et ingrat dans sa plus
grande partie, n’y permet pas l’abondance des grains
ni des bestiaux; il n’est fertile qu’en chameaux qui s’y
trouvent en nombre et à bon marché, en mines de
cuivre, cire, et amandes, dont il se fait un grand débit
en Europe.
On estime qu'il peut y avoir dans les campagnes
jusqu’à trente mille cabanes de douars, qui font près
de cent mille hommes payant garamme!!, c’est-à-dire
payant au Roi un tribut de la dixième partie de tout ce
qu’ils possèdent, à quoi ils commencent d’être sujets
dès qu'ils ont atteint l’âge de quinze ans.
Douar
Un douar est une espèce de village ambulant (car il
y en a très peu de bâtis et de stables en toute l'Afrique)
composé de quelques familles arabes qui campent sous
des tentes, tantôt en un lieu, tantôt en un autre, selon
que la bonté du terrain les y excite, et que la subsistance
de leurs bestiaux, en quoi consiste tout leur bien, le
requiert : chaque douar a son marabout et se soumet à
la conduite d’un chef qu’ils élisent entre eux; chaque
11 Ghrama, impôt en nature.
Etat présent de l'Empire de Maroc
famille occupe une tente ou une cabane, et y couche
pêle-mêle, avec ses bœufs, moutons, chameaux, poules,
chiens, etc. Rien n’est comparable à leur misère et à
leur malpropreté, cependant ce sont eux qui font les
revenus du Roi les plus réglés et les plus certains : c’est
otdinairement un Noir de sa garde qui va exiger leurs
tributs, et qui, bien que seul, fait jouer la bastonnade
comme il lui plaît contre le moindre défaillant, sans
qu'aucun ose s’y opposer ni s’en plaindre.
Quand les Arabes transportent leurs douars, ils met-
tent leurs femmes et leurs enfants sur des chameaux
dans des machines d’osier couvertes de toiles et faites
en formes de niches, mais toutes rondes, qui les couvrent
entièrement de l’ardeut du soleil, et d’où néanmoins
elles peuvent prendre l'air de tel côté qu’elles veulent :
si les chameaux ne suffisent pas pour leur bagage, ils
le font porter par leurs taureaux et vaches, qui ont des
bâts, ce que je n'avais encore point vu dans les autres
pays.
Royaume de Fès
Le Royaume de Fès connu autrefois sous le nom de
Mauritanie Tingitane, n’est pas moins grand que celui
de Marrakech, et se divise comme lui en sept provinces;
mais il est beaucoup plus fertile, mieux peuplé, et plus
abondant en toutes sortes de grains, bestiaux, légumes,
fruits, et cire; il le serait encore davantage si l’on prenait
plus de soin de le cultiver, mais la bonté du territoire
qui produit presque de lui-même, la nonchalance des
habitants qui se contentent de ce qui suffit à leur subsis-
tance, et leur scrupuleux entêtement à ne point vouloir
29
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl
30
sortir leurs grains, sont cause que plus de la moitié de
ces terres reste en friche.
Il y a quelques mines de fer, mais ils ne savent pas
le raffiner, et ils ne s’en servent qu’à faire des clous et
d’autres ferrements grossiers.
Ce royaume a pour confins d’un côté celui de Mar-
rakech, et de l’autre celui d'Alger; il est traversé par le
rapide fleuve du Sebou qui passe à une demie lieue de
sa capitale, et va se décharger par La Mamorre dans
l'Océan. Ce fleuve est le plus beau de tous ceux de
l'Empire du Maroc, et a sur ses bords au-dessus de
La Mamorre une grande forêt, qui peut fournir à la
construction de quantité de vaisseaux : on dit aussi que
peu loin de sa source ily a un fort beau pont de pierres
et de briques de cent cinquante toises de longueur, ce
qui serait remarquable et extraordinaire s’il n’était pas
ancien; car non seulement on ne s’attache plus en ce
pays aux édifices publics, mais on n’y prend pas même le
moindre soin des réparations requises dans ses chemins
pour la facilité de ce qu’on est obligé d’y faire passer;
il est vrai aussi que n’y ayant aucune autre allure ni
voiture que celle du cheval ou du chameau, ces répa-
rations ne sont pas si absolument nécessaires qu’elles
le seraient ailleurs.
À propos de quoi je remarquerai qu’il n’y a ni poste
ni voitures publiques établies en tous ces pays, et que
les correspondances qui n’y sont pas fréquentes, ne s’y
entretiennent que par des exprès à pied ou à cheval, qui
font cependant assez de diligence et qui ne coûtent pas
beaucoup, tant parce que les hommes et les chevaux
sont durs à la fatigue, qu’à cause qu’ils s’y nourrissent
de peu de choses et à très bon marché.
Eat présent de 1‘Erpire de Maroc
Dromadaires
On s’y sert pour les affaires importantes et pressées
d’une manière de monture qu’on nomme dromadhaire,
qui est une espèce de chameau, et qui n’en diffère
que par sa vitesse et sa maigreur, qualités qui lui sont
naturelles et tout-à-fait particulières; car on observe
à ce que disent ceux du pays, que cet animal fait par
jour autant de lieues qu’il est de jours à dormir, et sans
voir clair en naissant, de sorte que s’il dort pendant six
jours aussitôt après qu’il est né, il fait par jour soixante
lieues et plus ou moins à proportion.
J'en ai vu un de cette espèce à Meknès, sur lequel
on a voulu me faire croire que l’oncle du Roi avait fait
jusqu’à cent lieues en un jour, ce qui me paraît néan-
moins tenir un peu de lexagération;ceux qui l’assurent
ajoutent que la fatigue de cette allure qui n’est qu’un
entrepas fort précipité, en égale la diligence, et qu’il ne
serait pas possible de la soutenir si l’on ne se faisait pas
attacher sur la selle, et couvrir la bouche de crainte de
la suffocation ; en effet il ne faut pas douter, si ceci est
véritable, qu’on ne se trouve harassé outre mesure au
bout d’une course de cette haleine et de cette vitesse-là.
On estime que les douars dans le Royaume de
Fès y composent près de trois cents mille hommes
payants garammes. Sa capitale qui porte son nom
est sans contredit la plus belle, la plus riche, et la
plus marchande qu'aucune autre ville de l'Empire du
Maroc : elle se divise en vieille et nouvelle ville, bien
bâties et peuplées de plus de trois cents mille âmes:
la vieille ville est habitée par des Blancs, et la nouvelle
par des Noirs : elles contiennent toutes deux tant de
Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismaïl
32
portes, de ponts, de fontaines, et places publiques, de
gemmes!?ou mosquées, de collèges et de beaux édifices,
que l’ample description que Dapper” en fait dans son
Histoire de l'Afrique, n'est pas moins digne de la curiosité
des lecteurs, que toutes ces choses le sont elles-mêmes
de celle des voyageurs qui vont en ce pays-là. Pour moi
à qui l’on n’a pas voulu permettre d’y aller, quoiqu’elle
ne soit éloignée de Meknès que d’une journée, jesuis ré-
duit comme les autres à m’en rapporter aux relations.
Ce royaume a encore pour villes remarquables Taza,
Meknès, La Mamorre, Asilah, Larache, Salé, Tanger,
Ceuta, EL Ksar et Tétouan.
Meknès est la demeure du Roi, et située dans le mi-
lieu des terres : elle est petite, mais si remplie d’habi-
tants, dont on fait monter le nombre à plus de soixante
mille, qu’on ne saurait passer dans ses rues, d’ailleurs
très étroites, qu’en s’y entrechoquant; j'en parlerai plus
amplement dans un autre endroit.
Taza est une petite forteresse entre Fès et Meknès.
Les autres villes bordent la mer, et sont toutes assez
peuplées et fort marchandes; elles le seraient encore
davantage si elles avaient quelque bon port; mais la
barre que j'ai déjà dit qui y règne en ces côtes, n'y en
permet aucun.
Tétouan et Salé sont celles où les bâtiments de mer
abordent plus facilement, ce qui a donné lieu à plusieurs
marchands de diverses nations de s’y habituer, et au Roi
de France d’y établir en chacune un Consul pour la com-
modité ducommerce,etpour sasûreté, c'enestau moins
l'intention, mais que je puis dire être sans effet par les
12 Gemmes : transcription de jâmi
13 Olfert Dapper, géographe hollandais du XVII siècle, auteur d’une
encyclopédique Description de l'Afrique publiée à Amsterdam en 1668.
Eat présent de 1“Erpire de Maroc
manières barbares et intéressées que ces ennemis de
la politesse et de l'honnêteté, qui les portent, ainsi que
je l’ai vu, à une considération bien plus grande pour le
moindre marchand, par rapport au profit qu'ils en es-
pèrent, que pour les Consuls, dont le caractère qui leur
est infructueux est tous les jours exposé aux bizarreries
de leurs caprices et aux indignités de leurs mépris.
Salé
Salé est plus connue et plus renommée que les
autres à cause de ses corsaires et de son havre, qui n’est
proprement néanmoins que pour de petits bâtiments.
Elle est encore considérable par ses deux forteresses,
par ses deux villes divisées comme à Fès en vieille et
nouvelle, et par son grand commerce; ses habitants qui
ne sont pas plus de vingt mille, se qualifient d’Andalous,
comme ceux de Tétouan; elle avait autrefois de beaux
édifices que les guerres et ses révoltes ont presque tous
ruinés. Elle à fait de la peine quelques temps aux rois
du Maroc, dont elle voulait secouer la domination;mais
Moulay Rachid la réduisit en 1666 par le gain d’une
grande bataille contre le fameux Gayland'* Seigneur
de Tétouan, d’Asilah et de El Ksar, dont elle avait
recherché la protection; ces deux villes sont séparées
pat la rivière de Guerou!”, celle qui est du côté sud a
deux châteaux au haut d’une petite montagne qui est
sur le bord de la mer: ils se communiquent pat une
grande muraille, et contiennent environ trente pièces
d'artillerie assez mal en ordre; il y a un fortin au-dessus
14 Ghaylan pour les historiens.
15 Il doit s’agir du fleuve Loukos.
33
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismail
34
du vieux château sur l'embouchure de la rivière, garni
de trois canons de fer et de deux de bronze de douze
à quinze livres de balle, pour faciliter la retraite de ses
corsaires quand ils sont poursuivis.
El Ksar
El Ksar s’est aussi rendue célèbre par la grande
bataille que Don Sébastien Roi du Portugal perdit avec
la vie en 1578 dans la plaine qui est entre cette ville et
la rivière de Moukazem!"; elle est petite, peu remplie
d'habitants et fort mal bâtie, mais dans une situation
agréable par cette rivière te par les beaux jardins qui
l’environnent de tous côtés, Ghaylan y faisait sa princi-
pale demeure dans un assez grand palais, qui est pré-
sentement tout ruiné; jene puis m'empêcher de dire en
passant que jecrois que cette ville est le réduit de toutes
les cigognes de cette Barbarie, et qu’il y en a plus que
d'habitants, je n’en ai jamais tant vu ensemble et dans
un même endroit, aussi y sont-elles en sûreté, car les
maures tiennent à péché d’en tuer, et le défendent très
rigoureusement, à cause qu'ils croient qu’à la prière de
Mahomet Dieu à transformé en ces oiseaux une troupe
d’Arabes qui volaient les pèlerins de La Mecque.
Ceuta est, comme jai déjà dit, aux Espagnols, les-
quels outre cette place considérable, en tiennent encore
une autre en ce même royaume, et sur le rivage tirant
vers Alver qui est Melilla, et le Peñon de los Velez, pe-
tite forteresse bâtie sur la pointe d’un rocher entouré
d’eau, et si bien située qu’elle est presque imprenable.
16 L’oued El Makhazin
Eat présent de 1“Erpire de Maroc
Royaume du Souss
Le Royaume du Souss est contigu à celui de Mar-
takech entre son Midi et son Couchant, il est petit et
peu rempli d’habitants, y en ayant même une bonne
partie presque déserte vers le côté des Nègres; il peut
y avoir dans ses campagnes environ quinze mille douars
d’Arabes, tous gens braves, entreprenants, et impatients
de la domination; le Roi d’à présent a eu beaucoup de
peine à les assujettir, encore y-a-t-il deux montagnes
dont il n’a pu venir à bout jusqu’à présent, ceux qui les
habitent ne le reconnaissant point, et se gouvernant
pat un chef qu’ils se font eux-mêmes.
Ses deux villes principales sont Illec!? et Taroudant,
grandes et assez peuplées, eu égard au reste du pays,
y ayant bien en chacune cinquante mille habitants: le
Roi n’y envoie point de caïd, comme dans celles de
ses autres royaumes, il n’y tient qu’un Capitaine, qu’on
nomme Pacha, et qui a sous lui des officiers, dont il se
sert pour l’exécution de ses ordres dans tout le pays,
mais avec ménagement;les Maures y sont traités bien
plus doucement qu’à Marrakech et à Fès, ils n'y paient
que leurs redevances annuelles, et ne sont ni sujets ni
contraint à aucune Garamme extraordinaire;la politi-
que du Roi lengage à en user ainsi pour ne point donner
de prétexte à leur penchant tumultueux, et à la facilité
que la situation du pays ferait trouver à leur rébellion.
Le pays habité est assez fertile en grains, légumes,
fruits et olives, ses montagnes sont abondantes en mines
de cuivre, et l’on prétend qu’il y en a aussi quelques-
unes d’or.
17 Illigh dans le Tazerwalt
9
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismail
36
La ville de Sainte-Croix! située sur l'Océan, est une
des dépendances de ce royaume, et il s’y fait un com-
merce assez bon, tant des marchandises qu’on y porte
de Marrakech, que de celles que le pays même produit,
qui sont comme à celui-là du cuivre, de la cire et des
amandes, et de plus de fort belles plumes d’autruche.
Royaume de Tafilalet
Le royaume de Tafilalet est encore assez petit, et
n’a de ville remarquable que sa capitale, qui porte son
même nom; elle n’est fermée que de murailles mais
elle à un assez bon château.
Ce royaume situé au-delà du Mont Atlas, et ancien-
nement connu sous le nom de Numidie, ne comprend
qu’un territoire sablonneux et ingrat envers les déserts
de Sahara et la Province de Draa, ayant au septentrion
le Royaume de Marrakech, dont il est séparé par le
Mont Atlas : il est aussi stérile en blés et autres grains,
qu’abondant en dattes; toutes celles qu’on transporte
en Europe venant de là parce que le Roi du Maroc
ne veut pas permettre qu’on en transporte d’ailleurs,
c’est encore ce qui y sert de nourriture ordinaire au
lieu de pain, avec la chair de chameau, la sécheresse du
pays n’y permettant la subsistance d’aucuns autres bes-
tiaux, si ce n’est d’une espèce de mouton sans cornes
et sans laine, qu’on dit y être toujours gras et de fort
bon goût, les chevaux y sont communs et beaux, et n’y
sont nourris que de dattes.
Son peu d’étendue n'empêche pas que le Roi ne le
regarde, et ne le traite nr: le plus noble de tous ses
18 Agadir
Etat présent de 1“Erpire de Maroc
royaumes, parce qu'il passe parmi les Maures pour le
premier qui a suivi leur prophète et son Coran: de sorte
que ses habitants, qui ne sont pas en grand nombre,
tiendraient à déshonneur pour eux et pour leurs lois,
d’être gouvernés par d’autres que des descendants de
ce Prophète, ce qui engage toujours le Roi à y tenir
un de ses enfants pour gouverneur; celui qui y est à
présent se nomme Moulay Bensar, et n’y est pas moins
avide et absolu pour les exactions et garammes, que
les caïds ne le sont ailleurs: cette prétendue noblesse
ne len mettant point à couvert.
Il croit de l’indigo dans ce pays, dont les peuples
joignent le trafic à celui des dattes; ils fabriquent aussi
certaines toiles rayées à la mauresque, qu’ils nomment
haïks, et qui pour être fort en usage dans toute la Bar-
barie, s’y débitent facilement, et avec profit; ce qui
leur est d’un grand secours pour le paiement de leurs
garammes.
Les anciens rois de Tafilalet se disaient aussi sei-
gneurs du Draa, grande province contigüe et dépen-
dante de ce royaume, auquel son territoire aussi bien
que son produit, ses habitants et leur nourriture ont
beaucoup de rapport.
Voilà ce qui se peut dire en peu de mots de plus
juste et de plus précis, touchant l'étendue, la situation,
et la qualité de ces royaumes, dont si l’on souhaite une
plus ample information, il n’y a qu’à consulter Dap-
per et Marmol” dans leurs Histoires et Géographies
d'Afrique, pour y satisfaire parfaitement sa curiosité :
pour moi qui n’ai en vue que de donner une idée de
19 Luys del Marmol y Carjaval (1520-1600) auteur en 1573 d’une Deseripaion
general de Africa traduite en français en 1667.
37
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaël
38
leur état et gouvernement présent, j'ai cru qu’il suffi-
rait d’en tirer ce simple extrait, pour en faire ensuite
l'application nécessaire à l’accomplissement de mes
ordres et de mon sujet.
Caractère des Africains
En conséquence desquels après avoir remarqué que
ces Africains en général sont peu braves et peu aguer-
ris, adroits à cheval et à la lance, forts et infatigables,
spirituels, mais point polis, jaloux, impudiques, men-
teurs, superstitieux, hypocrites, fourbes, cruels, et sans
foi, que les moins barbares sont ceux qui habitent la
côte tingitane, et le Royaume de Fès, et que de tous les
chrétiens, dont ils sont ennemis irréconciliables, par
la prévention de leur loi, les Français sont ceux qu’ils
estiment et craignent davantage.
Après avoir encore observé que si ces pays étaient
en toute autre main que celle de ces infidèles, qui par la
rusticité qui leur est naturelle, et par l'ignorance qu’ils
affectent, ne s’appliquant pour la plupart à d’autre étude
que celle de leur Coran, les négligent et ne savent pas
en connaître l’utilité, il y aurait de quoi en faire un état
délicieux et florissant, tant par sa propre situation et
par la beauté et pureté du climat, assez tempéré dans
tout ce qui est en-deçà du Mont Atlas, que par la fé-
condité et qualité de ses habitants sains et robustes,
par la quantité, la douceur et la fraîcheur de ses eaux,
par l'abondance et la bonté de ses pâturages, par celle
de ses terres qui produisent presque d’elles-mêmes, et
qui seraient d’une fertilité merveilleuse si l’on prenait
soin de les cultiver; par le mélange utile et agréable de
Etat présent de l'Empire de Maroc
ses contrées, en bois, plaines, coteaux, montagnettes,
et vallons, par le bon goût de ses légumes, de ses fruits,
et de ses vins, et par la facilité du commerce et trans-
port de toutes ses denrées.
Après avoir enfin déploté le malheur de voir un si
riche trésor, enfoui, pour ainsi dire, dans le centre de la
paresse, de lignorance et de l’inhumanité;je commen-
cerai par la description particulière des mœurs, inclina-
tions et qualités du prince qui en a la possession.
Il se nomme Moulay Ismaïl, et se qualifie de Grand
Chérif, c’est-à-dire le premier et le plus puissant des
successeurs de Mahomet, dont il prétend descendre,
comme j'ai dit, par Ali et Fatima, gendre et fille de ce
Prophète; il se tient plus fier et plus honoté de cette
parenté, que de l’antiquité de la couronne dans sa famille;
ce qui prouve assez que ses prédécesseurs, qui se fai-
saient aussi appeler Miramolins”, qui signifie Empereur
des Fidèles, se sont servis du prétexte de la religion
pour leur établissement.
Religion des Maures
À propos de quoi jedirai avant de passer plus avant,
que cette religion étant fondée sur le Coran, que les
Maures et Arabes expliquent à leur manière, et selon
l'interprétation extravagante du Docteur Melich?!, l’un
des quatre chefs de la secte de Mahomet, ils fondent
leur croyance sur certains points principaux, sans les-
quels ils se persuadent qu’on ne peut être sauvé.
20 Transcription approximative d’Amir al-mu minin
21 L’imam Malik ibn Anas
39
Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismaïl
40
Ils tiennent qu’il n’y a qu’un Dieu sans trinité de
personnes, que Jésus-Christ était un grand prophète,
né d’une vierge appelée Marie, dont l’incarnation a
été telle que nous la croyons, et même annoncée par
l'Archange Gabriel ambassadeur de Dieu; qu’il était
le plus saint de tous les hommes, qu’il a fait plusieurs
miracles, mais qu’il n’est point mort comme nous le
croyons, ayant été enlevé dans le ciel, où il est en corps
et en âme :lorsque Judas le voulut livrer aux Juifs un
de ses disciples à qui Dieu fit prendre sa ressemblance
fut crucifié en sa place, et que c’est celui-ci que nous
adorons.
Ils croient encore que ce même Jésus-Christ doit
revenir vivre quarante ans sur le terre, pour réunir toutes
les nations sous une même loi; qu’il sera mis dans le
tombeau que Mahomet à fait faire au côté droit du
sien;que ceux qui ont suivi la doctrine de Jésus-Christ
jusqu’à la venue de Mahomet seront sauvés; mais
que celle que nous suivons aujourd’hui, n’étant pas la
même que celle qu’il nous a enseignée, et que la per-
sécution des Juifs l’a empêché de perfectionner, ceux
qui ne suivront pas la loi de ce dernier prophète, qui
n’a été envoyé par Dieu que pour la perfectionner, et
lequel ils nomment son Grand Favori et l’Interprète
de ses volontés, souffriront les peines éternelles.
Ils estiment pour Ecritures saintes, les Livres de
Moïse, les Psaumes de David, les saints Evangiles, selon
que Sergius les leur a interprétés, et le Coran.
Ils croient le paradis, l'enfer, la résurrection et la pré-
destination; ils font consister la récompense éternelle
dans la vision béatifique de Dieu, de ses Anges, et de
Mahomet, et dans la jouissance de soixante-dix vierges,
Etat présent de l'Empire de Maroc
avec lesquelles ils prendront sans cesse leur plaisir, sans
qu’elles perdent leur virginité; qu’ils auront à souhait
toutes sortes de mets délicieux, des rivières de lait, de
miel, et d’eau de rose pour se laver;
que les excréments
du corps s’évaporeront en d’agréables sueurs, et qu’ils
habiteront dans des maisons de délices, construites de
perles et de pierres précieuses.
Ils ont un carême, ou Ramadan, de trente jours,
qu’ils observent si religieusement, que non seulement
ils ne mangent ni boivent depuis la petite pointe du
jour jusqu'aux premières étoiles de la nuit, mais ils ne
prennent aucun tabac, et ne flairent aucune odeur; il
faut dire aussi qu’ils s’en récompensent bien pendant
les nuits qu’ils passent presque toutes en débauche.
La veille de ce Ramadan, ils s’y préparent par des
réjouissances accompagnées de décharges de fusils et
de mousquets, et par des cris redoublés de Æ4/4h, qui
ressemblent plutôt à des hurlements qu’à des cris de
joie;ils sont tous au guet à qui verra le premier paraître
la lune, et ils tirent des coups de mousquets vers elle, à
mesure qu'ils l’aperçoivent, après quoi ils s’assemblent
pour faire leurs prières, ayant leur Marabout à leur
tête, s’agenouillant, se levant et se prosternant la face
en terre pat reprises, et toujours tournés du côté de
l'Orient.
Pâques des maures
Ils ont trois Pâques”? qu’ils sanctifient pendant sept
jours, sans s’abstenir néanmoins de vendre et acheter,
ainsi qu'ils font les vendredis qui sont leurs dimanches.
22 Les Aïds
41
Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de M oulay Ismaïl
42
La première” se célèbre le premier jour de la lune
qui suit leur Ramadan, et si elle échoit à un samedi, qui
est le dimanche des Juifs, ceux-ci sont obligés de donner
au Roi, en espèces ou en valeur, une poule et dix pous-
sins d’or. Dans les premiers jours de cette Pâque, le roi
a coutume de faire venir devant lui tous les prisonniers
de la ville où il est, et de les absoudre ou de les faire
mourir, selon la qualité de leurs crimes, et l’humeur
où il se trouve; il en fit mourir vingt de cette manière
le troisième jour de la Pâque qui était le quatrième de
mon arrivée à Meknès.
La seconde Pique”, qu’ils nomment la grande, et
soixante-dix jours après celle du ramadan, leur manière
de la célébrer consiste à sacrifier à Mahomet autant de
moutons qu’il y a d’enfants mâles dans chaque famille, et
ce en mémoire du sacrifice d'Abraham père d’Ismaïl,
premier Père des Arabes Sarrazins, d’où ils croient que
descend la mère de leur Prophète; le Roi en fait une
cérémonie publique à une chapelle, ou selon leur ma-
nière de parler, à un saint, qui est à un quart de lieue
de Meknès, mais avec cette circonstance superstitieuse,
que dès que ce mouton est égorgé (car ils observent
fort de ne point faire mourir autrement tous les animaux,
croyant qu'ils ne saigneraient pas d’une autre manière,
ce qui rendrait leur chair impure et défendue) aussitôt,
dis-je, que ce mouton est égorgé, un Maure le porte
à toute bride, enveloppé dans un linge, à l’Alcazar ou
Palais du Roi; que si en arrivant le mouton se trouve
encore en vie, ils en tirent un bon augure et en font de
grandes réjouissances, mais s’il meurt en chemin, chacun
s’en retourne fort triste, et la fête se termine là.
23 Aïd el fitr
24 Aïd el Kébir
Etat présent de l'Empire de Maroc
La troisième Pâque” est toujours trois lunes et deux
jours après la seconde, et se célèbre en l'honneur de
Mahomet; et dans le premier jour les Maures mangent
de la bouillie en mémoire de celle qu’il mangea.
Ils allument dans leurs mosquées pendant la nuit
qui la précède, quantités de lampes et de cierges, et
tous leurs Ta/bes où prêtres y chantent ses louanges
sans discontinuer jusqu’au jour.
Ils solennisent le fête de Saint Jean par des feux
qu'ils font dans leurs jardins, où ils brülent pendant la
nuit quantité d’encens autour des arbres fruitiers, afin
d’y attirer la bénédiction divine.
Ils admettent la circoncision, mais ils n’en fixent ni
l’âge ni le temps.
Ils font tous le Sala ou la prière, qu’ils nomment
aussi la Messe, quatre fois le jour et une fois la nuit à
certaines heures réglées, et qui leur sont marquées par
les cris, ou pour mieux l’exprimer, par les hurlements
que font du haut de leurs gemmes ou mosquées ceux
qui sont chargés de ce soin, car l'usage des cloches
n’est ni connu ni admis dans leur religion.
Ils se lavent très souvent la tête, les mains et les
pieds, et ils prétendent se purifier par-là de tous leurs
péchés. Toutes les fois qu’un homme a connu sa femme,
ou commis quelque crime, il est obligé avant d’entrer
dans la mosquée, de se laver généralement toutes les
parties du corps, ou de prononcer ces paroles les plus
sacrées de leur loi : La illa illenla Mabameth Dara zoulla,
qui signifient qu’il n’y a qu’un Dieu, et que Mahomet
est son envoyé, ce qu'ils prétendent avoir la même vertu
que le bain et leur en tenir lieu.
25 Mouloud
43
Un ambassadeur de Louis XIV7 à la cour de Moulay Ismaïl
44
Ils n’entrent jamais que pieds nus dans les mosquées,
et ils observent la même chose dans les visites qu’ils
se rendent les uns aux autres, laissant toujours leurs
babouches ou souliers à la porte de la mosquée ou du
logis où ils doivent entrer.
Ils croient que tous les enfants qui meurent avant
l’âge de quinze ans, soit chrétiens, juifs, ou idolîitres,
vont au ciel, mais que s’ils passent cet Âge sans recon-
naître Mahomet pour le favori de Dieu, ils sont perdus
éternellement, à l'exception néanmoins des filles qui
meurent vierges, lesquelles seront réservées à ce qu'ils
prétendent, pour accomplir le nombre de soixante-
dix, que chacun d’eux doit avoir à sa disposition dans le
ciel, ne pouvant pas s’en trouver un assez grand nombre
pour y suffire parmi celles de la loi mahométane.
Is disent que le Coran ordonne qu’on le fasse re-
cevoir par force de ceux qui ne s’y soumettront pas de
leur gré.
Ils ont si en horreur le nom chrétien, qui dans leur
langue est synonyme de celui de chien, qu’ils en font
injure la plus commune et la plus méprisante parmi
eux : ils ne la prononcent jamais, qu’ils n’y ajoutent,
que Dieu le détruise, ou que Dieu brûle ses père et
mère : c’est par là où ils commencent à apprendre à
parler à leurs enfants; et quand il apparaît quelques
chrétiens dans Meknès, il est toujours exposé à une
huée générale du peuple et des enfants, dont quelques-
uns ne le suivent que pour avoir le plaisir de linjurier
ou de lui jeter des pierres.
Ils sont aussi persuadés que ceux qui meurent en
combattant les chrétiens vont droit au Paradis;qu'il y
a des récompenses infinies au mérite de les tuer; et que
Etat présent de l'Empire de Maroc
les chevaux qui meurent dans ces combats les accom-
pagnent dans le ciel.
Ils ont de plus une maxime aussi bizarre qu’elle leur
est particulière, sur ce qui regarde la fidélité de leurs
paroles:car le mensonge et la liberté de se dédire
quand bon leur semble, sont si bien établis parmi eux,
qu’ils s’en font bien moins un scrupule qu’une vertu.
Jusque-là même qu’un Talbe, auquel un jour j’en témoi-
gnais mon étonnement, ne feignit pas de me dire qu’ils
en faisaient une des distinctions principales de leur
religion avec la nôtre, et qu’ils étaient persuadés qu’ils
seraient bientôt, comme nous, les esclaves de la fausse
croyance et de l’idolâtrie, s’ils l’étaient aussi, comme
nous, de leurs paroles et de leurs engagements.
Ils admettent la pluralité des femmes, et peuvent
en épouser jusqu’à quatre, auxquelles ils donnent dot,
mais ils tiennent autant de concubines qu’il leur plaît,
et ils les répudient toutes quand bon leur semble, les
premières en payant leur dot, et les autres qui sont leurs
esclaves en les chassant ou les vendant, et en gardant
leurs enfants.
Ils tiennent pour saints, même dès leur vivant, tous
les innocents et pauvres d’esprit, aussi bien que ceux
qui savent faire quelque sorcellerie, qu’ils disent avoit
l'esprit de leur Prophète, ils font bâtir sur leurs tom-
beaux, après leur mort, des chapelles, où ils vont en
pèlerinage, où ils se réfugient, et dont ils font des asiles
inviolables pour l'impunité de leurs crimes et contre la
colère de leurs rois.
Ils ont quantité d’autres superstitions aussi extraor-
dinaires et qu’on peut même qualifier de très extrava-
gantes, comme de ne vouloir pas recevoir en témoignage
AS
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl
46
ceux d’entre eux qu’ils auraient vu faire leur eau debout,
leur coutume étant de la faire accroupis comme les
femmes : mais parce que le détail en deviendrait trop
long et peut-être hors du sujet je ne m’y étendrai pas
davantage ici.
Je dirai seulement que leurs femmes n’entrent point
dans les mosquées, parce qu’ils les croient incapables
d’être admises en Paradis, d’autant, disent-ils, qu’elles
n'ont été créées que pour servir à la génération : mais
elles font leurs prières dans leurs maisons, et vont les
vendredis dans les cimetières prier et pleurer sur les
tombeaux de leurs parents; elles y sont vêtues de bleu,
qui est la marque du deuil dans leur pays, comme chez
nous le noir.
Enterrement des Maures
À l’occasion de quoi je crois devoir observer que
quand quelqu'un d’entre eux vient à mourir, les parents
et amis en font toujours paraître beaucoup de douleur,
jusque-là même que quand c’est quelque personne de
qualité et de distinction, ils louent des pleureuses qui
poussent des cris et des gémissements sans nombre,
se battant la tête et s’égratignant le visage.
Avant que de mettre le corps en terre, on le lave et
enveloppe dans un drap neuf, on le fait porter dans
une bière suivie d’un grand nombre de personnes qui
marchent fort vite, et invoquent Dieu et Mahomet à
haute voix. On l’enterre hors la ville dans une fosse
étroite par en haut et large par en bas, afin qu’elle soit
plus aisée à recouvrir, et que le corps y étant, disent-ils,
plus à l'aise, soit plus prêt au jour du jugement et ne
Etat présent de l'Empire de Maroc
perde pas le temps de chercher ses os; raisons dont ils
se servent pour ne pas enterrer deux personnes dans
un même tombeau. On porte aussi des viandes sur ces
fosses et on enterre de l'argent et des joyaux avec les
morts, afin qu’ils puissent s’en servir pour avoir dans
autre monde les mêmes commodités qu’en celui-ci.
L'entrée des mosquées est encore défendue si ex-
pressément aux Juifs et aux Chrétiens, qu’il n’y aurait
point de milieu entre l'alternative de renier ou d’être
brûlés pour ceux qu’on y trouverait; il en serait de
même si on les voyait converser ou avoir quelque entre-
tien particulier avec des mahométans.
Il y a aussi cette circonstance pour les Juifs à l’égard
des mosquées, qu’en quelque temps et saison que ce
soit, ilne leur est pas permis de passer devant sans Ôter
leurs souliers, et ils sont même obligés d’aller pieds
nus dans les villes royales, comme Fès, Marrakech,
Meknès, etc. à peine de la bastonnade ou de la prison,
d’où ils ne sortent qu’en payant une grosse amende.
J'observerai encore avant que de finir ce chapitre
de la religion des Maures, que le Coran leur défend de
jouer à aucun jeu de hasard pour de l'argent, et que le
bâton, l'amende, ou la prison est la peine ordinaire des
contrevenants;ainsi ils ne jouent qu’aux échecs, aux
dames, et à une espèce de trictrac, tout à fait différent
des nôtres, mais ils ne font pas de tout cela un grand
usage, et je ne me suis point aperçu parmi ceux que
jai pratiqué, qu’ils soient fort adonnés au jeu; ils ne le
sont guère plus à la lecture, et l’on peut dire tout jus-
tement, que le dormir, le manger, le boire, les femmes,
les chevaux, et la prière font le partage et presque tout
emploi de leur temps, dont ils abandonnent ce qui en
47
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismail
48
reste à une grande et inutile oisiveté; aussi les voit-on
souvent dans les rues assis sur leurs talons le long des
murs, et tenant de grands chapelets dont les grains défi-
lent dans leurs doigts avec une vitesse égale à la brièveté
de la prière qu’ils font dessus, et qui ne consiste qu’en
la prononciation des différents attributs qu’ils donnent
à Dieu : comme de dire sur chaque grain séparément
Dieu est grand, Dieu est bon, Dieu est infini, Dieu est
miséricordieux, etc.
Je ne dois pas non plus omettre la remarque de leur
vénération particulière pour ceux qui ont fait le voyage
de La Mecque, ils les nommes Hadjis ou saints, et ils
en outrent le culte à un tel point, qu’ils tiennent même
pour saint comme eux les chevaux qui y ont été. Ils les
font ensevelir et enterrer quand ils meurent comme
ils feraient de leurs principaux parents ou amis, et ils
se font un plaisir et un exercice singulier de les visiter
souvent, et de les voir manger.
Le Roi du Maroc en avait un de cette nature. La
première fois que je fus admis en sa présence, ille faisait
marcher immédiatement devant lui ;et outre la distinction
que la richesse de sa selle et de son harnoïs en faisait
paraître, sa queue était portée par un esclave chrétien
qui tenait en ses mains un pot et un linge pour recevoir
les excréments et pour l’essuyer. On me dit que le Roi
allait de fois à autre baiser la queue et les pieds de cet
animal.
Tous ces chevaux ainsi sanctifiés sont dispensés de
tout service, et si leurs maîtres n’ont pas les moyens
de les nourrir, ils leurs font assigner des pensions pour
leurs subsistance sur les mosquées du lieu où ils sont.
On les remarque par les chapelets ou reliques dont
Etat présent de l'Empire de Maroc
leur cou est toujours entouré, et qui ne sont autre chose
que des écrits enveloppés d’étoffe d’or ou de soie,
contenant le nom de leur Prophète, ou de quelques
prétendus saints de leur loi. Ils servent aussi d’asile aux
criminels comme les tombeaux et les chapelles dont
j'ai déjà parlé.
Ces lieux qui sont dispersés en différents endroits
sont destinés selon ce qu’ils contiennent pour la demeure
d’un, ou de plusieurs Marabouts ou Talbes, qui sont
les prêtres des Maures, lesquels peuvent se marier, et
sont parmi eux, et surtout parmi les Arabes en grande
vénération, ils y sont entretenus selon les facultés ou la
dévotion de ceux qui les fondent, et ils y vivent oisive-
ment et grassement aux dépens de ces misérables, qui
tiennent à bonheur de pouvoir leur donner pendant
leur vie, ou leur laisser après leur mort; Il me semble
qu’on peut assez justement comparer ces lieux-là et
leurs fondations à nos abbayes, prieurés et chapelles.
Portrait du Roi du Maroc
Mais pour reprendre l’idée du portrait que j’ai com-
mencé du Roi du Maroc, et pour le continuer, je dirai
qu’il est âgé de quarante-neuf à cinquante ans, basané,
maigre et d’un poil noir, qui commence à grisonner,
que sa taille est médiocre, son visage ovale, ses joues
enfoncées, aussi bien ses yeux qui sont noirs et pleins
de feu, que le nez en est petit et aquilin, le menton
pointu, les lèvres grosses, et la bouche assez bien pro-
portionnée; qu'il est avare et cruel à l'excès, qu’il n’y
a presque rien dont l'intérêt et l’avidité d’argent ne le
rende capable, et qu’il aime si fort à répandre le sang
49
Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismaïl
50
pat lui-même, que l’opinion est, que depuis vingt ans
qu’il règne, il faut qu’il ait fait mourir de sa propre
main plus de vingt mille personnes.
Ce que je pourrais d’autant mieux présumer ou
confirmer, qu’outre que j'en ai compté jusqu’à quarante-
sept qu’il a tués pendant vingt-et-un jours que j’ai pas-
sés dans sa cour, il n’eut pas même honte de paraître
devant moi dans la dernière audience qu’il me donna,
tout à cheval à la porte de ses écuries, et ayant encore
ses habits et son bras droit tous teints du sang de deux
de ses principaux Noirs dont il venait de faire l’exécu-
tion à coups de couteau.
Toutes les nations sont surprises de la soumission
et patience de ces peuples à souffrir une cruauté si ex-
cessive; mais il faut qu’on sache qu’outre impuissance
générale et particulière à s’y opposer, ils sont si forte-
ment prévenus que la mort qui leur est ainsi donnée
par les mains d’un Roi Chérif et descendant de leur
Prophète, les mène droit en paradis, que la plus grande
partie d’entre eux tient à bonheur, ce que le nombre plus
petit et mieux sensé déteste et ne peut empêcher; aussi
ceux de ce nombre s’abstiennent-ils de s’en approcher
le plus qu’ils peuvent, et s’estiment autant heureux de ne
le point voir, que les autres se le croient d’en être tués.
On dit cependant que ce prince est assez traitable
hors de ses emportements, et dans ses entretiens fami-
lers ;mais il est sujet à des caprices violents, et d’autant
plus dangereux, qu’ils sont toujours voilés du manteau
de la religion, dont il affecte de paraître exact obser-
vateur, et il est si persuadé qu’on le croit tel, qu’il se
permet toutes choses sur ces fondements, et sur cette
prévention.
Eat présent de l'Empire de Maroc
Il ne s’attache qu’à se faire craindre de ses sujets, et se
soucie très peu de s’en faire aimer; aussi ne l’approchent-
ils tous qu’en tremblant, et par devoir, mais jamais par
inclination, et d’autant plus qu’on ne se présente point
devant lui sans ordre, ou permission, ni sans présent.
Il a beaucoup et de valeur, il est actif, infatigable, et
fort adroit à tous les jeux de courses de lances et de
cheval, en quoi je remarquerai en passant que tous les
Maures sont d’une adresse merveilleuse, et qui semble
n'avoir point dégénéré de celle qu’on nous vante si
fort des anciens Grenadins dans leurs tournois.
Il ne boit point de vin, parce que sa religion le lui
défend, mais quand il prend de l’opium, ou d’un certain
hypocras qu’il compose lui-même avec de l’eau de vie,
clous de girofle, anis, cannelle et muscade, ce qui lui
arrive assez souvent, malheur à qui se trouve exposé à
lune de ses fumées.
On ne craint pas moins sa rencontre quand il porte
un habit jaune, c’est une remarque faite et éprouvée
depuis longtemps, que cette couleur est en lui, un présage
dangereux; et presque toujours funeste à quelques-
uns qui l’approchent quand il en est revêtu, il avait une
veste de cette couleur quand il me donna l’audience de
congé en la manière ensanglantée que j’ai remarquée.
Il est fort adonné aux femmes, et en tient près de
quatre cents dans son alcazar pour son usage, car outre
cela ily en a encore environ cinq cents pour les servir : il
en a cent dix-huit enfants mâles et vivants sans les filles
qu’on ne compte point, et dont le nombre se monte
bien à deux cents. Il ne prend de ses concubines, qu’il
change souvent, que les garçons et illeur laisse les filles
sans leur donner même de quoi les nourrir.
51
Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismaïl
52
De toutes ces femmes, iln’en a épousé que quatre, sa
loi n’en permettant point davantage, les autres sont les
concubines, et les esclaves, il est entièrement gouverné
par une de ses femmes qui est noire, et n’a aucun trait
de beauté; elle est mère de celui de ses enfants qu’il
semble se destiner pour successeur, et qu’il fait appeler
Moulay Zidane, il affecte de paraître modeste et hum-
ble, et il rend toujours Dieu l’auteur du bien et du mal
qu’il fait, cependant il est très vain, et donne autant
qu’il peut dans lostentation.
Il est absolu dans ses états, et il se compare sou-
vent à l'Empereur de France, qu’il dit être le seul qui
sache régner comme lui, et faire une loi de sa volonté;
il cite souvent une lettre qu’il prétend que son Prophète
a écrite à Héraclius”, et il ajoute que toutes les pros-
pérités des rois de France ne proviennent que du soin
religieux qu’ils ont eu de conserver cette loi; 1l traite
tous les autres princes chrétiens de dépendant et il
n’en parle jamais qu'avec mépris.
Ce fut dans ce sens que voulant élever les grands
éloges qu’il fit du Roi dans la première audience qu'il
me donna à la porte de son alcazar ou palais, étant vêtu
très médiocrement, ayant le visage caché d’un mouchoir
à tabac assez sale, les bras et les jambes nus, assis sans
natte ni tapis sur le seuil de deux poteaux de bois, qui
servaient d’étais à ce portique, et ayant autour de lui
quelques caïds assis à terre, et les pieds nus, ce fut,
dis-je, apparemment dans ce sens, que voulant m’ex-
pliquer la juste distinction qu’il fait du Roi avec les
autres princes de l’Europe, il me dit que l'Empereur
26 Empereur de Byzance de 610 à 641.
Eat présent de l'Empire de Maroc
d'Allemagne n’était que le compagnon de ses élec-
teurs : que le roi d'Espagne était moins le maître que ses
ministres : que le roi d'Angleterre était dépendant et
comme l’esclave de son parlement, et qu’il ne regardait
l'autorité de tous les autres que comme plus apparente
que véritable.
Cependant malgré cette possession dont il se flatte
d’une domination absolue et personnelle, il n’y a guère
de prince dont l'esprit soit plus facile à prévenir et sé-
duire que le sien;aussi ceux des caïds qui l’approchent
le plus, savent-ils si bien en profiter, qu’ils le tournent
et conduisent comme il leur plait, et où ils veulent,
surtout quand le prétexte de religion, d’intérêt, ou de
vanité leur en peut servir de guide.
Cette vanité n’est jamais mieux remplie que lorsque
quelque prince chrétien lui envoie des ambassadeurs,
il est pour lors au comble de sa joie, et il baise toujours
la terre à leur première vue, et même en leur présence,
pour marque des grâces qu’il en rend à Dieu.
Il en usa ainsi à mon égard dès qu’il m’eut aperçu
sur un pan de muraille assez haute, où l’on m'avait
posté, sans sièges, sans couvert et sans tapis, pour y
être spectateur par son ordre d’une revue de dix mille
chevaux et de deux mille hommes de pied qu’il faisait
exprès pour moi près les dehors de la ville, et qu’après
quelques mouvements sans ordres et toujours accom-
pagnés de cris, il fit défiler le long de ce mur, en me
faisant chacun la décharge de son arme au visage, pour
me rendre, à ce qu’ils disaient, plus d'honneur, il est
vrai que c’est là leur manière de s’honorer entre eux,
et qu'ils en usent ainsi à l’égard de leurs princes et de
leurs chefs.
53
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl
Le Roi du Maroc ne distingue les ambassadeurs que
selon leurs qualités et le rang qu’ils tiennent auprès
de leurs maîtres, mais surtout quand ils lui portent de
riches présents.
Ses prédécesseurs et lui ont si bien établi l'usage, ou
pour mieux dire l’obligation de ces présents, qu’ils en
ont en fait comme une loi pour tous ceux, tant leurs
sujets qu’étrangers, qui vont à leur Cours, et auxquels,
comme je lai déjà observé, il n’est pas permis d’y pa-
raître sans rien apporter; c’est même un article essentiel
de leur cérémonial à l'égard des ambassadeurs, de
commencer toujours la réception par ces questions,
adoucies néanmoins par quelques préliminaires d’ex-
cuse et d’honnêteté : qui êtes-vous ? D’où venez-vous?
Que demandez-vous? Qu’apportez-vous? Et c’est sur
ce qu’ils répondent à la dernière de ces questions, que se
règle la manière de leur accueil et de leurs traitements.
C’est aussi dans la vue et le désir de ces présents que
ce Prince fait tout son possible pour s’attirer des am-
bassadeurs, ou pouf engager à en recevoir de sa part,
et quand il les demande, ou les promet d’une élévation
distinguée, il faut croire que c’est bien moins par le
motif de l’honneur qu’il veut faire ou recevoir, que
par celui des présents qu’il compte devoir être propor-
tionnés à leur qualité.
Cependant il s’imagine que sa grandeur ne paraît et
ne se soutient jamais mieux que par leur abaissement,
c’est sur cette maxime qu’il n’y a point de chicanes
et de subtilités dont ses ministres ne se servent pour
y réussir, et qu'ils ont aussi tenté avec toutes sortes
d’adresse et d’opiniâtreté de me soumettre à la règle
qu’ils croient en avoir établi par les violences qu’ils ont
Eat présent de l'Empire de Maroc
faites aux derniers ambassadeurs que l'Angleterre et
l'Espagne y ont envoyés. Mais pour ne pas exposer le
Roi dans l’engagement de s’en ressentir, comme a fait
si justement le roi d'Angleterre, qui n’admit l’ambas-
sadeur du Maroc à son audience que nus pieds et sans
turban, pour représailles ce que ce prince avait forcé
le sien à se déchausser pour y être reçu; je n’ai rien
omis dans cette occasion pour leur faire connaître la
différence et la supériorité de Sa Majesté sur tous les
autres, et je me suis opposé à cette entreprise avec
tant de raisons, de fermeté et de patience que j’ai eu la
satisfaction de voir par le succès que Sa Majesté même
a honoré de son approbation, que jeleur avais inspirée
la juste idée qu’ils doivent concevoir, de tout ce qui a
rapport au mérite, à la puissance, et à la gloire de Sa
Majesté.
On dit que ce Prince a fait un serment solennel
de ne jamais donner la liberté aux esclaves chrétiens,
qu’on ne lui rende en échange au moins autant de
ses sujets, et les derniers traités que les Espagnols en
ont fait avec lui de dix, et plus nouvellement de quatre
Maures contre un Espagnol, l'ont si fort enflé de gloire
et de présomption sur ce point-là qu’ils l’y ont rendu
presque intraitable à toutes les autres nations.
Meknès
Il fait son séjour ordinaire à Meknès, parce que c’est
le lieu de sa naissance, c’estune petite ville située dans les
terres à quarante lieues de Salé, à soixante de Tétouan,
et à douze de Fès; elle est fort peuplée et contient plus
de soixante mille habitants, mais elle est si mal bâtie et si
55
Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaël
56
désagréable par elle-même, qu’elle ne passerait que pour
un misérable bourg sans ce grand nombre de peuple,
et sans la présence de son Prince, et l’ornement de son
alcazar, dont l'étendue n’est pas moins grande que la
sienne propre, et dont la structure est au-dessus de ce
que tous les autres édifices que j'avais vus en ce pays
pouvait en faire imaginer.
Comme ce palais est plus élevé que la ville, entouré
de plusieurs murailles, fort hautes, fort épaisses, et fort
blanches, et composé d’un grand nombre de pavillons,
outre les minarets assez hauts de ses deux mosquées,
c’est ce qui s'offre d’abord à la vue en y arrivant, et ce
qui en donne une grande idée, mais elle ne se soutient
pas à ses approches, car le tout en est construit avec si
peu d’art et de régularité, qu'il serait difficile aux plus
habiles architectes d’en démêler l’économie et le des-
sein, et je suis même persuadé que ce que j'en ai vu
pat les dehors, car il ne m’a pas été permis d’entrer
dedans, que le Roi lui-même qui en est l’auteur et le
conducteur ne le saurait dire, et qu’il n’a d’autre vue
dans ce qu’il y détruit et rebâtit continuellement, que
d’abaisser sous le joug de la servitude et du travail le
grand nombre de ses sujets qu’il y emploie.
Des esclaves chrétiens
Il en fait aussi l'occupation et le supplice ordinaire
des esclaves chrétiens qu’il y fait travailler en tous
temps et sans relâche; on les y rend manœuvres et
maçons à force de coups de bâtons et de misère, à
laquelle ils succombent d’autant plus facilement, que
leur nourriture journalière ne consiste qu’en une très
Efat présent de l'Empire de Maroc
petite quantité de pain d’orge et fort noir, avec de l’eau,
et qu'ils ne gîtent que dans des « wafamorres », où lieux
souterrains, dans lesquels ils n’ont pour lit que la terre,
et où ils ne respirent qu’un air fort mauvais, et mêlé de
beaucoup de puanteur.
Il se trouve pourtant parmi ce genre d’esclavage si
rigoureux, et presque insupportable, une espèce d’hu-
manité qu’on ne semblerait pas devoir attendre de la
cruauté de ce prince, qui est que les femmes et les
gens mariés ne travaillent point, les premières à cause
de leur faiblesse, et les autres étant, à ce qu’il dit, assez
chargés du poids d’une femme et de l'emploi qu’ils en
doivent faire, pour qu’on ne les accable pas sous celui
d’un autre travail :mais cette espèce de compassion
est bien défigurée par son avarice, qui le porte à ne
rien leur donner pour se nourrir.
Renégats
Ceux qui se font renégats sont aussi exempts de
travail, mais ils n’en sont pas moins esclaves, le Roi en
fait les gardes de ses portes, ou les envoie dans les pro-
vinces à ses caïds qui leur donnent des emplois pro-
portionnés à leur force ou à leur capacité. Il les mène
avec lui à la guerre, et les fait toujours marcher à la tête
de ses troupes, et s’ils témoignent de la moindre envie
de reculer illes met en pièces.
Il n’y à de bâtiment régulier dans l’alcazar qui ren-
ferme environ quarante-cinq pavillons avec chacun sa
fontaine dans sa cour, et qui a pour principale entrée une
très belle porte avec des colonnes qui la font appeler la
porte de marbre, que deux mosquées et un Méchouar
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Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismail
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ou grande cout, ornée au-dedans de colonnes et bas-
reliefs de marbre sans figures humaines ni d'animaux,
mais de chiffres et lettres arabesques où sont décrites
les principales actions de ce Roi.
Rouës ou Ecuries du Roi du Maroc
Les écuries qu’ils appellent rosés, y sont encore fort
belles, elles forment deux longues lignes à droite et
à gauche, toutes voûtées à grandes arcades, ayant par
espace dans le milieu d’une espèce de chemin pavé qui
les sépare de petits pavillons fort propres, dans chacun
desquels il y a une fontaine et un abreuvoir pour les
chevaux, qui sont en ce pays-là, comme tout le monde
sait, d’une extrême beauté, mais à l'égard desquels, les
Maures ont aussi bien que pour les blés cette maxime
erronée dont ils font un point de religion, de n’en laisser
sortir aucun, sous quelque prétexte que ce soit, pour
les chrétiens;ils ont encore ce même entêtement pour
les livres, qui y sont d’autant plus curieux et rares qu’il
n’y a presque plus d'imprimerie dans leur pays.
Jardins de Meknès
Les jardins du Roi sont plantés dans le milieu d’un
grand bois d’oliviers, et sont assez beaux : on y voit
en tous temps des fleurs, des légumes, des fruits, et des
arbres de toutes espèces, mais comme ils sont un peu
éloignés de lalcazar, cette distance qui en ôte la com-
modité, en diminue aussi beaucoup l’agrément: les
allées en sont fort étroites : on n’y voit ni eaux jaillis-
santes, ni bassins, mais il y passe quelques ruisseaux qui
Efat présent de l'Empire de Maroc
servent à les arroser. C’est un esclave espagnol, nommé
Antonio Lopez, qui en a le soin, cet homme paraît avoir
quelque naissance, et le Roi le traite assez bien, mais le
service utile et agréable qu’il en retire, est cause qu’il
ne lui permet ni promet de le laisser jamais retourner
en son pays.
Il y a quelques palais assez beaux aux environs de
celui du Roi, que les caïds y font bâtir pour lui plaire,
mais sur la jouissance desquels ils n’oseraient s’assurer,
persuadés qu’ils sont par l'épreuve que quelques-uns
d’entre eux en ont déjà faite, qu’ils ne demeureront
qu’autant de temps qu’il ne prendra point envie à ce
Prince de les leur ôter.
Hôpital de Meknès
Il y a dans Meknès un hôpital que le Roi d'Espagne
y a établi depuis peu, pour la consolation et le soula-
gement des esclaves, et qui leur est aussi d’un grand
secours;il peut contenir jusqu’à cent malades, et a été
bâti aux dépens de sa Majesté Catholique, qui y entre-
tient quatre religieux récollets, et un médecin, pour la
subsistance desquels il a assigné un revenu annuel de
deux mille écus; il n’est souffert en ce lieu, et les reli-
gieux qui en dépendent aussi, ne le sont encore à Fès,
à Salé, et à Tétouan, que moyennant quelque tribut.
Des écoles
Il y a dans cette ville comme dans toutes les autres
d'Afrique, plusieurs écoles, où l’on montre aux enfants
à lire, à écrire, et à déchiffrer, et rien de plus. Quand on
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les châtie, on se sert d’une verge de bois fort plate, avec
laquelle on leur donne des coups sous la plante des pieds.
Toute leur étude ne consiste qu’à lire le Coran d’un bout
à l’autre; et quand un écolier à parcouru son livre, on le
pare, et ses compagnons le mènent à cheval et comme en
triomphe par la ville, et publient ses louanges.
Juifs de l'Afrique
Les Juifs y ont aussi un quartier assez grand, mais
qui n’est pas plus propre que dans les autres villes. C’est
dans celui-là que le chef de tous ceux du Royaume qui
y sont bien au nombre de seize mille, fait sa principale
demeure, c’est lui qui a soin d’imposer et d’exiger toutes
les garammes ordinaires et extraordinaires qu’on leur
fait payer : celui qui l’est à présent se nomme Maymo-
ran, il est borgne et ne paraît pas fort spirituel, mais le
Roi le considère à cause des fréquents dons qu'il lui
fait, et de lutilité qu’il en retire en toutes occasions;
c'est aussi par lui et par ses soins que ce prince entre-
tient un commerce pécunieux et politique avec toutes
les nations, tant ennemis qu’amis;lui et sa famille sont
très bien logés, mais tout le reste l’est fort mal.
Les Juifs, quoiqu’en si grand nombre dans cet empire,
et d’un secours avantageux, n’y sont pas néanmoins
plus considérés qu'ailleurs, on les y choisit toujours
pour les plus vils emplois; ils n’ont que la nourriture
pour tout salaire des travaux qu’on leur impose sou-
vent, et ils sont si sujets aux taxes, aux injures, et aux
bastonnades, qu’on peut les regarder comme le jouet
perpétuel de lavarice et injustice des Grands, et de
l’aversion de tous.
Etat présent de l'Empire de Maroc
Il ne leur est pas permis de se défendre contre le
moindre enfant qui les maltraite de paroles, ou de
coups de pierres, et ils sont distingués des maures,
dont les bonnets sont toujours rouges, par les burnous
et bonnets noirs qu’ils sont obligés de porter.
Ils ont partout des quartiers séparés, et dont l’entrée
est gardée par des gens établis par le Roi, afin qu'ils
puissent y vaquer tranquillement à leur commerce et à
leur religion, mais ils n’osent aller seuls en campagne
sans y être escortés de quelques Maures, parce que les
Arabes et les Barbares les y égorgeraient sans rémission.
Cependant avec ces apparences extérieures de mi-
sère et de mépris, ils ne laissent pas d’être à leur aise
au-dedans, et d’y avoir plus leurs commodités que
les Maures mêmes; la raison en est qu’ils travaillent
et trafiquent ce que les Maures ne font pas; aussi les
femmes des Juifs sont-elles pour la plupart assez bien
vêtues, et comme elles ne se cachent pas le visage à, la
manière des Mauresques, elles prennent plus de soin
qu’elles de leurs coiffures et ajustements.
Pour moi qui n’ai vu que des Juives, j’avouerai que
jy ai trouvé dans quelques-unes tant de bonne mine et
de beauté, que jene doute pas qu’on ne soit bien fondé
à se former une idée semblable de celles (je veux dire
des Africaines) que la jalousie des hommes et l’usage
du pays obligent bien plus à se cacher que leur propre
inclination; car il est constant que la contrainte dans
laquelle les Maures tiennent leurs femmes sert plutôt à
réveiller en elles le désir du libertinage, qu’à l’étouffer;
et qu'étant plus spirituelles et plus vives que les Euro-
péennes, elles ne leur cèdent en rien sur l’adresse et
l’industrie nécessaires pour leur satisfaction.
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Elles aiment particulièrement les Chrétiens, à cause
qu’ils ne sont pas circoncis, et il n’y a point de strata-
gème dont quelques-unes ne se servent pour gagner
les esclaves qui sont chez elles, et qui ont la liberté
d’entrer dans leur logis.
Mariages des Maures
Mais il s’observe dans leurs mariages une certaine
cérémonie, qui ne contribue pas peu à les retenir
jusqu’en ce temps-là, à moins qu’elles n’y prennent
bien leurs précautions; c’est que quand les parents de
part et d’autre sont convenus, on fait porter l'épouse
publiquement, et toute voilée, au son des tambours
et des hautbois au logis de l’époux, auquel il n’est pas
permis de lui découvrir le visage, ni de la voir en aucune
partie du corps qu’il ne l’ait reconnue pucelle; ce qui
étant fait, il lui ôte son bandeau, et défait son caleçon
teint du combat, qu’il jette dans la cour, et que les fem-
mes qui l’ont conduite ramassent, en chantant et en
dansant en signe de joie de ce qu’elle est acceptée pour
épouse; que s’il ne la trouve pas vierge, il lui fait dé-
pouiller les habits nuptiaux, la fait sortir de sa chambre
sans la voir, et la renvoie chez son père, auquel il est
permis par la loi de l’étrangler, s’il veut en faire justice.
Quand les Maures se marient ils font venir un Cadi
et un notaire, le dernier écrit dans une cédule la dot
que le mari donne à sa femme, car les pères ne donnent
rien à leurs filles, et lorsque le mari répudie la femme, il
est obligé de lui donner la dot promise, et ne peut se re-
marier de quatre mois après;mais quand c’est la femme
qui se retire, elle n’a pas droit de lui rien demander.
Etat présent de l'Empire de Maroc
Comme les femmes les plus grasses et les plus gros-
ses sont les plus aimées, elles ne mettent jamais d’ha-
bits qui les serrent, afin de devenir telles, ce qui leur
rend aussi les mamelles abattues et pendantes jusqu’à
l'excès; elles portent toutes des écharpes dont elles se
ceignent le ventre, elles se tiennent le corps fort pro-
pre, quoiqu’elles aient toujours les jambes nues; elles
mettent beaucoup de vermillon aux joues et aux lèvres,
elles se noircissent les sourcils avec de la fumée de
noix de galle, elles se jaunissent le dessous des pieds
et le dedans des mains, elles se rougissent les ongles,
elles se parent la gorge, les oreilles, les bras et jambes
de colliers, de bracelets, de pendants, et de quantité de
babioles, et ne se croient pas belles, quand il leur manque
quelqu’un de ces ornements empruntés.
Lorsqu’elles sortent par la ville elles se couvrent
d’un grand voile blanc fort délié, et le bandent au mi-
lieu du visage, afin de n’être point vues, n’ayant que les
yeux découverts pour voir à se conduire; elles ne par-
lent jamais aux hommes dans leur chemin, pas même
à leurs maris, qui ne sauraient les reconnaître d’autant
qu’elles sont couvertes toutes de la même manière; elles
Ôtent tout cela quand elles entrent dans la chambre de
leurs amies, et ont grand soin de laisser leurs souliers à
la porte, afin que le maître de la maison n’y entre pas,
ce que le mari de celle qui rend visite prendrait en très
mauvaise part.
Quoiqu’elles n’aient qu’un mari à plusieurs, et que
la plupart vivent ensemble, elles ne sont point jalouses
les unes des autres.
Aucun homme ne les voit jamais dans leurs maisons,
et quand le mari veut régaler quelques amis, ce qui est
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assez rare entre eux, les femmes montent sur le toit fait en
terrasse, ou dans quelque chambre haute, et y demeu-
rent jusqu’à ce qu’ils soient sortis, ce qui fait aussi que
les repas sont courts, ne s’arrêtant point à discourir ou
à se divertir entre eux comme on fait en Europe.
Repas des Africains
Je dirai à propos de ces repas, que la manière de
manger parmi les Maures, est de s’assoir en rond, maf-
tres et valets à terre et sans souliers, autour d’une peau
de cuir toujours fort grasse, qui leur sert de table et de
nappe, sur laquelle le mets le plus extraordinaire qu’on
leur sert dans une espèce de terrine large par le haut,
et fort étroite en bas, est du couscous, qui est une pâte
faite de fine fleur de farine, et semblable à de lanis un
peu couvert, laquelle on à fait cuire avec quelques pou-
les et des pigeonneaux, ou du mouton; ils mangent ce
couscous à poignées, et en font une manière de petites
pelotes, qu'ils lancent dans leur bouche, et rejettent dans
la terrine ce qui en reste sur leur barbe ou dans leur
main, et quand ils prennent la viande, et qu’ils veulent
la rompre, comme ils ne mettent jamais que la main
droite dans le plat, chacun tire son morceau, comme
font les chiens acharnés à une carcasse, sans dire une
seule parole pendant tout le repas.
Ceux qui font un peu meilleur chère, sont servis
après ce mets, qu’une salade accompagne presque
toujours, de quelque bassin de cuivre ou écuelle de
terre, (car eux ni le Roi ne se servent point de vaisselle
d'argent, ils prétendent que leur loi le défend), remplies
de viandes fricassées avec du miel et des amandes,
Etat présent de l'Empire de Maroc
ou rôties sur la flamme, ou frites dans de l’huile, et de
quelques confitures à leur mode, sans aucun dessert, et
après que leur repas est achevé, ils s’essuient les doigts
sur le bord du plat, ou avec la langue; ils ne boivent que
de l’eau, et tous dans un même vase, parce que le
Coran leur défend le vin, mais non pas l’eau de vie,
dont ils s’enivrent très souvent; ils sont aussi grands
amateurs de nos liqueurs de Provence, comme eau de
cette, de cannelle, ratafa, rossolis, etc. Mais l’usage du
sorbet et du café n’est point établi parmi eux, comme
dans le levant.
L’écurie est le lieu qu’ils choisissent plus souvent et
plus volontiers pour manger, et ils n’ont d’autre plaisir
après leur repas que de visiter leurs femmes ou leurs
chevaux.
Je crois qu’après avoir parlé de la manière de man-
ger des Maures, je puis bien dire aussi un mot de leur
habillement.
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Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismaïl -- Pidou de Saint-Olon, Monsieur (François), 1646-1720, -- 2014 -- Casablanca_ Croisée des -- 9789954104583 -- ffbd39ab5bee11e03a6e32bb38c53edd -- Ann (1).pdf

  • 1. François Pidou de Saint-Olon Un ambassadeur de Louis XIV a la cour de Moulay Ismaiïl - Bibliothèque Arabo-Berbère : dsñ il oÙ dus A àitÿ sil Ë +oKoL8+ ltoAO0O+ IHCoRET+
  • 2.
  • 3. FA * | t y! ñ ‘ .- (] : | A | | LA L} os ‘ F] {tt Cut 13 2TISN IQ b f { rHE HTML eE.) ki es ss } 4 È : 1 OPA 1 ten Luc ou , L'e CafloCE haut) sos HOT - cnriglelion 71 os: anpôésunl fem! et T@ : ete * 0,41 TE)! (Te RAP Er as hurfig Ni Aro) mb o:t TL 2 L CESSE D air mat nosalareré NET VONT NMISNS
  • 4. Note de l’éditeur BAB, après 15 ans change de directeur éditorial et c’est François Larbre, docteur en philosophie ayant un long par- cours avec le livre, qui reprend le flambeau. À cette occasion, l'éditeur décide de donner un nouveau visage à cette collection qui continuera à faire découvrir à nos lecteurs des textes d’archives inédits et passionants. ABDELKADER RETNANI Publié à Paris en 1695 © La Croisée des Chemins, Casablanca, 2014 Immeuble Oued-Dahab - 1, rue Essanaâni, Bourgogne - 20050 Casablanca - Maroc ISBN : 978-9954-1-0458-3 Dépôt légal : 2013M03979 Courriel : editionslacroiseedeschemins(@gmail.com www.lacroiseedeschemins.ma
  • 5. François Pidou de Saint-Olon Un ambassadeur de Louis XIV a la cour de Moulay Ismaïl Texte établi et présenté par François Larbre
  • 6.
  • 7. PRÉFACE Le contexte historique En janvier 1693 François Pidou de Saint-Olon est désigné par le roi de France Louis XIV comme am- bassadeur auprès du sultan du Maroc Moulay Ismaïl. L'objet de cette ambassade, pour la France, était d'établir un accord pour le rachat des captifs chrétiens du royaume chérifien tandis que celui-ci aurait préféré procéder à un échange de prisonniers, comme ilvenait d'en conclure un avec l'Espagne, sur la base de quatre Maures pour un Espagnol. Une telle solution ne pouvait convenir au roi de France qui n’entendait pas dégarnir les bancs des galères françaises des nombreux ptison- niers marocains qui y ramaient. Mais au-delà de la question des captifs le véritable enjeu pour Moulay Ismaïl était d'obtenir l'alliance du roi de France pour la poursuite de la reprise des places fortes espagnoles au Maroc: il avait déjà reconquis Mehdia en 1681, Tanger en 1684, et Larache en 1689. Le roi de France, qui allait bientôt installer son petit- fils, Philippe V, sur le trône d’Espagne, ne se souciait pas de s’aliéner les Espagnols pour une alliance avec le Maroc musulman qui paraissait bien hasardeuse.
  • 8. In ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismaïl Dans un tel contexte l’entreprise de Pidou de Saint- Olon, mandaté exclusivement pour racheter des captifs que le sultan n’entendait pas vendre, était nécessaire- ment vouée à l'échec, et les attentes politiques de Moulay Ismaïl n’avaient aucune chance d’être satisfaites. L’'ambassadeur François Pidou de Saint-Olon (1640-1720) est un diplomate qui a déjà représenté Louis XIV auprès du Royaume d’Espagne (1673) et de la République de Gênes (1684) et s’est acquitté de missions délicates avec les ambassadeurs du roi de Siam ou des représen- tants du pape. L'Etat présent de l'empire du Maroc est la seule œuvre originale qu’il ait laissée éditer à la demande du roi qui souhaitait que soient rendues publiques ses observations sur le Maroc. Bien qu’il ait occupé des fonctions importantes pendant une très longue carrière au service du roi de France qui lui a toujours manifesté une grande confiance, Pidou de Saint-Olon n’a pas laissé d’autre œuvre ni une place remarquée dans l’his- toire du règne de Louis XIV. Le livre Le titre original du livre d’où provient le récit de cette ambassade est très exactement : Relztion de l'Empire de Maroc où l'on voit la situation du pays, ls mœurs, coufumes, gouvernement, religion etpolitique des habitants par Monsieur de Saint-Olon Ambassadeur du Roi à la Cour du Maroc. Ce livre, publié à Paris en 1695, n’était pas destiné, à l’origine, à être rendu public puisqu'il s’agit du rapport fait au
  • 9. roi de France Louis XIV par l'ambassadeur qu’il avait envoyé, en 1693, à la cour du sultan du Maroc, Moulay Ismaïl, à la demande de ce dernier. Ce rapport intitulé « Exat présent de ‘empire du Maroc » constitue à peu près les deux tiers de l’ouvrage, et c’est cette partie qui contient toutes les observations de l’auteur sur le Maroc de la fin du 17° siècle. Il est précédé d’une épiître au roi, exercice de courtisanerie obligé où l'ambassadeur résume les résultats de sa mission en même temps qu’il exprime toute la déférence qu’il doit au monarque ;cette épître est suivie d’un avertissement au lecteur dont la bienveillance est requise. Au mémoire sur l’état du Maroc s’ajoutent des docu- ments qui ont trait plus directement à la mission confiée à l’auteur : on y trouve la relation des audiences données par Moulay Ismaïl à l'ambassadeur, et des échanges de lettres entre le roi du Maroc et le roi de France, entre l’ambassadeur et Moulay Ismaïl, entre les ministres de celui-ci et ceux de Louis XIV. Dans cette dernière partie Pidou de Saint-Olon s’emploie à justifier l'échec de sa mission. Le texte intégral publié dans la présente édition est celui de édition originale. Il a été, dans certains passages, très légèrement modernisé pour être facilement lisible pat un lecteur contemporain peu familier du français du 17° siècle. Les noms de lieux et de personnes soit ont été transcrits directement dans l’orthographe en usage aujourd’hui, soit sont renseignés par des notes de bas de page. Préface
  • 10. Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismail Un regard européen sur le Maroc de Moulay Ismaïl Le premier intérêt du texte de Pidou est de nous offrir un témoignage direct sur l’état du Maroc sous le règne de Moulay Ismaïl. « L’Estat présent du Royaume de Maroc » est un des tous premiers textes, avec le récit du Sieur Mouette! publié en 1683, à décrire l’intérieur de ce pays et les mœurs des Marocains, quand les relations de voyage des navigateurs ne traitaient que des côtes et des ports. La description des modes de vie des musulmans était une chose neuve en Occident où, depuis Pexpul- sion des Morisques d’Espagne, ne vivait plus aucune population islamisée. Sur les cartes de la Méditerranée, les portulans, le Maghreb était désigné par le terme de « Barbarie » synonyme de « Berbérie », et on y trouvait représentés des lions et des chameaux. Les musulmans, le plus souvent assimilés aux Turcs, étaient «les infi- dèles » qui réduisaient en esclavage les chrétiens que capturaient les corsaires de Salé, Alger, ou Tunis... De ce fait un ouvrage qui entrait dans les détails de l’organisation politique, administrative, économique, commerciale et sociale du Maroc devait assurément re- présenter une somme de nouveautés pour ses lecteurs et d’abord pour la cour de Louis XIV. Mais, au-delà de la commande politique qui lui avait été adressée, Pidou a dressé un tableau très complet de la société marocaine : il s'intéresse aux différentes ethnies, à leurs pratiques 1 Relation de la captivité du Sr Moüette dans les royaumes de Fez et de Maroc / Germain Mouette, Paris, 1683.
  • 11. particulières, à leur art d’adapter leurs modes de vie à des conditions géographiques et climatiques très diffé- rentes de celles de l’Europe. Il parle beaucoup du sort des captifs chrétiens, c’était là le premier objet de sa mission, mais il traite aussi des pratiques religieuses, de l’habillement, de l’alimentation.… Son regard extérieur sur le Maroc l’amène à s’inté- resser à tout ce qui le surprend, à tout ce qui diffère de ses habitudes, et dont n’aurait pas parlé un Marocain de son temps pour qui tout cela était naturel. C’est ainsi que le regard de l'étranger nous permet d’apprendre beaucoup sur nous-mêmes, c’est même un procédé littéraire qui sera largement utilisé au 18° siècle; Les Lettres persanes de Montesquieu en constituent l’exemple le plus connu! Cependant la qualité du témoignage de Pidou de Saint-Olon est à considérer avec trois réserves. La première concerne le temps relativement bref du séjour de l’auteur au Maroc : moins de trois mois entre juin et août 1693; et, pendant ces quelques semaines, il ne visite que Tanger et Meknès, ce qui ne peut lui permettre d’acquérir une connaissance personnelle de l'ensemble du pays. La seconde réside dans les nombreux emprunts de Pidou aux écrits antérieurs sur le Maroc : tout ce qu’il rapporte ne relève pas d'observations directes n1 d’in- formations de première main. À la fin du 17° siècle il existait très peu de textes pertinents sur le Maghreb en Europe et notre auteur avoue spontanément avoir eu recours à la Description de l’Affrique du géographe Préface
  • 12. Un ambassadeur de Louis XTV/ à la cour de Moulay Ismaïl 10 hollandais Olfert Dapper qui avait été traduite en fran- çais en 1686. Pidou ne prétend pas être allé partout au Maroc, mais, quand on sait que Dapper a réalisé ses travaux de géographie sans jamais avoir quitté les Pays-Bas, on peut légitimement penser que les faits et données rapportés par Pidou méritent d’être considérés avec prudence. Les emprunts de Pidou sont parfois moins explicites. Ainsi quand il décrit « le repas des africains » ses mots et ses phrases ressemblent trop à ceux de Germain Moüette traitant le même sujet; Pidou a évidemment assisté à des repas chez ses hôtes marocains mais il semble que les mots de Moüette lui ont paru si bien les décrire qu’il les reprend sans même en changer lordonnancement! Ces deux indices nous invitent à considérer avec prudence les informations sur le Maroc qui sont rap- portées par un auteur que la réutilisation, voire le re- copiage, du travail des autres ne gênent manifestement pas. Le témoin n’est pas l’historien. La troisième réserve est plus méthodologique et porte sur des présupposés et préjugés idéologiques. Pidou de Saint-Olon n’est pas un ethnologue, ni un anthropologue, sa démarche ne peut prétendre à aucune scientificité. Au contraire, elle s’enracine dans la vision, alors commune en Occident, d’un monde musulman radicalement étranger et peuplé d’infidèles avec lesquels aucun rapport de confiance ne peut être établi. Partant de ces préjugés tout ce que Pidou observe ne peut que constituer des preuves du bien fondé d’une telle vision. Nous sommes là tout près de la racine de
  • 13. la profonde discorde entre l'Orient et POccident, là où la géopolitique s’entremêle avec le social et le religieux pour créer des antagonismes séculaires, là où la force va tenir lieu de droit. Cet ambassadeur n’est certes pas le premier à poser les termes de l’affrontement séculaire entre musulmans et chrétiens, mais il est tellement imprégné de celui-ci qu’il n’en cherche que des justifications dans tout ce qu’il voit. On voit bien ainsi que l’intérêt de ce texte, outre ce qu’il nous apprend sur le quotidien des Marocains du 17° siècle, est d’être lu avec le discernement nécessaire pour comprendre, d’une part, ce qui troublait l’obser- vateur étranger et, d'autre part, avec quels préjugés celui-ci regardait le Maroc. C’est un bon exercice de comparatisme culturel. XXX Préface 11
  • 14. “ve + v” » { 0 : s4 ‘ if à LS sis. dr ET LLC F4 FOR L'ANPE ai M
  • 15. EPÎTRE AU Roy Sire, Quoique je ne doute pas que Votre Majesté n’ait eu de temps en temps de fidèles informations de ce qui regarde l’état, les forces, les coutumes et la religion des Maures, et bien que ce que j’en ai vu dans quelques relations publiques se soit trouvé assez conforme à l’examen que j’en ai fait sur les lieux mêmes, toutefois, Sire, lobéissance et l'attention que je dois à l'exécution des ordres de Votre Majesté, et à ce qu’elle m’a fait prescrire dans mes instructions, m’ayant engagé pendant mon séjour dans les Etats de l'Empereur du Maroc à des remarques plus nouvelles et moins connues, j’ose espérer qu’Elle aura la bonté d’agréer, que sans affecter la grosseur du mémoire que jai l'honneur de lui pré- senter par des répétitions superflues de ce quelques auteurs en ont écrit, je me contente d’y joindre, comme par manière de supplément, les observations dont il m'a paru qu’ils n’ont point fait mention, tant pour ce qui concerne le détail et la qualité du commerce de cet Empire, que le caractère, les mœurs et le génie de ceux qui ont le plus de part à son gouvernement, et ce que
  • 16. Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismaïl 14 les conquêtes du Roy qui le possède aujourd’hui peu- vent avoir contribué à l'agrandissement de ses états, à l'augmentation de ses forces, et à l'élévation de cette vanité qui ne règne pas moins fort en lui, que les autres qualités qui le distinguent si fort. Quand Votre Majesté s’est résolue de m’honorer de son choix pour aller conclure en son nom avec cet em- pereur le traité de paix qu’il avait si fort témoigné dési- rer depuis quelques années, qu’il semblait même avoir voulu par avance en aplanir toutes les difficultés dans la lettre qu’il avait écrite et envoyée à Votre majesté par le Consul de Salé, Votre Majesté était déjà si justement prévenue par les fréquentes épreuves qu’elle en avait faites, du peu de fondement qu’on doit assoir sur ses propositions et ses promesses, que l’attention que je devais avoir à ne m’en pas laisser surprendre était l’un des articles plus essentiels et plus recommandés dans mon instruction ; aussi est-ce à quoi je me suis attaché par toutes les voies et tempéraments qui m'ont paru plus propres à concilier l’artifice de son Conseil et de ses ministres, avec l’ardeur et la fidélité de mon zèle pour le service et pour la gloire de Votre Majesté. Ce que je dis même à ce Prince en ma première audience, et que je répéterai encore à la fin de ce petit ouvrage, aura pu faire connaître à Votre Majesté que je n'ai point non plus ménagé les éloges ni les insinuations que j'ai jugé les plus capables de flatter son ambition, et de le rendre favorable au succès de vos pieux et solides Projets pour la liberté de vos Sujets esclaves, et pour la sureté de vos négociants. Cependant, Sire, si Votre Majesté n’a pas eu le temps et la curiosité de lire le mémoire ou journal que je lui ai
  • 17. Epêtre an Roy envoyé de mon séjour et de ma négociation dans les états de ce prince et dans sa Cour, Elle aura vu que non seulement elle n’en avait point prise de fausses idées, mais que bien loin que mes tentatives pour renverser cette foi punique qui s’y professe aujourd’hui si géné- ralement, et pour en arracher les rejetons devenus plus forts que leur ancienne tige, bien loin dis-je que mes soins et mes efforts aient pu suffire à les déraciner, ils n’ont pas seulement été capables de les ébranler. J'aurais lieu, Sire, à ce propos, de reprendre et rap- porter ici la substance ou l'extrait de bien des choses que j'ai déduites assez au long dans ce journal, si la crainte de me trop éloigner de mon entreprise, qui suivant les ordres de Votre Majesté, ne doit regarder que l'étendue, le gouvernement, les forces et le commerce de l'Empire du Maroc, ne m’obligeait à supprimer tout ce qui n’a point de relation directe à leur exécution. Ce que néanmoins jene crois pas devoir commencer sans faire auparavant à Votre Majesté cette remarque aussi nécessaire que véritable, que tout ce que le manège et les discours des ministres du Roi du Maroc m’ont fait entrevoir de ses desseins et de ses résolutions au sujet des tentatives qu’il fait de temps en temps auprès de Votre Majesté, ne seront et n’ont jamais été autres, quel- les qu’en soient les démonstrations, que de s’attirer des présents, des honneurs et des secours pour la conquête de ce que les Espagnols tiennent encore dans son pays. Comme ce Prince et ses Ministres connaissent par- faitement que vos bontés et votre compassion pour vos pauvres sujets esclaves sont les seuls motifs qui 1 L’auteur assimile l’Islam à la religion des anciens Carthaginois. 15
  • 18. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl 16 vous portent à les écouter, il faut compter qu’ils ne se déferont point de ces esclaves, tant qu’ils se verront dans l’espoir et le besoin d’en tirer les avantages que je viens de remarquer; qu’ils ne traiteront jamais qu’à des conditions de cette nature, et qu’ils tâcheront toujours d’exiger ou de procurer par quelque voie ce soit, que l'effet qu'ils croiront en devoir attendre précède lexé- cution de ce qu’ils en auront promis. Il ne me reste plus, Sire, après cela, qu’à représenter à Votre Majesté, que je me suis attaché si particuliè- rement à l'examen de tout ce qui fait le sujet de ce Mémoire, que je puis bien l’assurer qu’il ne contient rien qui ne soit très conforme à l'effet et à la vérité; j'ose aussi espérer des bontés de Votre Majesté, qu’elle en excusera d’autant plus facilement les omissions et les défauts, que par le compte que j’ai eu honneur de lui rendre de mon séjour et de ma négociation en ce Royaume, où j'ai presque toujours été retenu et observé très exactement, et où l’on ne souffre pas très volon- tiers que l’on s’informe des affaires du pays. Elle aura connu le peu de commerce et de relation que j'ai pu avoir avec ce qui m'en aurait facilité une connaissance plus parfaite et plus capable de confirmer à Votre majesté la fidélité du zèle ardent et respectueux avec lequel je suis inviolablement, Sites De Votre Majesté, le très humble, très obéissant et très fidèle sujet et serviteur Pidou de Saint-Olon.
  • 19. AU LECTEUR L'Epitre que vous venez de voir vous fait assez connaître que cet ouvrage n’avait point été fait pour être public, et que ce que vous verrez dans la suite vous persuadera encore mieux que je ne suis pas doué des talents nécessaires pour m'ériger en auteur. Ainsi ne vous attendez pas d’y trouver ni l’arrangement, ni les arrangements, ni l’éloquence de ceux de cette pro- fession, et lisez-le s’il vous plaît, avec toute la prévention d’indulgence que vous ne sauriez équitablement refuser à la prière et à l’aveu que je vous en fais. Ce n’est ici qu’un mémoire, tout simple et tout naturel, de ce que j’ai remarqué dans mon voyage de plus pro- pre à remplir obligation ordinaire de ceux que le Roi honore de ses ordres chez les princes étrangers: j'ai tâché de le rendre le plus véritable et le plus court qu’il m'a été possible, et d’y éviter également l’exagération et la répétition des différents auteurs qui font mention de ce pays-là. Je ne me suis déterminé aussi à vous le présenter que sur les pressantes instances qui m’en ont été faites pat un grand nombre de personnes, dont le rang et le mérite ou l’amitié ne m'ont pas laissé la liberté de m’en 17
  • 20. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismail excuser :ainsi, pourvu que vous ayez la même bonté qu'eux pour l’auteur, nous serons également contents, vous de le lire, et moi de vous l’avoir donné. 18
  • 21. ÉTAT PRÉSENT DE L’EMPIRE DE MAROC Dessein de l’auteur Mon dessein n'étant pas de suivre ici l’histoire et de chercher l’origine de tout ce qui compose à présent l'Empire du Maroc, mais de donner, comme je l’ai dit, une relation exacte et précise de son étendue, de ses limites, de ses forces, de son commerce et de son gou- vernement. Je crois qu’il suffira d’en préparer l’idée par un extrait le plus abrégé qu’il sera possible de la ma- nière que le fameux Moulay Rachid, Roi du Tafilalet, et Moulay Ismaïl son frère et son successeur immédiat, ont réuni les Royaumes de Marrakech, Fez, Tafilalet, et Souss, et la vaste province du Draa sous une même puissance, et en ont formé ce grand état où nous voyons aujourd’hui ce dernier régner si souverainement. Histoire du Roi de Tafilalet Moulay Cherif, Roi du Tafilalet et père de Moulay Rachid, qui remontent leur généalogie jusqu’à Mahomet duquel ils se font descendre par sa fille Fatima, eut en mourant pour successeur de son royaume Moulay 19
  • 22. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl 20 Ahmed ainé des quatre-vingts quatre enfants mâles et cent vingt-quatre filles qui lui survécurent; mais Moulay Rachid, l’un de ses frères, dont le cœur fier et ambitieux ne pouvait se résoudre à obéir, ne l'en laissa pas jouir longtemps avec tranquillité, et soutenu par quelques- uns des principaux caïds qu’il engagea dans ses intérêts, il forma des desseins dont les commencements néan- moins ne répondirent pas aux projets de son ambition, car le Roi les ayant prévenus, fit prendre et mourir les caïds, et le fit enfermer dans une prison. Cependant ayant trouvé le moyen de s’en sauver, et plutôt aigri qu’attiré par la douceur de ce traitement, assembla des troupes, et tenta de nouvelles entreprises; mais le succès n’en fut encore que de se laisser prendre et enfermer une seconde fois. Cette prison, quoique plus longue et plus resserrée que la première, ne produisit pas un meilleur effet: car le Noir à qui le Roi en avait confié la garde, et qu'il avait choisi parmi les siens comme le plus fidèle, ne le fut pas assez pour résister aux caresses et aux grandes espérances dont Moulay Rachid le flatta pour en obtenir la liberté; ils en concertèrent ensemble les moyens et les exécutèrent. Mais persuadé qu’il n’était pas sûr de se fier à celui qu’il voyait capable de trahir ainsi son maître, et craignant pour soi un semblable retour, il ne le paya d’un service si important que par la mort qu’il lui donna d’un coup de sabre en se sauvant. Il se retira à Zaouias” où commandait le Morabite Ben Boucar” que les habitants de cette province avaient élu pour leur prince à cause de sa vertu. 2 Il s’agit de la Zaouïa de Dila, dans la région de Khenifra, qui dominait alors tout le Nord du Maroc saadien. 3 Il doit s’agir de Mohammed ben Abu Bakr.
  • 23. Etat présent de l'Empire de Maroc Ceux qu’on appelle Morabites en Afrique sont comme nos ermites. Ils font profession de science et de sainteté, et ils se retirent dans les déserts, où le peuple qui les à en très grande vénération va quelquefois les chercher au fond de la solitude pour leur mettre la couronne sur la tête ainsi qu’il l’avait fait pour Ben Boucar. Moulay Rachid cachant ce qu’il était, alla lui offrir son service en qualité de simple soldat. Ce bon vieillard le reçut favorablement, et l'ayant connu comme homme de mérite, il lui donna dans la suite divers emplois, dont il s’acquitta si bien, qu’il acquit en peu de temps son estime et son amitié. Cependant ayant été reconnu par quelques arabes du Tafilalet qui avaient apporté des dattes à vendre et qui furent aussitôt le saluer comme frère de leur Roi, les fils de Ben Boucar le soupçonnèrent de n’être pas venu ainsi déguisé dans leurs états sans quelque dessein, et résolurent de le faire mourir. Ils lui dressèrent à cet effet une embuscade dont il s’échappa et se sauva à Quiviane‘, où ayant aussi offert ses services à celui qui en était le maître de la même manière qu’il avait fait à Ben Boucar, il s’y fit encore si bien valoir qu’il en devint en peu de temps le Premier Ministre et le favori. Mais l’autorité de son poste, la confiance et l’amitié de son maître et celle qu’il avait eue l’adresse de s’ac- quérir parmi ses peuples, ne servirent que de nouveaux aiguillons à son ambition. Il se persuada que la conquête de cet état, où il était déjà si absolu, ne lui serait pas moins facile que lui avait été l'élévation où il se voyait; 4 Aujourd’hui Mlilya ou Melilla. 21
  • 24. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaël 22 il se servit des trésors mêmes de son bienfaiteur pour s’attirer ceux dont il ne se croyait pas assez assuré : et y ayant réussi selon ses souhaits, il s’empara en peu de temps et sans peine du Prince de Quiviane, de ses biens, et de tout son pays; et jugeant que la mort était le plus sûr moyen de s’en affermir la possession, il s’en défit, et ensuite il leva des troupes avec lesquelles 1l se mit en état d’aller exercer contre son frère son ressen- timent et ses premiers desseins. Moulay Ahmed qui en eut avis travailla de son côté à le prévenir :et s’étant mis en campagne pour cet effet, ils se donnèrent l’un à l’autre divers combats dans lesquels, Moulay Rachid ayant presque toujours eu l’avantage, il réduisit son frère à se renfermer dans le Tafilalet, où le chagrin de ses disgrâces, et la crainte de l’inhumanité de son vainqueur le firent mourir. Ainsi cette mort l’ayant délivré de son principal compétiteur, et mis en chemin de suivre ses conquêtes, il les poussa avec tant de cou- rage, de conduite et de bonheur, qu’il se fournit encore en assez peu de temps Salé, qui était une ville libre, et les royaumes de Fès, du Maroc” et du Souss, dont les uns se rendirent à la force de ses armes, et les autres à la terreur qu’elles y répandaient. Il n’en jouit pas cependant aussi longtemps que son âge et sa fortune semblaient le lui promettre, et il ne put éviter dans son propre palais, et à quarante ans, la mort qu’il avait tant de fois affrontée dans les combats. Ce fut dans une fête, où ayant assemblé sa noblesse et fait excès de vin avec ses plus particuliers amis, ce qui lui arrivait assez fréquemment, il s’avisa en cet état de vouloir caracoler dans ses jardins, où en 5 De Marrakech.
  • 25. Eat présent de l'Empire de Maroc passant sous une allée d’orangers son cheval l’'emporta si violemment, qu’une grosse branche d’un des orangers lui fracassa le crâne, et le mit en trois jours dans le tombeau. L'ordre et la paix que ce conquérant commençait à établir dans ses états furent bientôt troublés par l’ac- cident imprévu de cette mort, arrivée en l’année 1672. Car ceux de sa famille auxquels il avait confié le gouver- nement de ses Royaumes, voulurent se rendre maître du pays où chacun d’eux commandait, mais Moulay Ismaïl, qui se trouva le plus brave, le plus entreprenant, et le plus estimé, fut aussi celui qui sut le mieux en profiter. I se fit d’abord reconnaître Roi du Tafilalet, il s’em- para des trésors de son frère, il se mit en campagne avec le plus de troupes qu’il put ramasser, et après en avoir gagné quelques-uns par promesses ou par présents, il vainquit les autres par les armes, et se rendit maître de tout. Celui d’entre ses concurrents qui lui fit le plus de peine fut Moulay Ahmed son neveu, lequel s'était aussi fait reconnaître Roi de Fès et du Souss, et s'étant opposé à lui avec des forces considérables, l’a obligé pendant deux ou trois ans à divers sièges ou combats, dont les désavantages qu’il a souffert, l’ont enfin réduit à se soumettre comme les autres, et n’ont servi à rien d’autre qu’à faire d’autant mieux éclater la conduite et la valeur intrépide de ce prince, qui ne doit qu’à ces deux qualités la libre et souveraine possession où il se trouve aujourd’hui de tout cet empire, dont l’étendue n'est pas moins considérable que sa situation. 23
  • 26. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl 24 Etendue de l'Empire du Maroc Il y a bien deux cent cinquante lieues° de distance du Nord au Sud, et cent quarante de l’Est à l'Ouest; ses limites sont du côté d’Orient le Royaume d’Alger qui le confine à Tlemcen, l'Océan Atlantique à POc- cident, le fleuve Draa au Midi, et la Mer Méditerranée au Septentrion, à l'exception néanmoins de trois places que les Princes Chrétiens tiennent encore sur ses côtes, à savoir Mazagan’, occupé par les Portugais sur POcéan, et Ceuta et Melilla par les Espagnols du côté de la Médi- terranée, l’une à l'embouchure et l’autre plus en deçà. Il n’y à que peu de temps que ces derniers avaient aussi deux très bonnes places sur l'Océan, qui sont Larache et La Mamorre”, qu’ils se sont laissé enlever par Moulay Ismaïl, la première en l’an 1681 et l’autre en 1689. Les Anglais y étaient aussi maîtres de Tanger dans le détroit, mais ils l’ont abandonnée depuis quel- ques années en ruinant son port et ses fortifications. De sorte que l'Empereur du Maroc à présentement pour places considérables, sur les côtes de Océan, Sainte Croix”, Safi, Salé, La Mamorre, Larache, Asilah et Tanger; et sur la méditerranée Zaffarine"” et Tétouan, encore cette dernière est-elle située dans les terres à deux lieues de la marine, et sans aucune fortification, aussi n’est-elle que comme un bourg assez bien bâti et fort peuplé. 6 Une lieue mesurait à peu près 4 kilomètres. 7 Aujourd’hui El Jadida 8 Aujourd’hui Méhdia 9 Agadir 10 Les îles Zaffarines
  • 27. Eat présent de l'Empire de Maroc Tétouan Les habitants de Tétouan, qu’on fait monter à plus de quinze mille, se disent andalous, et parlent presque tous espagnol, car tout le monde sait que les Maures ont été les maîtres de l'Espagne pendant six ou sept cents ans, et qu'après bien des efforts que les originaires du pays avaient fait inutilement pour les en chasser, Ferdinand, plus heureux, les soumit entièrement à son empire, et les obligea à embrasser extérieurement la religion romaine pendant qu’ils travaillaient secrètement à la ruine de l’état. Mais Philippe IIT ayant découvert leurs menées les en chassa en 1610. Ils en sortirent au nombre de plus de cent mille de tout sexe et de tout âge, et la plus grande partie se retira en Afrique, et s’établit à Salé et à Tétouan. Ils sont blancs, assez polis et fort affables aux chré- tiens. Le Consul français et tous les marchands qui y sont établis, quoique de nation et de religion différentes, y entretiennent à frais commun, outre le droit de trois écus qui se lève pour ce sujet sur chaque vaisseau, tar- tane ou barque qui y abordent, un petit hôpital avec deux récollets espagnols pour le service de la religion, et pour la consolation des esclaves : 1l y en a autant à Salé, et de la même manière. Il n’y à aucun bon port en aucune de ces places, les meilleurs seraient Tanger, La Mamorre et Salé, mais on n’y peut entrer que par une barre qui en rend l’abord impraticable à toute forme de gros bâtiments, ce qui fait aussi que le Roi ni ses corsaires ne sauraient y armer que brigantins ou frégates légères qui vont en course pour pirater. 25
  • 28. Un ambassadeur de Louis XIV/ à la cour de M oulay Ismail 26 Vaisseaux et forces de mer du Roi du Maroc Le nombre de ces bâtiments n’est jamais fixé, il se règle suivant ce qu’il s’en perd ou qu’il s’en construit : il y en a présentement douze ou treize dont six sont au Roi, et le reste à des particuliers;ils sont de dix-huit à vingt pièces de canon, les plus forts n’en passent pas vingt-quatre, mais ils ont jusqu’à deux cents hommes d'équipage, et sont pour la plupart fort mal en ordre à cause de la disette du pays pour les munitions, voiles, cordes et autres agrès, en sorte que si les Maures n’en tiraient comme ils font de temps en temps des Anglais et des Hollandais, ce nombre se réduirait bientôt et bien facilement à un plus petit. L'entretien des vaisseaux du Roi du Maroc ne lui coûte rien; c’est le caïd ou gouverneur du lieu où ils sont qui en paie les officiers et l'équipage; s’ils font des prises le Roi en a la moitié, et l’autre se partage entre le caïd et les officiers, qui en donnent quelques portions à l’équipage; mais pour les esclaves le Roi les prend tous, en payant cinquante écus pour chacun de ceux qui ne sont pas compris dans sa moitié. Les vaisseaux des particuliers sont aux frais des at- mateurs, dont ils se remboursent sur le produit des prises, sur lesquelles le Roi prend le cinquième avec tous les esclaves moyennant aussi cinquante écus pour chacun. Des quatre royaumes spécifiés ci-dessus, Marrakech et Fès sont les plus grands et les plus considérables, leurs capitales portent leurs mêmes noms. Celle de Marrakech était autrefois très peuplée et fort renommée pour sa beauté et sa richesse, mais elle est à présent
  • 29. Eat présent de l'Empire de Maroc beaucoup déchue, et ne contient pas plus de vingt- cinq mille habitants; ses rues paraissent presque déser- tes, et personne ne prend soin de réparer les ruines qui s’y accumulent tous les jours et qui la défigurent entièrement; son palais et cette mosquée si fameuse par sa grandeur et ses ornements, aussi bien que par les portes de bronze et les trois pommes d’or, qu’on disait enchantées ne sont plus rien, Moulay Ismaïl n’a point appréhendé les vains pronostics de malédiction contre ceux qui les Ôteraient, son avidité pour l’argent plus forte en cette occasion que la superstition assez ordinaire aux Maures, l’a déterminé à les faire enlever et enfouir dans son invisible et inutile trésor; j’expli- querai par la suite ce qui me fait le qualifier ainsi. On prétend que ces pommes d’or dont je viens de parler ont été mises sur cette mosquée par la femme de ce grand Al Mansour si célèbre et si connu dans l’histoire par la conquête de l'Espagne. On dit donc que cette reine voulant laisser à la postérité un monu- ment à sa grandeur, employa à sa construction la plus grande partie de ses joyaux et de sa dot : que ces pommes avaient été posées sous une telle constellation du ciel qu'on ne pouvait les en Ôter, et que l’architecte avait obligé certains esprits par des conjurations à en être les gardiens. On assure même que plusieurs rois qui les ont voulu prendre en ont toujours été retenus par quelque accident: et les Maures, très crédules sur la magie, s'étaient imaginés jusqu’à présent qu’en vertu de cette conjuration le Diable romprait le cou à celui qui entreprendrait de les enlever;mais ce roi-ci moins crédule et moins scrupuleux les en a détrompés. 27
  • 30. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl 28 Safi et Mazagan situées sur les côtes de l'Océan, et dont la dernière est une grande et belle ville possédée pat les Portugais qui y tiennent une bonne garnison, sont après cette capitale les seules villes du pays qui méritent qu’on en fasse mention; car bien que son étendue qui se divise en sept provinces, soit assez grande, il n’est pas néanmoins fort peuplé, à cause que son territoire sablonneux, sec et ingrat dans sa plus grande partie, n’y permet pas l’abondance des grains ni des bestiaux; il n’est fertile qu’en chameaux qui s’y trouvent en nombre et à bon marché, en mines de cuivre, cire, et amandes, dont il se fait un grand débit en Europe. On estime qu'il peut y avoir dans les campagnes jusqu’à trente mille cabanes de douars, qui font près de cent mille hommes payant garamme!!, c’est-à-dire payant au Roi un tribut de la dixième partie de tout ce qu’ils possèdent, à quoi ils commencent d’être sujets dès qu'ils ont atteint l’âge de quinze ans. Douar Un douar est une espèce de village ambulant (car il y en a très peu de bâtis et de stables en toute l'Afrique) composé de quelques familles arabes qui campent sous des tentes, tantôt en un lieu, tantôt en un autre, selon que la bonté du terrain les y excite, et que la subsistance de leurs bestiaux, en quoi consiste tout leur bien, le requiert : chaque douar a son marabout et se soumet à la conduite d’un chef qu’ils élisent entre eux; chaque 11 Ghrama, impôt en nature.
  • 31. Etat présent de l'Empire de Maroc famille occupe une tente ou une cabane, et y couche pêle-mêle, avec ses bœufs, moutons, chameaux, poules, chiens, etc. Rien n’est comparable à leur misère et à leur malpropreté, cependant ce sont eux qui font les revenus du Roi les plus réglés et les plus certains : c’est otdinairement un Noir de sa garde qui va exiger leurs tributs, et qui, bien que seul, fait jouer la bastonnade comme il lui plaît contre le moindre défaillant, sans qu'aucun ose s’y opposer ni s’en plaindre. Quand les Arabes transportent leurs douars, ils met- tent leurs femmes et leurs enfants sur des chameaux dans des machines d’osier couvertes de toiles et faites en formes de niches, mais toutes rondes, qui les couvrent entièrement de l’ardeut du soleil, et d’où néanmoins elles peuvent prendre l'air de tel côté qu’elles veulent : si les chameaux ne suffisent pas pour leur bagage, ils le font porter par leurs taureaux et vaches, qui ont des bâts, ce que je n'avais encore point vu dans les autres pays. Royaume de Fès Le Royaume de Fès connu autrefois sous le nom de Mauritanie Tingitane, n’est pas moins grand que celui de Marrakech, et se divise comme lui en sept provinces; mais il est beaucoup plus fertile, mieux peuplé, et plus abondant en toutes sortes de grains, bestiaux, légumes, fruits, et cire; il le serait encore davantage si l’on prenait plus de soin de le cultiver, mais la bonté du territoire qui produit presque de lui-même, la nonchalance des habitants qui se contentent de ce qui suffit à leur subsis- tance, et leur scrupuleux entêtement à ne point vouloir 29
  • 32. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl 30 sortir leurs grains, sont cause que plus de la moitié de ces terres reste en friche. Il y a quelques mines de fer, mais ils ne savent pas le raffiner, et ils ne s’en servent qu’à faire des clous et d’autres ferrements grossiers. Ce royaume a pour confins d’un côté celui de Mar- rakech, et de l’autre celui d'Alger; il est traversé par le rapide fleuve du Sebou qui passe à une demie lieue de sa capitale, et va se décharger par La Mamorre dans l'Océan. Ce fleuve est le plus beau de tous ceux de l'Empire du Maroc, et a sur ses bords au-dessus de La Mamorre une grande forêt, qui peut fournir à la construction de quantité de vaisseaux : on dit aussi que peu loin de sa source ily a un fort beau pont de pierres et de briques de cent cinquante toises de longueur, ce qui serait remarquable et extraordinaire s’il n’était pas ancien; car non seulement on ne s’attache plus en ce pays aux édifices publics, mais on n’y prend pas même le moindre soin des réparations requises dans ses chemins pour la facilité de ce qu’on est obligé d’y faire passer; il est vrai aussi que n’y ayant aucune autre allure ni voiture que celle du cheval ou du chameau, ces répa- rations ne sont pas si absolument nécessaires qu’elles le seraient ailleurs. À propos de quoi je remarquerai qu’il n’y a ni poste ni voitures publiques établies en tous ces pays, et que les correspondances qui n’y sont pas fréquentes, ne s’y entretiennent que par des exprès à pied ou à cheval, qui font cependant assez de diligence et qui ne coûtent pas beaucoup, tant parce que les hommes et les chevaux sont durs à la fatigue, qu’à cause qu’ils s’y nourrissent de peu de choses et à très bon marché.
  • 33. Eat présent de 1‘Erpire de Maroc Dromadaires On s’y sert pour les affaires importantes et pressées d’une manière de monture qu’on nomme dromadhaire, qui est une espèce de chameau, et qui n’en diffère que par sa vitesse et sa maigreur, qualités qui lui sont naturelles et tout-à-fait particulières; car on observe à ce que disent ceux du pays, que cet animal fait par jour autant de lieues qu’il est de jours à dormir, et sans voir clair en naissant, de sorte que s’il dort pendant six jours aussitôt après qu’il est né, il fait par jour soixante lieues et plus ou moins à proportion. J'en ai vu un de cette espèce à Meknès, sur lequel on a voulu me faire croire que l’oncle du Roi avait fait jusqu’à cent lieues en un jour, ce qui me paraît néan- moins tenir un peu de lexagération;ceux qui l’assurent ajoutent que la fatigue de cette allure qui n’est qu’un entrepas fort précipité, en égale la diligence, et qu’il ne serait pas possible de la soutenir si l’on ne se faisait pas attacher sur la selle, et couvrir la bouche de crainte de la suffocation ; en effet il ne faut pas douter, si ceci est véritable, qu’on ne se trouve harassé outre mesure au bout d’une course de cette haleine et de cette vitesse-là. On estime que les douars dans le Royaume de Fès y composent près de trois cents mille hommes payants garammes. Sa capitale qui porte son nom est sans contredit la plus belle, la plus riche, et la plus marchande qu'aucune autre ville de l'Empire du Maroc : elle se divise en vieille et nouvelle ville, bien bâties et peuplées de plus de trois cents mille âmes: la vieille ville est habitée par des Blancs, et la nouvelle par des Noirs : elles contiennent toutes deux tant de
  • 34. Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismaïl 32 portes, de ponts, de fontaines, et places publiques, de gemmes!?ou mosquées, de collèges et de beaux édifices, que l’ample description que Dapper” en fait dans son Histoire de l'Afrique, n'est pas moins digne de la curiosité des lecteurs, que toutes ces choses le sont elles-mêmes de celle des voyageurs qui vont en ce pays-là. Pour moi à qui l’on n’a pas voulu permettre d’y aller, quoiqu’elle ne soit éloignée de Meknès que d’une journée, jesuis ré- duit comme les autres à m’en rapporter aux relations. Ce royaume a encore pour villes remarquables Taza, Meknès, La Mamorre, Asilah, Larache, Salé, Tanger, Ceuta, EL Ksar et Tétouan. Meknès est la demeure du Roi, et située dans le mi- lieu des terres : elle est petite, mais si remplie d’habi- tants, dont on fait monter le nombre à plus de soixante mille, qu’on ne saurait passer dans ses rues, d’ailleurs très étroites, qu’en s’y entrechoquant; j'en parlerai plus amplement dans un autre endroit. Taza est une petite forteresse entre Fès et Meknès. Les autres villes bordent la mer, et sont toutes assez peuplées et fort marchandes; elles le seraient encore davantage si elles avaient quelque bon port; mais la barre que j'ai déjà dit qui y règne en ces côtes, n'y en permet aucun. Tétouan et Salé sont celles où les bâtiments de mer abordent plus facilement, ce qui a donné lieu à plusieurs marchands de diverses nations de s’y habituer, et au Roi de France d’y établir en chacune un Consul pour la com- modité ducommerce,etpour sasûreté, c'enestau moins l'intention, mais que je puis dire être sans effet par les 12 Gemmes : transcription de jâmi 13 Olfert Dapper, géographe hollandais du XVII siècle, auteur d’une encyclopédique Description de l'Afrique publiée à Amsterdam en 1668.
  • 35. Eat présent de 1“Erpire de Maroc manières barbares et intéressées que ces ennemis de la politesse et de l'honnêteté, qui les portent, ainsi que je l’ai vu, à une considération bien plus grande pour le moindre marchand, par rapport au profit qu'ils en es- pèrent, que pour les Consuls, dont le caractère qui leur est infructueux est tous les jours exposé aux bizarreries de leurs caprices et aux indignités de leurs mépris. Salé Salé est plus connue et plus renommée que les autres à cause de ses corsaires et de son havre, qui n’est proprement néanmoins que pour de petits bâtiments. Elle est encore considérable par ses deux forteresses, par ses deux villes divisées comme à Fès en vieille et nouvelle, et par son grand commerce; ses habitants qui ne sont pas plus de vingt mille, se qualifient d’Andalous, comme ceux de Tétouan; elle avait autrefois de beaux édifices que les guerres et ses révoltes ont presque tous ruinés. Elle à fait de la peine quelques temps aux rois du Maroc, dont elle voulait secouer la domination;mais Moulay Rachid la réduisit en 1666 par le gain d’une grande bataille contre le fameux Gayland'* Seigneur de Tétouan, d’Asilah et de El Ksar, dont elle avait recherché la protection; ces deux villes sont séparées pat la rivière de Guerou!”, celle qui est du côté sud a deux châteaux au haut d’une petite montagne qui est sur le bord de la mer: ils se communiquent pat une grande muraille, et contiennent environ trente pièces d'artillerie assez mal en ordre; il y a un fortin au-dessus 14 Ghaylan pour les historiens. 15 Il doit s’agir du fleuve Loukos. 33
  • 36. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismail 34 du vieux château sur l'embouchure de la rivière, garni de trois canons de fer et de deux de bronze de douze à quinze livres de balle, pour faciliter la retraite de ses corsaires quand ils sont poursuivis. El Ksar El Ksar s’est aussi rendue célèbre par la grande bataille que Don Sébastien Roi du Portugal perdit avec la vie en 1578 dans la plaine qui est entre cette ville et la rivière de Moukazem!"; elle est petite, peu remplie d'habitants et fort mal bâtie, mais dans une situation agréable par cette rivière te par les beaux jardins qui l’environnent de tous côtés, Ghaylan y faisait sa princi- pale demeure dans un assez grand palais, qui est pré- sentement tout ruiné; jene puis m'empêcher de dire en passant que jecrois que cette ville est le réduit de toutes les cigognes de cette Barbarie, et qu’il y en a plus que d'habitants, je n’en ai jamais tant vu ensemble et dans un même endroit, aussi y sont-elles en sûreté, car les maures tiennent à péché d’en tuer, et le défendent très rigoureusement, à cause qu'ils croient qu’à la prière de Mahomet Dieu à transformé en ces oiseaux une troupe d’Arabes qui volaient les pèlerins de La Mecque. Ceuta est, comme jai déjà dit, aux Espagnols, les- quels outre cette place considérable, en tiennent encore une autre en ce même royaume, et sur le rivage tirant vers Alver qui est Melilla, et le Peñon de los Velez, pe- tite forteresse bâtie sur la pointe d’un rocher entouré d’eau, et si bien située qu’elle est presque imprenable. 16 L’oued El Makhazin
  • 37. Eat présent de 1“Erpire de Maroc Royaume du Souss Le Royaume du Souss est contigu à celui de Mar- takech entre son Midi et son Couchant, il est petit et peu rempli d’habitants, y en ayant même une bonne partie presque déserte vers le côté des Nègres; il peut y avoir dans ses campagnes environ quinze mille douars d’Arabes, tous gens braves, entreprenants, et impatients de la domination; le Roi d’à présent a eu beaucoup de peine à les assujettir, encore y-a-t-il deux montagnes dont il n’a pu venir à bout jusqu’à présent, ceux qui les habitent ne le reconnaissant point, et se gouvernant pat un chef qu’ils se font eux-mêmes. Ses deux villes principales sont Illec!? et Taroudant, grandes et assez peuplées, eu égard au reste du pays, y ayant bien en chacune cinquante mille habitants: le Roi n’y envoie point de caïd, comme dans celles de ses autres royaumes, il n’y tient qu’un Capitaine, qu’on nomme Pacha, et qui a sous lui des officiers, dont il se sert pour l’exécution de ses ordres dans tout le pays, mais avec ménagement;les Maures y sont traités bien plus doucement qu’à Marrakech et à Fès, ils n'y paient que leurs redevances annuelles, et ne sont ni sujets ni contraint à aucune Garamme extraordinaire;la politi- que du Roi lengage à en user ainsi pour ne point donner de prétexte à leur penchant tumultueux, et à la facilité que la situation du pays ferait trouver à leur rébellion. Le pays habité est assez fertile en grains, légumes, fruits et olives, ses montagnes sont abondantes en mines de cuivre, et l’on prétend qu’il y en a aussi quelques- unes d’or. 17 Illigh dans le Tazerwalt 9
  • 38. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismail 36 La ville de Sainte-Croix! située sur l'Océan, est une des dépendances de ce royaume, et il s’y fait un com- merce assez bon, tant des marchandises qu’on y porte de Marrakech, que de celles que le pays même produit, qui sont comme à celui-là du cuivre, de la cire et des amandes, et de plus de fort belles plumes d’autruche. Royaume de Tafilalet Le royaume de Tafilalet est encore assez petit, et n’a de ville remarquable que sa capitale, qui porte son même nom; elle n’est fermée que de murailles mais elle à un assez bon château. Ce royaume situé au-delà du Mont Atlas, et ancien- nement connu sous le nom de Numidie, ne comprend qu’un territoire sablonneux et ingrat envers les déserts de Sahara et la Province de Draa, ayant au septentrion le Royaume de Marrakech, dont il est séparé par le Mont Atlas : il est aussi stérile en blés et autres grains, qu’abondant en dattes; toutes celles qu’on transporte en Europe venant de là parce que le Roi du Maroc ne veut pas permettre qu’on en transporte d’ailleurs, c’est encore ce qui y sert de nourriture ordinaire au lieu de pain, avec la chair de chameau, la sécheresse du pays n’y permettant la subsistance d’aucuns autres bes- tiaux, si ce n’est d’une espèce de mouton sans cornes et sans laine, qu’on dit y être toujours gras et de fort bon goût, les chevaux y sont communs et beaux, et n’y sont nourris que de dattes. Son peu d’étendue n'empêche pas que le Roi ne le regarde, et ne le traite nr: le plus noble de tous ses 18 Agadir
  • 39. Etat présent de 1“Erpire de Maroc royaumes, parce qu'il passe parmi les Maures pour le premier qui a suivi leur prophète et son Coran: de sorte que ses habitants, qui ne sont pas en grand nombre, tiendraient à déshonneur pour eux et pour leurs lois, d’être gouvernés par d’autres que des descendants de ce Prophète, ce qui engage toujours le Roi à y tenir un de ses enfants pour gouverneur; celui qui y est à présent se nomme Moulay Bensar, et n’y est pas moins avide et absolu pour les exactions et garammes, que les caïds ne le sont ailleurs: cette prétendue noblesse ne len mettant point à couvert. Il croit de l’indigo dans ce pays, dont les peuples joignent le trafic à celui des dattes; ils fabriquent aussi certaines toiles rayées à la mauresque, qu’ils nomment haïks, et qui pour être fort en usage dans toute la Bar- barie, s’y débitent facilement, et avec profit; ce qui leur est d’un grand secours pour le paiement de leurs garammes. Les anciens rois de Tafilalet se disaient aussi sei- gneurs du Draa, grande province contigüe et dépen- dante de ce royaume, auquel son territoire aussi bien que son produit, ses habitants et leur nourriture ont beaucoup de rapport. Voilà ce qui se peut dire en peu de mots de plus juste et de plus précis, touchant l'étendue, la situation, et la qualité de ces royaumes, dont si l’on souhaite une plus ample information, il n’y a qu’à consulter Dap- per et Marmol” dans leurs Histoires et Géographies d'Afrique, pour y satisfaire parfaitement sa curiosité : pour moi qui n’ai en vue que de donner une idée de 19 Luys del Marmol y Carjaval (1520-1600) auteur en 1573 d’une Deseripaion general de Africa traduite en français en 1667. 37
  • 40. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaël 38 leur état et gouvernement présent, j'ai cru qu’il suffi- rait d’en tirer ce simple extrait, pour en faire ensuite l'application nécessaire à l’accomplissement de mes ordres et de mon sujet. Caractère des Africains En conséquence desquels après avoir remarqué que ces Africains en général sont peu braves et peu aguer- ris, adroits à cheval et à la lance, forts et infatigables, spirituels, mais point polis, jaloux, impudiques, men- teurs, superstitieux, hypocrites, fourbes, cruels, et sans foi, que les moins barbares sont ceux qui habitent la côte tingitane, et le Royaume de Fès, et que de tous les chrétiens, dont ils sont ennemis irréconciliables, par la prévention de leur loi, les Français sont ceux qu’ils estiment et craignent davantage. Après avoir encore observé que si ces pays étaient en toute autre main que celle de ces infidèles, qui par la rusticité qui leur est naturelle, et par l'ignorance qu’ils affectent, ne s’appliquant pour la plupart à d’autre étude que celle de leur Coran, les négligent et ne savent pas en connaître l’utilité, il y aurait de quoi en faire un état délicieux et florissant, tant par sa propre situation et par la beauté et pureté du climat, assez tempéré dans tout ce qui est en-deçà du Mont Atlas, que par la fé- condité et qualité de ses habitants sains et robustes, par la quantité, la douceur et la fraîcheur de ses eaux, par l'abondance et la bonté de ses pâturages, par celle de ses terres qui produisent presque d’elles-mêmes, et qui seraient d’une fertilité merveilleuse si l’on prenait soin de les cultiver; par le mélange utile et agréable de
  • 41. Etat présent de l'Empire de Maroc ses contrées, en bois, plaines, coteaux, montagnettes, et vallons, par le bon goût de ses légumes, de ses fruits, et de ses vins, et par la facilité du commerce et trans- port de toutes ses denrées. Après avoir enfin déploté le malheur de voir un si riche trésor, enfoui, pour ainsi dire, dans le centre de la paresse, de lignorance et de l’inhumanité;je commen- cerai par la description particulière des mœurs, inclina- tions et qualités du prince qui en a la possession. Il se nomme Moulay Ismaïl, et se qualifie de Grand Chérif, c’est-à-dire le premier et le plus puissant des successeurs de Mahomet, dont il prétend descendre, comme j'ai dit, par Ali et Fatima, gendre et fille de ce Prophète; il se tient plus fier et plus honoté de cette parenté, que de l’antiquité de la couronne dans sa famille; ce qui prouve assez que ses prédécesseurs, qui se fai- saient aussi appeler Miramolins”, qui signifie Empereur des Fidèles, se sont servis du prétexte de la religion pour leur établissement. Religion des Maures À propos de quoi jedirai avant de passer plus avant, que cette religion étant fondée sur le Coran, que les Maures et Arabes expliquent à leur manière, et selon l'interprétation extravagante du Docteur Melich?!, l’un des quatre chefs de la secte de Mahomet, ils fondent leur croyance sur certains points principaux, sans les- quels ils se persuadent qu’on ne peut être sauvé. 20 Transcription approximative d’Amir al-mu minin 21 L’imam Malik ibn Anas 39
  • 42. Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismaïl 40 Ils tiennent qu’il n’y a qu’un Dieu sans trinité de personnes, que Jésus-Christ était un grand prophète, né d’une vierge appelée Marie, dont l’incarnation a été telle que nous la croyons, et même annoncée par l'Archange Gabriel ambassadeur de Dieu; qu’il était le plus saint de tous les hommes, qu’il a fait plusieurs miracles, mais qu’il n’est point mort comme nous le croyons, ayant été enlevé dans le ciel, où il est en corps et en âme :lorsque Judas le voulut livrer aux Juifs un de ses disciples à qui Dieu fit prendre sa ressemblance fut crucifié en sa place, et que c’est celui-ci que nous adorons. Ils croient encore que ce même Jésus-Christ doit revenir vivre quarante ans sur le terre, pour réunir toutes les nations sous une même loi; qu’il sera mis dans le tombeau que Mahomet à fait faire au côté droit du sien;que ceux qui ont suivi la doctrine de Jésus-Christ jusqu’à la venue de Mahomet seront sauvés; mais que celle que nous suivons aujourd’hui, n’étant pas la même que celle qu’il nous a enseignée, et que la per- sécution des Juifs l’a empêché de perfectionner, ceux qui ne suivront pas la loi de ce dernier prophète, qui n’a été envoyé par Dieu que pour la perfectionner, et lequel ils nomment son Grand Favori et l’Interprète de ses volontés, souffriront les peines éternelles. Ils estiment pour Ecritures saintes, les Livres de Moïse, les Psaumes de David, les saints Evangiles, selon que Sergius les leur a interprétés, et le Coran. Ils croient le paradis, l'enfer, la résurrection et la pré- destination; ils font consister la récompense éternelle dans la vision béatifique de Dieu, de ses Anges, et de Mahomet, et dans la jouissance de soixante-dix vierges,
  • 43. Etat présent de l'Empire de Maroc avec lesquelles ils prendront sans cesse leur plaisir, sans qu’elles perdent leur virginité; qu’ils auront à souhait toutes sortes de mets délicieux, des rivières de lait, de miel, et d’eau de rose pour se laver; que les excréments du corps s’évaporeront en d’agréables sueurs, et qu’ils habiteront dans des maisons de délices, construites de perles et de pierres précieuses. Ils ont un carême, ou Ramadan, de trente jours, qu’ils observent si religieusement, que non seulement ils ne mangent ni boivent depuis la petite pointe du jour jusqu'aux premières étoiles de la nuit, mais ils ne prennent aucun tabac, et ne flairent aucune odeur; il faut dire aussi qu’ils s’en récompensent bien pendant les nuits qu’ils passent presque toutes en débauche. La veille de ce Ramadan, ils s’y préparent par des réjouissances accompagnées de décharges de fusils et de mousquets, et par des cris redoublés de Æ4/4h, qui ressemblent plutôt à des hurlements qu’à des cris de joie;ils sont tous au guet à qui verra le premier paraître la lune, et ils tirent des coups de mousquets vers elle, à mesure qu'ils l’aperçoivent, après quoi ils s’assemblent pour faire leurs prières, ayant leur Marabout à leur tête, s’agenouillant, se levant et se prosternant la face en terre pat reprises, et toujours tournés du côté de l'Orient. Pâques des maures Ils ont trois Pâques”? qu’ils sanctifient pendant sept jours, sans s’abstenir néanmoins de vendre et acheter, ainsi qu'ils font les vendredis qui sont leurs dimanches. 22 Les Aïds 41
  • 44. Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de M oulay Ismaïl 42 La première” se célèbre le premier jour de la lune qui suit leur Ramadan, et si elle échoit à un samedi, qui est le dimanche des Juifs, ceux-ci sont obligés de donner au Roi, en espèces ou en valeur, une poule et dix pous- sins d’or. Dans les premiers jours de cette Pâque, le roi a coutume de faire venir devant lui tous les prisonniers de la ville où il est, et de les absoudre ou de les faire mourir, selon la qualité de leurs crimes, et l’humeur où il se trouve; il en fit mourir vingt de cette manière le troisième jour de la Pâque qui était le quatrième de mon arrivée à Meknès. La seconde Pique”, qu’ils nomment la grande, et soixante-dix jours après celle du ramadan, leur manière de la célébrer consiste à sacrifier à Mahomet autant de moutons qu’il y a d’enfants mâles dans chaque famille, et ce en mémoire du sacrifice d'Abraham père d’Ismaïl, premier Père des Arabes Sarrazins, d’où ils croient que descend la mère de leur Prophète; le Roi en fait une cérémonie publique à une chapelle, ou selon leur ma- nière de parler, à un saint, qui est à un quart de lieue de Meknès, mais avec cette circonstance superstitieuse, que dès que ce mouton est égorgé (car ils observent fort de ne point faire mourir autrement tous les animaux, croyant qu'ils ne saigneraient pas d’une autre manière, ce qui rendrait leur chair impure et défendue) aussitôt, dis-je, que ce mouton est égorgé, un Maure le porte à toute bride, enveloppé dans un linge, à l’Alcazar ou Palais du Roi; que si en arrivant le mouton se trouve encore en vie, ils en tirent un bon augure et en font de grandes réjouissances, mais s’il meurt en chemin, chacun s’en retourne fort triste, et la fête se termine là. 23 Aïd el fitr 24 Aïd el Kébir
  • 45. Etat présent de l'Empire de Maroc La troisième Pâque” est toujours trois lunes et deux jours après la seconde, et se célèbre en l'honneur de Mahomet; et dans le premier jour les Maures mangent de la bouillie en mémoire de celle qu’il mangea. Ils allument dans leurs mosquées pendant la nuit qui la précède, quantités de lampes et de cierges, et tous leurs Ta/bes où prêtres y chantent ses louanges sans discontinuer jusqu’au jour. Ils solennisent le fête de Saint Jean par des feux qu'ils font dans leurs jardins, où ils brülent pendant la nuit quantité d’encens autour des arbres fruitiers, afin d’y attirer la bénédiction divine. Ils admettent la circoncision, mais ils n’en fixent ni l’âge ni le temps. Ils font tous le Sala ou la prière, qu’ils nomment aussi la Messe, quatre fois le jour et une fois la nuit à certaines heures réglées, et qui leur sont marquées par les cris, ou pour mieux l’exprimer, par les hurlements que font du haut de leurs gemmes ou mosquées ceux qui sont chargés de ce soin, car l'usage des cloches n’est ni connu ni admis dans leur religion. Ils se lavent très souvent la tête, les mains et les pieds, et ils prétendent se purifier par-là de tous leurs péchés. Toutes les fois qu’un homme a connu sa femme, ou commis quelque crime, il est obligé avant d’entrer dans la mosquée, de se laver généralement toutes les parties du corps, ou de prononcer ces paroles les plus sacrées de leur loi : La illa illenla Mabameth Dara zoulla, qui signifient qu’il n’y a qu’un Dieu, et que Mahomet est son envoyé, ce qu'ils prétendent avoir la même vertu que le bain et leur en tenir lieu. 25 Mouloud 43
  • 46. Un ambassadeur de Louis XIV7 à la cour de Moulay Ismaïl 44 Ils n’entrent jamais que pieds nus dans les mosquées, et ils observent la même chose dans les visites qu’ils se rendent les uns aux autres, laissant toujours leurs babouches ou souliers à la porte de la mosquée ou du logis où ils doivent entrer. Ils croient que tous les enfants qui meurent avant l’âge de quinze ans, soit chrétiens, juifs, ou idolîitres, vont au ciel, mais que s’ils passent cet Âge sans recon- naître Mahomet pour le favori de Dieu, ils sont perdus éternellement, à l'exception néanmoins des filles qui meurent vierges, lesquelles seront réservées à ce qu'ils prétendent, pour accomplir le nombre de soixante- dix, que chacun d’eux doit avoir à sa disposition dans le ciel, ne pouvant pas s’en trouver un assez grand nombre pour y suffire parmi celles de la loi mahométane. Is disent que le Coran ordonne qu’on le fasse re- cevoir par force de ceux qui ne s’y soumettront pas de leur gré. Ils ont si en horreur le nom chrétien, qui dans leur langue est synonyme de celui de chien, qu’ils en font injure la plus commune et la plus méprisante parmi eux : ils ne la prononcent jamais, qu’ils n’y ajoutent, que Dieu le détruise, ou que Dieu brûle ses père et mère : c’est par là où ils commencent à apprendre à parler à leurs enfants; et quand il apparaît quelques chrétiens dans Meknès, il est toujours exposé à une huée générale du peuple et des enfants, dont quelques- uns ne le suivent que pour avoir le plaisir de linjurier ou de lui jeter des pierres. Ils sont aussi persuadés que ceux qui meurent en combattant les chrétiens vont droit au Paradis;qu'il y a des récompenses infinies au mérite de les tuer; et que
  • 47. Etat présent de l'Empire de Maroc les chevaux qui meurent dans ces combats les accom- pagnent dans le ciel. Ils ont de plus une maxime aussi bizarre qu’elle leur est particulière, sur ce qui regarde la fidélité de leurs paroles:car le mensonge et la liberté de se dédire quand bon leur semble, sont si bien établis parmi eux, qu’ils s’en font bien moins un scrupule qu’une vertu. Jusque-là même qu’un Talbe, auquel un jour j’en témoi- gnais mon étonnement, ne feignit pas de me dire qu’ils en faisaient une des distinctions principales de leur religion avec la nôtre, et qu’ils étaient persuadés qu’ils seraient bientôt, comme nous, les esclaves de la fausse croyance et de l’idolâtrie, s’ils l’étaient aussi, comme nous, de leurs paroles et de leurs engagements. Ils admettent la pluralité des femmes, et peuvent en épouser jusqu’à quatre, auxquelles ils donnent dot, mais ils tiennent autant de concubines qu’il leur plaît, et ils les répudient toutes quand bon leur semble, les premières en payant leur dot, et les autres qui sont leurs esclaves en les chassant ou les vendant, et en gardant leurs enfants. Ils tiennent pour saints, même dès leur vivant, tous les innocents et pauvres d’esprit, aussi bien que ceux qui savent faire quelque sorcellerie, qu’ils disent avoit l'esprit de leur Prophète, ils font bâtir sur leurs tom- beaux, après leur mort, des chapelles, où ils vont en pèlerinage, où ils se réfugient, et dont ils font des asiles inviolables pour l'impunité de leurs crimes et contre la colère de leurs rois. Ils ont quantité d’autres superstitions aussi extraor- dinaires et qu’on peut même qualifier de très extrava- gantes, comme de ne vouloir pas recevoir en témoignage AS
  • 48. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl 46 ceux d’entre eux qu’ils auraient vu faire leur eau debout, leur coutume étant de la faire accroupis comme les femmes : mais parce que le détail en deviendrait trop long et peut-être hors du sujet je ne m’y étendrai pas davantage ici. Je dirai seulement que leurs femmes n’entrent point dans les mosquées, parce qu’ils les croient incapables d’être admises en Paradis, d’autant, disent-ils, qu’elles n'ont été créées que pour servir à la génération : mais elles font leurs prières dans leurs maisons, et vont les vendredis dans les cimetières prier et pleurer sur les tombeaux de leurs parents; elles y sont vêtues de bleu, qui est la marque du deuil dans leur pays, comme chez nous le noir. Enterrement des Maures À l’occasion de quoi je crois devoir observer que quand quelqu'un d’entre eux vient à mourir, les parents et amis en font toujours paraître beaucoup de douleur, jusque-là même que quand c’est quelque personne de qualité et de distinction, ils louent des pleureuses qui poussent des cris et des gémissements sans nombre, se battant la tête et s’égratignant le visage. Avant que de mettre le corps en terre, on le lave et enveloppe dans un drap neuf, on le fait porter dans une bière suivie d’un grand nombre de personnes qui marchent fort vite, et invoquent Dieu et Mahomet à haute voix. On l’enterre hors la ville dans une fosse étroite par en haut et large par en bas, afin qu’elle soit plus aisée à recouvrir, et que le corps y étant, disent-ils, plus à l'aise, soit plus prêt au jour du jugement et ne
  • 49. Etat présent de l'Empire de Maroc perde pas le temps de chercher ses os; raisons dont ils se servent pour ne pas enterrer deux personnes dans un même tombeau. On porte aussi des viandes sur ces fosses et on enterre de l'argent et des joyaux avec les morts, afin qu’ils puissent s’en servir pour avoir dans autre monde les mêmes commodités qu’en celui-ci. L'entrée des mosquées est encore défendue si ex- pressément aux Juifs et aux Chrétiens, qu’il n’y aurait point de milieu entre l'alternative de renier ou d’être brûlés pour ceux qu’on y trouverait; il en serait de même si on les voyait converser ou avoir quelque entre- tien particulier avec des mahométans. Il y a aussi cette circonstance pour les Juifs à l’égard des mosquées, qu’en quelque temps et saison que ce soit, ilne leur est pas permis de passer devant sans Ôter leurs souliers, et ils sont même obligés d’aller pieds nus dans les villes royales, comme Fès, Marrakech, Meknès, etc. à peine de la bastonnade ou de la prison, d’où ils ne sortent qu’en payant une grosse amende. J'observerai encore avant que de finir ce chapitre de la religion des Maures, que le Coran leur défend de jouer à aucun jeu de hasard pour de l'argent, et que le bâton, l'amende, ou la prison est la peine ordinaire des contrevenants;ainsi ils ne jouent qu’aux échecs, aux dames, et à une espèce de trictrac, tout à fait différent des nôtres, mais ils ne font pas de tout cela un grand usage, et je ne me suis point aperçu parmi ceux que jai pratiqué, qu’ils soient fort adonnés au jeu; ils ne le sont guère plus à la lecture, et l’on peut dire tout jus- tement, que le dormir, le manger, le boire, les femmes, les chevaux, et la prière font le partage et presque tout emploi de leur temps, dont ils abandonnent ce qui en 47
  • 50. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismail 48 reste à une grande et inutile oisiveté; aussi les voit-on souvent dans les rues assis sur leurs talons le long des murs, et tenant de grands chapelets dont les grains défi- lent dans leurs doigts avec une vitesse égale à la brièveté de la prière qu’ils font dessus, et qui ne consiste qu’en la prononciation des différents attributs qu’ils donnent à Dieu : comme de dire sur chaque grain séparément Dieu est grand, Dieu est bon, Dieu est infini, Dieu est miséricordieux, etc. Je ne dois pas non plus omettre la remarque de leur vénération particulière pour ceux qui ont fait le voyage de La Mecque, ils les nommes Hadjis ou saints, et ils en outrent le culte à un tel point, qu’ils tiennent même pour saint comme eux les chevaux qui y ont été. Ils les font ensevelir et enterrer quand ils meurent comme ils feraient de leurs principaux parents ou amis, et ils se font un plaisir et un exercice singulier de les visiter souvent, et de les voir manger. Le Roi du Maroc en avait un de cette nature. La première fois que je fus admis en sa présence, ille faisait marcher immédiatement devant lui ;et outre la distinction que la richesse de sa selle et de son harnoïs en faisait paraître, sa queue était portée par un esclave chrétien qui tenait en ses mains un pot et un linge pour recevoir les excréments et pour l’essuyer. On me dit que le Roi allait de fois à autre baiser la queue et les pieds de cet animal. Tous ces chevaux ainsi sanctifiés sont dispensés de tout service, et si leurs maîtres n’ont pas les moyens de les nourrir, ils leurs font assigner des pensions pour leurs subsistance sur les mosquées du lieu où ils sont. On les remarque par les chapelets ou reliques dont
  • 51. Etat présent de l'Empire de Maroc leur cou est toujours entouré, et qui ne sont autre chose que des écrits enveloppés d’étoffe d’or ou de soie, contenant le nom de leur Prophète, ou de quelques prétendus saints de leur loi. Ils servent aussi d’asile aux criminels comme les tombeaux et les chapelles dont j'ai déjà parlé. Ces lieux qui sont dispersés en différents endroits sont destinés selon ce qu’ils contiennent pour la demeure d’un, ou de plusieurs Marabouts ou Talbes, qui sont les prêtres des Maures, lesquels peuvent se marier, et sont parmi eux, et surtout parmi les Arabes en grande vénération, ils y sont entretenus selon les facultés ou la dévotion de ceux qui les fondent, et ils y vivent oisive- ment et grassement aux dépens de ces misérables, qui tiennent à bonheur de pouvoir leur donner pendant leur vie, ou leur laisser après leur mort; Il me semble qu’on peut assez justement comparer ces lieux-là et leurs fondations à nos abbayes, prieurés et chapelles. Portrait du Roi du Maroc Mais pour reprendre l’idée du portrait que j’ai com- mencé du Roi du Maroc, et pour le continuer, je dirai qu’il est âgé de quarante-neuf à cinquante ans, basané, maigre et d’un poil noir, qui commence à grisonner, que sa taille est médiocre, son visage ovale, ses joues enfoncées, aussi bien ses yeux qui sont noirs et pleins de feu, que le nez en est petit et aquilin, le menton pointu, les lèvres grosses, et la bouche assez bien pro- portionnée; qu'il est avare et cruel à l'excès, qu’il n’y a presque rien dont l'intérêt et l’avidité d’argent ne le rende capable, et qu’il aime si fort à répandre le sang 49
  • 52. Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismaïl 50 pat lui-même, que l’opinion est, que depuis vingt ans qu’il règne, il faut qu’il ait fait mourir de sa propre main plus de vingt mille personnes. Ce que je pourrais d’autant mieux présumer ou confirmer, qu’outre que j'en ai compté jusqu’à quarante- sept qu’il a tués pendant vingt-et-un jours que j’ai pas- sés dans sa cour, il n’eut pas même honte de paraître devant moi dans la dernière audience qu’il me donna, tout à cheval à la porte de ses écuries, et ayant encore ses habits et son bras droit tous teints du sang de deux de ses principaux Noirs dont il venait de faire l’exécu- tion à coups de couteau. Toutes les nations sont surprises de la soumission et patience de ces peuples à souffrir une cruauté si ex- cessive; mais il faut qu’on sache qu’outre impuissance générale et particulière à s’y opposer, ils sont si forte- ment prévenus que la mort qui leur est ainsi donnée par les mains d’un Roi Chérif et descendant de leur Prophète, les mène droit en paradis, que la plus grande partie d’entre eux tient à bonheur, ce que le nombre plus petit et mieux sensé déteste et ne peut empêcher; aussi ceux de ce nombre s’abstiennent-ils de s’en approcher le plus qu’ils peuvent, et s’estiment autant heureux de ne le point voir, que les autres se le croient d’en être tués. On dit cependant que ce prince est assez traitable hors de ses emportements, et dans ses entretiens fami- lers ;mais il est sujet à des caprices violents, et d’autant plus dangereux, qu’ils sont toujours voilés du manteau de la religion, dont il affecte de paraître exact obser- vateur, et il est si persuadé qu’on le croit tel, qu’il se permet toutes choses sur ces fondements, et sur cette prévention.
  • 53. Eat présent de l'Empire de Maroc Il ne s’attache qu’à se faire craindre de ses sujets, et se soucie très peu de s’en faire aimer; aussi ne l’approchent- ils tous qu’en tremblant, et par devoir, mais jamais par inclination, et d’autant plus qu’on ne se présente point devant lui sans ordre, ou permission, ni sans présent. Il a beaucoup et de valeur, il est actif, infatigable, et fort adroit à tous les jeux de courses de lances et de cheval, en quoi je remarquerai en passant que tous les Maures sont d’une adresse merveilleuse, et qui semble n'avoir point dégénéré de celle qu’on nous vante si fort des anciens Grenadins dans leurs tournois. Il ne boit point de vin, parce que sa religion le lui défend, mais quand il prend de l’opium, ou d’un certain hypocras qu’il compose lui-même avec de l’eau de vie, clous de girofle, anis, cannelle et muscade, ce qui lui arrive assez souvent, malheur à qui se trouve exposé à lune de ses fumées. On ne craint pas moins sa rencontre quand il porte un habit jaune, c’est une remarque faite et éprouvée depuis longtemps, que cette couleur est en lui, un présage dangereux; et presque toujours funeste à quelques- uns qui l’approchent quand il en est revêtu, il avait une veste de cette couleur quand il me donna l’audience de congé en la manière ensanglantée que j’ai remarquée. Il est fort adonné aux femmes, et en tient près de quatre cents dans son alcazar pour son usage, car outre cela ily en a encore environ cinq cents pour les servir : il en a cent dix-huit enfants mâles et vivants sans les filles qu’on ne compte point, et dont le nombre se monte bien à deux cents. Il ne prend de ses concubines, qu’il change souvent, que les garçons et illeur laisse les filles sans leur donner même de quoi les nourrir. 51
  • 54. Un ambassadeur de Louis XIV à la cour de Moulay Ismaïl 52 De toutes ces femmes, iln’en a épousé que quatre, sa loi n’en permettant point davantage, les autres sont les concubines, et les esclaves, il est entièrement gouverné par une de ses femmes qui est noire, et n’a aucun trait de beauté; elle est mère de celui de ses enfants qu’il semble se destiner pour successeur, et qu’il fait appeler Moulay Zidane, il affecte de paraître modeste et hum- ble, et il rend toujours Dieu l’auteur du bien et du mal qu’il fait, cependant il est très vain, et donne autant qu’il peut dans lostentation. Il est absolu dans ses états, et il se compare sou- vent à l'Empereur de France, qu’il dit être le seul qui sache régner comme lui, et faire une loi de sa volonté; il cite souvent une lettre qu’il prétend que son Prophète a écrite à Héraclius”, et il ajoute que toutes les pros- pérités des rois de France ne proviennent que du soin religieux qu’ils ont eu de conserver cette loi; 1l traite tous les autres princes chrétiens de dépendant et il n’en parle jamais qu'avec mépris. Ce fut dans ce sens que voulant élever les grands éloges qu’il fit du Roi dans la première audience qu'il me donna à la porte de son alcazar ou palais, étant vêtu très médiocrement, ayant le visage caché d’un mouchoir à tabac assez sale, les bras et les jambes nus, assis sans natte ni tapis sur le seuil de deux poteaux de bois, qui servaient d’étais à ce portique, et ayant autour de lui quelques caïds assis à terre, et les pieds nus, ce fut, dis-je, apparemment dans ce sens, que voulant m’ex- pliquer la juste distinction qu’il fait du Roi avec les autres princes de l’Europe, il me dit que l'Empereur 26 Empereur de Byzance de 610 à 641.
  • 55. Eat présent de l'Empire de Maroc d'Allemagne n’était que le compagnon de ses élec- teurs : que le roi d'Espagne était moins le maître que ses ministres : que le roi d'Angleterre était dépendant et comme l’esclave de son parlement, et qu’il ne regardait l'autorité de tous les autres que comme plus apparente que véritable. Cependant malgré cette possession dont il se flatte d’une domination absolue et personnelle, il n’y a guère de prince dont l'esprit soit plus facile à prévenir et sé- duire que le sien;aussi ceux des caïds qui l’approchent le plus, savent-ils si bien en profiter, qu’ils le tournent et conduisent comme il leur plait, et où ils veulent, surtout quand le prétexte de religion, d’intérêt, ou de vanité leur en peut servir de guide. Cette vanité n’est jamais mieux remplie que lorsque quelque prince chrétien lui envoie des ambassadeurs, il est pour lors au comble de sa joie, et il baise toujours la terre à leur première vue, et même en leur présence, pour marque des grâces qu’il en rend à Dieu. Il en usa ainsi à mon égard dès qu’il m’eut aperçu sur un pan de muraille assez haute, où l’on m'avait posté, sans sièges, sans couvert et sans tapis, pour y être spectateur par son ordre d’une revue de dix mille chevaux et de deux mille hommes de pied qu’il faisait exprès pour moi près les dehors de la ville, et qu’après quelques mouvements sans ordres et toujours accom- pagnés de cris, il fit défiler le long de ce mur, en me faisant chacun la décharge de son arme au visage, pour me rendre, à ce qu’ils disaient, plus d'honneur, il est vrai que c’est là leur manière de s’honorer entre eux, et qu'ils en usent ainsi à l’égard de leurs princes et de leurs chefs. 53
  • 56. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaïl Le Roi du Maroc ne distingue les ambassadeurs que selon leurs qualités et le rang qu’ils tiennent auprès de leurs maîtres, mais surtout quand ils lui portent de riches présents. Ses prédécesseurs et lui ont si bien établi l'usage, ou pour mieux dire l’obligation de ces présents, qu’ils en ont en fait comme une loi pour tous ceux, tant leurs sujets qu’étrangers, qui vont à leur Cours, et auxquels, comme je lai déjà observé, il n’est pas permis d’y pa- raître sans rien apporter; c’est même un article essentiel de leur cérémonial à l'égard des ambassadeurs, de commencer toujours la réception par ces questions, adoucies néanmoins par quelques préliminaires d’ex- cuse et d’honnêteté : qui êtes-vous ? D’où venez-vous? Que demandez-vous? Qu’apportez-vous? Et c’est sur ce qu’ils répondent à la dernière de ces questions, que se règle la manière de leur accueil et de leurs traitements. C’est aussi dans la vue et le désir de ces présents que ce Prince fait tout son possible pour s’attirer des am- bassadeurs, ou pouf engager à en recevoir de sa part, et quand il les demande, ou les promet d’une élévation distinguée, il faut croire que c’est bien moins par le motif de l’honneur qu’il veut faire ou recevoir, que par celui des présents qu’il compte devoir être propor- tionnés à leur qualité. Cependant il s’imagine que sa grandeur ne paraît et ne se soutient jamais mieux que par leur abaissement, c’est sur cette maxime qu’il n’y a point de chicanes et de subtilités dont ses ministres ne se servent pour y réussir, et qu'ils ont aussi tenté avec toutes sortes d’adresse et d’opiniâtreté de me soumettre à la règle qu’ils croient en avoir établi par les violences qu’ils ont
  • 57. Eat présent de l'Empire de Maroc faites aux derniers ambassadeurs que l'Angleterre et l'Espagne y ont envoyés. Mais pour ne pas exposer le Roi dans l’engagement de s’en ressentir, comme a fait si justement le roi d'Angleterre, qui n’admit l’ambas- sadeur du Maroc à son audience que nus pieds et sans turban, pour représailles ce que ce prince avait forcé le sien à se déchausser pour y être reçu; je n’ai rien omis dans cette occasion pour leur faire connaître la différence et la supériorité de Sa Majesté sur tous les autres, et je me suis opposé à cette entreprise avec tant de raisons, de fermeté et de patience que j’ai eu la satisfaction de voir par le succès que Sa Majesté même a honoré de son approbation, que jeleur avais inspirée la juste idée qu’ils doivent concevoir, de tout ce qui a rapport au mérite, à la puissance, et à la gloire de Sa Majesté. On dit que ce Prince a fait un serment solennel de ne jamais donner la liberté aux esclaves chrétiens, qu’on ne lui rende en échange au moins autant de ses sujets, et les derniers traités que les Espagnols en ont fait avec lui de dix, et plus nouvellement de quatre Maures contre un Espagnol, l'ont si fort enflé de gloire et de présomption sur ce point-là qu’ils l’y ont rendu presque intraitable à toutes les autres nations. Meknès Il fait son séjour ordinaire à Meknès, parce que c’est le lieu de sa naissance, c’estune petite ville située dans les terres à quarante lieues de Salé, à soixante de Tétouan, et à douze de Fès; elle est fort peuplée et contient plus de soixante mille habitants, mais elle est si mal bâtie et si 55
  • 58. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismaël 56 désagréable par elle-même, qu’elle ne passerait que pour un misérable bourg sans ce grand nombre de peuple, et sans la présence de son Prince, et l’ornement de son alcazar, dont l'étendue n’est pas moins grande que la sienne propre, et dont la structure est au-dessus de ce que tous les autres édifices que j'avais vus en ce pays pouvait en faire imaginer. Comme ce palais est plus élevé que la ville, entouré de plusieurs murailles, fort hautes, fort épaisses, et fort blanches, et composé d’un grand nombre de pavillons, outre les minarets assez hauts de ses deux mosquées, c’est ce qui s'offre d’abord à la vue en y arrivant, et ce qui en donne une grande idée, mais elle ne se soutient pas à ses approches, car le tout en est construit avec si peu d’art et de régularité, qu'il serait difficile aux plus habiles architectes d’en démêler l’économie et le des- sein, et je suis même persuadé que ce que j'en ai vu pat les dehors, car il ne m’a pas été permis d’entrer dedans, que le Roi lui-même qui en est l’auteur et le conducteur ne le saurait dire, et qu’il n’a d’autre vue dans ce qu’il y détruit et rebâtit continuellement, que d’abaisser sous le joug de la servitude et du travail le grand nombre de ses sujets qu’il y emploie. Des esclaves chrétiens Il en fait aussi l'occupation et le supplice ordinaire des esclaves chrétiens qu’il y fait travailler en tous temps et sans relâche; on les y rend manœuvres et maçons à force de coups de bâtons et de misère, à laquelle ils succombent d’autant plus facilement, que leur nourriture journalière ne consiste qu’en une très
  • 59. Efat présent de l'Empire de Maroc petite quantité de pain d’orge et fort noir, avec de l’eau, et qu'ils ne gîtent que dans des « wafamorres », où lieux souterrains, dans lesquels ils n’ont pour lit que la terre, et où ils ne respirent qu’un air fort mauvais, et mêlé de beaucoup de puanteur. Il se trouve pourtant parmi ce genre d’esclavage si rigoureux, et presque insupportable, une espèce d’hu- manité qu’on ne semblerait pas devoir attendre de la cruauté de ce prince, qui est que les femmes et les gens mariés ne travaillent point, les premières à cause de leur faiblesse, et les autres étant, à ce qu’il dit, assez chargés du poids d’une femme et de l'emploi qu’ils en doivent faire, pour qu’on ne les accable pas sous celui d’un autre travail :mais cette espèce de compassion est bien défigurée par son avarice, qui le porte à ne rien leur donner pour se nourrir. Renégats Ceux qui se font renégats sont aussi exempts de travail, mais ils n’en sont pas moins esclaves, le Roi en fait les gardes de ses portes, ou les envoie dans les pro- vinces à ses caïds qui leur donnent des emplois pro- portionnés à leur force ou à leur capacité. Il les mène avec lui à la guerre, et les fait toujours marcher à la tête de ses troupes, et s’ils témoignent de la moindre envie de reculer illes met en pièces. Il n’y à de bâtiment régulier dans l’alcazar qui ren- ferme environ quarante-cinq pavillons avec chacun sa fontaine dans sa cour, et qui a pour principale entrée une très belle porte avec des colonnes qui la font appeler la porte de marbre, que deux mosquées et un Méchouar 5
  • 60. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismail 58 ou grande cout, ornée au-dedans de colonnes et bas- reliefs de marbre sans figures humaines ni d'animaux, mais de chiffres et lettres arabesques où sont décrites les principales actions de ce Roi. Rouës ou Ecuries du Roi du Maroc Les écuries qu’ils appellent rosés, y sont encore fort belles, elles forment deux longues lignes à droite et à gauche, toutes voûtées à grandes arcades, ayant par espace dans le milieu d’une espèce de chemin pavé qui les sépare de petits pavillons fort propres, dans chacun desquels il y a une fontaine et un abreuvoir pour les chevaux, qui sont en ce pays-là, comme tout le monde sait, d’une extrême beauté, mais à l'égard desquels, les Maures ont aussi bien que pour les blés cette maxime erronée dont ils font un point de religion, de n’en laisser sortir aucun, sous quelque prétexte que ce soit, pour les chrétiens;ils ont encore ce même entêtement pour les livres, qui y sont d’autant plus curieux et rares qu’il n’y a presque plus d'imprimerie dans leur pays. Jardins de Meknès Les jardins du Roi sont plantés dans le milieu d’un grand bois d’oliviers, et sont assez beaux : on y voit en tous temps des fleurs, des légumes, des fruits, et des arbres de toutes espèces, mais comme ils sont un peu éloignés de lalcazar, cette distance qui en ôte la com- modité, en diminue aussi beaucoup l’agrément: les allées en sont fort étroites : on n’y voit ni eaux jaillis- santes, ni bassins, mais il y passe quelques ruisseaux qui
  • 61. Efat présent de l'Empire de Maroc servent à les arroser. C’est un esclave espagnol, nommé Antonio Lopez, qui en a le soin, cet homme paraît avoir quelque naissance, et le Roi le traite assez bien, mais le service utile et agréable qu’il en retire, est cause qu’il ne lui permet ni promet de le laisser jamais retourner en son pays. Il y a quelques palais assez beaux aux environs de celui du Roi, que les caïds y font bâtir pour lui plaire, mais sur la jouissance desquels ils n’oseraient s’assurer, persuadés qu’ils sont par l'épreuve que quelques-uns d’entre eux en ont déjà faite, qu’ils ne demeureront qu’autant de temps qu’il ne prendra point envie à ce Prince de les leur ôter. Hôpital de Meknès Il y a dans Meknès un hôpital que le Roi d'Espagne y a établi depuis peu, pour la consolation et le soula- gement des esclaves, et qui leur est aussi d’un grand secours;il peut contenir jusqu’à cent malades, et a été bâti aux dépens de sa Majesté Catholique, qui y entre- tient quatre religieux récollets, et un médecin, pour la subsistance desquels il a assigné un revenu annuel de deux mille écus; il n’est souffert en ce lieu, et les reli- gieux qui en dépendent aussi, ne le sont encore à Fès, à Salé, et à Tétouan, que moyennant quelque tribut. Des écoles Il y a dans cette ville comme dans toutes les autres d'Afrique, plusieurs écoles, où l’on montre aux enfants à lire, à écrire, et à déchiffrer, et rien de plus. Quand on 59
  • 62. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismail 60 les châtie, on se sert d’une verge de bois fort plate, avec laquelle on leur donne des coups sous la plante des pieds. Toute leur étude ne consiste qu’à lire le Coran d’un bout à l’autre; et quand un écolier à parcouru son livre, on le pare, et ses compagnons le mènent à cheval et comme en triomphe par la ville, et publient ses louanges. Juifs de l'Afrique Les Juifs y ont aussi un quartier assez grand, mais qui n’est pas plus propre que dans les autres villes. C’est dans celui-là que le chef de tous ceux du Royaume qui y sont bien au nombre de seize mille, fait sa principale demeure, c’est lui qui a soin d’imposer et d’exiger toutes les garammes ordinaires et extraordinaires qu’on leur fait payer : celui qui l’est à présent se nomme Maymo- ran, il est borgne et ne paraît pas fort spirituel, mais le Roi le considère à cause des fréquents dons qu'il lui fait, et de lutilité qu’il en retire en toutes occasions; c'est aussi par lui et par ses soins que ce prince entre- tient un commerce pécunieux et politique avec toutes les nations, tant ennemis qu’amis;lui et sa famille sont très bien logés, mais tout le reste l’est fort mal. Les Juifs, quoiqu’en si grand nombre dans cet empire, et d’un secours avantageux, n’y sont pas néanmoins plus considérés qu'ailleurs, on les y choisit toujours pour les plus vils emplois; ils n’ont que la nourriture pour tout salaire des travaux qu’on leur impose sou- vent, et ils sont si sujets aux taxes, aux injures, et aux bastonnades, qu’on peut les regarder comme le jouet perpétuel de lavarice et injustice des Grands, et de l’aversion de tous.
  • 63. Etat présent de l'Empire de Maroc Il ne leur est pas permis de se défendre contre le moindre enfant qui les maltraite de paroles, ou de coups de pierres, et ils sont distingués des maures, dont les bonnets sont toujours rouges, par les burnous et bonnets noirs qu’ils sont obligés de porter. Ils ont partout des quartiers séparés, et dont l’entrée est gardée par des gens établis par le Roi, afin qu'ils puissent y vaquer tranquillement à leur commerce et à leur religion, mais ils n’osent aller seuls en campagne sans y être escortés de quelques Maures, parce que les Arabes et les Barbares les y égorgeraient sans rémission. Cependant avec ces apparences extérieures de mi- sère et de mépris, ils ne laissent pas d’être à leur aise au-dedans, et d’y avoir plus leurs commodités que les Maures mêmes; la raison en est qu’ils travaillent et trafiquent ce que les Maures ne font pas; aussi les femmes des Juifs sont-elles pour la plupart assez bien vêtues, et comme elles ne se cachent pas le visage à, la manière des Mauresques, elles prennent plus de soin qu’elles de leurs coiffures et ajustements. Pour moi qui n’ai vu que des Juives, j’avouerai que jy ai trouvé dans quelques-unes tant de bonne mine et de beauté, que jene doute pas qu’on ne soit bien fondé à se former une idée semblable de celles (je veux dire des Africaines) que la jalousie des hommes et l’usage du pays obligent bien plus à se cacher que leur propre inclination; car il est constant que la contrainte dans laquelle les Maures tiennent leurs femmes sert plutôt à réveiller en elles le désir du libertinage, qu’à l’étouffer; et qu'étant plus spirituelles et plus vives que les Euro- péennes, elles ne leur cèdent en rien sur l’adresse et l’industrie nécessaires pour leur satisfaction. 61
  • 64. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismail 62 Elles aiment particulièrement les Chrétiens, à cause qu’ils ne sont pas circoncis, et il n’y a point de strata- gème dont quelques-unes ne se servent pour gagner les esclaves qui sont chez elles, et qui ont la liberté d’entrer dans leur logis. Mariages des Maures Mais il s’observe dans leurs mariages une certaine cérémonie, qui ne contribue pas peu à les retenir jusqu’en ce temps-là, à moins qu’elles n’y prennent bien leurs précautions; c’est que quand les parents de part et d’autre sont convenus, on fait porter l'épouse publiquement, et toute voilée, au son des tambours et des hautbois au logis de l’époux, auquel il n’est pas permis de lui découvrir le visage, ni de la voir en aucune partie du corps qu’il ne l’ait reconnue pucelle; ce qui étant fait, il lui ôte son bandeau, et défait son caleçon teint du combat, qu’il jette dans la cour, et que les fem- mes qui l’ont conduite ramassent, en chantant et en dansant en signe de joie de ce qu’elle est acceptée pour épouse; que s’il ne la trouve pas vierge, il lui fait dé- pouiller les habits nuptiaux, la fait sortir de sa chambre sans la voir, et la renvoie chez son père, auquel il est permis par la loi de l’étrangler, s’il veut en faire justice. Quand les Maures se marient ils font venir un Cadi et un notaire, le dernier écrit dans une cédule la dot que le mari donne à sa femme, car les pères ne donnent rien à leurs filles, et lorsque le mari répudie la femme, il est obligé de lui donner la dot promise, et ne peut se re- marier de quatre mois après;mais quand c’est la femme qui se retire, elle n’a pas droit de lui rien demander.
  • 65. Etat présent de l'Empire de Maroc Comme les femmes les plus grasses et les plus gros- ses sont les plus aimées, elles ne mettent jamais d’ha- bits qui les serrent, afin de devenir telles, ce qui leur rend aussi les mamelles abattues et pendantes jusqu’à l'excès; elles portent toutes des écharpes dont elles se ceignent le ventre, elles se tiennent le corps fort pro- pre, quoiqu’elles aient toujours les jambes nues; elles mettent beaucoup de vermillon aux joues et aux lèvres, elles se noircissent les sourcils avec de la fumée de noix de galle, elles se jaunissent le dessous des pieds et le dedans des mains, elles se rougissent les ongles, elles se parent la gorge, les oreilles, les bras et jambes de colliers, de bracelets, de pendants, et de quantité de babioles, et ne se croient pas belles, quand il leur manque quelqu’un de ces ornements empruntés. Lorsqu’elles sortent par la ville elles se couvrent d’un grand voile blanc fort délié, et le bandent au mi- lieu du visage, afin de n’être point vues, n’ayant que les yeux découverts pour voir à se conduire; elles ne par- lent jamais aux hommes dans leur chemin, pas même à leurs maris, qui ne sauraient les reconnaître d’autant qu’elles sont couvertes toutes de la même manière; elles Ôtent tout cela quand elles entrent dans la chambre de leurs amies, et ont grand soin de laisser leurs souliers à la porte, afin que le maître de la maison n’y entre pas, ce que le mari de celle qui rend visite prendrait en très mauvaise part. Quoiqu’elles n’aient qu’un mari à plusieurs, et que la plupart vivent ensemble, elles ne sont point jalouses les unes des autres. Aucun homme ne les voit jamais dans leurs maisons, et quand le mari veut régaler quelques amis, ce qui est 63
  • 66. Un ambassadeur de Louis XIV” à la cour de Moulay Ismail 64 assez rare entre eux, les femmes montent sur le toit fait en terrasse, ou dans quelque chambre haute, et y demeu- rent jusqu’à ce qu’ils soient sortis, ce qui fait aussi que les repas sont courts, ne s’arrêtant point à discourir ou à se divertir entre eux comme on fait en Europe. Repas des Africains Je dirai à propos de ces repas, que la manière de manger parmi les Maures, est de s’assoir en rond, maf- tres et valets à terre et sans souliers, autour d’une peau de cuir toujours fort grasse, qui leur sert de table et de nappe, sur laquelle le mets le plus extraordinaire qu’on leur sert dans une espèce de terrine large par le haut, et fort étroite en bas, est du couscous, qui est une pâte faite de fine fleur de farine, et semblable à de lanis un peu couvert, laquelle on à fait cuire avec quelques pou- les et des pigeonneaux, ou du mouton; ils mangent ce couscous à poignées, et en font une manière de petites pelotes, qu'ils lancent dans leur bouche, et rejettent dans la terrine ce qui en reste sur leur barbe ou dans leur main, et quand ils prennent la viande, et qu’ils veulent la rompre, comme ils ne mettent jamais que la main droite dans le plat, chacun tire son morceau, comme font les chiens acharnés à une carcasse, sans dire une seule parole pendant tout le repas. Ceux qui font un peu meilleur chère, sont servis après ce mets, qu’une salade accompagne presque toujours, de quelque bassin de cuivre ou écuelle de terre, (car eux ni le Roi ne se servent point de vaisselle d'argent, ils prétendent que leur loi le défend), remplies de viandes fricassées avec du miel et des amandes,
  • 67. Etat présent de l'Empire de Maroc ou rôties sur la flamme, ou frites dans de l’huile, et de quelques confitures à leur mode, sans aucun dessert, et après que leur repas est achevé, ils s’essuient les doigts sur le bord du plat, ou avec la langue; ils ne boivent que de l’eau, et tous dans un même vase, parce que le Coran leur défend le vin, mais non pas l’eau de vie, dont ils s’enivrent très souvent; ils sont aussi grands amateurs de nos liqueurs de Provence, comme eau de cette, de cannelle, ratafa, rossolis, etc. Mais l’usage du sorbet et du café n’est point établi parmi eux, comme dans le levant. L’écurie est le lieu qu’ils choisissent plus souvent et plus volontiers pour manger, et ils n’ont d’autre plaisir après leur repas que de visiter leurs femmes ou leurs chevaux. Je crois qu’après avoir parlé de la manière de man- ger des Maures, je puis bien dire aussi un mot de leur habillement. 65