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20 u Libération Lundi 15 Juin 2020
A
udébutdesannées1890,ap-
paraîtunnouvelobjetquiva
bientôt diviser la société: la
bicyclette.Selonlesconservateurs,
l’enginestdangereuxpourlesfem-
mes,caril«inciteraitàlamasturba-
tionetcompromettraitl’équilibrefa-
milial». Pour le faire accepter, les
magazines de l’époque vont donc
entreprendretoutunlongtravailde
normalisation du produit, «multi-
pliant les belles histoires» dans les-
quelles la bicyclette permet à des
jeunes gens de bonne famille de se
rencontrer et de fonder une foyer.
En se penchant sur cette étude de
cas, Anthony Galluzzo, maître de
conférencesàl’universitédeSaint-
Etienne,spécialisédanslescultures
de consommation et leur histoire,
metàjourl’importancedesmagazi-
nes et des images qui agrémentent
leurspagespourcréerunenouvelle
mentalité: celle de l’individu con-
sommateur. Car c’est, au fond, une
autre question à laquelle tente de
répondre la Fabrique du consom-
mateur. Une histoire de la société
marchande: comment les paysans
autarciques et autosuffisants, qui
cultivaient leur nourriture, cou-
saient leurs vêtements et construi-
saient leur maison, sont-ils deve-
nus, en à peine un siècle, des
individusquis’affirmentavanttout
parlaconsommationdebiensqu’ils
ne seraient plus capables de pro-
duire et, surtout, dont ils ne con-
naissaient ni l’existence ni l’utilité
quelques décennies auparavant?
Une réponse se dessine au fil des
pages de cet essai finement docu-
menté et captivant, qui réalise une
socio-histoire de la société mar-
chande,avançanten «interrogeant
l’institutionnalisation de certaines
pratiques dans le temps long». Une
lecturequidonneenviedesuivrela
seulepistequipermettedesortirde
la société de consommation: deve-
nir, de nouveau, producteur des
biens que nous consommons.
Vous consacrez un ouvrage à la
«société de consommation».
Comment la définiriez-vous?
J’aiessayéd’enparlerd’unpointde
vue matérialiste : il ne s’agit ni
d’écrireunessaiàthèse,niunpam-
phlet. Je définis donc la société de
consommationcommeunesociété
danslaquellelesgensconsomment
des biens qu’ils n’ont pas produits
eux-mêmes, où la division du tra-
vail est telle qu’on ne produit
qu’une fraction infime que ce que
l’on consomme. C’est un mode de
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qui est en fait assez récent.
Vous datez la première étape de
cettetransformationen­tre1800
et 1850. Quels sont les change-
mentsmajeursdecettepériode?
Anthony
Galluzzo
«Onnepeut
résister
àlasociétéde
consommation
sansrenoueravec
laproduction»
Des images dans les premiers
magazines au merchandising
en passant par l’avènement
des grands magasins, le chercheur
Anthony Galluzzo retrace l’histoire
de la société marchande depuis
le XIXe siècle, et décrit la conversion
fulgurante des individus
à la consommation.
désormaisenfermésetinvisibilisés.
C’estunchangementauquelilfaut
habituerleconsommateur:lamar-
que remplit donc cette fonction,
grâcenotammentàlapublicité.Elle
met de la chair sur un produit qui
est désincarné.
Cela s’accompagne d’une trans-
formation des lieux de vente: la
boutiquedisparaîtauprofitdes
grands magasins…
Dans l’ancienne relation marchan­-
de, on se rend dans une boutique
pour acheter un bien précis et tout
passe par la médiation du mar-
chand, qui est le maître de la mar-
chandise. L’acheteur potentiel, en
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que dans un accord tacite qui est
l’achat.Lesgrandsmagasinsconsti-
tuentunerévolutionencequ’ilsin-
ventent le shopping: ils créent de
grands espaces avec moins de ven-
deurs,oùlesgenspeuventdéambu-
ler sans acheter, voire acheter et
rapporterleproduit–cequipermet
de désinhiber la pulsion consom-
matrice.
Lesgrandsmagasinsnesontpasun
lieu de production, mais un lieu
d’exposition: ils développent donc
destechniquesdemiseenscène,le
merchandising. Il s’agit de placer
des produits dans les vitrines, tra-
vailler la mise en scène des bâti-
ments, changer la disposition de
manièrealéatoire…Toutescestech-
niquesquipermettentdemagnifier
la marchandise se retrouvent d’ail­-
leursaujourd’huisurlessitesinter-
net marchands.
Ces transformations apparais-
sentprogressivementetpermet-
tentdediscernerlapremièregé-
nérationdeconsommateurs:les
hommes et femmes nés à partir
de 1890.
Fairel’histoiredelasociétédecon-
sommation, c’est faire l’histoire de
la circulation des marchandises
maisaussidesimagesdesmarchan-
dises,carilyaunrapporttrèsétroit
Recueilli par
Nicolas Celnik
AudébutduXIXe siècle,lamajorité
de la population vit encore dans
uneéconomiepaysanne,produitce
qu’elleconsomme,confectionneses
habits et construit sa maison. L’ap-
paritiondemoyenstechnologiques
decirculationdesmarchandisesva
désenclaver les mar-
chés, accroître la divi-
sion du travail, et faire
émerger un marché
global. Ce désenclave-
ment concerne même
les plus petites com-
munautés rurales.
L’anthropologue Lau-
rence Wylie a étudié
parexempleunvillage
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en1800d’unepolycul-
ture autarcique pas-
sent, vers 1850, à une
production essentiel-
lement consacrée aux
vers à soie, à destina-
tiondumarché.Sedéveloppealors
ce que l’on a appelé la fétichisation
de la marchandise.
C’est cette «fétichisation de
la marchandise» qui entraîne
l’émergence des marques ?
En effet: tant que le produit est lié
au travail, vous le con-
naissez pour l’avoir
vous-même fabriqué
ou vu fabriquer. Il n’est
pasentourédemystère.
Maisdansunedivision
du travail accrue, vous
êtes amené à consom-
mer des biens produits
danslelointain,pardes
inconnus, et dont on
peut se méfier. Les
nouvelles techniques
de conservation et
d’empaquetagedesali-
ments coupent l’ache-
teurdelapossibilitéde
lesgoûteroudelestou-
cher: les produits sont
Libération Lundi 15 Juin 2020 u 21
entrecequel’onpeutproduireetce
que l’on peut faire désirer. Or les
gensnésdanslesannées1890sont
lespremiersquiontconnudèsleur
enfancelapressedemasse,quiont
pu manipuler des images, qui ont
assistéàlanaissanceducinéma,de
laradio…Cesontaussilespremiers
qui ont pu s’extraire de leur com-
munauté organique (le village, le
quartier), à la fois psychologique-
ment,c’est-à-diregrâceauximages
qui permettent à une paysanne
françaisedefantasmerlavied’une
grandedamedeLondres,maisaussi
physiquement,grâceaudéveloppe-
mentdesvélosetdesautomobiles.
Les bals permettent d’aller faire la
fête non pas sur la place du village
sousleregarddesanciens,maisen
prenant son vélo pour se rendre
dans la ville voisine et faire la fête
entre jeunes. Commence ainsi à
émerger une culture jeune.
Vous insistez sur le rôle de
l’image dans la création de cet
imaginaire du consommateur.
Quelle est la différence entre
l’image et l’écrit?
C’est la différence entre raconter et
montrer: l’image est particulière-
ment efficace pour préparer la cir-
culation des marchandises parce
que quand on vous montre un pro-
duit, il se révèle à vous instantané-
ment. Quand on vous le raconte,
c’est plus abstrait, et cela dépend
de vos capacités d’imagination.
L’image vous rend capable de re-
connaîtrel’objetquandvousdéam-
bulezdansl’espacemarchand.Pour
éduquer le consommateur, c’est
beaucoupplusefficace.Lespublici-
taires du début du XXe siècle ont
d’ailleurs théorisé cette force des
images,etcelaacontribuéàdavan-
tageréduirel’espacedédiéauxtex-
tes dans les publicités. La force des
objets,surtoutceuxcréésàpartirdu
XIXe siècle, c’est qu’ils constituent
ensoidesspectacles.Lesgrandscata-
loguesdeventeparcorrespondance
étaient consommés en tant que li-
vres d’images, en tant qu’objets
d’émerveillement.
Les images ont notamment pu
être diffusées par un nouveau
support: les magazines. Quel a
été leur rôle dans la création de
ce nouvel imaginaire?
Lesmagazines,etsurtoutlesmaga-
zines féminins qui sont entière-
ment articulés autour de la con-
sommation, ont enseigné aux
lecteurs de nouveaux objets, de
nouveauxgestes,habitudesetéthi-
ques de consommation. Ils ont eu
plusieurs rôles. Faire défiler sous
les yeux des consommateurs tout
un ensemble de nouveaux objets
alimente le désir et la perception
desmodes,donclesentimentchez
le consommateur de détenir des
objets périmés. Il faut aussi mon-
trer à quoi et pourquoi ces objets
peuventservir.Lesmagazinesdela
fin du XIXe siècle les mettent en
scène par l’intermédiaire de publi-
cités ou d’articles qui dressent le
portrait d’une société idyllique,
sansconflitdeclasses,avecdesser-
viteurs enchantés d’être au service
de leur patron.
Vous soulignez tout de même
que la publicité a, finalement,
un pouvoir limité.
C’est un point sur lequel je souhai-
taistoutparticulièrementapporter
de la nuance. La publicité n’est
qu’unedesvariablesgrâceauxquel-
lesunproduitsevendbien–lerap-
portdeforcesaveclesdistributeurs,
laplanificationdesventes,lapoliti-
que de prix comptent tout autant.
Ondécritsouventdespersonnages
commeEdwardBernays,l’auteurde
Propagandaetl’inventeurdesrela-
tionspubliques,commedegrandes
incarnationsdelamanipulationdu
marketing, des sorciers surpuis-
sants. C’est l’histoire que racontait
un récent documentaire d’Arte sur
lesujet…quis’inspiraitdestravaux
qui avaient pour source principale
l’autobiographie de Bernays lui-
même!
Ce sentiment d’être manipulé
parlapublicitéetlesimagessu-
bliminales a alimenté un mou-
vementderésistance:lacontre-
culture. On lit parfois qu’elle a
été«récupérée»parlasociétéde
consommation.
Toutes les cultures rebelles qui ont
été développées par les jeunes des
années50-60ontgénéralementen
commun une sorte d’individua-
lisme jouisseur et d’anarchisme
existentiel: donner la primauté à
l’expression de ses désirs profonds
pour essayer de s’émanciper de la
masse. Ces jeunes ont grandi dans
dessociétésstructuréespardesper-
sonnes nées à la fin du XIXe siècle,
avec un esprit d’ascétisme, d’épar-
gne,marquésparlafragilitédel’an-
cienmonde.Euxévoluentdansune
sociétéd’abondance,sesontformés
dansleurenfanceàlaculturematé-
rielleparl’image,ontcôtoyélatélé-
vision. Et ils ont cette vision qui
consiste à concevoir l’individu
commeun«projet»surlequelilfaut
travaillergrâceàdesobjetsquisont
autantdesignesdel’affirmationde
soi. La chercheuse Julie Stephens,
danssonlivreAntidisciplinaryPro-
test, a analysé d’un point de vue
lexical les slogans des contestatai-
res des années 60: ils manient la
rhétorique télévisuelle dans la-
quelle ils ont baigné. Ce sont des
slogans courts et incisifs, qui van-
tent l’individualisme, la spontané-
ité, l’intransigeance par rapport à
son individualité. Bien des slogans
quenousconnaissonstrèsbienau-
jourd’hui en sont les héritiers:
«Think different» (Apple), «Venez
comme vous êtes» (McDonald’s),
«Just do it» (Nike)… On peut donc
considérer que les contre-cultures
jeunes des années 60 ont été intel-
lectuellement formées par la cul-
ture marchande. Elles ont conduit
une rébellion contre le marché qui
vient du marché. Et nous avons
grandement hérité de certaines de
leursidées.C’estd’ailleurspourcela
que j’ai arrêté mon analyse à cette
époque:touslesphénomènesayant
émergé jusqu’alors se sont simple-
ment amplifiés.
On ne s’affirme donc pas en op-
positionàlasociétédeconsom-
mation en consommant de ma-
nière différente?
Si l’anticonformisme passe pour
une attitude de résistance, c’est
parce qu’on a une vision de la so-
ciété de consommation périmée,
justementhéritéedesannées60:on
se représente cette ­société comme
conformiste, bureaucratique et
froide.Lesconsommateursseraient
desaliénésachetanttouslesmêmes
produits de manière pavlovienne.
Danscetimaginaire,lerebelleserait
l’anticonformiste s’extrayant de la
masse. Or, l’anticonformisme, la
différenciation et la sursegmenta-
tion sont à la base de nos modèles
de consommation depuis plus de
cinquante ans! En fait, nous som-
mes tous des consommateurs. Si
nous souhaitions réellement nous
placerhorsdelasociétédeconsom-
mation telle que je l’ai définie au
­début de l’entretien, il faudrait re-
nouer avec la production et pro-
duire la vaste majorité de ce que
nous consommons. Et si vous êtes
écolo,ilfaudraitpar-dessuslemar-
ché le faire de manière durable.
L’un des modèles qui correspond à
cettedémarcheradicaleestlacons-
truction d’une ferme de permacul-
ture autonome. En somme, on ne
peutpasrésisteràlasociétédecon-
sommation sans s’emparer avant
toute chose de la production et de
la division du travail.•
Au Royaume-Uni,
en 1934.
Photo Daily Herald
Archive. Getty Images
«Tant que le produit est lié au travail,
vous le connaissez pour l’avoir
­vous-même fabriqué ou vu fabriquer.
Il n’est pas entouré de mystère. Mais
dans une division du travail accrue,
vous êtes amené à consommer des
biens produits dans le lointain, par des
inconnus, et dont on peut se méfier.»

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  • 1. 20 u Libération Lundi 15 Juin 2020 A udébutdesannées1890,ap- paraîtunnouvelobjetquiva bientôt diviser la société: la bicyclette.Selonlesconservateurs, l’enginestdangereuxpourlesfem- mes,caril«inciteraitàlamasturba- tionetcompromettraitl’équilibrefa- milial». Pour le faire accepter, les magazines de l’époque vont donc entreprendretoutunlongtravailde normalisation du produit, «multi- pliant les belles histoires» dans les- quelles la bicyclette permet à des jeunes gens de bonne famille de se rencontrer et de fonder une foyer. En se penchant sur cette étude de cas, Anthony Galluzzo, maître de conférencesàl’universitédeSaint- Etienne,spécialisédanslescultures de consommation et leur histoire, metàjourl’importancedesmagazi- nes et des images qui agrémentent leurspagespourcréerunenouvelle mentalité: celle de l’individu con- sommateur. Car c’est, au fond, une autre question à laquelle tente de répondre la Fabrique du consom- mateur. Une histoire de la société marchande: comment les paysans autarciques et autosuffisants, qui cultivaient leur nourriture, cou- saient leurs vêtements et construi- saient leur maison, sont-ils deve- nus, en à peine un siècle, des individusquis’affirmentavanttout parlaconsommationdebiensqu’ils ne seraient plus capables de pro- duire et, surtout, dont ils ne con- naissaient ni l’existence ni l’utilité quelques décennies auparavant? Une réponse se dessine au fil des pages de cet essai finement docu- menté et captivant, qui réalise une socio-histoire de la société mar- chande,avançanten «interrogeant l’institutionnalisation de certaines pratiques dans le temps long». Une lecturequidonneenviedesuivrela seulepistequipermettedesortirde la société de consommation: deve- nir, de nouveau, producteur des biens que nous consommons. Vous consacrez un ouvrage à la «société de consommation». Comment la définiriez-vous? J’aiessayéd’enparlerd’unpointde vue matérialiste : il ne s’agit ni d’écrireunessaiàthèse,niunpam- phlet. Je définis donc la société de consommationcommeunesociété danslaquellelesgensconsomment des biens qu’ils n’ont pas produits eux-mêmes, où la division du tra- vail est telle qu’on ne produit qu’une fraction infime que ce que l’on consomme. C’est un mode de fonctionnement qui nous paraît toutàfaitnaturelaujourd’hui,mais qui est en fait assez récent. Vous datez la première étape de cettetransformationen­tre1800 et 1850. Quels sont les change- mentsmajeursdecettepériode? Anthony Galluzzo «Onnepeut résister àlasociétéde consommation sansrenoueravec laproduction» Des images dans les premiers magazines au merchandising en passant par l’avènement des grands magasins, le chercheur Anthony Galluzzo retrace l’histoire de la société marchande depuis le XIXe siècle, et décrit la conversion fulgurante des individus à la consommation. désormaisenfermésetinvisibilisés. C’estunchangementauquelilfaut habituerleconsommateur:lamar- que remplit donc cette fonction, grâcenotammentàlapublicité.Elle met de la chair sur un produit qui est désincarné. Cela s’accompagne d’une trans- formation des lieux de vente: la boutiquedisparaîtauprofitdes grands magasins… Dans l’ancienne relation marchan­- de, on se rend dans une boutique pour acheter un bien précis et tout passe par la médiation du mar- chand, qui est le maître de la mar- chandise. L’acheteur potentiel, en entrant dans la boutique, s’impli- que dans un accord tacite qui est l’achat.Lesgrandsmagasinsconsti- tuentunerévolutionencequ’ilsin- ventent le shopping: ils créent de grands espaces avec moins de ven- deurs,oùlesgenspeuventdéambu- ler sans acheter, voire acheter et rapporterleproduit–cequipermet de désinhiber la pulsion consom- matrice. Lesgrandsmagasinsnesontpasun lieu de production, mais un lieu d’exposition: ils développent donc destechniquesdemiseenscène,le merchandising. Il s’agit de placer des produits dans les vitrines, tra- vailler la mise en scène des bâti- ments, changer la disposition de manièrealéatoire…Toutescestech- niquesquipermettentdemagnifier la marchandise se retrouvent d’ail­- leursaujourd’huisurlessitesinter- net marchands. Ces transformations apparais- sentprogressivementetpermet- tentdediscernerlapremièregé- nérationdeconsommateurs:les hommes et femmes nés à partir de 1890. Fairel’histoiredelasociétédecon- sommation, c’est faire l’histoire de la circulation des marchandises maisaussidesimagesdesmarchan- dises,carilyaunrapporttrèsétroit Recueilli par Nicolas Celnik AudébutduXIXe siècle,lamajorité de la population vit encore dans uneéconomiepaysanne,produitce qu’elleconsomme,confectionneses habits et construit sa maison. L’ap- paritiondemoyenstechnologiques decirculationdesmarchandisesva désenclaver les mar- chés, accroître la divi- sion du travail, et faire émerger un marché global. Ce désenclave- ment concerne même les plus petites com- munautés rurales. L’anthropologue Lau- rence Wylie a étudié parexempleunvillage dans le Vaucluse: les villageois qui vivaient en1800d’unepolycul- ture autarcique pas- sent, vers 1850, à une production essentiel- lement consacrée aux vers à soie, à destina- tiondumarché.Sedéveloppealors ce que l’on a appelé la fétichisation de la marchandise. C’est cette «fétichisation de la marchandise» qui entraîne l’émergence des marques ? En effet: tant que le produit est lié au travail, vous le con- naissez pour l’avoir vous-même fabriqué ou vu fabriquer. Il n’est pasentourédemystère. Maisdansunedivision du travail accrue, vous êtes amené à consom- mer des biens produits danslelointain,pardes inconnus, et dont on peut se méfier. Les nouvelles techniques de conservation et d’empaquetagedesali- ments coupent l’ache- teurdelapossibilitéde lesgoûteroudelestou- cher: les produits sont
  • 2. Libération Lundi 15 Juin 2020 u 21 entrecequel’onpeutproduireetce que l’on peut faire désirer. Or les gensnésdanslesannées1890sont lespremiersquiontconnudèsleur enfancelapressedemasse,quiont pu manipuler des images, qui ont assistéàlanaissanceducinéma,de laradio…Cesontaussilespremiers qui ont pu s’extraire de leur com- munauté organique (le village, le quartier), à la fois psychologique- ment,c’est-à-diregrâceauximages qui permettent à une paysanne françaisedefantasmerlavied’une grandedamedeLondres,maisaussi physiquement,grâceaudéveloppe- mentdesvélosetdesautomobiles. Les bals permettent d’aller faire la fête non pas sur la place du village sousleregarddesanciens,maisen prenant son vélo pour se rendre dans la ville voisine et faire la fête entre jeunes. Commence ainsi à émerger une culture jeune. Vous insistez sur le rôle de l’image dans la création de cet imaginaire du consommateur. Quelle est la différence entre l’image et l’écrit? C’est la différence entre raconter et montrer: l’image est particulière- ment efficace pour préparer la cir- culation des marchandises parce que quand on vous montre un pro- duit, il se révèle à vous instantané- ment. Quand on vous le raconte, c’est plus abstrait, et cela dépend de vos capacités d’imagination. L’image vous rend capable de re- connaîtrel’objetquandvousdéam- bulezdansl’espacemarchand.Pour éduquer le consommateur, c’est beaucoupplusefficace.Lespublici- taires du début du XXe siècle ont d’ailleurs théorisé cette force des images,etcelaacontribuéàdavan- tageréduirel’espacedédiéauxtex- tes dans les publicités. La force des objets,surtoutceuxcréésàpartirdu XIXe siècle, c’est qu’ils constituent ensoidesspectacles.Lesgrandscata- loguesdeventeparcorrespondance étaient consommés en tant que li- vres d’images, en tant qu’objets d’émerveillement. Les images ont notamment pu être diffusées par un nouveau support: les magazines. Quel a été leur rôle dans la création de ce nouvel imaginaire? Lesmagazines,etsurtoutlesmaga- zines féminins qui sont entière- ment articulés autour de la con- sommation, ont enseigné aux lecteurs de nouveaux objets, de nouveauxgestes,habitudesetéthi- ques de consommation. Ils ont eu plusieurs rôles. Faire défiler sous les yeux des consommateurs tout un ensemble de nouveaux objets alimente le désir et la perception desmodes,donclesentimentchez le consommateur de détenir des objets périmés. Il faut aussi mon- trer à quoi et pourquoi ces objets peuventservir.Lesmagazinesdela fin du XIXe siècle les mettent en scène par l’intermédiaire de publi- cités ou d’articles qui dressent le portrait d’une société idyllique, sansconflitdeclasses,avecdesser- viteurs enchantés d’être au service de leur patron. Vous soulignez tout de même que la publicité a, finalement, un pouvoir limité. C’est un point sur lequel je souhai- taistoutparticulièrementapporter de la nuance. La publicité n’est qu’unedesvariablesgrâceauxquel- lesunproduitsevendbien–lerap- portdeforcesaveclesdistributeurs, laplanificationdesventes,lapoliti- que de prix comptent tout autant. Ondécritsouventdespersonnages commeEdwardBernays,l’auteurde Propagandaetl’inventeurdesrela- tionspubliques,commedegrandes incarnationsdelamanipulationdu marketing, des sorciers surpuis- sants. C’est l’histoire que racontait un récent documentaire d’Arte sur lesujet…quis’inspiraitdestravaux qui avaient pour source principale l’autobiographie de Bernays lui- même! Ce sentiment d’être manipulé parlapublicitéetlesimagessu- bliminales a alimenté un mou- vementderésistance:lacontre- culture. On lit parfois qu’elle a été«récupérée»parlasociétéde consommation. Toutes les cultures rebelles qui ont été développées par les jeunes des années50-60ontgénéralementen commun une sorte d’individua- lisme jouisseur et d’anarchisme existentiel: donner la primauté à l’expression de ses désirs profonds pour essayer de s’émanciper de la masse. Ces jeunes ont grandi dans dessociétésstructuréespardesper- sonnes nées à la fin du XIXe siècle, avec un esprit d’ascétisme, d’épar- gne,marquésparlafragilitédel’an- cienmonde.Euxévoluentdansune sociétéd’abondance,sesontformés dansleurenfanceàlaculturematé- rielleparl’image,ontcôtoyélatélé- vision. Et ils ont cette vision qui consiste à concevoir l’individu commeun«projet»surlequelilfaut travaillergrâceàdesobjetsquisont autantdesignesdel’affirmationde soi. La chercheuse Julie Stephens, danssonlivreAntidisciplinaryPro- test, a analysé d’un point de vue lexical les slogans des contestatai- res des années 60: ils manient la rhétorique télévisuelle dans la- quelle ils ont baigné. Ce sont des slogans courts et incisifs, qui van- tent l’individualisme, la spontané- ité, l’intransigeance par rapport à son individualité. Bien des slogans quenousconnaissonstrèsbienau- jourd’hui en sont les héritiers: «Think different» (Apple), «Venez comme vous êtes» (McDonald’s), «Just do it» (Nike)… On peut donc considérer que les contre-cultures jeunes des années 60 ont été intel- lectuellement formées par la cul- ture marchande. Elles ont conduit une rébellion contre le marché qui vient du marché. Et nous avons grandement hérité de certaines de leursidées.C’estd’ailleurspourcela que j’ai arrêté mon analyse à cette époque:touslesphénomènesayant émergé jusqu’alors se sont simple- ment amplifiés. On ne s’affirme donc pas en op- positionàlasociétédeconsom- mation en consommant de ma- nière différente? Si l’anticonformisme passe pour une attitude de résistance, c’est parce qu’on a une vision de la so- ciété de consommation périmée, justementhéritéedesannées60:on se représente cette ­société comme conformiste, bureaucratique et froide.Lesconsommateursseraient desaliénésachetanttouslesmêmes produits de manière pavlovienne. Danscetimaginaire,lerebelleserait l’anticonformiste s’extrayant de la masse. Or, l’anticonformisme, la différenciation et la sursegmenta- tion sont à la base de nos modèles de consommation depuis plus de cinquante ans! En fait, nous som- mes tous des consommateurs. Si nous souhaitions réellement nous placerhorsdelasociétédeconsom- mation telle que je l’ai définie au ­début de l’entretien, il faudrait re- nouer avec la production et pro- duire la vaste majorité de ce que nous consommons. Et si vous êtes écolo,ilfaudraitpar-dessuslemar- ché le faire de manière durable. L’un des modèles qui correspond à cettedémarcheradicaleestlacons- truction d’une ferme de permacul- ture autonome. En somme, on ne peutpasrésisteràlasociétédecon- sommation sans s’emparer avant toute chose de la production et de la division du travail.• Au Royaume-Uni, en 1934. Photo Daily Herald Archive. Getty Images «Tant que le produit est lié au travail, vous le connaissez pour l’avoir ­vous-même fabriqué ou vu fabriquer. Il n’est pas entouré de mystère. Mais dans une division du travail accrue, vous êtes amené à consommer des biens produits dans le lointain, par des inconnus, et dont on peut se méfier.»