1. Les Echos Mardi 13 octobre 2020
SANTÉ// Les douze heures par jour que nous passons assis au bureau, dans les transports, à table,
devant un écran… ont des répercussions catastrophiques sur notre santé. Chercheurs et entrepri-
ses commencent à se mobiliser contre la sédentarité, encore plus prégnante avec le télétravail.
Quandresterassistue
Jacques Henno
Deux écoles primaires de Vichy
(Allier) et de Riom (Puy-de-Dôme)
ont testé en février et mars derniers
deséquipementsdontserontpeut-êtrebien-
tôt dotés toutes les classes, tous les bureaux
ettouslestélétravailleurs.Quisait ?Atourde
rôle, une centaine d’élèves de CM1 et CM2 se
sont partagés douze bureaux pourvus d’un
pédalier. Objectif de cette étude menée par
l’Onaps (Observatoire national de l’activité
physiqueetdelasédentarité)etfinancéepar
larégionAuvergne-Rhône-Alpes ?« Evaluer
les effets sur l’attention, les capacités cogniti-
ves, les capacités physiques, la concentra-
tion… », explique Camille Chambonnière,
qui a mené cette enquête pour l’Onaps. Les
petits Français (lire ci-dessous) n’échappent
pasaumaldusiècle :lasédentarité.« C’estle
faitderestersoitassis–devantunetabledetra-
vail,dansuntrain,pourdîner–soitallongésur
un lit pour jouer à un jeu vidéo, regarder son
smartphone ou Netflix, le tout sans dépenser
d’énergie. Vous n’êtes donc pas sédentaires
quandvouspédalezassissurunvélo »,détaille
Audrey Bergouignan, chercheuse au CNRS,
physiologiste à l’IPHC (Institut Pluridiscipli-
naire Hubert Curien) de Strasbourg et spé-
cialistedeseffetsdelasédentarité.
Une étude réalisée auprès de 35.000
Français a montré que les jours de travail,
nouspassonsenmoyenne4,17heuresassis
au bureau, 1,10 heure assis dans les trans-
ports,2,19heuresassispournosloisirs,1,53
heure assis ou affalés à regarder la télé ou
desDVD,2,19heuresassisouaffalésoucou-
chés devant d’autres écrans et 0,97 heure
devant autre chose qu’un écran. Total ?
12 heures ! Des chiffres qui ont certaine-
ment augmenté pendant le confinement et
avec l’explosion du télétravail. « Or le domi-
cile constitue un défi pour la sédentarité et
l’alimentation : vous êtes constamment ten-
tés de vous asseoir ou de vous affaler pour
vous distraire ou pour… manger ! » prévient
DavidDunstan,universitaireetmembredu
Conseil national de la santé et de la recher-
che médicale australien.
Risque d’AVC, de diabète
En effet, plus nous restons assis, plus nous…
mangeons!«Lasédentaritéetlestâchescogni-
tives qui lui sont associées, comme le travail
intellectuel ou regarder la télévision augmen-
tent notre prise alimentaire », met en garde
DavidThivel,maîtredeconférenceàl’univer-
sitéClermont-Auvergne,spécialistedelaphy-
siologie de l’exercice et de la nutrition
humaine. De plus, notre corps, lorsqu’il est
sédentaire, n’élimine pas mais accumule.
«Lorsquevousêtesassis,lesnombreuxmuscles
des cuisses et des mollets sont totalement inac-
tifs, explique Martine Duclos, présidente du
conseilscientifiquedel’Onaps,professeurdes
universités et praticien hospitalier au service
de médecine du sport du CHU de Clermont-
Ferrand.Conséquence,touslesnutrimentsvont
danslagraisse;deplus,fautedepressionsuffi-
sante au niveau des artères des membres infé-
rieurs,lesartèresnesontpasassezstimulées.»
La graisse va se transformer en graisse
viscérale,situéeentrelesmusclesetlesorga-
nes abdominaux, à l’origine de l’obésité
abdominale. Cette graisse est très inflam-
matoireetproduitdeshormonesquifavori-
sentlediabètedetype2,lesmaladiescardio-
vasculaires et les cancers. Les artères non
stimuléesarrêtentdeproduirelemonoxyde
d’azote, un gaz anti-inflammatoire, qui
empêcheaussilescaillotsdeseformer…De
filenaiguille,onarrive àune augmentation
durisquedefaireunAVCouuninfarctusdu
myocarde.Etcen’estpastout :« Lesmuscles
jouentunrôleessentielpourrégulerlestrigly-
cérides, stockés dans les cellules adipeuses, et
le taux de sucre dans le sang. En position
assise,nosmusclessontmoinssollicitésetcela
provoque un excès d’insuline qui va favoriser
le stockage du glucose dans les cellules grais-
seuses », ajoute Brigid Lynch, épidémiolo-
giste du cancer au Cancer Council Victoria,
un organisme indépendant qui conseille le
gouvernement de l’Etat de Victoria, en Aus-
tralie.Résultat ?« Uneheuredeplusassispar
jour augmente de 22 % le risque de devenir
diabétiquedetype2etde30 %celuidedevenir
obèse »,résumeAudreyBergouignan.« Etil
existeprobablementunlienentresédentarité,
niveau de glucose et d’insuline dans le sang et
cancer du côlon et cancer du sein », avance
BrigidLynch.Entredépensesdesanté,coûts
indirectsliésàl’invaliditéouàlamortalité,et
pertes de production, la sédentarité coûte-
rait 17 milliards d’euros à la France chaque
année, selonle ministèredes Sports.
Se lever toutes les 30 minutes
Heureusement, des solutions existent (lire
ci-dessous). « L’idée clé est d’éviter de rester
assis trop longtemps : toutes les 30 minutes
levez-vous et faites 2 minutes de marche »,
recommandeBrunoGualano,dugroupede
recherche Physiologie appliquée et Nutri-
tion de la faculté de médecine de Sao Paulo
(Brésil).« Etilfautfairebeaucoupplusd’exer-
cice que les deux heures et demie d’activité
modérée par semaine généralement recom-
mandées », précise Paddy Dempsey, de
l’école de médecine de l’université de Cam-
bridge (Angleterre) et qui a participé à la
rédaction des recommandations que l’OMS
vapublierennovembresurlasédentarité.
Pourmieuxsefaireentendredesgouver-
nements, les chercheurs du monde entier
se sont regroupés en associations interna-
tionales. « Notre travail commence à porter
sesfruits :parexemple,deplusenplusd’édu-
cateursontconsciencedel’impactdelanour-
riture et des écrans sur les enfants », estime
Travis Saunders, spécialiste de la sédenta-
Une étude réalisée auprès de 35.000 Français a montré que les jours de travail, nous passons en moyenne
12 heures en position assise. Photo iStock
Les enfants, aussi, sont concernés
Lors de leur entrée en primaire, les enfants deviennent brusquement
sédentaires : ils passent 55 % de leur temps éveillé assis ou affalés. Un
pourcentage qui grimpe à 75 % après 14 ans. Parallèlement, leurs capa-
cités physiques, mesurées par des tests d’endurance, s’effondrent. « Or,
la capacité en endurance constitue le meilleur facteur de pronostic de
mortalité précoce, de maladies cardio-vasculaires, de certains cancers, du
diabète de type 2, d’obésité… », avertit Martine Duclos, présidente du
conseil scientifique de l’Onaps (Observatoire national de l’activité phy-
sique et de la sédentarité). « Et plus la capacité cardio-respiratoire des
élèves est élevée, plus leurs capacités cognitives sont bonnes, ajoute Ca-
mille Chambonnière, qui a étudié ce sujet pour l’Onaps. Ce qui encoura-
ge d’autant plus la promotion de l’activité physique et la lutte contre la sé-
dentarité chez les jeunes. » Idéalement, les enfants devraient passer
moins de temps assis en classe ou devant des écrans, et avoir à leur dis-
position des vélo-bureaux, des ballons, des bureaux assis-debout, etc.
Les chiffres
clés
17MILLIARDS
D’EUROS
Le coût de la
sédentarité en
France, selon le
ministère des Sports.
12HEURES
La durée moyenne
pendant laquelle
nous restons assis
chaque jour.
rité à l’université de l’Ile-du-Prince-
Edouard(Canada)etmembrefondateurdu
SBRN (Sedentary Behaviour Research
Network), dont l’un des objectifs est de sen-
sibiliser les hommes politiques. « C’est plus
difficile dans les PME », constate Martine
Duclos, mais les grandes entreprises com-
mencent à se mobiliser. Le minimum con-
siste à rendre obligatoires les réunions
debout (personne n’a envie de s’éterniser…)
ou assises, mais de moins de 30 minutes.
« Depuis septembre 2019, nous intervenons
auprès de salariés de Michelin, à Clermont-
Ferrand, dans le cadre du programme A3P
– activité physique posturale préventive –
pour donner des conseils personnalisés, à
base de pauses détente et de pauses actives,
pour casser la sédentarité », explique Julien
Finaud, responsable du pôle Sport Santé
Vitalité, de l’ASM (Association sportive
montferrandaise) connue pour son club de
rugby. L’ASM a réalisé une vidéo pour les
télétravailleurs de Michelin avec des con-
seils ergonomiques et des propositions
d’étirements. Et un automassage avec une
balle de tennis. n
« Une heure de plus
assis par jour augmente
de 30 % le risque
de devenir obèse. »
AUDREY BERGOUIGNAN