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Bemguema en Sierra Leone, en 2002. Une jeune fille, suivie par des femmes de
son village, passe devant un groupe de soldats de l’armée nationale qui prennent
leur pause pendant l’entraînement. La guerre en Sierra Leone est devenue
tristement célèbre pour le degré d’atrocités commises contre les civils par des
gangs de jeunes hommes et de garçons, souvent sous l’emprise de la drogue ou
de l'alcool. Les gangs, liés aux différentes milices ou factions rebelles, ont violé,
mutilé et assassiné des milliers de civils.
Photo : Jan Dago
La violence sexuelle en temps de guerre 181
La violence sexuelle en temps de guerre
En 1993, le Centre d’enregistrement des crimes de guerre et des génocides de Zenica, en Bosnie-Herzégovine,
avait recensé 40 000 cas de viol de guerre.1 Sur un échantillon de Rwandaises sondées en 1999, 39 pour cent
avaient déclaré avoir été violées pendant le génocide de 1994 et 72 pour cent avaient confié qu’elles
connaissaient une victime de viol.2 De 23 200 à 45 600 Albanaises-Kosovars environ auraient été violées entre
août 1998 et août 1999, au plus fort du conflit avec la Serbie.3
En 2003, sur un échantillon aléatoire de 388 Libériennes réfugiées dans des camps en Sierra Leone, 74 pour
cent avaient déclaré avoir subi des sévices sexuels avant d’être déplacées de leurs terres, au Libéria.
Cinquante-cinq pour cent d’entre elles avaient subi des violences sexuelles au cours de leur déplacement.4 À
Cartaghène, sur un échantillon de 410 déplacées internes colombiennes sondées en 2003, 8 pour cent avaient
révélé avoir subi une quelconque forme de violence sexuelle avant d’être déplacées, et 11 pour cent avaient
déclaré avoir subi des sévices depuis leur déplacement.5
Le visage changeant de la guerre
Les données, de plus en plus nombreuses, recueillies sur les guerres de ces dix
dernières années sont enfin en train de mettre au jour « l’un des grands silences de
l’Histoire » : les violences et les tortures sexuelles infligées aux civiles, femmes et
filles, en périodes de conflits armés.6 Récemment encore, les preuves de ce
phénomène — tout comme le phénomène lui-même — avaient été globalement
ignorées par les historiens, les politiques et la communauté internationale dans son
ensemble. Pourtant, cette question n’est guère récente. Les vainqueurs disposent d’un
permis de « violer et piller » les vaincus qui remonte aux guerres menées par les
soldats de la Grèce antique, l’armée romaine et les Hébreux.7 Au seul siècle dernier,
des femmes juives ont été violées par des cosaques au cours des pogroms de 1919, en
Russie ; l’armée japonaise s’est livrée au trafic de milliers de « femmes de réconfort »
originaires des quatre coins de l’Asie, qu’elle a réduites à l’esclavage sexuel pendant la
Deuxième Guerre mondiale ; plus de 100 000 femmes ont été violées dans la région
de Berlin immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale ; et des centaines de
milliers de femmes bengalis ont été violées par des soldats pakistanais pendant la
guerre de sécession du Bangladesh, en 1971.8
Malgré ce lourd passé de violences sexuelles infligées aux femmes et aux filles par les
hommes en temps de guerre, les statistiques produites ces 10 dernières années sont
véritablement troublantes : il semble en effet que ce phénomène soit devenu
particulièrement courant. D’aucuns pourraient objecter que les données actuelles
reflètent, non pas une augmentation considérable du nombre des victimes dans
l’absolu, mais simplement un intérêt international accru pour cette question —
intérêt en partie suscité par la couverture médiatique des atrocités sexuelles commises
au cours des conflits en ex-Yougoslavie et au Rwanda et peut-être plus encore par les
campagnes de sensibilisation intensives menées depuis des décennies par les
défenseurs de la cause des femmes dans le monde. Néanmoins, il existe une
explication plus probable : la nature de la guerre est en pleine évolution, et cette
évolution est telle qu’elle expose les femmes et les filles à un danger croissant.
Chapitre13
Depuis la deuxième moitié du siècle dernier, les conflits essentiellement limités aux
combats militaires entre armées nationales ont été en grande partie supplantés par
des guerres civiles et des conflits régionaux qui opposent différentes communautés
en fonction de critères raciaux, religieux ou ethniques. Dès lors, les populations
civiles sont massivement persécutées. Entre 1989 et
1997, quelque 103 conflits armés ont été
déclenchés dans 69 pays.9 Ces conflits récents
auraient fait pas moins de 75 pour cent de victimes
civiles, un contraste frappant par rapport aux 5 pour
cent estimés depuis le début du siècle dernier.10 Bien que, globalement, les conflits
fassent encore davantage de morts chez les hommes que chez les femmes, les femmes
et les filles subissent les nombreuses conséquences débilitantes de la guerre.11 À tel
point, révèle le Secrétaire général des Nations unies dans un rapport publié en 2002,
que « les femmes et les enfants sont ciblés de manière disproportionnée » et «
constituent la majorité des victimes » des conflits armés contemporains.12
Ce que dissimulent les données actuelles
Si troublantes soient-elles, les statistiques actuelles dissimulent probablement plus
qu’elles ne révèlent la véritable ampleur de la violence sexuelle à l’égard des femmes
et des filles en période de conflit armé. Pour diverses raisons, les données relatives
aux viols de guerre sont extrêmement difficiles à recueillir — comme l’attestent les
disparités parfois spectaculaires entre les différentes estimations réalisées, quel que
soit le pays : en Bosnie, par exemple, les statistiques vont de 14 000 à 50 000, et au
Rwanda, de 15 700 à un demi-million.13 Ces écarts sont parfois le reflet d’intérêts
politiques, lorsqu’un gouvernement ou un groupe armé cherche à minimiser l’ampleur
des crimes commis par ses membres, tandis que d’autres s’efforcent de les souligner.
Pourtant, même lorsque les recherches sont entreprises par des groupes de défense
des droits de la personne ou d’autres groupes non alignés, obtenir une représentation
juste de l’étendue de la violence sexuelle est loin d’être aisé.
Les recherches sur la violence sexuelle contre les femmes en période de guerre en
sont plus ou moins à leurs balbutiements. Les chercheurs ont à peine commencé à
élaborer et à tester des méthodologies destinées au recueil de données
représentatives. De surcroît, de nombreux cas de viols ne sont pas déclarés, même en
temps de paix ; ce phénomène peut s’accentuer en période de guerre et d’après-
guerre, lorsque certains facteurs contraignants tels que la condamnation sociale et la
honte sont aggravés par l’instabilité politique et les menaces qui pèsent sur la sécurité
des individus. Dénoncer la violence en période de conflit peut représenter un risque
de sécurité pour toutes les parties concernées — comme l’atteste l’arrestation, en mai
2005, du chef de mission de Médecins sans frontières (MSF) à Khartoum, au Soudan.
Celui-ci avait été accusé de crimes contre l’État par les autorités soudanaises, après
avoir publié un rapport sur les femmes victimes de viol, venues demander des
traitements médicaux dans les centres MSF au Darfour.14
182 La violence sexuelle en temps de guerre
Dans bien des cas, les femmes n’ont tout simplement aucune autorité institutionnelle
ni aucune organisation vers laquelle se tourner pour faire part de leurs expériences
malheureuses. Même lorsque de tels services existent, l’impunité généralisée dont
jouissent les auteurs de violences sexuelles liées à la guerre amène de nombreuses
victimes à penser, avec raison, qu’elles n’obtiendront pas justice en déclarant leur
victimisation ; dès lors, la notification leur paraît inutile. Fait notable, dans une étude
réalisée en 2001 à Timor-Leste (Timor oriental), seules 7 pour cent des sondées
victimes de violence physique ou sexuelle pendant la crise de 1999 avaient jamais
déclaré les sévices subis aux autorités locales.15 Lors d’une enquête effectuée au
Rwanda, seules 6 pour cent des personnes interrogées ayant été violées pendant le
génocide avaient cherché à obtenir un traitement médical.16
Les statistiques actuelles, loin de refléter la nature des crimes, ne révèlent pas non
plus l’atrocité des violences auxquelles ont été exposées les femmes et les filles, ni la
terreur que celles-ci doivent endurer lorsque leurs corps deviennent les armes de la
guerre. Seuls les récits personnels illustrent cela — des récits qu’une majorité de la
population mondiale n’entendra probablement jamais.
Trois récits personnels
Depuis l’année 1996, qui a marqué le début des hostilités entre diverses factions
armées dans la région est de la République démocratique du Congo (RDC), les
atrocités infligées aux femmes sont si horribles et massives que ces violences ont été
familièrement baptisées « guerre dans la guerre » ou « guerre contre les femmes. »17
Bien qu’un processus de paix ait été lancé fin 2002, l’anarchie qui règne dans l’Est du
pays continue de mettre en danger un grand nombre de femmes et de filles. Dans le
cadre de recherches entreprises récemment dans le Sud-Kivu, 492 femmes — 79
pour cent d’entre elles ayant été agressées sexuellement par deux à 20 hommes —
ont partagé leur expérience du viol, de la mutilation et de la torture.18 L’incident
suivant a été relaté par une victime aujourd’hui encore confinée à un lit d’hôpital :
« Quand les Interahamwe [milice rwandaise] sont arrivés dans le village, j’ai entendu
quelques instants après les cris perçants de ma voisine. J’ai regardé par la fenêtre et
j’ai vu des hommes tenant chacun un fusil. Aussitôt, j’ai voulu m’enfuir pour me
cacher mais un groupe de trois a débarqué chez nous. Mon mari faisait semblant de
dormir […] Ils m’ont saisie sans ménagement. L’un d’entre eux m’ayant maîtrisée, un
autre a pris mon pilon de pili pili et me l’a enfoncé plusieurs fois dans le vagin,
comme s’il pilait. Ce calvaire m’a semblé durer une éternité d’enfer […] puis ils sont
sortis précipitamment. Pendant deux semaines, tout coulait par le vagin. J’ai été
Si troublantes soient-elles, les statistiques actuelles dissimulent probablement plus
qu’elles ne révèlent la véritable ampleur de la violence sexuelle à l’égard des
femmes et des filles en période de conflit armé.
Les fillettes et les adolescentes peuvent être particulièrement
vulnérables aux violences sexuelles en période de guerre et
d’agitation civile. Dans l’Est de la République démocratique du
Congo, où cette photo a été prise, le nombre de viols est
extrêmement élevé. Outre les militaires et les soldats, les non-
combattants comptent eux aussi parmi les agresseurs. Les
Casques bleus ont également été mis en cause dans des cas
d'exploitation et de coercition sexuelles.
Photo : Evelyn Hockstein/IRIN
Au Darfour, dans l’Ouest du Soudan, une mère regarde son fils nouveau-né, l’enfant d’un viol auquel elle a survécu en 2004. Au Darfour, le viol est une arme fréquemment
utilisée par les milices Janjawid. Femmes et filles sont violées dans leur village, lorsqu’elles sortent chercher du bois hors des camps pour déplacés, et parfois même au
Tchad voisin. Les violeurs commettent leurs crimes dans un contexte d’impunité totale, tandis que leurs victimes subissent souvent, outre le viol lui-même, l’humiliation
d’être marginalisées par la société, et parfois par leur propre famille.
Photo : Evelyn Hockstein/IRIN
La violence sexuelle en temps de guerre 185
ensuite bandé le pied et l’ont forcée à marcher. On est parti en abandonnant les deux
hommes aux mains coupées. Ensuite, ils nous ont emmenés dans une mosquée, à
Kissy. Ils ont tué tous les gens qui étaient à l’intérieur. […] Ils arrachaient des bébés
et des nourrissons des bras de leurs mères et les jetaient en l’air. Les bébés, en chute
libre, mouraient en retombant. D’autres fois, ils leur tranchaient le cou d’un seul
coup, par l’arrière, pour les tuer, vous savez, comme on fait avec les poulets. Une fille,
qui était avec nous, a essayé de s’échapper.
Ils lui ont fait retirer ses chaussons et me les
donner, puis ils l’ont tuée. […] Une fois, on
est tombé sur deux femmes enceintes. Ils
les ont attachées avec les jambes écartées et
ont pris un bout de bois affûté, qu’ils leur ont planté dans le ventre jusqu’à ce que les
bébés en sortent, au bout du bâton. »22
La « folie meurtrière » de la violence sexuelle en contexte
de conflit
Diverses motivations peuvent être à l’origine des viols commis au cours de conflits
armés. La violence peut être l’effet secondaire de l’effondrement de l’ordre social et
moral qui accompagne la guerre. En RDC, les viols sont aujourd’hui commis sans
distinction ; à tel point qu’ils sont qualifiés de « folie meurtrière. »23 Citons le cas
d’une Congolaise qui, en rentrant chez elle, a surpris un paramilitaire en train de
violer son bébé de 10 mois.24 Toutefois, de tels incidents ne sont pas limités aux
combattants. Au sein des communautés locales, certains hommes peuvent tirer parti
du chaos créé par le conflit pour se rendre coupables de violences sexuelles contre
les femmes, sans craindre d’être inquiétés. Sous la domination instable et
désorganisée des moudjahidin, par exemple, les viols et les agressions sexuelles
auraient été si courantes à Kaboul, la capitale afghane, que l’État policier opprimant
instauré après la prise de pouvoir des Talibans, en 1996, aurait été initialement perçu
comme un répit et accueilli favorablement par certaines femmes.25
La violence sexuelle peut aussi être systématique, perpétrée par les forces
combattantes dans le but explicite de déstabiliser les populations et de détruire les
liens tissés au sein des communautés et des familles. Dans ces cas précis, le viol est
bien souvent un acte public, visant à maximiser l’humiliation et la honte ressenties par
les victimes. A Timor-Leste, d’après certaines informations, les soldats de l’armée
indonésienne violaient les femmes sous les yeux de leur famille et forçaient les
Timorais à violer leurs concitoyennes. En 2004, des chercheurs ont été envoyés en
mission d’information dans le Nord de l’Ouganda, une région ravagée depuis 18 ans
par une insurrection menée par l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Les
chercheurs se sont entretenus avec un homme, à qui des membres du LRA avaient
ordonné de coucher avec sa fille :
« J’ai refusé. […] Ils ont donné l’ordre à mon fils de le faire […] sous la menace d’un
opérée […] je fais mes besoins dans un sachet relié à mon ventre ouvert sur le coté.
Ils ont aussi tué mon mari et mon fils. »19
Une autre victime congolaise a décrit ainsi les atrocités que
lui a fait subir cette milice :
« J’étais en train de couper du bois quand j’ai vu surgir à l’autre bout du champ quatre
hommes armés. Ils m’ont demandé de me déshabiller et de m’offrir à l’un d’eux. Ce
que j’ai refusé. Alors ils m’ont prise, m’écartelant les jambes et les liant, l’une à un pied
d’arbre, l’autre à un autre tronc. Ils m’ont inséré la tête en diagonale entre deux
bâtons, de telle sorte que je ne pouvais m’asseoir, au risque de m’étrangler. Je suis
restée dans cette position et l’un des assaillants m’a pénétrée fortement par derrière
dans le vagin et l’autre m’a plongé son pénis dans la bouche jusqu’à la gorge […] J’ai
été récupérée par des voisins qui avaient suivi de loin mon drame. Ils m’ont trouvée
évanouie et toute ensanglantée. »20
Des atrocités semblables ont été commises par tous les acteurs de la guerre civile qui
a ravagé la Sierra Leone pendant 10 années. Toutefois, les sévices les plus
monstrueux ont été principalement commis par des membres des forces rebelles, et
notamment par le Front révolutionnaire uni. Les rebelles violaient de manière
systématique, souvent en gangs et sous les yeux de la famille des victimes. Ils ont
forcé des hommes et des garçons à violer leur mère ou leur femme. Ils ont agressé
sexuellement des femmes enceintes avant de les éventrer. Ils ont mutilé les parties
génitales des femmes en se servant de couteaux, de bois brûlant ou du canon de leurs
armes. Une incursion particulièrement violente des rebelles à Freetown, la capitale,
en janvier 1999, a donné lieu à « une spirale infernale de viols, d’agressions sexuelles
et de mutilations. »21 Une fillette de 13 ans, enlevée au cours de l’incursion et
réduite à l’esclavage sexuel par les rebelles, avait déjà donné naissance à une petite
fille, née d’un viol, lorsqu’elle a raconté son histoire aux chercheurs, en 2001. Elle
s’est souvenue ainsi de ses premiers moments de captivité :
« On nous a conduits dans une maison où se trouvaient environ 200 personnes. Ils
ont envoyé ma cousine, qui est plus âgée, pour choisir 25 hommes et 25 femmes qui
allaient se faire couper les mains. Puis, ils lui ont dit de couper la main du premier
homme. Elle a refusé de le faire, en disant qu’elle avait peur. Ils m’ont alors dit de le
faire. J’ai dit que je n’avais jamais rien fait de pareil et que j’avais peur. On nous a dit
de nous asseoir sur le côté et de regarder. Alors on s’est assises. Ils ont coupé les
mains de deux hommes. Ma cousine n’a pas pu regarder. Elle a baissé la tête pour ne
rien voir. Comme elle avait fait ça, ils lui ont tiré une balle dans le pied. Ils lui ont
…Ils m’ont saisie sans ménagement. L’un d’entre eux m’ayant maîtrisée, un autre a pris
mon pilon de pili pili et me l’a enfoncé plusieurs fois dans le vagin, comme s’il pilait. Ce
calvaire m’a semblé durer une éternité d’enfer…
186 La violence sexuelle en temps de guerre
fusil armé, il a obéi. […] Ensuite, ils m’ont obligé à coucher avec un trou qu’ils
avaient creusé dans le sol avec un couteau. […] Ils ont fait rentrer mon sexe de force
dans le trou plusieurs fois — la peau était complètement déchirée. […] C’était
impossible de lutter contre une personne armée. […] Tout ça s’est passé sous les
yeux de ma femme, de mon fils et de ma fille. […] Ma femme est devenue folle. »26
Un Soudanais a raconté aux chercheurs l’humiliation semblable subie par sa famille,
au Darfour : « En février 2004, j’ai abandonné ma maison à cause du conflit. Je suis
tombé sur six Arabes dans la brousse. J’ai voulu sortir ma lance pour défendre ma
famille, mais ils m’ont menacé avec une arme et j’ai dû arrêter. Les six hommes ont
violé ma fille, qui a 25 ans, devant moi, ma femme et mes jeunes enfants. »27
La violence sexuelle peut aussi servir à étouffer la résistance en semant un vent de
panique au sein des communautés locales ou des groupes armés rivaux. Dans ce cas,
le corps des femmes « sert d’enveloppe pour envoyer des messages à l’ennemi perçu.
»28 Dans l’État de Shan, au Myanmar, où les autorités s’efforcent depuis le milieu des
années 1990 de réprimer violemment une rébellion locale, des centaines de femmes
ont été victimes de viols systématiques.29 Citons par exemple le cas d’un
commandant de l’armée, qui a abordé une jeune fille, « lui a demandé où étaient ses
parents et a donné l’ordre à ses soldats d’attendre en bordure de l’exploitation
agricole et d’arrêter tout visiteur. Il a ensuite violé [la fille] plusieurs fois dans la hutte
[durant la journée] et, à environ [4 heures du matin], [l’a brûlée vive] dans la hutte
et est parti avec ses troupes. »30
En Tchétchénie, des violations comparables ont été signalées, commises par des
soldats russes au cours des opérations de « nettoyage » qui suivent les levers de camp
des combattants rebelles tchétchènes. Sur quatre femmes tchétchènes agressées par
des soldats de l’armée russe par pénétrations vaginale et orale, en février 2000, l’une
serait morte suffoquée alors qu’un soldat était assis sur son visage.31 En Colombie,
certaines régions, sous contrôle paramilitaire, sont souvent le théâtre de violences
sexuelles et de torture infligées aux femmes et aux filles. Des campagnes d’intimidation
sont menées sur leurs corps, comme en témoigne l’histoire de cette Colombienne,
violée et tuée, avant d’avoir les yeux et les ongles arrachés et les seins sectionnés ; un
cas parmi tant d’autres, communiqués en 2001 à la Rapporteuse spéciale des Nations
Unies chargée de la question de la violence contre les femmes.32
La violence peut également être utilisée dans le cadre du nettoyage ethnique, en
particulier lorsque les conflits sont déterminés par des dissensions raciales, tribales,
religieuses ou autres. Les viols publics en Bosnie, par exemple, servaient à provoquer la
fuite ou l’expulsion de communautés entières de musulmans. De même, les
fécondations forcées, la mutilation des parties génitales et la transmission volontaire du
VIH sont autant de techniques de nettoyage ethnique. Au Rwanda, les violeurs
génocides raillaient leurs victimes en leur promettant de leur transmettre le VIH. En
Bosnie, selon certaines informations, les musulmanes fécondées par des Serbes étaient
retenues en captivité jusqu’au terme de la grossesse pour les empêcher d’avorter.33 Au
Kosovo, une centaine de bébés conçus lors de viols
sont nés au seul mois de janvier 2000 — le Comité
international de la Croix-Rouge présumait à l’époque
que le nombre réel de grossesses consécutives au viol
était probablement bien plus élevé.34 Parfois, les
agressions contre le corps des femmes — et notamment
contre leur capacité de reproduction — ciblent
spécifiquement ce qui est perçu comme étant la « progéniture de l’opposant ». Une
femme originaire du Darfour avait raconté en 2004, « j’étais avec une autre femme,
Aziza, dix-huit ans, à qui ils ont ouvert le ventre la veille de notre enlèvement. Elle était
enceinte et ils l’ont tuée en disant : "C’est l’enfant d’un ennemi". »35
Les esclaves sexuelles des combattants armés
Dans bien d’autres cas, les femmes et les filles sont enlevées pour fournir des services
sexuels aux combattants. Selon un soldat originaire de RDC, « nos combattants ne
sont pas payés. Ils ne peuvent donc se procurer les services des prostituées. Si nous
demandons gentiment aux femmes de venir avec nous, elles ne vont pas accepter.
Alors, nous ne pouvons que les terroriser pour nous faire obéir et obtenir ce que nous
voulons. »36 Une victime libérienne, qui devait être âgée de 80 ans environ
lorsqu’elle a raconté son histoire aux chercheurs, a reconnu s’être trouvée sous
l’emprise des rebelles, dans la ville de Voinjama : « la nuit, ils venaient, généralement
à plusieurs. Ils me violaient. Ils me disaient qu’ils allaient m’aider. Si j’avais de la
chance, ils me donnaient 10 dollars libériens (20 cents). »37
Les victimes d’esclavage sexuel sont bien souvent plus jeunes et dans bien des cas, les
sévices qu’elles subissent relèvent d’un devoir militaire. Quelque 40 pour cent des
enfants soldats du monde sont des filles, et la plupart d’entre elles sont enrôlées de force
ou sous la contrainte.38 Ces filles, qui assument diverses responsabilités, du portage au
combat actif, sont également tenues de fournir des services sexuels à leurs supérieurs ou
à leurs camarades de combat. En Colombie, par exemple, les violences qui auraient été
commises contre les femmes et les filles par des groupes de guérilleros seraient
survenues, en grande partie, dans le cadre de recrutements forcés.39
Même les femmes et les filles qui rejoignent « volontairement » les rangs des forces
combattantes sont peu susceptibles d’anticiper à quel point elles seront exploitées
La violence peut également être utilisée dans le cadre du nettoyage ethnique, en
particulier lorsque les conflits sont déterminés par des dissensions raciales,
tribales, religieuses ou autres. Les viols publics en Bosnie, par exemple, servaient
à provoquer la fuite ou l’expulsion de communautés entières de musulmans.
Les corps en décomposition d’une femme et d’une fillette, victimes du génocide de 1994 au Rwanda.
« … lorsque vous regardiez, vous pouviez voir les preuves, même sur les squelettes blanchis. Les jambes pliées et écartées. Entre elles, une bouteille cassée, une branche
dure, et même un couteau. Quand les corps étaient encore frais, nous pouvions voir ce qui devait être du sperme sur les corps des femmes et des filles, et à proximité. Il y
avait toujours beaucoup de sang. Sur certains cadavres d’hommes, les organes génitaux avaient été amputés, mais de nombreuses femmes et jeunes filles avaient les seins
sectionnés et les organes génitaux crûment tailladés. Elles sont décédées dans une position de vulnérabilité totale, allongées sur le dos, les jambes pliées et les genoux
écartés. Ce sont les expressions de leur visage sans vie qui m’ont le plus anéanti, un mélange de choc, de douleur et d'humiliation. Durant de nombreuses années, après
mon retour, j’ai banni de mon esprit le souvenir de ces visages, mais ils sont revenus, bien trop distinctement. » (Extrait de J’ai serré la main du diable, du lieutenant-
général Roméo Dallaire, commandant des forces de la Mission des Nations Unies pour l'Assistance au Rwanda, 1993-1994.)
Photo : Mariella Furrer
Travnik, centre de la Bosnie, été 1993 - Des soldats du gouvernement bosniaque
s’avancent vers une femme musulmane muette de stupeur, assise au bord de la
route. Elle faisait partie d’un groupe de prisonniers musulmans retenus en captivité
par les Serbes de Bosnie. Le groupe avait été transféré à travers la ligne de front
pour rejoindre la zone contrôlée par le gouvernement quelques minutes seulement
avant que cette photo ne soit prise. Les prisonniers qui se trouvaient avec elle ont
dit qu’elle avait été violée.
Photo : Anthony Lloyd
La fuite
Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a estimé à 34 millions le
nombre total de personnes déplacées au cours des conflits armés de 2004 : 9,3
millions d’entre elles s’étaient réfugiées dans les pays voisins, et 25 millions s’étaient
déplacées à l’intérieur de leur propre pays.44 Selon le Secrétaire général des Nations
Unies, « On peut noter les différences d’impact des conflits armés sur les femmes et
les petites filles et leur vulnérabilité particulière à toutes les phases du déplacement.
»45
Au cours de la fuite, femmes et filles restent extrêmement exposées à la violence
sexuelle — infligée par des bandits, des groupes d’insurrection, des soldats de l’armée
ou des garde-frontière. De nombreuses femmes doivent fuir sans la protection
supplémentaire que leur apporteraient les hommes de leur famille ou de leur
communauté, ce qui les rend d’autant plus vulnérables. Pour « Tatiana », 17 ans,
originaire de RDC, les conséquences furent tragiques :
« Tatiana […] était enceinte de huit mois et demi lorsque son mari et son fils, un
petit garçon de deux ans, ont été tués à coups de machette par des membres d’une
milice irrégulière, en mai 2003. Lorsque la nouvelle a couru que cette milice allait
revenir dans le quartier de Bunia où elle vivait, elle a pris la fuite, en compagnie de
sa mère et de ses deux sœurs cadettes. Six jours plus tard, elles sont arrivées à un
barrage de contrôle mis en place par la milice. Comme la mère de Tatiana ne pouvait
pas payer les 100 dollars des États-Unis que les miliciens exigeaient, ces derniers
l’ont égorgée. L’une des sœurs de Tatiana, âgée de quatorze ans, a éclaté en sanglots
et a été immédiatement abattue d’une balle dans la tête. Son autre sœur, une fillette
de douze ans, a été emmenée dans une clairière voisine, où elle a été violée par
plusieurs hommes. Les miliciens ont ordonné à Tatiana de filer, si elle ne voulait pas
subir le même sort. Après six jours de marche, elle a accouché d’une petite fille. Bien
qu’elle ait perdu beaucoup de sang, elle a dû reprendre la route dès le lendemain. »
Par la suite, le bébé est mort.46
Sans argent ni autres ressources, les femmes et les filles déplacées peuvent se trouver
contraintes de se livrer à des rapports sexuels pour pouvoir circuler en sécurité,
obtenir de la nourriture, un asile ou encore d’autres ressources.47 Certaines se
dirigent vers les zones urbaines, peut-être en quête de la sécurité relative que procure
une forte densité de population ou dans l’espoir d’obtenir un emploi. Quelle que soit
leur motivation, les femmes et les filles
déplacées à l’intérieur de leur pays ou
réfugiées qui vivent en milieu urbain
risquent d’être exploitées par les résidents
locaux, notamment parce qu’elles sont
moins susceptibles que les populations des camps de bénéficier des programmes
d’aide et de protection mis en place par les gouvernements ou les organisations
humanitaires.
La violence sexuelle en temps de guerre 189
sexuellement. Selon les données recueillies en 2004 auprès de femmes participant au
programme de désarmement et de démobilisation mis en place au Libéria, 73 pour cent
des femmes et des filles avaient subi une quelconque forme de violence sexuelle.40 En
Ouganda, une ancienne enfant soldat de l’Armée de résistance nationale se souvient :
« On allait ramasser du bois, on portait des armes. Et pour les filles, c’était pire, parce
que [...] on servait de petites amies à des tas d’officiers différents. […] À la fin, c’était
comme si mon corps ne m’appartenait plus, comme s’il leur appartenait, à eux. C’est dur
d’être là, toute la journée, à se demander avec quel officier on va coucher le soir. »41 Un
récit semblable avait été recueilli auprès d’une jeune fille de 19 ans, associée
volontairement avec les Maoïstes au Népal : « Parfois, on est forcées de satisfaire une
douzaine [de miliciens] par nuit. Quand je suis allée dans une autre région pour travailler
pour le parti, j’ai dû coucher avec sept miliciens. C’était la pire journée de ma vie. »42
Certaines filles, réduites à l’esclavage sexuel par la force ou la contrainte, parviennent
parfois à échapper à leurs ravisseurs, avant d’être rattrapées. Ce fut le cas de Hawa,
16 ans, originaire de Sierra Leone :
« Il y avait environ 20 hommes. On a couru vers la brousse, mais j’ai été séparée de
ma famille. J’étais avec d’autres gens du village, et nous avons été capturés par les
rebelles et emmenés au Libéria. […] Au début, j’ai refusé de devenir une “épouse”,
mais j’ai dû accepter parce qu’il n’y avait personne pour me défendre, et personne ne
me donnait à manger, à part les rebelles. J’ai servi d’épouse pendant environ huit
mois. […] J’avais même pas eu mes premières règles. »
Hawa a fini par s’échapper. La fillette a marché trois jours durant à travers la brousse
jusqu’à arriver à une ville où elle a retrouvé ses parents. Lorsqu’ils sont retournés
ensemble dans leur village perdu, se souvient Hawa, « C’était très triste de […]
revoir mes sœurs parce que j’ai eu en quelque sort l’impression d’être victime de
discrimination parce que j’avais été violée ». Deux ans plus tard, Hawa a été capturée
de nouveau : « C’était un autre groupe : cette fois, j’étais toujours avec eux, la nuit,
en tant qu’épouse. »43
Hawa s’est échappée une seconde fois et a retrouvé sa famille. Pour beaucoup
d’autres femmes et filles qui tentent d’échapper aux périls de la guerre, la violence
sexuelle est une menace qui les suit à chaque pas — depuis leur fuite et leur
déplacement dans des camps ou d’autres sites, jusqu’à leur retour et leur réinsertion
au sein de leurs communautés d’origine.
« Parfois, on est forcées de satisfaire une douzaine [de miliciens] par nuit. Quand je suis
allée dans une autre région pour travailler pour le parti, j’ai dû coucher avec sept
miliciens. C’était la pire journée de ma vie »
190 La violence sexuelle en temps de guerre
Des Afghanes, réfugiées à Peshawar, une ville du Pakistan, ont raconté, par exemple,
qu’elles avaient été forcées de se livrer à des rapports sexuels en échange d’un
hébergement gratuit.48 En Colombie, le ministère de la Protection sociale a
rapporté, en 2003, que 36 pour cent des déplacées du pays avaient été forcées par
des hommes à avoir des relations sexuelles. Cette déclaration a ensuite été confirmée
par une étude, entreprise la
même année. L’étude avait
révélé que des déplacées vivant
dans des barrios à Cartaghène
ou aux alentours de la ville
avait subi davantage de violences physiques et sexuelles après leur déplacement.49
Les filles seules sont probablement parmi les plus vulnérables à l’exploitation
sexuelle. En 1999, une enquête menée par les autorités sierra-léonaises auprès de
plus de 2 000 prostituées avait révélé que 37 pour cent de ces jeunes femmes avaient
moins de 15 ans, et qu’une majorité d’entre elles avaient été déplacées par le conflit,
sans être accompagnées par leur famille.50
D’autres encore, qui tentent, elles aussi, d’échapper à la guerre, risquent de devenir la
cible des trafiquants. L’absence de contrôle à la frontière et d’un niveau normal de
maintien de l’ordre fait des pays en conflit des étapes de premier choix pour les
trafiquants : le conflit interne qui continue de sévir en Colombie est notamment à
l’origine d’un des réseaux de trafiquants les plus actifs de l’hémisphère occidental.
Selon les estimations du Département de sécurité colombien, 35 000 à 50 000 femmes
et filles sont tombées aux mains des trafiquants en 2000 ; la plupart d’entre elles ont
été envoyées en Asie, en Europe occidentale ou aux États-Unis.51 Le Myanmar,
également tourmenté par un conflit civil de longue date, enverrait chaque année en
Thaïlande, par le biais du trafic, quelque 40 000 femmes et filles, condamnées à
travailler dans des maisons closes et des usines, ou bien encore comme domestiques.52
Le déplacement vers les camps
Les camps pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays ou les réfugiés
risquent de n’offrir qu’une protection limitée contre la violence sexuelle. Les
travailleurs humanitaires ont désigné à maintes reprises le danger couru par les
femmes lorsqu’elles doivent s’aventurer bien loin des limites de leur camp en quête
de bois ou d’autres denrées de base qu’elles ne peuvent se procurer au camp. Selon
les conclusions de recherches entreprises il y a près de 10 ans auprès des réfugiés des
camps de Dadaab, au Kenya, plus de 90 pour cent des viols déclarés étaient survenus
dans ces circonstances.53 Toutefois, malgré ces preuves, établies de longue date, peu
d’efforts ont été consentis pour anticiper et éviter ce risque prévisible dans les camps
mis en place plus récemment.
Une Libérienne de 27 ans, qui avait été violée deux fois avant de chercher son salut
dans un camp de déplacés, relate ici les circonstances de son troisième viol, survenu
en 2003, un jour où elle avait quitté le camp pour chercher du bois :
« [Je suis tombée sur] trois soldats du gouvernement, ils étaient armés. L’un d’entre eux
m’a vue et m’a demandé où j’allais. Je lui ai répondu que j’étais venue chercher du bois.
Il m’a alors expliqué que pendant le reste de la journée, je serais à lui. J’étais effrayée.
Il m’a forcée à le suivre dans la brousse et m’a déshabillée. Puis il m’a violée. Quand je
me suis rhabillée, il m’a volé 50 dollars libériens que j’avais sur moi. […] Mon estomac
me fait beaucoup souffrir mais je n’ai pas d’argent pour aller me faire soigner. »54
Au Soudan, la tendance se maintient chez les femmes des camps, déplacées par le
conflit du Darfour. Toutefois, dans ce dernier cas, les multiples rapports d’un certain
nombre d’organisations internationales de défense des droits de la personne ont
récemment abouti à la prise de mesures destinées à renforcer le maintien de l’ordre
et la sécurité pendant le ramassage du bois.55 Pour beaucoup de femmes,
néanmoins, ces mesures de sécurité ont été prises trop tard.
Les femmes sont également exposées au viol dans les camps où elles séjournent ou
aux alentours, en particulier lorsque ceux-ci sont mal conçus ou mal administrés. Au
cours d’une enquête menée en 1996 auprès de réfugiées burundaises déplacées dans
un camp tanzanien, plus d’une femme sur quatre avaient déclaré avoir été violées
pendant le conflit, au cours des trois années précédentes ; deux tiers des viols étaient
survenus depuis leur déplacement, dans le camp ou à une distance réduite. La plupart
des violeurs étaient eux aussi réfugiés (59 pour cent). Venaient ensuite les résidents
locaux burundais (24 pour cent), les Tanzaniens, les soldats et les officiers de
police.56 Comme dans le cas du ramassage du bois, les militants et les humanitaires
dénoncent depuis plusieurs années la relation qui existe entre une conception
irréfléchie des camps et la violence à l’égard des femmes. Ils ont également présenté
des recommandations destinées à réduire la vulnérabilité de ces dernières.
Néanmoins, le problème persiste dans de nombreuses régions. Selon les conclusions
d’une évaluation des risques effectuée en 2004 dans sept camps de déplacés du comté
de Montserrado, au Libéria, différents facteurs contribuent à augmenter la
probabilité de violences sexuelles contre les femmes et les filles : des conditions de
surpeuplement, un éclairage insuffisant la nuit, une proximité excessive entre les
latrines et les douches des hommes et celles des femmes, ainsi qu’un accès insuffisant
ou inégal aux ressources.57 Au cours d’une étude réalisée dans le Nord de l’Ouganda,
toujours en 2004, une résidente d’un des nombreux camps de déplacés de la région
a confié aux chercheurs, « ici, les viols, c’est tout le temps […] dernièrement, une
femme a été harcelée par deux hommes qui lui ont tenu les jambes grandes ouvertes,
En 1999, une enquête menée par les autorités sierra-léonaises auprès de plus de 2 000 prostituées
avait révélé que 37 pour cent de ces jeunes femmes avaient moins de 15 ans, et qu’une majorité
d’entre elles avaient été déplacées par le conflit, sans être accompagnées par leur famille.
Un réfugié soudanais a été blessé par balle à l’épaule et à la jambe en défendant
ses filles contre les miliciens Janjawid qui tentaient de les violer. Par la suite, les
miliciens l'ont torturé en tirant sur une corde qu’ils avaient nouée autour de ses
testicules. L’omniprésence du viol en tant qu’arme de guerre exerce une pression
considérable sur les hommes des familles, qui souvent ne sont pas en mesure
d’empêcher de telles agressions.
Photographie prise à Goungour, au Tchad, en 2004.
Photo : Francesco Zizola/Magnum
D’anciennes victimes d’enlèvement se détendent au centre de réadaptation de
GUSCO ; certaines d’entre elles ont été pendant plusieurs années les travailleuses
forcées et les « épouses » des rebelles de l’Armée de résistance du seigneur, dans
le Nord de l’Ouganda. L’une des jeunes filles porte un bébé, tandis qu'une autre
parcourt un journal sur lequel on peut lire, en gros titre : « L’amour ne doit être ni
imposé, ni précipité, ni blessé. »
Photo : Sven Torfinn/OCHA
cas de violences sexuelles manigancées voire perpétrées par des agents de police ou de
sécurité locaux, une découverte sans surprise.63
Il est peut-être plus étonnant, en revanche, de constater à quel point les acteurs
humanitaires — ceux-là mêmes qui s’engagent à venir en aide aux victimes — ont
été impliqués dans les crimes sexuels commis contre les réfugiés et les déplacés. En
2002, un rapport publié conjointement par l’organisation Save the Children
(Royaume-Uni) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
contenait une série d’allégations formulées à l’encontre de 67 individus travaillant
pour 40 organismes d’aide, qui portaient secours aux réfugiés dans trois pays
d’Afrique de l’Ouest. Une jeune mère réfugiée avait déclaré aux chercheurs, « Je suis
obligée de coucher avec plein d’hommes pour gagner les 1 500 [GNF, soit 37
centimes de dollars US] dont j’ai besoin pour nous nourrir, moi et mon enfant. [Les
gens d’ici] me paient 300 (7 cents) à chaque fois, mais si j’ai la chance de tomber sur
un [travailleur humanitaire], je peux me faire 1 500 ». Une autre réfugiée a expliqué,
« Dans cette communauté, personne n’obtient de mélange maïs-soja-bourgou sans
avoir eu, au préalable, des rapports sexuels. »64 Chargée de donner suite à ces
allégations, une équipe de recherches soutenue par les Nations Unies a remis en
cause la véracité du rapport. Pourtant, de multiples cas d’exploitation sexuelle
imputés à des travailleurs humanitaires et survenus dans des camps au Kenya, au
Zimbabwe et au Népal, entre autres, ont, par la suite, continué d’attirer l’attention
sur la gravité de ce problème.65
Reconstruction ou exploitation ?
Certaines preuves portent à croire que la violence sexuelle ne s’achève pas
nécessairement après la cessation du conflit armé. En Irak, notamment, les cas de
viol se seraient multipliés de manière alarmante avec l’insécurité qui règne depuis la
fin de la guerre. En 2003, une victime du nom de « Dalal » a été enlevée et retenue
captive une nuit entière. Elle aurait été violée par quatre Irakiens qui, pense-t-elle, «
voulaient kidnapper n’importe qui […] pour obtenir ce qu’ils désiraient. »66 Dans
d’autres contextes post-conflit, si le nombre des cas de viol diminue, le risque d’être
pris au piège du trafic ou de la prostitution imposée par la force ou la contrainte est,
en revanche, susceptible d’augmenter. Aux Balkans, la prostitution et le trafic se sont
considérablement développés à la suite des guerres qui ont ravagé l’ex-Yougoslavie.
Les événements qui se déroulent dans cette région illustrent comment des criminels
peuvent se substituer aux factions combattantes pour continuer d’exercer des
violences sexuelles à l’égard des femmes et des filles. À cela s’ajoute enfin la présence
des forces de maintien de la paix, susceptibles de représenter une part non
La violence sexuelle en temps de guerre 193
ont observé ses parties génitales avec une lampe de poche et ont laissé un autre
homme la violer tandis qu’ils regardaient. »58
Une protection institutionnelle insuffisante
Tout comme le viol en temps de guerre, de tels actes de violence se multiplient dans
ces contextes d’impunité qui caractérisent bien souvent la vie des populations
déplacées. La situation est particulièrement terrible pour les personnes déplacées.
Bien qu’en 1998, les Nations Unies aient établi des principes directeurs concernant
la protection des populations déplacées, elles ne disposent pas encore d’un organe
spécialement mandaté pour leur assurer soins et protection. Bien que le Haut
Commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés intervienne de plus en plus
afin de combler cette lacune, il n’a pu,
en 2004, porté assistance qu’à 5,6
millions de déplacés dans le monde,
sur quelque 25 millions.59 Bien souvent, la prise en charge des déplacés est
principalement du ressort des autorités nationales, dont les ressources risquent
d’avoir été épuisées ou détournées par le conflit. Selon une évaluation de la santé
reproductive des réfugiés et des déplacés effectuée au niveau mondial par un groupe
de travail interorganisations, ce sont parmi les populations de déplacés que les
services de santé reproductive font le plus cruellement défaut. Parmi eux, les services
relatifs au traitement de la violence sexiste sont les moins développés.60
Pour les réfugiés, le scénario n’est sans doute pas bien meilleur. Dans bien des cas,
les représentants du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés chargés
de traiter la question de la violence sexiste sur le terrain ne sont pas assez nombreux.
Toutefois, même lorsqu’ils sont en nombre suffisant, la capacité du HCR à assurer
une protection durable contre la violence sexuelle dépend bien souvent de
l’engagement du pays d’accueil à traiter la question. Lorsque le gouvernement du
pays ou la communauté locale fait preuve d’hostilité, les réfugiés sont davantage
exposés à toutes formes de violence, y compris la violence sexuelle.
En 2000, au cours d’une déclaration, le président guinéen avait notamment accusé les
réfugiés libériens et sierra-léonais d’héberger des rebelles armés responsables d’attaques
contre la Guinée. A la suite de cela, femmes et filles réfugiées auraient été violées au cours
de représailles de masse, déclenchées par la police, les soldats et les civils guinéens.61 De
même, une cinquantaine de Burundaises réfugiées en Tanzanie auraient été attaquées, en
mai 1999, par plus d’une centaine de Tanzaniens, pour venger, semblait-il, la mort d’un
instituteur de la région.62 Des milliers d’Afghans résidant au Pakistan et de Birmans
vivant en Thaïlande ne se sont jamais vu accorder le statut officiel de réfugiés par les
autorités de leur pays d’accueil. De peur d’être rapatriés de force, ils risquent de ne jamais
déclarer aux autorités locales les violences sexuelles qui leur sont infligées. Enfin, au
Pakistan comme en Thaïlande, les femmes et les filles réfugiées ont évoqué de nombreux
Il est peut-être plus étonnant, en revanche, de constater à quel point les acteurs humanitaires
— ceux-là mêmes qui s’engagent à venir en aide aux victimes — ont été impliqués dans les
crimes sexuels commis contre les réfugiés et les personnes déplacées.
négligeable de la demande locale : celles-ci ont en effet été mises en cause pour avoir
eu recours aux travailleuses du sexe dans divers pays tels que la Bosnie-Herzégovine,
la Sierra Leone, le Kosovo, Timor Leste et la République démocratique du Congo.
Dans bien des cas, le risque encouru par les femmes et les filles de tomber entre les
mains des exploiteurs sexuels est accentué par les programmes de reconstruction qui
ne ciblent pas spécifiquement leurs besoins ou ne luttent pas contre certaines
traditions patriarcales anciennes, discriminatoires à l’égard des femmes. Après le
génocide rwandais, par exemple, les lois relatives à l’héritage empêchaient les
survivantes, femmes et filles, de prendre possession des biens des hommes de leurs
familles ayant trouvé la mort, à moins qu’elles n’aient été explicitement désignées
comme bénéficiaires. En conséquence, des milliers de femmes se sont trouvées dans
l’incapacité de revendiquer légalement leurs domiciles et leurs terres.67 Ces femmes
démunies, qui retournent dans leurs communautés sans famille ni ressources,
risquent davantage d’être prises au piège du commerce du sexe.
Triste ironie du sort, les femmes et les filles victimes de violence sexuelle en période
de conflit sont probablement les plus vulnérables à toute nouvelle exploitation en
contexte d’après-guerre. Certaines victimes de viol risquent d’être rejetées par leur
famille et leur communauté pour avoir « perdu leur valeur. »68 En 2003, au Burundi,
des femmes victimes de viol ont confié aux chercheurs qu’elles « avaient été l’objet de
sarcasmes, d’attitudes humiliantes et même d’un rejet de la part de femmes de leurs
familles, de camarades de classe, d’amies ou de voisines, qui leur reprochaient
l’agression qu’elles avaient subie. »69 Les femmes violées risquent d’être abandonnées
par leurs maris, qui craignent de contracter le sida ou ne peuvent tout simplement pas
tolérer le « déshonneur » qu’elles feraient rejaillir sur eux. Sans perspective d’avenir,
ces femmes peuvent voir en la prostitution leur seule option viable.
Les sévices subis par d’autres femmes et filles peuvent également atténuer, à leurs yeux,
les dangers auxquels elles s’exposeraient en se livrant au commerce du sexe. En Sierra
Leone, une jeune fille, enlevée par des rebelles, s’est volontairement livrée à la
prostitution après avoir été libérée par ses ravisseurs. Elle se serait déclarée « chanceuse
d’être désormais payée. »70 Au Rwanda, une séropositive de Kigali évoquait ainsi la
résignation de sa sœur : « Après la guerre, nous avons vu que notre famille était
décimée… Ma petite sœur dont je m’occupe est en quelque sorte une prostituée parce
qu’elle n’a pas d’argent. Elle dit qu’elle continuera cette activité même si elle devient
séropositive. Elle dit qu’elle voit ma santé se dégrader et qu’elle veut goûter à la vie
avant de mourir. »71 Le mépris de son propre bien-être n’est que l’un des nombreux
effets potentiellement destructeurs de la violence sexuelle sur les victimes.
194 La violence sexuelle en temps de guerre
Conséquences sur la victime
La violence sexuelle contre les femmes en période de guerre et d’après-guerre peut
avoir des conséquences sanitaires négatives quasiment incalculables, à court et à
long terme. Au vu des viols collectifs, systématiques et d’une violence
exceptionnelle, de milliers de femmes et de filles congolaises, les médecins exerçant
en RDC considèrent aujourd’hui la « destruction vaginale » comme un crime de
combat. Nombre de victimes souffrent de fistules traumatiques — déchirement des
tissus entre le vagin et la vessie ou le rectum.72 Les victimes risquent également de
souffrir d’autres complications médicales à long terme : prolapsus utérin (descente
de l’utérus dans le vagin ou au-delà) et autres troubles graves du système
reproducteur (tels que la stérilité), complications liées aux fausses-couches et
avortement provoqué.73 Par ailleurs, les victimes sont aussi particulièrement
exposées aux infections sexuellement transmissibles. En 2003, les cliniques
médicales de Monrovia, au Libéria, ont rapporté que toutes leurs patientes — dont
la plupart affirmaient avoir été violées par des soldats de l’ancien gouvernement ou
des membres de l’opposition armée — avaient contracté au moins une infection
sexuellement transmissible.74 Non traitées, ces infections peuvent provoquer la
stérilité — une conséquence dramatique pour les femmes et les filles, dans des
cultures où leur valeur dépend de leur capacité de reproduction. En outre, les
infections sexuellement transmissibles augmentent le risque de transmission du VIH.
Le VIH/sida figure parmi les conséquences les plus dramatiques de la violence
sexuelle sur la santé physique des victimes — comme l’attestent les souffrances
continues des femmes, au Rwanda. Une enquête avait été menée en 2000 auprès de
plus de 1 000 femmes, dont les maris avaient trouvé la mort au cours du génocide :
parmi elles, soixante-sept pour cent des victimes de viol étaient séropositives. La
même année, le Secrétaire Général des Nations Unies avait
déclaré : « de plus en plus, les conflits armés favorisent la
propagation du VIH/sida, que les troupes en campagne
répandent dans leur sillage. »75 Bien que l’urgence du
problème posé par le VIH/sida en temps de guerre soit pleinement reconnue, les
ressources mobilisées pour y remédier sont insuffisantes. Au Rwanda comme ailleurs,
les traitements disponibles pour les victimes de viols ayant contracté le VIH « sont
insuffisants et arrivent trop tard. »76 L’histoire de cette femme séropositive, victime
du génocide, illustre les conséquences tragiques de ce problème :
« Depuis que j’ai appris que j’étais infectée [en 1999], mon mari a dit qu’il ne pouvait
plus vivre avec moi. Il a divorcé et m’a laissée avec trois enfants. Maintenant, je
n’arrive pas à payer la nourriture, le loyer, l’école, et tout le reste. Je n’ai plus de
famille. Ma petite fille de six ans a beaucoup de problèmes de santé, et elle doit avoir
le VIH. Elle devrait prendre des anti-rétroviraux, mais nous n’avons pas assez
d’argent. Comme je me suis mariée après la guerre, je peux difficilement obtenir de
l’aide du Fonds des rescapés du génocide. Ma plus grande préoccupation, ce sont
mes enfants : qu’est-ce qui leur arrivera si je meurs ? Je veux leur trouver des parrains,
comme ça, je pourrai au moins mourir en paix. »77
« De plus en plus, les conflits armés favorisent la propagation du VIH/sida, que
les troupes en campagne répandent dans leur sillage. »
Des jeunes filles récemment libérées attendent d’être soignées pour leurs
blessures aux pieds à l'hôpital St Joseph de Kitgum ; elles avaient été contraintes
de faire office de porteuses et d’« esclaves » domestiques pour le compte de
l’Armée de résistance du seigneur, qui sévit dans le Nord de l'Ouganda. Elles font
partie des dizaines de milliers d’enfants qui ont été, et continuent d’être, enlevés et
mis au service des rebelles. Durant les vingt années qu’a duré le conflit, femmes et
jeunes filles ont été vulnérables aux agressions physiques et aux sévices sexuels,
perpétrés non seulement par les rebelles mais également par les soldats du
gouvernement.
Photo : Sven Torfinn/OCHA
En 2002, cette femme a été la victime des
forces rebelles du Front révolutionnaire uni
(RUF). En Sierra Leone, ainsi qu’au Libéria
voisin, le RUF a amputé les bras et les
mains des civils pour intimider les
communautés et semer la terreur. Même si
la paix règne aujourd'hui dans la région,
des milliers d’hommes, de femmes et
d’enfants vivent avec le souvenir
irréparable de ces tactiques brutales.
Photo : Brent Stirton
La violence sexuelle en temps de guerre 197
Répondre aux innombrables besoins sanitaires des victimes d’agressions sexuelles liées
à la guerre est d’autant plus difficile que bien des régions ravagées par la guerre ne
disposent pas de personnel qualifié ni d’infrastructures adéquates. Au cours de
recherches menées à Timor-Leste et au Kosovo, en période d’après-guerre, et chez les
déplacées en Colombie, plus des deux tiers des femmes interrogées ont déclaré qu’il
leur était difficile d’obtenir des services de santé reproductive.78 Même lorsque de tels
services sont dispensés, ils ne sont pas toujours gratuits — comme c’est le cas dans de
nombreux pays d’Afrique, où les centres de santé publics appliquent une politique de
recouvrement des coûts. De surcroît, de nombreuses cliniques médicales comprennent
des salles d’attente ouvertes où les femmes et les filles peuvent être tenues d’exposer les
raisons qui les poussent à demander un traitement ; sans confidentialité, elles risquent
de dissimuler les sévices subis. Par ailleurs, la conviction des travailleurs de la santé qu’il
leur incombe « de prouver ou d’infirmer » le viol constitue, elle aussi, un facteur
limitatif influant sur la qualité des soins prodigués. Dans certains pays, les femmes qui
demandent un traitement médical peuvent être tenues, au préalable, de déclarer leur
cas à la police avant d’être orientées vers un centre médical. Cette condition elle-même
risque de les exposer à de nouvelles violences.
Au Darfour, par exemple, les victimes de viol sont arrêtées pour grossesse « illégale
» (survenue hors des liens du mariage). Une jeune Soudanaise de 16 ans, déjà rejetée
par sa famille et son fiancé, a enduré les maltraitances supplémentaires de la police :
« Alors que j’étais enceinte de huit mois des suites du viol, des policiers sont venus à
ma case et m’ont forcée à les accompagner au commissariat, en me menaçant avec
leurs armes. Ils m’ont posé des questions, alors je leur ai dit que j’avais été violée. Ils
m’ont dit que je n’étais pas mariée, et que j’allais donc mettre au monde le bébé
illégalement. Ils m’ont battue avec un fouet sur la poitrine et le dos, puis ils m’ont
jetée en prison. Là-bas, il y avait d’autres femmes qui avaient vécu la même
expérience. Pendant la journée, on devait marcher jusqu’au puits quatre fois pour
amener de l’eau aux policiers. On devait aussi faire le ménage et la cuisine pour eux.
La nuit, j’étais dans une petite cellule avec 23 autres femmes. Je n’avais pas de
nourriture, à part ce que je pouvais trouver en travaillant pendant la journée. Et l’eau
que je buvais, c’était celle du puits. Je suis restée 10 jours en prison et maintenant, je
dois payer l’amende qu’ils réclament — 20 000 dinars [65 dollars américains].
Aujourd’hui, mon enfant a deux mois. »79
Pour celles qui font l’objet d’une discrimination au sein de leur famille et de leur
communauté, et qui, de surcroît, ne reçoivent aucun soutien psychologique de base,
les conséquences émotionnelles des violences subies peuvent être tout aussi
débilitantes que toute blessure physique. Au Rwanda, nombre de victimes de viols
vivraient « encore en permanence sous le spectre de la douleur ou de la gêne, qui
réduit leur capacité à travailler, à s’occuper de
leur famille et à subvenir aux besoins de celle-ci
».80 Pendant le génocide, l’une de ces femmes
a été victime d’un viol collectif avant d’être
battue jusqu’à perdre connaissance ; elle est
ensuite revenue à elle juste à temps pour assister à un massacre qui se déroulait tout
autour d’elle. Dix ans plus tard, elle confie :
« Je regrette de n’être pas morte ce jour-là. Aujourd’hui, ces hommes et ces femmes
qui sont morts reposent en paix. Mais moi, je suis toujours là, pour souffrir encore
plus. Je suis handicapée, au sens propre du terme. Je ne sais pas comment l’expliquer.
Je regrette d’être en vie parce que j’ai perdu le goût de vivre. Nous les victimes, nous
avons mal au cœur. Nous vivons dans une situation qui nous accable. Nos blessures
deviennent plus profondes encore, avec chaque jour qui passe. Nous sommes
continuellement en deuil ».81
Les implications d’un tel témoignage mettent en évidence l’importance des
programmes destinés à aider les victimes : ceux-ci sont en effet indispensables pour
reconstruire de manière viable les vies des individus, des familles et des
communautés et rétablir durablement leurs moyens de subsistance, dans le sillage du
conflit armé. Néanmoins, dans la plupart des pays en conflit, les humanitaires et les
défenseurs des droits de la personne luttent aujourd’hui encore pour assurer que les
victimes puissent accéder aux services les plus élémentaires. Le but ultime — mettre
fin à l’épidémie de violence sexuelle contre les femmes et les filles en période de
guerre — semble encore plus difficile à atteindre que la mise en place de services
adéquats de prise en charge.
Aider et protéger les victimes
L’action que mène la communauté internationale pour lutter contre la violence à l’égard
des femmes parmi les réfugiés, les déplacés, et à la suite de conflits est relativement
récente. La plupart des initiatives ont été prises au cours des dix dernières années
seulement. À la fin des années 1990, notamment, un certain nombre de programmes
ont été mis en place dans différentes régions du monde ; ces programmes, établis à une
échelle relativement réduite, n’en étaient pas moins essentiels. Les leçons tirées de ces
efforts ont permis d’établir un modèle théorique, actuellement soutenu par différents
organismes, notamment le Haut Commissariat pour les réfugiés. Ce modèle reconnaît
l’importance d’intégrer des programmes de prévention et de prise en charge dans et
entre les secteurs de prestation de services, et particulièrement dans les domaines de la
santé, de l’aide sociale, de la sécurité et de la justice.82 En d’autres termes, les victimes
doivent avoir accès à des soins médicaux ainsi qu’à une aide psychosociale ; elles
devraient pouvoir compter sur la protection de la police, des forces de maintien de la
« Je regrette d’être en vie parce que j’ai perdu le goût de vivre. Nous les victimes, nous
avons mal au coeur. Nous vivons dans une situation qui nous accable. Nos blessures
deviennent chaque jour plus profondes. Nous sommes continuellement en deuil. »
paix et de l’armée ; enfin, elles sont en droit d’obtenir une aide juridique, si elles
décident de poursuivre en justice leurs agresseurs. Pour lutter contre la violence
sexuelle, il faut également assurer un système d’éducation nationale et de
sensibilisation — à l’échelle de la famille et de la communauté ainsi qu’auprès des
prestataires de services — afin que les médecins, les avocats, les juges et la police
soient en mesure de prendre en charge les victimes de manière efficace et en leur
apportant le soutien dont elles ont besoin. Enfin, il est indispensable de plaider pour
une amélioration de la législation en vue de protéger les femmes et les filles, ainsi que
pour la mise en place de politiques qui favorisent l’égalité des sexes.
La définition générale des rôles et des responsabilités de chacun figurant dans ce «
modèle multisectoriel » fournit un cadre général pour la lutte contre la violence à
l’égard des femmes. Pourtant, selon les conclusions d’une évaluation réalisée en
2001, ce modèle est peu appliqué dans presque toutes les régions en conflit du
monde.83 D’après ladite évaluation, le premier obstacle à la mise en place de
programmes multisectoriels tiendrait au fait qu’on ne donne pas priorité — ni au
niveau national ni au niveau international — à la lutte contre la violence à l’égard des
femmes, source de préoccupation majeure en matière de santé et de respect des
droits de la personne. En conséquence, il était fait état d’un manque de ressources
financières, techniques et logistiques, indispensables pour s’attaquer au problème.
L’évaluation de 2001 révélait en outre que de nombreuses victimes n’obtenaient pas
l’aide dont elles avaient besoin et qu’elles méritaient, et que la prévention de ces
violences ne recevait pas toute l’attention voulue. L'année suivante, une enquête
avait été menée par des experts indépendants, sous l’égide du Fonds de
développement des Nations Unies pour la femme. Les experts avaient conclu, se
faisant l’écho des résultats de l’évaluation : « le niveau de protection des femmes
victimes de conflits brille par son insuffisance, tout comme la réaction de la
communauté internationale. »84
Ces lacunes persistent, aujourd’hui encore. Toutefois, de plus en plus d’initiatives sont
mises en oeuvre sur le terrain pour lutter contre la violence sexuelle envers les femmes
et les filles, et ce malgré un manque de financement accablant. De nombreuses
organisations humanitaires parfont leur méthodologie pour tenter de déployer et
d’améliorer les services proposés aux victimes, ainsi que pour renforcer la capacité des
organismes locaux à s’occuper de ce problème. De plus en plus de régions adoptent des
procédures standardisées de gestion médicale des viols. En outre, des modules de
formation ont été élaborés pour renforcer la capacité des entités locales à répondre aux
besoins psychosociaux des victimes. Enfin, diverses démarches sont entreprises – de
façon plus manifeste au lendemain de conflits mais aussi dans certains camps de
198 La violence sexuelle en temps de guerre
réfugiés – pour encourager l’adoption de réformes législatives qui permettraient de
mieux protéger les femmes et les filles contre diverses formes de violence.
Les programmes éducatifs mis en place à l’échelle de la communauté et visant à modifier
les attitudes et les comportements qui favorisent les violences, sexuelles et autres, envers
les femmes, sont répandus dans un certain nombre de zones. Les recherches sur la
nature et l’étendue du problème se sont également multipliées au cours des dernières
années, de sorte qu’elles exercent une pression sur les acteurs internationaux comme sur
les pays pour les inciter à prendre des mesures plus radicales en vue de lutter contre la
violence envers les femmes en situation de conflit et de post-conflit.
En outre, plusieurs initiatives internationales de haut niveau sont actuellement en
cours en vue d’encourager les organisations d’aide humanitaire à mettre en œuvre
une action plus coordonnée et plus globale. De nouvelles lignes directrices ont été
présentées par un groupe de travail du Comité permanent interorganisations des
Nations Unies. Elles contiennent des recommandations détaillées, relatives au
niveau minimum d’action requis pour faire face à la violence sexuelle en situation
d’urgence. Par ailleurs, elles engagent l’ensemble des acteurs humanitaires à lutter
contre ce problème dans leurs domaines d’action
respectifs. En janvier 2005, le Comité permanent
interorganisations a publié un communiqué pour
confirmer, une nouvelle fois, son engagement en
faveur d’une « action urgente et concertée,
destinée à prévenir la violence sexiste, et notamment la violence sexuelle, en assurant
des soins et un suivi adéquats aux victimes, et en s’efforçant de tenir les agresseurs
pour responsables de leurs actes. »85
Dans cette optique, une initiative mondiale destinée à « mettre un terme au viol en
temps de guerre » est actuellement mise au point de concert par différents organes des
Nations Unies et plusieurs organisations non-gouvernementales. Les deux priorités de
cette initiative consistent à mettre en place une campagne de sensibilisation aux
niveaux local, régional et international, et à renforcer les programmes de lutte contre
la violence sexuelle en situation de conflit. L’un des résultats notables de l’initiative
proposée sera de réduire de 50 pour cent au moins le nombre de viols dans les pays-
cibles, d’ici à l’an 2007. De telles ambitions exigeront une « modification considérable
» des approches employées pour lutter contre la violence sexuelle en temps de guerre
: il faudra tout particulièrement donner priorité à toutes les démarches entreprises pour
venir à bout de l’impunité alarmante à l’origine de « l’ampleur consternante et de la
persistance tenace » de cette forme de violence.86
Venir à bout de l’impunité : la dernière étape
Au cours de la dernière décennie, outre une augmentation du nombre de programmes
mis en place sur le terrain, des avancées considérables ont été constatées en matière
Au cours de la dernière décennie, […] des avancées considérables ont été constatées
en matière de normes internationales et de systèmes de responsabilité destinés à
sanctionner les auteurs de violences sexuelles.
Des jeunes filles discutent dans le dortoir du centre de réadaptation de
GUSCO, dans le Nord de l’Ouganda. La plupart des anciennes victimes
d’enlèvement du centre ont été réduites à un état de quasi-esclavage par
l’Armée de résistance du seigneur (LRA), un groupe rebelle, et forcées à
avoir des relations sexuelles avec les combattants. « Cecilia », 20 ans
(qui n’apparaît pas sur la photo), a été enlevée dans une école
secondaire de Pader à l’âge de 15 ans et a passé cinq ans en captivité.
Elle se trouve aujourd’hui au centre de réadaptation de Kitgum.
« J’ai été donnée à John Okech, l’un des commandants supérieurs de
[Joseph] Kony [chef du LRA]. J’étais sa quatrième femme. Peu de temps
après, il a amené quatre autres jeunes filles. Elles devaient devenir ses
femmes dès qu’elles seraient un peu plus âgées. En attendant, elles
devaient garder les enfants de ses autres femmes. Lorsque le mari qu'on
vous donne est commandant, on attend de vous que vous rapportiez de
la nourriture. On vous donne également une arme à feu, et on s’attend à
ce que vous vous battiez. J’étais souvent choisie pour participer aux
patrouilles.
« Je suis tombée enceinte début 2002, au moment où Kony prévoyait
une attaque de l’UPDF [Forces de défense du peuple ougandais] sur nos
bases au Soudan. En juin, l’ensemble du groupe avait discrètement
regagné l’Ouganda, et se cachait dans les monts Imatong. Cette période
a été la plus difficile pour les captifs. Mon mari a pris part à l’attaque
d’Anaka [un village du district de Gulu]. Il a été blessé par balle à la
poitrine par l’UPDF. Il est mort quelques jours plus tard. J’ai donné
naissance à un petit garçon, mais il est mort au bout d’un mois.
« J’ai été libérée après la mort de mon mari. Je suis rentrée de la
brousse il y a quelques jours seulement. Je suis toujours hantée par
d'effrayants cauchemars. Je ne rêve que d'une chose, que je suis
toujours dans la brousse. J’entends des enfants pleurer. Je rêve qu’on
nous attaque, ou qu’on est au combat, ou bien qu’on marche pendant
des jours dans un désert brûlant, sans eau ni nourriture. Je suis
heureuse d'être rentrée, mais je n’ai plus d’espoir de retourner à l’école.
J’ai entendu que toute ma famille avait été déplacée. Ils sont dispersés
dans les camps du district ».
[Extrait de When the sun sets, we start to worry… Un récit de vie dans le
Nord de l’Ouganda publié en 2003 par le Bureau de la coordination des
affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) et le Réseau intégré
régional d’information (IRIN).]
Photo : Sven Torfinn/OCHA
En raison de l’insécurité constante qui règne dans le Nord de l'Ouganda, plus de 1,6 millions de personnes vivent actuellement dans plus de 200 camps pour personnes déplacées à
l’intérieur de leur pays. Les personnes qui séjournent dans les camps racontent que la vie de déplacés a des conséquences très néfastes sur leur société. Parmi les signes de
l’effondrement social, citons le degré élevé de promiscuité, la toxicomanie, les relations sexuelles non protégées et le nombre croissant de filles-mères. Étant donné que ces personnes
restent de plus en plus longtemps dans les camps, ce qu'il leur reste de dignité est progressivement détruit. D’après les chefs des camps, certaines personnes âgées finissent par perdre
l’esprit, méprisées par une jeunesse traumatisée et contraintes d’assister, impuissantes, au bouleversement de leur société sous l’effet de la violence et de la peur.
Dans les foyers tenus par des femmes, les difficultés sont encore plus grandes. D’après une femme du nom de « Risper », au camp de Kitgum, les résidents qui dorment dans leurs huttes
sont gravement menacés. Risper, dont le mari, atteint du sida, est décédé en 2003 d’une maladie opportuniste, élève seule ses trois enfants. La plus jeune, âgée de deux ans, est
gravement malade. Risper n’a pu trouver personne pour l’aider à construire sa hutte. « Ils veulent tous de l'argent », a-t-elle expliqué. Alors qu’une journée aurait suffi, Risper y travaille
depuis des jours. « Je ne suis pas assez forte pour terminer le travail rapidement », dit-elle. « Et puis, j’ai d’autres responsabilités. » Après avoir travaillé à la construction de sa maison,
elle a dû préparer le repas de ses enfants, le seul de la journée. Elle disposait, pour seuls ingrédients, d’une tasse de farine de sorgho et de quelques légumes verts. « Nous allons
manger, puis chercher un endroit pour dormir », a-t-elle expliqué. « Nous ne dormons pas dans nos huttes. »
Photo : Sven Torfinn/OCHA
La violence sexuelle en temps de guerre 201
de normes internationales et de systèmes de responsabilité destinés à sanctionner les
auteurs de violences sexuelles. Devant les Tribunaux pénaux internationaux pour le
Rwanda et l’ex-Yougoslavie, les actes de violence sexuelle sont jugés en tant que
crimes de génocide, actes de torture, crimes contre l’humanité ou encore crimes de
guerre. Selon le Statut de Rome, traité fondateur de la Cour pénale internationale
(CPI), une institution récente, le viol, le trafic et l’esclavage sexuels, la prostitution, la
grossesse et la stérilisation forcées ainsi que d’autres formes de violence et de
persécution sexuelles constituent des crimes contre l’humanité et des crimes de
guerre. La CPI ouvrent à l’heure actuelle plusieurs enquêtes pour faire la lumière sur
divers cas survenus dans plusieurs pays touchés par les conflits.
Autre avancée révolutionnaire : l’adoption, en 2000, par le Conseil de sécurité des
Nations unies, de la résolution 1325, qui demande spécifiquement « à toutes les
parties à un conflit armé de prendre des mesures particulières pour protéger les
femmes et les petites filles contre les actes de violence sexiste, en particulier le viol
et les autres formes de sévices sexuels, ainsi que contre toutes les autres formes de
violence dans les situations de conflit armé ».87 Depuis lors, le Secrétaire général
des Nations unies a soumis au Conseil de sécurité deux rapports sur la mise en
application de la résolution 1325. Selon ces rapports, il reste fort à faire : il faut
notamment faire en sorte que les Etats soient tenus responsables des actes des forces
combattantes et augmenter le
niveau de participation des
femmes à chaque étape du
processus de consolidation de
la paix. Toutefois, les rapports
indiquent également que
plusieurs avancées majeures
ont été réalisées avec la mise en application de codes de conduite qui établissent une
« tolérance zéro » pour tous les membres du personnel des Nations unies, y compris
les Casques bleus, susceptibles d’exploiter sexuellement celles-là mêmes à qui ils sont
censés apporter leurs services. Depuis que ces codes de conduite ont été mis en
application, des mesures ont été prises à l’endroit des contrevenants dans un certain
nombre de pays. En RDC, par exemple, une enquête a été ouverte pour faire la
lumière sur des allégations d’exploitation sexuelle proférées à l’encontre de plus de
100 Casques bleus.
Toutefois, de graves problèmes d’impunité persistent dans presque toutes les régions
touchées par les conflits dans le monde. Les tribunaux internationaux ne peuvent
juger qu’un petit nombre d’affaires, et de nombreux gouvernements nationaux n’ont
pas les ressources ni la volonté d’engagement voulues pour poursuivre en justice les
auteurs de crimes sexuels contre les femmes. Dans certains cas, les sévices infligés
par des forces de combat étrangères sur le territoire de l’État ne relèvent pas de la
compétence des autorités nationales. Dans d’autres, les gouvernements font peu
d’efforts pour encourager les victimes à se manifester : les prescriptions relatives à la
preuve font souvent peser la charge de la preuve sur ces dernières, dont certaines
doivent, par ailleurs, financer elles-mêmes leur assistance juridique. En outre,
lorsqu’un examen médico-légal est requis, les prestataires de santé doivent être en
mesure d’en recueillir les résultats à temps et être préparés à présenter ces résultats
lors du procès. Enfin, la police ou les forces de sécurité concernées doivent être
formées à enquêter et à formaliser leurs constatations par écrit comme il se doit. Aux
quatre coins du monde, pour de nombreuses victimes de crimes sexuels en situation
de conflit, la réalité frustrante est qu’aucun système n’a été mis en place pour leur
assurer la protection la plus élémentaire, et encore moins leur donner accès à la
justice.
Une telle impunité reflète et renforce les normes culturelles répandues qui tolèrent
l’inévitabilité de la violence contre les femmes et les filles, en période de paix comme
en temps de guerre. Ce sont ces normes qui doivent être combattues avec la plus
grande vigueur afin d’assurer une baisse du degré de maltraitance : « Dans un monde
où les crimes sexuels sont bien souvent considérés comme de simples délits quand
l’ordre public est respecté, le viol ne saurait certainement pas être perçu comme un
crime grave en période de guerre, lorsque toutes les règles qui régissent les
interactions humaines sont bouleversées, et que les auteurs des actes les plus
ignobles reçoivent régulièrement des éloges. […] Ce qui importe le plus, c’est que
nous conjuguions la reconnaissance récente du rôle du viol en temps de guerre à la
reconnaissance suivante : le seuil de tolérance de l’humanité à la violence sexuelle
n’est pas établi par les tribunaux internationaux après la guerre. Ce point de repère
est établi par les sociétés, en temps de paix. Les règles de la guerre ne pourront
jamais véritablement changer tant que les agressions violentes perpétrées contre les
femmes seront tolérées dans la vie de tous les jours. »88
Dans un monde où des milliers de femmes et de filles se voient infliger des violences
sexuelles en toute impunité en période de conflit, le message doit être clair : chaque
viol est un crime de guerre. n
…de graves problèmes d’impunité persistent dans presque toutes les régions touchées par les
conflits dans le monde. Les tribunaux internationaux ne peuvent juger qu’un petit nombre d’affaires,
et de nombreux gouvernements nationaux n’ont pas les ressources ni la volonté d’engagement
voulues pour poursuivre en justice les auteurs de crimes sexuels contre les femmes.
202 La violence sexuelle en temps de guerre
« Helena », 25 ans, a été violée par un soldat à Sake, en République démocratique du Congo. Sa fille « Fara », l’enfant du viol, est
âgée de deux ans et demi.
« Une nuit, alors qu’on m’avait envoyée acheter du sel, un groupe de soldats qui traînaient près du marché m’ont attrapée. Ils m’ont entraînée près de là, dans une maison
abandonnée où ils violaient régulièrement les personnes qu'ils enlevaient au marché. Ils étaient 10 hommes, dont l’un m’a violée. Il m’a jetée par terre et m’a battue, avec l’aide
des autres. J’ai dit à l’homme que je n’étais qu’une enfant et que je ne voulais pas faire ces choses-là, mais il a simplement continué. J’ai eu très mal au ventre. Ils m’ont ensuite
emmenée de force à Kimbumba, à 30 kilomètres de Goma, où il m’a gardée une semaine avant d’être envoyé au combat. On m'a laissée là, enceinte de lui. Mes parents
pensaient que j’avais disparue, donc ils m’ont accueillie à la maison à bras ouverts lorsque je suis rentrée. Mais j’ai beaucoup de problèmes : je dépends de ma mère pour la
nourriture, mais parfois, nous ne mangeons rien du tout. Je me sens rejetée par la société à cause de ce qui est arrivé. »
L’histoired’Helena
Photos : Georgina Cranston/IRIN
« Elizabeth » et sa fille de quatre ans ont été sauvagement violées et battues par six
miliciens près de chez elles à Masisi, en République démocratique du Congo. Sa fille
a été emmenée par leurs agresseurs, et son fils, bébé qu'Elizabeth portait dans le dos
pendant le viol, est décédé peu après. Grâce au soutien psychologique de Doctors
On Call Services (DOCS), Elizabeth a pu entamer le processus de guérison.
« Désormais, je me sens prête à raconter mon histoire. Avant d'être violée, j’avais
déjà perdu mes deux parents, tués pendant la guerre, comme de nombreux membres
de ma famille. En fait, mes trois s?urs sont veuves car leurs maris ont tous été tués.
« Un matin de novembre 2004, je suis allée chercher de la nourriture dans les
champs avec deux de mes enfants. Ma fille de quatre ans et moi portions des paniers,
mais mon fils était encore bébé, donc je le portais sur le dos. Nous allions dans notre
shamba [verger-potager] à 15 kilomètres de là pour chercher des bananes, des
plantains et des ananas, lorsque les miliciens ont surgi en face de nous, et derrière
nous. Les six hommes nous ont éloignés du chemin pour nous entraîner vers le
champ le plus proche et nous ont noué les mains dans le dos, à moi et à ma fille. Ils
ont commencé à nous battre avec leurs armes ; ils ont aussi battu mon bébé et lui ont
donné des coups de pieds. Aujourd’hui encore, je ressens une douleur intense même
lorsque je porte un tout petit seau.
« Alors qu’ils étaient en train de me battre, je suis tombée par terre, mon bébé
toujours sur le dos. C’est là qu’ils m’ont enlevé ma jupe et se sont mis à me violer ;
mon bébé est resté dans mon dos tout du long. C’était impossible de résister, nous
ne pouvions même pas faire le moindre bruit. J’ai été violée par trois hommes, et ma
fille en même temps par les trois autres, elle était couchée par terre à côté de moi.
Pendant que l’un d’entre eux nous violait, les deux autres pointaient leurs armes et
nous maintenaient à terre avec leurs pieds. Dès que l’un avait terminé, le suivant
prenait le relais. Je me sentais totalement inutile ; nous ne pouvions absolument pas
crier, ils nous auraient tuées. Lorsque ça s’est terminé, ils ont emmené ma fille avec
eux. Je ne l’ai pas revue depuis.
« J’ai eu des douleurs si terribles au ventre, au vagin et au dos qu’ils sont partis en me
croyant morte. Je ne pouvais que ramper, et j’ai rampé à travers la brousse pendant
trois jours. Ils avaient pris tout ce que j'avais, j’étais donc complètement nue. Je me
suis couvert le corps de feuilles, et j'ai porté mon bébé, qui était très malade. Il avait
été très violemment battu et lorsque je suis tombée par terre, j’ai atterri sur lui. Il est
mort une semaine après l’agression.
« Des gens m’ont croisée dans la brousse et je les ai envoyés chercher ma s?ur. Elle
m’a ramenée à Masisi, où j’ai découvert que ma maison avait été pillée le jour même
L’histoire d’Elizabeth
du viol. Ils avaient tout pris. J’étais restée amie avec mon mari, qui était remarié et
vivait à Mweso avec sa nouvelle femme, mais après le viol, il m’a totalement rejetée.
« J’ai rencontré, par l’intermédiaire de ma s?ur, les psychologues [associés à DOCS]
qui m’ont aidée. On m’a emmenée à l’hôpital une semaine après l’agression, et j’ai
appris que mon estomac était abîmé. J’étais incapable de marcher, donc on m'a
renvoyée chez moi, et j’attends désormais d’être suffisamment forte pour me rendre
chez DOCS. Avant, ils ne voulaient pas me laisser partir. Mon état était si critique
qu’ils pensaient que je risquais de mourir en chemin. Aujourd’hui, je reprends des
forces, mais mon dos est toujours en très mauvais état.
« J'avais l’habitude d'aller dans notre shamba chaque jour, mais mon dos a été si
endommagé par les coups et le viol que je ne peux plus le faire aujourd'hui. Je n’ai
simplement plus la force. J’ai aussi bien trop peur d’y aller. Parfois, je fais des
cauchemars qui m’empêchent de dormir. D’autres fois, quand je rêve que je meurs,
je me réveille et perds tout espoir. Le soutien de ma communauté m’a beaucoup
aidée, ainsi que ma foi en Dieu. DOCS est venu nous écouter et nous conseiller, ils
nous ont redonné de l'espoir et nous ont encouragés à continuer de vivre.
« DOCS m’a aussi donné une chèvre, des fèves et une binette. Je suis si heureuse,
cela prouve que je suis aimée. Je vis avec mes six enfants et jusqu'à aujourd'hui, nous
devions vivre de la mendicité, car je n’avais pas le matériel nécessaire pour travailler.
Nous sommes si pauvres, mes enfants ne peuvent pas aller à l’école. Mais je vais
élever la chèvre et cultiver les fèves pour avoir de quoi manger. »
Photos : Georgina Cranston/IRIN
Une jeune fille, ex-« épouse de la brousse » en Sierra Leone, enlevée à sa famille à l’âge de 10 ans par les rebelles du Front révolutionnaire uni. Après une tuerie qui a
décimé la plupart des habitants de son village, les rebelles l'ont emmenée avec eux pour la faire travailler comme cuisinière, porteuse et esclave sexuelle. Lorsqu’elle a
essayé de s’échapper, les rebelles lui ont versé de l’acide sur le bras et le sein en guise d’avertissement, à l’attention des autres captifs. Après deux ans de captivité, elle
est parvenue à s’enfuir. Elle a récemment rejoint un petit groupe d’entraide pour femmes victimes de la torture. Alors qu’il n’y a en Sierra Leone qu’un seul psychologue, on
compte des milliers de femmes victimes d’agressions sexuelles et de tortures, qui n’ont d’autre solution que de se prendre en charge.
Photo : Brent Stirton

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  • 1. Bemguema en Sierra Leone, en 2002. Une jeune fille, suivie par des femmes de son village, passe devant un groupe de soldats de l’armée nationale qui prennent leur pause pendant l’entraînement. La guerre en Sierra Leone est devenue tristement célèbre pour le degré d’atrocités commises contre les civils par des gangs de jeunes hommes et de garçons, souvent sous l’emprise de la drogue ou de l'alcool. Les gangs, liés aux différentes milices ou factions rebelles, ont violé, mutilé et assassiné des milliers de civils. Photo : Jan Dago
  • 2. La violence sexuelle en temps de guerre 181 La violence sexuelle en temps de guerre En 1993, le Centre d’enregistrement des crimes de guerre et des génocides de Zenica, en Bosnie-Herzégovine, avait recensé 40 000 cas de viol de guerre.1 Sur un échantillon de Rwandaises sondées en 1999, 39 pour cent avaient déclaré avoir été violées pendant le génocide de 1994 et 72 pour cent avaient confié qu’elles connaissaient une victime de viol.2 De 23 200 à 45 600 Albanaises-Kosovars environ auraient été violées entre août 1998 et août 1999, au plus fort du conflit avec la Serbie.3 En 2003, sur un échantillon aléatoire de 388 Libériennes réfugiées dans des camps en Sierra Leone, 74 pour cent avaient déclaré avoir subi des sévices sexuels avant d’être déplacées de leurs terres, au Libéria. Cinquante-cinq pour cent d’entre elles avaient subi des violences sexuelles au cours de leur déplacement.4 À Cartaghène, sur un échantillon de 410 déplacées internes colombiennes sondées en 2003, 8 pour cent avaient révélé avoir subi une quelconque forme de violence sexuelle avant d’être déplacées, et 11 pour cent avaient déclaré avoir subi des sévices depuis leur déplacement.5 Le visage changeant de la guerre Les données, de plus en plus nombreuses, recueillies sur les guerres de ces dix dernières années sont enfin en train de mettre au jour « l’un des grands silences de l’Histoire » : les violences et les tortures sexuelles infligées aux civiles, femmes et filles, en périodes de conflits armés.6 Récemment encore, les preuves de ce phénomène — tout comme le phénomène lui-même — avaient été globalement ignorées par les historiens, les politiques et la communauté internationale dans son ensemble. Pourtant, cette question n’est guère récente. Les vainqueurs disposent d’un permis de « violer et piller » les vaincus qui remonte aux guerres menées par les soldats de la Grèce antique, l’armée romaine et les Hébreux.7 Au seul siècle dernier, des femmes juives ont été violées par des cosaques au cours des pogroms de 1919, en Russie ; l’armée japonaise s’est livrée au trafic de milliers de « femmes de réconfort » originaires des quatre coins de l’Asie, qu’elle a réduites à l’esclavage sexuel pendant la Deuxième Guerre mondiale ; plus de 100 000 femmes ont été violées dans la région de Berlin immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale ; et des centaines de milliers de femmes bengalis ont été violées par des soldats pakistanais pendant la guerre de sécession du Bangladesh, en 1971.8 Malgré ce lourd passé de violences sexuelles infligées aux femmes et aux filles par les hommes en temps de guerre, les statistiques produites ces 10 dernières années sont véritablement troublantes : il semble en effet que ce phénomène soit devenu particulièrement courant. D’aucuns pourraient objecter que les données actuelles reflètent, non pas une augmentation considérable du nombre des victimes dans l’absolu, mais simplement un intérêt international accru pour cette question — intérêt en partie suscité par la couverture médiatique des atrocités sexuelles commises au cours des conflits en ex-Yougoslavie et au Rwanda et peut-être plus encore par les campagnes de sensibilisation intensives menées depuis des décennies par les défenseurs de la cause des femmes dans le monde. Néanmoins, il existe une explication plus probable : la nature de la guerre est en pleine évolution, et cette évolution est telle qu’elle expose les femmes et les filles à un danger croissant. Chapitre13
  • 3. Depuis la deuxième moitié du siècle dernier, les conflits essentiellement limités aux combats militaires entre armées nationales ont été en grande partie supplantés par des guerres civiles et des conflits régionaux qui opposent différentes communautés en fonction de critères raciaux, religieux ou ethniques. Dès lors, les populations civiles sont massivement persécutées. Entre 1989 et 1997, quelque 103 conflits armés ont été déclenchés dans 69 pays.9 Ces conflits récents auraient fait pas moins de 75 pour cent de victimes civiles, un contraste frappant par rapport aux 5 pour cent estimés depuis le début du siècle dernier.10 Bien que, globalement, les conflits fassent encore davantage de morts chez les hommes que chez les femmes, les femmes et les filles subissent les nombreuses conséquences débilitantes de la guerre.11 À tel point, révèle le Secrétaire général des Nations unies dans un rapport publié en 2002, que « les femmes et les enfants sont ciblés de manière disproportionnée » et « constituent la majorité des victimes » des conflits armés contemporains.12 Ce que dissimulent les données actuelles Si troublantes soient-elles, les statistiques actuelles dissimulent probablement plus qu’elles ne révèlent la véritable ampleur de la violence sexuelle à l’égard des femmes et des filles en période de conflit armé. Pour diverses raisons, les données relatives aux viols de guerre sont extrêmement difficiles à recueillir — comme l’attestent les disparités parfois spectaculaires entre les différentes estimations réalisées, quel que soit le pays : en Bosnie, par exemple, les statistiques vont de 14 000 à 50 000, et au Rwanda, de 15 700 à un demi-million.13 Ces écarts sont parfois le reflet d’intérêts politiques, lorsqu’un gouvernement ou un groupe armé cherche à minimiser l’ampleur des crimes commis par ses membres, tandis que d’autres s’efforcent de les souligner. Pourtant, même lorsque les recherches sont entreprises par des groupes de défense des droits de la personne ou d’autres groupes non alignés, obtenir une représentation juste de l’étendue de la violence sexuelle est loin d’être aisé. Les recherches sur la violence sexuelle contre les femmes en période de guerre en sont plus ou moins à leurs balbutiements. Les chercheurs ont à peine commencé à élaborer et à tester des méthodologies destinées au recueil de données représentatives. De surcroît, de nombreux cas de viols ne sont pas déclarés, même en temps de paix ; ce phénomène peut s’accentuer en période de guerre et d’après- guerre, lorsque certains facteurs contraignants tels que la condamnation sociale et la honte sont aggravés par l’instabilité politique et les menaces qui pèsent sur la sécurité des individus. Dénoncer la violence en période de conflit peut représenter un risque de sécurité pour toutes les parties concernées — comme l’atteste l’arrestation, en mai 2005, du chef de mission de Médecins sans frontières (MSF) à Khartoum, au Soudan. Celui-ci avait été accusé de crimes contre l’État par les autorités soudanaises, après avoir publié un rapport sur les femmes victimes de viol, venues demander des traitements médicaux dans les centres MSF au Darfour.14 182 La violence sexuelle en temps de guerre Dans bien des cas, les femmes n’ont tout simplement aucune autorité institutionnelle ni aucune organisation vers laquelle se tourner pour faire part de leurs expériences malheureuses. Même lorsque de tels services existent, l’impunité généralisée dont jouissent les auteurs de violences sexuelles liées à la guerre amène de nombreuses victimes à penser, avec raison, qu’elles n’obtiendront pas justice en déclarant leur victimisation ; dès lors, la notification leur paraît inutile. Fait notable, dans une étude réalisée en 2001 à Timor-Leste (Timor oriental), seules 7 pour cent des sondées victimes de violence physique ou sexuelle pendant la crise de 1999 avaient jamais déclaré les sévices subis aux autorités locales.15 Lors d’une enquête effectuée au Rwanda, seules 6 pour cent des personnes interrogées ayant été violées pendant le génocide avaient cherché à obtenir un traitement médical.16 Les statistiques actuelles, loin de refléter la nature des crimes, ne révèlent pas non plus l’atrocité des violences auxquelles ont été exposées les femmes et les filles, ni la terreur que celles-ci doivent endurer lorsque leurs corps deviennent les armes de la guerre. Seuls les récits personnels illustrent cela — des récits qu’une majorité de la population mondiale n’entendra probablement jamais. Trois récits personnels Depuis l’année 1996, qui a marqué le début des hostilités entre diverses factions armées dans la région est de la République démocratique du Congo (RDC), les atrocités infligées aux femmes sont si horribles et massives que ces violences ont été familièrement baptisées « guerre dans la guerre » ou « guerre contre les femmes. »17 Bien qu’un processus de paix ait été lancé fin 2002, l’anarchie qui règne dans l’Est du pays continue de mettre en danger un grand nombre de femmes et de filles. Dans le cadre de recherches entreprises récemment dans le Sud-Kivu, 492 femmes — 79 pour cent d’entre elles ayant été agressées sexuellement par deux à 20 hommes — ont partagé leur expérience du viol, de la mutilation et de la torture.18 L’incident suivant a été relaté par une victime aujourd’hui encore confinée à un lit d’hôpital : « Quand les Interahamwe [milice rwandaise] sont arrivés dans le village, j’ai entendu quelques instants après les cris perçants de ma voisine. J’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu des hommes tenant chacun un fusil. Aussitôt, j’ai voulu m’enfuir pour me cacher mais un groupe de trois a débarqué chez nous. Mon mari faisait semblant de dormir […] Ils m’ont saisie sans ménagement. L’un d’entre eux m’ayant maîtrisée, un autre a pris mon pilon de pili pili et me l’a enfoncé plusieurs fois dans le vagin, comme s’il pilait. Ce calvaire m’a semblé durer une éternité d’enfer […] puis ils sont sortis précipitamment. Pendant deux semaines, tout coulait par le vagin. J’ai été Si troublantes soient-elles, les statistiques actuelles dissimulent probablement plus qu’elles ne révèlent la véritable ampleur de la violence sexuelle à l’égard des femmes et des filles en période de conflit armé.
  • 4. Les fillettes et les adolescentes peuvent être particulièrement vulnérables aux violences sexuelles en période de guerre et d’agitation civile. Dans l’Est de la République démocratique du Congo, où cette photo a été prise, le nombre de viols est extrêmement élevé. Outre les militaires et les soldats, les non- combattants comptent eux aussi parmi les agresseurs. Les Casques bleus ont également été mis en cause dans des cas d'exploitation et de coercition sexuelles. Photo : Evelyn Hockstein/IRIN
  • 5. Au Darfour, dans l’Ouest du Soudan, une mère regarde son fils nouveau-né, l’enfant d’un viol auquel elle a survécu en 2004. Au Darfour, le viol est une arme fréquemment utilisée par les milices Janjawid. Femmes et filles sont violées dans leur village, lorsqu’elles sortent chercher du bois hors des camps pour déplacés, et parfois même au Tchad voisin. Les violeurs commettent leurs crimes dans un contexte d’impunité totale, tandis que leurs victimes subissent souvent, outre le viol lui-même, l’humiliation d’être marginalisées par la société, et parfois par leur propre famille. Photo : Evelyn Hockstein/IRIN
  • 6. La violence sexuelle en temps de guerre 185 ensuite bandé le pied et l’ont forcée à marcher. On est parti en abandonnant les deux hommes aux mains coupées. Ensuite, ils nous ont emmenés dans une mosquée, à Kissy. Ils ont tué tous les gens qui étaient à l’intérieur. […] Ils arrachaient des bébés et des nourrissons des bras de leurs mères et les jetaient en l’air. Les bébés, en chute libre, mouraient en retombant. D’autres fois, ils leur tranchaient le cou d’un seul coup, par l’arrière, pour les tuer, vous savez, comme on fait avec les poulets. Une fille, qui était avec nous, a essayé de s’échapper. Ils lui ont fait retirer ses chaussons et me les donner, puis ils l’ont tuée. […] Une fois, on est tombé sur deux femmes enceintes. Ils les ont attachées avec les jambes écartées et ont pris un bout de bois affûté, qu’ils leur ont planté dans le ventre jusqu’à ce que les bébés en sortent, au bout du bâton. »22 La « folie meurtrière » de la violence sexuelle en contexte de conflit Diverses motivations peuvent être à l’origine des viols commis au cours de conflits armés. La violence peut être l’effet secondaire de l’effondrement de l’ordre social et moral qui accompagne la guerre. En RDC, les viols sont aujourd’hui commis sans distinction ; à tel point qu’ils sont qualifiés de « folie meurtrière. »23 Citons le cas d’une Congolaise qui, en rentrant chez elle, a surpris un paramilitaire en train de violer son bébé de 10 mois.24 Toutefois, de tels incidents ne sont pas limités aux combattants. Au sein des communautés locales, certains hommes peuvent tirer parti du chaos créé par le conflit pour se rendre coupables de violences sexuelles contre les femmes, sans craindre d’être inquiétés. Sous la domination instable et désorganisée des moudjahidin, par exemple, les viols et les agressions sexuelles auraient été si courantes à Kaboul, la capitale afghane, que l’État policier opprimant instauré après la prise de pouvoir des Talibans, en 1996, aurait été initialement perçu comme un répit et accueilli favorablement par certaines femmes.25 La violence sexuelle peut aussi être systématique, perpétrée par les forces combattantes dans le but explicite de déstabiliser les populations et de détruire les liens tissés au sein des communautés et des familles. Dans ces cas précis, le viol est bien souvent un acte public, visant à maximiser l’humiliation et la honte ressenties par les victimes. A Timor-Leste, d’après certaines informations, les soldats de l’armée indonésienne violaient les femmes sous les yeux de leur famille et forçaient les Timorais à violer leurs concitoyennes. En 2004, des chercheurs ont été envoyés en mission d’information dans le Nord de l’Ouganda, une région ravagée depuis 18 ans par une insurrection menée par l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Les chercheurs se sont entretenus avec un homme, à qui des membres du LRA avaient ordonné de coucher avec sa fille : « J’ai refusé. […] Ils ont donné l’ordre à mon fils de le faire […] sous la menace d’un opérée […] je fais mes besoins dans un sachet relié à mon ventre ouvert sur le coté. Ils ont aussi tué mon mari et mon fils. »19 Une autre victime congolaise a décrit ainsi les atrocités que lui a fait subir cette milice : « J’étais en train de couper du bois quand j’ai vu surgir à l’autre bout du champ quatre hommes armés. Ils m’ont demandé de me déshabiller et de m’offrir à l’un d’eux. Ce que j’ai refusé. Alors ils m’ont prise, m’écartelant les jambes et les liant, l’une à un pied d’arbre, l’autre à un autre tronc. Ils m’ont inséré la tête en diagonale entre deux bâtons, de telle sorte que je ne pouvais m’asseoir, au risque de m’étrangler. Je suis restée dans cette position et l’un des assaillants m’a pénétrée fortement par derrière dans le vagin et l’autre m’a plongé son pénis dans la bouche jusqu’à la gorge […] J’ai été récupérée par des voisins qui avaient suivi de loin mon drame. Ils m’ont trouvée évanouie et toute ensanglantée. »20 Des atrocités semblables ont été commises par tous les acteurs de la guerre civile qui a ravagé la Sierra Leone pendant 10 années. Toutefois, les sévices les plus monstrueux ont été principalement commis par des membres des forces rebelles, et notamment par le Front révolutionnaire uni. Les rebelles violaient de manière systématique, souvent en gangs et sous les yeux de la famille des victimes. Ils ont forcé des hommes et des garçons à violer leur mère ou leur femme. Ils ont agressé sexuellement des femmes enceintes avant de les éventrer. Ils ont mutilé les parties génitales des femmes en se servant de couteaux, de bois brûlant ou du canon de leurs armes. Une incursion particulièrement violente des rebelles à Freetown, la capitale, en janvier 1999, a donné lieu à « une spirale infernale de viols, d’agressions sexuelles et de mutilations. »21 Une fillette de 13 ans, enlevée au cours de l’incursion et réduite à l’esclavage sexuel par les rebelles, avait déjà donné naissance à une petite fille, née d’un viol, lorsqu’elle a raconté son histoire aux chercheurs, en 2001. Elle s’est souvenue ainsi de ses premiers moments de captivité : « On nous a conduits dans une maison où se trouvaient environ 200 personnes. Ils ont envoyé ma cousine, qui est plus âgée, pour choisir 25 hommes et 25 femmes qui allaient se faire couper les mains. Puis, ils lui ont dit de couper la main du premier homme. Elle a refusé de le faire, en disant qu’elle avait peur. Ils m’ont alors dit de le faire. J’ai dit que je n’avais jamais rien fait de pareil et que j’avais peur. On nous a dit de nous asseoir sur le côté et de regarder. Alors on s’est assises. Ils ont coupé les mains de deux hommes. Ma cousine n’a pas pu regarder. Elle a baissé la tête pour ne rien voir. Comme elle avait fait ça, ils lui ont tiré une balle dans le pied. Ils lui ont …Ils m’ont saisie sans ménagement. L’un d’entre eux m’ayant maîtrisée, un autre a pris mon pilon de pili pili et me l’a enfoncé plusieurs fois dans le vagin, comme s’il pilait. Ce calvaire m’a semblé durer une éternité d’enfer…
  • 7. 186 La violence sexuelle en temps de guerre fusil armé, il a obéi. […] Ensuite, ils m’ont obligé à coucher avec un trou qu’ils avaient creusé dans le sol avec un couteau. […] Ils ont fait rentrer mon sexe de force dans le trou plusieurs fois — la peau était complètement déchirée. […] C’était impossible de lutter contre une personne armée. […] Tout ça s’est passé sous les yeux de ma femme, de mon fils et de ma fille. […] Ma femme est devenue folle. »26 Un Soudanais a raconté aux chercheurs l’humiliation semblable subie par sa famille, au Darfour : « En février 2004, j’ai abandonné ma maison à cause du conflit. Je suis tombé sur six Arabes dans la brousse. J’ai voulu sortir ma lance pour défendre ma famille, mais ils m’ont menacé avec une arme et j’ai dû arrêter. Les six hommes ont violé ma fille, qui a 25 ans, devant moi, ma femme et mes jeunes enfants. »27 La violence sexuelle peut aussi servir à étouffer la résistance en semant un vent de panique au sein des communautés locales ou des groupes armés rivaux. Dans ce cas, le corps des femmes « sert d’enveloppe pour envoyer des messages à l’ennemi perçu. »28 Dans l’État de Shan, au Myanmar, où les autorités s’efforcent depuis le milieu des années 1990 de réprimer violemment une rébellion locale, des centaines de femmes ont été victimes de viols systématiques.29 Citons par exemple le cas d’un commandant de l’armée, qui a abordé une jeune fille, « lui a demandé où étaient ses parents et a donné l’ordre à ses soldats d’attendre en bordure de l’exploitation agricole et d’arrêter tout visiteur. Il a ensuite violé [la fille] plusieurs fois dans la hutte [durant la journée] et, à environ [4 heures du matin], [l’a brûlée vive] dans la hutte et est parti avec ses troupes. »30 En Tchétchénie, des violations comparables ont été signalées, commises par des soldats russes au cours des opérations de « nettoyage » qui suivent les levers de camp des combattants rebelles tchétchènes. Sur quatre femmes tchétchènes agressées par des soldats de l’armée russe par pénétrations vaginale et orale, en février 2000, l’une serait morte suffoquée alors qu’un soldat était assis sur son visage.31 En Colombie, certaines régions, sous contrôle paramilitaire, sont souvent le théâtre de violences sexuelles et de torture infligées aux femmes et aux filles. Des campagnes d’intimidation sont menées sur leurs corps, comme en témoigne l’histoire de cette Colombienne, violée et tuée, avant d’avoir les yeux et les ongles arrachés et les seins sectionnés ; un cas parmi tant d’autres, communiqués en 2001 à la Rapporteuse spéciale des Nations Unies chargée de la question de la violence contre les femmes.32 La violence peut également être utilisée dans le cadre du nettoyage ethnique, en particulier lorsque les conflits sont déterminés par des dissensions raciales, tribales, religieuses ou autres. Les viols publics en Bosnie, par exemple, servaient à provoquer la fuite ou l’expulsion de communautés entières de musulmans. De même, les fécondations forcées, la mutilation des parties génitales et la transmission volontaire du VIH sont autant de techniques de nettoyage ethnique. Au Rwanda, les violeurs génocides raillaient leurs victimes en leur promettant de leur transmettre le VIH. En Bosnie, selon certaines informations, les musulmanes fécondées par des Serbes étaient retenues en captivité jusqu’au terme de la grossesse pour les empêcher d’avorter.33 Au Kosovo, une centaine de bébés conçus lors de viols sont nés au seul mois de janvier 2000 — le Comité international de la Croix-Rouge présumait à l’époque que le nombre réel de grossesses consécutives au viol était probablement bien plus élevé.34 Parfois, les agressions contre le corps des femmes — et notamment contre leur capacité de reproduction — ciblent spécifiquement ce qui est perçu comme étant la « progéniture de l’opposant ». Une femme originaire du Darfour avait raconté en 2004, « j’étais avec une autre femme, Aziza, dix-huit ans, à qui ils ont ouvert le ventre la veille de notre enlèvement. Elle était enceinte et ils l’ont tuée en disant : "C’est l’enfant d’un ennemi". »35 Les esclaves sexuelles des combattants armés Dans bien d’autres cas, les femmes et les filles sont enlevées pour fournir des services sexuels aux combattants. Selon un soldat originaire de RDC, « nos combattants ne sont pas payés. Ils ne peuvent donc se procurer les services des prostituées. Si nous demandons gentiment aux femmes de venir avec nous, elles ne vont pas accepter. Alors, nous ne pouvons que les terroriser pour nous faire obéir et obtenir ce que nous voulons. »36 Une victime libérienne, qui devait être âgée de 80 ans environ lorsqu’elle a raconté son histoire aux chercheurs, a reconnu s’être trouvée sous l’emprise des rebelles, dans la ville de Voinjama : « la nuit, ils venaient, généralement à plusieurs. Ils me violaient. Ils me disaient qu’ils allaient m’aider. Si j’avais de la chance, ils me donnaient 10 dollars libériens (20 cents). »37 Les victimes d’esclavage sexuel sont bien souvent plus jeunes et dans bien des cas, les sévices qu’elles subissent relèvent d’un devoir militaire. Quelque 40 pour cent des enfants soldats du monde sont des filles, et la plupart d’entre elles sont enrôlées de force ou sous la contrainte.38 Ces filles, qui assument diverses responsabilités, du portage au combat actif, sont également tenues de fournir des services sexuels à leurs supérieurs ou à leurs camarades de combat. En Colombie, par exemple, les violences qui auraient été commises contre les femmes et les filles par des groupes de guérilleros seraient survenues, en grande partie, dans le cadre de recrutements forcés.39 Même les femmes et les filles qui rejoignent « volontairement » les rangs des forces combattantes sont peu susceptibles d’anticiper à quel point elles seront exploitées La violence peut également être utilisée dans le cadre du nettoyage ethnique, en particulier lorsque les conflits sont déterminés par des dissensions raciales, tribales, religieuses ou autres. Les viols publics en Bosnie, par exemple, servaient à provoquer la fuite ou l’expulsion de communautés entières de musulmans.
  • 8. Les corps en décomposition d’une femme et d’une fillette, victimes du génocide de 1994 au Rwanda. « … lorsque vous regardiez, vous pouviez voir les preuves, même sur les squelettes blanchis. Les jambes pliées et écartées. Entre elles, une bouteille cassée, une branche dure, et même un couteau. Quand les corps étaient encore frais, nous pouvions voir ce qui devait être du sperme sur les corps des femmes et des filles, et à proximité. Il y avait toujours beaucoup de sang. Sur certains cadavres d’hommes, les organes génitaux avaient été amputés, mais de nombreuses femmes et jeunes filles avaient les seins sectionnés et les organes génitaux crûment tailladés. Elles sont décédées dans une position de vulnérabilité totale, allongées sur le dos, les jambes pliées et les genoux écartés. Ce sont les expressions de leur visage sans vie qui m’ont le plus anéanti, un mélange de choc, de douleur et d'humiliation. Durant de nombreuses années, après mon retour, j’ai banni de mon esprit le souvenir de ces visages, mais ils sont revenus, bien trop distinctement. » (Extrait de J’ai serré la main du diable, du lieutenant- général Roméo Dallaire, commandant des forces de la Mission des Nations Unies pour l'Assistance au Rwanda, 1993-1994.) Photo : Mariella Furrer
  • 9. Travnik, centre de la Bosnie, été 1993 - Des soldats du gouvernement bosniaque s’avancent vers une femme musulmane muette de stupeur, assise au bord de la route. Elle faisait partie d’un groupe de prisonniers musulmans retenus en captivité par les Serbes de Bosnie. Le groupe avait été transféré à travers la ligne de front pour rejoindre la zone contrôlée par le gouvernement quelques minutes seulement avant que cette photo ne soit prise. Les prisonniers qui se trouvaient avec elle ont dit qu’elle avait été violée. Photo : Anthony Lloyd
  • 10. La fuite Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a estimé à 34 millions le nombre total de personnes déplacées au cours des conflits armés de 2004 : 9,3 millions d’entre elles s’étaient réfugiées dans les pays voisins, et 25 millions s’étaient déplacées à l’intérieur de leur propre pays.44 Selon le Secrétaire général des Nations Unies, « On peut noter les différences d’impact des conflits armés sur les femmes et les petites filles et leur vulnérabilité particulière à toutes les phases du déplacement. »45 Au cours de la fuite, femmes et filles restent extrêmement exposées à la violence sexuelle — infligée par des bandits, des groupes d’insurrection, des soldats de l’armée ou des garde-frontière. De nombreuses femmes doivent fuir sans la protection supplémentaire que leur apporteraient les hommes de leur famille ou de leur communauté, ce qui les rend d’autant plus vulnérables. Pour « Tatiana », 17 ans, originaire de RDC, les conséquences furent tragiques : « Tatiana […] était enceinte de huit mois et demi lorsque son mari et son fils, un petit garçon de deux ans, ont été tués à coups de machette par des membres d’une milice irrégulière, en mai 2003. Lorsque la nouvelle a couru que cette milice allait revenir dans le quartier de Bunia où elle vivait, elle a pris la fuite, en compagnie de sa mère et de ses deux sœurs cadettes. Six jours plus tard, elles sont arrivées à un barrage de contrôle mis en place par la milice. Comme la mère de Tatiana ne pouvait pas payer les 100 dollars des États-Unis que les miliciens exigeaient, ces derniers l’ont égorgée. L’une des sœurs de Tatiana, âgée de quatorze ans, a éclaté en sanglots et a été immédiatement abattue d’une balle dans la tête. Son autre sœur, une fillette de douze ans, a été emmenée dans une clairière voisine, où elle a été violée par plusieurs hommes. Les miliciens ont ordonné à Tatiana de filer, si elle ne voulait pas subir le même sort. Après six jours de marche, elle a accouché d’une petite fille. Bien qu’elle ait perdu beaucoup de sang, elle a dû reprendre la route dès le lendemain. » Par la suite, le bébé est mort.46 Sans argent ni autres ressources, les femmes et les filles déplacées peuvent se trouver contraintes de se livrer à des rapports sexuels pour pouvoir circuler en sécurité, obtenir de la nourriture, un asile ou encore d’autres ressources.47 Certaines se dirigent vers les zones urbaines, peut-être en quête de la sécurité relative que procure une forte densité de population ou dans l’espoir d’obtenir un emploi. Quelle que soit leur motivation, les femmes et les filles déplacées à l’intérieur de leur pays ou réfugiées qui vivent en milieu urbain risquent d’être exploitées par les résidents locaux, notamment parce qu’elles sont moins susceptibles que les populations des camps de bénéficier des programmes d’aide et de protection mis en place par les gouvernements ou les organisations humanitaires. La violence sexuelle en temps de guerre 189 sexuellement. Selon les données recueillies en 2004 auprès de femmes participant au programme de désarmement et de démobilisation mis en place au Libéria, 73 pour cent des femmes et des filles avaient subi une quelconque forme de violence sexuelle.40 En Ouganda, une ancienne enfant soldat de l’Armée de résistance nationale se souvient : « On allait ramasser du bois, on portait des armes. Et pour les filles, c’était pire, parce que [...] on servait de petites amies à des tas d’officiers différents. […] À la fin, c’était comme si mon corps ne m’appartenait plus, comme s’il leur appartenait, à eux. C’est dur d’être là, toute la journée, à se demander avec quel officier on va coucher le soir. »41 Un récit semblable avait été recueilli auprès d’une jeune fille de 19 ans, associée volontairement avec les Maoïstes au Népal : « Parfois, on est forcées de satisfaire une douzaine [de miliciens] par nuit. Quand je suis allée dans une autre région pour travailler pour le parti, j’ai dû coucher avec sept miliciens. C’était la pire journée de ma vie. »42 Certaines filles, réduites à l’esclavage sexuel par la force ou la contrainte, parviennent parfois à échapper à leurs ravisseurs, avant d’être rattrapées. Ce fut le cas de Hawa, 16 ans, originaire de Sierra Leone : « Il y avait environ 20 hommes. On a couru vers la brousse, mais j’ai été séparée de ma famille. J’étais avec d’autres gens du village, et nous avons été capturés par les rebelles et emmenés au Libéria. […] Au début, j’ai refusé de devenir une “épouse”, mais j’ai dû accepter parce qu’il n’y avait personne pour me défendre, et personne ne me donnait à manger, à part les rebelles. J’ai servi d’épouse pendant environ huit mois. […] J’avais même pas eu mes premières règles. » Hawa a fini par s’échapper. La fillette a marché trois jours durant à travers la brousse jusqu’à arriver à une ville où elle a retrouvé ses parents. Lorsqu’ils sont retournés ensemble dans leur village perdu, se souvient Hawa, « C’était très triste de […] revoir mes sœurs parce que j’ai eu en quelque sort l’impression d’être victime de discrimination parce que j’avais été violée ». Deux ans plus tard, Hawa a été capturée de nouveau : « C’était un autre groupe : cette fois, j’étais toujours avec eux, la nuit, en tant qu’épouse. »43 Hawa s’est échappée une seconde fois et a retrouvé sa famille. Pour beaucoup d’autres femmes et filles qui tentent d’échapper aux périls de la guerre, la violence sexuelle est une menace qui les suit à chaque pas — depuis leur fuite et leur déplacement dans des camps ou d’autres sites, jusqu’à leur retour et leur réinsertion au sein de leurs communautés d’origine. « Parfois, on est forcées de satisfaire une douzaine [de miliciens] par nuit. Quand je suis allée dans une autre région pour travailler pour le parti, j’ai dû coucher avec sept miliciens. C’était la pire journée de ma vie »
  • 11. 190 La violence sexuelle en temps de guerre Des Afghanes, réfugiées à Peshawar, une ville du Pakistan, ont raconté, par exemple, qu’elles avaient été forcées de se livrer à des rapports sexuels en échange d’un hébergement gratuit.48 En Colombie, le ministère de la Protection sociale a rapporté, en 2003, que 36 pour cent des déplacées du pays avaient été forcées par des hommes à avoir des relations sexuelles. Cette déclaration a ensuite été confirmée par une étude, entreprise la même année. L’étude avait révélé que des déplacées vivant dans des barrios à Cartaghène ou aux alentours de la ville avait subi davantage de violences physiques et sexuelles après leur déplacement.49 Les filles seules sont probablement parmi les plus vulnérables à l’exploitation sexuelle. En 1999, une enquête menée par les autorités sierra-léonaises auprès de plus de 2 000 prostituées avait révélé que 37 pour cent de ces jeunes femmes avaient moins de 15 ans, et qu’une majorité d’entre elles avaient été déplacées par le conflit, sans être accompagnées par leur famille.50 D’autres encore, qui tentent, elles aussi, d’échapper à la guerre, risquent de devenir la cible des trafiquants. L’absence de contrôle à la frontière et d’un niveau normal de maintien de l’ordre fait des pays en conflit des étapes de premier choix pour les trafiquants : le conflit interne qui continue de sévir en Colombie est notamment à l’origine d’un des réseaux de trafiquants les plus actifs de l’hémisphère occidental. Selon les estimations du Département de sécurité colombien, 35 000 à 50 000 femmes et filles sont tombées aux mains des trafiquants en 2000 ; la plupart d’entre elles ont été envoyées en Asie, en Europe occidentale ou aux États-Unis.51 Le Myanmar, également tourmenté par un conflit civil de longue date, enverrait chaque année en Thaïlande, par le biais du trafic, quelque 40 000 femmes et filles, condamnées à travailler dans des maisons closes et des usines, ou bien encore comme domestiques.52 Le déplacement vers les camps Les camps pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays ou les réfugiés risquent de n’offrir qu’une protection limitée contre la violence sexuelle. Les travailleurs humanitaires ont désigné à maintes reprises le danger couru par les femmes lorsqu’elles doivent s’aventurer bien loin des limites de leur camp en quête de bois ou d’autres denrées de base qu’elles ne peuvent se procurer au camp. Selon les conclusions de recherches entreprises il y a près de 10 ans auprès des réfugiés des camps de Dadaab, au Kenya, plus de 90 pour cent des viols déclarés étaient survenus dans ces circonstances.53 Toutefois, malgré ces preuves, établies de longue date, peu d’efforts ont été consentis pour anticiper et éviter ce risque prévisible dans les camps mis en place plus récemment. Une Libérienne de 27 ans, qui avait été violée deux fois avant de chercher son salut dans un camp de déplacés, relate ici les circonstances de son troisième viol, survenu en 2003, un jour où elle avait quitté le camp pour chercher du bois : « [Je suis tombée sur] trois soldats du gouvernement, ils étaient armés. L’un d’entre eux m’a vue et m’a demandé où j’allais. Je lui ai répondu que j’étais venue chercher du bois. Il m’a alors expliqué que pendant le reste de la journée, je serais à lui. J’étais effrayée. Il m’a forcée à le suivre dans la brousse et m’a déshabillée. Puis il m’a violée. Quand je me suis rhabillée, il m’a volé 50 dollars libériens que j’avais sur moi. […] Mon estomac me fait beaucoup souffrir mais je n’ai pas d’argent pour aller me faire soigner. »54 Au Soudan, la tendance se maintient chez les femmes des camps, déplacées par le conflit du Darfour. Toutefois, dans ce dernier cas, les multiples rapports d’un certain nombre d’organisations internationales de défense des droits de la personne ont récemment abouti à la prise de mesures destinées à renforcer le maintien de l’ordre et la sécurité pendant le ramassage du bois.55 Pour beaucoup de femmes, néanmoins, ces mesures de sécurité ont été prises trop tard. Les femmes sont également exposées au viol dans les camps où elles séjournent ou aux alentours, en particulier lorsque ceux-ci sont mal conçus ou mal administrés. Au cours d’une enquête menée en 1996 auprès de réfugiées burundaises déplacées dans un camp tanzanien, plus d’une femme sur quatre avaient déclaré avoir été violées pendant le conflit, au cours des trois années précédentes ; deux tiers des viols étaient survenus depuis leur déplacement, dans le camp ou à une distance réduite. La plupart des violeurs étaient eux aussi réfugiés (59 pour cent). Venaient ensuite les résidents locaux burundais (24 pour cent), les Tanzaniens, les soldats et les officiers de police.56 Comme dans le cas du ramassage du bois, les militants et les humanitaires dénoncent depuis plusieurs années la relation qui existe entre une conception irréfléchie des camps et la violence à l’égard des femmes. Ils ont également présenté des recommandations destinées à réduire la vulnérabilité de ces dernières. Néanmoins, le problème persiste dans de nombreuses régions. Selon les conclusions d’une évaluation des risques effectuée en 2004 dans sept camps de déplacés du comté de Montserrado, au Libéria, différents facteurs contribuent à augmenter la probabilité de violences sexuelles contre les femmes et les filles : des conditions de surpeuplement, un éclairage insuffisant la nuit, une proximité excessive entre les latrines et les douches des hommes et celles des femmes, ainsi qu’un accès insuffisant ou inégal aux ressources.57 Au cours d’une étude réalisée dans le Nord de l’Ouganda, toujours en 2004, une résidente d’un des nombreux camps de déplacés de la région a confié aux chercheurs, « ici, les viols, c’est tout le temps […] dernièrement, une femme a été harcelée par deux hommes qui lui ont tenu les jambes grandes ouvertes, En 1999, une enquête menée par les autorités sierra-léonaises auprès de plus de 2 000 prostituées avait révélé que 37 pour cent de ces jeunes femmes avaient moins de 15 ans, et qu’une majorité d’entre elles avaient été déplacées par le conflit, sans être accompagnées par leur famille.
  • 12. Un réfugié soudanais a été blessé par balle à l’épaule et à la jambe en défendant ses filles contre les miliciens Janjawid qui tentaient de les violer. Par la suite, les miliciens l'ont torturé en tirant sur une corde qu’ils avaient nouée autour de ses testicules. L’omniprésence du viol en tant qu’arme de guerre exerce une pression considérable sur les hommes des familles, qui souvent ne sont pas en mesure d’empêcher de telles agressions. Photographie prise à Goungour, au Tchad, en 2004. Photo : Francesco Zizola/Magnum
  • 13. D’anciennes victimes d’enlèvement se détendent au centre de réadaptation de GUSCO ; certaines d’entre elles ont été pendant plusieurs années les travailleuses forcées et les « épouses » des rebelles de l’Armée de résistance du seigneur, dans le Nord de l’Ouganda. L’une des jeunes filles porte un bébé, tandis qu'une autre parcourt un journal sur lequel on peut lire, en gros titre : « L’amour ne doit être ni imposé, ni précipité, ni blessé. » Photo : Sven Torfinn/OCHA
  • 14. cas de violences sexuelles manigancées voire perpétrées par des agents de police ou de sécurité locaux, une découverte sans surprise.63 Il est peut-être plus étonnant, en revanche, de constater à quel point les acteurs humanitaires — ceux-là mêmes qui s’engagent à venir en aide aux victimes — ont été impliqués dans les crimes sexuels commis contre les réfugiés et les déplacés. En 2002, un rapport publié conjointement par l’organisation Save the Children (Royaume-Uni) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés contenait une série d’allégations formulées à l’encontre de 67 individus travaillant pour 40 organismes d’aide, qui portaient secours aux réfugiés dans trois pays d’Afrique de l’Ouest. Une jeune mère réfugiée avait déclaré aux chercheurs, « Je suis obligée de coucher avec plein d’hommes pour gagner les 1 500 [GNF, soit 37 centimes de dollars US] dont j’ai besoin pour nous nourrir, moi et mon enfant. [Les gens d’ici] me paient 300 (7 cents) à chaque fois, mais si j’ai la chance de tomber sur un [travailleur humanitaire], je peux me faire 1 500 ». Une autre réfugiée a expliqué, « Dans cette communauté, personne n’obtient de mélange maïs-soja-bourgou sans avoir eu, au préalable, des rapports sexuels. »64 Chargée de donner suite à ces allégations, une équipe de recherches soutenue par les Nations Unies a remis en cause la véracité du rapport. Pourtant, de multiples cas d’exploitation sexuelle imputés à des travailleurs humanitaires et survenus dans des camps au Kenya, au Zimbabwe et au Népal, entre autres, ont, par la suite, continué d’attirer l’attention sur la gravité de ce problème.65 Reconstruction ou exploitation ? Certaines preuves portent à croire que la violence sexuelle ne s’achève pas nécessairement après la cessation du conflit armé. En Irak, notamment, les cas de viol se seraient multipliés de manière alarmante avec l’insécurité qui règne depuis la fin de la guerre. En 2003, une victime du nom de « Dalal » a été enlevée et retenue captive une nuit entière. Elle aurait été violée par quatre Irakiens qui, pense-t-elle, « voulaient kidnapper n’importe qui […] pour obtenir ce qu’ils désiraient. »66 Dans d’autres contextes post-conflit, si le nombre des cas de viol diminue, le risque d’être pris au piège du trafic ou de la prostitution imposée par la force ou la contrainte est, en revanche, susceptible d’augmenter. Aux Balkans, la prostitution et le trafic se sont considérablement développés à la suite des guerres qui ont ravagé l’ex-Yougoslavie. Les événements qui se déroulent dans cette région illustrent comment des criminels peuvent se substituer aux factions combattantes pour continuer d’exercer des violences sexuelles à l’égard des femmes et des filles. À cela s’ajoute enfin la présence des forces de maintien de la paix, susceptibles de représenter une part non La violence sexuelle en temps de guerre 193 ont observé ses parties génitales avec une lampe de poche et ont laissé un autre homme la violer tandis qu’ils regardaient. »58 Une protection institutionnelle insuffisante Tout comme le viol en temps de guerre, de tels actes de violence se multiplient dans ces contextes d’impunité qui caractérisent bien souvent la vie des populations déplacées. La situation est particulièrement terrible pour les personnes déplacées. Bien qu’en 1998, les Nations Unies aient établi des principes directeurs concernant la protection des populations déplacées, elles ne disposent pas encore d’un organe spécialement mandaté pour leur assurer soins et protection. Bien que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés intervienne de plus en plus afin de combler cette lacune, il n’a pu, en 2004, porté assistance qu’à 5,6 millions de déplacés dans le monde, sur quelque 25 millions.59 Bien souvent, la prise en charge des déplacés est principalement du ressort des autorités nationales, dont les ressources risquent d’avoir été épuisées ou détournées par le conflit. Selon une évaluation de la santé reproductive des réfugiés et des déplacés effectuée au niveau mondial par un groupe de travail interorganisations, ce sont parmi les populations de déplacés que les services de santé reproductive font le plus cruellement défaut. Parmi eux, les services relatifs au traitement de la violence sexiste sont les moins développés.60 Pour les réfugiés, le scénario n’est sans doute pas bien meilleur. Dans bien des cas, les représentants du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés chargés de traiter la question de la violence sexiste sur le terrain ne sont pas assez nombreux. Toutefois, même lorsqu’ils sont en nombre suffisant, la capacité du HCR à assurer une protection durable contre la violence sexuelle dépend bien souvent de l’engagement du pays d’accueil à traiter la question. Lorsque le gouvernement du pays ou la communauté locale fait preuve d’hostilité, les réfugiés sont davantage exposés à toutes formes de violence, y compris la violence sexuelle. En 2000, au cours d’une déclaration, le président guinéen avait notamment accusé les réfugiés libériens et sierra-léonais d’héberger des rebelles armés responsables d’attaques contre la Guinée. A la suite de cela, femmes et filles réfugiées auraient été violées au cours de représailles de masse, déclenchées par la police, les soldats et les civils guinéens.61 De même, une cinquantaine de Burundaises réfugiées en Tanzanie auraient été attaquées, en mai 1999, par plus d’une centaine de Tanzaniens, pour venger, semblait-il, la mort d’un instituteur de la région.62 Des milliers d’Afghans résidant au Pakistan et de Birmans vivant en Thaïlande ne se sont jamais vu accorder le statut officiel de réfugiés par les autorités de leur pays d’accueil. De peur d’être rapatriés de force, ils risquent de ne jamais déclarer aux autorités locales les violences sexuelles qui leur sont infligées. Enfin, au Pakistan comme en Thaïlande, les femmes et les filles réfugiées ont évoqué de nombreux Il est peut-être plus étonnant, en revanche, de constater à quel point les acteurs humanitaires — ceux-là mêmes qui s’engagent à venir en aide aux victimes — ont été impliqués dans les crimes sexuels commis contre les réfugiés et les personnes déplacées.
  • 15. négligeable de la demande locale : celles-ci ont en effet été mises en cause pour avoir eu recours aux travailleuses du sexe dans divers pays tels que la Bosnie-Herzégovine, la Sierra Leone, le Kosovo, Timor Leste et la République démocratique du Congo. Dans bien des cas, le risque encouru par les femmes et les filles de tomber entre les mains des exploiteurs sexuels est accentué par les programmes de reconstruction qui ne ciblent pas spécifiquement leurs besoins ou ne luttent pas contre certaines traditions patriarcales anciennes, discriminatoires à l’égard des femmes. Après le génocide rwandais, par exemple, les lois relatives à l’héritage empêchaient les survivantes, femmes et filles, de prendre possession des biens des hommes de leurs familles ayant trouvé la mort, à moins qu’elles n’aient été explicitement désignées comme bénéficiaires. En conséquence, des milliers de femmes se sont trouvées dans l’incapacité de revendiquer légalement leurs domiciles et leurs terres.67 Ces femmes démunies, qui retournent dans leurs communautés sans famille ni ressources, risquent davantage d’être prises au piège du commerce du sexe. Triste ironie du sort, les femmes et les filles victimes de violence sexuelle en période de conflit sont probablement les plus vulnérables à toute nouvelle exploitation en contexte d’après-guerre. Certaines victimes de viol risquent d’être rejetées par leur famille et leur communauté pour avoir « perdu leur valeur. »68 En 2003, au Burundi, des femmes victimes de viol ont confié aux chercheurs qu’elles « avaient été l’objet de sarcasmes, d’attitudes humiliantes et même d’un rejet de la part de femmes de leurs familles, de camarades de classe, d’amies ou de voisines, qui leur reprochaient l’agression qu’elles avaient subie. »69 Les femmes violées risquent d’être abandonnées par leurs maris, qui craignent de contracter le sida ou ne peuvent tout simplement pas tolérer le « déshonneur » qu’elles feraient rejaillir sur eux. Sans perspective d’avenir, ces femmes peuvent voir en la prostitution leur seule option viable. Les sévices subis par d’autres femmes et filles peuvent également atténuer, à leurs yeux, les dangers auxquels elles s’exposeraient en se livrant au commerce du sexe. En Sierra Leone, une jeune fille, enlevée par des rebelles, s’est volontairement livrée à la prostitution après avoir été libérée par ses ravisseurs. Elle se serait déclarée « chanceuse d’être désormais payée. »70 Au Rwanda, une séropositive de Kigali évoquait ainsi la résignation de sa sœur : « Après la guerre, nous avons vu que notre famille était décimée… Ma petite sœur dont je m’occupe est en quelque sorte une prostituée parce qu’elle n’a pas d’argent. Elle dit qu’elle continuera cette activité même si elle devient séropositive. Elle dit qu’elle voit ma santé se dégrader et qu’elle veut goûter à la vie avant de mourir. »71 Le mépris de son propre bien-être n’est que l’un des nombreux effets potentiellement destructeurs de la violence sexuelle sur les victimes. 194 La violence sexuelle en temps de guerre Conséquences sur la victime La violence sexuelle contre les femmes en période de guerre et d’après-guerre peut avoir des conséquences sanitaires négatives quasiment incalculables, à court et à long terme. Au vu des viols collectifs, systématiques et d’une violence exceptionnelle, de milliers de femmes et de filles congolaises, les médecins exerçant en RDC considèrent aujourd’hui la « destruction vaginale » comme un crime de combat. Nombre de victimes souffrent de fistules traumatiques — déchirement des tissus entre le vagin et la vessie ou le rectum.72 Les victimes risquent également de souffrir d’autres complications médicales à long terme : prolapsus utérin (descente de l’utérus dans le vagin ou au-delà) et autres troubles graves du système reproducteur (tels que la stérilité), complications liées aux fausses-couches et avortement provoqué.73 Par ailleurs, les victimes sont aussi particulièrement exposées aux infections sexuellement transmissibles. En 2003, les cliniques médicales de Monrovia, au Libéria, ont rapporté que toutes leurs patientes — dont la plupart affirmaient avoir été violées par des soldats de l’ancien gouvernement ou des membres de l’opposition armée — avaient contracté au moins une infection sexuellement transmissible.74 Non traitées, ces infections peuvent provoquer la stérilité — une conséquence dramatique pour les femmes et les filles, dans des cultures où leur valeur dépend de leur capacité de reproduction. En outre, les infections sexuellement transmissibles augmentent le risque de transmission du VIH. Le VIH/sida figure parmi les conséquences les plus dramatiques de la violence sexuelle sur la santé physique des victimes — comme l’attestent les souffrances continues des femmes, au Rwanda. Une enquête avait été menée en 2000 auprès de plus de 1 000 femmes, dont les maris avaient trouvé la mort au cours du génocide : parmi elles, soixante-sept pour cent des victimes de viol étaient séropositives. La même année, le Secrétaire Général des Nations Unies avait déclaré : « de plus en plus, les conflits armés favorisent la propagation du VIH/sida, que les troupes en campagne répandent dans leur sillage. »75 Bien que l’urgence du problème posé par le VIH/sida en temps de guerre soit pleinement reconnue, les ressources mobilisées pour y remédier sont insuffisantes. Au Rwanda comme ailleurs, les traitements disponibles pour les victimes de viols ayant contracté le VIH « sont insuffisants et arrivent trop tard. »76 L’histoire de cette femme séropositive, victime du génocide, illustre les conséquences tragiques de ce problème : « Depuis que j’ai appris que j’étais infectée [en 1999], mon mari a dit qu’il ne pouvait plus vivre avec moi. Il a divorcé et m’a laissée avec trois enfants. Maintenant, je n’arrive pas à payer la nourriture, le loyer, l’école, et tout le reste. Je n’ai plus de famille. Ma petite fille de six ans a beaucoup de problèmes de santé, et elle doit avoir le VIH. Elle devrait prendre des anti-rétroviraux, mais nous n’avons pas assez d’argent. Comme je me suis mariée après la guerre, je peux difficilement obtenir de l’aide du Fonds des rescapés du génocide. Ma plus grande préoccupation, ce sont mes enfants : qu’est-ce qui leur arrivera si je meurs ? Je veux leur trouver des parrains, comme ça, je pourrai au moins mourir en paix. »77 « De plus en plus, les conflits armés favorisent la propagation du VIH/sida, que les troupes en campagne répandent dans leur sillage. »
  • 16. Des jeunes filles récemment libérées attendent d’être soignées pour leurs blessures aux pieds à l'hôpital St Joseph de Kitgum ; elles avaient été contraintes de faire office de porteuses et d’« esclaves » domestiques pour le compte de l’Armée de résistance du seigneur, qui sévit dans le Nord de l'Ouganda. Elles font partie des dizaines de milliers d’enfants qui ont été, et continuent d’être, enlevés et mis au service des rebelles. Durant les vingt années qu’a duré le conflit, femmes et jeunes filles ont été vulnérables aux agressions physiques et aux sévices sexuels, perpétrés non seulement par les rebelles mais également par les soldats du gouvernement. Photo : Sven Torfinn/OCHA
  • 17. En 2002, cette femme a été la victime des forces rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF). En Sierra Leone, ainsi qu’au Libéria voisin, le RUF a amputé les bras et les mains des civils pour intimider les communautés et semer la terreur. Même si la paix règne aujourd'hui dans la région, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants vivent avec le souvenir irréparable de ces tactiques brutales. Photo : Brent Stirton
  • 18. La violence sexuelle en temps de guerre 197 Répondre aux innombrables besoins sanitaires des victimes d’agressions sexuelles liées à la guerre est d’autant plus difficile que bien des régions ravagées par la guerre ne disposent pas de personnel qualifié ni d’infrastructures adéquates. Au cours de recherches menées à Timor-Leste et au Kosovo, en période d’après-guerre, et chez les déplacées en Colombie, plus des deux tiers des femmes interrogées ont déclaré qu’il leur était difficile d’obtenir des services de santé reproductive.78 Même lorsque de tels services sont dispensés, ils ne sont pas toujours gratuits — comme c’est le cas dans de nombreux pays d’Afrique, où les centres de santé publics appliquent une politique de recouvrement des coûts. De surcroît, de nombreuses cliniques médicales comprennent des salles d’attente ouvertes où les femmes et les filles peuvent être tenues d’exposer les raisons qui les poussent à demander un traitement ; sans confidentialité, elles risquent de dissimuler les sévices subis. Par ailleurs, la conviction des travailleurs de la santé qu’il leur incombe « de prouver ou d’infirmer » le viol constitue, elle aussi, un facteur limitatif influant sur la qualité des soins prodigués. Dans certains pays, les femmes qui demandent un traitement médical peuvent être tenues, au préalable, de déclarer leur cas à la police avant d’être orientées vers un centre médical. Cette condition elle-même risque de les exposer à de nouvelles violences. Au Darfour, par exemple, les victimes de viol sont arrêtées pour grossesse « illégale » (survenue hors des liens du mariage). Une jeune Soudanaise de 16 ans, déjà rejetée par sa famille et son fiancé, a enduré les maltraitances supplémentaires de la police : « Alors que j’étais enceinte de huit mois des suites du viol, des policiers sont venus à ma case et m’ont forcée à les accompagner au commissariat, en me menaçant avec leurs armes. Ils m’ont posé des questions, alors je leur ai dit que j’avais été violée. Ils m’ont dit que je n’étais pas mariée, et que j’allais donc mettre au monde le bébé illégalement. Ils m’ont battue avec un fouet sur la poitrine et le dos, puis ils m’ont jetée en prison. Là-bas, il y avait d’autres femmes qui avaient vécu la même expérience. Pendant la journée, on devait marcher jusqu’au puits quatre fois pour amener de l’eau aux policiers. On devait aussi faire le ménage et la cuisine pour eux. La nuit, j’étais dans une petite cellule avec 23 autres femmes. Je n’avais pas de nourriture, à part ce que je pouvais trouver en travaillant pendant la journée. Et l’eau que je buvais, c’était celle du puits. Je suis restée 10 jours en prison et maintenant, je dois payer l’amende qu’ils réclament — 20 000 dinars [65 dollars américains]. Aujourd’hui, mon enfant a deux mois. »79 Pour celles qui font l’objet d’une discrimination au sein de leur famille et de leur communauté, et qui, de surcroît, ne reçoivent aucun soutien psychologique de base, les conséquences émotionnelles des violences subies peuvent être tout aussi débilitantes que toute blessure physique. Au Rwanda, nombre de victimes de viols vivraient « encore en permanence sous le spectre de la douleur ou de la gêne, qui réduit leur capacité à travailler, à s’occuper de leur famille et à subvenir aux besoins de celle-ci ».80 Pendant le génocide, l’une de ces femmes a été victime d’un viol collectif avant d’être battue jusqu’à perdre connaissance ; elle est ensuite revenue à elle juste à temps pour assister à un massacre qui se déroulait tout autour d’elle. Dix ans plus tard, elle confie : « Je regrette de n’être pas morte ce jour-là. Aujourd’hui, ces hommes et ces femmes qui sont morts reposent en paix. Mais moi, je suis toujours là, pour souffrir encore plus. Je suis handicapée, au sens propre du terme. Je ne sais pas comment l’expliquer. Je regrette d’être en vie parce que j’ai perdu le goût de vivre. Nous les victimes, nous avons mal au cœur. Nous vivons dans une situation qui nous accable. Nos blessures deviennent plus profondes encore, avec chaque jour qui passe. Nous sommes continuellement en deuil ».81 Les implications d’un tel témoignage mettent en évidence l’importance des programmes destinés à aider les victimes : ceux-ci sont en effet indispensables pour reconstruire de manière viable les vies des individus, des familles et des communautés et rétablir durablement leurs moyens de subsistance, dans le sillage du conflit armé. Néanmoins, dans la plupart des pays en conflit, les humanitaires et les défenseurs des droits de la personne luttent aujourd’hui encore pour assurer que les victimes puissent accéder aux services les plus élémentaires. Le but ultime — mettre fin à l’épidémie de violence sexuelle contre les femmes et les filles en période de guerre — semble encore plus difficile à atteindre que la mise en place de services adéquats de prise en charge. Aider et protéger les victimes L’action que mène la communauté internationale pour lutter contre la violence à l’égard des femmes parmi les réfugiés, les déplacés, et à la suite de conflits est relativement récente. La plupart des initiatives ont été prises au cours des dix dernières années seulement. À la fin des années 1990, notamment, un certain nombre de programmes ont été mis en place dans différentes régions du monde ; ces programmes, établis à une échelle relativement réduite, n’en étaient pas moins essentiels. Les leçons tirées de ces efforts ont permis d’établir un modèle théorique, actuellement soutenu par différents organismes, notamment le Haut Commissariat pour les réfugiés. Ce modèle reconnaît l’importance d’intégrer des programmes de prévention et de prise en charge dans et entre les secteurs de prestation de services, et particulièrement dans les domaines de la santé, de l’aide sociale, de la sécurité et de la justice.82 En d’autres termes, les victimes doivent avoir accès à des soins médicaux ainsi qu’à une aide psychosociale ; elles devraient pouvoir compter sur la protection de la police, des forces de maintien de la « Je regrette d’être en vie parce que j’ai perdu le goût de vivre. Nous les victimes, nous avons mal au coeur. Nous vivons dans une situation qui nous accable. Nos blessures deviennent chaque jour plus profondes. Nous sommes continuellement en deuil. »
  • 19. paix et de l’armée ; enfin, elles sont en droit d’obtenir une aide juridique, si elles décident de poursuivre en justice leurs agresseurs. Pour lutter contre la violence sexuelle, il faut également assurer un système d’éducation nationale et de sensibilisation — à l’échelle de la famille et de la communauté ainsi qu’auprès des prestataires de services — afin que les médecins, les avocats, les juges et la police soient en mesure de prendre en charge les victimes de manière efficace et en leur apportant le soutien dont elles ont besoin. Enfin, il est indispensable de plaider pour une amélioration de la législation en vue de protéger les femmes et les filles, ainsi que pour la mise en place de politiques qui favorisent l’égalité des sexes. La définition générale des rôles et des responsabilités de chacun figurant dans ce « modèle multisectoriel » fournit un cadre général pour la lutte contre la violence à l’égard des femmes. Pourtant, selon les conclusions d’une évaluation réalisée en 2001, ce modèle est peu appliqué dans presque toutes les régions en conflit du monde.83 D’après ladite évaluation, le premier obstacle à la mise en place de programmes multisectoriels tiendrait au fait qu’on ne donne pas priorité — ni au niveau national ni au niveau international — à la lutte contre la violence à l’égard des femmes, source de préoccupation majeure en matière de santé et de respect des droits de la personne. En conséquence, il était fait état d’un manque de ressources financières, techniques et logistiques, indispensables pour s’attaquer au problème. L’évaluation de 2001 révélait en outre que de nombreuses victimes n’obtenaient pas l’aide dont elles avaient besoin et qu’elles méritaient, et que la prévention de ces violences ne recevait pas toute l’attention voulue. L'année suivante, une enquête avait été menée par des experts indépendants, sous l’égide du Fonds de développement des Nations Unies pour la femme. Les experts avaient conclu, se faisant l’écho des résultats de l’évaluation : « le niveau de protection des femmes victimes de conflits brille par son insuffisance, tout comme la réaction de la communauté internationale. »84 Ces lacunes persistent, aujourd’hui encore. Toutefois, de plus en plus d’initiatives sont mises en oeuvre sur le terrain pour lutter contre la violence sexuelle envers les femmes et les filles, et ce malgré un manque de financement accablant. De nombreuses organisations humanitaires parfont leur méthodologie pour tenter de déployer et d’améliorer les services proposés aux victimes, ainsi que pour renforcer la capacité des organismes locaux à s’occuper de ce problème. De plus en plus de régions adoptent des procédures standardisées de gestion médicale des viols. En outre, des modules de formation ont été élaborés pour renforcer la capacité des entités locales à répondre aux besoins psychosociaux des victimes. Enfin, diverses démarches sont entreprises – de façon plus manifeste au lendemain de conflits mais aussi dans certains camps de 198 La violence sexuelle en temps de guerre réfugiés – pour encourager l’adoption de réformes législatives qui permettraient de mieux protéger les femmes et les filles contre diverses formes de violence. Les programmes éducatifs mis en place à l’échelle de la communauté et visant à modifier les attitudes et les comportements qui favorisent les violences, sexuelles et autres, envers les femmes, sont répandus dans un certain nombre de zones. Les recherches sur la nature et l’étendue du problème se sont également multipliées au cours des dernières années, de sorte qu’elles exercent une pression sur les acteurs internationaux comme sur les pays pour les inciter à prendre des mesures plus radicales en vue de lutter contre la violence envers les femmes en situation de conflit et de post-conflit. En outre, plusieurs initiatives internationales de haut niveau sont actuellement en cours en vue d’encourager les organisations d’aide humanitaire à mettre en œuvre une action plus coordonnée et plus globale. De nouvelles lignes directrices ont été présentées par un groupe de travail du Comité permanent interorganisations des Nations Unies. Elles contiennent des recommandations détaillées, relatives au niveau minimum d’action requis pour faire face à la violence sexuelle en situation d’urgence. Par ailleurs, elles engagent l’ensemble des acteurs humanitaires à lutter contre ce problème dans leurs domaines d’action respectifs. En janvier 2005, le Comité permanent interorganisations a publié un communiqué pour confirmer, une nouvelle fois, son engagement en faveur d’une « action urgente et concertée, destinée à prévenir la violence sexiste, et notamment la violence sexuelle, en assurant des soins et un suivi adéquats aux victimes, et en s’efforçant de tenir les agresseurs pour responsables de leurs actes. »85 Dans cette optique, une initiative mondiale destinée à « mettre un terme au viol en temps de guerre » est actuellement mise au point de concert par différents organes des Nations Unies et plusieurs organisations non-gouvernementales. Les deux priorités de cette initiative consistent à mettre en place une campagne de sensibilisation aux niveaux local, régional et international, et à renforcer les programmes de lutte contre la violence sexuelle en situation de conflit. L’un des résultats notables de l’initiative proposée sera de réduire de 50 pour cent au moins le nombre de viols dans les pays- cibles, d’ici à l’an 2007. De telles ambitions exigeront une « modification considérable » des approches employées pour lutter contre la violence sexuelle en temps de guerre : il faudra tout particulièrement donner priorité à toutes les démarches entreprises pour venir à bout de l’impunité alarmante à l’origine de « l’ampleur consternante et de la persistance tenace » de cette forme de violence.86 Venir à bout de l’impunité : la dernière étape Au cours de la dernière décennie, outre une augmentation du nombre de programmes mis en place sur le terrain, des avancées considérables ont été constatées en matière Au cours de la dernière décennie, […] des avancées considérables ont été constatées en matière de normes internationales et de systèmes de responsabilité destinés à sanctionner les auteurs de violences sexuelles.
  • 20. Des jeunes filles discutent dans le dortoir du centre de réadaptation de GUSCO, dans le Nord de l’Ouganda. La plupart des anciennes victimes d’enlèvement du centre ont été réduites à un état de quasi-esclavage par l’Armée de résistance du seigneur (LRA), un groupe rebelle, et forcées à avoir des relations sexuelles avec les combattants. « Cecilia », 20 ans (qui n’apparaît pas sur la photo), a été enlevée dans une école secondaire de Pader à l’âge de 15 ans et a passé cinq ans en captivité. Elle se trouve aujourd’hui au centre de réadaptation de Kitgum. « J’ai été donnée à John Okech, l’un des commandants supérieurs de [Joseph] Kony [chef du LRA]. J’étais sa quatrième femme. Peu de temps après, il a amené quatre autres jeunes filles. Elles devaient devenir ses femmes dès qu’elles seraient un peu plus âgées. En attendant, elles devaient garder les enfants de ses autres femmes. Lorsque le mari qu'on vous donne est commandant, on attend de vous que vous rapportiez de la nourriture. On vous donne également une arme à feu, et on s’attend à ce que vous vous battiez. J’étais souvent choisie pour participer aux patrouilles. « Je suis tombée enceinte début 2002, au moment où Kony prévoyait une attaque de l’UPDF [Forces de défense du peuple ougandais] sur nos bases au Soudan. En juin, l’ensemble du groupe avait discrètement regagné l’Ouganda, et se cachait dans les monts Imatong. Cette période a été la plus difficile pour les captifs. Mon mari a pris part à l’attaque d’Anaka [un village du district de Gulu]. Il a été blessé par balle à la poitrine par l’UPDF. Il est mort quelques jours plus tard. J’ai donné naissance à un petit garçon, mais il est mort au bout d’un mois. « J’ai été libérée après la mort de mon mari. Je suis rentrée de la brousse il y a quelques jours seulement. Je suis toujours hantée par d'effrayants cauchemars. Je ne rêve que d'une chose, que je suis toujours dans la brousse. J’entends des enfants pleurer. Je rêve qu’on nous attaque, ou qu’on est au combat, ou bien qu’on marche pendant des jours dans un désert brûlant, sans eau ni nourriture. Je suis heureuse d'être rentrée, mais je n’ai plus d’espoir de retourner à l’école. J’ai entendu que toute ma famille avait été déplacée. Ils sont dispersés dans les camps du district ». [Extrait de When the sun sets, we start to worry… Un récit de vie dans le Nord de l’Ouganda publié en 2003 par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) et le Réseau intégré régional d’information (IRIN).] Photo : Sven Torfinn/OCHA
  • 21. En raison de l’insécurité constante qui règne dans le Nord de l'Ouganda, plus de 1,6 millions de personnes vivent actuellement dans plus de 200 camps pour personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. Les personnes qui séjournent dans les camps racontent que la vie de déplacés a des conséquences très néfastes sur leur société. Parmi les signes de l’effondrement social, citons le degré élevé de promiscuité, la toxicomanie, les relations sexuelles non protégées et le nombre croissant de filles-mères. Étant donné que ces personnes restent de plus en plus longtemps dans les camps, ce qu'il leur reste de dignité est progressivement détruit. D’après les chefs des camps, certaines personnes âgées finissent par perdre l’esprit, méprisées par une jeunesse traumatisée et contraintes d’assister, impuissantes, au bouleversement de leur société sous l’effet de la violence et de la peur. Dans les foyers tenus par des femmes, les difficultés sont encore plus grandes. D’après une femme du nom de « Risper », au camp de Kitgum, les résidents qui dorment dans leurs huttes sont gravement menacés. Risper, dont le mari, atteint du sida, est décédé en 2003 d’une maladie opportuniste, élève seule ses trois enfants. La plus jeune, âgée de deux ans, est gravement malade. Risper n’a pu trouver personne pour l’aider à construire sa hutte. « Ils veulent tous de l'argent », a-t-elle expliqué. Alors qu’une journée aurait suffi, Risper y travaille depuis des jours. « Je ne suis pas assez forte pour terminer le travail rapidement », dit-elle. « Et puis, j’ai d’autres responsabilités. » Après avoir travaillé à la construction de sa maison, elle a dû préparer le repas de ses enfants, le seul de la journée. Elle disposait, pour seuls ingrédients, d’une tasse de farine de sorgho et de quelques légumes verts. « Nous allons manger, puis chercher un endroit pour dormir », a-t-elle expliqué. « Nous ne dormons pas dans nos huttes. » Photo : Sven Torfinn/OCHA
  • 22. La violence sexuelle en temps de guerre 201 de normes internationales et de systèmes de responsabilité destinés à sanctionner les auteurs de violences sexuelles. Devant les Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie, les actes de violence sexuelle sont jugés en tant que crimes de génocide, actes de torture, crimes contre l’humanité ou encore crimes de guerre. Selon le Statut de Rome, traité fondateur de la Cour pénale internationale (CPI), une institution récente, le viol, le trafic et l’esclavage sexuels, la prostitution, la grossesse et la stérilisation forcées ainsi que d’autres formes de violence et de persécution sexuelles constituent des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. La CPI ouvrent à l’heure actuelle plusieurs enquêtes pour faire la lumière sur divers cas survenus dans plusieurs pays touchés par les conflits. Autre avancée révolutionnaire : l’adoption, en 2000, par le Conseil de sécurité des Nations unies, de la résolution 1325, qui demande spécifiquement « à toutes les parties à un conflit armé de prendre des mesures particulières pour protéger les femmes et les petites filles contre les actes de violence sexiste, en particulier le viol et les autres formes de sévices sexuels, ainsi que contre toutes les autres formes de violence dans les situations de conflit armé ».87 Depuis lors, le Secrétaire général des Nations unies a soumis au Conseil de sécurité deux rapports sur la mise en application de la résolution 1325. Selon ces rapports, il reste fort à faire : il faut notamment faire en sorte que les Etats soient tenus responsables des actes des forces combattantes et augmenter le niveau de participation des femmes à chaque étape du processus de consolidation de la paix. Toutefois, les rapports indiquent également que plusieurs avancées majeures ont été réalisées avec la mise en application de codes de conduite qui établissent une « tolérance zéro » pour tous les membres du personnel des Nations unies, y compris les Casques bleus, susceptibles d’exploiter sexuellement celles-là mêmes à qui ils sont censés apporter leurs services. Depuis que ces codes de conduite ont été mis en application, des mesures ont été prises à l’endroit des contrevenants dans un certain nombre de pays. En RDC, par exemple, une enquête a été ouverte pour faire la lumière sur des allégations d’exploitation sexuelle proférées à l’encontre de plus de 100 Casques bleus. Toutefois, de graves problèmes d’impunité persistent dans presque toutes les régions touchées par les conflits dans le monde. Les tribunaux internationaux ne peuvent juger qu’un petit nombre d’affaires, et de nombreux gouvernements nationaux n’ont pas les ressources ni la volonté d’engagement voulues pour poursuivre en justice les auteurs de crimes sexuels contre les femmes. Dans certains cas, les sévices infligés par des forces de combat étrangères sur le territoire de l’État ne relèvent pas de la compétence des autorités nationales. Dans d’autres, les gouvernements font peu d’efforts pour encourager les victimes à se manifester : les prescriptions relatives à la preuve font souvent peser la charge de la preuve sur ces dernières, dont certaines doivent, par ailleurs, financer elles-mêmes leur assistance juridique. En outre, lorsqu’un examen médico-légal est requis, les prestataires de santé doivent être en mesure d’en recueillir les résultats à temps et être préparés à présenter ces résultats lors du procès. Enfin, la police ou les forces de sécurité concernées doivent être formées à enquêter et à formaliser leurs constatations par écrit comme il se doit. Aux quatre coins du monde, pour de nombreuses victimes de crimes sexuels en situation de conflit, la réalité frustrante est qu’aucun système n’a été mis en place pour leur assurer la protection la plus élémentaire, et encore moins leur donner accès à la justice. Une telle impunité reflète et renforce les normes culturelles répandues qui tolèrent l’inévitabilité de la violence contre les femmes et les filles, en période de paix comme en temps de guerre. Ce sont ces normes qui doivent être combattues avec la plus grande vigueur afin d’assurer une baisse du degré de maltraitance : « Dans un monde où les crimes sexuels sont bien souvent considérés comme de simples délits quand l’ordre public est respecté, le viol ne saurait certainement pas être perçu comme un crime grave en période de guerre, lorsque toutes les règles qui régissent les interactions humaines sont bouleversées, et que les auteurs des actes les plus ignobles reçoivent régulièrement des éloges. […] Ce qui importe le plus, c’est que nous conjuguions la reconnaissance récente du rôle du viol en temps de guerre à la reconnaissance suivante : le seuil de tolérance de l’humanité à la violence sexuelle n’est pas établi par les tribunaux internationaux après la guerre. Ce point de repère est établi par les sociétés, en temps de paix. Les règles de la guerre ne pourront jamais véritablement changer tant que les agressions violentes perpétrées contre les femmes seront tolérées dans la vie de tous les jours. »88 Dans un monde où des milliers de femmes et de filles se voient infliger des violences sexuelles en toute impunité en période de conflit, le message doit être clair : chaque viol est un crime de guerre. n …de graves problèmes d’impunité persistent dans presque toutes les régions touchées par les conflits dans le monde. Les tribunaux internationaux ne peuvent juger qu’un petit nombre d’affaires, et de nombreux gouvernements nationaux n’ont pas les ressources ni la volonté d’engagement voulues pour poursuivre en justice les auteurs de crimes sexuels contre les femmes.
  • 23. 202 La violence sexuelle en temps de guerre « Helena », 25 ans, a été violée par un soldat à Sake, en République démocratique du Congo. Sa fille « Fara », l’enfant du viol, est âgée de deux ans et demi. « Une nuit, alors qu’on m’avait envoyée acheter du sel, un groupe de soldats qui traînaient près du marché m’ont attrapée. Ils m’ont entraînée près de là, dans une maison abandonnée où ils violaient régulièrement les personnes qu'ils enlevaient au marché. Ils étaient 10 hommes, dont l’un m’a violée. Il m’a jetée par terre et m’a battue, avec l’aide des autres. J’ai dit à l’homme que je n’étais qu’une enfant et que je ne voulais pas faire ces choses-là, mais il a simplement continué. J’ai eu très mal au ventre. Ils m’ont ensuite emmenée de force à Kimbumba, à 30 kilomètres de Goma, où il m’a gardée une semaine avant d’être envoyé au combat. On m'a laissée là, enceinte de lui. Mes parents pensaient que j’avais disparue, donc ils m’ont accueillie à la maison à bras ouverts lorsque je suis rentrée. Mais j’ai beaucoup de problèmes : je dépends de ma mère pour la nourriture, mais parfois, nous ne mangeons rien du tout. Je me sens rejetée par la société à cause de ce qui est arrivé. » L’histoired’Helena Photos : Georgina Cranston/IRIN
  • 24.
  • 25. « Elizabeth » et sa fille de quatre ans ont été sauvagement violées et battues par six miliciens près de chez elles à Masisi, en République démocratique du Congo. Sa fille a été emmenée par leurs agresseurs, et son fils, bébé qu'Elizabeth portait dans le dos pendant le viol, est décédé peu après. Grâce au soutien psychologique de Doctors On Call Services (DOCS), Elizabeth a pu entamer le processus de guérison. « Désormais, je me sens prête à raconter mon histoire. Avant d'être violée, j’avais déjà perdu mes deux parents, tués pendant la guerre, comme de nombreux membres de ma famille. En fait, mes trois s?urs sont veuves car leurs maris ont tous été tués. « Un matin de novembre 2004, je suis allée chercher de la nourriture dans les champs avec deux de mes enfants. Ma fille de quatre ans et moi portions des paniers, mais mon fils était encore bébé, donc je le portais sur le dos. Nous allions dans notre shamba [verger-potager] à 15 kilomètres de là pour chercher des bananes, des plantains et des ananas, lorsque les miliciens ont surgi en face de nous, et derrière nous. Les six hommes nous ont éloignés du chemin pour nous entraîner vers le champ le plus proche et nous ont noué les mains dans le dos, à moi et à ma fille. Ils ont commencé à nous battre avec leurs armes ; ils ont aussi battu mon bébé et lui ont donné des coups de pieds. Aujourd’hui encore, je ressens une douleur intense même lorsque je porte un tout petit seau. « Alors qu’ils étaient en train de me battre, je suis tombée par terre, mon bébé toujours sur le dos. C’est là qu’ils m’ont enlevé ma jupe et se sont mis à me violer ; mon bébé est resté dans mon dos tout du long. C’était impossible de résister, nous ne pouvions même pas faire le moindre bruit. J’ai été violée par trois hommes, et ma fille en même temps par les trois autres, elle était couchée par terre à côté de moi. Pendant que l’un d’entre eux nous violait, les deux autres pointaient leurs armes et nous maintenaient à terre avec leurs pieds. Dès que l’un avait terminé, le suivant prenait le relais. Je me sentais totalement inutile ; nous ne pouvions absolument pas crier, ils nous auraient tuées. Lorsque ça s’est terminé, ils ont emmené ma fille avec eux. Je ne l’ai pas revue depuis. « J’ai eu des douleurs si terribles au ventre, au vagin et au dos qu’ils sont partis en me croyant morte. Je ne pouvais que ramper, et j’ai rampé à travers la brousse pendant trois jours. Ils avaient pris tout ce que j'avais, j’étais donc complètement nue. Je me suis couvert le corps de feuilles, et j'ai porté mon bébé, qui était très malade. Il avait été très violemment battu et lorsque je suis tombée par terre, j’ai atterri sur lui. Il est mort une semaine après l’agression. « Des gens m’ont croisée dans la brousse et je les ai envoyés chercher ma s?ur. Elle m’a ramenée à Masisi, où j’ai découvert que ma maison avait été pillée le jour même L’histoire d’Elizabeth
  • 26. du viol. Ils avaient tout pris. J’étais restée amie avec mon mari, qui était remarié et vivait à Mweso avec sa nouvelle femme, mais après le viol, il m’a totalement rejetée. « J’ai rencontré, par l’intermédiaire de ma s?ur, les psychologues [associés à DOCS] qui m’ont aidée. On m’a emmenée à l’hôpital une semaine après l’agression, et j’ai appris que mon estomac était abîmé. J’étais incapable de marcher, donc on m'a renvoyée chez moi, et j’attends désormais d’être suffisamment forte pour me rendre chez DOCS. Avant, ils ne voulaient pas me laisser partir. Mon état était si critique qu’ils pensaient que je risquais de mourir en chemin. Aujourd’hui, je reprends des forces, mais mon dos est toujours en très mauvais état. « J'avais l’habitude d'aller dans notre shamba chaque jour, mais mon dos a été si endommagé par les coups et le viol que je ne peux plus le faire aujourd'hui. Je n’ai simplement plus la force. J’ai aussi bien trop peur d’y aller. Parfois, je fais des cauchemars qui m’empêchent de dormir. D’autres fois, quand je rêve que je meurs, je me réveille et perds tout espoir. Le soutien de ma communauté m’a beaucoup aidée, ainsi que ma foi en Dieu. DOCS est venu nous écouter et nous conseiller, ils nous ont redonné de l'espoir et nous ont encouragés à continuer de vivre. « DOCS m’a aussi donné une chèvre, des fèves et une binette. Je suis si heureuse, cela prouve que je suis aimée. Je vis avec mes six enfants et jusqu'à aujourd'hui, nous devions vivre de la mendicité, car je n’avais pas le matériel nécessaire pour travailler. Nous sommes si pauvres, mes enfants ne peuvent pas aller à l’école. Mais je vais élever la chèvre et cultiver les fèves pour avoir de quoi manger. » Photos : Georgina Cranston/IRIN
  • 27.
  • 28. Une jeune fille, ex-« épouse de la brousse » en Sierra Leone, enlevée à sa famille à l’âge de 10 ans par les rebelles du Front révolutionnaire uni. Après une tuerie qui a décimé la plupart des habitants de son village, les rebelles l'ont emmenée avec eux pour la faire travailler comme cuisinière, porteuse et esclave sexuelle. Lorsqu’elle a essayé de s’échapper, les rebelles lui ont versé de l’acide sur le bras et le sein en guise d’avertissement, à l’attention des autres captifs. Après deux ans de captivité, elle est parvenue à s’enfuir. Elle a récemment rejoint un petit groupe d’entraide pour femmes victimes de la torture. Alors qu’il n’y a en Sierra Leone qu’un seul psychologue, on compte des milliers de femmes victimes d’agressions sexuelles et de tortures, qui n’ont d’autre solution que de se prendre en charge. Photo : Brent Stirton