Les défis de l'adoption locale en Bolivie, par Anne-Marie Piché, Professeure et Alain Droga, Étudiant 1er cycle, École de travail social, 19 mars 2015, UQAM
1. Les défis de l’adoption locale en Bolivie Anne-Marie Piché, professeure & Alain Droga, étudiant 1er cycle École de travail social UQÀM
Le nombre d’enfants abandonnés ou privés de soins familiaux a augmenté de manière préoccupante en Bolivie au cours des dernières années. Cette étude de cas
documente les enjeux de la réalisation d’adoptions locales dans ce pays. Alors que le gouvernement a mis en place de nouvelles régulations qui empêchent l’adoption
de ces enfants à l’international, des organismes de la communauté de Cochabamba tentent de développer une culture de l’adoption. Ils ont développé une expertise
dans le développement des enfants, identifient et soutiennent les familles boliviennes qui les accueillent. Toutefois, leur travail est entravé par le manque de
collaboration et de sensibilisation des institutions étatiques et juridiques, qui elles seules détiennent le pouvoir décisionnel permettant de concrétiser les adoptions
des enfants.
Problématique et questions
Cette étude a voulu comprendre la
manière dont les organismes d’aide à
l’enfance de la région de Cochabamba
agissent, tant dans la réalisation de
placements adoptifs locaux que dans la
promotion des droits des enfanst privés
de soutien familial. Les questions
initiales de l’entrevue semi-dirigée
concernaient:
-La perception des rôles exercés par
l’organisme; avantages et
contraintes;
-Les enjeux de pratique et de
collaboration rencontrés dans
l’accompagnement des enfants et
des adoptants dans un processus
de placement, d’adoption, ou de
réintégration familiale ;
-Les stratégies déployées pour se
positionner dans le « champ » de
l’adoption locale.
Cadre Théorique et Méthodologie
Les positions et enjeux vécus par les
acteurs qui se préoccupent de la
protection des enfants vulnérables
peuvent être analysés avec le concept de
« champ » social (Bourdieu, 1980;
appliqué à l’adoption par Ouellette, 2005).
Un champ est défini comme un espace où
des intérêts sont exprimés par des
acteurs d’une société donnée et pour un
domaine d’action ciblé, et ce autour d’un
enjeu central commun : dans ce cas-ci, il
s’agirait de l’enfant abandonné ou « privé
de famille » (UNICEF).
Étude de cas- 9 participants
(organismes)
Devis qualtitatif exploratoire
Entrevue semi-structurée individuelle
avec des employés et directions
d’organismes d’aide à l’enfance de la
région;
Analyse de documentation
Observation d’une rencontre
associative d’organismes
Visite d’orphelinats
Plusieurs organismes dénoncent vivement l’inaction du gouvernement dans l’amélioration de la situation des droits de l’enfant au pays : en 2010, 74% des
enfants boliviens entre 0 et 10 ans étaient affectés par la pauvreté ; 63% étaient à risque pour leur protection et leur développement en milieu familial (53%
à Cochabamba) ; 10.98% étaient à risque très élevé d’abandon (Salazar La Torre et al., 2011). Ceux dont la famille n’a pas pu être soutenue à temps se sont
retrouvés en situation d’abandon : selon le recensement national (rapporté par l’enquête nationale de (Salazar La Torre et al., 2011), 20,000 enfants se
retrouvaient en orphelinat en 2010 ; une augmentation depuis 2001 alors que leur nombre atteignait 9,200. Ceci ne tient pas compte des enfants qui vivent dans
la rue (ninos en situacion de calle) qui eux, sont estimés à 6,000 dans l’ensemble du pays (UNICEF, 2014b).
La prise en charge locale des enfants sans soutien familial est principalement assumée par les organismes communautaires d’aide à l’enfance (ONG) et les
communautés religieuses en Bolivie:
Les objectifs spécifiques que nous avons identifiés pour cette étude étaient de :1) comprendre les réalités spécifiques et les activités d’organismes d’aide à
l’enfance de la localité de Cochabamba; 2) repérer les principaux enjeux qui les mobilisent actuellement et leur signification dans l’exercice de leur mission et 3)
identifier les stratégies employées par ces organismes pour se positionner dans le champ de l’adoption par rapport aux autres acteurs du milieu.
I. Une difficile mobilisation autour
des droits de l’enfant privé de famille
2. Créer une culture de
l’adoption locale: une longue
conscientisation
3. À qui la responsabilité de
protéger les enfants?
Le portrait de situation des enfants et
familles vulnérables de
Cochabamba, dont nous avons pris
connaissance par cette étude,
évoque la prédominance des efforts
des ONG qui se sont mobilisés et
regroupés, en l’absence de
structures d’aide adéquates et de
mobilisation au niveau
gouvernemental quant à la
problématique des enfants
abandonnés.
Si ces organismes de la
communauté tentent d’intervenir, ou
de prévenir à la racine les abandons
et la maltraitance, ils ne bénéficient
d’aucune reconnaissance (ni
matérielle; ni symbolique) du
gouvernement bolivien et doivent
concentrer une grande partie de
leurs efforts dans la recherche de
financement, dans l’assurance de la
survie de leur mission auprès des
enfants. Le soutien intensif, de
qualité et en proximité des familles
est reconnu par tous les intervenants
rencontrés comme la principale
source de résolution du problème de
l’enfance abandonnée et vulnérable,
une solution à long-terme.
Malgré la collaboration instaurée entre
les ONG et le gouvernement bolivien, ce
dernier encourage très peu l’adoption
locale; privilégie l’institutionnalisation des
enfants.
La lenteur des démarches
administratives et juridiques entourant le
placement des enfants et l’interprétation
variable de la loi à ce sujet sont d’autres
motifs de frustration pour les
organismes.
Cette situation limite le nombre de
placements adoptifs qui peuvent être
menés à bien dans la région (à peine 30
par année / 3600 enfants en institution à
Cochabamba).
2.1 Culture de la fertilité, préjugés en
lien avec l’adoption
« Toute la cosmovision andine, la nôtre,
est souvent associée à la productivité et la
fertilité. Bien des gens qui viennent nous
voir des campagnes ont honte ou
ressentent de la tristesse parce qu’ils ne
peuvent pas avoir d’enfants. »
(Intervenante)
2.2 Culture de la violence et adoptions
utilitaires
« C’était ça la vision de l’adoption.
J’adopte un enfant, je l’aide, je l’adopte
entre guillemets, mais je le fais travailler et
il n’a pas les mêmes droits que les enfants
biologiques. C’était un peu la façon de voir
l’adoption ici. » (Intervenante)