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École des hautes études en sciences de l'information et de la communication
                       Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)



                          MASTER 2ème année

                       Mention : Information et Communication

                   Spécialité : Management de la Communication

                       Option : Magistère de Communication




          « Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?»
Les constructions discursives d'une héroïne médiatique sur le marché de l'enfance.



             préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD




                                           PASSOT CAMILLE :
                                           Promotion : 2008-2011


                                           Soutenu le : 28 JUIN
                                           Note au mémoire :
                                           Mention :
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?




L’avant propos et les remerciements ....................................................................................................................................4

L’introduction.........................................................................................................................................................................5

I – Dora, produit d’une culture globalisée sur le marché de l’enfance ............................................................................ 12
    Avant propos : « Il était une fois Dora » ........................................................................................................................... 12
    I.1. Une petite fille en bonne santé dans le monde entier, ou le succès d’une stratégie mondialisée ................................ 13
       I. 1.1. Dora, héroïne de son temps : un produit de « l'industrie culturelle « Mainstream » » ....................................... 14
       I. 1.2. Un « écosystème » Dora, ou la stratégie globale et offensive des créateurs ....................................................... 17
       I.1.3. Une aventurière respectueuse des us et coutumes locales : la « glocalisation », nécessité d’un marché
       mondialisé...................................................................................................................................................................... 19
       I.1.4. Une économie de l'image, une esthétique de la voix : le doublage au cœur de l’expansion géographique ......... 20
    I. 2. En quoi Dora peut-elle être considérée comme une marque ? ................................................................................... 22
        I. 2. 1. Dora, un personnage de série érigé au statut de produit commercial à celui de marque à part entière ........... 22
        I.2.2. Dora déclinée sur tous les supports : forces et intérêts du « versioning » .......................................................... 24
        I.2.3. L’évolution de la marque Dora ou l’agrandissement de la famille Marquez ....................................................... 25
        I.2.4. Une Exploratrice face aux dangers contemporains : la société du risque ........................................................... 27
    I.3. Dora et les enfants, relation marchande ou affective ? ............................................................................................... 28
       I.3.1. Les enfants, des consommateurs qui n’achètent pas encore mais qui décident déjà beaucoup ........................... 28
       I.3.2. Les enfants, des consommateurs comme les autres ou des sujets « victimes » du merchandising offensif mené
       par Dora? ...................................................................................................................................................................... 31
    Conclusion au I : « un business en or massif » qui repose sur un écosystème particulier. ............................................... 34

II. Le succès de Dora repose sur un « discours d'escorte » du renouveau de l'apprentissage par la technophilie. ..... 36
    II. 1. Dora l'Exploratrice : l'imaginaire de l'action contre la passivité cathodique .......................................................... 36
        II. 1. 1. La télévision, média souffrant d'une mauvaise image mais comptant de plus en plus d'adeptes ...................... 36
        II. 1 .2. La télévision « attention, danger public » : un média qui attise les passions ................................................... 37
        II. 1. 3. Les programmes télévisés, concurrents, compléments ou menaces pour l’apprentissage ? ............................. 39
        II. 1. 4. Une télévision « éducative », projet antithétique, hypocrite ou irréaliste ?...................................................... 44
        II. 1. 5. Quels critères établir pour jauger un programme télévisé éducatif à destination des enfants? ....................... 45
    II. 2. L' « éducatif ludique » selon Dora : un apprentissage ostentatoire ou un argument de rassurance pour les
    parents ? ............................................................................................................................................................................ 47
        II. 2. 1. La télévision à la croisée de l'épanouissement et du plaisir de l'enfant ............................................................ 48
        II. 2. 2. Des parents lucides sur les effets d’une télévision éducative ............................................................................ 49
        II. 2 .3 Rassurer les parents : l’espoir d'une télévision édifiante, voire éducative ........................................................ 51
    II. 3 : De la promesse de l'apprentissage à la preuve : comment Dora apprend aux enfants ........................................... 52
        II. 3 .1. La technophilie comme renouveau de l'apprentissage ...................................................................................... 52
        II. 3. 2. La mise en scène de l'apprentissage : la répétition et l’interactivité ................................................................ 54
        II. 3. 3. Les limites de la « pédagogie ludique » et de la « glocalisation » de l’univers Dora....................................... 58
    Conclusion au II : La promesse de l’éducation : de l’esthétique télévisuelle à un programme éthique ............................ 59

III L'émancipation de Dora : comment les discours adultes construisent un personnage destiné au divertissement
enfantin.................................................................................................................................................................................. 62
    III. 1. Ce que Dora promouvrait comme valeurs et idéaux ................................................................................................ 62
       III. 1. 1 Morale et héroïsme : les« valeurs » dans les dessins animés, un grand classique ........................................... 62
       III. 1. 2 Dora, héroïne capitaliste libérale ? .................................................................................................................. 64
       III. 1. 3. La « responsabilité sociale » de Dora, un discours éthique ............................................................................ 68
    III. 2. Réappropriations adultes et intellectualisées de Dora ............................................................................................ 70
       III. 2. 1 Dora, de l’héroïne au féminin à la féministe engagée ...................................................................................... 70
       III. 2.2. Dora clandestine ? La question manifeste de la minorité visible ..................................................................... 75
    III. 3 Dora réécrits, parodiée, repensée : de l’héroïne télévisuelle à l’objet populaire..................................................... 77
       III. 3. 1 Un objet qui circule, une histoire qui se transmet : un objet au fort potentiel médiagénique .......................... 77
       III. 3. 2 : Quand Dora envahit l'imaginaire collectif ..................................................................................................... 80

                                                                                             1
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



    Conclusion au III : Dora, buvard de nos sociétés contemporaines ................................................................................... 84

La conclusion et les ouvertures ........................................................................................................................................... 86

Les annexes ........................................................................................................................................................................... 89
        1.      Les formes d’extension d’une marque .................................................................................................................. 89
        2.      Le cycle de vie du produit- Dora dans le temps et dans le monde ........................................................................ 91
        3.      Le portefeuille de gammes Dora l’Exploratrice ................................................................................................... 93
        4.      Les quatre composantes du mix marketing appliqué au cas de Dora l’Exploratrice ........................................... 94
        5.      Les stratégies de marque de Dora/ Nickelodeon .................................................................................................. 95
        6.      CSA, la protection des mineurs sur internet : ....................................................................................................... 96
        7.      Dora et son public................................................................................................................................................. 97
        8.      Un co-marquage de qualité : Shakira et Dora...................................................................................................... 98
        9.      Dora et Signal, un partenariat qui ne fait pas sourire que les enfants. ................................................................ 99
        10.       « Go Diego go ! » ; Diego, cousin et versant masculin de Dora l’Exploratrice ............................................ 100
        11.       Analyse d’un épisode Dora – sémiologie filmique ......................................................................................... 101
        12.       Analyse comparée de deux magazines Dora l’Exploratrice : France vs Hollande ........................................ 103
        13.       L’interactivité dans un épisode Dora : Dora la Musicienne .......................................................................... 104
        14.       La répétition et la structure actancielle dans un épisode Dora : Dora la Musicienne.................................. 105
        15.       Dora sauve les petits chiens, une interactivité limitée .................................................................................... 107
        16.       Entretien avec une bibliothécaire ................................................................................................................... 110
        18.       Entretien avec une directrice d’école et institutrice en CP ............................................................................ 114
        19.       Entretien avec Lucie, 24 ans, étudiante et baby-sitter .................................................................................... 116
        20.       Entretien avec Nicolas, père de la quarantaine ............................................................................................. 117
        21.       Les trois Dora(s)............................................................................................................................................. 118
        22.       Le sac à dos Dora de Slash ............................................................................................................................ 119
        23.       Les Parfums Dora........................................................................................................................................... 120
        24.       Dora la clandestine : photos et montages dans les médias ............................................................................ 121
        25.       « Dora sous toutes les formes » un produit marchandisé à l’extrême ............................................................ 126
        26.       Des produits Dora au féminin ........................................................................................................................ 134
        27.       Campagne de recensement 2010 .................................................................................................................... 136
        28.       Les héros de Nickelodeon ............................................................................................................................... 137
        29.       Affiche Dora au Casino de Paris - le spectacle musical ............................................................................... 138
        30.       Ni Hao Kaï-Lan .............................................................................................................................................. 139
        31.       Générique de Dora sur Tiji ............................................................................................................................ 139
        32.       Dora sur Désencyclopédie.fr .......................................................................................................................... 140
        33.       Spécialistes des enfants, presse, télévision, un dialogue parfois houleux. ..................................................... 141
        34.       Bob l’Éponge, héros de Nickelodeon et cousin de Dora, responsable de l’obésité infantile ......................... 143
        35.       Sesame Street, fondement, historique et actualités : modèle ou ancêtre de Dora ? ....................................... 144
        36.       Les trois composantes de la communication et de l’éducation ....................................................................... 146
        37.       La promesse de Marque de Nickelodeon : une composition, solution à une dialectique complexe » ............ 147
        38.       Dora sur console, une alliance évidente ......................................................................................................... 149
        39.       « L’interactivité, définitions et fondements ».................................................................................................. 150
        40.       Figures persistantes et rôles fonctionnels dans Dora l’Exploratrice : rétablir l’ordre établi ....................... 151
        41.       La morale édifiante de Kaï-Lan...................................................................................................................... 152
        42.       Un sac à dos qui a bon dos : le Charity-business selon Dora ........................................................................ 153

Bibliographie par thème .................................................................................................................................................... 154
    Références universitaires ................................................................................................................................................. 154
      Communication, textes théoriques et fondamentaux ................................................................................................... 154
      Télévision et industries culturelles .............................................................................................................................. 155
      Exposition et conférences ............................................................................................................................................ 156
    Corpus Presse .................................................................................................................................................................. 157
      Articles concernant Dora ............................................................................................................................................ 157
      Articles plus généraux sur la télévision ....................................................................................................................... 159
      Articles concernant l’interactivité ............................................................................................................................... 161
    Blogs, site internet & émissions ....................................................................................................................................... 161



                                                                                            2
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



    Études de cas : épisodes& livres ...................................................................................................................................... 162

Résumé ................................................................................................................................................................................ 163

Mots-clefs ............................................................................................................................................................................ 165




                                                                                            3
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



L’avant propos et les remerciements


      Tout le monde connaît Dora l’Exploratrice, ne serait-ce que pour la parodie « Dora la junkie » qui
circule sur la toile, ou pour l’avoir aperçu dans un linéaire de grands magasins. Cette omniprésence
médiatique d’un objet pour enfant est à la fois rare et commune. Il est classique que les héros télévisuels
envahissent l’espace marchand et l’espace public ; plus étonnant, pourtant, est la pérennité du personnage et
son omniprésence médiatique C’est cela que j’ai souhaité interrogé : comment une petite héroïne de télévision
a-t-elle réussi à marquer son empreinte partout dans le monde avec une telle constante et une telle
disponibilité ? Derrière le visage rond et doux de Dora, il y a évidemment toute une machine économique, des
décisions stratégiques, des considérations idéologiques aussi.
      Car l’enfant est le premier à regarder Dora avec intérêt : étudier le personnage de Dora, c’est interroger
l’enfance : constitue-t-elle un marché comme les autres ? Y a-t-il des spécificités à prendre en compte quand
on aborde les notions de divertissement, de consommation et qu’on les confronte à l’enfant ?
      Bien plus qu’une héroïne cathodique, Dora est un miroir des discours qui existent aujourd’hui sur des
questions aussi décisives que la responsabilité de l’enfant, le rôle des médias dans la construction d’une
éventuelle citoyenneté, l’intérêt éventuel des avancées technologiques sur le progrès social.
      De nombreuses thématiques croisent l’objet médiatique Dora l’Exploratrice ; on a choisi de l’étudier,
afin de mener une réflexion qu’on espère utile, à parti d’un objet que d’aucuns qualifieraient de futile.


      Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidé sur ce travail de recherche ;
      - Mes tuteurs Gustavo Gomez Mejia et Grégoire Halbout
      - La directrice du Celsa, Véronique Richard,
      - Les personnes qui ont accepté de jouer le jeu des entretiens, Lucie, Christine.
      - Les parents qui ont accepté que je parle à leurs enfants, Théodore, Claire, Capucine, Rébecca, Pauline,
Maud.
      - Ceux qui ont relu les travaux – mon papa, relecteur en chef




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Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



        L’introduction

        Le rapport entre enfance et médias, loin d'être simple, est un terrain d'affrontement historique entre
différentes parties prenantes : les politiques, les éducateurs, les parents d'une part, les entreprises et les médias
d'autre part. D'ailleurs, dans la revue Esprit consacrée à « La société des écrans et la télévision », la
sociologue Monique Gagnaud titre son article ainsi : « Audiovisuel et protection de l'enfance, polémique
garantie »1. Pourquoi relever cette contradiction ? D'une part, les médias, la télévision particulièrement,
promettent un accès à l'information, au divertissement, un choix plus large d'activités ; les récents progrès
technologiques – il n'est pas inutile de le redire – permettent en outre un accès aux données de façon quasi-
immédiate. D'autre part, dans un contexte de société ouverte2 ou chaque citoyen dispose d'une liberté de
pensée et d'expression et où les institutions culturelles et légales respectent et facilitent la formulation de
l'opinion personnelle, chaque enfant est désormais considéré comme un citoyen en puissance. Par conséquent,
l'âge de l'apprentissage est presque sacralisé, à tel point qu'on a pu parler de l'Occident comme « d'une
samaritaine infantile »3 ; tous les éléments qui peuvent exercer une influence sur ces esprits supposés plus
perméables sont considérés avec attention ; ces enfants « gâtés » sur lesquels les parents et l'État investissent4
seraient particulièrement attirés et exposés au média télévisuel régi davantage par une logique marchande
qu'humaniste. En effet, le marketing «représente un nouvel état d’esprit s’appuyant sur des techniques
précises qui visent à satisfaire dans les meilleures conditions les besoins de la clientèle. C’est une démarche,
qui, fondée sur l’étude scientifique des désirs des consommateurs, permet à l’entreprise, tout en atteignant ses
objectifs de rentabilité, d’offrir à son marché cible un produit ou un service adapté »5 ; en cela, le marketing
médiatisé et international représenterait un risque pour l’enfance et la polémique évoquée par la sociologue
revêt donc divers aspects. L'enjeu est politique, d’abord, puisqu'il interroge le modèle de société visé au
travers des nouvelles générations. Il est financier, évidemment, car les logiques commerciales sont
conséquentes dans les secteurs de l'enfance et du divertissement, comme nous le verrons. Il est idéologique et
médiatique, enfin, car confronter l'enfant au média c'est se poser la question de l'usage d'un outil, et de ses
fins.


        Une manifestation de cette polémique a lieu en août 2011, lorsque la sénatrice UMP et Ministre des
sports Chantale Jouanno a été chargée de remettre un rapport sur l'hypersexualisation des jeunes filles qui fait
grand bruit – 5 mars 20126. C'est la première fois en France qu'un politique donne des recommandations en la
matière, bien que « La vague de l'hypersexualisation n'a[it] pas encore massivement touché nos enfants »,




1 Monique DAGNAUD « Esprit » Audiovisuel et protection de l'enfance, polémique garantie Mars 2003
2 Karl POPPER, La Société ouverte et ses ennemis, tome 1: l'ascendant de Platon Paris, Ed Seuil, 1979, 456 pages
3 Marie-Françoise HANQUEZ MAINCENT, Barbie, poupée totem. Entre mère et fille, lien ou rupture ? Paris, Ed
Autrement, octobre 1998. p 192
4 Catherine ROLLET, Les enfants au XIXème siècle, Paris, Ed Hachette, août 2001 251 pages
5
  Dictionnaire de Marketing Thérèse Albertini, Jean-Pierre Helfer, Jacques Orsini 2éme édition, p 103
6« Le Monde » Un rapport s'inquiète de l'hypersexualisation des enfants 05 mars 2012

                                                          5
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



affirme Mme Jouanno qui ajoute pourtant que « les parents sont légitimement inquiets »7. Dans son rapport,
elle propose une série de mesures, parmi lesquelles l'interdiction de la promotion d'images sexualisées des
enfants, une éducation à la sexualité dès le plus jeune âge ; autant de dispositions destinées à endiguer un
phénomène en plein expansion, d'abord aux États-Unis puis en Grande-Bretagne et enfin en France. La
sénatrice commente : « la société dans son ensemble est hypersexualisée ; dès le plus jeune âge, on voit
apparaître des stéréotypes très clivés garçons-filles, et il y a une puissance du marketing colossale pour
rompre la barrière des âges et inciter à adopter des comportements d'adolescents »8. À cause des
« stéréotypes » véhiculés par l'industrie marchande, les fillettes seraient désormais sommées de se comporter
en adultes sexuées, conséquence d'une société de consommation qui fait des enfants des consommateurs aux
exigences précoces. Le rapport suggère aussi de publier une « "charte de l'enfant", qui traduise les principes
de l'intérêt supérieur de l'enfant dans l'éducation, la consommation ou les médias ». Elle s'inspirerait d'un
dispositif mis en place au Royaume-Uni, une « charte qui serait signée entre les pouvoirs publics et les
acteurs économiques et recommanderait les caractéristiques de produits destinés aux enfants ». Cette prise de
parole des politiques est inédite : tout se passe comme si les pratiques marchandes et médiatiques étaient
désormais régulées par les garants de l'ordre moral. L'influence des logiques de marché sur l'évolution de la
société est posée comme un postulat, et comme une dérive à éviter.
      Parmi les nombreuses problématiques concernant les enfants, l'hypersexualisation inquiète et mobilise ;
la préoccupation est mondiale, les universitaires – sociologues et éducateurs – étudient la problématique, les
journalistes la dénoncent, les parents se concertent pour envisager des solutions, les politiques se saisissent de
la question afin d'envisager des mesures adaptées. Leur appréhension concerne les dérives possibles que
pourraient provoquer des médias qui apparaissent omniprésents et influents. Même les intervenants critiques
sur le rapport Jouanno, comme Michel Fiez9 s'accordent sur la nécessité d'encourager « l'information des
parents sur les mécanismes médiatico-publicitaires (...). Mais plutôt que de faire des filles des boucs
émissaires, il faut bien se rendre compte que c'est la société qui est hypersexualisée. »10


      Certaines   parties   prenantes   avancent    que       les   médias   sont   grandement       responsables         de
l'hypersexualisation des enfants : c'est le corps médical – 150 pédiatres – qui a réclamé une charte énonçant
les grands principes de la protection des enfants - finalement signée en Février 2010 par le Conseil Supérieur
de l’audiovisuel (CSA) et le Syndicat de la presse magazine (SPM)11. D'autres voix s'élèvent et tempèrent
l'accusation, à l'instar de Pinkstinks, un site internet anglais qui s’est donné pour mission de dénoncer les
stéréotypes féminins.12 En effet, parmi les produits commerciaux à succès, une « heureuse élue » est


7 Ibid.
8 Ibid.
9
  Sociologue au CNRS et auteur de l'ouvrage les Nouvelles Adolescentes, 25 questions décisives
10 Propos de Michel FIZE recueillis par Sylvain MOUILLARD «Libération » L'hyper sexualisation touche la société
entière, pas uniquement les petites filles 5 mars 2012
11 « Le Monde » Un rapport s'inquiète de l'hypersexualisation des enfants 05 mars 2012
12 Susanna RUSTIN«The Guardian» Pinkstinks campaign calls for end to sale of makeup toys to under eights 20 avril
2012

                                                          6
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



dédouanée par le site internet : « Les modèles qu’on propose aux filles se limitent pour la plupart – si on
exclut Dora l’Exploratrice et les Barbie vétérinaire, enseignante ou sportive – à parader et à plaire. »13. Dora
fait ici figure d « 'anti-princesse Disney » et sert de modèle à certains discours féministes qui revendiquent la
nécessité d'une héroïne d'un nouveau « genre » : cette enfant active et indépendante est perçue comme un
personnage à contre-courant des modèles de référence habituellement véhiculés dans l'univers de l'enfance.
      On pourrait s'étonner de l'ampleur que prend le phénomène. En réalité, il ne faut pas négliger
l'importance des secteurs du divertissement, qui, sous l'effet de la mondialisation et de l'essor du capitalisme,
devenus des secteurs industrialisés à part entière. Adorno a parlé d' « industrie culturelle » pour désigner
« l'ensemble des entreprises produisant selon des méthodes industrielles des biens dont l'essentiel de la valeur
tient dans leur contenu symbolique »14, Martel désigne par « industrie de l'entertainment » « ce que font les
peuples quand ils ne travaillent pas ; ce qu'on appelle leurs loisirs et leurs divertissements »15. Or, comme
l'explique l'auteur « Les questions que posent ces industries créatives en termes de contenus, de marketing et
d'influence sont intéressantes même quand les œuvres qu'elles produisent ne le sont pas. Elles permettent de
comprendre le nouveau capitalisme culturel contemporain, la bataille mondiale pour les contenus, le jeu des
acteurs pour gagner du soft power, l'essor des médias du sud, et la lente révolution que nous sommes en train
de vivre avec internet ».16


      Parmi ces industries créatives, il y a Dora. Dora est l'héroïne d'une série animée destinée aux enfants
entre deux et cinq ans. À chaque épisode, la fillette part à l'aventure avec son ami le singe Babouche ; aidés de
ses compagnons Lacarte, Sakado et autres protagonistes, ils explorent le monde pour le bonheur des enfants
de la planète. Les créateurs de Dora prétendent initier les enfants à une seconde langue (étrangère) grâce à une
méthode ludique et interactive, proposant aux téléspectateurs de réagir avec programme dans le but final
d'acquérir quelques notions en anglais ou espagnol tout en s'amusant. Diffusé dans de nombreux pays, le
programme est dérivé en de nombreux objets de divertissement et de consommation destinés aux enfants.
Véritable phénomène de mode, Dora a su conquérir le monde entier grâce à une stratégie mondiale
caractéristique de la société de loisirs industrialisé et globalisé. Cette « conquête » de l'Exploratrice s'appuie
sur un discours promotionnel à destination des parents et des enfants, une cible particulière qu'il s'agit de
choyer avec prudence, grâce à un marketing attentivement étudié en amont. Créé en 2000 aux États-Unis par
Nickelodeon, Dora génère environ 5 milliards d'euros depuis sa naissance17 ; Nickelodeon est une filiale de
Viacom, un des géants du divertissement global, à l'origine d'autres succès tout aussi importants : Bob
l'éponge, les Razmoket...



13 Lise BERGERON « Protégez_vous » Hypersexualisation Novembre 2011
14 Alexander NEUMANN, Conscience de casse, la sociologie critique de l'École de Francfort : La 4e Génération, 2010,
p58
15 Frédéric MARTEL, Mainstream, Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias. Paris, Ed Flammarion, mars
2010; p14
16 Ibid. p 14
17 Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010

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Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



      Si l'audience atteint aux États-Unis une moyenne de deux millions de téléspectateurs, c'est en partie
grâce à la communication adéquate qui promeut les produits Dora et un argumentaire déterminant auprès des
parents, principaux éducateurs des enfants, et acheteurs des biens que ceux-ci consomment. De fait, le
discours promotionnel est tout autant destiné à convaincre les enfants que les parents de l'intérêt du
programme télévisuel.


      L'argumentaire de vente s'appuie sur plusieurs postulats. Le premier repose sur la nécessité pour
l'enfant d'acquérir de nouvelles connaissances et de gagner de la confiance en soi; l'interactivité est au cœur
de la méthode innovante ludo-éducative proposée par Nickelodeon. En second lieu, il présume de l'intérêt de
la représentation des minorités dans les médias. En effet, aux États-Unis puis dans le monde entier, Dora est le
premier personnage d'origine latine à tenir le rôle principal dans un programme pour enfants, une existence
remarquable dans un contexte américain où « La présence de personnages de couleur devenait nécessaire
dans les programmes pour enfants.18». Enfin, Dora prétend proposer une image renouvelée de l'héroïne au
féminin, puisqu'elle est une aventurière active, loin des clichés habituellement véhiculés sur les valeurs
féminines, l’héroïne étant habituellement réduite au rôle de princesse de parade.
      Dans un article consacré aux dix ans de Dora l'Exploratrice, la journaliste du New-York Times s'attarde
sur l'influence de l'héroïne sur les enfants ; « Dora donne confiance aux enfants parce qu'elle leur montre
comment s'en sortir dans des cas de figure différents et elle leur donne une chance de répondre comme s'ils
étaient dans la même pièce qu'elle »19 selon le président de Children Now, un groupe spécialisé dans la
relation entre enfants et médias. Aux dires des experts, Dora serait une héroïne médiatique apte à promouvoir
des valeurs édifiantes universelles. Comment justifier alors son absence des bibliothèques et écoles françaises,
vecteurs officieux et principaux d'éducation et d'édification des enfants ?


      Dans un contexte de prolifération de discours sur le rapport entre l'enfance et les médias, ce mémoire
propose de considérer la figure de Dora comme objet de recherche. D'abord parce que la petite fille est un
objet médiatique complexe. Héroïne de série télévisée, elle est naturellement déclinée en produits dérivés
mais son évolution ne s'arrête pas là : ses géniteurs lui ont dédié des spectacles, l'ont fait grandir, lui ont
« donné un cousin ». Copiée, parodiée, reprise à l'envi, connue autant des adultes que des enfants, Dora a
intégré le paysage médiatique avec une aisance et une rapidité qu'il s'agit d'expliquer. Marque forte et objet
quotidien, Dora semble être une héroïne de la communication contemporaine, destinée à tous les supports et
elle-même support de multiples discours. Surtout, elle propose une nouvelle approche de l'apprentissage grâce
à son discours euphorisant sur l'interactivité.


      Dora se retrouve au cœur de questions politiques, médiatiques, mais aussi féministes, éducatives... Les
préoccupations adultes ne sont-elles pas projetées sur un objet destiné aux enfants ? Les argumentaires et les

18 Elizabeth OLSON « The New York Times », ‘Dora’ Special Explores Influence on Children, 12 août 2010
19 Ibid

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Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



analyses qui circulent autour de Dora, et plus généralement autour de la question des médias et de l'enfance
sont nombreux et parfois contradictoires. Entre l'héroïne cathodique et les discours qui l'escortent, existe-t-il
une continuité identitaire ou, au contraire, peut-on relever des écarts instructifs ? L'aventurière pourrait-elle
constituer une synthèse ou un « juste milieu » entre l'alarmisme politique qui s'inquiète des méfaits du
marketing et les desseins uniquement vénaux des entreprises ? Produite par des adultes, Dora est-elle destinée
à l'imaginaire des enfants ou n’est-elle que la projection de celui des adultes ? Dora semble avoir été érigée en
phénomène social grâce à la logique des acteurs qu’elle rencontre ; que dire alors de sa fonction de
projection : évolue-t-elle en fonction des désirs des enfants qui la « consomment », des adultes qui
l' « intellectualisent » ou plus généralement d'une société qui évolue ? Que dit Dora de cette société qui se la
réapproprie ?


      On a choisi de réunir ces interrogations et différentes approches possibles en une problématique ainsi
formulée : dans quelle mesure la « marque » Dora l'Exploratrice s'approprie-t-elle les discours qui gravitent
autour de la relation entre l'enfance et les médias aujourd'hui ?


      Pour y répondre, on s'appuiera sur trois hypothèses ;
      1. D'abord, on postule que l'expansion de Dora – en tant que personnage et marque – s'inscrit dans un
contexte de culture globalisée ou l'enfant est perçu comme un marché et la culture comme une industrie.

      2. Ensuite, on propose que Dora se réapproprie les discours divers confrontant l'enfance aux médias, en
s'appuyant sur des argumentaires d'apprentissage et de technophilie.

      3. Enfin, on propose de percevoir les réappropriations « adultes » projetées sur le personnage de Dora
comme des vecteurs d' « émancipation » de l’objet médiatique.



      Pour ce faire, on a choisi d'inscrire nos travaux dans la lignée de plusieurs grandes théories explicatives.
D'abord on prendra soin de rappeler les concepts fondamentaux qui ont permis d'analyser les grandes
thématiques principales – enfance, médias télévisés, stratégie mondiale – mais aussi d'appréhender un objet
relativement nouveau et peu étudié qu'est Dora. En effet, la petite aventurière, si elle est très présente dans les
rayons des magasins et sur les écrans télévisés, est quasiment absente du discours universitaire.


      Il faudra étudier cet objet médiatique quasi inédit grâce à une méthodologie précise et en mêlant divers
outils pour proposer une approche nouvelle d'un objet que d'aucuns caractériseront de « trivial ». Car on
cherche à prouver que Dora, sous son apparence d'objet futile, nourrit une réflexion utile à la compréhension
de « ce que l'écrivain Francis Scott Fitzgerald appelait, à propos d'Hollywood                            « the whole
equation » : l'ensemble du problème : l'arithmétique de l'art et de l'argent, le dialogue des contenus et des



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Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



réseaux, la question du modèle économique et de la création de masse» 20, qu'elle est un objet qui possède une
capacité latente à devenir un support d'activité ludique et de propositions conceptuelles. Puisqu'on cherche à
déterminer les raisons du succès sous un angle mercatique, les grilles d'analyse du marketing serviront à
décortiquer les données recueillies et à les hiérarchiser. Différents types d'analyses ont été retenues pour
mener à bien le travail de démonstration.


      D'abord on s'appuie sur une analyse sémiotique des discours presse, que ceux-ci soient issus de la
presse financière, commerciale, divertissement, société. La presse – en France et à l'international – donne en
effet la parole aux experts de l'enfance, aux spécialistes du divertissement, mais surtout aux acteurs
principaux et aux différentes parties prenantes ; en outre, elle rend compte des différents courants de pensée
qui influencent l'évolution des marques. En tout, le corpus presse compte 27 articles de la presse française, et
23 articles de la presse étrangère – essentiellement américaine. L’analyse de contenus de communiqués de
presse et d’émissions télévisées complètent ce corpus écrit.
      Une analyse de discours théorique appuie nos propos. Ils portent essentiellement sur l'enfance, la
télévision, la marque, les concepts en communication. Quelques quarante ouvrages principaux ont été retenus
pour servir de terreau conceptuel et alimenter notre réflexion.


      Dans un second temps, on s'est livré à une analyse de contenus des productions Dora, qu'ils s'agissent
d'épisodes télévisés, de livres de lectures, de jeux, du site internet, etc. Les productions Dora étant très
nombreuses et très diversifiées, une analyse exhaustive était impossible. Aussi, un épisode télévisé (Dora la
musicienne) et une histoire (Dora sauve les petits chiens) ont été retenus pour comprendre la spécificité de
l'objet de recherche. Une analyse comparée de magazines Dora (France /Hollande) a aussi été menée afin
d'appréhender le sujet sous un angle global.


      Enfin, pour compléter ces discours de marques, d'acteurs et ces analyses produits, des entretiens
exploratoires ont été menés afin de recueillir un discours non accessible par la voie publique. Des acteurs
n'ayant pas la parole dans la presse ont été interrogés afin de dresser un tableau le plus complet possible des
différentes parties prenantes: directeur d'école primaire et bibliothécaire d'une bibliothèque jeunesse
(institutions publiques), parents (acheteurs ou observateurs). Les enfants, qui sont au cœur du sujet, ont été
questionnés (six enfants entre trois et sept ans) lors d'entretiens qualitatifs, avec toutes les précautions qui
conviennent pour une telle démarche.




20 Frédéric MARTEL, Mainstream, Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias. Paris, Ed Flammarion, mars
2010, p14


                                                         10
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



      Dans une première partie, on cherchera à comprendre la logique du succès médiatique et commercial de
Dora, un objet de divertissement destiné aux enfants. Pour ce faire, on dressera un portrait de Dora dans le
monde, on s'interrogera sur la stratégie mercatique mise en œuvre pour opérer une expansion mondiale, et on
questionnera le concept de « marque » s'agissant de la petite aventurière latino-américaine.


      Ensuite, on verra que le discours d'escorte qui explique en partie le succès de Dora propose un
renouveau de l'apprentissage. Dans cette partie, les notions d'interactivité, d'apprentissage et d'éducation
seront abordées. À terme, on proposera de reproduire l'évolution intellectuelle qui a permis de dépasser du
préjugé de « passivité nocive cathodique » pour accéder au succès interplanétaire d'un programme télévisuel.


      Finalement, la troisième partie du mémoire traitera de la médiagénie de Dora, c'est-à-dire qu’on se
demandera comment l'héroïne parvient à endosser différentes préoccupations politiques, sociales, mais à être
aussi l'objet de discours aussi différents, de réécritures aussi variées, de parodies, en un mot : qu’elle parvient
à être une image de référence dans le paysage médiatique courant.




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Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?




I – Dora, produit d’une culture globalisée sur le marché de l’enfance


Avant propos : « Il était une fois Dora »

      Dora, « la petite Exploratrice la plus réputée de la planète »21 est l'héroïne d'un programme télévisé
pour enfants du monde entier. Lancée en août 2000, la série d'animation américaine « Dora l'Exploratrice »
évolue : sa notoriété s’internationalise et le volume des ventes d’objets dérivés participe au succès commercial
du personnage. La petite fille hispano américaine est toujours accompagnée de Babouche, son compagnon de
voyages, et leurs aventures se déclinent en une centaine d'épisodes. Décrite par la boîte de production-mère
comme « plus aventurière que jamais, Dora [et son fidèle compagnon Babouche] sollicite[nt] tous les jours
les téléspectateurs en herbe pour mener à bien leur mission. »22 Dora n'est pas une héroïne comme les autres :
« Alternant leçons d’anglais, chansons ou jeux interactifs, la plus célèbre des Exploratrices hispano-
américaines propose d’allier l’éducatif au ludique et de donner les bases de la langue au travers
d’expressions courantes ou de l’apprentissage des chiffres et des couleurs »23; surtout, Dora est décrite par ses
créateurs comme un produit au succès rapide et international « La série a été diffusée pour la première fois le
14 août 2000 sur Nickelodeon, canal pour enfants du groupe américain MTV. (…) Son succès planétaire
aurait permis à Nickelodeon d'engranger quelque 25 milliards d'euros depuis 2002, dont un tiers grâce aux
produits sous licence. Et l'Hexagone est devenu son deuxième pays d'élection depuis son arrivée en 2003 sur
TF 1 »24 ; la France comptant parmi les 133 pays où le programme Dora est diffusé. De fait, notre analyse
portera avant tout sur le territoire français, puis dans le reste du monde.

      Pour rappel, on part de l'hypothèse que l'expansion de la marque Dora s'inscrit dans un contexte de
culture globalisée où l'enfance et le divertissement constituent des marchés à part entière. Afin de comprendre
comment s'accomplit et se « démontre » la promesse d'une télévision éducative et interactive, on s'attache
d'abord ici à considérer Dora comme un objet mercatique. Autrement dit, avant d'étudier la structure et la
narration des épisodes, on donne une idée de la construction du « phénomène Dora l'Exploratrice » à travers
le monde. Car la petite fille, protagoniste populaire de dessin animé, est au cœur d'une machine économique
extrêmement réfléchie et sa popularité ne doit rien au hasard. On veut démontrer en quoi Dora peut être
qualifiée de marque et on justifie la désignation d'un « écosystème » Dora.

      Yves Jeanneret, spécialiste de la communication et des médias, a distingué la logistique de la
sémiotique25, et c'est cette même dissociation que nous suivrons en nous attachant a étudier d'abord la
production, la conservation et le « transport » – diffusion – du personnage, dans le contexte d'une série
animée. Son interprétation et les discours qui la structurent, relèvent de la sémiotique et feront l'objet d'une

21
   Communiqué de presse du spectacle « Dora au Casino de Paris »
22
   Site internet Nickelodeon Junior
23
   Ibid
24
   Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011
25
   Yves JEANNERET, Penser la trivialité, volume 1 : la vie triviale des êtres culturels. Paris : éditions Hermès-Lavoisier,
2008

                                                            12
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



autre partie. « Comprendre la marque et la façon dont son identité et sa valeur se construisent exige donc de
prendre en compte les attentes des différentes parties prenantes qui en assurent la co-construction et qui sont
recensées dans la figure suivante, figure qui se trouve ci-dessous»2627 :



                       Entreprise :                                                       Actionnaire
                       Nickelodeon                     Employés
                Forte marge                       Polémique Caitlin
                                                  Sanchez                         Discours de rentabilité, de
                accroissement de la part                                          Nickel odéon, entreprise
                de marché                                                         pérenne et rentable
                Consolidation de l’image
                satisfaction des clients
                intermédiaires et finaux
                                                                                         Gouvernement

                                                                                           Institutions,
                                                                                     gouvernement, écoles :
                                                                                      pas de prise de parole
                        Concurrents                                                          directe
                                                      Marque : Dora
                      Marché fortement
                        compétitif.
                      Ex : Hello Kitty
                                                                                      Opinion Publique

                                                                                        RSE : questions
                                                                                          sanitaires


                      Distributeur
                                                                                        Consommateur
                Divers : Super U,
                Toys’R’us                             Fournisseurs                Enfants : satisfaction lors
                Bonne relation avec les                                           de l’expérience Dora
                distributeurs                          Force de la                Parents : discours de
                                                         marque                   réassurance
                                                     force du marché




         Figure 1 : la marque et les différentes partis prenantes

         C'est-à-dire que, sous une apparence digressive, nous verrons quels sont les rapports de force entre les
différentes partis prenantes, en considérant les discours des différents acteurs ci-dessus, cela afin d’expliciter
la notion de marque et d’articuler les différentes positions les unes vis-à-vis des autres.



I.1. Une petite fille en bonne santé dans le monde entier, ou le succès d’une stratégie
mondialisée



26
     Benoît HEILBRUNN, La marque, Ed Que sais-je? Paris, 2006, p 13


                                                           13
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



      Le divertissement est devenu une industrie – en termes de fonctionnement et d'échelles – depuis
l'avènement d'une société mondialisée et industrialisée28. Cette hypothèse a largement été démontrée, décrite,
et récemment illustrée lors de l'exposition « Des jouets et des hommes » au Grand Palais29. Pas moins de mille
jouets depuis l'antiquité jusqu'à nos jours ont été rassemblés à l'occasion de cette exposition ambitieuse, qui
propose un discours susceptible d’alimenter notre démonstration : « Des jouets et des hommes présente une
histoire du jouet occidental et met en lumière son importance dans l’éducation de l’homme depuis sa
naissance. L’exposition interroge les rapports ambigus que les enfants entretiennent avec la reproduction en
miniature du monde des grands. Comment s’emparent-ils de cette réalité à leur échelle, toujours imaginée
par des adultes ? »30.



      I. 1.1. Dora, héroïne de son temps : un produit de « l'industrie culturelle « Mainstream » »

      Dans cette exposition qui questionne le rapport entre adultes et jouets, la petite Dora apparaît à la
section « L'âge des médias », sous forme d'une grande peluche31. Cette partie s’attache à montrer l’influence
des médias sur la planète des jouets au vingtième siècle. « Ou comment des émissions de télévision comme
Bonne Nuit les Petits ont popularisé des poupées telles que Nicolas et Pimprenelle et leur nounours ou encore
comment la saga Star Wars a donné naissance à quantité d’objets dérivés qui ont fait la fortune des
fabricants et la joie d’enfants et de collectionneurs. »32. La présence de Dora dans cette partie de l'exposition
est particulièrement significative. C’est évidemment une « icône », la poupée ressemble à l’héroïne de la série
animée éponyme. C'est ensuite l’ « indice » du succès de Dora mais aussi un « symbole » – on entend
« indice », « icône » et « symbole » au sens peircien des termes33 – en ce que Dora a été choisie pour
représenter l'exemple typique d'un objet médiatique né dans l'industrie du divertissement. Mais sa valeur
d'exposition a aussi ici une portée symbolique, Dora serait le paroxysme d’une « industrie de
l’Entertainment », la représentation concrète de la notion d’ « âge des médias ». Le jouet revêt une haute
portée exemplaire à reconsidérer dans un contexte de divertissement industrialisé.

      Plus précisément, dans son ouvrage Mainstream - Enquête sur la guerre globale de la culture et des
médias, Fréderic Martel décortique la culture « mainstream », à savoir cette « culture du divertissement » qui
« plaît à tout le monde ». Le terme est difficile à traduire, il signifie littéralement « dominant » ou « grand
public » et s'emploie généralement pour un média, un programme de télévision ou un produit culturel qui vise
une large audience. « Le mainstream c'est l'inverse de la contre-culture, de la subculture, des niches. C'est
pour beaucoup le contraire de l'art. Par extension, le mot concerne aussi une idée, un mouvement ou un parti

28
   Conférences Théodor ADORNO: L’industrie culturelle (Archives INA : L’homme dans un monde en pleine évolution -
Université Radiophonique Internationale - 21 et 28 septembre 1963)
29
   Exposition des Jouets et des Hommes, au Grand Palais, Paris, 14 septembre 2011 – 23 janvier 2012
30
   Catalogue de l’exposition Des jouets et des hommes, Septembre 2011, 328 pages, Éd RMN - Grand Palais
31
   Cf. Annexe 25. « Dora sous toutes les formes : un produit marchandisé à l’extrême », page 127
32
   Ibid
33
   Université de Saint Etienne, Travaux VII Regards sur la littérature et la civilisation contemporaines, Paris, Ed, C. I. E.
R. E. C. – 1974. P187

                                                             14
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



politique (le courant dominant), qui entend séduire tout le monde. (…) L'expression « culture mainstream »
peut d’ailleurs avoir une connotation positive et non élitiste, au sens de « culture pour tous » ou plus
négative, au sens de culture de démarche commerciale ou de culture formatée et uniformisée. »34

        On a formulé l'hypothèse que Dora est le fruit de ce courant dominant, qu'elle est un produit de diversité
standardisé. En effet, rares sont les zones géographiques qui échappent au phénomène Dora. La Corée du nord
et Cuba35, de par leur exception politique, font naturellement partie des pays qui n'achètent pas ce type de
séries, mais les écrans du reste du monde sont envahis par une offensive de Dora et ses amis. Créée en 2000
aux États-Unis, la marque commence une expansion mondiale et s'aventure sur le territoire français au bout
de trois ans36. Elle a désormais conquis 133 pays et vendu 50 millions de DVD dans le monde37 .

        Dora est avant tout une émission télévisée produite par le géant américain Nickelodeon, une boîte de
production qui possède sa propre chaîne en France, diffusée grâce à l'offre Numéricable et Canalsat.38 Filiale
de l'américain Viacom, Nickelodeon s'est spécialisée dans le divertissement pour enfants ; aujourd'hui éditée
par MTV Networks ; en utilisant le mythe du divertissement originel et accessible, Nickelodeon prétend être
la chaîne de référence en divertissement, comme en témoigne son slogan significatif : « Joue, apprends et
rigole »39. La grille de la chaîne comporte 65% de séries animées, 25% de séries et fictions et 10%
d'émissions-magazines ; la programmation est segmentée par tranche horaires correspondant aux cibles : les
programmes d'éveil pour les 2-5 ans – comme Dora – sont diffusés le matin. Elle dispose de sa chaîne de
télévision mais publie aussi son propre magazine et fait produire de nombreux biens à son nom sous son logo,
ce qui lui permet d'étendre son champ d'actions et de multiplier les preuves de divertissement. Aux États-
Unis, la chaîne a obtenu le plus fort taux d'audience durant cinq années consécutives et est présente dans 81
pays.

        En France, Dora a d'abord été diffusée sur TF1 en matinales, et disponible sur le site de rediffusion TF1
spécialisé dans la jeunesse « T Fou ». À l’époque, la chaîne française a rapidement profité de son succès
puisque « Sur TF 1, la série réalise 40 % de part d'audience, ce qui la classe au sommet des programmes
pour enfants de 2 à 6 ans. Même succès sur le Net. La section qui lui est consacrée sur Tfou.fr, le site jeunesse
de TF 1, a suscité 500 000 visites depuis son lancement en mars avec des activités de coloriage ou des jeux
d'éveil. TF 1 a aussi vendu en un an 300 000 exemplaires de ses 22 coffrets de DVD ».40 C'est donc grâce a la
chaîne française qu'elle a pu connaître une telle popularité dès son arrivée sur le territoire hexagonal.

34
   Frédéric MARTEL, Mainstream, Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias. Paris, Ed Flammarion, mars
2010; p 19
35
   « Aujourd'hui, les grandes compagnies américaines de divertissement (…) savent produire ce qui plaît à tout le monde,
aux deux sens du terme. C'est une « diversité standardisée». À de rares exceptions près, comme Cuba ou la Corée du Nord,
le cinéma et la musique américaines dominent, et finissent par diffuser des valeurs communes » Propos de Frédéric Martel
recueilli par Claire BOMMELAER « Le Figaro », Cette culture qui plaît à tout le monde, 26 mars 2010
36
   Cf Annexe Erreur ! Source du renvoi introuvable.. « Le cycle de vie du produit- Dora dans le temps et dans le
monde » page 91
37
   Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011
38
   Page Wikipédia Nickelodeon
39
   Bruno FRAIOLI « Stratégies » Nickelodeon se dédouble 27novembre 2009
40
   Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011

                                                          15
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



Nickelodeon se lance ensuite sur le marché national en lançant sa propre chaîne en 2005, ayant conscience
« n'est pas une nouvelle chaîne à proprement parler car ses programmes sont déjà bien connus des
enfants »41. En effet, arrivée sur les écrans français en 2003, Dora connait une forte notoriété. En arrivant en
France, Nickelodeon, prive TF1 de l'exclusivité de quelques uns de ses programmes phares, dont Dora, et
s'expose à une forte concurrence puisque Tiji, Cartoon Network, Jetix sont déjà présents dans le bouquet
français des chaînes jeunesse ; Nickelodeon « fait le pari » – elle choisit pour stratégie – de jouer sur la
popularité des ses héros, Dora, mais aussi Jimmy Neutron, Bob l'Éponge, les Razmoket42... En 2010,
Nickelodeon se dédouble, se consacrant aux enfants de 7 à 14 ans, tandis que « Nickelodeon junior » est créée
pour se destiner exclusivement aux 3 - 7 ans. C'est désormais sur ce canal que sont diffusés les épisodes de
Dora43 ; une chaîne thématique qui permet de toucher pleinement les cibles sélectionnées, avec le « moins de
perte possible »44.

      Dans l’hexagone, les aventures de Dora génèrent jusqu'à 35,4% de parts de marché en termes
d'audience sur les 4-10 ans. «Pour notre cœur de cible, à savoir les enfants de 2 à 5 ans, la proportion est
sans doute encore plus élevée», 45estime Laurent Taïeb, vice-président de la chaîne Nickelodeon, qui diffuse
les épisodes Dora. Les dix ans de Dora, fêté en 2010, ont été pour Viacom l'occasion de montrer ses bons
résultats et un prétexte pour distiller un discours de bonne santé financière à destination des actionnaires. On
apprend lors de cet événement qu'Albin Michel Jeunesse a déjà vendu plus de 12 millions d'albums Dora, soit
« en moyenne 4,5 livres Dora par minute dans l'Hexagone ! »46. Les dix ans de la fillette sont l'occasion de
créer l'événement, pour parfaire encore la globalité et diversification de l'offre. D'abord produit au Casino de
Paris, le spectacle poursuit sa tournée à travers toute la France47. Ce spectacle, copié dans 18 pays, a
rassemblé au moins trois millions de spectateurs.48 Cette exportation de l'événement à travers le monde est
caractéristique de « la culture mainstream ». « Et la voilà sur scène à Paris, avant une tournée de 200 dates
en France. « Des maires de grandes villes nous appellent pour réclamer son passage », raconte Thierry
Cammas, PDG de MTV Networks France (…) Le budget de la tournée, plus de 3 millions d'euros, en fait un
géant dans la catégorie jeune public. »49 Cette tournée, c’est un « produit culturel qui vise une large
audience (…) une culture formatée et uniformisée »50, donc, dans la ligne directe des industries de
l’Entertainment, en tout cas de l’avis du chercheur Frédéric Martel. Cette tournée partout en France propose
un produit destiné à tous, une marque proche et offensive, multiplie la présence médiatique de Dora par des
canaux nombreux et des lieux divers.

41
   « Stratégies » Classe surchargée pour les chaînes jeunesse, 08 août 2005
42
   Cf. Annexe 28. « Les héros de Nickel odéon » page 138
43
   Bruno FRAIOLI « Stratégies » Nickelodeon se dédouble 27novembre 2009
44
   MM et BF « Stratégies » in Dossier 10 cibles et émissions incontournables, 15 janvier 2004
45
   Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010
46
   Ibid
47
   Cf. Annexe 29 « Affiche Dora au Casino de Paris - le spectacle musical » page 139
48
   Site internet des spectacles de Dora
49
   Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011
50
   Frédéric MARTEL, Mainstream, Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias. Paris, Ed Flammarion, mars
2010; p 19

                                                         16
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?




      I. 1.2. Un « écosystème » Dora, ou la stratégie globale et offensive des créateurs

      Un journaliste économique français note que « Viacom veille à ne pas laisser dormir cette licence
juteuse, en abreuvant le marché de produits dérivés : vêtements, jeux vidéo, accessoires, etc. En tout, plus de
1.000 références. Viacom fournit même deux ou trois chartes graphiques par saison à ses distributeurs pour
que chaque enseigne puisse proposer des lignes de vêtements exclusives »51. Il est naturellement impossible
de dresser une liste exhaustive de tous les produits estampillés Dora52 : paire de lunettes, fournitures scolaires,
vêtements et accessoires, dentifrice, jeux de société, livre, jeux de consoles, parade dans les stations de ski...,
en tout « 950 sociétés exploitent la licence, dont Mattel, H&M, Ravensburger. »53. « Depuis quelques années,
la gentille Exploratrice a aussi conquis les chambres d'enfants grâce aux poupées Fisher-Price, aux tee-shirts,
aux sacs à dos, aux guitares, aux marelles Lansay. »54. Dora intègre le quotidien en devenant un objet de
consommation courante.55. Dora a choisi une offensive générale pour devenir marque globale et forte
présence médiatique56.

      C'est d'ailleurs le dessein de Thierry Cammas président gérant de MTV network France qui affirme:
« Nous sommes en train de créer un véritable écosystème »57, c'est-à-dire instaurer un réseau de présence
médiatique inévitable permettant au succès de Dora de durer, de s'installer et de conquérir les 800000 enfants
qui entrent en France chaque année dans la tranche d'âge cible58.. La manne est importante, les possibilités
nées de la niche enfantine sont infinies, les bénéficiaires d'une telle économie sont nombreux, à commencer
par Viacom et sa chaîne Nickelodeon, mais pas uniquement. Jemini, par exemple, l'un des principaux acteurs
du jouet sur le marché mondial, est un fabricant de peluches, petit mobilier et accessoires pour enfants. Avec
un chiffre d'affaires de 40% à l'export – 37 millions d'euros – le groupe sait l'importance de « mêler
nouveautés et valeurs sûres »59 dans l'acquisition de ses licences60.61 Hello Kitty, Lulu Castagnette, les
Schtroumpfs, font ainsi parti du catalogue de Jemini, qui fabrique évidemment des produits Dora
l'Exploratrice.

      En outre, Dora doit évoluer dans un contexte très compétitif et un contexte assez fluctuant, qui a tout de
même permis aux ventes de produits dérivés sous licence Dora de passer de 400 millions à 1 milliard de

51
   Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010
52
   Cf. Annexe 25. « Dora sous toutes les formes un produit marchandisé à l’extrême», page 127
53
   Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'eldorado des enfants, 25 juillet 2011
54
   Ibid
55
   Gary ARMSTRONG, Philip KOTLER, Emmanuelle LE NAGARD-ASSAYAG, Principes de marketing, 10ème edition,
Paris, Ed PEARSON, 1, 07 Kg, p 199
56
   Cf. Annexe 1 « Les formes d’extension d’une marque », page 89
57
   Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010
58
   Cf. Annexe 7 « Dora et son public » page 98
59
   Keren LENTSCHER, « Le Figaro » Le fabricant de jouet Jemini entre en bourse, 22 février 2011
60
   Voir le catalogue Jemini sur le site internet du groupe
61
   Laurence GIRARD « Le Monde » Transformers, Gormitchi ou catch : le succès grandissant des jouets sous licence 23
décembre 2009 « License accord entre producteurs et fabricants de jouets, permettant à ces derniers de vendre des
produits dérivés (figurines, cartes à collectionner, etc.) tirés de films ou de dessins animés »

                                                         17
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



dollars en 200962. Les distributeurs ont intérêt à proposer des produits à succès : «L'hiver dernier, Dora se
classait au dixième rang, toutes licences confondues », selon Franck Mathais, porte-parole de La Grande
Récré »63 ; tout comme les autres acteurs, les distributeurs – « Conforama » propose des produits sous licence
« Jemini », « Super U » des livres « Albin Michel », « Toys&r’us » des jouets « Fisher Price » – ont un intérêt
prégnant dans cette machinerie commerciale qu’a générée Dora. Car la petite fille fait partie désormais des
marques bien installées : « Pour Dora, il faut maintenant durer. Concurrencée par Toy Story 3, « Dora est
entrée dans le classique, l’engouement est retombé », juge Jackie Pellieux, président de JouéClub. Thierry
Cammas, au contraire, considère que la petite héroïne est entrée dans la catégorie « des très rares
personnages qui font l'unanimité», comme Winnie l'ourson »64. Le producteur qualifie sa marque de réussite
installée et pérenne, tandis que les distributeurs avancent quelques réserves ; cette « rivalité » des discours est
le reflet d’un rapport de force logique, à laquelle il serait pertinent d’ajouter la parole d’un « expert de la
marque »65 : « Il faut d’abord du temps pour construire une marque (la règle des vingt-cinq ans semble
empreinte de bon sens et de justesse car elle signifie la capacité de la marque à avoir traversé trois
génération) »66 . Finalement, ce que sous-entendent ces discours, ce sont les perspectives pour l’avenir de la
marque ; en affirmant la durabilité de la marque, les producteurs cherchent à établir son statut de « marque »,
dépassant le simple statut de « produit ».

      Le terme « écosystème » se justifie à de nombreux points de vue. Le terme est habituellement utilisé
pour désigner un « Système formé par un environnement (biotope) et par l'ensemble des espèces (biocénose)
qui y vivent, s'y nourrissent et s'y reproduisent »67. Le terme écosystème suppose une autonomie, un ensemble
se suffisant à lui-même puisque se reproduisant en lui-même et qui puisse servir d’exemple. Car Dora devient
un modèle, à tel point que Nickelodeon et TF1 se soient inspirés de Dora l'Exploratrice pour diffuser une série
animée intitulée « Ni Hao Kaï-Lan »68 (« Bonjour Kaï-Lan ») grâce auquel « les enfants peuvent s'initier à la
langue et à la culture chinoises avec le dessin animé ». 69 La direction nie profiter du succès de Dora pour
proposer sa copie, les arguments posés en sa faveur sont les mêmes ; « Ce qui nous séduit, c'est l'audace du
programme, la force des scénarios. Il y a quelques mots de mandarin, mais on parle surtout de cerfs-volants,
de dragons, c'est une manière ludique de s'ouvrir aux autres » estime Dominique Poussier, directrice des
programmes jeunesse de TF170.

      On comprend dès lors la dénomination d’écosystème ; or, toutes ces variations bénéficiant d’un succès
certain, c’est comme si le personnage était au centre d’un grand ensemble échappant à ses créateurs : « « J'ai

62
   Adèle VAN COLEN, Elodie MENET, « Rapport de master 2 Sciences du management des produits de l’enfant » Dora
l’Exploratrice un nouveau concept d’interactivité ? Mars 2005
63
   Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011
64
   Ibid
65
    Benoît HEILBRUNN, professeur de Marketing à l’ESCP-EAP et à l’IFM, consultant en stratégie de marque et
notamment d’auteur du « Que sais-je ? » sur Le Logo et sur La Marque
66
   Benoît HEILBRUNN, La marque, Ed Que sais-je? Paris, 2006, p 15
67
   Petit Larousse 2012
68
   Cf. Annexe 30 « Ni Hao Kaï-Lan » page 140
69
   A.K « 20 minutes » Kaï-Lan, la Dora qui venait d'Asie, 3 septembre 2008
70
   Ibid

                                                         18
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



compris que nous avions affaire à un phénomène lorsque le prototype de sa poupée, volé dans l'usine, a été
vendu 600 dollars sur eBay », raconte Chris Gifford, un de ses trois concepteurs »71. La personnification est
d’ailleurs utilisée plusieurs fois pour désigner Dora, faisant de celle-ci une petite fille qui deviendrait
adolescente, et acquerrait ainsi une certaine autonomie : « Chris Gifford n'est pas peu fier de sa fille. « On
aurait dit un père à L'Ecole des fans », raconte un de ses voisins de fauteuil à l'avant-première de Dora
l'Exploratrice, le spectacle joué au Casino de Paris depuis fin octobre. »72. Il y a d’ailleurs, dans les discours
journalistiques notamment,      une confusion – volontaire ? – entretenue entre le personnage de Dora et
l’entreprise qui l’a créé : « L’héroïne des dessins animés de Viacom génère un chiffre d’affaires de 5 milliards
d’euros par an »73 , « Dora a 10 ans, youpi. Dora est morte, vive Dora »74 ; la propension à personnifier la
marque est une marque d’attachement à celle-ci75,; ensuite, il y a nette confusion ici entre le produit, la
marque et l’entreprise qui l’a créée. Le nom de la série animée Dora est devenue une marque à la tête d’un
empire de « sous marques ». En fait, le terme écosystème revient à confirmer cette assertion de Benoit
Heilbrunn : « La marque est un être vivant qui évolue et se reproduit pour pouvoir survivre. La reproduction
est donc une fonction vitale qui concerne toute formes de développement (produit, cible, géographique). La
reproduction de la marque pose également la question de sa capacité à assurer une reproductibilité de
l’expérience en assurant au consommateur que toute expérience avec la marque est duplicable dans le temps.
Cette fonction renvoie à la caractéristique majeure de la société industrielle qui est (de faire croire à) la
reproduction à l’identique des objets dans le temps et dans l’espace (…) la marque participe à ce titre d’une
sorte de routinisation rassurante des effets et de l’expérience de consommation qui vise à la réassurance
fonctionnelle et alternativement à la stabilisation émotionnelle »76.

      Écosystème, en effet ; d’abord parce que les ramifications nombreuses s’appuient toutes sur la même
unité; ensuite parce que Dora a acquis une autonomie ; écosystème, car tous les acteurs qui gravitent autour de
l’héroïne proposent des discours qui la façonnent ; l’écosystème, finalement, est une désignation qui cherche à
ériger Dora comme marque forte et qui s’intègre à un discours de promotion de celle-ci.



      I.1.3. Une aventurière respectueuse des us et coutumes locales : la « glocalisation », nécessité d’un
marché mondialisé

      Dora évolue selon une approche globale ou mondiale, qui procède d'une vision standardisée et uniforme
de la stratégie de marque. Cette approche vise à considérer que le marché mondial est un seul ensemble
intégré, qui profite des avantages reposant sur une économie de coûts, conséquences logiques des opérations



71
   Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011
72
   Ibid
73
   Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010
74
   Blog Queen-bee « Oh mon Dieu, ils ont relooké Dora l'Exploratrice! Espèce d'en... » 05 septembre 2010
75
   Benoît HEILBRUNN, La marque, Ed Que sais-je? Paris, 2006, p 83
76
   Ibid, p 27

                                                          19
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



menées à l'échelle mondiale et centralisées77. Dora est confiée aux soins d'acteurs locaux afin de donner des
résultats optimaux78 : les relations publiques chargées de relayer les dix ans de Dora en France ont été confiés
à une agence française, FH com79. D'autres acteurs locaux ont déjà cité : Albin Michel, Jemini, par exemple.
C'est dire qu'il y a un réel effort de diversification et d'ajustement de l'offre selon la qualité de la clientèle
locale. On appelle ce phénomène « glocalisation », un mot valise qui emprunte a « globalization »
(mondialisation) et « local »80. Le contexte de production de masse et le lieu de production unique n'empêche
pas Dora de s'adapter aux différents publics qu'elle rencontre.

      Comme l'explique Fréderic Martel, une industrie créative est faite pour répondre à des normes
internationales des sa conception. Il s'agit de séduire dès l'amont le plus de consommateur possible. La
logique commerciale et l'impératif de succès précédent les discours de promotion, qui, eux, varieront selon les
pays. Ainsi, l'intégration des latinos grâce aux médias à davantage de résonance aux États-Unis qu'au Japon
par exemple. De fait, le discours sur les minorités sera moins explicite dans des pays où la problématique est
de moindre intérêt. Comment Dora s'adapte-t-elle à la culture locale ? Initialement pensée pour enseigner
quelques mots d'espagnols aux petits américains, Dora apprend l'anglais à la plupart des autres enfants ; la
version irlandaise fonctionne grâce a une Dora à l'accent irlandais. Dora parle japonais au Japon, hébreux en
Israël, etc.81 Les images sont toujours les mêmes, seuls les doublages servent de marqueur culturel.



      I.1.4. Une économie de l'image, une esthétique de la voix : le doublage au cœur de l’expansion
géographique

      Comme on le constate, l'économie de Dora fonctionne principalement grâce à la voix, non au discours.
Cette distinction, c’est celle qui existe entre le « phonè » (φωνή), la voix physique, et le « logos » (λόγος), le
discours82. Les doubleurs sont des marqueurs culturels et locaux. Ainsi en France, Dora est doublée par Lucile
Boulanger, une comédienne qui double dans la série Hannah Montana. Aux États-Unis, les voix de Kathleen
Herles (2000-2004), puis de Caitlin Sanchez ont donné vie à Dora83. Aux États-Unis, les « guest voices » sont
parfois célèbres et les doubleurs sont invités sur les plateaux télévision pour partager et témoigner de leur
expérience de voix de héros84. On assiste a une heroïfication de la partie charnelle de Dora : c'est dire à quel
point la voix fait l'importance du programme et jusqu'où la stratégie d'expansion peut s’étendre.




77
   Cf. Annexe 5 « Les stratégies de marque de Dora/ Nickelodeon » page 95
78
   Cf. Annexe 4 « Les quatre composantes du mix marketing appliqué au cas de Dora l’Exploratrice » page 94
79
   Alain DELCAYRE « Stratégies » Trois nouveaux clients pour FH com 19 novembre 2010
80
   Michel HEBERT, Le marketing et la communication face à l'imprévisible: Mobilité, réactivité, adaptation, Paris,
Editions L'Harmattan, 2011 – p 57
81
   Page Wikipédia Dora l’Exploratrice (version française et américaine)
82
   Cf. Annexe 11 « Analyse d’un épisode Dora – sémiologie filmique » page 102
83
   Page Wikipédia Dora l’Exploratrice (version française et américaine)
84
   Caitlin Sanchez Interview diffusé le 15 août 2010 dans l’émission«Dora's Big Birthday Adventure» ou encore Caitlin
Sanchez «Trophy for winning Best Childrens Programming at the 2009 Imagen Awards», HBR.org.

                                                         20
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



      Lorsqu’il existe des écarts de traduction dus à l’adaptation des références culturelles, on parle
d' « artefact de traduction-adaptation »85; c'est le cas pour le singe de Dora. Appelé Shoes ou Boots aux États-
Unis à cause de ses grandes bottes, il devient Babouche en France. De même que certains épisodes imaginent
des personnages semblables à Chipeur le renard, qui retrouve ainsi d’autres renards voleurs partout sur le
continent (« Chipie », « Chipa » et « Shipping »86), le programme s'adapte selon les territoires qu'il occupe. Le
rusé renard qui se plaît à subtiliser des objets, est appelé Swiper aux États-Unis, Chipeur en France. Dans le
premier pays on l'exhorte ainsi « Swiper no swiping! », dans le second c'est « Chipeur, arrête de chiper! ».
« Backpack » devient « Sakado », « Map » « la carte », etc. C'est une simple question de dénomination qui
permet d'exporter le programme à travers le monde. On trouve un exemple de la traduction de Dora à travers
le monde en comparant des magazines de deux pays différents87, ou dans l'épisode Dora la musicienne ; pour
réussir leur mission, Dora et ses amis doivent passer par la barrière qui chante « Il faut que vous deviniez les
airs des chansons que je chante » demande la barrière88. Les épreuves sont traduites depuis la version
américaine, la barrière entonne donc des airs traditionnels aux États-Unis, traduits en français. Par
conséquent, les airs traditionnels sont traduits mot à mot, ce qui peut surprendre, car rares sont les petits
Français qui peuvent reconnaître les airs entonnés par la barrière : « Vieux Mc Donalds a une ferme »89
« Rame rame rame dans le courant tout joyeux voit tes rêves en grand »90 ne font pas partie du répertoire
traditionnel de la chanson enfantine. On voit ici les limites de la stratégie d’adaptation locale.

      Pour les dix ans de Dora, ABC News lui consacre un reportage. Présentée avant tout comme un succès
économique – « elle pèse plus de 10 millions de dollars »91 – Dora est analysée de bout en bout, depuis sa
conception jusqu’aux déclinaisons produites qu'elle a engendrées. Le journaliste commente : « Dora est
partout, sur les écrans, sur internet, en vêtements et DVD» et s'interroge : comment plaire aux enfants de la
planète entière ? De là, l’équipe de reportage entame une exploration des studios et on suit des entretiens avec
les créateurs de la série pour tenter d'expliquer le succès mondial de l'aventurière. Tous les épisodes sont
pensés et produits dans la maison mère: on voit des graphistes imaginer les expressions de Dora, les
dessinateurs appliqués qui mettent en animation la fillette. On voit aussi le panel d'enfants-tests qui regardent
le programme ; si l'épisode ne plaît pas ou trouble les enfants, il est retravaillé. Très intéressant aussi, le
témoignage des créateurs de la série, qui reviennent sur les premières heures de la fillette. Ils décrivent le
brainstorming qui précède à l'élaboration de l'héroïne telle qu'on la connaît, en racontant qu'il était à l'origine
question de créer un héros lapin : « Il y avait tant de personnages au début, d’abord c’était un lapin, ensuite
un(e) martien(ne). Elle s’est appelé Tess, puis Nina et puis Nick a dit « Et pourquoi pas une latino ? » ce à

85
    Pour mieux comprendre, consulter l’article de Yannicke LEBTAHI Télévision : Les artefacts de la traduction-
adaptation; Le cas de la sitcom in « META, journal des traducteurs » Volume 49, numéro 2, juin 2004, p. 401-409
86
   Épisodes doubles : Dora au pays des contes de fées, Dora autour du monde, Dora sauve le royaume de Cristal et Dora
princesse des neiges
87
   Cf. Annexe 12 « Analyse comparée de deux magazines Dora l’Exploratrice : France vs Hollande » page 104
88
   Dora la musicienne, Nickelodeon, 2006, 23’55
89
   Traduction de la chanson traditionnelle anglaise «Old mac Donald had a farm »
90
   Traduction de « Row row row your boat »
91
   Dora the Explorer's Big Birthday, ABCnews Video, 08 décembre 2010

                                                         21
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



quoi on a répondu « C’est une excellente idée ! » » 92Toute la genèse est mise en lumière, comme pour mettre
en valeur les coulisses du studio, communiquer de l'émotion et créer une histoire séduisante autour de la
naissance de la fillette. L'art du récit de la création relève du désormais bien connu « story-telling », une
nécessité pour les marques et les entreprises de se raconter en récit93.

      Le récit a une vertu explicative car c'est précisément ainsi que se déroule le cycle de vie d'un épisode
Dora. Produite par la maison mère américaine, Dora est ensuite mise en voix pour être diffusée dans les
filiales à travers le monde. Toute cette phase préparatoire, depuis la recherche d'idées, le développement et le
test du concept, l'élaboration de la stratégie marketing et les tests du produit ont lieu dans la maison mère.
Ensuite seulement le lancement est laissé à la charge des filières, de même que le suivi du produit. Cette façon
de fonctionner du studio de production est en tout cas celle que Nickelodeon souhaite montrer. Lorsqu’on relit
l’enquête de Frédéric MARTEL et sa visite des studios, on lit que seule le stade du « développement », ce
« très long processus qui va du « pitch » (l’idée initiale résumée en quelques phrases) à la sortie du film, en
passant par la rédaction du script, sa révision et souvent sa refonte complète avant le tournage »94 (ici, il ne
s’agit pas de tournage mais de réalisation). C’est le « content » qui est élaboré dans la maison mère ; ensuite,
les autres charges sont confiées à des acteurs extérieurs. Mais dans une logique de « séduction » où
l’entreprise se raconte, il n’est pas attractif de dévoiler les dessous d’une machine complexe et indigeste.



      I. 2. En quoi Dora peut-elle être considérée comme une marque ?

      I. 2. 1. Dora, un personnage de série érigé au statut de produit commercial à celui de marque à part
entière

      Dora est un objet culturel qui a profité d'une stratégie commerciale de grande ampleur. La petite fille a
progressivement acquis une telle présence médiatique et une indépendance vis-à-vis de son créateur qu’elle a
été qualifié de marque : « Dora [au même titre que Bob l'Éponge, South Park, Pimp my ride], fait partie des
marques qui structurent les antennes »95 « Dora l'Exploratrice a 10 ans. Dix ans de succès. Le personnage
créé par la chaîne Nickelodeon s'est fait porte-parole du multiculturalisme et d'une représentation féminine
sans cliché sexiste. Mais elle est aussi une marque. »96 Comme l'explique Tristan Rachline, vice-président de
MTV Networks « au moment où le marché se cherche et où le GRP est remis en cause, il est nécessaire de
donner de la valeur à l'achat »97, et c'est précisément la raison d'être d'une marque. Pour Koetler, le
spécialiste du marketing, « Une marque a un contenu symbolique complexe qui va bien au delà de son nom.
Gérer une marque, c est gérer un ensemble de significations (…) Le capital d’une marque est lié à sa
92
   Ibid
93
   Cette notion a été expliquée par Christian SALMON Storytelling, La machine à fabriquer des histoires et à formater les
esprits, Paris, Ed. La découverte, Novembre 2008, 250 pages
94
   Frédéric MARTEL, Mainstream, Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias. Paris, Ed Flammarion, mars
2010; p 131
95
   Olivier MONGEAU « Stratégies » MTV joue la carte des marques 13 mai 2010
96
   Arnaud BIHEL « les nouvellesnews.fr » Dora, dix ans ; aventurière anti sexiste… pour le moment 27 août 2010
97
   Ibid

                                                           22
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



notoriété sa fidélité, sa qualité perçue et ses associations mentales »98. La vraie valeur d'une marque réside
dans sa capacité à gagner la préférence et la fidélité du consommateur, et nul doute que Dora remplit cette
mission. On dit d'une marque puissante qu'elle bénéficie d'un « capital marque » élevé ; celle-ci se mesure par
le différentiel de prix que le client accepte de payer lorsqu'il connaît la marque apposée sur un produit.
L'importance accordée aux marques et aux personnages par les enfants est important, à l'âge où le produit
remplit une fonction d'appartenance ; « La question du rapport de l’enfant à la marque, au jeu, est également
essentielle. On connaît cette tendance en chacun de nous à vouloir par moment s’identifier a quelque chose, à
quelqu’un (…) L’’important n’est pas nécessairement ce que l’on fait mais plutôt ce que l’on en dit et ce pour
quoi on le fait »99. Le discours des experts qui incitent les entreprises à proposer des marques aptes à une
appropriation par l’enfant.

      Pour construire une marque forte, les décisions stratégiques menées en amont sont essentielles. Tout le
développement autour d'une marque est mené en principe à partir d'un positionnement originel ; la marque est
supposée représenter « la promesse de fournir au client un ensemble homogène de caractéristiques,
d'avantages, de services, et d'expériences spécifiques. Cette promesse doit demeurer simple et honnête. »100.
Les   spécialistes   ont   parlé       de   « Business   en    or   massif   de   Dora    l'Exploratrice »,        qualifié
                              101
de «véritable écosystème »          l'ensemble formé par l'association des 1000 références Dora. L'unité de base de
ce système étant la figure de l'Exploratrice, c'est elle qui engendre une cohérence entre toutes les références.
Lorsqu'on aborde la marque, on déborde des notions d' « attributs » et de « bénéfices » du produit, pour
davantage se positionner sur des convictions et des valeurs102. Dans le cas de Dora, les convictions seront
davantage celles des acheteurs – les parents – que des utilisateurs – les enfants – sensibles au fort impact
émotionnel d'une marque puissante.

      La marque est un signe anthropologique lié à deux fonctions essentielles : l'identification de l'origine
tout d'abord, c'est sa fonction de signature, et sa fonction de différenciation ensuite. À propos de la fonction
de labellisation, on se rappellera que « marque » vient de l'ancien français « marcher », « un signe mis sur un
objet pour le rendre reconnaissable et en assurer la propriété »103. C'est ce même principe qui est mis en
œuvre lorsque Viacom fournit deux ou trois chartes graphiques par saison à ses distributeurs, permettant ainsi
aux enseignes de proposer des lignes de vêtements exclusives104. Pour protéger les marques, les entreprises
doivent prendre soin de les faire suivre du symbole idoine ®, estampille que l'on retrouve sur les produits




98
   Philippe KOETLER et Bernard DUBOIS, MARKETING ET MANAGEMENT, 10ème édition, Paris, Ed PubliUnion, 2000,
p 423 424
99
    Entretien avec Carl Eric RENNO, psychoclinicien, diplôme en psychologie clinique et en psychopathologie dans Jean-
Jacques URVOY, Annie LLORCA, Gérer une marque enfants, Paris, Editions Eyrolles, 7 juil. 2011 » - p 88
100
     Philippe KOETLER et Bernard DUBOIS, MARKETING ET MANAGEMENT, 10ème édition, Paris, Ed PubliUnion,
2000, p 430
101
    Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010
102
    Schéma « les différents niveaux d’une marque » Benoît HEILBRUNN, La marque, Ed Que sais-je? Paris, 2006, p 31
103
    Benoît HEILBRUNN, La marque, Ed Que sais-je? Paris, 2006, p 5
104
    Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010

                                                              23
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



Dora. La distribution des produits et services aux niveaux régional, national et international exige une
uniformisation et une reproductibilité de la marque105.

      La fonction de différenciation recoupe la définition de la marque par Koetler « un nom, un terme, un
signe, un symbole, un dessin, ou une combinaison quelconque de ces éléments qui sert à identifier des biens
ou services d'un vendeur ou d'un groupe de vendeur et à les différencier de ses concurrents »106. Si le prénom
Dora reste le même partout dans le monde, le logo sonore « We did it » (chanson du générique de fin qui vient
couronner chaque épisode) devient « C'est gagné » en France, chanté sur une intonation similaire.



      I.2.2. Dora déclinée sur tous les supports : forces et intérêts du « versioning »

      L'offre commerciale proposée sous la marque Dora comporte à la fois des biens tangibles et des
services, la part de service étant une part importante de l'offre globale. Or, les événements acquièrent une
importance grandissante dans les stratégies de marque ; désormais que « les personnages cultes nés d'un coup
de crayon s'engagent pour stimuler les ventes (…) Dora [est] invitée sur les plages à animer des ateliers de
dessin»107. La banalisation historique des produits pour enfants et l'abondance de propositions – Oui-Oui,
Winnie l'ourson, produits Disney, Hello Kitty108, Charlotte aux Fraises – oblige l'entreprise à trouver un
moyen pour créer de la valeur ; « Il ne suffit plus de sigler une paire de chaussures avec Titi et Grosminet ou
un cartable avec Dora pour qu'aussitôt ledit produit gagne en valeur ajoutée »109. Au-delà de la simple
production de services, l'entreprise doit proposer de vivre une expérience. La dimension expérientielle est
d'autant plus attendue lorsqu'il s'agit de divertissement. Accélérateur de ventes, les licences – en tout cas les
personnages qui les incarnent – sont en passe de devenir « un élément d'animation des ventes elles-mêmes.
Une nécessité à l'heure où le marché des produits dérivés est quelque peu plombé par la crise
économique »110. Autrement dit, la visibilité n'est plus suffisante, il faut y ajouter la notoriété et la proximité.
De fait, Nickelodeon organise des tournées promotionnelles pour encourager la notoriété de ses héros
phares111. Véritables «Road show » ou « parc d'attractions délocalisés » ces tournées et parades,
accompagnées de leur incontournables distributions de « goodies » attirent presque autant de spectateurs que
la caravane du Tour de France cycliste. Dora pose aussi avec les enfants dans des lieux de loisirs112. Les
parades renouvellent le genre de la fête foraine et doivent renvoyer de la crédibilité auprès des
consommateurs-acheteurs : les animations contiennent donc un volet ludo-éducatif, proposant des séances

105
    Cf. Annexe 1 « Les formes d’extension d’une marque : un nom facile à exporter » page 89
106
     Philippe KOETLER et Bernard DUBOIS, MARKETING ET MANAGEMENT, 10ème édition, Paris, Ed PubliUnion,
2000, p 431
107
    Rita MAZZOLI « La Tribune » Les stars de la BD au secours des marques 26 avril 2010
108
    Esther WALKER, «The Independant» Top cat: how “Hello Kitty” conquered the world, 21 mai 2008
109
    Ibid
110
    Ibid
111
    Ludovic BISCHOFF « Actionco.fr» Accompagnez Dora et Bob l'éponge en tournée sur les plages cet été, 04 janvier
2008
112
    Site internet de l’hippodrome de Vincennes, onglets événements, « les poneys sont de sortie ». Voir Annexe 25. « Dora
sous toutes les formes un produit marchandisé à l’extrême», page 127

                                                           24
Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?



photos, des ateliers découvertes, etc. Il s'agit de justifier du différentiel de prix entre le produit basique et le
produit sigle 113.

      Ce qui s’applique sur un produit marchand « classique » grande distribution par exemple (Yaourt,
voiture, shampoing), s’applique aussi à du contenu culturel. C’est tout le propos de Frédéric Martel dans son
ouvrage Mainstream dans lequel il définit le « versioning » comme une « stratégie qui consiste à décliner un
contenu sur différents supports (le film Le Roi Lion devient un disque, une comédie musicale, une parade,
etc. »114). Autrement dit, le contenu peut être décliné sur tous les supports, (on parle alors de « Global
Média »), une caractéristique qui permet à Dora, non seulement d’être un succès, mais d’être rentable
économiquement ; car, comme le rappelle Thomas Schumarer (responsable dessins animés & comédies
musicales du Disney Theatrical à New York), un succès en termes d’images – distinction, engouement du
public – n’équivaut pas à un succès commercial115. Or, comme toute entreprise, Nickelodeon doit proposer
une stratégie rentable, d’où l’extension de son portefeuille de gamme.



      I.2.3. L’évolution de la marque Dora ou l’agrandissement de la famille Marquez

      Les petites filles sont davantage concernées par le programme Dora, en tout cas ce sont elles le cœur de
cible des objets dérivés, comme l'attestent les magazines, les poupées Dora, les dînettes et parfums de fillettes.
Or, Nickelodeon cherche à séduire les parents, les frères, mais aussi les grandes sœurs, pour toucher d’autres
cibles sur le marché des téléspectateurs et consommateurs de loisirs. En 2009 aux États-Unis sort une
nouvelle version de Dora, préado et citadine116. C'est une nécessité dans l'univers du divertissement pour
enfant de « rénover » ses héros régulièrement. Charlotte aux Fraises est aussi une héroïne de longue date –
née en 1970 – et a plusieurs fois été modernisée117 ; tous les sept ans, le visage de Barbie est redessiné en
fonction de la tendance du moment 118 ; en 2012, c’est la petite Émilie qui connaissait une nouvelle
jeunesse119. La recréation, le « rafraîchissement » permet de donner l'illusion d'une réinvention et de conquérir
de nouvelles cibles. En ce qui concerne Dora, pouvait-on « « La faire passer en 3D comme Oui-Oui pour la
rajeunir? Pas question ! » s'insurge Chris Gifford. Le père de Dora préfère miser sur Diego, son cousin, ou
                                                        120
Kaï-Lan, la petite fille qui parle le mandarin. »             Le rajeunissement des produits séculaires par un
rajeunissement de look procède de la « modernisation »,121 tandis que Nickelodeon choisit d’opter pour une

113
    En guise de comparaison, lorsque Oui-Oui anime le rayon linge de maison, les ventes sont décuplées de 1000%. Rita
MAZZOLI « La Tribune » Les stars de la BD au secours des marques 26 avril 2010
114
    Frédéric MARTEL, Mainstream, Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias. Paris, Ed Flammarion, mars
2010; p 575
115
    Ibid p 85
116
    Stacey GARFINKLE, « Washingtonpost.fr » Dora the Explorer No More? 6 mars 2009
117
    Page Wikipédia de Charlotte aux Fraises
118
     Marie-Françoise HANQUEZ MAINCENT, Barbie, poupée totem. Entre mère et fille, lien ou rupture ? Paris, Ed
Autrement, octobre 1998. p 86
119
    Albums « Émilie » par Domitille de Préssentié, première parution en 1975, réédition et modernisation en 2012
120
    Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011
121
     Philippe KOETLER et Bernard DUBOIS, MARKETING ET MANAGEMENT, 10ème édition, Paris, Ed PubliUnion,
2000, p 422

                                                         25
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  • 1. École des hautes études en sciences de l'information et de la communication Université de Paris-Sorbonne (Paris IV) MASTER 2ème année Mention : Information et Communication Spécialité : Management de la Communication Option : Magistère de Communication « Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ?» Les constructions discursives d'une héroïne médiatique sur le marché de l'enfance. préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD PASSOT CAMILLE : Promotion : 2008-2011 Soutenu le : 28 JUIN Note au mémoire : Mention :
  • 2. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? L’avant propos et les remerciements ....................................................................................................................................4 L’introduction.........................................................................................................................................................................5 I – Dora, produit d’une culture globalisée sur le marché de l’enfance ............................................................................ 12 Avant propos : « Il était une fois Dora » ........................................................................................................................... 12 I.1. Une petite fille en bonne santé dans le monde entier, ou le succès d’une stratégie mondialisée ................................ 13 I. 1.1. Dora, héroïne de son temps : un produit de « l'industrie culturelle « Mainstream » » ....................................... 14 I. 1.2. Un « écosystème » Dora, ou la stratégie globale et offensive des créateurs ....................................................... 17 I.1.3. Une aventurière respectueuse des us et coutumes locales : la « glocalisation », nécessité d’un marché mondialisé...................................................................................................................................................................... 19 I.1.4. Une économie de l'image, une esthétique de la voix : le doublage au cœur de l’expansion géographique ......... 20 I. 2. En quoi Dora peut-elle être considérée comme une marque ? ................................................................................... 22 I. 2. 1. Dora, un personnage de série érigé au statut de produit commercial à celui de marque à part entière ........... 22 I.2.2. Dora déclinée sur tous les supports : forces et intérêts du « versioning » .......................................................... 24 I.2.3. L’évolution de la marque Dora ou l’agrandissement de la famille Marquez ....................................................... 25 I.2.4. Une Exploratrice face aux dangers contemporains : la société du risque ........................................................... 27 I.3. Dora et les enfants, relation marchande ou affective ? ............................................................................................... 28 I.3.1. Les enfants, des consommateurs qui n’achètent pas encore mais qui décident déjà beaucoup ........................... 28 I.3.2. Les enfants, des consommateurs comme les autres ou des sujets « victimes » du merchandising offensif mené par Dora? ...................................................................................................................................................................... 31 Conclusion au I : « un business en or massif » qui repose sur un écosystème particulier. ............................................... 34 II. Le succès de Dora repose sur un « discours d'escorte » du renouveau de l'apprentissage par la technophilie. ..... 36 II. 1. Dora l'Exploratrice : l'imaginaire de l'action contre la passivité cathodique .......................................................... 36 II. 1. 1. La télévision, média souffrant d'une mauvaise image mais comptant de plus en plus d'adeptes ...................... 36 II. 1 .2. La télévision « attention, danger public » : un média qui attise les passions ................................................... 37 II. 1. 3. Les programmes télévisés, concurrents, compléments ou menaces pour l’apprentissage ? ............................. 39 II. 1. 4. Une télévision « éducative », projet antithétique, hypocrite ou irréaliste ?...................................................... 44 II. 1. 5. Quels critères établir pour jauger un programme télévisé éducatif à destination des enfants? ....................... 45 II. 2. L' « éducatif ludique » selon Dora : un apprentissage ostentatoire ou un argument de rassurance pour les parents ? ............................................................................................................................................................................ 47 II. 2. 1. La télévision à la croisée de l'épanouissement et du plaisir de l'enfant ............................................................ 48 II. 2. 2. Des parents lucides sur les effets d’une télévision éducative ............................................................................ 49 II. 2 .3 Rassurer les parents : l’espoir d'une télévision édifiante, voire éducative ........................................................ 51 II. 3 : De la promesse de l'apprentissage à la preuve : comment Dora apprend aux enfants ........................................... 52 II. 3 .1. La technophilie comme renouveau de l'apprentissage ...................................................................................... 52 II. 3. 2. La mise en scène de l'apprentissage : la répétition et l’interactivité ................................................................ 54 II. 3. 3. Les limites de la « pédagogie ludique » et de la « glocalisation » de l’univers Dora....................................... 58 Conclusion au II : La promesse de l’éducation : de l’esthétique télévisuelle à un programme éthique ............................ 59 III L'émancipation de Dora : comment les discours adultes construisent un personnage destiné au divertissement enfantin.................................................................................................................................................................................. 62 III. 1. Ce que Dora promouvrait comme valeurs et idéaux ................................................................................................ 62 III. 1. 1 Morale et héroïsme : les« valeurs » dans les dessins animés, un grand classique ........................................... 62 III. 1. 2 Dora, héroïne capitaliste libérale ? .................................................................................................................. 64 III. 1. 3. La « responsabilité sociale » de Dora, un discours éthique ............................................................................ 68 III. 2. Réappropriations adultes et intellectualisées de Dora ............................................................................................ 70 III. 2. 1 Dora, de l’héroïne au féminin à la féministe engagée ...................................................................................... 70 III. 2.2. Dora clandestine ? La question manifeste de la minorité visible ..................................................................... 75 III. 3 Dora réécrits, parodiée, repensée : de l’héroïne télévisuelle à l’objet populaire..................................................... 77 III. 3. 1 Un objet qui circule, une histoire qui se transmet : un objet au fort potentiel médiagénique .......................... 77 III. 3. 2 : Quand Dora envahit l'imaginaire collectif ..................................................................................................... 80 1
  • 3. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? Conclusion au III : Dora, buvard de nos sociétés contemporaines ................................................................................... 84 La conclusion et les ouvertures ........................................................................................................................................... 86 Les annexes ........................................................................................................................................................................... 89 1. Les formes d’extension d’une marque .................................................................................................................. 89 2. Le cycle de vie du produit- Dora dans le temps et dans le monde ........................................................................ 91 3. Le portefeuille de gammes Dora l’Exploratrice ................................................................................................... 93 4. Les quatre composantes du mix marketing appliqué au cas de Dora l’Exploratrice ........................................... 94 5. Les stratégies de marque de Dora/ Nickelodeon .................................................................................................. 95 6. CSA, la protection des mineurs sur internet : ....................................................................................................... 96 7. Dora et son public................................................................................................................................................. 97 8. Un co-marquage de qualité : Shakira et Dora...................................................................................................... 98 9. Dora et Signal, un partenariat qui ne fait pas sourire que les enfants. ................................................................ 99 10. « Go Diego go ! » ; Diego, cousin et versant masculin de Dora l’Exploratrice ............................................ 100 11. Analyse d’un épisode Dora – sémiologie filmique ......................................................................................... 101 12. Analyse comparée de deux magazines Dora l’Exploratrice : France vs Hollande ........................................ 103 13. L’interactivité dans un épisode Dora : Dora la Musicienne .......................................................................... 104 14. La répétition et la structure actancielle dans un épisode Dora : Dora la Musicienne.................................. 105 15. Dora sauve les petits chiens, une interactivité limitée .................................................................................... 107 16. Entretien avec une bibliothécaire ................................................................................................................... 110 18. Entretien avec une directrice d’école et institutrice en CP ............................................................................ 114 19. Entretien avec Lucie, 24 ans, étudiante et baby-sitter .................................................................................... 116 20. Entretien avec Nicolas, père de la quarantaine ............................................................................................. 117 21. Les trois Dora(s)............................................................................................................................................. 118 22. Le sac à dos Dora de Slash ............................................................................................................................ 119 23. Les Parfums Dora........................................................................................................................................... 120 24. Dora la clandestine : photos et montages dans les médias ............................................................................ 121 25. « Dora sous toutes les formes » un produit marchandisé à l’extrême ............................................................ 126 26. Des produits Dora au féminin ........................................................................................................................ 134 27. Campagne de recensement 2010 .................................................................................................................... 136 28. Les héros de Nickelodeon ............................................................................................................................... 137 29. Affiche Dora au Casino de Paris - le spectacle musical ............................................................................... 138 30. Ni Hao Kaï-Lan .............................................................................................................................................. 139 31. Générique de Dora sur Tiji ............................................................................................................................ 139 32. Dora sur Désencyclopédie.fr .......................................................................................................................... 140 33. Spécialistes des enfants, presse, télévision, un dialogue parfois houleux. ..................................................... 141 34. Bob l’Éponge, héros de Nickelodeon et cousin de Dora, responsable de l’obésité infantile ......................... 143 35. Sesame Street, fondement, historique et actualités : modèle ou ancêtre de Dora ? ....................................... 144 36. Les trois composantes de la communication et de l’éducation ....................................................................... 146 37. La promesse de Marque de Nickelodeon : une composition, solution à une dialectique complexe » ............ 147 38. Dora sur console, une alliance évidente ......................................................................................................... 149 39. « L’interactivité, définitions et fondements ».................................................................................................. 150 40. Figures persistantes et rôles fonctionnels dans Dora l’Exploratrice : rétablir l’ordre établi ....................... 151 41. La morale édifiante de Kaï-Lan...................................................................................................................... 152 42. Un sac à dos qui a bon dos : le Charity-business selon Dora ........................................................................ 153 Bibliographie par thème .................................................................................................................................................... 154 Références universitaires ................................................................................................................................................. 154 Communication, textes théoriques et fondamentaux ................................................................................................... 154 Télévision et industries culturelles .............................................................................................................................. 155 Exposition et conférences ............................................................................................................................................ 156 Corpus Presse .................................................................................................................................................................. 157 Articles concernant Dora ............................................................................................................................................ 157 Articles plus généraux sur la télévision ....................................................................................................................... 159 Articles concernant l’interactivité ............................................................................................................................... 161 Blogs, site internet & émissions ....................................................................................................................................... 161 2
  • 4. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? Études de cas : épisodes& livres ...................................................................................................................................... 162 Résumé ................................................................................................................................................................................ 163 Mots-clefs ............................................................................................................................................................................ 165 3
  • 5. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? L’avant propos et les remerciements Tout le monde connaît Dora l’Exploratrice, ne serait-ce que pour la parodie « Dora la junkie » qui circule sur la toile, ou pour l’avoir aperçu dans un linéaire de grands magasins. Cette omniprésence médiatique d’un objet pour enfant est à la fois rare et commune. Il est classique que les héros télévisuels envahissent l’espace marchand et l’espace public ; plus étonnant, pourtant, est la pérennité du personnage et son omniprésence médiatique C’est cela que j’ai souhaité interrogé : comment une petite héroïne de télévision a-t-elle réussi à marquer son empreinte partout dans le monde avec une telle constante et une telle disponibilité ? Derrière le visage rond et doux de Dora, il y a évidemment toute une machine économique, des décisions stratégiques, des considérations idéologiques aussi. Car l’enfant est le premier à regarder Dora avec intérêt : étudier le personnage de Dora, c’est interroger l’enfance : constitue-t-elle un marché comme les autres ? Y a-t-il des spécificités à prendre en compte quand on aborde les notions de divertissement, de consommation et qu’on les confronte à l’enfant ? Bien plus qu’une héroïne cathodique, Dora est un miroir des discours qui existent aujourd’hui sur des questions aussi décisives que la responsabilité de l’enfant, le rôle des médias dans la construction d’une éventuelle citoyenneté, l’intérêt éventuel des avancées technologiques sur le progrès social. De nombreuses thématiques croisent l’objet médiatique Dora l’Exploratrice ; on a choisi de l’étudier, afin de mener une réflexion qu’on espère utile, à parti d’un objet que d’aucuns qualifieraient de futile. Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidé sur ce travail de recherche ; - Mes tuteurs Gustavo Gomez Mejia et Grégoire Halbout - La directrice du Celsa, Véronique Richard, - Les personnes qui ont accepté de jouer le jeu des entretiens, Lucie, Christine. - Les parents qui ont accepté que je parle à leurs enfants, Théodore, Claire, Capucine, Rébecca, Pauline, Maud. - Ceux qui ont relu les travaux – mon papa, relecteur en chef 4
  • 6. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? L’introduction Le rapport entre enfance et médias, loin d'être simple, est un terrain d'affrontement historique entre différentes parties prenantes : les politiques, les éducateurs, les parents d'une part, les entreprises et les médias d'autre part. D'ailleurs, dans la revue Esprit consacrée à « La société des écrans et la télévision », la sociologue Monique Gagnaud titre son article ainsi : « Audiovisuel et protection de l'enfance, polémique garantie »1. Pourquoi relever cette contradiction ? D'une part, les médias, la télévision particulièrement, promettent un accès à l'information, au divertissement, un choix plus large d'activités ; les récents progrès technologiques – il n'est pas inutile de le redire – permettent en outre un accès aux données de façon quasi- immédiate. D'autre part, dans un contexte de société ouverte2 ou chaque citoyen dispose d'une liberté de pensée et d'expression et où les institutions culturelles et légales respectent et facilitent la formulation de l'opinion personnelle, chaque enfant est désormais considéré comme un citoyen en puissance. Par conséquent, l'âge de l'apprentissage est presque sacralisé, à tel point qu'on a pu parler de l'Occident comme « d'une samaritaine infantile »3 ; tous les éléments qui peuvent exercer une influence sur ces esprits supposés plus perméables sont considérés avec attention ; ces enfants « gâtés » sur lesquels les parents et l'État investissent4 seraient particulièrement attirés et exposés au média télévisuel régi davantage par une logique marchande qu'humaniste. En effet, le marketing «représente un nouvel état d’esprit s’appuyant sur des techniques précises qui visent à satisfaire dans les meilleures conditions les besoins de la clientèle. C’est une démarche, qui, fondée sur l’étude scientifique des désirs des consommateurs, permet à l’entreprise, tout en atteignant ses objectifs de rentabilité, d’offrir à son marché cible un produit ou un service adapté »5 ; en cela, le marketing médiatisé et international représenterait un risque pour l’enfance et la polémique évoquée par la sociologue revêt donc divers aspects. L'enjeu est politique, d’abord, puisqu'il interroge le modèle de société visé au travers des nouvelles générations. Il est financier, évidemment, car les logiques commerciales sont conséquentes dans les secteurs de l'enfance et du divertissement, comme nous le verrons. Il est idéologique et médiatique, enfin, car confronter l'enfant au média c'est se poser la question de l'usage d'un outil, et de ses fins. Une manifestation de cette polémique a lieu en août 2011, lorsque la sénatrice UMP et Ministre des sports Chantale Jouanno a été chargée de remettre un rapport sur l'hypersexualisation des jeunes filles qui fait grand bruit – 5 mars 20126. C'est la première fois en France qu'un politique donne des recommandations en la matière, bien que « La vague de l'hypersexualisation n'a[it] pas encore massivement touché nos enfants », 1 Monique DAGNAUD « Esprit » Audiovisuel et protection de l'enfance, polémique garantie Mars 2003 2 Karl POPPER, La Société ouverte et ses ennemis, tome 1: l'ascendant de Platon Paris, Ed Seuil, 1979, 456 pages 3 Marie-Françoise HANQUEZ MAINCENT, Barbie, poupée totem. Entre mère et fille, lien ou rupture ? Paris, Ed Autrement, octobre 1998. p 192 4 Catherine ROLLET, Les enfants au XIXème siècle, Paris, Ed Hachette, août 2001 251 pages 5 Dictionnaire de Marketing Thérèse Albertini, Jean-Pierre Helfer, Jacques Orsini 2éme édition, p 103 6« Le Monde » Un rapport s'inquiète de l'hypersexualisation des enfants 05 mars 2012 5
  • 7. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? affirme Mme Jouanno qui ajoute pourtant que « les parents sont légitimement inquiets »7. Dans son rapport, elle propose une série de mesures, parmi lesquelles l'interdiction de la promotion d'images sexualisées des enfants, une éducation à la sexualité dès le plus jeune âge ; autant de dispositions destinées à endiguer un phénomène en plein expansion, d'abord aux États-Unis puis en Grande-Bretagne et enfin en France. La sénatrice commente : « la société dans son ensemble est hypersexualisée ; dès le plus jeune âge, on voit apparaître des stéréotypes très clivés garçons-filles, et il y a une puissance du marketing colossale pour rompre la barrière des âges et inciter à adopter des comportements d'adolescents »8. À cause des « stéréotypes » véhiculés par l'industrie marchande, les fillettes seraient désormais sommées de se comporter en adultes sexuées, conséquence d'une société de consommation qui fait des enfants des consommateurs aux exigences précoces. Le rapport suggère aussi de publier une « "charte de l'enfant", qui traduise les principes de l'intérêt supérieur de l'enfant dans l'éducation, la consommation ou les médias ». Elle s'inspirerait d'un dispositif mis en place au Royaume-Uni, une « charte qui serait signée entre les pouvoirs publics et les acteurs économiques et recommanderait les caractéristiques de produits destinés aux enfants ». Cette prise de parole des politiques est inédite : tout se passe comme si les pratiques marchandes et médiatiques étaient désormais régulées par les garants de l'ordre moral. L'influence des logiques de marché sur l'évolution de la société est posée comme un postulat, et comme une dérive à éviter. Parmi les nombreuses problématiques concernant les enfants, l'hypersexualisation inquiète et mobilise ; la préoccupation est mondiale, les universitaires – sociologues et éducateurs – étudient la problématique, les journalistes la dénoncent, les parents se concertent pour envisager des solutions, les politiques se saisissent de la question afin d'envisager des mesures adaptées. Leur appréhension concerne les dérives possibles que pourraient provoquer des médias qui apparaissent omniprésents et influents. Même les intervenants critiques sur le rapport Jouanno, comme Michel Fiez9 s'accordent sur la nécessité d'encourager « l'information des parents sur les mécanismes médiatico-publicitaires (...). Mais plutôt que de faire des filles des boucs émissaires, il faut bien se rendre compte que c'est la société qui est hypersexualisée. »10 Certaines parties prenantes avancent que les médias sont grandement responsables de l'hypersexualisation des enfants : c'est le corps médical – 150 pédiatres – qui a réclamé une charte énonçant les grands principes de la protection des enfants - finalement signée en Février 2010 par le Conseil Supérieur de l’audiovisuel (CSA) et le Syndicat de la presse magazine (SPM)11. D'autres voix s'élèvent et tempèrent l'accusation, à l'instar de Pinkstinks, un site internet anglais qui s’est donné pour mission de dénoncer les stéréotypes féminins.12 En effet, parmi les produits commerciaux à succès, une « heureuse élue » est 7 Ibid. 8 Ibid. 9 Sociologue au CNRS et auteur de l'ouvrage les Nouvelles Adolescentes, 25 questions décisives 10 Propos de Michel FIZE recueillis par Sylvain MOUILLARD «Libération » L'hyper sexualisation touche la société entière, pas uniquement les petites filles 5 mars 2012 11 « Le Monde » Un rapport s'inquiète de l'hypersexualisation des enfants 05 mars 2012 12 Susanna RUSTIN«The Guardian» Pinkstinks campaign calls for end to sale of makeup toys to under eights 20 avril 2012 6
  • 8. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? dédouanée par le site internet : « Les modèles qu’on propose aux filles se limitent pour la plupart – si on exclut Dora l’Exploratrice et les Barbie vétérinaire, enseignante ou sportive – à parader et à plaire. »13. Dora fait ici figure d « 'anti-princesse Disney » et sert de modèle à certains discours féministes qui revendiquent la nécessité d'une héroïne d'un nouveau « genre » : cette enfant active et indépendante est perçue comme un personnage à contre-courant des modèles de référence habituellement véhiculés dans l'univers de l'enfance. On pourrait s'étonner de l'ampleur que prend le phénomène. En réalité, il ne faut pas négliger l'importance des secteurs du divertissement, qui, sous l'effet de la mondialisation et de l'essor du capitalisme, devenus des secteurs industrialisés à part entière. Adorno a parlé d' « industrie culturelle » pour désigner « l'ensemble des entreprises produisant selon des méthodes industrielles des biens dont l'essentiel de la valeur tient dans leur contenu symbolique »14, Martel désigne par « industrie de l'entertainment » « ce que font les peuples quand ils ne travaillent pas ; ce qu'on appelle leurs loisirs et leurs divertissements »15. Or, comme l'explique l'auteur « Les questions que posent ces industries créatives en termes de contenus, de marketing et d'influence sont intéressantes même quand les œuvres qu'elles produisent ne le sont pas. Elles permettent de comprendre le nouveau capitalisme culturel contemporain, la bataille mondiale pour les contenus, le jeu des acteurs pour gagner du soft power, l'essor des médias du sud, et la lente révolution que nous sommes en train de vivre avec internet ».16 Parmi ces industries créatives, il y a Dora. Dora est l'héroïne d'une série animée destinée aux enfants entre deux et cinq ans. À chaque épisode, la fillette part à l'aventure avec son ami le singe Babouche ; aidés de ses compagnons Lacarte, Sakado et autres protagonistes, ils explorent le monde pour le bonheur des enfants de la planète. Les créateurs de Dora prétendent initier les enfants à une seconde langue (étrangère) grâce à une méthode ludique et interactive, proposant aux téléspectateurs de réagir avec programme dans le but final d'acquérir quelques notions en anglais ou espagnol tout en s'amusant. Diffusé dans de nombreux pays, le programme est dérivé en de nombreux objets de divertissement et de consommation destinés aux enfants. Véritable phénomène de mode, Dora a su conquérir le monde entier grâce à une stratégie mondiale caractéristique de la société de loisirs industrialisé et globalisé. Cette « conquête » de l'Exploratrice s'appuie sur un discours promotionnel à destination des parents et des enfants, une cible particulière qu'il s'agit de choyer avec prudence, grâce à un marketing attentivement étudié en amont. Créé en 2000 aux États-Unis par Nickelodeon, Dora génère environ 5 milliards d'euros depuis sa naissance17 ; Nickelodeon est une filiale de Viacom, un des géants du divertissement global, à l'origine d'autres succès tout aussi importants : Bob l'éponge, les Razmoket... 13 Lise BERGERON « Protégez_vous » Hypersexualisation Novembre 2011 14 Alexander NEUMANN, Conscience de casse, la sociologie critique de l'École de Francfort : La 4e Génération, 2010, p58 15 Frédéric MARTEL, Mainstream, Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias. Paris, Ed Flammarion, mars 2010; p14 16 Ibid. p 14 17 Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010 7
  • 9. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? Si l'audience atteint aux États-Unis une moyenne de deux millions de téléspectateurs, c'est en partie grâce à la communication adéquate qui promeut les produits Dora et un argumentaire déterminant auprès des parents, principaux éducateurs des enfants, et acheteurs des biens que ceux-ci consomment. De fait, le discours promotionnel est tout autant destiné à convaincre les enfants que les parents de l'intérêt du programme télévisuel. L'argumentaire de vente s'appuie sur plusieurs postulats. Le premier repose sur la nécessité pour l'enfant d'acquérir de nouvelles connaissances et de gagner de la confiance en soi; l'interactivité est au cœur de la méthode innovante ludo-éducative proposée par Nickelodeon. En second lieu, il présume de l'intérêt de la représentation des minorités dans les médias. En effet, aux États-Unis puis dans le monde entier, Dora est le premier personnage d'origine latine à tenir le rôle principal dans un programme pour enfants, une existence remarquable dans un contexte américain où « La présence de personnages de couleur devenait nécessaire dans les programmes pour enfants.18». Enfin, Dora prétend proposer une image renouvelée de l'héroïne au féminin, puisqu'elle est une aventurière active, loin des clichés habituellement véhiculés sur les valeurs féminines, l’héroïne étant habituellement réduite au rôle de princesse de parade. Dans un article consacré aux dix ans de Dora l'Exploratrice, la journaliste du New-York Times s'attarde sur l'influence de l'héroïne sur les enfants ; « Dora donne confiance aux enfants parce qu'elle leur montre comment s'en sortir dans des cas de figure différents et elle leur donne une chance de répondre comme s'ils étaient dans la même pièce qu'elle »19 selon le président de Children Now, un groupe spécialisé dans la relation entre enfants et médias. Aux dires des experts, Dora serait une héroïne médiatique apte à promouvoir des valeurs édifiantes universelles. Comment justifier alors son absence des bibliothèques et écoles françaises, vecteurs officieux et principaux d'éducation et d'édification des enfants ? Dans un contexte de prolifération de discours sur le rapport entre l'enfance et les médias, ce mémoire propose de considérer la figure de Dora comme objet de recherche. D'abord parce que la petite fille est un objet médiatique complexe. Héroïne de série télévisée, elle est naturellement déclinée en produits dérivés mais son évolution ne s'arrête pas là : ses géniteurs lui ont dédié des spectacles, l'ont fait grandir, lui ont « donné un cousin ». Copiée, parodiée, reprise à l'envi, connue autant des adultes que des enfants, Dora a intégré le paysage médiatique avec une aisance et une rapidité qu'il s'agit d'expliquer. Marque forte et objet quotidien, Dora semble être une héroïne de la communication contemporaine, destinée à tous les supports et elle-même support de multiples discours. Surtout, elle propose une nouvelle approche de l'apprentissage grâce à son discours euphorisant sur l'interactivité. Dora se retrouve au cœur de questions politiques, médiatiques, mais aussi féministes, éducatives... Les préoccupations adultes ne sont-elles pas projetées sur un objet destiné aux enfants ? Les argumentaires et les 18 Elizabeth OLSON « The New York Times », ‘Dora’ Special Explores Influence on Children, 12 août 2010 19 Ibid 8
  • 10. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? analyses qui circulent autour de Dora, et plus généralement autour de la question des médias et de l'enfance sont nombreux et parfois contradictoires. Entre l'héroïne cathodique et les discours qui l'escortent, existe-t-il une continuité identitaire ou, au contraire, peut-on relever des écarts instructifs ? L'aventurière pourrait-elle constituer une synthèse ou un « juste milieu » entre l'alarmisme politique qui s'inquiète des méfaits du marketing et les desseins uniquement vénaux des entreprises ? Produite par des adultes, Dora est-elle destinée à l'imaginaire des enfants ou n’est-elle que la projection de celui des adultes ? Dora semble avoir été érigée en phénomène social grâce à la logique des acteurs qu’elle rencontre ; que dire alors de sa fonction de projection : évolue-t-elle en fonction des désirs des enfants qui la « consomment », des adultes qui l' « intellectualisent » ou plus généralement d'une société qui évolue ? Que dit Dora de cette société qui se la réapproprie ? On a choisi de réunir ces interrogations et différentes approches possibles en une problématique ainsi formulée : dans quelle mesure la « marque » Dora l'Exploratrice s'approprie-t-elle les discours qui gravitent autour de la relation entre l'enfance et les médias aujourd'hui ? Pour y répondre, on s'appuiera sur trois hypothèses ; 1. D'abord, on postule que l'expansion de Dora – en tant que personnage et marque – s'inscrit dans un contexte de culture globalisée ou l'enfant est perçu comme un marché et la culture comme une industrie. 2. Ensuite, on propose que Dora se réapproprie les discours divers confrontant l'enfance aux médias, en s'appuyant sur des argumentaires d'apprentissage et de technophilie. 3. Enfin, on propose de percevoir les réappropriations « adultes » projetées sur le personnage de Dora comme des vecteurs d' « émancipation » de l’objet médiatique. Pour ce faire, on a choisi d'inscrire nos travaux dans la lignée de plusieurs grandes théories explicatives. D'abord on prendra soin de rappeler les concepts fondamentaux qui ont permis d'analyser les grandes thématiques principales – enfance, médias télévisés, stratégie mondiale – mais aussi d'appréhender un objet relativement nouveau et peu étudié qu'est Dora. En effet, la petite aventurière, si elle est très présente dans les rayons des magasins et sur les écrans télévisés, est quasiment absente du discours universitaire. Il faudra étudier cet objet médiatique quasi inédit grâce à une méthodologie précise et en mêlant divers outils pour proposer une approche nouvelle d'un objet que d'aucuns caractériseront de « trivial ». Car on cherche à prouver que Dora, sous son apparence d'objet futile, nourrit une réflexion utile à la compréhension de « ce que l'écrivain Francis Scott Fitzgerald appelait, à propos d'Hollywood « the whole equation » : l'ensemble du problème : l'arithmétique de l'art et de l'argent, le dialogue des contenus et des 9
  • 11. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? réseaux, la question du modèle économique et de la création de masse» 20, qu'elle est un objet qui possède une capacité latente à devenir un support d'activité ludique et de propositions conceptuelles. Puisqu'on cherche à déterminer les raisons du succès sous un angle mercatique, les grilles d'analyse du marketing serviront à décortiquer les données recueillies et à les hiérarchiser. Différents types d'analyses ont été retenues pour mener à bien le travail de démonstration. D'abord on s'appuie sur une analyse sémiotique des discours presse, que ceux-ci soient issus de la presse financière, commerciale, divertissement, société. La presse – en France et à l'international – donne en effet la parole aux experts de l'enfance, aux spécialistes du divertissement, mais surtout aux acteurs principaux et aux différentes parties prenantes ; en outre, elle rend compte des différents courants de pensée qui influencent l'évolution des marques. En tout, le corpus presse compte 27 articles de la presse française, et 23 articles de la presse étrangère – essentiellement américaine. L’analyse de contenus de communiqués de presse et d’émissions télévisées complètent ce corpus écrit. Une analyse de discours théorique appuie nos propos. Ils portent essentiellement sur l'enfance, la télévision, la marque, les concepts en communication. Quelques quarante ouvrages principaux ont été retenus pour servir de terreau conceptuel et alimenter notre réflexion. Dans un second temps, on s'est livré à une analyse de contenus des productions Dora, qu'ils s'agissent d'épisodes télévisés, de livres de lectures, de jeux, du site internet, etc. Les productions Dora étant très nombreuses et très diversifiées, une analyse exhaustive était impossible. Aussi, un épisode télévisé (Dora la musicienne) et une histoire (Dora sauve les petits chiens) ont été retenus pour comprendre la spécificité de l'objet de recherche. Une analyse comparée de magazines Dora (France /Hollande) a aussi été menée afin d'appréhender le sujet sous un angle global. Enfin, pour compléter ces discours de marques, d'acteurs et ces analyses produits, des entretiens exploratoires ont été menés afin de recueillir un discours non accessible par la voie publique. Des acteurs n'ayant pas la parole dans la presse ont été interrogés afin de dresser un tableau le plus complet possible des différentes parties prenantes: directeur d'école primaire et bibliothécaire d'une bibliothèque jeunesse (institutions publiques), parents (acheteurs ou observateurs). Les enfants, qui sont au cœur du sujet, ont été questionnés (six enfants entre trois et sept ans) lors d'entretiens qualitatifs, avec toutes les précautions qui conviennent pour une telle démarche. 20 Frédéric MARTEL, Mainstream, Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias. Paris, Ed Flammarion, mars 2010, p14 10
  • 12. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? Dans une première partie, on cherchera à comprendre la logique du succès médiatique et commercial de Dora, un objet de divertissement destiné aux enfants. Pour ce faire, on dressera un portrait de Dora dans le monde, on s'interrogera sur la stratégie mercatique mise en œuvre pour opérer une expansion mondiale, et on questionnera le concept de « marque » s'agissant de la petite aventurière latino-américaine. Ensuite, on verra que le discours d'escorte qui explique en partie le succès de Dora propose un renouveau de l'apprentissage. Dans cette partie, les notions d'interactivité, d'apprentissage et d'éducation seront abordées. À terme, on proposera de reproduire l'évolution intellectuelle qui a permis de dépasser du préjugé de « passivité nocive cathodique » pour accéder au succès interplanétaire d'un programme télévisuel. Finalement, la troisième partie du mémoire traitera de la médiagénie de Dora, c'est-à-dire qu’on se demandera comment l'héroïne parvient à endosser différentes préoccupations politiques, sociales, mais à être aussi l'objet de discours aussi différents, de réécritures aussi variées, de parodies, en un mot : qu’elle parvient à être une image de référence dans le paysage médiatique courant. 11
  • 13. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? I – Dora, produit d’une culture globalisée sur le marché de l’enfance Avant propos : « Il était une fois Dora » Dora, « la petite Exploratrice la plus réputée de la planète »21 est l'héroïne d'un programme télévisé pour enfants du monde entier. Lancée en août 2000, la série d'animation américaine « Dora l'Exploratrice » évolue : sa notoriété s’internationalise et le volume des ventes d’objets dérivés participe au succès commercial du personnage. La petite fille hispano américaine est toujours accompagnée de Babouche, son compagnon de voyages, et leurs aventures se déclinent en une centaine d'épisodes. Décrite par la boîte de production-mère comme « plus aventurière que jamais, Dora [et son fidèle compagnon Babouche] sollicite[nt] tous les jours les téléspectateurs en herbe pour mener à bien leur mission. »22 Dora n'est pas une héroïne comme les autres : « Alternant leçons d’anglais, chansons ou jeux interactifs, la plus célèbre des Exploratrices hispano- américaines propose d’allier l’éducatif au ludique et de donner les bases de la langue au travers d’expressions courantes ou de l’apprentissage des chiffres et des couleurs »23; surtout, Dora est décrite par ses créateurs comme un produit au succès rapide et international « La série a été diffusée pour la première fois le 14 août 2000 sur Nickelodeon, canal pour enfants du groupe américain MTV. (…) Son succès planétaire aurait permis à Nickelodeon d'engranger quelque 25 milliards d'euros depuis 2002, dont un tiers grâce aux produits sous licence. Et l'Hexagone est devenu son deuxième pays d'élection depuis son arrivée en 2003 sur TF 1 »24 ; la France comptant parmi les 133 pays où le programme Dora est diffusé. De fait, notre analyse portera avant tout sur le territoire français, puis dans le reste du monde. Pour rappel, on part de l'hypothèse que l'expansion de la marque Dora s'inscrit dans un contexte de culture globalisée où l'enfance et le divertissement constituent des marchés à part entière. Afin de comprendre comment s'accomplit et se « démontre » la promesse d'une télévision éducative et interactive, on s'attache d'abord ici à considérer Dora comme un objet mercatique. Autrement dit, avant d'étudier la structure et la narration des épisodes, on donne une idée de la construction du « phénomène Dora l'Exploratrice » à travers le monde. Car la petite fille, protagoniste populaire de dessin animé, est au cœur d'une machine économique extrêmement réfléchie et sa popularité ne doit rien au hasard. On veut démontrer en quoi Dora peut être qualifiée de marque et on justifie la désignation d'un « écosystème » Dora. Yves Jeanneret, spécialiste de la communication et des médias, a distingué la logistique de la sémiotique25, et c'est cette même dissociation que nous suivrons en nous attachant a étudier d'abord la production, la conservation et le « transport » – diffusion – du personnage, dans le contexte d'une série animée. Son interprétation et les discours qui la structurent, relèvent de la sémiotique et feront l'objet d'une 21 Communiqué de presse du spectacle « Dora au Casino de Paris » 22 Site internet Nickelodeon Junior 23 Ibid 24 Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011 25 Yves JEANNERET, Penser la trivialité, volume 1 : la vie triviale des êtres culturels. Paris : éditions Hermès-Lavoisier, 2008 12
  • 14. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? autre partie. « Comprendre la marque et la façon dont son identité et sa valeur se construisent exige donc de prendre en compte les attentes des différentes parties prenantes qui en assurent la co-construction et qui sont recensées dans la figure suivante, figure qui se trouve ci-dessous»2627 : Entreprise : Actionnaire Nickelodeon Employés Forte marge Polémique Caitlin Sanchez Discours de rentabilité, de accroissement de la part Nickel odéon, entreprise de marché pérenne et rentable Consolidation de l’image satisfaction des clients intermédiaires et finaux Gouvernement Institutions, gouvernement, écoles : pas de prise de parole Concurrents directe Marque : Dora Marché fortement compétitif. Ex : Hello Kitty Opinion Publique RSE : questions sanitaires Distributeur Consommateur Divers : Super U, Toys’R’us Fournisseurs Enfants : satisfaction lors Bonne relation avec les de l’expérience Dora distributeurs Force de la Parents : discours de marque réassurance force du marché Figure 1 : la marque et les différentes partis prenantes C'est-à-dire que, sous une apparence digressive, nous verrons quels sont les rapports de force entre les différentes partis prenantes, en considérant les discours des différents acteurs ci-dessus, cela afin d’expliciter la notion de marque et d’articuler les différentes positions les unes vis-à-vis des autres. I.1. Une petite fille en bonne santé dans le monde entier, ou le succès d’une stratégie mondialisée 26 Benoît HEILBRUNN, La marque, Ed Que sais-je? Paris, 2006, p 13 13
  • 15. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? Le divertissement est devenu une industrie – en termes de fonctionnement et d'échelles – depuis l'avènement d'une société mondialisée et industrialisée28. Cette hypothèse a largement été démontrée, décrite, et récemment illustrée lors de l'exposition « Des jouets et des hommes » au Grand Palais29. Pas moins de mille jouets depuis l'antiquité jusqu'à nos jours ont été rassemblés à l'occasion de cette exposition ambitieuse, qui propose un discours susceptible d’alimenter notre démonstration : « Des jouets et des hommes présente une histoire du jouet occidental et met en lumière son importance dans l’éducation de l’homme depuis sa naissance. L’exposition interroge les rapports ambigus que les enfants entretiennent avec la reproduction en miniature du monde des grands. Comment s’emparent-ils de cette réalité à leur échelle, toujours imaginée par des adultes ? »30. I. 1.1. Dora, héroïne de son temps : un produit de « l'industrie culturelle « Mainstream » » Dans cette exposition qui questionne le rapport entre adultes et jouets, la petite Dora apparaît à la section « L'âge des médias », sous forme d'une grande peluche31. Cette partie s’attache à montrer l’influence des médias sur la planète des jouets au vingtième siècle. « Ou comment des émissions de télévision comme Bonne Nuit les Petits ont popularisé des poupées telles que Nicolas et Pimprenelle et leur nounours ou encore comment la saga Star Wars a donné naissance à quantité d’objets dérivés qui ont fait la fortune des fabricants et la joie d’enfants et de collectionneurs. »32. La présence de Dora dans cette partie de l'exposition est particulièrement significative. C’est évidemment une « icône », la poupée ressemble à l’héroïne de la série animée éponyme. C'est ensuite l’ « indice » du succès de Dora mais aussi un « symbole » – on entend « indice », « icône » et « symbole » au sens peircien des termes33 – en ce que Dora a été choisie pour représenter l'exemple typique d'un objet médiatique né dans l'industrie du divertissement. Mais sa valeur d'exposition a aussi ici une portée symbolique, Dora serait le paroxysme d’une « industrie de l’Entertainment », la représentation concrète de la notion d’ « âge des médias ». Le jouet revêt une haute portée exemplaire à reconsidérer dans un contexte de divertissement industrialisé. Plus précisément, dans son ouvrage Mainstream - Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias, Fréderic Martel décortique la culture « mainstream », à savoir cette « culture du divertissement » qui « plaît à tout le monde ». Le terme est difficile à traduire, il signifie littéralement « dominant » ou « grand public » et s'emploie généralement pour un média, un programme de télévision ou un produit culturel qui vise une large audience. « Le mainstream c'est l'inverse de la contre-culture, de la subculture, des niches. C'est pour beaucoup le contraire de l'art. Par extension, le mot concerne aussi une idée, un mouvement ou un parti 28 Conférences Théodor ADORNO: L’industrie culturelle (Archives INA : L’homme dans un monde en pleine évolution - Université Radiophonique Internationale - 21 et 28 septembre 1963) 29 Exposition des Jouets et des Hommes, au Grand Palais, Paris, 14 septembre 2011 – 23 janvier 2012 30 Catalogue de l’exposition Des jouets et des hommes, Septembre 2011, 328 pages, Éd RMN - Grand Palais 31 Cf. Annexe 25. « Dora sous toutes les formes : un produit marchandisé à l’extrême », page 127 32 Ibid 33 Université de Saint Etienne, Travaux VII Regards sur la littérature et la civilisation contemporaines, Paris, Ed, C. I. E. R. E. C. – 1974. P187 14
  • 16. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? politique (le courant dominant), qui entend séduire tout le monde. (…) L'expression « culture mainstream » peut d’ailleurs avoir une connotation positive et non élitiste, au sens de « culture pour tous » ou plus négative, au sens de culture de démarche commerciale ou de culture formatée et uniformisée. »34 On a formulé l'hypothèse que Dora est le fruit de ce courant dominant, qu'elle est un produit de diversité standardisé. En effet, rares sont les zones géographiques qui échappent au phénomène Dora. La Corée du nord et Cuba35, de par leur exception politique, font naturellement partie des pays qui n'achètent pas ce type de séries, mais les écrans du reste du monde sont envahis par une offensive de Dora et ses amis. Créée en 2000 aux États-Unis, la marque commence une expansion mondiale et s'aventure sur le territoire français au bout de trois ans36. Elle a désormais conquis 133 pays et vendu 50 millions de DVD dans le monde37 . Dora est avant tout une émission télévisée produite par le géant américain Nickelodeon, une boîte de production qui possède sa propre chaîne en France, diffusée grâce à l'offre Numéricable et Canalsat.38 Filiale de l'américain Viacom, Nickelodeon s'est spécialisée dans le divertissement pour enfants ; aujourd'hui éditée par MTV Networks ; en utilisant le mythe du divertissement originel et accessible, Nickelodeon prétend être la chaîne de référence en divertissement, comme en témoigne son slogan significatif : « Joue, apprends et rigole »39. La grille de la chaîne comporte 65% de séries animées, 25% de séries et fictions et 10% d'émissions-magazines ; la programmation est segmentée par tranche horaires correspondant aux cibles : les programmes d'éveil pour les 2-5 ans – comme Dora – sont diffusés le matin. Elle dispose de sa chaîne de télévision mais publie aussi son propre magazine et fait produire de nombreux biens à son nom sous son logo, ce qui lui permet d'étendre son champ d'actions et de multiplier les preuves de divertissement. Aux États- Unis, la chaîne a obtenu le plus fort taux d'audience durant cinq années consécutives et est présente dans 81 pays. En France, Dora a d'abord été diffusée sur TF1 en matinales, et disponible sur le site de rediffusion TF1 spécialisé dans la jeunesse « T Fou ». À l’époque, la chaîne française a rapidement profité de son succès puisque « Sur TF 1, la série réalise 40 % de part d'audience, ce qui la classe au sommet des programmes pour enfants de 2 à 6 ans. Même succès sur le Net. La section qui lui est consacrée sur Tfou.fr, le site jeunesse de TF 1, a suscité 500 000 visites depuis son lancement en mars avec des activités de coloriage ou des jeux d'éveil. TF 1 a aussi vendu en un an 300 000 exemplaires de ses 22 coffrets de DVD ».40 C'est donc grâce a la chaîne française qu'elle a pu connaître une telle popularité dès son arrivée sur le territoire hexagonal. 34 Frédéric MARTEL, Mainstream, Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias. Paris, Ed Flammarion, mars 2010; p 19 35 « Aujourd'hui, les grandes compagnies américaines de divertissement (…) savent produire ce qui plaît à tout le monde, aux deux sens du terme. C'est une « diversité standardisée». À de rares exceptions près, comme Cuba ou la Corée du Nord, le cinéma et la musique américaines dominent, et finissent par diffuser des valeurs communes » Propos de Frédéric Martel recueilli par Claire BOMMELAER « Le Figaro », Cette culture qui plaît à tout le monde, 26 mars 2010 36 Cf Annexe Erreur ! Source du renvoi introuvable.. « Le cycle de vie du produit- Dora dans le temps et dans le monde » page 91 37 Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011 38 Page Wikipédia Nickelodeon 39 Bruno FRAIOLI « Stratégies » Nickelodeon se dédouble 27novembre 2009 40 Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011 15
  • 17. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? Nickelodeon se lance ensuite sur le marché national en lançant sa propre chaîne en 2005, ayant conscience « n'est pas une nouvelle chaîne à proprement parler car ses programmes sont déjà bien connus des enfants »41. En effet, arrivée sur les écrans français en 2003, Dora connait une forte notoriété. En arrivant en France, Nickelodeon, prive TF1 de l'exclusivité de quelques uns de ses programmes phares, dont Dora, et s'expose à une forte concurrence puisque Tiji, Cartoon Network, Jetix sont déjà présents dans le bouquet français des chaînes jeunesse ; Nickelodeon « fait le pari » – elle choisit pour stratégie – de jouer sur la popularité des ses héros, Dora, mais aussi Jimmy Neutron, Bob l'Éponge, les Razmoket42... En 2010, Nickelodeon se dédouble, se consacrant aux enfants de 7 à 14 ans, tandis que « Nickelodeon junior » est créée pour se destiner exclusivement aux 3 - 7 ans. C'est désormais sur ce canal que sont diffusés les épisodes de Dora43 ; une chaîne thématique qui permet de toucher pleinement les cibles sélectionnées, avec le « moins de perte possible »44. Dans l’hexagone, les aventures de Dora génèrent jusqu'à 35,4% de parts de marché en termes d'audience sur les 4-10 ans. «Pour notre cœur de cible, à savoir les enfants de 2 à 5 ans, la proportion est sans doute encore plus élevée», 45estime Laurent Taïeb, vice-président de la chaîne Nickelodeon, qui diffuse les épisodes Dora. Les dix ans de Dora, fêté en 2010, ont été pour Viacom l'occasion de montrer ses bons résultats et un prétexte pour distiller un discours de bonne santé financière à destination des actionnaires. On apprend lors de cet événement qu'Albin Michel Jeunesse a déjà vendu plus de 12 millions d'albums Dora, soit « en moyenne 4,5 livres Dora par minute dans l'Hexagone ! »46. Les dix ans de la fillette sont l'occasion de créer l'événement, pour parfaire encore la globalité et diversification de l'offre. D'abord produit au Casino de Paris, le spectacle poursuit sa tournée à travers toute la France47. Ce spectacle, copié dans 18 pays, a rassemblé au moins trois millions de spectateurs.48 Cette exportation de l'événement à travers le monde est caractéristique de « la culture mainstream ». « Et la voilà sur scène à Paris, avant une tournée de 200 dates en France. « Des maires de grandes villes nous appellent pour réclamer son passage », raconte Thierry Cammas, PDG de MTV Networks France (…) Le budget de la tournée, plus de 3 millions d'euros, en fait un géant dans la catégorie jeune public. »49 Cette tournée, c’est un « produit culturel qui vise une large audience (…) une culture formatée et uniformisée »50, donc, dans la ligne directe des industries de l’Entertainment, en tout cas de l’avis du chercheur Frédéric Martel. Cette tournée partout en France propose un produit destiné à tous, une marque proche et offensive, multiplie la présence médiatique de Dora par des canaux nombreux et des lieux divers. 41 « Stratégies » Classe surchargée pour les chaînes jeunesse, 08 août 2005 42 Cf. Annexe 28. « Les héros de Nickel odéon » page 138 43 Bruno FRAIOLI « Stratégies » Nickelodeon se dédouble 27novembre 2009 44 MM et BF « Stratégies » in Dossier 10 cibles et émissions incontournables, 15 janvier 2004 45 Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010 46 Ibid 47 Cf. Annexe 29 « Affiche Dora au Casino de Paris - le spectacle musical » page 139 48 Site internet des spectacles de Dora 49 Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011 50 Frédéric MARTEL, Mainstream, Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias. Paris, Ed Flammarion, mars 2010; p 19 16
  • 18. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? I. 1.2. Un « écosystème » Dora, ou la stratégie globale et offensive des créateurs Un journaliste économique français note que « Viacom veille à ne pas laisser dormir cette licence juteuse, en abreuvant le marché de produits dérivés : vêtements, jeux vidéo, accessoires, etc. En tout, plus de 1.000 références. Viacom fournit même deux ou trois chartes graphiques par saison à ses distributeurs pour que chaque enseigne puisse proposer des lignes de vêtements exclusives »51. Il est naturellement impossible de dresser une liste exhaustive de tous les produits estampillés Dora52 : paire de lunettes, fournitures scolaires, vêtements et accessoires, dentifrice, jeux de société, livre, jeux de consoles, parade dans les stations de ski..., en tout « 950 sociétés exploitent la licence, dont Mattel, H&M, Ravensburger. »53. « Depuis quelques années, la gentille Exploratrice a aussi conquis les chambres d'enfants grâce aux poupées Fisher-Price, aux tee-shirts, aux sacs à dos, aux guitares, aux marelles Lansay. »54. Dora intègre le quotidien en devenant un objet de consommation courante.55. Dora a choisi une offensive générale pour devenir marque globale et forte présence médiatique56. C'est d'ailleurs le dessein de Thierry Cammas président gérant de MTV network France qui affirme: « Nous sommes en train de créer un véritable écosystème »57, c'est-à-dire instaurer un réseau de présence médiatique inévitable permettant au succès de Dora de durer, de s'installer et de conquérir les 800000 enfants qui entrent en France chaque année dans la tranche d'âge cible58.. La manne est importante, les possibilités nées de la niche enfantine sont infinies, les bénéficiaires d'une telle économie sont nombreux, à commencer par Viacom et sa chaîne Nickelodeon, mais pas uniquement. Jemini, par exemple, l'un des principaux acteurs du jouet sur le marché mondial, est un fabricant de peluches, petit mobilier et accessoires pour enfants. Avec un chiffre d'affaires de 40% à l'export – 37 millions d'euros – le groupe sait l'importance de « mêler nouveautés et valeurs sûres »59 dans l'acquisition de ses licences60.61 Hello Kitty, Lulu Castagnette, les Schtroumpfs, font ainsi parti du catalogue de Jemini, qui fabrique évidemment des produits Dora l'Exploratrice. En outre, Dora doit évoluer dans un contexte très compétitif et un contexte assez fluctuant, qui a tout de même permis aux ventes de produits dérivés sous licence Dora de passer de 400 millions à 1 milliard de 51 Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010 52 Cf. Annexe 25. « Dora sous toutes les formes un produit marchandisé à l’extrême», page 127 53 Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'eldorado des enfants, 25 juillet 2011 54 Ibid 55 Gary ARMSTRONG, Philip KOTLER, Emmanuelle LE NAGARD-ASSAYAG, Principes de marketing, 10ème edition, Paris, Ed PEARSON, 1, 07 Kg, p 199 56 Cf. Annexe 1 « Les formes d’extension d’une marque », page 89 57 Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010 58 Cf. Annexe 7 « Dora et son public » page 98 59 Keren LENTSCHER, « Le Figaro » Le fabricant de jouet Jemini entre en bourse, 22 février 2011 60 Voir le catalogue Jemini sur le site internet du groupe 61 Laurence GIRARD « Le Monde » Transformers, Gormitchi ou catch : le succès grandissant des jouets sous licence 23 décembre 2009 « License accord entre producteurs et fabricants de jouets, permettant à ces derniers de vendre des produits dérivés (figurines, cartes à collectionner, etc.) tirés de films ou de dessins animés » 17
  • 19. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? dollars en 200962. Les distributeurs ont intérêt à proposer des produits à succès : «L'hiver dernier, Dora se classait au dixième rang, toutes licences confondues », selon Franck Mathais, porte-parole de La Grande Récré »63 ; tout comme les autres acteurs, les distributeurs – « Conforama » propose des produits sous licence « Jemini », « Super U » des livres « Albin Michel », « Toys&r’us » des jouets « Fisher Price » – ont un intérêt prégnant dans cette machinerie commerciale qu’a générée Dora. Car la petite fille fait partie désormais des marques bien installées : « Pour Dora, il faut maintenant durer. Concurrencée par Toy Story 3, « Dora est entrée dans le classique, l’engouement est retombé », juge Jackie Pellieux, président de JouéClub. Thierry Cammas, au contraire, considère que la petite héroïne est entrée dans la catégorie « des très rares personnages qui font l'unanimité», comme Winnie l'ourson »64. Le producteur qualifie sa marque de réussite installée et pérenne, tandis que les distributeurs avancent quelques réserves ; cette « rivalité » des discours est le reflet d’un rapport de force logique, à laquelle il serait pertinent d’ajouter la parole d’un « expert de la marque »65 : « Il faut d’abord du temps pour construire une marque (la règle des vingt-cinq ans semble empreinte de bon sens et de justesse car elle signifie la capacité de la marque à avoir traversé trois génération) »66 . Finalement, ce que sous-entendent ces discours, ce sont les perspectives pour l’avenir de la marque ; en affirmant la durabilité de la marque, les producteurs cherchent à établir son statut de « marque », dépassant le simple statut de « produit ». Le terme « écosystème » se justifie à de nombreux points de vue. Le terme est habituellement utilisé pour désigner un « Système formé par un environnement (biotope) et par l'ensemble des espèces (biocénose) qui y vivent, s'y nourrissent et s'y reproduisent »67. Le terme écosystème suppose une autonomie, un ensemble se suffisant à lui-même puisque se reproduisant en lui-même et qui puisse servir d’exemple. Car Dora devient un modèle, à tel point que Nickelodeon et TF1 se soient inspirés de Dora l'Exploratrice pour diffuser une série animée intitulée « Ni Hao Kaï-Lan »68 (« Bonjour Kaï-Lan ») grâce auquel « les enfants peuvent s'initier à la langue et à la culture chinoises avec le dessin animé ». 69 La direction nie profiter du succès de Dora pour proposer sa copie, les arguments posés en sa faveur sont les mêmes ; « Ce qui nous séduit, c'est l'audace du programme, la force des scénarios. Il y a quelques mots de mandarin, mais on parle surtout de cerfs-volants, de dragons, c'est une manière ludique de s'ouvrir aux autres » estime Dominique Poussier, directrice des programmes jeunesse de TF170. On comprend dès lors la dénomination d’écosystème ; or, toutes ces variations bénéficiant d’un succès certain, c’est comme si le personnage était au centre d’un grand ensemble échappant à ses créateurs : « « J'ai 62 Adèle VAN COLEN, Elodie MENET, « Rapport de master 2 Sciences du management des produits de l’enfant » Dora l’Exploratrice un nouveau concept d’interactivité ? Mars 2005 63 Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011 64 Ibid 65 Benoît HEILBRUNN, professeur de Marketing à l’ESCP-EAP et à l’IFM, consultant en stratégie de marque et notamment d’auteur du « Que sais-je ? » sur Le Logo et sur La Marque 66 Benoît HEILBRUNN, La marque, Ed Que sais-je? Paris, 2006, p 15 67 Petit Larousse 2012 68 Cf. Annexe 30 « Ni Hao Kaï-Lan » page 140 69 A.K « 20 minutes » Kaï-Lan, la Dora qui venait d'Asie, 3 septembre 2008 70 Ibid 18
  • 20. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? compris que nous avions affaire à un phénomène lorsque le prototype de sa poupée, volé dans l'usine, a été vendu 600 dollars sur eBay », raconte Chris Gifford, un de ses trois concepteurs »71. La personnification est d’ailleurs utilisée plusieurs fois pour désigner Dora, faisant de celle-ci une petite fille qui deviendrait adolescente, et acquerrait ainsi une certaine autonomie : « Chris Gifford n'est pas peu fier de sa fille. « On aurait dit un père à L'Ecole des fans », raconte un de ses voisins de fauteuil à l'avant-première de Dora l'Exploratrice, le spectacle joué au Casino de Paris depuis fin octobre. »72. Il y a d’ailleurs, dans les discours journalistiques notamment, une confusion – volontaire ? – entretenue entre le personnage de Dora et l’entreprise qui l’a créé : « L’héroïne des dessins animés de Viacom génère un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros par an »73 , « Dora a 10 ans, youpi. Dora est morte, vive Dora »74 ; la propension à personnifier la marque est une marque d’attachement à celle-ci75,; ensuite, il y a nette confusion ici entre le produit, la marque et l’entreprise qui l’a créée. Le nom de la série animée Dora est devenue une marque à la tête d’un empire de « sous marques ». En fait, le terme écosystème revient à confirmer cette assertion de Benoit Heilbrunn : « La marque est un être vivant qui évolue et se reproduit pour pouvoir survivre. La reproduction est donc une fonction vitale qui concerne toute formes de développement (produit, cible, géographique). La reproduction de la marque pose également la question de sa capacité à assurer une reproductibilité de l’expérience en assurant au consommateur que toute expérience avec la marque est duplicable dans le temps. Cette fonction renvoie à la caractéristique majeure de la société industrielle qui est (de faire croire à) la reproduction à l’identique des objets dans le temps et dans l’espace (…) la marque participe à ce titre d’une sorte de routinisation rassurante des effets et de l’expérience de consommation qui vise à la réassurance fonctionnelle et alternativement à la stabilisation émotionnelle »76. Écosystème, en effet ; d’abord parce que les ramifications nombreuses s’appuient toutes sur la même unité; ensuite parce que Dora a acquis une autonomie ; écosystème, car tous les acteurs qui gravitent autour de l’héroïne proposent des discours qui la façonnent ; l’écosystème, finalement, est une désignation qui cherche à ériger Dora comme marque forte et qui s’intègre à un discours de promotion de celle-ci. I.1.3. Une aventurière respectueuse des us et coutumes locales : la « glocalisation », nécessité d’un marché mondialisé Dora évolue selon une approche globale ou mondiale, qui procède d'une vision standardisée et uniforme de la stratégie de marque. Cette approche vise à considérer que le marché mondial est un seul ensemble intégré, qui profite des avantages reposant sur une économie de coûts, conséquences logiques des opérations 71 Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011 72 Ibid 73 Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010 74 Blog Queen-bee « Oh mon Dieu, ils ont relooké Dora l'Exploratrice! Espèce d'en... » 05 septembre 2010 75 Benoît HEILBRUNN, La marque, Ed Que sais-je? Paris, 2006, p 83 76 Ibid, p 27 19
  • 21. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? menées à l'échelle mondiale et centralisées77. Dora est confiée aux soins d'acteurs locaux afin de donner des résultats optimaux78 : les relations publiques chargées de relayer les dix ans de Dora en France ont été confiés à une agence française, FH com79. D'autres acteurs locaux ont déjà cité : Albin Michel, Jemini, par exemple. C'est dire qu'il y a un réel effort de diversification et d'ajustement de l'offre selon la qualité de la clientèle locale. On appelle ce phénomène « glocalisation », un mot valise qui emprunte a « globalization » (mondialisation) et « local »80. Le contexte de production de masse et le lieu de production unique n'empêche pas Dora de s'adapter aux différents publics qu'elle rencontre. Comme l'explique Fréderic Martel, une industrie créative est faite pour répondre à des normes internationales des sa conception. Il s'agit de séduire dès l'amont le plus de consommateur possible. La logique commerciale et l'impératif de succès précédent les discours de promotion, qui, eux, varieront selon les pays. Ainsi, l'intégration des latinos grâce aux médias à davantage de résonance aux États-Unis qu'au Japon par exemple. De fait, le discours sur les minorités sera moins explicite dans des pays où la problématique est de moindre intérêt. Comment Dora s'adapte-t-elle à la culture locale ? Initialement pensée pour enseigner quelques mots d'espagnols aux petits américains, Dora apprend l'anglais à la plupart des autres enfants ; la version irlandaise fonctionne grâce a une Dora à l'accent irlandais. Dora parle japonais au Japon, hébreux en Israël, etc.81 Les images sont toujours les mêmes, seuls les doublages servent de marqueur culturel. I.1.4. Une économie de l'image, une esthétique de la voix : le doublage au cœur de l’expansion géographique Comme on le constate, l'économie de Dora fonctionne principalement grâce à la voix, non au discours. Cette distinction, c’est celle qui existe entre le « phonè » (φωνή), la voix physique, et le « logos » (λόγος), le discours82. Les doubleurs sont des marqueurs culturels et locaux. Ainsi en France, Dora est doublée par Lucile Boulanger, une comédienne qui double dans la série Hannah Montana. Aux États-Unis, les voix de Kathleen Herles (2000-2004), puis de Caitlin Sanchez ont donné vie à Dora83. Aux États-Unis, les « guest voices » sont parfois célèbres et les doubleurs sont invités sur les plateaux télévision pour partager et témoigner de leur expérience de voix de héros84. On assiste a une heroïfication de la partie charnelle de Dora : c'est dire à quel point la voix fait l'importance du programme et jusqu'où la stratégie d'expansion peut s’étendre. 77 Cf. Annexe 5 « Les stratégies de marque de Dora/ Nickelodeon » page 95 78 Cf. Annexe 4 « Les quatre composantes du mix marketing appliqué au cas de Dora l’Exploratrice » page 94 79 Alain DELCAYRE « Stratégies » Trois nouveaux clients pour FH com 19 novembre 2010 80 Michel HEBERT, Le marketing et la communication face à l'imprévisible: Mobilité, réactivité, adaptation, Paris, Editions L'Harmattan, 2011 – p 57 81 Page Wikipédia Dora l’Exploratrice (version française et américaine) 82 Cf. Annexe 11 « Analyse d’un épisode Dora – sémiologie filmique » page 102 83 Page Wikipédia Dora l’Exploratrice (version française et américaine) 84 Caitlin Sanchez Interview diffusé le 15 août 2010 dans l’émission«Dora's Big Birthday Adventure» ou encore Caitlin Sanchez «Trophy for winning Best Childrens Programming at the 2009 Imagen Awards», HBR.org. 20
  • 22. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? Lorsqu’il existe des écarts de traduction dus à l’adaptation des références culturelles, on parle d' « artefact de traduction-adaptation »85; c'est le cas pour le singe de Dora. Appelé Shoes ou Boots aux États- Unis à cause de ses grandes bottes, il devient Babouche en France. De même que certains épisodes imaginent des personnages semblables à Chipeur le renard, qui retrouve ainsi d’autres renards voleurs partout sur le continent (« Chipie », « Chipa » et « Shipping »86), le programme s'adapte selon les territoires qu'il occupe. Le rusé renard qui se plaît à subtiliser des objets, est appelé Swiper aux États-Unis, Chipeur en France. Dans le premier pays on l'exhorte ainsi « Swiper no swiping! », dans le second c'est « Chipeur, arrête de chiper! ». « Backpack » devient « Sakado », « Map » « la carte », etc. C'est une simple question de dénomination qui permet d'exporter le programme à travers le monde. On trouve un exemple de la traduction de Dora à travers le monde en comparant des magazines de deux pays différents87, ou dans l'épisode Dora la musicienne ; pour réussir leur mission, Dora et ses amis doivent passer par la barrière qui chante « Il faut que vous deviniez les airs des chansons que je chante » demande la barrière88. Les épreuves sont traduites depuis la version américaine, la barrière entonne donc des airs traditionnels aux États-Unis, traduits en français. Par conséquent, les airs traditionnels sont traduits mot à mot, ce qui peut surprendre, car rares sont les petits Français qui peuvent reconnaître les airs entonnés par la barrière : « Vieux Mc Donalds a une ferme »89 « Rame rame rame dans le courant tout joyeux voit tes rêves en grand »90 ne font pas partie du répertoire traditionnel de la chanson enfantine. On voit ici les limites de la stratégie d’adaptation locale. Pour les dix ans de Dora, ABC News lui consacre un reportage. Présentée avant tout comme un succès économique – « elle pèse plus de 10 millions de dollars »91 – Dora est analysée de bout en bout, depuis sa conception jusqu’aux déclinaisons produites qu'elle a engendrées. Le journaliste commente : « Dora est partout, sur les écrans, sur internet, en vêtements et DVD» et s'interroge : comment plaire aux enfants de la planète entière ? De là, l’équipe de reportage entame une exploration des studios et on suit des entretiens avec les créateurs de la série pour tenter d'expliquer le succès mondial de l'aventurière. Tous les épisodes sont pensés et produits dans la maison mère: on voit des graphistes imaginer les expressions de Dora, les dessinateurs appliqués qui mettent en animation la fillette. On voit aussi le panel d'enfants-tests qui regardent le programme ; si l'épisode ne plaît pas ou trouble les enfants, il est retravaillé. Très intéressant aussi, le témoignage des créateurs de la série, qui reviennent sur les premières heures de la fillette. Ils décrivent le brainstorming qui précède à l'élaboration de l'héroïne telle qu'on la connaît, en racontant qu'il était à l'origine question de créer un héros lapin : « Il y avait tant de personnages au début, d’abord c’était un lapin, ensuite un(e) martien(ne). Elle s’est appelé Tess, puis Nina et puis Nick a dit « Et pourquoi pas une latino ? » ce à 85 Pour mieux comprendre, consulter l’article de Yannicke LEBTAHI Télévision : Les artefacts de la traduction- adaptation; Le cas de la sitcom in « META, journal des traducteurs » Volume 49, numéro 2, juin 2004, p. 401-409 86 Épisodes doubles : Dora au pays des contes de fées, Dora autour du monde, Dora sauve le royaume de Cristal et Dora princesse des neiges 87 Cf. Annexe 12 « Analyse comparée de deux magazines Dora l’Exploratrice : France vs Hollande » page 104 88 Dora la musicienne, Nickelodeon, 2006, 23’55 89 Traduction de la chanson traditionnelle anglaise «Old mac Donald had a farm » 90 Traduction de « Row row row your boat » 91 Dora the Explorer's Big Birthday, ABCnews Video, 08 décembre 2010 21
  • 23. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? quoi on a répondu « C’est une excellente idée ! » » 92Toute la genèse est mise en lumière, comme pour mettre en valeur les coulisses du studio, communiquer de l'émotion et créer une histoire séduisante autour de la naissance de la fillette. L'art du récit de la création relève du désormais bien connu « story-telling », une nécessité pour les marques et les entreprises de se raconter en récit93. Le récit a une vertu explicative car c'est précisément ainsi que se déroule le cycle de vie d'un épisode Dora. Produite par la maison mère américaine, Dora est ensuite mise en voix pour être diffusée dans les filiales à travers le monde. Toute cette phase préparatoire, depuis la recherche d'idées, le développement et le test du concept, l'élaboration de la stratégie marketing et les tests du produit ont lieu dans la maison mère. Ensuite seulement le lancement est laissé à la charge des filières, de même que le suivi du produit. Cette façon de fonctionner du studio de production est en tout cas celle que Nickelodeon souhaite montrer. Lorsqu’on relit l’enquête de Frédéric MARTEL et sa visite des studios, on lit que seule le stade du « développement », ce « très long processus qui va du « pitch » (l’idée initiale résumée en quelques phrases) à la sortie du film, en passant par la rédaction du script, sa révision et souvent sa refonte complète avant le tournage »94 (ici, il ne s’agit pas de tournage mais de réalisation). C’est le « content » qui est élaboré dans la maison mère ; ensuite, les autres charges sont confiées à des acteurs extérieurs. Mais dans une logique de « séduction » où l’entreprise se raconte, il n’est pas attractif de dévoiler les dessous d’une machine complexe et indigeste. I. 2. En quoi Dora peut-elle être considérée comme une marque ? I. 2. 1. Dora, un personnage de série érigé au statut de produit commercial à celui de marque à part entière Dora est un objet culturel qui a profité d'une stratégie commerciale de grande ampleur. La petite fille a progressivement acquis une telle présence médiatique et une indépendance vis-à-vis de son créateur qu’elle a été qualifié de marque : « Dora [au même titre que Bob l'Éponge, South Park, Pimp my ride], fait partie des marques qui structurent les antennes »95 « Dora l'Exploratrice a 10 ans. Dix ans de succès. Le personnage créé par la chaîne Nickelodeon s'est fait porte-parole du multiculturalisme et d'une représentation féminine sans cliché sexiste. Mais elle est aussi une marque. »96 Comme l'explique Tristan Rachline, vice-président de MTV Networks « au moment où le marché se cherche et où le GRP est remis en cause, il est nécessaire de donner de la valeur à l'achat »97, et c'est précisément la raison d'être d'une marque. Pour Koetler, le spécialiste du marketing, « Une marque a un contenu symbolique complexe qui va bien au delà de son nom. Gérer une marque, c est gérer un ensemble de significations (…) Le capital d’une marque est lié à sa 92 Ibid 93 Cette notion a été expliquée par Christian SALMON Storytelling, La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, Ed. La découverte, Novembre 2008, 250 pages 94 Frédéric MARTEL, Mainstream, Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias. Paris, Ed Flammarion, mars 2010; p 131 95 Olivier MONGEAU « Stratégies » MTV joue la carte des marques 13 mai 2010 96 Arnaud BIHEL « les nouvellesnews.fr » Dora, dix ans ; aventurière anti sexiste… pour le moment 27 août 2010 97 Ibid 22
  • 24. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? notoriété sa fidélité, sa qualité perçue et ses associations mentales »98. La vraie valeur d'une marque réside dans sa capacité à gagner la préférence et la fidélité du consommateur, et nul doute que Dora remplit cette mission. On dit d'une marque puissante qu'elle bénéficie d'un « capital marque » élevé ; celle-ci se mesure par le différentiel de prix que le client accepte de payer lorsqu'il connaît la marque apposée sur un produit. L'importance accordée aux marques et aux personnages par les enfants est important, à l'âge où le produit remplit une fonction d'appartenance ; « La question du rapport de l’enfant à la marque, au jeu, est également essentielle. On connaît cette tendance en chacun de nous à vouloir par moment s’identifier a quelque chose, à quelqu’un (…) L’’important n’est pas nécessairement ce que l’on fait mais plutôt ce que l’on en dit et ce pour quoi on le fait »99. Le discours des experts qui incitent les entreprises à proposer des marques aptes à une appropriation par l’enfant. Pour construire une marque forte, les décisions stratégiques menées en amont sont essentielles. Tout le développement autour d'une marque est mené en principe à partir d'un positionnement originel ; la marque est supposée représenter « la promesse de fournir au client un ensemble homogène de caractéristiques, d'avantages, de services, et d'expériences spécifiques. Cette promesse doit demeurer simple et honnête. »100. Les spécialistes ont parlé de « Business en or massif de Dora l'Exploratrice », qualifié 101 de «véritable écosystème » l'ensemble formé par l'association des 1000 références Dora. L'unité de base de ce système étant la figure de l'Exploratrice, c'est elle qui engendre une cohérence entre toutes les références. Lorsqu'on aborde la marque, on déborde des notions d' « attributs » et de « bénéfices » du produit, pour davantage se positionner sur des convictions et des valeurs102. Dans le cas de Dora, les convictions seront davantage celles des acheteurs – les parents – que des utilisateurs – les enfants – sensibles au fort impact émotionnel d'une marque puissante. La marque est un signe anthropologique lié à deux fonctions essentielles : l'identification de l'origine tout d'abord, c'est sa fonction de signature, et sa fonction de différenciation ensuite. À propos de la fonction de labellisation, on se rappellera que « marque » vient de l'ancien français « marcher », « un signe mis sur un objet pour le rendre reconnaissable et en assurer la propriété »103. C'est ce même principe qui est mis en œuvre lorsque Viacom fournit deux ou trois chartes graphiques par saison à ses distributeurs, permettant ainsi aux enseignes de proposer des lignes de vêtements exclusives104. Pour protéger les marques, les entreprises doivent prendre soin de les faire suivre du symbole idoine ®, estampille que l'on retrouve sur les produits 98 Philippe KOETLER et Bernard DUBOIS, MARKETING ET MANAGEMENT, 10ème édition, Paris, Ed PubliUnion, 2000, p 423 424 99 Entretien avec Carl Eric RENNO, psychoclinicien, diplôme en psychologie clinique et en psychopathologie dans Jean- Jacques URVOY, Annie LLORCA, Gérer une marque enfants, Paris, Editions Eyrolles, 7 juil. 2011 » - p 88 100 Philippe KOETLER et Bernard DUBOIS, MARKETING ET MANAGEMENT, 10ème édition, Paris, Ed PubliUnion, 2000, p 430 101 Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010 102 Schéma « les différents niveaux d’une marque » Benoît HEILBRUNN, La marque, Ed Que sais-je? Paris, 2006, p 31 103 Benoît HEILBRUNN, La marque, Ed Que sais-je? Paris, 2006, p 5 104 Sébastien JULIAN, « L’Expansion » Le business en or massif de Dora, 09 novembre 2010 23
  • 25. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? Dora. La distribution des produits et services aux niveaux régional, national et international exige une uniformisation et une reproductibilité de la marque105. La fonction de différenciation recoupe la définition de la marque par Koetler « un nom, un terme, un signe, un symbole, un dessin, ou une combinaison quelconque de ces éléments qui sert à identifier des biens ou services d'un vendeur ou d'un groupe de vendeur et à les différencier de ses concurrents »106. Si le prénom Dora reste le même partout dans le monde, le logo sonore « We did it » (chanson du générique de fin qui vient couronner chaque épisode) devient « C'est gagné » en France, chanté sur une intonation similaire. I.2.2. Dora déclinée sur tous les supports : forces et intérêts du « versioning » L'offre commerciale proposée sous la marque Dora comporte à la fois des biens tangibles et des services, la part de service étant une part importante de l'offre globale. Or, les événements acquièrent une importance grandissante dans les stratégies de marque ; désormais que « les personnages cultes nés d'un coup de crayon s'engagent pour stimuler les ventes (…) Dora [est] invitée sur les plages à animer des ateliers de dessin»107. La banalisation historique des produits pour enfants et l'abondance de propositions – Oui-Oui, Winnie l'ourson, produits Disney, Hello Kitty108, Charlotte aux Fraises – oblige l'entreprise à trouver un moyen pour créer de la valeur ; « Il ne suffit plus de sigler une paire de chaussures avec Titi et Grosminet ou un cartable avec Dora pour qu'aussitôt ledit produit gagne en valeur ajoutée »109. Au-delà de la simple production de services, l'entreprise doit proposer de vivre une expérience. La dimension expérientielle est d'autant plus attendue lorsqu'il s'agit de divertissement. Accélérateur de ventes, les licences – en tout cas les personnages qui les incarnent – sont en passe de devenir « un élément d'animation des ventes elles-mêmes. Une nécessité à l'heure où le marché des produits dérivés est quelque peu plombé par la crise économique »110. Autrement dit, la visibilité n'est plus suffisante, il faut y ajouter la notoriété et la proximité. De fait, Nickelodeon organise des tournées promotionnelles pour encourager la notoriété de ses héros phares111. Véritables «Road show » ou « parc d'attractions délocalisés » ces tournées et parades, accompagnées de leur incontournables distributions de « goodies » attirent presque autant de spectateurs que la caravane du Tour de France cycliste. Dora pose aussi avec les enfants dans des lieux de loisirs112. Les parades renouvellent le genre de la fête foraine et doivent renvoyer de la crédibilité auprès des consommateurs-acheteurs : les animations contiennent donc un volet ludo-éducatif, proposant des séances 105 Cf. Annexe 1 « Les formes d’extension d’une marque : un nom facile à exporter » page 89 106 Philippe KOETLER et Bernard DUBOIS, MARKETING ET MANAGEMENT, 10ème édition, Paris, Ed PubliUnion, 2000, p 431 107 Rita MAZZOLI « La Tribune » Les stars de la BD au secours des marques 26 avril 2010 108 Esther WALKER, «The Independant» Top cat: how “Hello Kitty” conquered the world, 21 mai 2008 109 Ibid 110 Ibid 111 Ludovic BISCHOFF « Actionco.fr» Accompagnez Dora et Bob l'éponge en tournée sur les plages cet été, 04 janvier 2008 112 Site internet de l’hippodrome de Vincennes, onglets événements, « les poneys sont de sortie ». Voir Annexe 25. « Dora sous toutes les formes un produit marchandisé à l’extrême», page 127 24
  • 26. Dora l’Exploratrice à la conquête du monde ? photos, des ateliers découvertes, etc. Il s'agit de justifier du différentiel de prix entre le produit basique et le produit sigle 113. Ce qui s’applique sur un produit marchand « classique » grande distribution par exemple (Yaourt, voiture, shampoing), s’applique aussi à du contenu culturel. C’est tout le propos de Frédéric Martel dans son ouvrage Mainstream dans lequel il définit le « versioning » comme une « stratégie qui consiste à décliner un contenu sur différents supports (le film Le Roi Lion devient un disque, une comédie musicale, une parade, etc. »114). Autrement dit, le contenu peut être décliné sur tous les supports, (on parle alors de « Global Média »), une caractéristique qui permet à Dora, non seulement d’être un succès, mais d’être rentable économiquement ; car, comme le rappelle Thomas Schumarer (responsable dessins animés & comédies musicales du Disney Theatrical à New York), un succès en termes d’images – distinction, engouement du public – n’équivaut pas à un succès commercial115. Or, comme toute entreprise, Nickelodeon doit proposer une stratégie rentable, d’où l’extension de son portefeuille de gamme. I.2.3. L’évolution de la marque Dora ou l’agrandissement de la famille Marquez Les petites filles sont davantage concernées par le programme Dora, en tout cas ce sont elles le cœur de cible des objets dérivés, comme l'attestent les magazines, les poupées Dora, les dînettes et parfums de fillettes. Or, Nickelodeon cherche à séduire les parents, les frères, mais aussi les grandes sœurs, pour toucher d’autres cibles sur le marché des téléspectateurs et consommateurs de loisirs. En 2009 aux États-Unis sort une nouvelle version de Dora, préado et citadine116. C'est une nécessité dans l'univers du divertissement pour enfant de « rénover » ses héros régulièrement. Charlotte aux Fraises est aussi une héroïne de longue date – née en 1970 – et a plusieurs fois été modernisée117 ; tous les sept ans, le visage de Barbie est redessiné en fonction de la tendance du moment 118 ; en 2012, c’est la petite Émilie qui connaissait une nouvelle jeunesse119. La recréation, le « rafraîchissement » permet de donner l'illusion d'une réinvention et de conquérir de nouvelles cibles. En ce qui concerne Dora, pouvait-on « « La faire passer en 3D comme Oui-Oui pour la rajeunir? Pas question ! » s'insurge Chris Gifford. Le père de Dora préfère miser sur Diego, son cousin, ou 120 Kaï-Lan, la petite fille qui parle le mandarin. » Le rajeunissement des produits séculaires par un rajeunissement de look procède de la « modernisation »,121 tandis que Nickelodeon choisit d’opter pour une 113 En guise de comparaison, lorsque Oui-Oui anime le rayon linge de maison, les ventes sont décuplées de 1000%. Rita MAZZOLI « La Tribune » Les stars de la BD au secours des marques 26 avril 2010 114 Frédéric MARTEL, Mainstream, Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias. Paris, Ed Flammarion, mars 2010; p 575 115 Ibid p 85 116 Stacey GARFINKLE, « Washingtonpost.fr » Dora the Explorer No More? 6 mars 2009 117 Page Wikipédia de Charlotte aux Fraises 118 Marie-Françoise HANQUEZ MAINCENT, Barbie, poupée totem. Entre mère et fille, lien ou rupture ? Paris, Ed Autrement, octobre 1998. p 86 119 Albums « Émilie » par Domitille de Préssentié, première parution en 1975, réédition et modernisation en 2012 120 Jean-Baptiste DIELBOLD, « Challenges », Dora explore sans relâche l'Eldorado des enfants, 25 juillet 2011 121 Philippe KOETLER et Bernard DUBOIS, MARKETING ET MANAGEMENT, 10ème édition, Paris, Ed PubliUnion, 2000, p 422 25