1. Université de Montréal
Les gens meurent aussi sur Facebook
Par
Jacques a. Bouchard
Certificat de rédaction
Faculté de l’éducation permanente
Travail présenté à Patrice Leroux
Dans le cadre du cours
REP 2400 - Internet et relations publiques
31 octobre 2011
2. Le 4 février 2004, quatre étudiants de l'Université Harvard, Mark Zuckerberg, Dustin
Moskovitz, Chris Hughes et Eduardo Saverin, ont mis sur pied un réseau social privé sur
le Web afin que les étudiants de cette même université se retrouvent et communiquent
entre eux : bienvenue chez « The Facebook ». Sept ans plus tard, Facebook a réussi un
tour de force et a battu le moteur de recherche Google en tant qu’endroit le plus visité
sur le Web. En peu de temps, le réseau social a réussi l’impossible, soit de battre le
géant de Mountain View et de devenir la page d’accueil de l’Internet. En octobre 2011,
plus de 800 millions de personnes possèdent un profil…
Or, lorsque notre vie se termine, lorsque nous décédons, que se passe-t-il avec notre
profil facebookien? Notre vie réelle s’achève, mais qu’arrive-t-il avec notre vie
virtuelle? De quelle manière le réseau social américain et les proches s’y prennent-ils
pour gérer la situation?
Dans les prochaines lignes, nous nous efforcerons d’analyser cette problématique
originale en nous basant sur de fidèles exemples et événements qui sont survenus dans
Facebook. Tant le commun des mortels que la plus grande personnalité ont leur place
posthume dans le monde virtuel toujours aussi fascinant qu’est Facebook.
3. « Facebook’s mission is to give people the power to share and make the world more open
and connected. »1
Depuis la création des grands réseaux de communications, l’être humain s’est découvert
un appétit sans fin pour le partage d’information et un désir sans cesse renouvelé de
rester connecté avec les autres. En 2011, plusieurs d’entre nous vivent davantage en
virtualité qu’en réalité. Or, quand la réalité arrête, quand nous expulsons notre dernier
souffle, notre vie virtuelle, elle, se poursuit sans nous. Depuis l’ouverture au grand public
en septembre 2006, des millions d’adeptes de Facebook ont dû vivre avec le départ d’un
être cher, et le réseau social a souvent été partie prenante dans ces périodes
souffrantes et déchirantes pour plusieurs : 200 000 personnes y meurent chaque
année.2 De ce fait, avec la disparition d’un proche, le monde des communications 2.0
devient un exutoire et un endroit de recueillement par excellence, et les dirigeants de
Facebook en ont pris conscience très vite.
1
Communiqué de presse, Facebook Expands Power of Platform Across the Web and Around the World,
https://www.facebook.com/press/releases.php?p=48242
2
Facebook : que deviendra notre profil après notre mort? Guide Facebook : le guide Facebook pour les nuls,
http://guide-facebook.fr/facebook-que-deviendra-notre-ton-profil-apres-notre-mort-2.html
4. Bien sûr, une copie du certificat de décès en version électronique est demandée afin de
rendre effectif le signalement d’une personne morte. Dès après que Facebook a
confirmé ladite demande, un message est envoyé au représentant de la famille ou à un
proche. D’emblée, c’est à ceux-ci que revient la dure décision de donner ou non une
deuxième vie du profil.
En effet, Facebook offre deux choix : fermer le compte (tout les services de courriels
tels que Yahoo et Google l’offre aussi) ou transformer celui-ci en lieu de mémoire. « Les
informations plus sensibles, telles que ses coordonnées et ses « statuts », sont retirées.
De même, ses proches ne peuvent accéder à son compte pour voir ses messages
privés. »3 Si aucune demande en bonne et due forme n’est acheminée à Facebook, les
employés du réseau social ne pourront jamais prouver que la personne est décédée : le
compte courrait des chances de tomber en désuétude. En revanche, si tout se déroule
comme prévu, la page profil se transforme en mode mémorial.
De prime abord, nous pouvons trouver cette deuxième option surréaliste, voire même
lugubre, mais depuis cinq ans, force est de constater que la conversation entre amis se
poursuit et les gens participent : cela leur fait le plus grand bien.
3
Frédéric Perron, Internet après la mort, protegezvous.ca, http://www.protegez-vous.ca/technologie/internet-et-
mort.html
5. Les profils des gens décédés se métamorphosent en mausolée virtuel, en mémorial et en
plateforme Web dédiée à un hommage post-mortem. Facebook l’appelle le « compte de
commémoration ». Ce profil reste figé dans le temps, tout comme les souvenirs que nous
possédons d’eux. Les demandes d’amis ne sont plus acceptées, car une personne disparue
ne peut se faire de nouveaux amis, que c’est logique! Le compte devient désormais
bloqué de tous. Les initiatives de l’entreprise californienne ne s’arrêtent pas là : « Nous
protégeons également la mémoire du défunt en ne fournissant plus d'informations
d'accès à quiconque. »4 Malgré son départ vers l’au-delà, la personne demeure l’ami de
ses amis dans leurs souvenirs; Facebook permet qu’une relation entre l’internaute et le
succombé se poursuivre. Cela ne peut qu’aider au deuil et à livrer les condoléances :
4
Facebook, Centre d’aide, https://www.facebook.com/help/search/?q=d%C3%A9funt
6. Certes, Facebook nous permet de préserver la page des gens décédés, mais un entretien
de celle-ci par sa famille est impératif. Trop souvent, si la page n’a pas migré vers la
forme posthume, des polluriels peuvent se glisser sur le mur du défunt, tel de la saleté
sur une pierre tombale au cimetière où est enterré grand-père :
Le défunt continue d’avoir une vie virtuelle trop souvent irréaliste. À combien de
reprises peut-on apercevoir une amie morte depuis longtemps invitée à un événement sur
Facebook? Les personnes qui envoient ce type d’invitation doivent absolument faire
preuve d’un meilleur jugement : la ligne est souvent très mince entre la vie réelle et
virtuelle. Suivre un certain code de conduite apparait essentiel.
L’application d’album photos de Facebook reste un bel hommage au défunt.
Effectivement, ces amis peuvent continuer à l’identifier dans leurs propres albums, ce
qui garnit l’album de photos de la page. Depuis quelques années, l’identification des
photos ne requiert pas d’authentification par l’usager. En conséquence, les amis peuvent
identifier le défunt : la page ne nécessite aucun administrateur du profil. Seuls les
7. visiteurs agrémentent le babillard. Par exemple, lors de la fête du défunt, nous
remarquons généralement une vague de témoignage poignant qui peut certainement aider
à se souvenir d’une personne qu’on a aimée :
Dans la vie de tous jours, lorsqu’on a perdu un être cher, on entend une chanson et son
visage nous apparait à l’esprit instantanément. Trop souvent, les gens ne partagent pas
leurs réflexions et les gardent pour eux. Or, on peut réellement profiter d’une page
souvenir Facebook et partager nos états d’âme et nos réflexions :
Ce type de page peut aussi être très bénéfique pour ceux et celles qui éprouvent le
besoin de converser avec la personne décédée, un réflexe que nous avons tous, mais que
nous accomplissons dans l’intimité. Si l’usager mort bénéficie d’un grand cercle d’ami,
8. nous sommes capables de communiquer notre peine et ainsi partager des points en
commun. Qui aurait cru qu’une page Facebook rapprocherait des gens de cette manière
après la mort d’un membre de cette même communauté d’amis?
Malgré la forte utilisation qu’en fait la communauté d’ami, l’équipe de Facebook ne
suggère pas aux Internautes de partager leur deuil sur la page de leur ami décédé :
« Nous encourageons les utilisateurs à avoir recours aux groupes et aux discussions de
groupes pour faire leur deuil et se souvenir des défunts »5, d’expliquer une porte-parole
de Facebook. Or, la très grande majorité prend d’assaut le babillard, converse
directement avec la personne morte et ainsi font fis de la position officielle de
Facebook comme on peut l’observer fréquemment dans nos communautés respectives :
Néanmoins, Facebook insiste pour que les proches leur fassent parvenir un avis officiel
de décès, car, sinon, plusieurs profils deviennent ingérables. Comme mentionné plus
5
Guillemette Faure, Qu'est-ce qui arrive aux comptes Facebook après la mort? Les Inrocks.
http://www.rue89.com/et-pourtant/2009/01/21/quest-ce-qui-arrive-aux-comptes-facebook-apres-la-mort
9. haut, détecter qu’un profil d’usager est obsolète semble une tâche impossible pour
Facebook. Lors de mortalité prévisible, tous les spécialistes Web conseillent fortement
de laisser à un proche ses dernières volontés numériques : liste d’abonnements à
différents sites Internet (courriels, réseaux sociaux, blogues, etc.) codes d’utilisateurs
et mots de passe. Des sites tels que laviedapres.com et mywebwill.com offrent des
services de gestion de la vie numérique après la mort et permettent, notamment, « de
transmettre des messages, photos, vidéos, sons à ses proches après son décès et de
protéger ses documents et identifiants. »6
Or, pourquoi tous ses tracas? En ce qui concerne Facebook, entre autres choses, le but
est d’éviter de recevoir une notification au temps présent vous annonçant que c’est la
fête d’untel comme s’il n’était jamais disparu. Voici d’ailleurs un exemple probant d’un
profil d’un individu décédé, mais dont les proches n’ont jamais envoyé une demande de
migration du compte personnel à une page de commémoration :
Comme on le remarque ici-haut, on n’a pas l’impression que cet homme est mort, car la
page indique encore qu’il habite Montréal (en fait, il est enterré très loin de là) et que
c’est son anniversaire. De plus, il semble toujours possible de lui acheminer une demande
6
Yves Boisvert, Le testament Web, http://cliquez.tv5.ca/blog-details.php?articleID=35
10. d’amitié, ce qui parait invraisemblable. En contrepartie, voici un heureux exemple d’une
page convertie en mode mémorial où seuls ses amis confirmés peuvent y accéder :
Dans la rubrique d’informations de la personne, Facebook a inséré le temps passé et a
bloqué sa date de fête; les gens ne reçoivent aucune notification de la part de cette
défunte. Sa mémoire est respectée et uniquement ses amis peuvent témoigner sur son
babillard.
Une telle page donne aussi de belles possibilités à la famille du disparu. En effet, les
générations d’avant celle des baby-boomers possèdent un vaste réseau souvent étranger
à la famille. La décision de garder vivante une page Facebook peut profiter à la famille
et à son entourage, le partage de photos en est un exemple des plus touchants :
Et nos vedettes dans tout ça? Le décès de Steve Jobs a touché la planète à différents
degrés. Sur Facebook, nous avons arrêté de compter à 175 le nombre de pages créées
en son honneur. De tous les coins du globe, plusieurs ont envahi les médias sociaux pour
11. témoigner, une dernière fois, leur attachement envers le
fondateur d’Apple. L’entreprise milliardaire n’a pas tenté de
contrôler le message et de limiter la création de page
posthume : ce geste aurait été contre nature.
Dans le milieu des personnalités publiques, les différents
réseaux sociaux s’avèrent l’outil par excellence afin de
communiquer adéquatement et le plus rapidement avec ses
admirateurs peu importe l’état de vie… ou de mort de la vedette.
Or, le décès peut être fort salutaire dans une stratégie de Web
2.0. Prenons l’exemple de la page Facebook de Mickael Jackson.
Cette dernière, en date du 30 octobre 2011, est positionnée au septième rang mondial
avec 34 601 787 adeptes, une croissance quotidienne de 129,927 et hebdomadaire de
1 203 9097. Toutefois, avant sa mort, MJ faisait figure marginale d’affirmer le site
Inside Facebook : « La semaine dernière Michael Jackson, le Roi de la Pop, décédait à
l’âge de 50 ans. Aujourd’hui, la Page Facebook de Michael Jackson est la #1 Page
Facebook en terme de croissance, selon PageData. Plus de 1,7 million de fans ont adhéré
à la Page cette dernière semaine pour un nombre total de fans de presque 2,5 million. »8;
on n’ose pas citer le nombre ahurissant de pages « R.I.P Michael Jackson »… C’est ce
7
Top 100 Most Popular Facebook Pages In The World 2011, https://www.facebook.com/pages/Top-100-Most-
Popular-Fac%E1%BA%BBbook-Pages-In-The-World-2011/165408200173753
8
Claire Célier, Déferlante d’hommages sur la Page Facebook de Michael Jackson : la Page Facebook ayant la plus
rapide croissance aujourd’hui, Inside Facebook, http://fr.insidefacebook.com/2009/07/01/760/
12. qu’on appelle un succès virtuellement posthume, car le Roi de la pop disposait d’une
communauté de moins de 800 000 membres de son vivant.
Ici au Canada, on ne peut pas passer sous silence la disparition de Jack Layton et son
impact dans les médias sociaux, plus particulièrement Facebook. En date du 30 octobre
2011, sa page officielle jouissant de 196 721 membres tandis que la page créée en son
honneur après sa mort (R.I.P. Jack Layton 1950-2011) en possédait 187 525. Quelle
analyse peut-on en faire? Contrairement à MJ, les pages du politicien montréalais ne
cachent pas de stratégie de marketing et d’objectifs de vente. Pour preuve, le dernier
statut sur sa page officielle date du 22 août, la journée même de la diffusion de sa
lettre et de sa mort. Les deux pages se partagent grosso modo les mêmes adeptes :
En somme, nous pouvons aisément affirmer que le réseau social Facebook a dû et su
s’adapter à plusieurs nouvelles données chez ses membres, dont celle du décès. Il a
développé des outils forts utiles facilitant l’accomplissement de notre vie virtuelle.
Facebook n’a pas eu le choix de réagir, car le besoin existait depuis les débuts, et
l’utilisateur a toujours raisons — ou presque. L’au-delà spirituel existe depuis des
13. millénaires; nous devons dorénavant accorder une place de choix à l’émancipation de
notre âme dans le cyberespace.
Que nous réserve l’avenir? Pourrait-on imaginer des entreprises spécialisées en
préarrangements funéraires virtuels?